Bonjour, chers collègues. Bienvenue à la réunion du Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir.
J'aimerais tout d'abord souhaiter la bienvenue à nos témoins, ainsi qu'à ceux qui nous regardent sur le Web, et vous faire savoir que nous poursuivons notre étude, c'est‑à‑dire notre examen prévu par la loi des dispositions du Code criminel concernant l'aide médicale à mourir et leur application.
Je m'appelle Yonah Martin. Je suis la coprésidente du Comité qui représente le Sénat, et je suis accompagnée de l'honorable Marc Garneau, coprésident du Comité qui représente la Chambre des communes.
J'ai de l'information pour nos témoins.
Nous rappelons aux membres et aux témoins qu'ils doivent laisser leur microphone en sourdine à moins d'être nommés par l'un des coprésidents, et je vous rappelle que vous devez vous adresser aux coprésidents.
Quand vous prenez la parole, veuillez parler lentement et clairement. L'interprétation au cours de cette vidéoconférence fonctionnera comme lors d'une réunion de comité en personne. Vous avez le choix, au bas de votre écran, entre le parquet, l'anglais et le français.
Encore une fois, bienvenue à nos témoins. Nous avons une témoin, Mme Gabrielle Peters, dont la caméra n'est pas activée, mais nous devrions être en mesure d'entendre sa voix. Elle est assistée par une personne qui l'aidera pour l'interprétation au besoin.
Bienvenue également à Mme Peters.
Je vous présente nos témoins.
Nous accueillons Mme Sylvie Champagne et Mme Catherine Claveau, du Barreau du Québec. Je crois savoir que vous allez partager votre temps de parole de cinq minutes.
Nous accueillons également Mme Gabrielle Peters, cofondatrice de l'organisation Le filibuster du handicap. Comme je l'ai dit, il se peut que sa caméra soit éteinte pendant son témoignage. Nous verrons comment cela se passe.
Puis, nous recevons Mme Krista Carr, vice-présidente à la direction d'Inclusion Canada, qui participe également par vidéoconférence. Pour elle, il est 5 h 45 du matin. Merci de vous être levée tôt pour vous joindre à nous.
Nous allons commencer par la déclaration liminaire de Mmes Champagne et Claveau, qui se partageront les cinq minutes. Elles seront suivies de Mme Peters, puis de Mme Carr.
Mesdames Champagne et Claveau, vous disposerez chacune de deux minutes et demie pour vos déclarations liminaires, je pense bien.
Je vous remercie beaucoup. Vous pouvez commencer.
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Madame la présidente, monsieur le président, madame et messieurs les vice-présidents et membres du Comité, je m'appelle Catherine Claveau et je suis la bâtonnière du Québec. Je suis accompagnée de M
e Sylvie Champagne, directrice du Secrétariat de l'Ordre et des affaires juridiques. Je vous remercie de nous avoir invités à participer à la consultation sur les enjeux liés à l'aide médicale à mourir pour les personnes handicapées.
Depuis le début, soit en 2010 pour le Québec, le Barreau du Québec a contribué activement à la réflexion entourant le dossier de l'aide médicale à mourir. L'aide médicale à mourir et son élargissement soulèvent des questions juridiques et éthiques sérieuses. C'est la raison pour laquelle notre réflexion est guidée par les principes fondamentaux suivants: le droit à l'autodétermination de la personne et de sa dignité; le droit à l'accès aux soins de fin de vie et à l'aide médicale à mourir partout sur le territoire du Québec; le droit à l'égalité, un droit incontournable lorsque vient le temps de réaliser pleinement le droit à la vie et le droit à l'autonomie de chaque personne apte à consentir à l'aide médicale à mourir; et, finalement, la protection contre la discrimination, plus particulièrement en évitant de perpétuer les stéréotypes visant les groupes de personnes considérées vulnérables en concluant d'entrée de jeu à leur incapacité à pleinement consentir à l'aide médicale à mourir.
La décriminalisation de l'aide médicale à mourir et son encadrement juridique ont été confirmés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Carter. Dans cet arrêt, la Cour a reconnu que l'aide médicale à mourir devait être accessible à tout adulte capable, dans les cas où la personne touchée:
(1) consent clairement à mettre fin à sa vie; et qui (2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition.
En 2016, le Code criminel a été modifié pour répondre à cet arrêt. Désormais, l'alinéa 241.2(2)a) prévoit expressément qu'une personne atteinte d'un handicap grave et incurable remplit le critère énoncé à l'alinéa 241.2(1)c), soit qu'« elle est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables ».
En 2019, dans la décision Truchon, la Cour supérieure du Québec a conclu que les critères relatifs à la fin de vie et à la mort naturelle devenant raisonnablement prévisible compromettent le droit à la vie et le droit au respect de la dignité de la personne. Nous soulignons qu'elle a aussi conclu que cela compromettait le droit à l'égalité des personnes, particulièrement celles considérées comme vulnérables. En effet, ces dernières sont erronément considérées comme inaptes, car elles sont vulnérables du simple fait de leur handicap. Les personnes handicapées peuvent être parfaitement aptes à exercer des choix fondamentaux concernant leur vie ou leur mort et cette aptitude doit être évaluée au cas par cas.
En outre, la Cour supérieure a affirmé ceci:
La pleine autonomie des personnes [affectées d'un handicap] doit pouvoir s’exercer non seulement en fin de vie, mais aussi à tout moment au cours de leur vie et ce, même si cela signifie la mort, lorsque les autres conditions d’admissibilité à l’aide médicale à mourir sont satisfaites.
Nous invitons également le Comité à tenir compte de la position énoncée dans la décision, à savoir:
[...] comme toute autre personne apte et bien renseignée, les personnes handicapées peuvent entretenir un désir rationnel et légitime de vouloir mettre fin à leurs jours, compte tenu de leur condition, mais aussi et surtout à cause des souffrances intolérables et persistantes qu’elles vivent. [...]
Même s’il faut rester vigilant, il est loin d’être évident qu’une personne pourra ou voudra recevoir l’aide médicale à mourir uniquement en raison de son handicap.
Nous reconnaissons que le droit à l'égalité à l'aide médicale à mourir présente des défis bien réels. Elle doit être offerte à tous, en tenant compte de la spécificité du handicap, en outillant adéquatement l'équipe soignante pour évaluer le consentement aux soins et en offrant les moyens et les ressources nécessaires pour permettre aux personnes handicapées de prendre une décision éclairée au regard à la situation.
Cela dit, nous sommes d'avis que l'arrêt Carter et la décision Truchon sont suffisamment clairs et cohérents pour guider le Comité dans sa réflexion concernant les personnes handicapées et l'aide médicale à mourir.
En terminant, l'absence d'harmonisation du Code criminel et de la Loi concernant les soins de fin de vie ne peut être passée sous silence. Depuis 2015, une multitude de projets de loi et de modifications législatives ont vu le jour et ont fait qu'il a été difficile, voire périlleux, pour les juristes, pour les patients et pour les médecins de s'y retrouver. Nous vous avons transmis un document intitulé « Ligne du temps de l'aide médicale à mourir », qui illustre bien cette situation.
Depuis 2016, le Barreau du Québec et cinq autres ordres professionnels ont demandé à maintes reprises une harmonisation des lois. Il est primordial, pour assurer la protection du public et pour guider les professionnels qui auront à administrer l'aide médicale à mourir, que les conditions soient claires, précises et, surtout, qu'elles ne soient pas contradictoires.
À ce chapitre, l'exercice des compétences constitutionnelles provinciales et fédérales peut se faire de manière concurrente sans que les lois qui en découlent soient considérées comme incompatibles. La réflexion québécoise concernant l'aide médicale à mourir est très avancée et jouit d'un consensus social et transpartisan.
Nous vous invitons donc à soutenir les provinces dans leurs démarches visant l'élargissement de l'aide médicale à mourir, par exemple celles considérées par le gouvernement du Québec à l'égard des demandes anticipées d'aide médicale à mourir.
Nous vous remercions de votre écoute, et nous sommes prêtes à répondre à vos questions.
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Je m'appelle Alex Cosh. Je serai la voix de Gabrielle Peters aujourd'hui.
