:
Tous sont d’accord pour reporter la discussion à lundi prochain?
Des parlementaires: D’accord.
La coprésidente (L’hon. Yonah Martin): Merci.
[Français]
Sur ce, je souhaite de nouveau la bienvenue aux membres du Comité, aux témoins et aux gens du public qui suivent sur le Web cette réunion du Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir.
[Traduction]
Je suis la sénatrice Yonah Martin et je suis la coprésidente du Comité désignée par le Sénat.
Je suis accompagné de l’honorable Marc Garneau, coprésident désigné par la Chambre des communes.
[Français]
Aujourd'hui, nous continuons notre examen prévu par la loi des dispositions du Code criminel concernant l'aide médicale à mourir et leur application.
[Traduction]
Le Bureau de régie interne exige que les comités respectent les protocoles sanitaires, qui sont en vigueur jusqu’au 23 juin 2022. Les coprésidents vont faire respecter ces mesures et vous remercient de votre collaboration.
Je rappelle aux membres du Comité et aux témoins qu’ils doivent mettre leur micro en sourdine, à moins que l'un des coprésidents ne leur donne la parole en les désignant par leur nom.
À titre de rappel, tous les propos doivent être adressés aux coprésidents. Chacun aura l'obligeance de s'exprimer lentement et distinctement.
L’interprétation de la vidéoconférence se fait comme au cours d'une séance en personne. Chacun peut choisir, au bas de l’écran, entre le parquet, l'anglais et le français.
Je souhaite la bienvenue à tous les témoins.
Deux témoins du premier groupe s'expriment à titre personnel: Louise Bernier, professeure à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, et Trudo Lemmens, professeur et titulaire de la chaire Scholl en droit et politique de la santé, à la Faculté de droit de l’Université de Toronto.
[Français]
Nous accueillons également Me Danielle Chalifoux, avocate et présidente de l'Institut de planification des soins du Québec.
[Traduction]
Chacun des témoins a cinq minutes. Nous entendrons d'abord Mme Bernier.
:
Bonjour. Je suis ravie d'être parmi vous aujourd'hui dans le cadre de votre réflexion sur les demandes anticipées d'aide médicale à mourir. Pour ma part, je me penche plutôt sur les demandes qui sont faites à la suite d'un diagnostic de maladie neurocognitive.
Aujourd'hui, je vais vous soumettre différents points de réflexion qui s'articulent autour de trois principaux volets: premièrement, l'accompagnement dans le cadre des décisions anticipées; deuxièmement, la mise en œuvre; et, troisièmement, les effets à plus long terme de cette décision de société, plus généralement.
Je vais donc débuter par l'accompagnement dans le cadre des décisions anticipées.
Au cours de mes travaux de recherche, j'ai réalisé à quel point il était important de ne pas faire l'économie de cet accompagnement. Puisqu'un consentement anticipé est toujours imparfait, il faut vraiment réfléchir à la façon dont on va accompagner le patient dans sa démarche de consentement à un soin de fin de vie, le soin ultime. Si on va de l'avant et qu'on permet les demandes anticipées d'aide médicale à mourir, il sera très important que les patients soient accompagnés par des professionnels de la santé. Il faudra trouver des mécanismes pour que ce choix ne soit pas déconnecté de l'expertise médicale, étant donné la complexité de ces maladies ainsi que les différents stades et scénarios possibles.
Au Québec, nous avons un régime de directives médicales anticipées, sur lequel j'ai beaucoup travaillé dans les dernières années. Dans le souci de respecter l'autonomie individuelle et de créer un outil malléable et facile, nous avons adopté une formule très simple, soit un formulaire avec des cases à cocher. On présumait même que la personne s'était informée avant de le signer. Si on décide de permettre les demandes anticipées d'aide médicale à mourir, il faudra vraiment faire les choses autrement. Il y a très peu d'adhésion à notre système de directives médicales anticipées, et c'est peut-être une des raisons.
J'imagine un outil flexible, qui permettrait à la personne d'établir certaines de ses priorités et qui fournirait de la matière à laquelle se référer lorsque la personne deviendrait inapte. Il faudrait aussi qu'elle ait eu la possibilité de poser des questions, d'être accompagnée et de prévoir, avec les autres professionnels, comment cela allait s'intégrer dans un suivi de soins. Il ne faut pas laisser la personne à elle-même. Il y a une grande adhésion à l'idée, au Canada et au Québec, de pouvoir prendre soi-même une telle décision à l'avance, mais il y a quand même un devoir d'accompagnement, selon ce que j'ai pu constater au fil des mes lectures et de mes travaux.
Il est question aussi de permettre à la personne de changer d'idée. Je vais même jusqu'à penser que le consentement devrait être un processus continu, c'est-à-dire que l'on devrait réitérer un consentement éclairé à ce soin au fil de l'évolution de la maladie, en s'appuyant sur le savoir expérientiel qu'on a acquis.
Le deuxième volet de ma présentation concerne l'importance de réfléchir à la mise en œuvre de ce choix, qui est souvent décrit comme un choix individuel ancré dans l'autonomie individuelle et l'autodétermination. Évidemment, je ne remets pas cela en question, mais on ne peut pas non plus ignorer que ce choix, une fois que la personne sera devenue inapte, sera mis en œuvre par des tiers. Il s'agit principalement de professionnels de la santé, qui sont aussi gouvernés par des obligations professionnelles, déontologiques et juridiques.
Évidemment, vous êtes au courant de l'évaluation qui doit être faite par ces professionnels en vertu de la loi. En ce moment, par exemple, il y a le critère de la souffrance, sur lequel on revient toujours. Il faut établir que la personne est dans des souffrances persistantes et intolérables pour qu'elle puisse avoir accès au soin. Comment évalue-t-on cette souffrance? Je n'ai pas la réponse. Acceptera-t-on que la personne détermine à l'avance ce qui sera souffrant pour elle? Demandera-t-on une évaluation contemporaine de la souffrance? Que fera-t-on s'il n'y a pas d'éléments pouvant indiquer si la personne inapte est souffrante ou non?
Là où je veux en venir, c'est qu'il faudra donner des balises et des outils aux soignants et aux professionnels de la santé qui devront exécuter la décision. On veut éviter qu'ils soient en proie à des questions existentielles et se mettent à se demander s'ils ont bien interprété les choses. On ne veut pas non plus que le processus devienne souffrant pour eux également.
Par ailleurs, il y a les répercussions sur les proches, qui seront aussi au cœur de ces décisions, qu'on le veuille ou non. Ce ne sont pas eux qui décideront, mais ils seront impliqués. Quel rôle leur donnera-t-on? Veut-on leur donner un rôle plus...
:
Je remercie le Comité de son invitation.
En ma qualité de professeur de droit et de bioéthique, j’ai été membre du groupe d’experts du Conseil des académies canadiennes chargé d'étudier la question des demandes anticipées d’aide médicale à mourir, l'AMM. J’ai étudié le droit et la pratique de l’AMM et de l’euthanasie, notamment dans les régimes belge et néerlandais.
Comme d’autres, j’aborde la question avec un certain bagage. Je songe à ma défunte mère qui a vécu en Belgique, où l’euthanasie fondée sur une demande anticipée n’est possible que lorsque la personne n’est plus consciente. La Belgique offre aux aînés des soins relativement bons, et ma mère a eu l’assurance qu’elle recevrait les soins que les aînés atteints de démence méritent et que leur inhérente dignité exige. Je pense aussi à mon beau-père montréalais, qui pouvait compter sur le soutien dévoué de sa conjointe et avait les moyens de s'offrir des soins à domicile de qualité.
Beaucoup de Canadiens, par contre, doivent affronter la perspective d'être parqués dans des établissements de soins de longue durée de qualité médiocre. Nous constatons déjà que le manque de ressources et de soins de qualité incite des personnes qui ne sont pas mourantes à demander l’aide médicale à mourir. C’est dans ce contexte que les demandes anticipées d'AMM sont présentées comme une solution pour échapper à ce qu’on appelle une perte de dignité. Pourtant, nous savons qu'il est possible d'offrir des soins de qualité et que ces soins peuvent préserver la dignité.
Si certaines recommandations récentes étaient suivies, les fournisseurs de soins de santé devraient parler de l’aide médicale à mourir lorsqu’ils informent un patient d’un diagnostic accablant, par exemple une maladie d’Alzheimer précoce. À mon avis, c'est faire abstraction de la dynamique des relations entre le médecin et le patient et de la pression que le patient peut ressentir si des professionnels laissent entendre que la mort médicalisée est une solution dans un contexte où le manque de soutien social et de bons soins pour les aînés est déjà une contrainte qui pèse sur le consentement.
Les demandes anticipées d'AMM soulèvent aussi des préoccupations insurmontables en matière d’éthique et de droits de la personne. Nous devrions réexaminer la question des demandes anticipées, selon moi, au lieu de les libéraliser. Ces préoccupations ont amené la Belgique à n’autoriser l’aide médicale à mourir demandée par anticipation que pour des personnes devenues inconscientes de façon permanente, afin d’éviter d’euthanasier des personnes qui aiment encore la vie et peuvent résister. Au départ, les Pays-Bas avaient du mal à accepter l’aide médicale demandée par anticipation, car ils considéraient qu’il était impossible de la justifier par les « souffrances insupportables » du patient, puisqu'il ne pouvait plus confirmer ces souffrances. Le pays l'accepte maintenant, même dans les cas où les personnes semblent résister.
Aucun des deux régimes ne prévoit un consentement explicite et contemporain, ce qui est probablement exigé par notre Constitution si nous prenons au sérieux le fait que la Cour suprême, dans l'arrêt Carter, insiste sur le « consentement éclairé ». Permettre les demandes anticipées d'AMM, c'est dire que les souhaits passés de patients incapables de saisir pleinement ce que la maladie leur apportera ultérieurement l'emportent sur leurs intérêts du moment; qu'il est possible d'en arriver là par des artifices qui donnent à des tiers une idée claire du degré de souffrance des patients et de leurs volontés réelles; et qu'il n'y a pas de conséquences graves pour les membres de la famille, les fournisseurs de soins de santé, d'autres personnes ayant une incapacité et la société en général. Dans cette conception des choses, ces demandes anticipées sont une simple question de gestion.
Selon le rapport d’experts du Conseil des académies canadiennes, rien ne montre que des solutions procédurales peuvent facilement dissiper les préoccupations juridiques et éthiques. Même ce qu'il dit des outils de communication employés pour atténuer l’incertitude montre que ces solutions sont de l'ordre de la théorie et de la spéculation.
La Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées reconnaît explicitement, à l'article 12, la capacité juridique inhérente des personnes ayant une déficience cognitive. Cela suppose un devoir de permettre les expressions d’intérêt au moment présent.
Les observations faites aux Pays-Bas, le seul pays qui permet l’euthanasie de personnes atteintes de démence avancée qui sont encore conscientes, montrent ce que cela signifie. Il y a inévitablement un tiers qui fait une évaluation des souffrances du patient et accorde le consentement. On utilise habituellement un médicament de façon subreptice pour surmonter la résistance et on met ensuite fin à la vie de façon active. Contrairement à ce qui se passe quand on cesse tout traitement dans d’autres contextes de soins de santé, il s’agit d’une atteinte active à l’intégrité corporelle d’une personne. La médication subreptice et la suppression de la résistance violent les normes éthiques et vont à l’encontre du devoir de permettre l’expression des intérêts du moment des personnes ayant une déficience cognitive, ce que la convention internationale exige. Cela nous amène à une interruption non voulue de la vie. Cela traduit aussi en droit l'opinion selon laquelle la vie avec un handicap cognitif suppose une perte de dignité.
