Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Bonjour à tous et bienvenue à la 25e réunion du Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir.
Je souhaite la bienvenue aux membres du Comité, aux témoins ainsi qu'à ceux qui suivent cette réunion sur le Web.
[Traduction]
Je m'appelle Marc Garneau et je suis le coprésident qui représente la Chambre des communes au sein de ce comité. Je suis accompagné de l'honorable Yonah Martin, coprésidente qui représente le Sénat.
Nous poursuivons aujourd'hui notre examen prévu par la loi des dispositions du Code criminel concernant l'aide médicale à mourir et leur application.
J'ai quelques précisions d'ordre administratif à vous donner.
Je rappelle aux membres et aux témoins qu'ils doivent garder leur microphone en sourdine, à moins d'être nommé par la présidence. Veuillez toujours vous adresser à la présidence.
Lorsque vous prenez la parole, veuillez parler lentement et clairement. L'interprétation pour cette vidéoconférence fonctionne comme pour les réunions en personne. Au bas de votre écran, vous pouvez choisir entre le parquet, l’anglais et le français.
Avant de commencer, je signale que nous devrions entendre la sonnerie vers 10 heures. Est‑ce que j'ai le consentement unanime pour poursuivre la réunion pendant 20 minutes, à ce moment, avant de lever la séance?
Des voix: D'accord.
Le président: Merci. La greffière m'en avertira quand 19 minutes se seront écoulées après le début de la sonnerie.
Sur ce, j'aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins du premier groupe, qui sont ici pour discuter des mineurs matures.
Nous accueillons Mme Elizabeth Sheehy, professeure émérite de droit à l'Université d'Ottawa, qui témoigne à titre personnel. Nous attendons le Dr Eduard Verhagen, qui est pédiatre et chef du service de pédiatrie de la Beatrix Children's Hospital. Nous espérons qu'il sera en ligne sous peu. Enfin, nous accueillons Mme Mary Ellen Macdonald, titulaire d'une chaire en soins palliatifs. Tous trois sont présents par vidéoconférence.
Merci à vous tous de vous joindre à nous.
Nous allons entendre pour commencer la déclaration liminaire de Mme Sheehy, qui sera suivie de celle de Mme Macdonald, puis, nous l'espérons, de celle du Dr Verhagen.
Chacun des témoins dispose de cinq minutes, après quoi nous passerons aux questions.
Madame Sheehy, vous disposez de cinq minutes. La parole est à vous.
Comme vous l'avez entendu, je suis professeure émérite à l'Université d'Ottawa, où j'ai enseigné le droit pénal et la procédure pénale pendant 34 ans. Je suis également la sœur de Matthew, qui a des troubles du développement et quelques handicaps physiques. J'ai une expérience directe des listes d'attente extraordinaires pour l'accès aux logements supervisés destinés aux personnes comme mon frère, et j'ai aussi entendu des professionnels de la santé nous presser à répétition d'envisager une ordonnance de non-réanimation lorsque Matthew a eu besoin d'un traitement médical.
J'ajoute ma voix à l'opposition claire et sans équivoque exprimée à l'unanimité par les groupes de défense des droits des personnes handicapées de tout le pays à une énième extension de la portée de l'aide médicale à mourir. J'ai témoigné devant le comité sénatorial qui a étudié le projet de loi C‑7 en 2020 pour m'opposer à ce que la portée de l'aide médicale à mourir soit élargie de manière à inclure les personnes handicapées qui ne sont pas en train de mourir. Nous avons perdu ce combat, et on a allumé le bûcher. On a placé le bois et lancé une allumette.
Nos pires craintes se réalisent: que les personnes handicapées en viennent à demander l'aide médicale à mourir, non pas parce que leurs handicaps sont intolérables, mais plutôt parce que nous échouons à leur proposer les mesures de soutien social et économique dont elles ont besoin pour vivre dans la dignité. Lorsque le gouvernement a étendu la portée de l'aide médicale à mourir aux personnes souffrant de maladies mentales, il a jeté de l'huile sur le feu. J'ai écrit des articles d'opinion qui soulignent les effets discriminatoires sur les femmes, le fantasme voulant que les psychiatres puissent faire la distinction entre une personne atteinte de maladie mentale qui est suicidaire et une personne qui exprime un désir rationnel de mourir, et la sottise d'accepter les affirmations des médecins qui prétendent pouvoir déterminer que la souffrance mentale d'une personne ne pourra jamais être soulagée.
Nous sommes maintenant sur le point de jeter des enfants dans le bûcher de l'aide médicale à mourir. Voici ce qu'ils sont. Ils sont de facto des enfants jusqu'à ce qu'un professionnel, pas même le parent, décide qu'ils peuvent être traités comme des adultes quand il s'agit de prendre la décision de mourir.
Les propositions de certaines organisations, telles que Mourir dans la dignité, sont absolument terrifiantes. Elles semblent défendre la présomption voulant que les enfants âgés de 12 ans ou plus aient la capacité de choisir l'aide médicale à mourir. Cette position est impossible à concilier avec la façon dont nous traitons les enfants par ailleurs. Les enfants de 12 ans ne peuvent pas consentir à des contacts sexuels. Nous considérons que l'activité sexuelle a de telles conséquences sur la vie de l'enfant et sur le potentiel d'exploitation que nous ne tolérons aucune exception. Nous interdisons de nombreuses autres activités aux enfants, comme consommer de l'alcool ou conduire un véhicule. Nous faisons cela non seulement pour préserver la vie et le bien-être des enfants, mais aussi pour protéger ceux qui les aiment et les autres membres de notre communauté. Comment pouvons-nous même envisager de permettre à des enfants d'accéder à des ressources gouvernementales pour mettre fin à leur propre vie?
Le bûcher de l'aide médicale à mourir va maintenant s'étendre aux arbres qui l'entourent, et personne ne sera à l'abri. Quel parent n'a pas vu son adolescent souffrir profondément d'anxiété, de racisme, de misogynie, d'homophobie, de dépression ou d'exclusion sociale? Je ne connais personne dont l'enfant n'a pas été confronté à au moins un de ces défis.
Nous vivons un moment historique marqué par des taux de maladie mentale jamais égalés chez les enfants et les jeunes. Nous savons également que les traumatismes intergénérationnels et les abus sexuels jouent un rôle énorme dans la souffrance mentale des jeunes, et que le risque est disproportionné chez les filles handicapées et les enfants autochtones.
Il est moralement inacceptable d'abdiquer notre responsabilité de traiter ces traumatismes et de répondre à la détresse des jeunes avec toutes les ressources dont nous disposons. Il est inacceptable de leur dire que les médecins et les gouvernements les aideront à mettre fin à leur vie s'ils ne voient pas la lumière au bout du tunnel. Notre travail consiste à leur donner cette lumière, pas à les aider à l'éteindre.
J'ai le cœur brisé pour les parents et les communautés qui ont perdu leurs adolescents par suicide. Ces personnes et leurs proches ne seront plus jamais les mêmes. Comme nous le savons, le suicide chez les jeunes peut se propager comme un incendie de forêt. Nous l'avons vu dans les communautés autochtones, où la mort de chaque jeune menace toutes les autres jeunes pousses. Nous observons également ce phénomène dans d'autres communautés, où des jeunes déjà en proie à un sentiment d'aliénation sont dévastés et démoralisés par la mort de leurs amis.
La proposition d'étendre la portée de l'aide médicale à mourir aux adolescents, indépendamment de la volonté de leurs parents, constitue une énorme trahison envers ceux dont les enfants se sont enlevé la vie et envers toutes les communautés qui luttent pour garder leurs adolescents en vie. Nous devons mettre un pare-feu autour du bûcher de l'aide médicale à mourir pour au moins en éloigner les enfants et les adolescents. Nous savons que le cerveau des jeunes n'atteint pas sa pleine maturité avant l'âge de 20 ans. Il est donc impossible, même pour les jeunes matures, d'imaginer la possibilité d'une vie pleine de sens et de joie lorsqu'ils sont enlisés dans les affres de l'aliénation ou de l'adaptation à leur handicap ou à leur sexualité, ou de comprendre la finalité de la mort et les autres ravages que leur vie perdue causera à leur famille, leurs amis et leur communauté.
Étendre la portée de l'aide médicale à mourir aux mineurs matures est irresponsable. Croire que les médecins peuvent prédire quels jeunes ne peuvent pas être soignés ou aidés ou déterminer s'ils ont la maturité nécessaire pour prendre des décisions aussi irrévocables va à l'encontre de notre passé eugénique pas si lointain. Adopter une loi qui exigerait des communautés et des parents qu'ils ne fassent rien lorsque leurs jeunes se jettent sur le bûcher, c'est nous forcer à regarder notre avenir brûler.
Je participe à cette discussion en tant que chercheuse en sciences sociales, forte d'une vingtaine d'années d'expérience en recherche sur les soins palliatifs auprès de populations jeunes et plus âgées. En ce qui concerne les mineurs matures, en particulier, j'ai fait partie du groupe de travail d'experts du CAC sur les mineurs matures. J'ai également supervisé la thèse de maîtrise d'un étudiant en philosophie sur le sujet, qui a été publiée dans le Journal of Medical Ethics en 2020, et mon équipe a récemment terminé une étude qualitative réalisée auprès de jeunes invités à participer à des discussions de groupe sur ce projet de loi, dont les résultats ont récemment été soumis pour publication.