Bonjour, je me joins à vous très tôt dans la journée depuis les territoires non cédés des nations Squamish, Musqueam et Tsleil-Waututh.
Le capacitisme occidental moderne, et en particulier le capacitisme scientifique, constitue un lien historique et permanent entre le colonialisme et l'aide médicale à mourir. Le capacitisme occidental moderne est à la fois la base et le cadre rhétorique et pseudo-scientifique qui mènent à la construction de hiérarchies, à la définition de l'autre et du moindre, ainsi qu'à la délimitation de limites arbitraires entre « les méritants » et « les non-méritants ». Au sein de votre système capacitiste, le deuxième volet de l'aide médicale à mourir élargit le pouvoir coercitif, mais apparemment indépendant, que l'État peut exercer pour offrir à une classe désignée de citoyens une mort prématurée aux mains de l'État.
Je m'adresse à vous aujourd'hui en tant que cofondatrice de l'organisation Le filibuster du handicap, une initiative populaire nationale lancée par Catherine Frazee et moi-même à la veille de l'adoption du projet de loi et de la création du deuxième volet de l'aide médicale à mourir.
Le filibuster du handicap était en partie une réponse à la marginalisation des personnes handicapées dans la discussion et la prise de décision autour du projet de loi , et à notre frustration de voir notre colère collective circonscrite et isolée, tout comme nos vies.
Le filibuster du handicap était le seul espace à avoir été créé pour que les seules personnes ciblées par l'expansion de l'aide médicale à mourir puissent exprimer leurs points de vue. Les médias se sont fermés à nous et ont été dominés par l'interminable travail de relations publiques de ceux qui font pression pour l'expansion de l'aide médicale à mourir.
Les préoccupations concernant la contagion sociale causée par la couverture de la fin d'une vie ont été mises de côté. La ligne de démarcation entre le traitement éditorial et la couverture médiatique s'est estompée au point de tomber dans le romantisme et de glorifier ceux qui ont fait le choix de ne pas continuer à être un « fardeau pour ceux qui les entourent » et de « terminer les choses comme ils l'entendent ». On pouvait entendre Frank Sinatra chanter en arrière-plan.
Personne n'a mentionné le soutien public accordé avec enthousiasme à l'euthanasie involontaire de personnes handicapées, à l'époque du meurtre de Tracy Latimer, pour refaçonner le récit et faire de ces mêmes personnes les champions de l'autonomie. La sphère politique a été dominée par la représentation disproportionnée de politiciens enthousiastes à l'idée d'étendre la portée de l'aide médicale à mourir, et tout cela pour être vus sous un jour favorable par leurs partisans bien connectés et bien nantis. Une fondation ayant le même nom et la même lignée que le n'a pas joué qu'un rôle mineur pour propulser les appuis sur le devant de la scène.
Les personnes handicapées forment une importante minorité, mais nous sommes toujours la minorité, une minorité qui est, de manière disproportionnée, pauvre et racisée, et qui n'est pas réputée pour sa grande valeur et son influence sur le plan politique, comme en témoigne notre absence des plateformes politiques et des campagnes électorales. Nous n'avions aucune chance. Aucune place n'a été laissée aux personnes handicapées dans le discours entourant la politique qui affecte précisément et uniquement les personnes handicapées; personne d'autre.
Même aujourd'hui, la seule place que nous réserve la couverture médiatique est celle des histoires à dimensions humaines sur ceux d'entre nous qui se sont résignés à faire une demande d'aide médicale à mourir après s'être lassés de chercher des mesures de soutien inexistantes, incapables de se résigner à la perspective d'un avenir de pauvreté correspondant à un minimum vital, pauvreté infligée et normalisée comme étant une partie intégrante de notre déshumanisation et de notre oppression. Pour avoir le droit d'être présent, vous devez accepter de mourir.
Nos politiciens et nos médias sont si détachés et si mal informés de nos vies et de nos discussions, et ils s'y intéressent si peu, que nous nous retrouvons régulièrement qualifiés de fanatiques religieux de droite. Cette caractérisation est si ridiculement incorrecte que j'ai du mal à en exprimer l'absurdité.
En deux ans, Le filibuster du handicap a tenu environ 80 heures de réunions sur Zoom: des tables rondes, des lectures, des activités artistiques, des conversations informelles et des séances pendant lesquelles nous nous efforcions d'exorciser notre chagrin, notre rage et notre épuisement. De vastes connaissances ont ainsi circulé.
En vérité, je n'ai pas aujourd'hui l'illusion de pouvoir faire changer les mentalités ou de pouvoir transmettre de l'information à ceux qui ont choisi de manière constante, persistante et délibérée d'en faire le moins possible pour s'informer sur la vie des personnes handicapées, en particulier celles qui vivent dans la pauvreté et bien en marge de la société... de votre société.
Je suis là pour que soit consigné ceci: élargir la portée de l'aide médicale à mourir pour inclure les personnes handicapées dont le décès n'est pas raisonnablement prévisible, c'est réifier et renforcer la déshumanisation actuelle des personnes handicapées au Canada et donner un nouveau souffle aux objectifs d'un eugénisme jamais démantelé. Tout cela se fonde sur le capacitisme qui est à la base de ce pays et, en tant que tel, représente une menace sérieuse.
Les conditions matérielles et sociales et l'absence de liberté positive des personnes handicapées au Canada se distinguent fondamentalement de la situation des personnes non handicapées. Le contrat social très différent qui est offert aux personnes handicapées ne nous garantit toujours pas la liberté de vivre dans la communauté, de ne pas être forcés d'aller dans des institutions si nos besoins dépassent ceux de personnes considérées comme adéquatement humaines. Nous n'avons toujours pas le même droit de voyager et nous n'avons toujours pas d'infrastructure qui ferait de nous des participants intentionnels — et non des participants involontaires — de la société.
Je ne me berce pas d'illusions en témoignant aujourd'hui. Mon but est de vous rappeler que l'histoire change, qu'un jour nos rôles seront inversés et que c'est vous qui devrez répondre aux questions.
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Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui. Je m'adresse à vous aujourd'hui en provenance du territoire traditionnel et non cédé des peuples Lkwungen, Songhees et Esquimalt.
Inclusion Canada est une organisation populaire nationale composée de 13 associations provinciales et territoriales et de 300 associations locales représentant plus de 40 000 personnes ayant une déficience intellectuelle ainsi que leurs familles. Depuis plus de 60 ans, nous militons pour que les enfants et les adultes ayant une déficience intellectuelle soient reconnus comme des êtres humains à part entière, de valeur égale. Notre fédération est à l'avant-garde des efforts visant à mettre fin à l'institutionnalisation, à protéger des vies et à assurer un accès égal aux soins de santé.
Les Canadiens handicapés ne jouissent pas encore d'une vie assortie de droits et de possibilités équivalentes à celles des personnes non handicapées. C'est la nature même du capacitisme qui est profondément enraciné. Pas une seule organisation nationale de personnes handicapées n'a soutenu l'expansion de la portée de l'aide médicale à mourir, et plus de 200 organisations indépendantes et non affiliées représentant les personnes handicapées se sont activement opposées à cette expansion.
Une seule voix organisationnelle semble avoir pris le dessus sur toutes nos voix. Cette organisation n'est pas constituée de personnes handicapées et n'a jamais été en première ligne pour réclamer des mesures de soutien, des fonds ou des changements systémiques nécessaires pour améliorer la vie des personnes handicapées. Pourtant, sa voix prédomine alors qu'elle prétend que la dignité des personnes handicapées tient simplement à leur mort. Je ne peux penser à un exemple plus éloquent de paternalisme et de capacitisme, qui, ensemble, sont aussi insidieux et laids que le racisme, et maintenant aussi mortels.
Nous connaissons le Canada qui a enfermé des dizaines de milliers de personnes ayant une déficience intellectuelle dans des institutions, lesquelles étaient dirigées par des professionnels de la santé qui ont isolé, maltraité, stérilisé de force et enterré anonymement les personnes ayant une déficience intellectuelle. Nous connaissons le Canada qui a refusé aux Canadiens handicapés l'égalité d'accès aux greffes vitales, qui a laissé des enfants atteints de maladies traitables sans traitement et qui les a laissés mourir de maladies évitables, et qui a imposé ou fait imposer à d'autres des ordonnances de non-réanimation sans leur consentement ou celui de leur famille. Nous connaissons le Canada où un parent qui assassine son enfant handicapé est qualifié de « tueur par compassion » et où, pendant la pandémie de COVID, les personnes handicapées étaient menacées par les protocoles de triage.