J’exhorte le Comité à lire un article récent d’experts belges et néerlandais, qui soutiennent que la Belgique devrait éviter l’approche néerlandaise. La Belgique a légalisé l’euthanasie en 2002. Vingt ans plus tard, et à la lumière de la pratique qui a cours dans le pays voisin, elle n’a toujours pas élargi son régime de demandes anticipées d'AMM. Quant à notre propre régime, il va déjà au‑delà de la loi belge, tandis que notre système de soutien social et de soins de santé est inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE.
Nous devrions écouter les experts qui nous disent, à la lumière de l’expérience néerlandaise qu’ils ont étudiée — et ce ne sont pas des gens qui sont contre la légalisation de l’aide médicale à mourir — que les demandes anticipées suscitent des préoccupations éthiques et juridiques insurmontables...
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Mesdames et messieurs les sénateurs et les députés, je vous remercie de m'avoir invitée.
Je suis membre du Barreau du Québec depuis 1985 et, depuis 2010, présidente de l'Institut de planification des soins du Québec, qui s'intéresse particulièrement aux droits des personnes âgées et à l'aide médicale à mourir.
J'ai publié plusieurs articles sur ces sujets et j'ai participé à de nombreux comités d'experts et à de nombreuses commissions relevant du gouvernement ou du Parlement.
J'ai aussi fait des études en soins infirmiers et pratiqué surtout dans des CHSLD et des maisons de soins palliatifs, ce qui me permet d'envisager les questions de façon plus concrète.
Vu le temps qui m'est alloué, mes commentaires porteront exclusivement sur les modifications législatives éventuelles concernant les demandes anticipées d'aide médicale à mourir.
Tout d'abord, je voudrais souligner que l'abrogation du critère de mort naturelle raisonnablement prévisible a fait augmenter considérablement le nombre de personnes pouvant se prévaloir de l'aide médicale à mourir. Pour les personnes ayant des troubles cognitifs, par exemple, il suffit maintenant que leur problème de santé grave et irrémédiable soit accompagné d'un déclin avancé et irréversible de leurs capacités ainsi que de souffrances, bien évidemment, qu'elles jugent intolérables, pourvu que ces personnes aient conservé une aptitude suffisante.
Dans ce sens, j'aimerais vous signaler que l'Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l'AMM, qui fait vraiment autorité dans le domaine au Canada, considère que la perte imminente de l'aptitude reliée aux troubles neurocognitifs doit être considérée comme un déclin avancé et irréversible des capacités. Lorsque la perte d'aptitude est anticipée dans un proche avenir, ces personnes peuvent donc demander et recevoir l'aide médicale à mourir de façon contemporaine.
À cette option s'ajouterait celle de faire une demande anticipée d'aide médicale à mourir. Ainsi, ces personnes auraient deux options.
J'aimerais maintenant porter à votre attention que certains recommandent d'accorder l'aide médicale à mourir uniquement aux personnes ayant reçu, préalablement à leur demande, un diagnostic de troubles neurocognitifs dégénératifs.
Si le législateur adoptait une telle restriction, cela voudrait dire que les personnes victimes d'accidents soudains et imprévisibles pouvant entraîner de l'inaptitude, tels des accidents cardiovasculaires et des traumatismes crâniens graves, seraient exclues, n'ayant évidemment pu obtenir de diagnostic préalable. L'Institut de planification des soins du Québec considère que l'adoption d'une telle restriction ne serait ni légitime ni légale.
Cette restriction ne serait pas légitime, car elle irait à l'encontre de l'opinion de la très grande majorité des citoyens. En effet, la consultation citoyenne menée récemment par le gouvernement du Québec dans le cadre de ses travaux a révélé que 91,8 % des répondants étaient favorables aux demandes anticipées d'aide médicale à mourir en cas d'accidents soudains et imprévisibles ayant entraîné de l'inaptitude.
Cette restriction serait aussi illégale, selon nous, parce qu'elle contreviendrait à l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi qu'à au moins deux des critères établis dans le célèbre arrêt Oakes. En effet, elle contreviendrait à l'obligation du législateur de porter atteinte aux droits de la manière la plus minimale possible, car des mesures de sauvegarde appropriées et beaucoup moins draconiennes pourraient être adoptées. Elle enfreindrait également la règle de la proportionnalité, puisque les avantages seraient plutôt d'ordre opérationnel, mais que les effets préjudiciables consisteraient en la négation de droits reconnus, tant le droit à l'autodétermination des personnes que le droit à l'aide médicale à mourir.
En conclusion, si le législateur adoptait une telle restriction pour que l'aide médicale à mourir ne soit accordée qu'aux personnes ayant pu obtenir un diagnostic au préalable, toutes les personnes victimes d'un accident soudain et imprévu seraient privées de leurs droits. Ainsi, la première catégorie de personnes, dont nous avons parlé tout à l'heure, aurait deux options, c'est-à-dire présenter une demande d'aide médicale à mourir de façon contemporaine ou en présenter une de façon anticipée, tandis que les personnes n'ayant pas pu faire de demande anticipée préalablement à un diagnostic n'auraient plus aucune option.
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Merci beaucoup, je vous en suis très reconnaissante. Cela me permettra d'expliquer mon dernier point et de bien compléter mon propos.
Si, comme société, nous faisons le choix d'élargir l'accès à l'aide médicale à mourir, il ne faut pas minimiser les effets que cela pourrait avoir sur la dimension plus sociale de l'autonomie qui s'exerce.
Il faut envisager les conséquences de l'élargissement de l'accès à l'aide médicale à mourir sur les perceptions sociales de la maladie. Il ne faut pas qu'une personne qui reçoit un diagnostic de maladie neurocognitive dégénérative ait l'impression qu'on s'attend à ce qu'elle demande l'aide médicale à mourir, maintenant que c'est offert. Il faut aussi continuer à investir dans une offre de soins en parallèle, comme M. Lemmens le disait, pour s'assurer que ceux qui font un choix différent continuent à recevoir des soins, qu'il n'y a pas de rupture de soins et qu'il n'y a pas d'abandon thérapeutique.
C'est le point que je voulais faire valoir. Je suis vraiment contente d'avoir eu l'occasion de le faire, parce qu'il était vraiment important pour moi de parler de la dimension sociétale. Il ne faudrait pas que cela devienne l'option toute désignée et qu'on laisse pour compte les gens qui ne feraient pas ce choix.
Merci beaucoup, maître Bernier.
Bonsoir, maître Chalifoux. Je vous remercie d'être parmi nous ce soir.
Pour votre part, vous avancez qu'il ne devrait pas être nécessaire d'avoir un diagnostic au préalable. Vous avez présenté vos arguments à ce sujet.
Cependant, je m'intéresse à ce qui s'est passé au Québec et, sauf erreur, maître Chalifoux, le Québec n'est pas allé jusque-là. D'ailleurs, on attend que le parti au pouvoir dépose la loi à la suite des travaux du comité. Quoi qu'il en soit, on ne va pas aussi loin que ce que vous et d'autres personnes suggérez. On dit oui à des demandes anticipées dans des cas de maladies neurodégénératives, mais si et seulement si un diagnostic a été rendu.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Mesdames Chalifoux et Bernier, au Québec, il y a ce que l'on appelle les directives médicales anticipées. Elles sont encore peu connues et, très souvent, elles s'appliquent à des situations données. Par exemple, on peut aborder la question du niveau de soins désiré au moment de l'arrivée d'un parent dans un centre d'hébergement et de soins de longue durée, ou CHSLD. Les directives médicales anticipées couvrent l'arrêt de traitement, le refus de traitement, le niveau de soins, la réanimation, et ainsi de suite, et cela est très peu connu.
En ce qui concerne les demandes anticipées d'aide médicale à mourir, ne devrions-nous pas en faire un processus totalement distinct, comme certains témoins l'ont proposé? Cela s'appliquerait aux cas de maladies neurodégénératives, où les stades de développement sont prévisibles et où il y a un processus établi et toute une équipe qui suit le patient jusqu'à l'étape de l'aide médicale à mourir?
Les cas dont vous parlez, soit les accidents cardiovasculaires, les anévrismes, et ainsi de suite, ne devraient-ils pas être couverts par les directives médicales anticipées?
Ne serait-il pas avantageux, sur un plan conceptuel, de distinguer les deux mécanismes pour avancer prudemment, selon les circonstances?
:
Je vous remercie de la question, qui est très intéressante.
J'ai beaucoup de choses à vous dire, mais je vais essayer de résumer mon commentaire.
J'ai beaucoup étudié le régime qui encadre les directives médicales anticipées, et, comme vous le savez, très peu de gens y ont eu recours. On parle d'un peu plus de 100 000 personnes au Québec, ce n'est donc pas un régime très utilisé.
Je ne suis pas de l'avis de Me Chalifoux. Je pense que les directives médicales anticipées couvrent très bien les accidents vasculaires cérébraux. On devrait séparer cela et s'en tenir à des diagnostics de troubles neurocognitifs.
Pour ce qui est de l'accompagnement, la question est très intéressante, mais je ne pense pas que nous puissions faire l'économie d'une discussion en amont. Il y a un problème lié à la mise en œuvre. On lève un drapeau à cause de ce qui a été dit, mais il n'y a pas eu de discussion.
Selon des études très récentes qui ont été réalisées en 2022 au sujet de l'importance de cette discussion, cette dernière est beaucoup plus importante que le formulaire pour les patients. Il est donc important de discuter des divers scénarios et de dresser un profil de valeurs. Je crois qu'il est important de dire à l'avance que le processus ne se limitera pas au formulaire et que l'on va expliquer dans quoi s'ancre cette décision.
Il est aussi important que la famille soit présente.
Je vois vraiment cet accompagnement en deux temps.
:
Merci beaucoup, monsieur le coprésident.
Il est tout à fait évident, au vu de l'état des soins de santé au Canada, que de nombreux groupes n’ont tout simplement pas accès à des soins équitables. De nombreux groupes sont très préoccupés par les échanges qui ont cours ici même et l’orientation que le projet de loi pourrait prendre.
Madame Bernier, je m'adresse d'abord à vous.
À propos du consentement éclairé concernant les demandes anticipées, nous avons remarqué que bien des gens redoutent de devenir un fardeau pour leur famille. Compte tenu de l’état des soins de longue durée au Canada, ils ont également peur de perdre leur autonomie. Devant des personnes qui peuvent avoir un handicap, ils craignent d’éprouver les mêmes difficultés.
Notre débat porte sur une question très lourde. Comment le Comité va‑t‑il donc pouvoir s'acquitter de son mandat, si nous ne sommes pas...? Il semble que nous mettions la charrue avant les bœufs si nous ne nous attaquons pas à ces grandes questions sociétales, aux problèmes plus vastes et imposants que soulève l'accès à des soins équitables pour tant de groupes sous-représentés.
Si nous n'abordons pas ces questions, comment allons-nous nous y prendre? Qu’en pensez-vous?