Je voudrais aujourd'hui mettre l'accent sur le travail de mon équipe de recherche suite au rapport du CAC et sur son positionnement pour aider à faire avancer la génération de données empiriques pour éclairer ces discussions. Cette position découle de notre expérience collective au sein du groupe d'experts du CAC, une expérience de frustration du fait que nous essayions de faire valoir des idées politiques et pratiques sans disposer de beaucoup de données provenant des jeunes eux-mêmes sur le sujet. Nous revenions sans cesse au manque de recherches sur lesquelles nous appuyer pour réfléchir à ce que pourrait et devrait être l'AMM pour les mineurs matures.
Au sein du groupe d'experts du CAC, les cliniciens pouvaient partager leurs expériences personnelles avec les membres des populations concernées, et les juristes pouvaient évoquer la jurisprudence pertinente, mais dans l'ensemble, il était clair qu'il y avait très peu de données scientifiques nationales ou internationales pour présenter les voix et les expériences des jeunes et de leurs familles devant la maladie terminale, la souffrance, le chagrin, le deuil. Il y a encore moins de données, d'ailleurs, sur les points de vue et les expériences des jeunes rendus particulièrement vulnérables par l'état actuel de la pratique, comme les jeunes autochtones, les jeunes handicapés et ceux qui se trouvent dans le système de protection de l'enfance.
En tant que chercheuse assujettie aux lignes directrices de participation des trois conseils sur l'éthique de la recherche, je prends très au sérieux le principe éthique selon lequel rien ne doit se faire pour les personnes visées sans elles. Il n'est pas acceptable de faire progresser la recherche, la politique ou les pratiques en matière d'AMM pour les mineurs matures sans solliciter et écouter activement la voix des jeunes eux-mêmes. La Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant prescrit comment et pourquoi les jeunes ont le droit de participer aux réflexions sur les enjeux ayant une incidence sur leur vie et d'exprimer leur opinion dans toute discussion les concernant à la hauteur de leurs capacités. Étant donné que les jeunes ne sont toujours pas admissibles à l'AMM, une forme de soins de fin de vie qui pourrait les intéresser et dont ils pourraient bénéficier, il est raisonnable de conclure que leur exclusion des conversations sur l'AMM jusqu'à présent constitue une violation du droit de participer.
Dans l'esprit de combler cette lacune, avec deux collègues, Franco Carnevale et Sydney Campbell, j'ai présenté une proposition à Santé Canada dans le cadre du Programme de contributions pour les politiques en matière de soins de santé. Nous avons été sollicités par Santé Canada pour étoffer cette proposition. Cependant, elle n'est pas encore finalisée, et le budget n'a pas encore été approuvé, donc je ne vous parlerai que de sa conception générale pour l'instant.
Nous avons proposé une étude de trois ans afin de véritablement consulter les jeunes pour générer des données au moyen de groupes de discussion, d'entretiens et de méthodes axées sur les arts, puis d'utiliser ces données pour formuler des recommandations fondées sur des données probantes concernant l'orientation à privilégier relativement à l'AMM chez les mineurs matures. Nous partons du principe que les jeunes sont des personnes à part entière dotées de droits et nous proposons de travailler de manière proactive et directe avec les jeunes et leurs soignants pour comprendre ce qui est important pour eux dans les discussions cliniques et politiques concernant l'AMM en particulier, et aussi comment ils veulent être mis à contribution dans la planification des politiques sur les soins palliatifs et de fin de vie de manière plus générale.
La première année, nous consulterons les jeunes et les soignants sur le déroulement de l'étude. Nous proposons d'inclure dans notre échantillon des jeunes perçus comme étant particulièrement vulnérables, tels que des jeunes souffrant de problèmes de santé sous-jacents comme le cancer, de problèmes de santé mentale ou de handicaps, ainsi que des jeunes autochtones. Nous proposons de créer un échantillon de jeunes de 12 ans et plus issus de toutes les régions, d'un océan à l'autre, qui participeront au projet de la conception à l'analyse et à la diffusion. Avec les jeunes, nous produirons à la fois un rapport descriptif sur l'état de la situation et une analyse plus théorique et éthique de ce qui devrait être fait et de l'orientation à donner à nos politiques.
Il y a eu un malentendu avec la troisième personne qui devait comparaître pendant la première heure, elle pensait faire partie du deuxième groupe. Heureusement, il y a une personne qui faisait partie du deuxième groupe qui est déjà parmi nous en cette première heure, la Dre Arundhati Dhara, et elle est prête à prendre la parole dès maintenant. La Dre Dhara est médecin de famille.
Docteure Dhara, si vous êtes prête, vous avez cinq minutes.
Je ne m'attendais pas à cela, mais je vous remercie, monsieur le président, comme je remercie les membres du Comité de me donner l'occasion de prendre la parole aujourd'hui.
Je suis heureuse de me joindre à vous depuis Mi'kma'ki, le territoire non cédé des L'nu.
Je commencerai par vous dire ce que je ne suis pas. Je ne suis pas avocate. Je ne suis pas bioéthicienne. Je ne suis pas chercheuse sur l'aide médicale à mourir. Je suis médecin de famille généraliste, depuis plus de 10 ans. Je suis également prestataire de l'AMM depuis environ 2017 dans le cadre d'un travail complet de soins palliatifs.
Je vais vous dire aujourd'hui ce que c'est que de fournir l'AMM et ce que les considérations pourraient être pour offrir l'AMM à des mineurs si la loi l'autorisait.
J'ai vécu ma première expérience d'AMM avec une femme dynamique, incroyablement drôle, qui ne répondait pas aux critères prescrits par la loi à l'époque. Mon avis était le troisième qu'elle sollicitait parce que son décès n'était pas prévisible et qu'elle ne souffrait pas suffisamment au regard de la loi. Elle vivait avec des douleurs chroniques constantes qui limitaient sa vie et elle me disait se sentir profondément seule malgré le fait qu'elle était très proche de sa famille. Elle était très joyeuse, mais elle souffrait quand même.
Je me souviens qu'elle a donné ses lunettes à ses filles et qu'elle leur a demandé d'en faire quelque chose d'utile. Elle a ensuite fermé les yeux et fait des blagues très morbides. Nous avons tous ri. Puis elle s'est endormie et elle est morte. C'était le moment le plus profondément centré sur le patient que j'avais vécu de ma carrière jusque‑là.
Pourquoi est‑ce que je vous raconte cette histoire? Cette femme avait plus de 90 ans. Le Comité m'a demandé de réfléchir à l'AMM pour les mineurs matures. En réalité, les éléments à prendre en considération pour évaluer son aptitude à donner un consentement éclairé pour recevoir ces soins ne diffèrent pas de ceux qui s'appliquent à un mineur mature. Comprend-elle ce qui lui est proposé? Comprend-elle les risques et les avantages? Comprend-elle les autres options qui existent?
Imaginez un mineur mature, quelqu'un de moins de 18 ans. L'âge est essentiellement arbitraire; 18 ans, ce n'est pas un seuil magique. Les mineurs exercent déjà une autonomie sur leur corps dans d'autres circonstances, et nous n'exigeons pas d'eux qu'ils explorent toutes les options jusqu'à une norme externe de satisfaction pour chaque acte médical. L'aptitude à consentir est particulière ici.
Alors que nous nous apprêtons à élargir l'accès à l'AMM en général, il y a un certain nombre d'autres considérations, notamment la façon dont nous comprenons le développement du cerveau et les questions de santé mentale, qui deviendront bientôt des critères d'admissibilité. Il sera important de nous demander comment cela s'applique aux mineurs, et je ne me sens pas suffisamment qualifiée dans le développement du cerveau pour le dire. Dans les pays où les mineurs matures ont accès à l'AMM, ilest en fait assez rare qu'ils s'en prévalent. Ils ont généralement une très longue histoire avec les soins de santé et le système de santé avant d'en arriver à une telle décision. C'est la nature même de la maladie chez les enfants.
En médecine familiale, j'ai l'énorme privilège de voir les enfants grandir, c'est‑à‑dire de les voir se développer sur le plan cognitif. Je suis persuadée que je pourrais déterminer si un de mes patients est apte à donner son consentement, mais même si je ne le pouvais pas, les prestataires de l'AMM font partie d'une communauté de pratique et donc d'un réseau sur lequel nous pouvons compter pour obtenir des ressources, de même qu'un deuxième, un troisième ou un quatrième avis au besoin.
Je voudrais terminer en nommant l'éléphant dans la pièce. Il y a une certaine répugnance viscérale à l'idée qu'un enfant puisse souffrir au point de demander de l'aide à mourir. Comment est‑il possible que cela ne représente pas un échec monumental de notre système médical? Il est certain que de meilleurs services en soins palliatifs et de meilleurs services sociaux — toutes ces choses — atténueraient le besoin de demander l'AMM.