C'est dans ce contexte que nous voyons l'aide médicale à mourir. Il est impossible que la vie des personnes handicapées soit protégée par un système reposant sur l'opinion subjective des praticiens de la santé, comme s'ils vivaient, travaillaient et pensaient en dehors de notre culture du capacitisme endémique.
En tant que Canadiens, nous reconnaissons que les taux de suicide beaucoup plus élevés chez les jeunes et les adultes autochtones sont une conséquence tragique de la dévalorisation historique et sociétale, et qu'il est urgent d'y remédier. Personne ne suggère qu'un si grand nombre d'Autochtones se tuent ou tentent de se tuer en raison de leur appartenance à la population autochtone, mais plutôt en raison de facteurs extérieurs à eux-mêmes qui les poussent au suicide. Au contraire, nous reconnaissons que c'est une tragédie sur les plans personnel, familial, communautaire et national et qu'il faut la prévenir en prenant des mesures pour remédier aux facteurs sociohistoriques et actuels qui font que beaucoup trop d'Autochtones se suicident ou tentent de le faire.
Dans ce cas, le choix d'un individu de mettre fin à sa vie ne l'emporte pas sur la nécessité de maintenir la protection de ce groupe et d'autres groupes en vertu de la Charte des droits et libertés en interdisant le suicide assisté sur la base de l'appartenance à un groupe autochtone, de la race, du sexe ou de toute autre population particulière. Seules les personnes handicapées, en tant que groupe identifiable, sont maintenant moins protégées par notre Charte.
Imaginez une file d'attente de personnes qui cherchent à mettre fin à leur vie et qui seraient départagées en deux catégories: celles dont le suicide doit être évité et celles qui souffrent d'un handicap et à qui on propose simplement la mort. Soyons honnêtes: ce n'est pas leur souffrance perçue qui sépare les uns des autres, mais le jugement sur la valeur d'une vie par rapport à une autre, compte tenu de leur handicap.
Les personnes handicapées luttent pour être perçues comme ayant la même valeur, pour échapper à la pauvreté, pour obtenir du soutien essentiel, pour trouver un lieu de vie abordable et accessible, pour trouver un emploi et pour obtenir les mêmes soins médicaux. Puis, lorsqu'elles sont dépassées par tous ces défis, la solution que nous leur proposons est « la mort ». C'est la manifestation de la cruauté d'une loi que l'on envisage maintenant d'étendre aux personnes atteintes d'une maladie mentale, aux mineurs adultes et à d'autres personnes, y compris les enfants et les adultes handicapés.
En conclusion, nous ne soutenons pas l'extension de la portée de l'aide médicale à mourir et demandons au Parlement de rétablir les dispositions qui la limitaient aux personnes en fin de vie, ces dispositions n'établissant pas de discrimination sur la base du handicap en autorisant l'aide médicale à mourir uniquement pour les personnes en fin de vie. Dans ce contexte, le handicap n'est pas un facteur préjudiciable. Il est de plus en plus urgent que nous rendions aux Canadiens handicapés leurs droits inhérents et complets en limitant l'aide médicale à mourir aux Canadiens en fin de vie.
Merci.
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Nos bureaux ont été inondés d'appels partout au pays. Les gens sont désespérés, et il y a plusieurs raisons à cela.
Les gens nous demandent toujours de donner des exemples. Nous avons des cas documentés, les récits des gens, avec noms et photo. Les cas ne font que s'accumuler de plus en plus. Ce sont toutes des personnes en situation de handicap qui veulent vivre et qui ont essayé de vivre dans la dignité, dans ce pays, et qui n'en ont pas eu la possibilité. Il n'existe pas de droit aux soutiens et services pour les personnes en situation de handicap. Il n'existe pas de droit à la protection contre la discrimination fondée sur les capacités dans le système de soins de santé. Il n'existe pas de droit aux soins palliatifs, mais nous avons le droit de « mettre fin à leurs souffrances » en provoquant leur mort, alors que ce qu'ils veulent vraiment, c'est de vivre, mais de vivre sur la base de l'égalité avec les autres.
Nous n'offrons ce droit spécial qu'à un seul groupe protégé par la Charte au pays, à savoir les personnes en situation de handicap. Ce droit n'est accordé à aucun autre groupe. Pour tous les autres, nous voulons faire de la prévention du suicide, nous voulons offrir du soutien, nous voulons essayer de leur donner ce dont ils ont besoin et nous assurer qu'ils savent qu'ils sont précieux pour notre société.
Il ne faut pas se leurrer et prétendre que nous donnons de l'autonomie aux gens, là. Il ne peut y avoir d'autonomie lorsqu'on n'a pas accès aux soutiens et aux services, qu'on est sans abri, qu'on vit dans la pauvreté, qu'on est mal logé, qu'on est isolé, qu'on est marginalisé et qu'on ne peut même pas satisfaire à ses besoins de base. Ce n'est pas offrir aux gens la possibilité de choix autonomes.
:
Merci, madame la coprésidente.
[Français]
Je salue tous les témoins.
Je vais poser mes questions à Me Claveau.
D'abord, je vous remercie de vos commentaires.
Dans votre déclaration d'ouverture, vous avez parlé de l'importance du droit à l'autodétermination et du droit à l'égalité, et vous avez dit qu'il ne fallait pas conclure, d'entrée de jeu, à l'incapacité des personnes en situation de handicap à consentir à l'aide médicale à mourir.
Croyez-vous que des mesures supplémentaires devraient être prévues dans la loi, dans ces cas?
En fait, nous croyons que des balises sont prévues au Code criminel et dans la Loi concernant les soins de fin de vie du Québec, pour s'assurer, comme le disait Mme Carr, que tous les citoyens, y compris les personnes handicapées, peuvent faire un choix, selon un consentement libre et éclairé.
Selon nous, il n'est pas nécessaire d'ajouter de nouvelles balises.
:
Merci beaucoup, madame la coprésidente.
Je remercie tous les témoins de leurs témoignages d'aujourd'hui.
Lorsque cette motion a été adoptée à la Chambre des communes, notre comité a été chargé d'explorer cinq thèmes différents. Oui, c'est dans le contexte de l'aide médicale à mourir, mais je pense aussi que notre comité a une certaine marge de manœuvre et une certaine liberté pour examiner de nombreux aspects également liés à l'aide médicale à mourir.
Je sais que plus tôt cette année, nous avons examiné ce thème dans le cadre de notre étude sur la protection des personnes en situation de handicap. Donc, nous avons déjà entendu d'excellents témoignages, mais je pense qu'il est important, alors que le Comité étudie ce thème précis, de comprendre que cette étude se situe dans le contexte du Plan pour l’inclusion des personnes handicapées du gouvernement fédéral. En outre, évidemment, un autre comité de la Chambre examine actuellement le projet de loi , Loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées.
Madame Carr, permettez-moi de changer un peu de sujet. Avez-vous quelque chose à ajouter? Votre groupe a‑t‑il été consulté ou impliqué pour ces autres mesures, à savoir le Plan pour l’inclusion des personnes handicapées et la Loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées?
Je suis conscient que la sécurité économique n'est qu'une petite partie de l'équation, mais j'ai parlé avec bon nombre de mes électeurs de Cowichan—Malahat—Langford qui ont milité activement pour la création d'une prestation canadienne pour les personnes handicapées d'environ 2 200 $ par mois. Ils pensent que... Eh bien, je pense qu'il est indéniable, lorsqu'on regarde le nombre de personnes handicapées dans chaque province, qu'il y a là une situation de « pauvreté légiférée », comme on dit.
Concernant la Loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées et le Plan pour l’inclusion des personnes handicapées, avez-vous des observations que vous souhaiteriez que le Comité prenne en considération dans la préparation de son rapport et de ses recommandations?
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Il y avait là beaucoup de questions.