:
Je dirai d’abord que les outils dont il est question dans le rapport du Conseil des académies canadiennes sont axés sur les questions de communication, même lorsqu'il s'agit de garantir le respect des choix futurs de la personne, à un moment où elle n'est plus la même ou n'a plus les mêmes intérêts.
Comme l’a montré Mme Bernier à propos des demandes anticipées — il ne faut pas oublier son travail avec sa collègue, Mme Régis, de l’Université de Montréal —, il est déjà très difficile de prévoir ce qu’on va penser, ce qui va se passer et quel genre d’intérêts on va avoir. C’est déjà une chose qui échappe aux diverses mesures qu'on peut mettre en place.
Les procédures ne tiennent certainement pas compte de préoccupations sociétales plus vastes. Ainsi, nous franchissons une certaine ligne de démarcation en permettant à des tiers de décider si les souffrances d'une personne sont intolérables et si sa vie peut être interrompue. Nous franchissons donc cette limite, ce qui a également une incidence sur notre perception des déficiences cognitives en général. Si nous agissons de la sorte pour des personnes qui, avant d'avoir une déficience cognitive, disent qu’elles vont vouloir mourir parce qu’elles vont perdre leur dignité, que dit‑on à des gens qui ont déjà un handicap cognitif et qui n’ont pas fait ce choix?
Nous franchissons une certaine limite en acceptant une pratique qui trahit l’engagement fondamental à permettre aux personnes ayant une déficience cognitive d’être traitées avec respect et dignité et de participer à la prise de décisions. La Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées insiste sur ce point. Il n’est pas vrai que, lorsqu’une personne a un déclin cognitif, on peut lui dire: « Oh, dans le passé, vous avez pris cette décision et maintenant, nous n'allons pas tenir compte de la personne que vous êtes devenue ni de vos intérêts actuels et nous allons vous donner des médicaments subrepticement contre votre consentement explicite, puis nous allons mettre fin à votre vie. » Ces problèmes ne peuvent être résolus par quelque procédure que ce soit.
Cela dépend vraiment de l'évolution de la maladie. Mme Vien me demandait ce qui me mettait mal à l'aise, et c'est cela. Il s'agit de déterminer le moment approprié à l'avance, sans savoir tout à fait comment la maladie va évoluer. Il y a divers scénarios possibles, et la souffrance est l'un des éléments au sujet desquels j'ai de la difficulté à prendre position.
Lorsqu'une personne évalue la souffrance de façon anticipée, c'est le soi du présent qui décide pour le soi du futur. La littérature scientifique est abondante là-dessus. La personne change-t-elle d'identité ou non?
Lorsque quelqu'un ne semble pas souffrant, il est difficile de déterminer quel serait le bon moment pour lui prodiguer l'aide médicale à mourir en toute légalité, tout en respectant nos obligations sur le plan déontologique, professionnel et éthique comme soignants. L'évaluation de la souffrance est donc un élément auquel il faut réfléchir de manière approfondie.
Madame la coprésidente et monsieur le coprésident, j'aurais une observation à faire, si vous me le permettez. Au cours des dernières séances, il est arrivé très souvent que des témoins utilisent des mots péjoratifs et fassent des allégations, par exemple au sujet de l'utilisation subreptice de médicaments. À mon avis, il faut rappeler aux témoins, avant leurs interventions, que leurs affirmations doivent être étayées par des faits et une documentation si nous voulons qu'elles soient utiles au Comité, et qu'ils doivent avoir les compétences voulues pour s'exprimer, car le mandat du Comité est d'étudier la question des demandes anticipées.
Ma question s’adresse à Me Danielle Chalifoux.
On parle beaucoup de mesures de sauvegarde pour les professionnels de la santé. Vous en avez encore parlé ce soir. Ce qui me préoccupe sans doute, ce sont les mesures de protection et les garanties pour les personnes qui, étant saines d’esprit, demandent à l’avance à recevoir l’aide médicale à mourir lorsque certaines conditions seront remplies ou que leur état aura décliné jusqu'à un certain niveau.
Comment pouvons-nous les assurer de ces mesures de protection sans une demande anticipée et reconnaître qu’il n’y a tout simplement pas d’autre moyen?
:
Je vous remercie, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leurs témoignages, qui sont toujours très éclairants.
Maître Chalifoux, vous dites qu'il ne faut pas limiter les demandes anticipées aux cas de maladie neurocognitive parce que cela exclut tous les autres types de problème médical, comme l'accident vasculaire cérébral, ou AVC.
Si nous allons dans ce sens, il faudrait avoir deux régimes de directives anticipées. Le premier cas suppose qu'une personne a reçu un diagnostic et qu'elle est encore capable de faire un choix, mais que ce choix ne peut pas être révisé par la suite parce que sa capacité à donner un consentement éclairé aura disparu. Dans l'autre cas, la personne ayant subi un accident vasculaire cérébral ou souffrant d'une autre maladie a peut-être fait son choix 10 ans, voire 20 ans plus tôt, et il serait possible d'envisager un mécanisme prévoyant la révision de sa situation tous les 5 ans, par exemple.
En réalité, ce que vous suggérez, c'est la mise en place de régimes différents en fonction du type de directives anticipées.
Est-ce exact?
:
En fait, les deux aspects de la question ne sont pas tout à fait différents, parce que la philosophie qui sous-tend notamment le respect du droit à l'autodétermination continue de s'appliquer dans les deux régimes. Les lois de la génétique font en sorte que les personnes dont les parents ont eu un accident vasculaire cérébral, par exemple, risquent aussi d'en subir un, et elles sont probablement inquiètes. Elles se disent qu'elles aimeraient pouvoir garantir leur droit à l'aide médicale à mourir au moyen de directives médicales anticipées.
Je crois me souvenir que M. Arseneault a suggéré plus tôt qu'il y ait une actualisation de la demande anticipée tous les cinq ans pour que la personne confirme sa décision ou l'annule, s'il y a lieu. À ce moment-là, il y aurait quand même un caractère un peu contemporain à la demande, si je peux m'exprimer ainsi, et il reviendrait à la personne de se manifester pour confirmer sa décision ou l'annuler. Ce serait une garantie, une mesure de sauvegarde qui pourrait faciliter les choses.
J'aimerais simplement mentionner qu'il m'est arrivé très souvent de voir, dans des CHSLD et dans des unités de soins palliatifs, des personnes ayant subi un accident vasculaire cérébral qui étaient devenues inaptes, qui souffraient et qui demandaient à mourir tous les jours.
Je ne vois donc pas comment, sur le plan juridique, on pourrait faire une distinction entre les personnes ayant reçu un diagnostic de maladie à laquelle elles ne peuvent absolument rien et celles ayant subi un accident vasculaire cérébral. Un AVC survient soudainement, de manière inattendue et imprévisible. On priverait donc des personnes d'un droit qui est accordé à d'autres.
:
Je vous remercie de me donner l'occasion de répondre, contrairement à ce que la sénatrice Wallin a fait. Elle a essentiellement mis en doute mon intégrité.
J'ai étudié ce qui se passe aux Pays-Bas, et la pratique qui y est décrite explique qu'il y a là‑bas plus de médecins qui s'opposent maintenant à l'aide médicale à mourir dans le cas des personnes atteintes de démence qu'il n'y en avait auparavant. Contrairement à ce que dit Me Chalifoux, les Pays-Bas n'autorisaient pas les demandes anticipées d'aide médicale à mourir dans les premières années de légalisation de l'aide médicale à mourir. Il a fallu de nombreuses années avant qu'on ne commence à autoriser ces demandes, et cette pratique est devenue et demeure plus problématique précisément à cause de ce que je viens de décrire.
La plupart des médecins sont maintenant réticents à cause de l'incertitude et de ce que ces demandes impliquent. Autrement dit, mon message est le suivant: nous donnons de faux espoirs à ceux qui font une demande anticipée en leur disant que leur demande sera facilement satisfaite, puisque nous ne savons pas comment la maladie évoluera. Dans 4 des 16 cas que le groupe d'experts du Conseil des académies canadiennes a étudiés — il ne s'agit donc pas de la pratique générale mise en place —, il s'agissait de patients à la capacité incertaine qui ont reçu l'aide médicale à mourir. Dans ces cas, les comités d'examen, qui font un travail beaucoup plus détaillé que celui que nous faisons actuellement au Canada, ont jugé que les critères de diligence raisonnable n'étaient pas respectés. Il se pose donc des questions au sujet de la pratique.
Je ne fais qu'énoncer les faits. Il y a un problème si une sénatrice met mon intégrité en doute alors que j'ai étudié la question avec honnêteté et professionnalisme. Je comparais à titre d'expert pour expliquer ce qui se passe aux Pays-Bas et l'état des discussions récentes des juristes et des éthiciens. C'est le dilemme auquel nous sommes confrontés. Nous devrons administrer subrepticement des médicaments aux patients. Il faudra les priver de leur capacité d'exprimer leur volonté du moment pour pouvoir mettre fin plus facilement à leur vie.
En fait, je suis très inquiet de voir qu'une sénatrice complique la tâche des témoins qui sont là pour transmettre leurs connaissances sur les pratiques qui ont cours dans d'autres pays. C'est tout à fait déplacé. Nous avons un régime de démocratie parlementaire. Vous invitez des experts à venir parler de ce qu'ils savent, et c'est ainsi que vous les traitez? C'est inadmissible.
Excusez-moi, monsieur le président et madame la présidente, d'avoir exprimé ce point de vue, mais je suis profondément troublé par cette attitude.
:
Oui, monsieur le coprésident.
Pour la gouverne des nouveaux témoins, je signale que, avant de prendre la parole, il faut attendre d'être désigné par son nom.
Je rappelle aussi que tous les propos doivent être adressés aux coprésidents.
Chacun doit s'exprimer lentement et distinctement. L’interprétation de la vidéoconférence se fait comme dans une séance en personne. Chacun peut choisir, au bas de l’écran, entre le parquet, l'anglais et le français. Lorsqu'on n'a pas la parole, il faut mettre le microphone en sourdine.
Je souhaite maintenant la bienvenue aux témoins du deuxième groupe.
Nous accueillons, à titre personnel, Jocelyn Downie, professeure de recherche universitaire, Facultés de droit et de médecine, Dalhousie University, la Dre Catherine Ferrier, médecin, Division de la médecine gériatrique, Centre universitaire de santé McGill, et la Dre Susan MacDonald, professeure agrégée en médecine et médecine familiale, Memorial University de Terre-Neuve.
Merci à vous toutes de vous joindre à nous ce soir.
Nous écouterons d'abord l'exposé liminaire de Mme Downie, qui sera suivie de la Dre Ferrier et de la Dre MacDonald.
Madame Downie, vous avez cinq minutes. La parole est à vous.
Je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître.
Comme vous l'avez entendu, je m'appelle Jocelyn Downie et je suis professeure de recherche aux facultés de droit et de médecine de Dalhousie University.
J'ai remis aux greffiers des mémoires, qui proposent des références pertinentes, et dans les cinq minutes qui me sont allouées, je vais exposer quelques points clés.
Sauf erreur, le Comité est saisi de trois grandes questions qui portent sur les demandes anticipées d'aide médicale à mourir: premièrement, faut‑il les autoriser? Dans l'affirmative, quand peut‑on les présenter? Enfin, comment y donne-t‑on suite?