C'est normal de ressentir de la douleur quand un enfant souffre. C'est inévitable. Nous serions des monstres si nous n'en ressentions pas. Cependant, l'existence de meilleurs traitements et de meilleurs services n'annule en rien notre obligation d'assurer un accès équitable et bienveillant à l'AMM lorsque les circonstances le justifient. En toute déférence, je pense que nous avons l'obligation de voir au‑delà de notre propre répulsion. La bonne chose à faire n'est pas toujours agréable. En fait, l'un de mes amis éthiciens dit que l'éthique n'entre vraiment en jeu que lorsque tout vous met vraiment mal à l'aise.
Nous devons aborder l'AMM pour les mineurs matures de la même façon que nous l'abordons pour tous les autres patients: chacun est unique et doit être traité dans le respect de sa situation personnelle et de son contexte de vie unique.
Je vous remercie encore de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer devant vous aujourd'hui.
Merci, madame la présidente, et merci aux témoins.
Je vais adresser mes questions à Mme Sheehy.
À notre dernière réunion, nous avons entendu un témoin qui nous a fait remarquer que les mineurs matures prennent déjà des décisions médicales importantes, y compris celle de refuser un traitement essentiel au maintien de la vie. Ce témoin a fait valoir qu'il s'ensuit, par conséquent, que les mineurs matures sont tout aussi compétents pour prendre une décision concernant l'AMM. Êtes-vous d'accord?
Non, je ne suis pas d'accord. Je pense qu'il y a une différence substantielle entre le refus ou l'arrêt d'un traitement et l'intervention de l'État, qui comprend l'injection de ressources, pour mettre fin à la vie. Je pense que nous savons que l'AMM constitue une exception aux dispositions du Code criminel qui criminalisent le meurtre et le suicide assisté. Ce dont nous parlons ici, c'est de créer une sorte d'exemption au Code criminel pour une catégorie particulière de jeunes.
Actuellement, le refus d'un traitement essentiel au maintien de la vie ne relève pas d'une décision individuelle. C'est une décision qui fait l'objet d'une procédure judiciaire. Il y a des témoins, une procédure contradictoire, une décision judiciaire, des audiences publiques, et les motifs de la décision doivent être divulgués. Toutes ces garanties sont là pour nous protéger lorsqu'une décision touche l'arrêt d'un traitement essentiel au maintien de la vie. L'exercice serait totalement différent si nous nous dotions d'un régime d'AMM pour les mineurs matures, et c'est très inquiétant si l'on pense qu'il s'agit d'une intervention de l'État pour mettre fin à la vie de quelqu'un.
On a fait valoir que les mineurs matures comprennent ce qu'est l'AMM et sont aptes à juger que leur souffrance est intolérable. Il a également été dit que le fait de ne pas permettre aux mineurs matures de prendre des décisions concernant l'AMM et de ne pas avoir droit à cette exemption serait discriminatoire.
Pouvez-vous commenter ces deux points? Certains soutiennent que les mineurs matures peuvent comprendre leurs souffrances et ce qu'est l'AMM et qu'ils sont donc compétents pour prendre une telle décision. Ils estiment qu'il serait discriminatoire d'exclure les mineurs matures du régime d'AMM.
Tout d'abord, je dirais qu'il n'est pas discriminatoire d'exclure certains groupes de l'AMM. Nous limitons certaines procédures médicales à certains groupes d'âge en fonction des risques. Pour ce groupe, le manque de compréhension de leurs horizons futurs, étant donné que leur cerveau est encore en pleine maturation, nous indique que les risques sont réels et, étant donné la finalité de la mort, que les risques sont élevés.
Je dirais également que le groupe dont nous parlons et qui me préoccupe le plus est celui des jeunes handicapés. Nous savons que les enfants handicapés sont plus vulnérables aux idées suicidaires. Les jeunes handicapés absorbent le message social selon lequel leur vie ne vaut pas la peine d'être vécue et ressentent de l'anxiété quant au fardeau qu'ils représentent pour leur famille. Ce n'est qu'à l'âge adulte qu'ils se rendent compte qu'il s'agit en fait d'un problème social. Il s'agit d'une discrimination sociale à l'encontre des personnes handicapées.
Je pense qu'il est extrêmement dangereux de suggérer qu'une jeune personne, quel que soit son degré de maturité, peut comprendre ou prévoir sa capacité de s'adapter à la vie avec un handicap et de trouver le bonheur à l'avenir. Je pense qu'il est en fait très inquiétant de laisser entendre que nous allons accepter le désespoir d'une personne, l'abandonner et lui permettre d'accéder aux ressources de l'État pour mettre fin à sa vie à ce stade.
Il a également été mentionné que l'aptitude à prendre des décisions médicales dépendrait davantage de la capacité que d'un seuil d'âge ferme. Qu'en dites-vous? N'est‑il pas un peu arbitraire de dire qu'à 18 ans, on a soudainement la capacité de donner son consentement, mais pas à 17 ans et demi?
Je suppose que tout dépend du contexte dans lequel on parle de consentement. Pour les traitements médicaux, plus les conséquences d'un traitement sont graves, moins il est probable qu'un tribunal détermine qu'une jeune personne est apte à y consentir. On ne peut pas vraiment parler d'aptitude à donner son consentement sans parler aussi de l'enjeu si la personne accepte ou refuse un traitement ou encore demande l'intervention de l'État pour l'aider à se suicider. Le problème que pose la modification de l'âge de consentement est le suivant: demanderons-nous l'intervention des tribunaux pour en décider?
Je pense qu'il est beaucoup plus important de fixer une limite d'âge ferme pour établir une compréhension collective des moments où l'on peut accorder ou non l'accès à l'AMM.
Docteure Dhara, ma question s'adresse à vous, et je vais la poser en français.
[Français]
Vous avez dit qu'au cours de vos 10 ans de pratique, vous avez administré l'aide médicale à mourir. Vous avez aussi souligné qu'il n'était pas nécessaire d'établir une norme de consentement pour chaque procédure médicale.
Parmi les enfants que vous avez rencontrés dans votre pratique, combien auraient pu être admissibles à l'aide médicale à mourir, s'il avait été possible pour eux de faire une demande?
De plus, en matière de consentement, devrions-nous parler de maturité plutôt que d'âge?
Il est dans la nature des enfants de rebondir. En général, quand les enfants sont malades, même quand ils sont très malades, ils se rétablissent. Le nombre d'enfants que j'ai vus dans ma pratique qui étaient à ce point malades que leur vie était limitée ou menacée est en fait assez faible. Même à l'hôpital, je peux probablement compter sur les doigts de mes deux mains les enfants que j'ai traités qui auraient été admissibles à l'AMM d'une manière ou d'une autre si cette option avait existé. Cela ne veut pas dire qu'elle ne devrait pas être offerte. Le fait que le nombre de personnes concernées soit petit ne signifie pas qu'une information ou une décision politique ne mérite pas d'être prise en considération.
Vous parlez de maturité, et je pense que c'est exactement ce dont il s'agit. C'est la capacité de comprendre l'enjeu et de réfléchir aux conséquences d'une décision. À cet égard, je dirais que ce devrait être un critère d'admissibilité que d'avoir une solide compréhension de ce qui est offert, de ce qu'est l'AMM. Sans cette compréhension claire et volontaire, l'AMM ne serait tout simplement pas envisageable.
J'ai vu beaucoup de personnes de 90 ans demander l'AMM, qui me donnaient l'impression de ne pas vraiment comprendre l'enjeu. Je dirais même qu'il pourrait être difficile de bien définir le mot « maturité ». Il s'agit vraiment de l'aptitude à consentir à cet acte précis: « comprenez-vous ce que je vous offre en ce moment, cette chose, en cet instant? »
Chez les personnes atteintes de démence, il y a souvent des moments de lucidité où je pense que, oui, elles ont une grande capacité, et puis il y a des moments où elles n'en ont pas. Cela dépend vraiment des moments. C'est extrêmement particulier.
Vous avez mentionné que nous devrions aborder la question du consentement des personnes mineures matures de la même manière que pour tous les autres patients.
Croyez-vous que les critères d'admissibilité actuels suffisent pour ce qui est des personnes mineures matures, ou faudrait-il penser à en établir d'autres?
Chaque cas, encore une fois, est un cas d'espèce. Je pourrais faire valoir, quand c'est assez évident, qu'un jeune de 17 ans et demi, par exemple, serait pleinement en mesure de comprendre ce qu'est l'aide médicale à mourir et qu'il aurait la capacité d'y consentir.
En même temps, on peut devoir évaluer des mineurs ayant des problèmes de santé mentale qui s'ajoutent à une maladie qui limite l'espérance de vie et à un certain nombre de facteurs qui peuvent compliquer un peu plus l'évaluation de leur capacité de comprendre. Dans ces situations, le réseau de pratique dont j'ai parlé serait vraiment utile, puisque les fournisseurs de l'aide médicale à mourir n'existent pas dans le vide et qu'on peut accéder à différentes ressources, auprès de différents fournisseurs qui peuvent contribuer à élucider tel cas à tel moment.