Premièrement, oui, nous avons été consultés. J'ai témoigné au comité HUMA plus tôt cette semaine et nous avons évidemment participé aux consultations sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées et le Plan d'action pour l'inclusion des personnes handicapées. Nous avons participé très activement à toutes ces discussions.
De toute évidence, ce sont de bonnes mesures à prendre, et nous les appuyons sans réserve. Je pense que tout ce que le Comité peut faire pour appuyer ces mesures est le bienvenu.
Je dirais simplement qu'une prestation canadienne pour les personnes handicapées contribuera sans aucun doute à la sécurité économique pourvu qu'elle soit à la fois bien conçue et adéquate en tous points. Beaucoup de Canadiens en situation de handicap — 73 % des personnes que je sers qui vivent hors du foyer familial — vivent dans la pauvreté.
Toutefois, cela ne remplace pas le maintien de la législation sur l'aide médicale à mourir pour les personnes en fin de vie. Je ne peux donc pas comparer les deux et affirmer que si vous allez de l'avant à cet égard, vous rendrez acceptable cette deuxième voie du régime de l'aide médicale à mourir. Cela aura certainement pour effet d'améliorer la vie des personnes handicapées, et nous continuerons à nous battre pour ces choses, mais il n'en demeure pas moins que le manque de soutien, de services et d'options de logement, l'institutionnalisation et tous les autres facteurs avec lesquels les gens doivent composer auront toujours une grande incidence sur la discussion que nous avons aujourd'hui. La seule « garantie » que nous avons, c'est que les gens sont censés être informés de ce qui leur est offert. Je peux vous garantir que lorsque les gens viennent nous voir et posent des questions sur l'aide médicale à mourir, ils savent ce qui est offert, mais ils n'ont jamais pu l'obtenir. Dans d'autres cas, ce n'est pas disponible, ou les gens sont sur une liste d'attente depuis 10 ans, etc.
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Veuillez m'excuser, j'ai la voix enrouée.
Premièrement, je pense que beaucoup de faussetés circulent sur ce qui est nécessaire à la prise de décisions autonomes. Dans le cas de la pauvreté, il faut comprendre que la pauvreté est à la fois la cause de notre oppression et la manifestation de la position qu'occupent les personnes handicapées dans la société.
Personne qui n'est pas handicapé ne serait admissible en vertu de la deuxième voie, donc la question de... Non, cela n'a absolument aucun sens.
Concernant les problèmes et préoccupations liés à la pauvreté, de nombreuses préoccupations sont soulevées auprès de notre organisme, Le filibuster du handicap, au sujet de la prestation pour les personnes handicapées, notamment sur les contrôles, les critères et la façon dont ces choses seront mises en œuvre. Il y a beaucoup d'inconnues, mais cela ne semble même pas offrir l'espoir de passer au‑dessus du seuil de pauvreté.
De nouvelles recherches ont montré que le seuil de pauvreté est une notion empreinte de discrimination fondée sur la capacité physique. Un article publié dans une revue évaluée par des pairs a démontré ce que les personnes handicapées affirment depuis toujours: il coûte plus cher de vivre au Canada lorsqu'on est une personne handicapée...
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Je remercie les témoins d'être parmi nous aujourd'hui.
Madame Carr, lors de l'étude du projet de loi au Sénat, nous avons entendu des témoins issus de la communauté des personnes en situation de handicap. Ils disaient que beaucoup d'entre vous pensaient qu'ils étaient vulnérables. Selon eux, leur mettre cette étiquette, c'est déjà les stigmatiser. Ils ont le droit, comme tout le monde, de donner leur consentement ou de faire une demande d'aide médicale à mourir.
Quel est le rôle de l'État pour ce qui est de tracer une ligne entre la protection des personnes handicapées susceptibles d'être vulnérables et la nécessité de respecter les choix individuels de ces personnes? Comment peut-on éviter de les infantiliser? Ils ont utilisé ce terme-là. En les disant vulnérables, on tente de les infantiliser.
Qu'en pensez-vous?
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Les personnes handicapées ne sont pas vulnérables; elles sont rendues vulnérables. Elles sont placées dans des situations de vulnérabilité en fonction du contexte socioéconomique... et de toutes les choses dont nous avons déjà parlé. Je ne les répéterai donc pas.
Je pense que votre question est de savoir si certaines personnes handicapées souhaiteraient avoir la possibilité de décider de leur mort ou non. Je n'essaie pas d'infantiliser qui que ce soit. Ce dont il est question, c'est le fait qu'il y a deux voies. Il y a une voie pour les personnes en fin de vie qui subissent d'intolérables souffrances. Ces personnes ont le droit de choisir le moment, etc. Toutefois, il y a cette autre voie qui vise un groupe de personnes en particulier. Au pays, n'importe quelle autre personne appartenant à une autre population marginalisée — les Autochtones, les personnes racisées, etc. — qui dit subir d'intolérables souffrances découlant de facteurs autres que ses caractéristiques personnelles ne se verra pas offrir la mort, mais plutôt du soutien afin qu'elle puisse vivre une bonne vie.
Voilà ce que je veux dire. Nous nous trouvons à marginaliser, à dévaloriser et à confronter les gens... Essentiellement, nous disons aux personnes handicapées qu'avoir un handicap est un sort pire que la mort.
La question n'est pas seulement que des gens demandent l'aide médicale à mourir, mais que des personnes handicapées se font maintenant constamment proposer l'AMM comme choix de soins de santé. Elles consultent pour un problème de santé qui n'est pas de nature terminale, et elles vivent dans des conditions difficiles. Nous avons de nombreux témoignages de gens qui se font proposer l'aide médicale à mourir comme solution à leur problème de santé.
Les mêmes critères s'appliquent à une personne en situation de handicap, c'est-à-dire qu'il faut qu'elle ait un problème de santé grave et irrémédiable. Par conséquent, une telle personne qui n'aurait aucun problème de santé grave et irrémédiable lié à son handicap ne serait pas admissible à l'aide médicale à mourir. Il faut aussi que ces problèmes graves et irrémédiables lui causent des souffrances persistantes qui lui sont intolérables. L'évaluation médicale demeure la même, comme nous en avons parlé tout à l'heure, pour une personne dans la situation de M. Truchon ou de Mme Gladu, et pour une personne qui n'est pas handicapée. Les critères du Barreau sont donc les mêmes, et l'évaluation, qui est faite par l'équipe soignante, est la même également.
Pour ce qui est du consentement libre et éclairé, c'est la même chose. Lorsqu'une personne demande l'aide médicale à mourir, il faut qu'on lui offre les soins et les services nécessaires pour voir s'il y a des solutions de rechange et s'assurer de son consentement libre et éclairé.
Il faut savoir aussi qu'au Québec, il y a la Commission sur les soins de fin de vie, qui reçoit les demandes et les formulaires, qui tient des statistiques et qui s'assure du suivi de l'application des balises.
Devrait-il y avoir une telle commission qui pourrait suivre, justement, les conditions plus médicales pour être en mesure d'expliquer quels ont été les motifs invoqués pour recevoir l'aide médicale à mourir?
Le Rapport annuel d'activités, du 1er avril 2020 au 31 mars 2021, de la Commission sur les soins de fin de vie fournit certaines statistiques sur les personnes qui avaient demandé l'aide médicale à mourir. Les chiffres indiquent que 73 % de ces personnes étaient atteintes de cancer et que 83 % d'entre elles avaient un pronostic de survie de six mois ou moins.
Nous avons donc tout de même certaines informations médicales permettant d'établir le profil des personnes qui reçoivent l'aide médicale à mourir au Québec et pour quelles raisons.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie également nos invités de ce matin.
Mes questions s'adressent aux représentantes du Barreau du Québec, que je remercie en particulier de participer à nos travaux. Nous sommes toujours enrichis par la participation du Barreau du Québec.
Je crois que le Barreau du Québec était intervenu dans la cause Truchon et Gladu devant la Cour supérieure du Québec.
Dans ce cadre-là, que dites-vous à ceux qui jugent que les personnes comme madame Gladu, qui est née avec des problèmes médicaux qui l'ont gravement handicapée toute sa vie, ne peuvent pas faire un choix libre et éclairé, et qu'elles devraient, par conséquent, être juridiquement exclues de l'aide médicale à mourir?