Tout d'abord, un mot de la terminologie: tout au long de mon exposé, j'utiliserai l'expression « demandes anticipées » plutôt que « directives anticipées ». La distinction est essentielle si on veut éviter toute confusion entre un régime fédéral d'AMM relativement nouveau, régi par le Code criminel, et les régimes provinciaux et territoriaux déjà bien établis pour d'autres soins de santé.
Passons maintenant aux questions dont le Comité est saisi.
Faut‑il autoriser les demandes anticipées d'aide médicale à mourir? J'encourage le Comité à recommander au Parlement de les autoriser, et ce, pour une foule de raisons.
Tout d'abord, les préconisations de tous les nombreux comités et groupes d'experts qui ont étudié la question et ont été appelés à formuler des recommandations vont en ce sens.
Deuxièmement, l'opinion publique est fermement et systématiquement favorable aux demandes anticipées.
Troisièmement, les tribunaux, les provinces et les territoires ont dit que la personne devrait pouvoir, lorsqu'elle a toujours la capacité de le faire, refuser des traitements, refus qui est exécutoire après qu'elle a perdu la capacité de prendre des décisions. Ce que cela signifie, c'est que je peux donner une directive anticipée qui dit que, lorsque j'en serai au stade 7 de la maladie d'Alzheimer ou que j'aurai perdu ma capacité en raison de la maladie de Huntington, je refuse qu'on continue de m'alimenter et de m'hydrater. Les cliniciens doivent respecter ma directive. Je vais mourir de déshydratation et d'inanition, ou, si vous modifiez la loi, je pourrai avoir l'aide médicale à mourir. Refuser l'aide médicale à mourir est à la fois illogique et cruel.
Quatrièmement, le Parlement a déjà décidé d'autoriser certaines demandes anticipées d'aide médicale à mourir. En effet, la « Renonciation au consentement final » et le « Consentement préalable », prévus dans le projet de loi , sont deux formes de demandes anticipées.
Cinquièmement, certaines personnes atteintes de démence ont déjà accès à l'aide médicale à mourir. Elles sont suivies de près par un fournisseur de soins qui observe attentivement la diminution de leur capacité, le déclin de leurs facultés et l'évolution de leurs souffrances. Une fois que sont respectés les critères d'admissibilité à l'AMM, mais avant qu'elles n'aient perdu leur capacité, elles peuvent soit accéder à l'AMM au moyen de ce qu'on appelle le protocole de « minuit moins cinq », soit signer une renonciation au consentement final, mais elles doivent être accompagnées par un fournisseur qui est disposé et apte à le faire. Elles risquent de vivre pendant des années dans la crainte de ne pas choisir tout à fait le bon moment et de ne pas obtenir l'aide médicale à mourir.
Sixièmement, les préoccupations dont vous entendrez parler au cours de votre étude ne sont pas cohérentes sur le plan conceptuel, s'appliquent à des pratiques déjà autorisées ou peuvent être dissipées au moyen de mesures de protection. Dans le temps qui m'est imparti, il m'est impossible de rendre justice aux complexités des notions d'identité personnelle, d'intérêts critiques, d'autonomie antérieure et de paradoxe du handicap, mais je peux vous recommander l'analyse qui se trouve dans le rapport que le groupe d'experts québécois sur la question de l'inaptitude et de l'aide médicale à mourir a publié en 2019.
Enfin, je dirai qu'il y a eu suffisamment de temps pour examiner cette réforme législative, depuis le groupe consultatif provincial-territorial d'experts, en 2015, jusqu'au comité mixte spécial de la Chambre et du Sénat en 2016, en passant par le groupe d'experts du Québec en 2019 et la commission spéciale du Québec en 2021. Il n'y a eu aucune précipitation, loin de là.
Passons maintenant rapidement à la question de savoir « quand » les demandes peuvent être faites.
Je vous encourage à recommander que les demandes anticipées soient autorisées après le diagnostic d'une maladie grave et incurable.
Enfin, passons rapidement à la question des modalités.
Je vous encourage à tenir compte dans vos recommandations des justifications philosophiques des demandes anticipées et des mesures de protection, des valeurs reflétées dans nos lois existantes et des réalités de la pratique clinique.
À cette fin, je vous invite à recommander que la loi exige d'abord qu'un document de demande anticipée valide énonce ce que la personne considère comme des souffrances intolérables ainsi que des conditions objectivement évaluables qui entraîneraient l'exécution de la demande anticipée.
Deuxièmement, il faut établir ce qu'il y a lieu de faire si la personne devenue incompétente semble avoir changé d'avis ou ne semble pas souffrir — plus précisément, il faut respecter ce que la personne a dit qu'il fallait faire si elle semblait avoir changé d'avis ou ne pas souffrir — et exiger, relativement au consentement éclairé, que cette éventualité soit abordée.
Troisièmement, il faut exiger que la demande soit renouvelée régulièrement, tant que la personne demeure compétente.
J'ai épuisé mon temps de parole. Je vous remercie de votre attention et je me ferai un plaisir de répondre à vos observations et questions sur tout ce que j'ai dit ou sur toute autre question qui vous intéresse.
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Merci beaucoup, madame la présidente et monsieur le président. C'est un plaisir de comparaître devant le Comité.
Je suis médecin à la Division de la médecine gériatrique du Centre universitaire de santé McGill depuis 1984. Les patients atteints de démence sont au centre de ma pratique. Je suis une spécialiste de l'évaluation de la capacité décisionnelle. Je vois des aînés victimes de maltraitance. Je donne des cours sur ces sujets et je témoigne souvent devant les tribunaux pour mes patients.
J'ai soigné et accompagné des milliers de personnes atteintes de démence et leur famille. Ma façon de voir est bien différente du point de vue de ceux qui perçoivent mes patients dans une optique universitaire ou politique. J'ai appris que les patients s'adaptent bien aux changements qui surviennent dans leur vie à cause du déclin cognitif. Les difficultés sont nombreuses et l'âgisme, le capacitisme et la négligence dont ils sont victimes dans le système de soins de santé ne sont pas des moindres.
Malgré tout, la plupart des patients s'en sortent bien lorsque des mesures sont mises en place pour les soutenir, eux et leur famille. En 38 ans, aucun de mes patients ou de leurs proches n'a jamais demandé l'aide médicale à mourir à cause d'un diagnostic de démence.
J'ai remarqué au cours du débat qu'on présume que les directives anticipées écrites sont un moyen éprouvé qui rend l'autonomie possible et assure un consentement libre et éclairé adéquat pour les interventions médicales. C'est faux. Pour que le consentement soit valide, il doit être donné volontairement. Le patient doit avoir la capacité de consentir et doit être informé. Le consentement est éclairé lorsque le patient a reçu et comprend les renseignements détaillés du diagnostic, notamment sur le degré d'incertitude, les examens ou les traitements proposés, les chances de réussite, les solutions possibles et leurs risques, et enfin les conséquences possibles du refus de traitement.
Le consentement anticipé ne peut jamais être pleinement éclairé.
En 2018, le comité d'experts du CAC sur l'AMM par demande anticipée a signalé des lacunes dans nos connaissances et un manque d'éléments probants au sujet de la sécurité de cette pratique. Les experts ont étudié la littérature publiée sur la planification préalable des soins, ou PPS, discipline qui s'est développée pour améliorer la prise de décisions médicales vers la fin de la vie. La PPS ne se limite pas aux directives anticipées. En fait, sa portée s'élargit avec le temps, à mesure que les limites des directives aussi appelées testaments biologiques deviennent évidentes. Au nombre des articles publiés par des experts, notons « Why I don't have a living will », en 1991, et « Enough: The Failure of the Living Will », en 2004.
Les définitions de la PPS renvoient à un processus de réflexion et de communication visant à assurer aux personnes qui n'ont pas la capacité de prendre des décisions des soins conformes à leurs objectifs, vers la fin de la vie. Les composantes comprennent une discussion des objectifs généraux de vie et des soins de santé et la désignation d'un subrogé.
Très peu de travaux de recherche examinés par le groupe d'experts du CAC ont porté uniquement sur les directives écrites. Le rapport ne fait état d'aucune preuve montrant que les directives écrites ont eu des résultats significatifs. Selon une étude canadienne, les préférences documentées ne correspondaient pas aux souhaits exprimés par le patient dans 70 % des cas.
Un examen de 69 études effectué en 2020 n'a révélé aucun effet de la planification préalable des soins sur les soins correspondant aux objectifs ou sur la qualité de vie. Ces résultats sont logiques, car on prédit mal la qualité de vie qu'on aura soi-même dans des situations hypothétiques. Cela tient à divers facteurs: biais cognitifs connus, tels que le biais de projection et la projection des préférences actuelles sur des situations futures; focalisme accordant plus l'importance à ce qui s'aggrave qu'à ce qui reste positif; négligence de la compétence immunitaire, sous-estimant la capacité d'adaptation d'une personne.
Nous constatons souvent un changement dans les préférences en matière de soins lorsqu'une personne s'adapte à l'évolution de la maladie. C'est vrai même dans le cas de la démence, et c'est pourquoi nous respectons les souhaits au présent des patients incapables, pourvu que leurs choix ne leur soient pas préjudiciables.
De plus en plus d'experts de la fin de vie expriment de sérieux doutes au sujet de l'utilité des directives anticipées écrites. Parmi les articles récents, je signale « Advance Directive/Care Planning: Clear, Simple, and Wrong », de 2020, « What's Wrong with Advance Care Planning? », de 2021 et « Should we still believe in advance care planning? », de 2022.
Morrison et ses collaborateurs, les auteurs de l'un de ces articles, écrivent:
Les choix de traitement vers la fin de la vie ne sont pas simples, cohérents, logiques, linéaires ni prévisibles, mais plutôt complexes, incertains, chargés d'émotion et changeants. Les préférences des patients sont rarement statiques et elles sont influencées par l'âge, la fonction physique et cognitive, la culture, les préférences familiales, les conseils des cliniciens, les ressources financières et le fardeau perçu pour les aidants naturels.
Pour ces raisons, la pratique a évolué, délaissant les documents écrits pour leur substituer un processus dynamique de dialogue. C'est la norme de soins pour la prise de décisions en fin de vie.
Il est absurde et alarmant que des directives écrites, qui ont échoué pour les décisions de traitement ordinaires, soient maintenant envisagées pour l'aide médicale à mourir.
Causer la mort d'une personne atteinte de démence qui ne le demande pas, au nom d'un consentement préalable qui est nécessairement mal éclairé, est contraire à l'autonomie et à la bienveillance et n'a rien en commun avec les décisions de retrait des traitements. Il existe un large consensus en éthique et en médecine selon lequel causer directement la mort n'est pas la même chose que permettre la mort par la progression naturelle d'une maladie.
Les directives anticipées portant sur l'AMM mèneraient à la maltraitance des aînés par la manipulation et la falsification de directives. Je l'ai vu dans le cas des procurations, où les conséquences sont loin d'être aussi graves.
Si l'aide médicale à mourir par demande anticipée devenait légale et exécutoire, le Canada serait le seul endroit au monde où un organisme d'État est tenu par la loi de tuer une personne innocente et sans défense.