Je m'insurge, au nom de l'équité, contre un principe général qui se fonde sur l'âge, la nature de la maladie et d'autres paramètres. La situation est vraiment complexe et chaque patient, incroyablement, présente un cas d'espèce.
Docteure Dhara, je tiens compte de votre expérience et de votre témoignage pour faire le commentaire suivant.
Les situations cliniques desquelles émerge ou pourrait émerger une demande d'aide médicale à mourir sont, pour l'instant, liées à la fin de vie, c'est-à-dire que le processus du mourir est déjà commencé et qu'il est irréversible. Le patient est accompagné dans un processus de soins palliatifs optimal, du moins le souhaite-t-on, mais, même dans ces circonstances et, par exemple, dans le cas d'un ostéosarcome, le soulagement de la douleur et de la souffrance du patient n'est pas possible. Son seuil de douleur tolérable est dépassé. À ce moment-là, cette personne mineure mature pourrait demander l'aide médicale à mourir.
C'est dans de tels cas de phase terminale de vie que cette situation se présenterait et que nous pourrions l'encadrer. On ne parle pas ici d'un jeune 14 ans qui vit une dépression et qui est suicidaire. Dans ce contexte, on ne va jeter personne dans le feu, n'est-ce pas?
Je suis d'accord. Votre distinction entre différents types de maladies et différentes situations est importante. Le cas que vous décrivez, d'un cancer incroyablement douloureux qui incite le patient à demander l'aide médicale à mourir, diffère absolument de celui d'une dépression accompagnée d'idées suicidaires. Nous devons particulièrement veiller à ne pas assimiler une demande d'aide médicale à mourir à l'idéation suicidaire. Les deux diffèrent. Dans la pratique, c'est certainement vrai.
Jusqu'ici, du moins, et je suis certaine que, désormais, nous questionnerons les patients et que nous examinerons la possibilité, pendant l'évaluation, de l'existence d'un élément de dépression ou de maladie mentale susceptible de pouvoir être traitée. Confondre toutes ces manifestations empêche d'y voir clair et de rendre finalement équitable un processus qui permet de répondre à un besoin au moment voulu.
Je rappelle qu'au Québec, on considère que les personnes mineures peuvent prendre un certain nombre de décisions cliniques à partir de l'âge de 14 ans.
À partir du moment où on baliserait l'accessibilité des personnes mineures matures strictement de volet un, c'est-à-dire en phase terminale de vie, à l'aide médicale à mourir, croyez-vous que cela serait acceptable, selon votre pratique? Cela correspondrait davantage aux situations d'où émergent de telles demandes et où il pourrait y avoir le plus de cas, même s'il n'y a pratiquement pas de cas de ce genre dans le monde si je vous ai bien comprise.
Dans les pays et les États où les mineurs matures peuvent accéder à l'aide médicale à mourir, c'est en fait très rare. On ne la demande pas fréquemment. L'immense majorité des cas — je dirais même tous, mais sans pouvoir en être certaine — concerne vraiment le volet 1, de sorte que la mort a déjà commencé son œuvre et qu'une maladie terminale est en place. Nous savons alors que les enfants ressentent également la douleur; ils souffrent également, c'est un spectacle déchirant, et je pense que leurs souffrances justifient, s'ils sont matures, leur demande d'aide médicale à mourir.
J'ai pris note de votre opposition à l'élargissement de l'aide médicale à mourir aux mineurs matures. J'espère que vous comprendrez que mes questions sont inspirées par la curiosité et le désir de comprendre.
Dans la province d'où je viens, la Colombie-Britannique, une loi sur les personnes mineures autorise un professionnel de la santé à traiter une personne mineure pour autant que cette dernière possède la compréhension nécessaire pour donner son consentement aux traitements qu'on lui offrira. Cette loi protège le personnel médical. Tant qu'il estime que le patient mineur, de moins de 18 ans, est capable de comprendre, il peut appliquer le traitement. Aucun âge précis n'est requis. On exige seulement que la personne comprenne.
Certaines maladies sont incurables. D'autres causent des souffrances intolérables. Dans mon esprit, il s'agit davantage de maladies physiques du volet 1, dont on est tout à fait sûr que le patient ne réchappera pas.
Si ce droit des personnes mineures, en Colombie-Britannique, est protégé par la loi de la province, et si, disons, un jeune de 13 ou de 14 ans souffre d'une maladie à l'évidence incurable, dont il ne se sortira pas et qu'il est visiblement dans un état de souffrance physique, pourquoi doit‑il attendre d'avoir 18 ans? Pourquoi vivre encore trois ou quatre ans avec cette pathologie, quand, déjà, nous avons ce précédent sous le régime de la loi de la province? J'essaie simplement de comprendre.
Je ne connais d'abord pas toutes les versions des lois de toutes les provinces qui correspondraient à cette loi de la Colombie-Britannique. Je suis persuadée que le droit ne considère pas de la même façon une demande de traitement et une demande de mettre fin à la vie. Par exemple, dans la situation que vous décrivez, un parent opposé à une évaluation qui conclurait à la maturité suffisante du patient pour décider ou opposé à sa décision de mettre fin au traitement, pourrait en saisir les tribunaux. J'estime nécessaire l'intervention du tuteur officiel quand les traitements mettent fin à la vie.
Je ne crois pas que l'aide médicale à mourir soit considérée de la même façon, légalement, dans toutes les provinces. Ce n'est pas un traitement médical. En fait, c'est un traitement pour mettre fin à la vie.
Devrions-nous y rendre admissibles les enfants qui éprouvent de telles douleurs? À cette question je réponds que nous sommes manifestement incapables de distinguer les cas du volet 1 et du volet 2. Dès qu'on autorise l'élargissement de l'admissibilité au volet 1, il est certain qu'elle finira par s'étendre au volet 2 sans qu'on puisse l'arrêter. Par exemple, l'arrêt Carter de la Cour suprême précise qu'il ne s'applique pas à la maladie mentale. Pourtant, voyez de quoi nous discutons aujourd'hui. Nous avons passé directement outre à la mise en garde du tribunal.
Désolé de vous interrompre, mais dans la minute et demie qui me reste je tiens à questionner la Dre Dhara. Merci pour votre réponse.
Docteure Dhara, chaque province applique une variante de la loi autorisant le traitement médical des personnes mineures. J'ai cité celle de la province d'où je viens, la Colombie-Britannique.
Pouvez-vous expliquer ce que la loi de votre province vous oblige à faire dans l'évaluation médicale de la compréhension que doit posséder la personne mineure pour donner son consentement à un traitement? À quoi vous oblige cette loi pour cette évaluation puis pour prendre une décision qui ne sera pas embarrassante pour vous? Éclairez‑moi un peu, s'il vous plaît.
Concrètement, c'est exactement ce que j'ai dit dans ma première réponse. C'est incroyablement précis: la procédure appliquée, le traitement, tout ce qu'on offre d'autre. Ça peut être aussi simple que la prise d'antibiotiques contre une infection, par opposition au consentement à une opération chirurgicale. Il s'agit vraiment de déterminer si la personne comprend ce qu'on lui offre. Comprend-elle les risques et les avantages? Les solutions de rechange?
Parfois, c'est évident, comme, par exemple, un enfant de six ans qui se présenterait dans mon cabinet pour demander, sans manifester une bonne compréhension des enjeux, l'amputation d'une jambe ou quelque chose d'aussi ridicule. Pour un mineur mature qui consulte pour une maladie très grave, il faut s'assurer complètement de sa capacité de compréhension.
Pendant mes nombreuses années de pratique, j'ai eu la chance d'observer le développement de beaucoup d'enfants. Il y a cinq ans, je ne crois pas qu'un d'eux serait venu me demander, dans mon cabinet, tel ou tel traitement en comprenant vraiment ce dont il s'agissait. Mais, aujourd'hui, ça se peut.
Vous nous avez rappelé ce que, en bioéthique, on appelle le « facteur répugnance », c'est‑à‑dire une réaction émotive intuitive à quelque chose dont on reconnaît comme évidentes les caractéristiques dommageables et funestes. On sous-entend ainsi que la répugnance équivaut à la sagesse ou à un jugement moral.
Tout au long de l'histoire, ce facteur a servi à justifier l'antisémitisme, le racisme, l'homophobie, les pratiques sexuelles alternatives, le mariage homosexuel, etc. M. Trump l'a glorifié par une sorte de devise qui justifie ses décisions: « Mes tripes ne se trompent jamais ». Vous nous avez prévenus contre cette erreur de la pensée.
Croyez-vous que ce facteur et son homologue, la panique morale, caractérisent certaines discussions très émotives qui portent sur l'aide médicale à mourir?
Difficile d'y répondre. D'une part, nos discussions doivent rester rationnelles avec tous, être toujours fondées sur des données probantes et accueillir tous les points de vue sur une telle question, ce qui, pour la société, revêt une importance réelle. Je renvoie ici aux recherches de la Dre Macdonald sur la recherche des causes profondes de sa propre opinion sur une question. C'est une démarche capitale. Dans le même temps, il vaut la peine de s'interroger sur ses répugnances, sur les causes de ses réactions viscérales.