Selon vous, cela passerait-il le test de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne?
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J'ai remarqué de la crainte, beaucoup de crainte, et énormément...
Vous devez comprendre qu'aucun d'entre vous ne comprend ce que c'est que de consulter un médecin pour demander de l'aide et de se voir proposer la mort. Cela modifie irrévocablement la relation. Bien des gens évitent les soins médicaux dont ils ont besoin, alors que d'autres voient leurs idées suicidaires revenir alors qu'ils les maîtrisaient après des années et des années de thérapie.
La question nous taraude. Des gens suggèrent... Les questions qu'on pose dans ce comité sur ce que les gens disent que nous disons n'ont aucun sens à mes yeux. Comment pouvez-vous faire la part des choses? Comment pouvez-vous demander si nous disons que seules les personnes handicapées ne devraient pas être admissibles à l'AMM, alors qu'elles sont les seules à l'être? Ce n'est pas une question...
C'est vous qui nous avez choisis, pas nous. C'est vous qui nous ciblez.
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Honorables collègues, nous sommes prêts à reprendre la séance. Nous voulons remercier les témoins qui comparaissent en personne, ainsi que ceux qui participent par vidéoconférence.
Nous recevons Alicia Duncan et Christie Duncan, qui témoignent à titre personnel par vidéoconférence.
[Français]
Du Collège des médecins du Québec, nous recevons le Dr André Luyet, directeur général, et le Dr Mauril Gaudreault, président.
[Traduction]
Nous recevons également Kerri Joffe, avocate-conseil à l'interne pour l'ARCH Disability Centre, qui comparaît également par vidéoconférence.
Je vous remercie tous de témoigner devant nous.
Nous commencerons par les allocutions d'ouverture. Chacun d'entre vous disposera de cinq minutes. Si deux d'entre vous se partagent ce temps — la dernière fois, je pensais que deux témoins se partageaient leur temps —, veuillez me l'indiquer.
Nous commencerons par les exposés d'Alicia et de Christie Duncan.
Partagerez-vous votre temps ou est‑ce qu'une seule personne parlera?
Bonjour. Je m'appelle Christie Duncan. Je témoigne aujourd'hui aux côtés de ma sœur Alicia pour vous faire part de l'expérience de notre famille en matière d'aide médicale à mourir.
Même si nous ne sommes pas philosophiquement opposées à l'AMM, nous craignons que le projet de loi soit rédigé de telle manière que de nombreux Canadiens y recourront par désespoir et non pour des questions de dignité, conformément à l'intention initiale.
Notre mère, Donna Duncan, a choisi de mettre fin à ses jours en recevant l'AMM le 29 octobre 2021, quelques heures après avoir été libérée d'une unité psychiatrique où elle était gardée parce qu'elle avait tenté de se suicider 72 heures auparavant. Aujourd'hui, nous mettrons l'accent sur les faits que nous avons découvert dans ses dossiers médicaux et dans le cadre de l'enquête de police que nous avons réclamée afin de déterminer si les mesures de protection relatives à l'AMM avaient été suivies avant que notre mère reçoive l'injection mortelle.
En février 2020, à la suite d'un accident de voiture sans gravité, notre mère a reçu un diagnostic de syndrome post-commotion cérébrale par le médecin qui était son généraliste depuis plus de 20 ans. Cependant, en partie en raison de la pandémie, elle n'a pas pu recevoir immédiatement des services de thérapie et de réadaptation physique.
Comme ses symptômes s'aggravaient, elle a été dirigée vers une clinique traitant les maladies chroniques complexes, où la liste d'attente était de plus d'un an. Pendant ce temps, sa sensibilité tactile, visuelle et olfactive a empiré. Elle affirmait éprouver de la douleur en mangeant, ce qui l'a amenée à refuser de manger la plupart des aliments. Elle a ainsi perdu beaucoup de poids.
Le 14 octobre 2021, elle a demandé à son généraliste de l'évaluer en vue de recevoir l'AMM, mais il a refusé, jugeant qu'elle n'avait pas suivi ses recommandations médicales et qu'elle ne se dirigeait pas vers la mort. Le 24 octobre 2021, notre mère a eu son évaluation initiale de l'AMM, rencontrant d'abord la Dre Grace Park et, deux jours plus tard, Sean Young, un infirmier praticien qui a approuvé sa demande de mourir 48 heures plus tard, alors qu'il ne l'avait rencontrée qu'une fois.
Comment l'avis d'une personne qui s'était occupée de ma mère pendant plus de 20 ans a‑t‑il eu moins de poids que celui de deux personnes qui venaient juste de la rencontrer et qui ont simplement coché des cases sur un formulaire d'évaluation de l'AMM?
Après l'approbation, ma sœur et moi avons pu retarder sa mort en nous adressant aux tribunaux, puisque sa santé mentale entrait en ligne de compte. Par la suite, elle a de nouveau été évaluée par plusieurs psychiatres, qui ont tous indiqué qu'ils considéraient que la décision de recevoir l'AMM était prise à la hâte, mais qu'ils ne pouvaient légalement rien faire pour l'empêcher de recevoir l'AMM si elle était jugée saine d'esprit. Notre mère a été infirmière psychiatrique toute sa carrière, et notre famille pense qu'elle a manipulé les psychiatres parce qu'elle savait quelles réponses fournir.
À ce jour, nous n'avons toujours pas pu accéder aux documents relatifs à l'AMM de notre mère, malgré le fait que ma sœur était l'exécutrice testamentaire de notre mère. Nous sommes donc incapables de confirmer dans quelle voie notre mère a présenté une demande qui a été approuvée et nous ignorons quelles mesures de protection ont été suivies ou violées.
Je céderai la parole à Alicia.
Pour être admissible à l'AMM au Canada aujourd'hui, il faut avoir un trouble médical incurable et être aux prises avec une souffrance insupportable. Selon cette définition, la majorité des Canadiens sont admissibles à l'AMM. La loi de base elle-même est problématique.
En nous fondant sur notre expérience, nous avons formulé les recommandations suivantes pour votre rapport final.
Premièrement, il faudrait obligatoirement avoir accès à des soins de santé. Si le fait de ne pas accorder l'AMM à des Canadiens brime leurs droits de la personne, le fait de ne pas leur donner accès en temps opportun aux soins de santé dont ils ont tant besoin les brime également. Nous demandons des définitions claires. « Imminent » se définit comme « étant sur le point d'arriver ». La loi doit définir clairement ce terme dans le contexte de l'AMM et préciser quand la mort imminente est prévisible.
Nous réclamons en outre des mesures de protection clairement définies. Les mesures actuelles sont tout simplement trop ambiguës.
Deuxièmement, il faudrait augmenter le nombre de témoins indépendants. Il faudrait qu'au moins trois témoins indépendants soient officiellement interrogés dans le cadre de l'évaluation.
Troisièmement, il faudrait également procéder à une évaluation avant la mort. Les médecins devraient remettre toutes les évaluations à un comité de révision indépendant avant la mort d'un patient.
Quatrièmement, il faudrait assurer la continuité des soins. Plusieurs évaluations devraient être effectuées par le même professionnel des soins de santé. C'est l'opinion du médecin principal qui devrait avoir le plus de poids dans une évaluation de l'AMM.
Cinquièmement, il faudrait respecter des périodes d'attente obligatoires, sans exemption pour les patients atteints de maladie mentale ou ayant un handicap non mortel.
Sixièmement, la divulgation des dossiers devrait être obligatoire. Les hôpitaux et les autorités sanitaires devraient être obligés de remettre des copies non caviardées de leurs dossiers d'évaluation de l'AMM à ceux qui ont le droit de les réclamer.
Notre mère s'appelait Donna Duncan. Ne l'oubliez pas et aidez-nous à faire en sorte qu'elle ne soit pas morte en vain.
Je vous remercie.
:
Si vous me le permettez, je vais commencer, madame la présidente.
Madame la présidente et monsieur le président, membres du Comité, bonjour.
Je suis le Dr Mauril Gaudreault, président du Collège des médecins du Québec, qui regroupe plus de 30 000 médecins et aspirants médecins au Québec, toutes spécialités confondues. Je suis accompagné du directeur général du Collège, le Dr André Luyet. Je suis médecin de famille depuis plus de 40 ans. Le Dr Luyet est médecin psychiatre, lui, depuis plus de 30 ans.