:
Bonsoir. Je vous salue depuis Terre‑Neuve‑et‑Labrador.
[Traduction]
Je pratique en soins palliatifs depuis 30 ans et j'ai eu le privilège de prendre soin de milliers de patients et de familles. Je fournis des évaluations secondaires pour l'aide médicale à mourir, et j'ai un proche parent qui a eu recours à cette aide. Mes propos d'aujourd'hui seront donc inspirés par mes réflexions personnelles sur le sujet au lieu de viser à appuyer quelque organisation.
J'estime que l'aide médicale à mourir peut être une option de fin de vie qui fait partie des soins palliatifs, mais sans être pour autant réservée à la fin de vie. Bon nombre de ceux d'entre nous qui prodiguent des soins palliatifs participent, dans une certaine mesure, à la prestation de l'aide médicale à mourir, qu'il s'agisse d'informer les patients de toutes les possibilités qui s'offrent à eux, y compris l'aide médicale à mourir, de discuter en profondeur de cette option avec eux, d'être le deuxième évaluateur ou le principal dispensateur de ce soin. Il y aura toujours un fossé entre les cliniciens à ce sujet, mais peu importe leurs sentiments personnels, le patient a le droit de connaître cet acte médical et de savoir quels en sont les critères et comment l'obtenir.
D'un point de vue pratique, voici ce que je pense de l'aide médicale à mourir et des directives anticipées.
Ce qui m'intéresse d'abord, ce sont les soins palliatifs. Tous n'y ont pas accès. Diverses circonstances aux niveaux provincial ou local déterminent si un soignant ayant des compétences dans ce domaine de la médecine est disponible. Les soins virtuels ont des limites et ne peuvent pas compenser entièrement. Certains patients pourraient bénéficier de nos services, mais ils y ont un accès limité parce que leur médecin refuse de les diriger vers nous, parce que le programme local impose des limites quant aux patients qui peuvent avoir ces services et pendant combien de temps ou parce qu'il n'y a peut-être personne de disponible pour fournir des soins à domicile. Il n'y a peut-être pas d'ambulanciers paramédicaux formés pour offrir des soins palliatifs à domicile. Dans ma province, grâce à ce service, beaucoup moins de patients sont admis en établissement. Une bonne gestion des symptômes et un soutien en fin de vie, que ce soit au cours des dernières années, des derniers mois, des derniers jours ou des dernières heures, est un droit de la personne. Nous laissons tomber les Canadiens si l'accès dépend de l'endroit où on habite.
Mon autre préoccupation, c'est que la possibilité de l'aide médicale à mourir n'est pas automatiquement présentée au patient. Idéalement, tous les choix devraient être présentés à un stade précoce afin que le patient ait assez de temps pour réfléchir à ce qui lui convient ou pas. Ne pas faire savoir au patient que l'aide médicale à mourir est une possibilité est injuste pour lui et c'est un manquement aux lignes directrices sur le consentement éclairé. Par exemple, envisagerions-nous d'offrir à un patient qui vient de recevoir un diagnostic de cancer seulement la chirurgie, la radiothérapie et la simple gestion des symptômes alors que la chimiothérapie est également possible? Nous dirions-nous: « Nous n'offrons pas la chimiothérapie à moins que le patient ne pose des questions précises à ce sujet »? Bien sûr que non. Pourtant, cela se produit à maintes reprises dans le cas de l'aide médicale à mourir. Certains cliniciens pensent qu'ils ne peuvent pas aborder le sujet, que ce serait encourager ou inciter le patient à faire ce choix. Le patient a besoin de temps pour examiner les choix possibles: « Tel choix est‑il conforme à ma philosophie personnelle? Que puis‑je me permettre? Que puis‑je obtenir? Quel est le bon choix, à la lumière de ma culture, de ma religion et de mes valeurs personnelles? »
Au Canada, certaines populations ont moins accès que d'autres à l'aide médicale à mourir. Nous devons toujours en être conscients et travailler fort pour que tous les Canadiens aient la possibilité de faire tous les choix qui peuvent leur convenir en fin de vie. Les patients devraient pouvoir obtenir l'AMM où qu'ils habitent.
Or, il y a encore des établissements et des organisations qui refusent que l'aide médicale à mourir soit donnée chez eux. Ma propre parente n'a pas pu l'obtenir du centre local de soins palliatifs. Cette aide y était interdite.
Ceux qui dispensent l'aide médicale à mourir devraient recevoir une formation et un soutien adéquats. Cette formation et ce soutien doivent être normalisés dans tout le Canada. Un grand nombre de ceux qui s'occupent de l'AMM trouvent qu'ils ont besoin de pauses ou d'un soutien adéquats lorsqu'ils assurent des soins de ce type. Nous devons veiller à ce qu'il y a suffisamment de cliniciens qui comprennent parfaitement ce qu'ils font et comment le faire. Il faut maintenir une surveillance claire, recueillir des données et faire des évaluations fréquentes.
Chacun devrait être en mesure de décider s'il veut obtenir l'aide médicale à mourir à une date ultérieure, au cas où il perdrait les compétences pour prendre cette décision. Bon nombre de mes patients m'ont dit au fil des ans que ce qui les inquiète le plus, au‑delà de la douleur, de l'essoufflement ou de quelque autre problème, c'est la perte de la capacité de prendre leurs propres décisions. C'est la source d'énormes souffrances humaines.
L'aide médicale à mourir a été un ajout positif à la liste des soins que je peux offrir à mes patients. C'est un cadeau pour ceux qui veulent pouvoir exercer un contrôle. Il y a toujours une porte de sortie si la situation devient trop pénible. Malheureusement, de nombreux patients ne savent même pas que cette possibilité existe. Ils ne peuvent pas créer un moyen de s'assurer d'obtenir l'aide médicale à mourir quand ils le veulent.
Les décès par AMM dont j'ai été témoin ont été les plus faciles et les plus paisibles que j'ai vus dans toute ma carrière. Bien que la plupart de mes patients n'y recourent pas, ils sont de plus en plus nombreux à le faire.
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Je vous remercie de cette question. Je me ferai un plaisir d'en parler en m'adressant à la présidence.
Au cours de la dernière heure, j'ai beaucoup entendu parler de la façon de préparer les gens à signer des demandes anticipées, mais à mon avis, et selon la littérature médicale sur la planification préalable des soins, le consentement n'est toujours pas suffisant, parce qu'il manque de nombreux éléments de ce qu'il faut savoir pour consentir à toute forme d'intervention.
D'après mon expérience, on signe toutes sortes de choses sans savoir exactement de quoi il s'agit. J'ai vu beaucoup de ce que nous appelons au Québec des « mandats de protection », dont la simple fonction était de nommer un mandataire. Pour quelque raison, on a commencé à y ajouter des indications sur ce que la personne souhaite pour sa fin de vie, mais elles sont tellement vagues et générales qu'elles autorisent essentiellement tout médecin qui se trouve à prendre en charge le patient aux urgences à décider que tel traitement est superflu compte tenu de l'état du patient.
C'est très dangereux. Lorsque je demande aux patients ce qu'ils veulent dire, ils répondent qu'ils ne veulent pas être réduits à l'état végétatif. Essentiellement, le contenu du mandat ne correspond pas à leurs volontés. C'est plutôt un texte qui leur a été remis par quelqu'un en qui ils avaient confiance, et ils l'ont signé.
Je soupçonne que la même chose se produira, peu importe toutes les mesures de sauvegarde dont j'ai entendu parler au cours de la dernière heure environ. Aujourd'hui, à cause du régime d'AMM qui existe au Canada, toutes sortes de personnes trouvent la mort de cette façon, ce qui horrifie l'ensemble du pays. Je peux vous raconter d'autres histoires encore, tirées de ma propre expérience et de celle de mon entourage, pour montrer que les mesures de sauvegarde sont stériles et qu'on peut abuser des documents signés.
Dans ma pratique gériatrique, je constate qu'on fait sans cesse une utilisation abusive des documents. J'aurais bien des choses à vous raconter, mais je ne crois pas en avoir le temps.
:
Merci, madame la présidente.
Je vais d'abord m'adresser à la professeure Downie.
Prenons la situation où une personne qui se trouve dans un processus de dégénérescence cognitive fait une demande anticipée d'aide médicale à mourir. De toute évidence, il arrivera un moment où la personne commencera à perdre ce qu'on appelle les attributs de la vie personnelle, par exemple la conscience de soi et la capacité relationnelle, à quoi s'ajoutera de la souffrance existentielle. Lorsqu'elle sera rendue au stade terminal de la maladie, par exemple la maladie d'Alzheimer, la personne se trouvera dans un état de vie biologique, un état plutôt végétatif.
Dans un contexte où une demande anticipée a été faite, faut-il attendre que le patient ait atteint cet état ultime pour considérer comme moralement acceptable l'aide médicale à mourir, ou celle-ci peut-elle être administrée à un stade précédent de la maladie, en fonction des critères que le patient aura lui-même définis?
:
Merci beaucoup, madame la coprésidente.
Madame Downie, je vais poursuivre avec vous.
C'est vraiment une question de pouvoir personnel et de choix très personnels et difficiles.
Je dirais que si on en parle avec beaucoup de gens, on doit reconnaître qu'il y a beaucoup de stigmatisation entourant la démence. Les gens ont très peur de recevoir ce diagnostic. Ils ont de sérieuses inquiétudes à l'égard des soins de longue durée. Nous avons vu le pire scénario possible au cours des deux dernières années, et vu à quel point la situation pouvait dégénérer. Le niveau de soins existant suscite des craintes bien réelles.
L'une des choses qui me préoccupent personnellement, c'est que si nous autorisons un régime dans lequel les demandes anticipées sont faites ou permises, quelles seront, à votre avis, les craintes que les gens éprouveront devant l'absence d'options de soins pour les personnes atteintes de démence? Comment pensez-vous que cela influencera leur décision de présenter une demande anticipée? Comment le Comité peut‑il s'attaquer de façon appropriée à ce problème bien réel?
:
Oui, ce problème est bien réel.
Il y a plusieurs façons de le faire, et il faut d'abord souligner que la stigmatisation va dans les deux sens. Si vous ne permettez pas aux gens de présenter des demandes anticipées, cela revient en quelque sorte à dire qu'on ne peut pas faire confiance aux personnes atteintes de démence pour prendre des décisions pour elles-mêmes à l'avenir parce qu'elles sont trop vulnérables aux pressions externes, etc. Je pense que cela stigmatise les personnes atteintes de démence.
Deuxièmement, c'est à l'intéressé de décider. Ce n'est pas à la société de dire: « Votre vie en tant que personne atteinte de démence ne vaut pas la peine d'être vécue. » C'est uniquement du ressort de cette personne. Je ne dirais jamais à quelqu'un qui est atteint de démence que sa vie ne vaut pas la peine d'être vécue; il appartient à la personne de dire s'il s'agit de souffrances intolérables. Comme c'est son propre jugement, ce n'est pas de la stigmatisation.
En ce qui concerne le soutien et les services, c'est l'occasion pour vous d'être audacieux. Il faut être audacieux au sujet des voies parallèles. Vous êtes un comité qui siège à la Chambre et au Sénat. Vous avez des leviers fédéraux pour améliorer le soutien et les services aux personnes handicapées et aux personnes atteintes de maladies mentales. J'ai toujours préconisé des voies parallèles.