Les personnes qui préconisent de fermer l'accès à l'aide médicale à mourir à certaines populations ou dans certaines circonstances insistent souvent sur la nécessité de meilleurs services. C'est toujours vrai. Dans la mesure où le facteur répugnance nous incite à mieux traiter la clientèle, les patients et les membres de la société en général, j'estime que ces interrogations sont vraiment utiles.
Dans le même temps, nous devons porter le regard au‑delà, même si ça crée un vrai malaise, comme le fait pour nous cette discussion.
D'après votre expérience clinique, quelle proportion de morts ayant bénéficié d'une aide médicale ont été ce que les médecins — j'en suis un, également — qualifieraient de belles, c'est à dire paisibles, entourées de la compassion des siens, qui terminent la vie sur une note généralement positive? Quelle proportion se rangerait dans cette catégorie?
Je remercie les témoins pour leurs idées et leurs points de vue.
Je me focalise sur vous, docteure Macdonald, parce que j'estime que les discussions doivent privilégier les données plutôt que les émotions et les postures idéologiques.
Docteure, vous avez déploré la pénurie de données empiriques qui feraient avancer les discussions. Vous avez dit que nous devions accepter le principe du droit des jeunes à l'égalité et de leur droit de participer aux décisions concernant leur vie. Mais vous voudriez mener une étude nationale au cours des trois prochaines années.
Votre réponse me permet-elle de supposer que vous estimez que les pays qui, jusqu'ici, ont autorisé l'aide médicale à mourir pour les mineurs matures n'ont pas assez de données pour justifier leur position?
Pour répondre à la dernière partie de votre question, sur les autres pays, nous ne possédons pas d'eux de données tout à fait applicables à un contexte canadien. Le Canada possède beaucoup de caractéristiques à lui, qui exigent des données proprement canadiennes. On pense évidemment à celles qui proviendraient des communautés autochtones.
J'ajouterais qu'il n'y a pas tellement de données à l'étranger. Je ne crois pas que nous disposions d'une banque de données que nous pourrions consulter pour faire une analyse responsable.
Oui. Nous avons particulièrement soigné la conception scientifique de l'étude. Comme je l'ai dit, nous commençons avec un point zéro qui ne repose que sur très peu de données. Alors toutes les données que nous recueillerons seront utiles.
Nous avons essayé de concevoir une étude robuste, réalisable en trois ans, qui nous procurerait beaucoup de renseignements sur les provinces et les territoires et sur différentes populations.
Docteure, comme vous dites, il manque tellement de données, particulièrement de données propres au Canada, lesquelles sont très importantes.
Croyez-vous que ces données essentielles auront de l'importance pour le législateur, particulièrement alors que nous envisageons d'élargir l'aide médicale à mourir aux personnes mineures. À quel point ces données nous seront-elles indispensables?
D'après mon opinion professionnelle, il est tellement indispensable de connaître l'opinion des jeunes, leurs expériences, pendant les discussions. C'est absolument essentiel.
Par jeunes, j'entends des personnes intégrées dans les communautés et les familles. Dans notre plan d'études, nous avons l'intention de considérer ces personnes comme intégrées, ce qui nous fait avoir des discussions avec les soignants, les parents, les fournisseurs de soins, pour connaître tout le contexte. Je pense que, à partir de maintenant, ces données sont vraiment importantes.
Oui, je suis absolument d'accord. Étant mère, je pense qu'il importerait beaucoup de connaître la réaction des parents et de ces personnes.
Madame Sheehy, vous avez dit craindre qu'on abuse de l'aide médicale à mourir pour les mineurs matures, chez certaines populations marginalisées. Pourriez-vous un dire davantage là‑dessus?
J'ajouterais simplement que nous savons que la prévalence des problèmes de santé mentale est extrêmement élevée chez les enfants handicapés, ainsi que chez les enfants des Premières Nations vivant hors réserve. Nous savons que ces populations seront les plus touchées, de même que les enfants vivant sous le seuil de la pauvreté et ceux qui sont isolés. Ce sont ces enfants qui seront les plus susceptibles d'essayer d'accéder à l'aide médicale à mourir, et je suis profondément inquiète des répercussions discriminatoires de ce changement.
Par ailleurs, l'offre très limitée de soins palliatifs au Canada, surtout dans les régions rurales, est aussi un facteur. Nous savons que seulement 15 à 30 % de la population canadienne a accès aux soins palliatifs. Les soins palliatifs sont tellement plus importants, mais malheureusement, je pense qu'il est plus simple et moins coûteux d'avoir recours à l'aide médicale à mourir que d'investir les ressources nécessaires pour faire en sorte que tous les Canadiens et Canadiennes en fin de vie aient accès à des soins palliatifs de qualité.
Au nom du Comité, je tiens à remercier Mme Sheehy, la Dre Macdonald et la Dre Dhara de s'être jointes à nous ce matin. Nous vous sommes très reconnaissants de vos témoignages sur ce sujet de première importance.
Sur ce, nous allons suspendre la séance le temps d'accueillir le deuxième groupe de témoins. Je vous remercie.
Chers collègues, nous allons reprendre un peu plus tôt que prévu. Nous avons besoin du temps supplémentaire.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à notre deuxième groupe de témoins.
Se joint à nous en personne la Dre Gail Beck, cheffe du personnel par intérim et directrice des services cliniques du Programme de psychiatrie pour les jeunes des Services de santé Royal Ottawa. Nous recevons aussi, par vidéoconférence, le Dr Eduard Verhagen, pédiatre et chef du département de pédiatrie de la Beatrix Children's Hospital; ainsi que M. Neil Belanger, chef de la direction de l'organisme Handicap autochtone Canada.
Merci à toutes et à tous de vous joindre à nous aujourd'hui.
Chaque témoin disposera de cinq minutes pour faire une déclaration préliminaire. Il y aura ensuite une période de questions.
Sur ce, j'invite la Dre Beck à prendre la parole pour cinq minutes.
Je suis la Dre Gail Beck, psychiatre en chef et cheffe du personnel par intérim des Services de santé Royal Ottawa, un hôpital psychiatrique d'Ottawa. J'ai siégé au comité d'experts sur l'état des connaissances sur l'aide médicale à mourir axé spécifiquement sur les mineurs matures. Ma déclaration se fonde sur le rapport produit par ce groupe.
J'aimerais attirer votre attention sur quelques éléments, notamment la capacité. Les domaines qui posent des difficultés aux cliniciens dont les patients et leurs familles envisagent l'aide médicale à mourir pour des mineurs matures comprennent le développement, tant cognitif que psychosocial. Un des éléments à retenir du mémoire que vous avez reçu, c'est que le développement des habiletés cognitives se poursuit jusqu'au milieu de la vingtaine, soit bien au‑delà de l'âge des mineurs matures. Les cliniciens doivent absolument tenir compte de ce fait. Mon hôpital est en train de remettre sur pied son comité sur l'aide médicale à mourir, et c'est un facteur dont nous tenons compte pour tous nos patients.
Pour nous, la culture est aussi un élément important. Les fournisseurs de soins qui s'occupent des jeunes doivent toujours travailler de près avec les familles. Lorsqu'un jeune est atteint d'une maladie grave, nous nous efforçons de faire preuve d'humilité à l'égard de la culture et de l'influence de sa famille, surtout lorsque la maladie est incurable et lui cause beaucoup de souffrance.
Enfin, bien que les relations familiales et autres soient très importantes pour les jeunes, nombre d'entre eux sont aussi en train d'acquérir de l'indépendance sur le plan de la prise de décisions. Rien ne pousse un jeune à devenir plus mature du jour au lendemain que la nouvelle qu'il est atteint d'une maladie chronique sérieuse et potentiellement mortelle. Lorsque nous évaluons le dossier d'un jeune, nous tâchons d'équilibrer les considérations de sa famille et sa propre indépendance en pleine évolution.
Pour conclure, je tiens à vous remercier de m'avoir donné l'occasion de m'adresser au Comité mixte sur l'aide médicale à mourir. Je répondrai à vos questions avec plaisir.
J'espère pouvoir vous transmettre quelques connaissances provenant d'un pays qui a de l'expérience dans le domaine de l'aide médicale à mourir pour les mineurs matures. Je suis professeur de soins palliatifs pédiatriques et l'un des auteurs du protocole de Groningen pour l'euthanasie des nouveau-nés.
D'abord, je trouve important de bien contextualiser la situation aux Pays-Bas. Nous avons une loi sur l'euthanasie à partir de 12 ans, en vertu de laquelle les personnes de 12 ans et plus peuvent demander l'euthanasie. Le consentement des parents est requis pour les jeunes de moins de 16 ans, mais s'il y a désaccord entre les parents et l'enfant, c'est la volonté de l'enfant qui l'emporte. C'est inscrit dans la loi.
À ce jour, sept demandes d'euthanasie pour des mineurs ont été approuvées. La majorité des jeunes — six sur sept — étaient âgés de 17 ans; l'autre avait 16 ans. Tous étaient atteints d'un cancer incurable en phase terminale leur causant des souffrances intolérables. Il s'agit d'un des critères à remplir pour être admissible à l'euthanasie.