Je vous remercie de nous accueillir et de nous permettre de nous exprimer sur la question du handicap et de l’aide médicale à mourir.
Tout d’abord, je vous rappelle que la mission du Collège est de protéger le public en offrant une médecine de qualité. Nous sommes un ordre professionnel qu’il ne faut pas confondre avec les fédérations médicales qui, elles, défendent les intérêts de leurs membres.
Le Collège s'est fait entendre ici même sur l'aide médicale à mourir, par la voix du Dr Louis Roy, il y a quelques semaines à peine. Ce n’est pas passé inaperçu. Même la ministre fédérale de l'Inclusion des personnes en situation de handicap, , s'est indignée de ce qu'on lui disait être la position du Collège sur les bébés de 0 à 1 an.
Remettons les pendules à l'heure, s'il vous plaît. L'aide médicale à mourir est un soin. C'est un acte médical qui peut être approprié dans certaines circonstances. Ce n'est pas une question de politique, de morale ou de religion, c'est une question médicale.
L'aide médicale à mourir est encadrée par le Code criminel, est balisée par des jugements des tribunaux et fait l'objet de discussions éthiques et déontologiques depuis près de deux décennies. Son acceptation est maintenant accomplie. La société a évolué. On constate une individualisation grandissante des soins. Maintenant, on tient compte de chaque individu à part entière, et non seulement de son appartenance à un groupe de référence.
Sur la question des bébés de 0 à 1 an, maintenant, le Collège croit que, pour eux aussi, l'aide médicale à mourir peut offrir une solution éthique et responsable pour éviter une fin de vie inacceptable et inéluctable dans des circonstances inapaisables.
En 2021, nous avons rédigé un rapport sur la question de l'aide médicale à mourir. C'est un rapport rigoureux qui a nécessité une année de réflexion de la part d’experts reconnus, dont le Dr Luyet. Nous l'avons présenté au gouvernement du Québec, en décembre 2021. Ce rapport disait que, dans le cas d’un pronostic très sombre et de conditions de vie épouvantables, dans des cas de lourdes malformations ou de syndromes polysymptomatiques graves annihilant toute perspective de soulagement et de survie, l'aide médicale à mourir pouvait faire partie des options à considérer par les parents.
Jamais le Collège n’a parlé d’euthanasier des bébés, et encore moins d’administrer l'aide médicale à mourir sans le consentement des parents. Le Collège a dit que c'était une voie à explorer et qu'il fallait aussi tenir compte de la souffrance des parents, point.
Dans la même veine, pour les mineurs matures âgés de 14 à 18 ans, notre réflexion se base sur les considérations suivantes. Tout d'abord, la souffrance ne tient pas compte de l'âge. La souffrance n'a pas d'âge. Ensuite, la loi reconnaît déjà aux mineurs, à partir de 14 ans, le droit de consentir seuls à certains soins, comme l'avortement. Finalement, le consentement des parents ou du tuteur est obligatoire, bien sûr, lorsque les soins représentent un risque sérieux pour la santé du mineur.
Sur la question des handicaps, le Collège estime qu'ils entraînent eux aussi chez certains patients des souffrances tout aussi intolérables et malheureusement inapaisables que celles causées par certaines maladies graves. Sur le plan médical, la souffrance physique et morale peut être évaluée cliniquement, notamment par l'observation directe, un questionnaire et un examen clinique par le médecin. C'est aussi un fait que la personne éprouvée, lorsqu'elle en est capable, est à même d'exprimer ce qu'elle ressent. Cela s'applique aussi aux clientèles vulnérables, comme les personnes sous curatelle ou inaptes à donner un consentement.
En terminant, nous profitons de cette tribune pour rappeler l'urgence d'harmoniser les lois québécoise et canadienne au sujet de la notion de handicap. La loi canadienne utilise les termes « maladie », « affection » et « handicap », tandis que la loi québécoise emploie uniquement le mot « maladie ». Cela limite le recours à ce soin pour certains Québécois qui y auraient droit s'ils habitaient n'importe où ailleurs au pays. Pour le Collège des médecins, il ne peut plus y avoir deux lois pour une même souffrance.
Nous vous remercions de votre écoute et sommes prêts à répondre à vos questions.
Bonjour, honorables membres du Comité. Je suis avocate pour l'ARCH Disability Law Centre, un bureau d'aide juridique spécialisé qui offre des services juridiques aux personnes handicapées de l'Ontario. Comme l'ARCH travaille en droit des pauvres, il offre la majorité de ses services juridiques à des personnes handicapées à faible revenu. L'ARCH œuvre également dans le domaine du droit national et international des personnes handicapées.
Nous nous préoccupons énormément du fait que les personnes handicapées dont la mort n'est pas raisonnablement prévisible soient admissibles à l'AMM. Certains clients de l'ARCH ont reçu l'AMM, alors que d'autres l'ont demandée ou l'envisagent. Ce n'est pas parce qu'ils veulent mourir, mais parce qu'ils ne peuvent pas avoir accès au logement, aux soins médicaux, aux services pour personnes handicapées ou au soutien dont ils ont besoin, et ils sont trop pauvres pour payer eux-mêmes ces services au privé.
Je vous donnerai juste un exemple, en modifiant les détails et les renseignements permettant d'identifier la personne concernée. Cette personne a la mi‑trentaine et est atteinte d'une affection neurologique dégénérative. Sa mobilité est fortement réduite et elle a besoin d'aide pour toutes les activités de la vie quotidienne, y compris pour sortir du lit, s'habiller, faire sa toilette, cuisiner, faire le ménage et les courses, etc. Cette personne a des besoins qui exigent beaucoup de soutien, mais elle mène pleinement sa vie dans son propre appartement. Elle travaille à temps partiel et passe du temps avec des amis et des bénévoles. C'est possible parce qu'elle reçoit des fonds de la province pour engager ses propres aides et peut compter sur un membre de la famille pour les autres heures de soutien.
Ce membre de la famille est toutefois décédé récemment. Notre personne se retrouve ainsi privée de soutien plusieurs heures par jour. Elle s'est vue refuser des suppléments monétaires pour obtenir des services d'aide. On l'a informée que le seul moyen d'obtenir l'important soutien dont elle a besoin est d'aller vivre dans un centre de soins de longue durée. Si cette personne déménageait, elle perdrait sa communauté, une bonne partie de son emploi et son indépendance, et vivrait dans un établissement complètement inapproprié parmi des aînés qui ont le double de son âge.
Devant ce choix qui n'en est pas vraiment un, cette personne a demandé l'AMM. Elle s'est montrée très claire: elle ne veut pas mourir. Son handicap ne la fait pas souffrir. Elle veut continuer de vivre avec dignité au sein de la communauté, mais ce n'est pas possible parce qu'elle ne peut obtenir le soutien dont elle a besoin.
Ce genre d'expérience que vivent des clients et les nombreux autres cas qui ont été dévoilés dans les médias suscitent en nous de vives craintes quant à l'effet dangereux de la deuxième voie sur les personnes handicapées à faible revenu. Les mesures de protection que la loi prévoit dans la deuxième voie visent peut-être à protéger les personnes vulnérables et à faire en sorte que les décisions relatives à l'AMM soient libres, éclairées et sans ambiguïté, mais d'après notre expérience, le fait est que les personnes handicapées qui vivent dans une misère socioéconomique généralisée et qui sont à court de solutions pour vivre dignement dans la communauté n'ont pas vraiment de liberté de choix.
Je n'exprime pas une opinion idéologique contre l'AMM, pas plus que je ne cherche à porter atteinte à l'autonomie ou au droit de prendre des décisions au sujet de sa propre vie. Chacun doit être libre de choisir, particulièrement quand il est question de décisions profondément personnelles en matière de vie et de mort. Ce que je fais valoir aujourd'hui, c'est que selon l'expérience vécue par les clients et les personnes handicapées, notre loi semble offrir la liberté de choisir l'AMM, alors qu'en fait, de nombreuses personnes handicapées n'ont pas la liberté de choisir.