Une personne a accès à l'AMM pendant qu'elle est apte à décider, ou grâce à une demande anticipée. En même temps, nous exerçons d'énormes pressions. Nous mettons les choses en lumière et exigeons des comptes pour améliorer les mesures de soutien et les services dont nous avons désespérément besoin. Les deux voies ne sont pas mutuellement incompatibles. En fait, en ayant une conversation sur l'AMM, nous avons maintenant l'occasion d'écouter une conversation sur le soutien aux personnes handicapées et aux personnes atteintes de maladies mentales au Canada. C'est là où j'espère que le Comité fera preuve d'audace et trouvera des façons d'utiliser les deniers publics fédéraux et les pouvoirs de convocation. Vous avez toutes sortes d'outils. Utilisez-les pour régler les problèmes qui sont mis au jour et auxquels les gens s'intéressent enfin. Ne restreignez pas l'accès à l'AMM, car vous ne devriez jamais tenir des personnes en otages pour régler des problèmes systémiques.
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En ce qui concerne l'irrémédiabilité, deux choses se passent.
L'une concerne le patient et l'autre, le clinicien. Le patient décide des traitements, s'il y en a, qu'il est prêt à essayer. Ensuite, le clinicien dit: « Voici mon opinion quant à savoir si cela marchera ou non. » C'est un choix clinique, mais pour la personne qui veut suivre le traitement, c'est un choix moral et personnel.
Nous devons penser à l'incurabilité de la même façon. Nous devons considérer l'un et l'autre comme ayant des rôles différents et limiter chacun à son propre champ d'expertise. Le patient a l'expertise de ce qui constitue la souffrance pour lui, de ce que sont ses valeurs et de ce qui leur donne un sens. Le clinicien a une expertise sur ce qu'un traitement peut faire pour cette maladie, sa trajectoire, etc.
En ce qui concerne les mesures de sauvegarde, je dirais que nous n'avons pas de preuve que le risque dont vous avez parlé existe, en partie parce que je n'ai pas vu les preuves de ce qui a été décrit comme étant des préjudices et des abus. Je ne crois pas que ce soit le cas. C'est la façon dont les gens voient les choses. Je pense qu'avec des garanties, nous pouvons absolument le faire.
L'autre chose que je dirais, c'est que nous le faisons déjà. Si nous pensons que nous n'avons pas de mesures de sauvegarde adéquates, nous devons alors changer toute une série d'autres choses que nous faisons, y compris les directives anticipées, la prise de décisions au nom d'autrui dans les unités de soins intensifs et les dispenses de consentement final. Tout cela repose sur des mesures de sauvegarde adéquates. Ces mêmes mesures de sauvegarde feront l'affaire si elles sont améliorées.
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Les directives anticipées sont autorisées au niveau provincial ou territorial. Elles portent en grande partie sur le refus ou l'arrêt des traitements; les gens peuvent décider maintenant quelles décisions de traitement ils veulent prendre et comment ils veulent qu'elles soient prises à l'avenir s'ils perdent leur aptitude à prendre des décisions.
Il est important de noter que cela revêt deux formes, soit l'instruction et la procuration. L'instruction, c'est quand je dis: « Voici ce que j'ai décidé. » C'est consigné par écrit. Je vous dis ce que je souhaite. La procuration, c'est quand je dis: « Je veux que ma sœur prenne des décisions en mon nom. » Aucun des partisans des demandes anticipées d'AMM ne suggère d'avoir des directives par procuration. Nous n'aurions que les instructions. C'est le contexte provincial.
Le contexte des demandes anticipées est fédéral. C'est prévu dans le Code criminel. C'est seulement pour l'AMM. Il s'agit seulement d'une demande écrite élaborée et signée dans le contexte d'une relation établie entre le clinicien et le patient — probablement de multiples cliniciens — au fil du temps; la personne est pleinement informée et tous les critères d'admissibilité à l'AMM sont vérifiés, comme le caractère volontaire de la demande, le fait d'avoir l'information, etc.
Ces demandes couvrent différentes interventions en matière de soins de santé et sont régies par des règles différentes. Elles sont réglementées de différentes façons, parce qu'au niveau fédéral, elles sont réglementées par le gouvernement fédéral et au niveau provincial, elles le sont par les provinces, par les collèges de médecins, etc.
Une partie du processus de fin de vie consiste à s'assurer que les patients sont au courant de leurs options et des choix qui s'offrent à eux. Cela signifie qu'il faut comprendre la nature de leur maladie, ce qu'ils peuvent attendre de la maladie, la façon dont elle va évoluer, le genre de symptômes qu'ils sont susceptibles d'éprouver et ensuite, du point de vue du clinicien, ce qu'on peut leur offrir pour aider à traiter chacun de ces symptômes.
C'est pourquoi j'ai dit tout à l'heure que les patients ignorent souvent que l'AMM est un des choix possibles. Nous en savons beaucoup à ce sujet parce que nous y consacrons beaucoup d'énergie et que nous sommes tous ici pour en parler, mais le patient moyen — vous seriez surpris — ne sait même pas que c'est une possibilité, et beaucoup de cliniciens attendent que le patient prononce le mot « euthanasie » à voix basse pour en parler.
Ce n'est pas un consentement éclairé lorsque les patients n'ont pas tous les renseignements dont ils ont besoin pour choisir ce qui leur convient. Les gens ont besoin de temps pour réfléchir à toutes les options.
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Oui. Je vous remercie de cette question.
Je pense que les personnes atteintes de démence souffrent si elles sont mal soignées. C'est comme pour tout le monde. Si vous êtes mal soigné, vous souffrez, et si vous recevez des soins, entouré d'affection et de tout ce dont vous avez besoin, alors, en général, vous ne souffrez pas. Il y a des symptômes de démence, comme l'agitation, etc., que nous pouvons généralement gérer. Dans certains cas extrêmes, nous ne le pouvons pas.
Beaucoup de choses ont été dites au cours de cette réunion au sujet du refus d'être dans la situation d'une personne atteinte de démence. Je pense qu'il y a beaucoup de préjugés. Les gens disent: « Ma souffrance, maintenant, c'est de me voir dans la situation de ces gens qui sont dans les maisons de soins infirmiers, et je ne veux pas que cela m'arrive. » Cela me met très mal à l'aise.
Je ne vois pas mes patients souffrir; j'ai vu beaucoup de patients atteints de démence, et c'est très rare. Bien sûr, vous connaissez des moments difficiles, et bien sûr, nous réparons les hanches parce que cela fait marcher les gens à nouveau. Nous n'envoyons pas toujours à l'urgence les gens soignés dans les maisons de soins infirmiers. S'ils ont de la fièvre, nous pouvons les traiter sur place, même s'ils meurent plus tôt de l'infection qu'ils ont, parce que le stress d'aller à l'urgence serait terrible pour eux. Cela les rendrait encore plus confus. Ils attendraient peut-être des heures sur une civière.
Il y a beaucoup de choses qui peuvent causer de la souffrance à une personne atteinte de démence, mais nous n'avons pas à faire toutes sortes de choses. Nous faisons ce que nous croyons être dans leur intérêt et qui les rassure. Nous n'allons pas leur faire subir un triple pontage cardiaque. Nous n'allons pas faire un grand nombre des choses qu'une personne ayant une cognition normale pourrait subir beaucoup plus facilement parce qu'elle comprend ce qui se passe.
Je pense que la notion de souffrance est très subjective. Je suis troublée d'entendre les gens parler de mes patients en employant beaucoup des termes qui ont été utilisés ce soir et dire qu'ils ne veulent pas être comme ça.
:
Nous reprenons nos travaux.
Bienvenue aux témoins. Je vais prendre une minute pour dire quelques mots.
Tout d'abord, avant de prendre la parole, veuillez attendre que l'un des coprésidents vous donne la parole en vous désignant par votre nom.
Deuxièmement, je vous rappelle que toutes les remarques doivent s'adresser aux coprésidents. Lorsque vous avez la parole, parlez lentement et clairement. Ceci concerne les interprètes. L'interprétation de cette vidéoconférence fonctionnera comme pour les réunions en présentiel du Comité. Au bas de l'écran, vous avez le choix entre le parquet, l'anglais et le français. Lorsque vous ne parlez pas, veuillez mettre votre microphone en sourdine.
Sur ce, j'aimerais souhaiter la bienvenue à nos trois témoins de ce soir.
Nous accueillons, à titre personnel, la Dre Romayne Gallagher, professeure clinicienne en médecine palliative à l'Université de Colombie-Britannique; la Dre Lilian Thorpe, professeure à l'Université de la Saskatchewan; et nous avons... Je devrais peut-être le dire en français.
[Français]
Nous accueillons également le Dr Laurent Boisvert, qui est médecin.
[Traduction]
Merci de vous joindre à nous.
Nous allons commencer par la déclaration préliminaire des trois témoins. Vous aurez chacun cinq minutes. Essayez de vous en tenir à ces cinq minutes. Nous allons commencer par la Dre Gallagher, suivie de la Dre Thorpe, puis du Dr Boisvert.
Docteure Gallagher, vous avez la parole pour cinq minutes.
:
Je remercie le comité mixte de me permettre de prendre la parole.
Je suis médecin à la retraite et j'ai plus de 25 ans d'expérience dans la prestation de soins palliatifs dans tous les lieux de soins. J'ai été médecin traitante et consultante en soins palliatifs auprès de personnes atteintes de démence, ainsi que médecin directrice des soins de longue durée et médecin leader en soins palliatifs universitaires.
J'ai pris soin de ma voisine âgée qui voulait rester dans sa maison, où elle vivait seule, malgré sa démence. Elle n'avait ni enfant ni conjoint, alors nous étions sa famille. J'ai été sa mandataire pendant les quatre dernières années de sa vie. Elle est décédée à 96 ans, après avoir vécu dans la même maison depuis l'âge de huit ans.
En ce qui concerne les demandes anticipées d'aide médicale à mourir, même s'il a été démontré de façon convaincante que nous voulons être en mesure de faire certains choix, la littérature médicale et les sciences sociales nous rappellent que les gens sont incapables de prévoir à quoi ressemblerait leur vie s'ils devenaient gravement malades ou handicapés. Les gens s'adaptent à la maladie et au handicap et adaptent leurs besoins pour avoir une qualité de vie décente. De nombreux problèmes de santé sont longs et imprévisibles. Les tendances suicidaires causées par ces troubles peuvent durer longtemps.
Dans les administrations où les demandes anticipées sont permises, les médecins ont de la difficulté à suivre des directives anticipées pour accélérer la mort parce qu'ils ne peuvent pas obtenir une réaffirmation du consentement et ne peuvent pas établir la souffrance actuelle. Les membres de la famille ont les mêmes difficultés et trouvent que c'est un fardeau.
Je vais centrer mon propos sur la souffrance des personnes atteintes de démence.
Les personnes atteintes de démence peuvent évaluer elles-mêmes leur qualité de vie. Nous savons qu'elles l'évaluent constamment, plus que leurs aidants naturels. Les capacités cognitives ont peu d'incidence sur leur qualité de vie, mais les bonnes relations, l'engagement social et les croyances spirituelles et religieuses aident à maintenir la qualité de vie. Nous savons cependant que la perte de capacité fonctionnelle, la douleur et la dépression peuvent réduire la qualité de vie.