La situation est peu fréquente. Notre population compte 17 millions d'habitants, et si je ne m'abuse, seulement 7 cas sont survenus en 15 ans. Tous les cas ont été examinés et publiés, et sont accessibles à tous.
L'euthanasie néonatale constitue un jalon digne d'intérêt. Les Pays-Bas ont adopté un règlement en vertu duquel les parents de nouveau‑nés de 12 mois ou moins peuvent demander l'euthanasie en présence de souffrances intolérables. Les deux parents doivent être d'accord, et il y a d'autres critères à remplir. Chaque cas doit être rapporté et examiné. Depuis que ce règlement a été adopté il y a environ 15 ans, il y a eu 3 cas d'euthanasie néonatale. Chacun a été rapporté et a fait l'objet d'un examen rigoureux. C'est très rare, mais c'est légal; la possibilité existe.
Le jalon le plus récent est une étude portant sur le décès des enfants âgés de 1 à 12 ans. Nous avons terminé cette étude qualitative de quatre ans il y a seulement deux ans. Des parents ont rapporté que leurs enfants étaient décédés dans de terribles circonstances. Certains étaient atteints de tumeurs au cerveau; d'autres souffraient d'autres maladies. Ces parents ont tous demandé d'avoir la possibilité d'accéder à l'euthanasie, comme dans le cas des nouveau-nés. Leur demande a été transmise au ministre de la Santé, qui a décidé de mettre en place un règlement visant à élargir le protocole de Groningen afin d'inclure les enfants âgés de 1 à 12 ans, qui n'ont pas le droit de demander l'euthanasie en vertu de la loi actuelle.
Ce règlement est en cours d'élaboration. Il est entre les mains du ministère de la Santé, qui en présentera la dernière version à la fin de l'année. Personnellement, je m'attends à ce que les Pays-Bas autorisent l'euthanasie pour les mineurs âgés de 1 à 12 ans en 2023. Cela étant dit, je suis convaincu que le nombre de cas sera aussi faible, voire encore plus faible, que chez les nouveau-nés. Toutefois, l'aspect le plus important du règlement, c'est qu'il transforme la manière dont nous parlons aux parents. Nous pouvons leur présenter toutes les options et en discuter avec eux. Si la souffrance de leur enfant devient intolérable, ils ont la possibilité de demander l'euthanasie.
(0945)
Les faits montrent que les cas sont très peu fréquents, tant chez les enfants de plus de 12 ans que chez les nouveau-nés; 3 cas en 15 ans, ce n'est pas beaucoup. Oui, nous sommes en voie de rendre légal le fait de mettre délibérément fin à la vie d'un mineur, mais la plus grande force de la réglementation, c'est qu'elle permet d'avoir une discussion nécessaire qu'on ne peut avoir aujourd'hui sur la qualité de la vie et la qualité de la mort.
Je m'appelle Neil Belanger et je suis membre du clan Lax Seel, qui appartient à la maison de Nika'teen, de la nation Gitxsan. Je suis aussi chef de la direction chez Handicap autochtone Canada. Depuis 30 ans, j'occupe divers postes dans les milieux de la santé et des personnes handicapées.
Avant de continuer, j'aimerais prendre le temps de reconnaître les territoires traditionnels et les peuples des nations Songhees et Esquimalt. Je vis et je travaille sur leurs territoires, et c'est depuis leurs territoires que je m'adresse à vous aujourd'hui.
En ce mois de novembre 2022, nous fêtons le huitième anniversaire du mois de la sensibilisation à la réalité des Autochtones vivant avec un handicap, une initiative qui a été lancée dans le but de célébrer les Autochtones handicapés et leur apport précieux à l'ensemble de nos communautés. C'est ironique qu'en ce jour où les Autochtones vivant avec un handicap sont salués d'un océan à l'autre, nous soyons réunis pour parler de rendre les enfants autochtones admissibles à la mort assistée par l'État dans le cadre du régime de l'aide médicale à mourir.
En 2021, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA, a reçu la sanction royale au Canada. En vertu de cette déclaration, les États membres doivent se concerter et coopérer avec les peuples autochtones sur certaines questions, comme les mesures législatives ou administratives susceptibles de les concerner, et ce, afin d'obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.
Les rapports soumis par les comités d'experts sur l'aide médicale à mourir pour les mineurs matures et pour cause de maladie mentale montrent que les peuples autochtones n'ont toujours pas été consultés ou invités à participer aux discussions sur l'aide médicale à mourir. Malgré ce fait; malgré aussi les nombreux témoignages contre l'élargissement de l'accès à l'aide médicale à mourir qui ont été présentés durant des séances précédentes par des représentants des communautés autochtones et des personnes handicapées; et malgré les innombrables nouvelles et histoires parues dans les médias traditionnels et sociaux — aux échelles nationale et internationale — et exprimant de profondes inquiétudes par rapport à l'état actuel de l'aide médicale à mourir, l'aide médicale à mourir continue à nous entraîner librement sur une pente dangereuse.
Force est de se demander comment le Canada, votre comité ou quiconque peut présumer qu'il détient le pouvoir de formuler des recommandations ou de prendre des mesures pour élargir l'accès à la mort et au suicide assistés par l'État pour les enfants autochtones, les Autochtones handicapés et les Autochtones dont un trouble mental est le seul problème médical invoqué, sans consulter d'abord les personnes ciblées par les changements. C'est difficile à comprendre, surtout puisque le Canada a exempté les communautés des Premières Nations de la Loi canadienne sur l'accessibilité jusqu'en 2026 parce que ces communautés n'ont pas été suffisamment consultées. L'exemption doit permettre de mieux comprendre les obstacles à l'accessibilité que doivent surmonter les Autochtones en situation de handicap. Le Canada va jusqu'à dire que cette exemption reflète l'engagement du gouvernement du Canada à faire avancer la réconciliation avec les peuples autochtones.
En donnant accès à l'aide médicale à mourir aux mineurs matures dont un trouble mental est le seul problème médical invoqué et en apportant d'autres changements au régime de l'aide médicale à mourir sans consulter exhaustivement les peuples autochtones du Canada, le gouvernement va à l'encontre de la réconciliation. Ce faisant, il poursuit la marginalisation des peuples autochtones, tout en maintenant les systèmes colonialistes destructifs et la mentalité paternaliste qui dit: « Faites-nous confiance; nous savons ce qui est bon pour vous. » L'absence de consultations réelles auprès des peuples autochtones du Canada devrait pousser votre comité à dire au gouvernement que dans un esprit de véritable réconciliation, par respect pour les principes de la DNUDPA et afin d'honorer et de remplir les promesses faites aux peuples autochtones du Canada, le Comité ne peut pas poursuivre son étude actuelle et il ne peut ni formuler ni appuyer de recommandations concernant l'élargissement de l'accès à l'aide médicale à mourir.
J'ignore si le Comité agira de la sorte. Toutefois, je sais que si, au lieu de fournir des soins palliatifs complets et adéquatement financés, on décide de rendre les mineurs matures en fin de vie admissibles à l'aide médicale à mourir, on finira par faire de même pour les mineurs matures qui ne sont pas en fin de vie, mais qui vivent avec un handicap ou pour lesquels seul un trouble mental est invoqué. Ce n'est pas une éventualité, c'est une certitude. C'est la pente dangereuse sur laquelle nous entraîne l'aide médicale à mourir et c'est exactement ce qui est arrivé dans l'affaire Truchon.
Des groupes et des personnes qui sont pour l'élargissement de l'accès à l'aide médicale à mourir ont recommandé que nos enfants puissent recevoir l'aide médicale à mourir dès l'âge de 12 ans; que nous puissions euthanasier nos bébés nés avec un handicap avant leur premier anniversaire; et que les personnes qui vivent avec un handicap ou pour lesquelles un trouble mental est le seul problème médical invoqué, qui ne sont pas en fin de vie et qui souffrent seulement parce qu'elles n'ont pas accès à des services — des services que notre pays choisit de ne pas fournir — soient admissibles à l'aide médicale à mourir. Le Canada a les moyens d'offrir les services nécessaires pour que les personnes vivant avec un handicap ou une maladie mentale puissent avoir une bonne qualité de vie. Il peut fournir du financement adéquat et faire en sorte que les personnes en fin de vie et leurs familles ont accès à des soins palliatifs complets.
L'aide médicale à mourir ne devrait jamais être considérée comme la solution au manque de services et de ressources. Malheureusement, c'est ce qu'elle est en train de devenir, et ce, rapidement. Il s'agit d'un échec collectif dont nous sommes tous responsables.
Je remercie les témoins d'être des nôtres ce matin.
Docteur Verhagen, j'aimerais que vous clarifiiez l'information que vous nous avez communiquée concernant le consentement des parents, car je suis un peu perdue: quand est-il nécessaire de l'obtenir?
Pourriez-vous aussi nous dire à quel moment du processus vous prenez davantage en considération l'opinion de la personne mineure quand il y a divergence d'opinions?
En vertu de la loi néerlandaise sur la santé, pour les jeunes de 12 à 16 ans, les décisions doivent être prises conjointement par les parents et l'enfant. La loi stipule également qu'en cas de désaccord entre l'enfant et les parents sur des questions liées aux soins de santé, les médecins doivent respecter la volonté de l'enfant. Ce n'est pas une opinion; c'est ce que la loi sur la santé prescrit.