À l'occasion d'une conférence des Nations unies tenue en juin, M. Gerard Quinn, le représentant spécial des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, a déclaré que sur le plan de l'autonomie, il importe de faire la distinction entre les mythes et les faits. Il existe un mythe selon lequel l'AMM nous confère à tous des droits égaux de prendre des décisions à propos de notre mort, mais dans les faits, pour de nombreuses personnes handicapées, ce choix est influencé par une accumulation de désavantages. Nous ne pouvons pas parler de choix libre pris sans contrainte si, par ailleurs, nous n'améliorons pas les soutiens sociaux et économiques, n'élargissons pas l'accès aux soins de santé et aux réseaux de logements et, en bref, ne donnons pas aux personnes handicapées les ressources nécessaires pour vivre la vie qu'elles veulent mener au sein des communautés de leur choix.
Le droit canadien reconnaît également ce concept. La Cour suprême du Canada a indiqué que l'égalité dépend non seulement des choix qui s'offrent aux personnes, mais aussi des environnements sociaux et économiques où ils s'effectuent. Dans le droit canadien, l'analyse des inégalités reconnaît que certaines personnes peuvent être touchées de manière disproportionnée par les conditions structurelles qui limitent leurs choix.
L'ARCH exhorte le Comité à indiquer clairement dans son rapport final que certaines personnes handicapées sont poussées à envisager, à demander et à recevoir l'AMM non pas à cause des souffrances découlant de leur handicap, mais en raison d'inégalités sociales et économiques.
Je vous remercie.
:
J'ai ici les observations finales du lundi 29 août 2022, 14 h 39.
« Après avoir mené une enquête complète sur la question de l'AMM dans l'aide fournie à Duncan à la fin de sa vie, les enquêteurs n'ont pu trouver aucun acte lié à l'AMM qui contrevient au Code criminel du Canada. »
« Après avoir examiné tous les documents et toutes les procédures concernant les dossiers d'hôpital des médecins de Duncan, Fraser Health et l'AMM qu'a reçue Duncan à la fin de la vie, la police a appris que Duncan était lucide, selon plusieurs avis médicaux, dont celui du médecin de famille de Duncan, et qu'elle était apte à prendre sa propre décision tout au long du processus relatif à l'AMM. »
« Le détective Poulin n'a pu trouver aucun motif appuyant l'allégation des filles de Duncan selon laquelle on avait contrevenu au Code criminel dans le processus lié à l'AMM et amené Duncan à mettre fin à sa vie contre sa volonté. »
Cependant, ce qu'ils nous ont dit en personne, c'est qu'ils n'ont pas pu trouver de motifs pour soutenir l'allégation parce qu'on ne leur a pas fourni les documents.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie tous nos témoins.
C'est un sujet très difficile pour les membres du Comité. Je suis donc bien heureux que vous soyez parmi nous, chers témoins, pour nous appuyer dans nos réflexions.
Je commencerai par les sœurs Duncan. Dans votre cas, c'est une situation extrêmement cruelle et vous vivez beaucoup de frustration.
D'entrée de jeu, j'ai compris que vous ne vous opposiez pas à l'aide médicale à mourir, mais que votre situation était particulière. Vous nous avez expliqué que votre mère était une personne brillante qui avait travaillé dans le domaine. Par conséquent, son passé professionnel lui permettait de dire exactement ce que devait entendre quelqu'un qui analysait sa demande d'aide médicale à mourir.
Je ne veux pas être impoli. J'espère que l'interprète va bien résumer ce que je vais dire. Si je comprends bien ce que vous nous avez dit, elle avait le même médecin de famille depuis 20 ans. Ce dernier refusait de lui accorder l'aide médicale à mourir et votre mère a réuss à faire du « magasinage », c'est-à-dire qu'elle est allée chercher cette aide ailleurs. Est-ce exact?
Vous avez parlé d'un grand nombre de mesures de sécurité ou de sauvegarde et j'ai bien apprécié cela. Cependant, pour quelqu'un comme moi qui vient d'une région rurale, il ne faudrait pas que les mesures de sauvegarde nuisent à quelqu'un qui demande, à bon escient, l'aide médicale à mourir. En effet, des mesures de sauvegarde trop rigoureuses, trop strictes ou trop propres aux régions urbaines pourraient faire en sorte qu'une personne d'une région éloignée ne puisse pas obtenir l'aide médicale à mourir.
Ai-je raison de dire qu'une des premières mesures de sauvegarde serait que le médecin de famille d'une personne qui demande l'aide médicale à mourir devrait être le premier à être consulté par l'équipe?
L'une de vous deux peut répondre.
:
Reconnaître que la souffrance peut être également très grande dans une situation de trouble de santé mentale nous apparaît être une évidence. C'est quelque chose d'important à reconnaître.
Cependant, il y a des conditions d'accès à l'aide médicale à mourir. Cela ne doit jamais être un choix par défaut causé par un manque d'accès aux services. Cela ne doit pas, non plus, être vu comme une façon de mettre fin à des souffrances parce que les solutions de rechange les plus porteuses, efficaces et reconnues n'ont pas été offertes.
Nous avons eu l'occasion de réfléchir à cette question et nous avions posé cinq critères relatifs à l'évaluation d'une demande d'aide médicale à mourir en lien avec la santé mentale. Je sais que le temps est limité, mais je pense qu'il est important de vous les résumer.
D'abord, c'est une décision qui est prise au terme...
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Merci, madame la présidente.
Je vais adresser mes questions aux représentants du Collège des médecins du Québec. Je vous remercie de comparaître en personne.
D'entrée de jeu, je voudrais dire que j'ai bien entendu ce que vous avez dit concernant les patients de 0 à 1 an, mais le Comité ne se penche pas sur cette question.
Vous avez mentionné le problème de l'harmonisation des deux lois, advenant le cas où l'on ne mettrait pas de balises supplémentaires à celles qui existent présentement lorsqu'on parle de maladie, affection, handicap.
Qu'est-ce qui a causé l'émoi au Québec? Quel était le problème? Dans le cas de M. Truchon et de Mme Gladu, la cour a bien dit que ces personnes avaient porté atteinte à leur droit à la vie. Il s'agissait de personnes lourdement handicapées. Dans le cas où il n'y a pas de lien avec une maladie ou dans le contexte d'un accident d'automobile, par exemple, il y aurait eu un émoi tout à coup. Les gens disaient qu'on ne pouvait pas leur donner accès à l'aide médicale à mourir, que le débat ne s'était pas fait au Québec.
Quelle est votre position sur le sujet? Pourriez-vous nous éclairer sur ce qui a créé l'enjeu dont il est question et ce qui a fait reculer le ministre de la Santé?
:
Je comprends bien votre point de vue. Cependant, quel est le problème? J'ai été très surpris d'entendre des parlementaires nous dire que le débat n'avait pas eu lieu.
On fait souvent référence à l'exemple d'un jeune qui deviendrait quadriplégique à la suite d'un accident d'automobile. On lui refuserait alors le droit à l'aide médicale à mourir.
D'un point de vue clinique, comment cela se passerait, si vous aviez une demande d'aide médicale à mourir à la suite d'un accident qui aurait eu lieu deux mois auparavant?
Pensez-vous qu'un jeune quadriplégique après deux mois aurait accès à l'aide médicale à mourir en vertu de la loi canadienne actuellement?
Comment percevez-vous cela d'un point de vue clinique?
:
Merci beaucoup, madame la coprésidente.
Je remercie tous nos témoins de leur présence.
Je vais d'abord m'adresser à Mme Joffe, de l'ARCH Disability Law Centre.
J'ai écouté votre déclaration préliminaire et j'ai pris un certain nombre de notes. Puisque, bien sûr, vous êtes dans le domaine du droit, peut-être pourriez-vous nous donner un avis éclairé.
En ce qui concerne les mesures de sauvegarde lorsque la mort naturelle n'est pas prévisible, le Code criminel stipule que la personne doit « [avoir] été informée des moyens disponibles pour soulager ses souffrances, notamment [...] les services de consultation psychologique, les services de soutien en santé mentale, les services de soutien aux personnes handicapées, les services communautaires [...] », etc. Je sais que cela fait défaut dans de nombreuses régions du pays.