Une étude de 2018 sur l'expérience vécue de plus de 600 personnes atteintes de démence a révélé l'importance de leur environnement physique et des personnes avec lesquelles elles interagissent. Un environnement positif permet aux personnes atteintes de démence de continuer à participer à la vie, et cela inclut des aidants qui facilitent le maintien du contrôle et d'un sentiment d'utilité. Grâce à des environnements physiques adaptés comme les villages de démence, les personnes atteintes de démence peuvent continuer à sortir et à exprimer leur identité émotionnelle, relationnelle, spirituelle et créative.
La technologie peut également aider à leur rappeler leur identité et leurs souvenirs. La peur de perdre leurs capacités et le contrôle de leur vie peut leur être évitée parce qu'elles sont encore reconnues et traitées comme des personnes.
Le Dr Tom Kitwood a fait de la recherche sur la démence et le maintien de l'identité individuelle. Il a conclu que l'identité individuelle est « un statut conféré à un être humain par d'autres... Cela implique la reconnaissance, le respect et la confiance. » Il a décrit comment nos actions minent l'identité d'une personne atteinte de démence. Il s'agit, par exemple, de converser avec les autres comme si la personne atteinte de démence n'était pas présente, d'infantiliser et déresponsabiliser la personne en ne lui permettant pas de se promener sans surveillance, de traiter les gens comme des objets et de leur enlever le contrôle de chaque décision. C'est le comportement de notre société qui contribue à la souffrance des personnes atteintes de démence et qui alimente la stigmatisation à l'appui de l'idée qu'avec la démence, une personne meurt à l'intérieur d'un corps vivant.
Ceux qui ont de l'argent peuvent acheter des environnements adaptés avec des soins de soutien. Si on permet les demandes anticipées, ceux qui n'ont pas les moyens de s'adapter n'auront qu'une illusion de choix. Ils choisiront des soins dépersonnalisants ou l'AMM.
Il est essentiel d'adopter une approche palliative des soins axée sur le maintien de la qualité de vie et la prestation de soins qui répondent aux préférences des gens. Pourtant, une étude de l'ICIS menée en 2017 a révélé que seulement une personne atteinte de démence sur 20 reçoit des soins palliatifs.
J'ai rédigé un mémoire à l'intention du Comité dans lequel j'affirme que les personnes qui souffrent sans avoir accès à des soins palliatifs de qualité ou qui ne les reçoivent qu'après avoir demandé l'AMM constituent une erreur médicale. L'erreur n'est pas qu'elles reçoivent l'AMM, car la personne peut répondre à toutes les exigences. L'erreur d'omission se produit dans les mois qui ont précédé, lorsque la douleur, l'essoufflement, l'anxiété et le sentiment d'être un fardeau pour les autres ont commencé, mais n'ont pas été reconnus et traités. C'est une erreur, car nous savons que les soins palliatifs peuvent aider à améliorer la qualité de vie.
Toutes les organisations oeuvrant dans le domaine des maladies chroniques recommandent un accès rapide aux soins palliatifs. J'aimerais que l'un d'entre vous me demande comment le gouvernement fédéral pourrait améliorer l'accès aux soins palliatifs.
Merci pour les excellents exposés que j'ai entendus jusqu'à maintenant.
J'aimerais dire que je suis psychiatre gériatrique. Je vois des personnes atteintes de démence et je travaille auprès d'elles. Je suis tout à fait d'accord avec bon nombre des observations qui ont été faites au sujet de l'individualité et du développement d'environnements où les gens peuvent vivre une vie productive et de qualité, même en cas de démence.
Je pense qu'il est très clair que la plupart des gens que je connais veulent avoir accès aux demandes anticipées d'AMM. Je pense aussi que ce sera très difficile. Nous allons devoir réfléchir sérieusement à ces lignes directrices et à la façon dont nous allons procéder.
Tout d'abord, les gens changent vraiment. Je vois des patients à l'hôpital, dans mon service de consultation qui, il y a des années, ont donné une directive anticipée qui n'est souvent plus ce qu'ils désirent. Ils disent: « C'était à ce moment‑là, mais plus maintenant. »
Les gens changent. Ils ne comprennent pas nécessairement ce à quoi ils s'adaptent au fil du temps, et c'est ce dont la Dre Gallagher a parlé. Beaucoup changent vraiment et s'adaptent à des étapes de leur vie, comme la démence, auxquelles ils ne s'attendaient pas auparavant.
Ces personnes ne sont pas nécessairement celles qu'elles étaient lorsqu'elles ont fait cette demande. Je pense que dans la vraie vie, nous cherchons à établir un équilibre entre la personne actuelle et tous ses besoins. Une personne atteinte de démence a besoin de beaucoup d'aide pour ce qu'elle voulait auparavant. C'est une question d'équilibre. Cet équilibre fait souvent l'objet de discussions au sein d'un groupe mixte de gens qui réfléchissent ensuite à toutes les questions qui doivent être prises en considération pour prendre une décision très complexe.
Sur le plan pratique, je pense que dans certains cas, il sera assez simple d'approuver une demande anticipée si la personne a encore la capacité de dire ce qu'elle veut. J'ai mentionné que j'ai vu près de 700 évaluations de demandes d'AMM. J'évalue et je fournis l'AMM. Bon nombre de mes patients atteints de démence à un stade précoce ont encore une certaine aptitude à dire ce qu'ils veulent. Certains disent qu'ils veulent avoir accès à l'AMM. Lorsqu'ils en sont aux premières phases, même s'ils n'ont pas donné un consentement pleinement éclairé, leur demande peut être acceptée. Je pense que nous pouvons nous occuper de ceux‑là.
Il y a des gens qui sont dans un état végétatif chronique vers la fin. Ils ne souffrent peut-être plus, mais nous trouvons que c'est raisonnablement faisable pour nous en tant que fournisseurs de soins. Cela nous semble acceptable.
Le problème se pose pour les gens qui ont une perte graduelle de leur capacité et de la conscience de leur état. Mes patients me disent souvent: « En fait, je ne me sens plus si mal. Je ne suis même plus certain d'être atteint de démence », à mesure que la maladie progresse. Ils peuvent apprécier leur environnement. Ils ne centrent plus leur attention sur la progression de la démence, parce qu'ils ne savent plus vraiment qu'ils en sont atteints. Il est très difficile pour nous de faire face à ces cas, comme à ceux des patients qui manifestent beaucoup d'agitation et de résistance. Il est même difficile de les convaincre de prendre leurs médicaments, sans même parler des grandes quantités de médicaments administrés par voie orale pour l'AMM, ou de commencer une injection intraveineuse pour l'AMM. C'est très difficile, et très traumatisant pour les membres de la famille et les fournisseurs de soins.
J'ai un certain nombre de suggestions et je les ai incluses dans mon rapport écrit. Je pense que dans des situations simples, comme lorsqu'une personne laisse constamment entendre qu'elle souhaite mourir, comme cela arrive parfois, ou lorsqu'elle est dans un état végétatif chronique et que sa demande anticipée est suffisamment détaillée pour appuyer la situation, ces demandes pourraient être approuvées par les évaluateurs de l'AMM habituellement formés et objectifs.
Cependant, il y a des situations beaucoup plus complexes où il n'y a pas de communication cohérente de la part d'une personne qui dit vouloir mourir, ou lorsqu'il y a beaucoup de conflits entre les membres de la famille quant à savoir si la demande anticipée est vraiment cohérente dans la situation actuelle. Dans ces cas‑là, je pense qu'il faut un processus très différent incluant des consultations avec certains d'entre nous, tels que les psychiatres gériatriques comme moi, les gériatres, les psychologues, etc. J'aimerais voir des preuves de souffrances constantes et importantes, et aucune preuve que la personne continue de profiter de la vie. Si une personne garde la joie de vivre et de faire des activités, je me sentirais très mal à l'aise en tant que fournisseur d'AMM. J'aimerais que les patients n'opposent pas de résistance à l'évaluation ou à la prestation de l'AMM, en essayant d'empêcher la perfusion ou en refusant de prendre des médicaments oraux. Je ne pense pas qu'un seul d'entre nous se sentirait à l'aise dans ces circonstances.
Cela veut dire, je pense, que nous avons besoin de réunions interactives entre l'équipe de soins, les membres de la famille, les mandataires du secteur de la santé et les évaluateurs de l'AMM, et de nous pencher sur ces questions. Il y a peut-être là un problème d'éthique. Il y a peut-être un certain nombre de personnes, pas seulement une ou deux, qui prennent ces décisions complexes. Les travailleurs sociaux sont peut-être là pour aider les membres de la famille qui sont très en détresse.
Je dirais simplement que nous avons une dispense de consentement final. J'ai eu deux filles qui sanglotaient en parlant de cette dispense, parce qu'elles disaient qu'elles auraient l'impression de tuer leur père. Les patients qui ont eu des relations conflictuelles avec des membres de leur famille sont les plus bouleversés par cette situation. Il faut aussi qu'un comité de fin de vie dûment constitué puisse examiner les cas complexes. Ce sera très difficile, et nous allons avoir beaucoup de discussions à ce sujet.
C'est ce que j'avais à dire. Je suis désolée. C'est très concret. Je ne pourrai pas vous donner tous les détails concernant les autres pays. Je vous parle de moi en tant que psychiatre gériatrique qui voit des patients tous les jours. Je voulais parler de ces aspects pratiques.
Merci de m'avoir invitée.
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J'aimerais d'abord remercier le Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir de m'avoir invité à témoigner dans le cadre de ses travaux afin d'aborder la question des demandes anticipées dans le contexte de l'aide médicale à mourir.
Je m'appelle Laurent Boisvert et je suis médecin spécialiste en médecine familiale. J'ai exercé la médecine en tant qu'omnipraticien et urgentiste pendant 35 ans et en tant que professeur au centre affilié universitaire, sur la Rive‑Sud de Montréal.
Dès l'entrée en vigueur de la Loi concernant les soins de fin au Québec, en 2015, je me suis assuré que l'aide médicale à mourir était disponible aussi bien en établissement que hors établissement. Je pratique donc activement l'aide médicale à mourir depuis sept ans, ce qui représente près de 400 cas d'euthanasie.
Afin d'aborder la question des demandes anticipées, j'aimerais vous présenter deux cas de personnes atteintes de démence.
Je vous présente d'abord le cas de M. Yves Monette. Je me permets de nommer ce malade, puisque son histoire a été abondement médiatisée. M. Monette était atteint de dégénérescence fronto-temporale, qui entraînait des symptômes variés et atypiques. En plus de perdre la maîtrise de ses membres de façon transitoire, il pouvait parfois prendre sa douche tout habillé ou encore aller marcher dehors en camisole. Autrefois un homme très actif et enjoué, entraîneur d'arts martiaux et gardien de sécurité, il était maintenant un malade isolé et incapable de se réaliser. La vie était devenue insignifiante à ses yeux. Il a demandé l'aide médicale à mourir à de multiples reprises, mais, dans le contexte législatif de l'époque, c'est-à-dire avant mars 2021, il n'y était pas admissible. La maladie lui rendait toutefois la vie de plus en plus difficile.