Je dois aussi ajouter que, dans les faits, cela se produit très rarement, car à ma connaissance, la plupart du temps, les parents et les enfants sont du même avis et s'entendent sur les décisions, surtout dans les situations de fin de vie et de soins palliatifs. Il y a déjà eu des cas dans lesquels, par exemple, un parent refusait d'arrêter ou d'intensifier les traitements, l'enfant voulait le contraire, et l'autre parent se trouvait quelque part entre les deux. Dans de telles situations, qui surviennent de temps en temps, c'est la volonté de l'enfant qui l'emporte.
Docteur Verhagen, vous nous dites que sept personnes mineures se sont qualifiées pour recevoir l'aide médicale à mourir au cours des 15 dernières années.
Êtes-vous en mesure de nous dire combien de demandes ont été faites au total et combien d'entre elles ont été refusées?
Docteur Verhagen, je vous aurais posé une question sur la capacité décisionnelle, qui semble être un facteur déterminant pour aller de l'avant, mais mon temps de parole est écoulé. L'un de mes collègues vous posera peut-être cette même question.
Permettez-moi de me déplacer pour utiliser un micro qui fonctionne.
Monsieur Belanger, pouvez-vous penser à d'autres politiques gouvernementales fédérales qui ont des répercussions aussi considérables sur les communautés autochtones, mais pour lesquelles les communautés en question n'ont été que peu consultées?
Je ne peux pas en dresser une liste de mémoire, mais je crois que le Canada a l'habitude de mettre en œuvre des lois et des mesures législatives sans consulter adéquatement les peuples autochtones. On l'a vu par le passé, et c'est pourquoi le Canada a mis en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Ce faisant, il cherchait à compenser la situation, à faire participer les peuples autochtones et à discuter avec eux.
Souvent, les peuples et les communautés autochtones sont consultés après coup; on se dit qu'on réglera les problèmes plus tard. Ce n'est pas différent avec l'aide médicale à mourir.
Nous avons participé à des réunions au début du processus, mais très peu d'organisations autochtones étaient autour de la table. Le gouvernement s'était engagé à ce qu'il y ait une mobilisation exhaustive, mais cela ne s'est jamais concrétisé. C'est ainsi que les choses semblent fonctionner avec les peuples autochtones. Espérons que cela changera, et espérons que ces changements auront lieu avec l'aide médicale à mourir.
Est‑ce que le gouvernement fédéral devrait mener des consultations exhaustives avec les communautés autochtones sur l'élargissement de l'aide médicale à mourir avant d'envisager d'aller de l'avant à cet égard?
Comme je l'ai dit, avec la Loi canadienne sur l'accessibilité, qui se penche sur l'accessibilité aux services fédéraux au sein des Premières Nations, le Canada a exempté ces dernières jusqu'en 2026 afin de les consulter adéquatement et d'entendre leurs voix.
Les mesures sur l'aide médicale à mourir auront des répercussions considérables sur nos peuples et nos communautés. Pourquoi ne pas y accorder la même priorité? Pourquoi irait‑on de l'avant sans mener des consultations adéquates, sans leur contribution et leur compréhension? C'est insensé.
Docteure Beck, vous avez dit tantôt que le développement cognitif se poursuivait jusque dans la vingtaine. Dans le cas des personnes mineures matures qui veulent se prévaloir de l'aide médicale à mourir, comment peut-on s'assurer que leur développement cognitif est suffisant pour comprendre la nature de cette aide médicale à mourir?
Je vais lire un extrait des notes que je donne aux résidents en psychiatrie et en pédopsychiatrie sur l'enjeu de la capacité, qui n'est pas magique. Elle ne se manifeste pas à un âge ou à un autre; elle s'inscrit dans un continuum. Elle est basée sur un certain nombre de facteurs.
Lorsque nous évaluons la capacité à prendre des décisions dans un contexte décisionnel lié à un traitement médical, nous examinons tout d'abord si la jeune personne concernée comprend les informations pertinentes relatives à son état, y compris les traitements et autres mesures qui lui sont expliqués et fournis. Ensuite, nous évaluons le degré de compréhension de la situation et des circonstances. Enfin, nous examinons sa capacité à communiquer la décision.
Je vais vous donner un bref exemple. Prenons le cas d'un jeune de 10 ans, car cela correspondrait à son niveau de développement. Il s'est cassé la clavicule pour la deuxième fois. C'est assez courant. Il s'est déjà cassé la clavicule. Il s'en va aux urgences, et pendant qu'il attend, il s'assit avec une main sur son épaule. Il s'assoit ainsi parce qu'il s'est déjà cassé la clavicule et qu'il sait que cette position aide à soulager la douleur.
Le pédiatre ou le médecin arrive et demande pourquoi il est là. L'enfant répondra: « je me suis cassé la clavicule. Je me la suis déjà cassée et le médecin m'avait dit à ce moment‑là que cela pourrait se reproduire. Je sais que si je tiens ma main comme ça, je n'aurai pas aussi mal. » Ce n'est pas inhabituel. Je travaille dans une salle d'urgence pédiatrique. Le médecin dira ensuite: « tu as besoin d'une radiographie. » Cet enfant est déjà passé par là, alors il dira: « oui, j'ai besoin d'une radiographie. »
Si j'utilise cet exemple, c'est pour vous expliquer la complexité possible des conditions médicales. Lorsqu'un jeune doit encaisser quelque chose de plus compliqué, comme un problème de santé mentale ou un glioblastome, et qu'il doit prendre des décisions sur sa mort avec ses parents, la situation est nettement plus complexe pour le clinicien.
Les cliniciens spécialisés en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent sont très expérimentés en matière de capacité, alors ils...
Je suis désolé, madame Beck, mais il ne me reste que quelques secondes. Nous vous serions très reconnaissants si vous pouviez nous envoyer un complément de réponse par écrit.
Je vais maintenant m'adresser au Dr Verhagen.
[Français]
Docteur Verhagen, je vous souhaite la bienvenue au Canada, même si vous participez à la réunion de façon virtuelle.
J'aimerais connaître la situation sociale des sept personnes mineures matures qui ont fait une demande d'aide médicale à mourir.
Dans notre pays, on nous dit qu'il faut être prudent, puisque ce sont les Canadiens les plus infortunés et les plus misérables qui font une demande d'aide médicale à mourir. Pourtant, les statistiques démontrent que la plupart des gens qui ont reçu l'aide médicale à mourir et qui ne sont pas des personnes mineures matures sont issus de la classe moyenne. Ils avaient un toit sur la tête et de 85 à 87 % d'entre eux avaient déjà reçu des soins palliatifs. Cependant, ils voulaient choisir leur façon de mourir.
Il n'y a pas eu de description très détaillée de la situation sociale, mais je dirais qu'en général, ils étaient tous bien assurés et issus de familles de classe moyenne ou supérieure. Ils ont choisi la mort délibérément; ils souffraient et connaissaient leur pronostic de mort certaine. De plus, dans toutes ces situations, les deux parents approuvaient la décision. Il n'y a pas eu de conflit.
D'un point de vue médical, on comprenait et on s'entendait entièrement sur le fait que la souffrance ne pouvait pas être améliorée d'une autre manière, donc il n'y a pas eu de discussion à ce sujet.
Docteure Beck, vous avez sûrement pris connaissance du rapport du comité d'experts sur les troubles mentaux, dans lequel on indique qu'une bonne pratique médicale consiste à épuiser l'ensemble des traitements et des moyens disponibles pour obtenir une guérison, puis à établir sans l'ombre d'un doute la chronicité du trouble.
Docteur Verhagen, je vous implique ici même si vous n'êtes pas psychiatre, car cela s'applique aussi de façon plus large.
Si une personne mineure mature se retrouve dans cette situation, c'est parce qu'il n'y a plus rien à faire, ce qui est majoritairement le cas de patients du volet un, en phase terminale et qui ont déjà commencé le processus du mourir. À cet égard, il est possible que, du continuum des soins palliatifs, émerge tout à coup une demande d'aide médicale à mourir du patient.
Au Comité, si nous recommandions de limiter l'aide médicale à mourir aux personnes mineures matures du volet un, ne croyez-vous pas que nous taperions en plein dans le mille?
En ce qui concerne les mineurs matures, le groupe d'experts a entre autres soulevé la question précise des troubles mentaux. En tant que pédopsychiatre — et je pratique depuis de nombreuses années —, je ne pouvais pas dire dans le cas d'un trouble mental que tous les traitements auraient été tentés d'ici à ce qu'une personne atteigne l'âge de la majorité, notamment parce que certains traitements que nous utiliserions pour traiter certaines conditions ne seraient utilisés que sur une personne plus âgée.
Je pense que cela répond en partie à votre question, mais c'est une chose dont les gens tiennent probablement compte, selon moi. En ce qui concerne les autres maladies, c'est tout ce que je peux dire en fonction de mon champ de pratique.