D'après votre expérience avec vos clients, comment les médecins répondent-ils à ce critère? Doivent-ils désigner des services spécifiques? Je me demande ce que vos clients vous disent sur la façon dont cette partie du Code criminel, cette exigence, est respectée.
:
Je vous remercie de la question.
Je ne peux pas dire que j'ai eu des conversations approfondies avec mes clients sur toutes les mesures que prennent les médecins pour les informer des services auxquels ils pourraient accéder pour soulager leurs souffrances. Toutefois, d'un point de vue plus général, je peux vous dire que ce qui préoccupe les clients avec lesquels j'ai travaillé, ce n'est pas tant qu'on ne les informe pas de ce qui est offert, mais c'est que, pendant des années, des mois ou de longues périodes, ils ont essayé de se prévaloir des services qui sont, en fait, à leur disposition, et qu'ils se sont heurtés à des obstacles importants qui les ont empêchés d'y accéder ou que le soutien dont ils avaient besoin n'était tout simplement pas offert.
Cela nous ramène à l'exemple dont j'ai parlé dans ma déclaration préliminaire, celui d'une personne qui a des besoins qui exigent beaucoup de soutien, qui a besoin de services d'aide. L'État, les autorités provinciales lui ont dit qu'on n'allait pas lui fournir un tel niveau de soins dans la communauté, et que si elle voulait accéder à de tels soins, elle devait être placée dans un établissement.
Bien que je ne puisse pas parler des mesures prises par les médecins, j'imagine qu'ils se retrouvent dans une position très difficile. Ils sont tenus d'informer les gens de ce qui est disponible, mais souvent, ce qui est disponible ne répond pas aux besoins des gens. C'est le cœur du problème dont nous parlons ici lorsque nous nous demandons si les gens sont vraiment capables de prendre une véritable décision.
:
J'ai quelques observations à faire à ce sujet.
Essentiellement, notre mère était pleinement consciente qu'elle avait des options. Son état s'était tellement détérioré à ce moment‑là qu'elle avait des idées suicidaires. Parce qu'elle n'a pas pu accéder aux soins dont elle avait besoin en temps voulu — je pense qu'il est important de le préciser —, son état était tel que même si elle savait qu'elle pouvait avoir accès à toutes ces cliniques, cela lui semblait tellement lourd qu'il était plus facile pour elle de mettre fin à ses jours à ce moment‑là.
Je pense que cela renvoie à ce que Mme Joffe vient de dire: les médecins se retrouvent dans une position difficile. Ils demandent aux patients s'ils savent que des traitements sont disponibles. Ensuite, l'évaluateur de l'AMM coche la case.
Ils leur demandent s'ils sont au courant de l'existence de ces traitements, et non quelles étapes ils ont suivies, s'ils ont pu accéder à tel service et pourquoi. Il faut chercher à approfondir la question plutôt que de simplement cocher une case. On ne fait pas d'évaluation approfondie.
:
Merci, monsieur le président.
Ma question s'adresse aux représentants du Collège des médecins.
À part les anecdotes citées dans les médias, est-ce que, parmi vos membres qui prodiguent l'aide médicale à mourir, vous avez entendu une histoire semblable à celle qu'a décrite Mme Joffe tout à l'heure? Elle a parlé d'un jeune handicapé qui veut vivre, mais qui, parce qu'il doit aller dans un établissement de soins de longue durée, demande l'aide médicale à mourir.
Si un de vos membres vous avait parlé de cela, quel conseil lui auriez-vous donné?
:
Je vous remercie de la question. Je l'ai entendue.
Je pense qu'il ne fait aucun doute que cela peut rendre la relation entre les personnes handicapées et leurs fournisseurs de soins de santé très difficile.
Dans le cadre de mon travail, les clients ayant un handicap me disent qu'ils se sentent abandonnés par le gouvernement. Ils se demandent pourquoi le gouvernement ne leur fournit pas le soutien dont ils ont besoin pour soulager leur souffrance plutôt que de leur offrir la mort pour mettre fin à leur souffrance. Je dirais donc simplement, comme je l'ai dit auparavant, que je pense que cela place certains professionnels de la santé dans une situation très difficile.
Nous avons vu des articles d'opinion dans les médias, et je pense que le Comité a entendu des témoignages de médecins au sujet de certaines des situations difficiles dans lesquelles le régime les place.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
J'ai deux questions, d'abord pour les représentants du Collège des médecins du Québec, et ensuite pour Mme Joffe.
Le groupe de témoins précédent a parlé de balises relativement à l'AMM pour les personnes handicapées. Il était question de balises législatives. Concernant le recours à l'AMM lorsqu'un trouble mental est le seul problème de santé sous-jacent, le groupe d'experts sur l'AMM a produit un rapport très complet qui comprend diverses balises.
Pensez-vous qu'un processus similaire, la production d'un rapport semblable, serait utile pour répondre aux préoccupations très légitimes des personnes handicapées?
:
Je n'ai pas de données. Je peux vous fournir des renseignements qui se fondent sur mon expérience et ma pratique juridique et celle de l'ARCH, ainsi que sur l'information que nous donnent certains de nos partenaires, des groupes de défense des personnes handicapées, de partout au pays.
Je voudrais également ajouter deux ou trois points.
Sénateur Kutcher, vous avez fait référence aux craintes quant aux répercussions qu'ont les dispositions législatives sur les personnes handicapées. Je suis ici aujourd'hui pour vous dire qu'il ne s'agit pas seulement de craintes, mais d'une réalité. Nous avons des clients qui vivent dans la pauvreté, qui vivent avec un handicap, qui envisagent sérieusement de recourir à l'AMM, qui ont fait une demande d'AMM ou qui se sont rendus au bout du processus. Ces gens ont clairement dit que ce n'est pas en raison de souffrances physiques liées à leur handicap, mais que c'est entièrement en raison de souffrances qui découlent de l'impossibilité de combler leurs besoins liés à leur handicap, que ce soit sur le plan social ou économique.
Je ne peux pas vous fournir de données, mais je peux vous parler de mon expérience.
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Mes questions s'adresseront à Mme Joffe, et je vais poursuivre dans la même veine que le sénateur Kutcher.
Vous avez donné l'exemple d'un trentenaire qui avait malheureusement perdu le soutien familial nécessaire, et pour qui la seule option offerte par le système de santé provincial était de s'installer dans un établissement de soins de longue durée.
Êtes-vous en train de dire qu'il ne faudrait pas permettre aux cas du volet deux d'avoir accès à l'aide médicale à mourir, que ce serait inacceptable?
Le système de santé provincial n'offre pas seulement des établissements de soins de longue durée. Êtes-vous en train de dire que la personne devrait être placée dans un établissement de soins de santé et y rester sans avoir la possibilité de demander l'aide médicale à mourir? Nous traitons ici du Code criminel, et non pas des dispositions liées aux services de santé.
J'avais contacté la police d'Abbotsford. Ma sœur travaille pour la GRC, et nous avons décidé d'examiner le Code criminel après avoir reçu le dossier médical de ma mère. Rien n'indiquait... On n'y faisait pas état d'une maladie terminale. Les médecins avaient fait des tests approfondis pour écarter toute forme de maladie terminale. De plus, une autopsie a été faite après sa mort pour confirmer qu'elle ne souffrait pas d'une maladie terminale.
Il y a tellement de contradictions dans le Code criminel, et nous n'avons pas compris comment elle pouvait ne pas répondre aux critères de mort prévisible tout en n'ayant pas à passer par la période d'évaluation de 90 jours. Tout s'est fait très vite. Elle est morte dans la semaine qui a suivi sa demande initiale. Le médecin qui l'a évaluée a décidé subjectivement que sa mort était prévisible.
Ma mère se laissait essentiellement mourir de faim. Elle était paranoïaque. J'ai des preuves. Elle a dépensé plus de 6 000 $ pour qu'une voyante lui dise si sa nourriture était contaminée par le saturnisme. Elle testait l'énergie de sa nourriture avant de la manger. Elle était très paranoïaque. C'était insensé. Nous sommes allés voir la police avec toutes les informations que nous avions. Les policiers ont également convenu que la situation n'était pas claire, et c'est pourquoi ils ont ouvert l'enquête.