Je l'ai donc rencontré en avril 2021, à la suite d'un article de presse. Lors de la rencontre, je lui ai confirmé que sa demande était recevable, mais, sa mort n'étant pas raisonnablement prévisible, il y aurait une période d'attente de 90 jours. Il accepte sur le champ, trop heureux de savoir qu'il n'aura plus à subir cette existence plus longtemps. Il demande, dans le même souffle, de faire don de ses organes, étant par ailleurs en excellente forme.
Nous nous sommes rencontrés à quelques reprises, mais il n'est jamais revenu sur sa décision. Malgré sa démence, il est demeuré apte à réitérer clairement sa demande jusqu'à la toute fin. Ce n'est pas le cas de toutes les personnes atteintes de ce type de maladie, comme nous le verrons dans le deuxième cas.
Il est décédé sereinement, bien qu'il ait été triste de partir. Il était entouré de plusieurs amis et proches. Il avait revêtu un uniforme prêté par la police de Longueuil et il portait des gants de boxe.
Je vous présente maintenant le cas de Mme C., une malade de 84 ans. C'est une personne qui a toujours été active et enjouée, elle est mère de famille et elle vit avec son conjoint. Je la rencontre en mai 2021 dans le cadre de sa demande d'aide médicale à mourir.
L'automne précédent, lors d'une rencontre familiale, les enfants de Mme C. avaient remarqué qu'elle avait des comportements bizarres. Elle était un peu désinhibée, elle qui est particulièrement prude. Elle tenait aussi à l'occasion des propos incohérents, mais cela demeurait subtil. Elle a rencontré son médecin de famille, accompagnée de l'une de ses filles et de son conjoint. À la suite d'examens, elle a reçu un diagnostic de maladie d'Alzheimer, une forme de démence, sans que cela n'ait été une surprise pour personne.
Au moment où je rencontre la famille, la malade comprend sa maladie et explique pourquoi elle ne veut pas étirer sa vie inutilement jusqu'au moment où elle ne pourra plus être autonome pour mener ses activités de la vie quotidienne et où elle deviendra un fardeau pour son conjoint et sa famille. Elle comprend très bien la nature de sa demande et de ses conséquences irrémédiables, mais elle veut pouvoir profiter de la vie le plus longtemps possible. Elle n'arrête donc pas de date pour recevoir l'aide médicale à mourir.
J'informe la malade et sa famille de la Loi et de ses contraintes. La malade devra demeurer apte à consentir à l'aide médicale à mourir jusqu'au moment où la décision sera prise d'y recourir. Cela veut dire qu'elle devra être suivie de très près, car, au moment où il deviendra évident qu'elle n'est plus apte à exprimer ses volontés, il faudra procéder à l'aide médicale à mourir. Toutefois, et c'est là le drame, le cadre législatif actuel nous force à voler du temps de qualité à cette malade et à ses proches.
J'informe donc son médecin de famille de la situation et nous suivons de près la malade, qui est toujours capable d'exprimer clairement ses volontés pendant un certain temps. Toutefois, tout bascule soudainement quelques semaines plus tard. La malade revoit son médecin de famille, accompagnée de ses proches, et elle n'est plus en mesure d'exprimer clairement ses demandes. Elle est confuse, désorientée, et même incohérente. Elle n'est plus apte. En conséquence, elle ne pourra plus avoir recours à l'aide médicale à mourir et elle devra donc subir ce qu'elle ne voulait pas vivre ni faire vivre à ses proches. Sa maladie l'amènera dans un état de déchéance progressive. Ses proches ne reconnaîtront plus la personne qui est devant eux et, dans le pire des cas, ils devront faire face à un individu qui peut être agressif et imprévisible, ou encore à un corps recroquevillé qui n'a plus aucune interaction avec le monde extérieur.
En ce qui concerne les demandes anticipées, je fais miennes les positions du Dr Alain Naud qui vous ont été présentées ainsi que celles du Collège des médecins du Québec, notamment que la Loi doit permettre à un malade ayant reçu un diagnostic de troubles neurocognitifs ou de démence confirmé de faire une demande d'aide médicale à mourir anticipée. Cette demande contraignante, que personne ne peut remettre en question, devra préciser les critères d'application, c'est-à-dire l'état clinique qui enclenche la procédure. Le malade est la seule personne qui est en mesure de définir ce qui est souffrant ou inacceptable pour elle et ce qui est un déclin tout aussi inacceptable.
Le régime d'application devrait être défini et établi par les autorités compétentes en matière de soins de santé.
Le régime d'application devra prévoir la possibilité de faire appel à un tiers ou à des tiers désignés par le malade au moment de la rédaction de la demande anticipée. Ces personnes seront responsables d'enclencher la procédure, en concertation avec les équipes soignantes, au moment défini dans la demande.
En l'absence de proches liés à la demande anticipée, les autorités compétentes devront prévoir un mécanisme de recours pour enclencher la procédure. Au Québec, le curateur public, qui est déjà partie prenante dans les niveaux de soins, pourrait très bien remplir ce rôle.
Je vous remercie de votre attention et je vous souhaite le courage nécessaire pour faire avancer cette importante question avec la plus grande clairvoyance.
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Merci, madame la coprésidente.
Dans sa déclaration préliminaire, la Dre Gallagher nous a dit que les gens ne savent pas vraiment à quoi ressembleront les affections dans l'avenir. De nombreux témoins ont parlé de la difficulté à déterminer le consentement.
Docteure Thorpe, notre comité ne nous a pas encore distribué votre mémoire, mais nous serons heureux de le lire en détail. Je vous remercie de l'avoir soumis.
Dans votre déclaration préliminaire, vous avez exhorté notre comité à réfléchir très sérieusement aux lignes directrices qui doivent être établies, parce que les gens changent et, dans certains cas, s'adaptent à leurs nouvelles réalités médicales.
D'un point de vue pratique, pour ce qui est des recommandations que notre comité pourrait faire, si nous autorisons les demandes anticipées d'aide médicale à mourir, pour vous à titre de praticienne, à quelle fréquence voudriez-vous que quelqu'un soit tenu par la loi de revoir ses demandes anticipées afin que nous puissions être certains que... Chaque année, aux deux ans, aux trois ans? Je ne sais pas.
Est‑ce un aspect que le Comité doit vérifier pour que les gens soient tenus d'examiner leurs demandes anticipées afin de s'assurer que c'est toujours ce qu'ils souhaitent?
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Merci. C'est une bonne question.
Je pense que cela dépend de ce qui ne va pas chez la personne. Si nous adoptons l'idée de Mme Downie selon laquelle nous n'avons ces données que pour quelqu'un qui a reçu un diagnostic, disons de démence, alors il faudra probablement refaire le processus chaque année, parce qu'il y aura un déclin chaque année, et je pense que c'est ce qui devrait être fait.
Si l'on n'avait pas l'obligation de poser un diagnostic, ce que je n'exclurais pas en fait... Je pense que certaines personnes ont des antécédents familiaux de démence très grave, et elles pourraient vouloir indiquer ce qu'elles souhaitent après s'être retrouvées, disons, dans un état végétatif chronique. Cela pourrait être très différent. Cela peut prendre cinq ans, mais une fois qu'on est atteint d'une maladie dégénérative chronique, très souvent... C'est encore plus rapide dans le cas, par exemple, de la maladie de Creutzfeldt‑Jakob qui progresse très rapidement. Je pense qu'il y a beaucoup de choses très particulières au contexte auxquelles nous devons réfléchir très sérieusement.
Je ne pense pas que ce soit faisable, et je ne dis pas que nous ne devrions pas avoir de demandes anticipées. Je dis simplement que nous devons vraiment réfléchir à la question et aux aspects pratiques pour ceux et celles d'entre nous qui finiront par voir quelqu'un qui ne reconnaît plus les membres de sa famille, tout en continuant de profiter de la vie. Comment allons-nous procéder? Allons-nous les retenir? Je ne vois aucun d'entre nous faire cela.
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Merci. C'est une bonne question.
En fait, la Saskatchewan offre un programme centralisé d'aide médicale à mourir. Nous avons un très bon accès dans toute la province. Nous avons des gens dans la plupart des régions de la province. Il y a maintenant un financement pour que les évaluateurs et les fournisseurs puissent se déplacer, et leur temps est remboursé.
Certaines évaluations se font virtuellement. Nous nous en tirons tous mieux maintenant, mais nous aimons avoir au moins une des évaluations en personne. En général, nous avons pu obtenir une réponse très rapidement. Nous sommes probablement l'une des régions du pays où nous obtenons les réponses le plus rapidement. C'est habituellement dans la semaine, et souvent beaucoup plus rapidement.
Nous avons de toute évidence appris à faire les évaluations en distanciel. La deuxième évaluation est parfois plus facile à faire en virtuel. J'en ai fait plusieurs, tout comme je verrais la plupart des cas plus complexes. Il y a eu une certaine amélioration, mais je préfère rencontrer les gens en personne.
Ce que nous voulons, c'est un système où vous...
Nous savons que toutes les provinces doivent compter sur l'agrément de leurs organisations. Par conséquent, vous pouvez adopter des normes et des mesures sur la qualité des soins palliatifs. Vous pouvez également mettre en œuvre le dépistage des symptômes et de la détresse dans toutes les cliniques de maladies chroniques.
Je crois que les médecins ont d'excellentes intentions, mais souvent, ils ne se concentrent pas sur les symptômes; ils se concentrent sur les indices de maladie, les tests, etc. Nous devons entendre les gens. Ils se classent souvent très différemment dans un sondage par rapport à ce qu'ils admettent à leur médecin de famille. Nous devons déceler la souffrance tôt. Nous devons mettre en place un système qui nous permette de déceler les cas et de nous y attaquer rapidement, avant que les gens ne souffrent au point de dire: « Ma vie en ce moment est intolérable. »
J'espère, sachant que cela relève du gouvernement fédéral, que dans le cadre de votre rôle d'examen de l'état des soins palliatifs, vous prendrez cette mesure incroyable pour amener un changement dans notre système qui profitera à tout le monde, peu importe que les gens reçoivent l'aide médicale à mourir ou qu'ils meurent de causes naturelles. Je pense que c'est très important.
Je vous remercie.
J'aimerais remercier la Dre Gallagher et la Dre Thorpe.
[Français]
Merci au Dr Laurent Boisvert également.
Je vous remercie d'avoir témoigné ce soir et d'avoir répondu à nos questions sur un sujet important, mais très complexe. Nous vous en sommes très reconnaissants. Je vous remercie de vous être rendus disponibles à une heure tardive. C'est d'autant plus vrai pour ceux qui se trouvent dans l'Est du pays.
[Traduction]
Merci beaucoup. Nous vous sommes très reconnaissants de votre visite ce soir.
Sur ce, je rappelle aux membres du Comité que notre prochaine réunion aura lieu dans une semaine. Elle durera trois heures. Comme il a été convenu au début, nous réserverons la troisième heure pour les travaux du Comité. Ce sera à huis clos.
Avant de terminer, il a été proposé de prolonger la période de présentation des mémoires, étant donné que la présentation de notre rapport final a été prolongée jusqu'en octobre. J'aimerais que ceux et celles qui sont en faveur que la présentation des mémoires soit prolongée jusqu'au 30 mai lèvent la main.
Quelqu'un y voit‑il un problème?
Je ne peux pas voir tout le monde dans la salle, mais je regarde...