D'après ce que j'ai compris, le volet un concerne les enfants ou les personnes qui sont en train de mourir d'une maladie, ce qui leur permettrait de dire oui ou non à l'aide médicale à mourir. Notre loi sur l'euthanasie exige une souffrance désespérée et insupportable, ce qui signifie qu'il n'y a pas de bonne issue possible et que le diagnostic est certain.
Les sept cas que j'ai décrits étaient tous des enfants atteints de maladies somatiques qui étaient en train de mourir, et il s'agissait d'un raccourcissement du processus de mort qu'ils avaient demandé et obtenu. Je dirais que sans une condition de volet un, il serait plus difficile d'envisager un bon règlement.
Docteur Verhagen et docteure Beck, je reviens sur la capacité décisionnelle.
Certains praticiens nous disent que, lorsqu'une personne mineure mature vit la maladie, il s'installe au sein de la famille une synergie ou une symbiose. Ainsi, lorsque la personne mineure dit vouloir l'aide médicale à mourir et veut aller au bout du processus, il est très rare que les parents s'y opposent et tentent d'imposer leur volonté, même s'ils souffrent.
En fin de compte, peut-on dire qu'il est nécessaire de consulter les parents, mais qu'il n'est pas nécessaire de rendre leur consentement obligatoire?
Non, le consentement n'est pas nécessaire, alors nous nous fions à l'enfant.
Les enfants et les parents sont souvent sur la même longueur d'onde, mais pas toujours. On entend souvent parler de conflits. Il est très important de mentionner que le médecin ne fera ce qui lui est demandé que s'il est convaincu que cela correspond à l'opinion réelle et authentique de l'enfant.
S'il a des doutes, et s'il n'est pas certain qu'il s'agit de l'opinion de l'enfant ou des parents, il n'ira pas de l'avant. Le médecin doit être absolument certain avant de procéder.
J'aimerais remercier nos témoins d'être ici aujourd'hui.
J'aimerais m'adresser à vous en premier, monsieur Belanger. J'ai pris bonne note de ce que vous avez dit sur le manque de consultation. Le bilan du gouvernement canadien et des gouvernements provinciaux est très désolant à cet égard.
Notre comité mixte spécial a été chargé de se pencher sur cinq grands thèmes. Le principe des troubles mentaux comme seules conditions sous-jacentes a déjà été adopté dans la loi précédente. Cela va entrer en vigueur en mars de l'année prochaine. Cependant, en ce qui concerne les autres thèmes — les mineurs matures, l'état des soins palliatifs, la protection des personnes handicapées et les demandes anticipées —, notre comité va non seulement faire des recommandations sur la manière dont les lois et les politiques pourraient progresser, mais aussi sur des enjeux tels que la consultation de divers groupes pour connaître les lacunes potentielles en matière de financement. Je ne veux pas présumer du type de recommandations que contiendra notre rapport, mais elles pourraient être très variées.
Vous avez donc l'occasion, monsieur, de nous faire part du type de recommandations que vous aimeriez voir dans notre rapport final sur l'engagement accru du gouvernement en matière de consultation, particulièrement en ce qui concerne les enfants autochtones vivant avec un handicap.
Très brièvement, en une minute environ, pourriez-vous nous dire quel type de recommandations fortes vous aimeriez voir dans notre rapport à ce sujet?
Je recommanderais de suspendre le processus d'élargissement de l'aide médicale à mourir. Il est illogique de recommander de consulter les peuples autochtones après coup, une fois les changements instaurés.
Nos services ont tendance à être sous-financés. Nous ne disposons pas suffisamment de services en santé mentale essentiels. Nous connaissons les effets de la pauvreté, puisque 80 % des Premières Nations du Canada vivent sous le seuil de la pauvreté.
Ce n'est pas une bonne chose que de recommander de mener des consultations après avoir changé la loi. Prenez un temps d'arrêt. Mobilisez ceux qui sont concernés par les recommandations. Obtenez leur avis, leur point de vue.
Je ne peux pas recommander d'aller de l'avant avec l'élargissement de l'aide médicale à mourir s'il n'y a pas eu consultation avec ceux auxquels la loi s'appliquera. C'est impossible.
Nous avons discuté des lois provinciales qui permettent aux enfants de moins de 18 ans de consentir à des procédures médicales si le professionnel de la santé est convaincu qu'ils ont la capacité de comprendre le traitement et ses répercussions potentielles. On parle parfois d'interventions médicales très sérieuses.
Je prends bonne note de votre remarque sur le manque de soutien. Cela est très bien documenté. Cela dit, prenons le cas d'un enfant qui aurait eu accès à tous les soutiens possibles et qui se trouve dans un état de souffrance intolérable en raison d'une maladie incurable. Quelle est la capacité de cet enfant à donner ce genre de consentement selon vous? Il s'agit déjà d'un droit établi en vertu de la loi provinciale pour les interventions médicales.
Je ne connais probablement pas autant les détails de l'Infants Act de la Colombie-Britannique que je devrais, et je peux me tromper dans mon interprétation. Je crois qu'en vertu de cette loi, les mineurs matures peuvent prendre certaines décisions dans leur intérêt primordial pour leur traitement médical. Je pense également que l'hôpital peut intervenir et contester cette décision, ou que l'équipe médicale peut contester cette décision si le mineur refuse un traitement qui est dans son intérêt, et cela continuera. Je peux me tromper. Je crois que c'est la même chose en Alberta, d'après ce que je sais.
Cela dit, ces questions sur les mineurs matures en fin de vie ne concernent que le volet un. On ne se penche jamais sur l'intersection et sur ce que cela signifie pour le volet deux. Si on adopte une loi qui permet aux mineurs matures de donner leur consentement à n'importe quel âge — et on a entendu parler d'enfants d'à peine 12 ans —, on sait qu'il y aura ensuite le volet deux pour les mineurs matures handicapés qui ne sont pas en fin de vie, ou qui souffrent d'une maladie mentale. C'est ce qui se produira. On ne peut pas discuter de l'un sans l'autre...
Je suis désolé, mais il ne me reste que 30 secondes et j'aimerais poser une brève question au Dr Verhagen.
Très brièvement, monsieur, qu'ont révélé les sondages politiques néerlandais à ce sujet? Comment la société a‑t‑elle réagi à l'application de la loi et aux changements possibles? Je veux juste comparer cela à ce qui se passe ici au Canada.
La loi existe depuis 2002, et il n'y a eu que très peu de discussions sur sa mise en œuvre. Le fait que ces cas d'euthanasie soient extrêmement rares ne nuit pas.
Malheureusement, seul un sénateur aura l'occasion de poser des questions, car le temps nous manque. Je vais arbitrairement donner la parole à la première personne sur ma liste, soit le sénateur Kutcher. Vous disposez de trois minutes.
Le sénateur Dalphond et moi en avons déjà discuté, alors je parlerai en notre nom.
Tout d'abord, j'aimerais demander au Dr Verhagen de nous envoyer l'étude de quatre ans à laquelle il a fait référence afin que nous puissions la lire.
J'ai deux questions: une pour la Dre Beck et une pour le Dr Verhagen. Je les poserai toutes les deux, puis vous pourrez y répondre.
Docteure Beck, à votre avis, des cliniciens adéquatement formés peuvent-ils effectuer l'évaluation réfléchie et examiner tous les facteurs de capacité dont vous avez parlé pour les mineurs matures en tenant compte des conditions médicales, y compris l'aide médicale à mourir potentielle?
Ma deuxième question s'adresse au Dr Verhagen. On nous a dit que le fait de permettre à des mineurs matures d'avoir recours à l'aide médicale à mourir ouvrirait les vannes, et que de nombreux jeunes mourraient en choisissant cette avenue à l'avenir. D'après votre expérience, était‑ce un sentiment commun dans votre pays avant que la loi ne soit instaurée? Y avait‑il des discussions à ce sujet? S'il existait un sentiment similaire, quel était‑il exactement?
L'évaluation de la capacité est considérée essentielle dans le champ de pratique des médecins, des psychologues cliniques et d'autres praticiens. Ils n'auraient probablement pas réussi leurs examens s'ils n'avaient pas été en mesure d'évaluer la capacité.
On s'est inquiété d'une piste glissante à deux reprises, tout d'abord lors de l'adoption de la loi sur l'euthanasie en 2002, mais cette crainte ne s'est jamais concrétisée. La demande n'a jamais augmenté.
C'est revenu dans le discours ambiant lors du débat sur l'euthanasie néonatale. Certains s'attendaient à ce que beaucoup de nouveau-nés meurent, mais cela ne s'est pas avéré. Avant que la loi ne soit instaurée, on comptait trois cas du genre par année; après l'adoption de la loi, c'est passé à trois cas en 15 ans. La crainte de la piste glissante ne s'est donc jamais concrétisée.
Sur ce, j'ai bien peur de devoir mettre fin à la période de questions avec le deuxième groupe de témoins.
Je vous remercie, docteure Beck, d'être venue comparaître devant nous ce matin. Je vous remercie de votre témoignage, docteur Verhagen. Quant à vous, monsieur Belanger, je vous remercie de votre témoignage important. Nous vous en sommes très reconnaissants. Vos témoignages nous seront utiles dans nos travaux.