Bonjour à tous et bienvenue à la réunion du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir.
Je souhaite la bienvenue aux membres du Comité, aux témoins et aux gens du public qui suivent cette réunion sur le Web. Je m’appelle Yonah Martin, et je suis coprésidente du Sénat de ce comité. Je suis accompagnée de l'honorable Marc Garneau, coprésident de la Chambre des Communes.
Aujourd’hui, nous continuons notre examen prévu par la loi des dispositions du Code criminel concernant l’aide médicale à mourir et leur application.
Il y a d'abord quelques questions administratives à régler. J’aimerais rappeler aux membres et aux témoins de mettre leur micro en sourdine en tout temps, à moins que la coprésidence ne vous nomme. Je vous rappelle que toutes les observations doivent être adressées à la coprésidence. Lorsque vous parlez, veuillez vous exprimer lentement et clairement. Les services d’interprétation offerts pour cette vidéoconférence sont les mêmes que ceux offerts pour une réunion en personne. Au bas de votre écran, vous pouvez choisir entre le parquet, l’anglais ou le français.
Enfin, j'aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins du groupe 1, qui sont ici pour discuter de la AMM lorsqu'un trouble mental est le seul problème médical invoqué.
Nous accueillons Ellen Cohen, coordinatrice nationale du Réseau national d'inclusion en santé mentale, et Dre Cornelia Wieman, médecin en chef adjointe, qui témoigneront toutes deux à titre personnel. Enfin, nous recevons Dr Guillaume Barbès-Morin, psychiatre de l'Association des médecins psychiatres du Québec.
Je remercie les témoins de se joindre à nous. Nous allons commencer par entendre les déclarations préliminaires. Chacune d'entre elles sera d'une durée de cinq minutes, et j'essaierai de les chronométrer soigneusement. Nous commencerons par entendre Mme Cohen, qui sera suivie de Dre Wieman, puis de Dr Barbès-Morin.
Madame Cohen, vous disposez de cinq minutes.
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Merci, madame la présidente.
Bonjour. J'espère que tout le monde va bien.
Je m'appelle Ellen Cohen. Je suis ici aujourd'hui en ma qualité de témoin indépendant, et je suis prête à vous faire part de mes compétences qui découlent de mes expériences professionnelles et personnelles.
Depuis plus de 30 ans, je travaille dans le secteur des consommateurs de services de santé mentale. Je suis une personne atteinte de problèmes de santé mentale et de deux maladies chroniques, et un membre d'une famille. Je tiens à ce que vous sachiez qu'il y a beaucoup de choses en jeu pour moi aujourd'hui, et je suis nerveuse. Cette question est tellement plus importante que nous tous. Les recommandations que vous formulez à l'intention du gouvernement peuvent avoir un effet bénéfique pour les personnes que je soutiens, c'est-à-dire des personnes handicapées et des personnes ayant des problèmes de santé mentale qui vivent au Canada.
Qui n'est pas touché par la maladie mentale? La maladie mentale touche tout le monde. Les personnes handicapées constituent 22 % de la population, ce qui représente 6,2 millions d'habitants du Canada. Parmi les jeunes handicapés âgés de 15 à 24 ans, 60 % affirment avoir un handicap lié à la santé mentale. Trop souvent, certains professionnels ne comprennent pas que les personnes ayant une déficience intellectuelle, physique ou sensorielle peuvent aussi avoir des problèmes de santé mentale qui ne sont pas liés à leur déficience.
Je sais que, parmi les problèmes pour lesquels l'AMM est très préoccupante pour nos communautés, on retrouve la pauvreté ainsi que le manque de sécurité alimentaire, de logements sûrs et d'accès aux soins de santé physique, aux soins de santé mentale et aux services d'aide aux toxicomanes. Il y a aussi la discrimination systémique, pour ne citer que quelques problèmes.
J'ai été invitée à participer au groupe d'experts représentant la santé mentale du point de vue des personnes handicapées, ce que j'ai fait. La communauté des personnes handicapées est diversifiée, et je sais que les consommateurs et survivants des services de santé mentale sont divisés sur la question de l'AMM. Malgré ce qu'a déclaré Dre Gupta dans son témoignage devant les membres du Comité, je me suis jointe au groupe d'experts avec un esprit ouvert. En tant que membre du groupe d'experts, j'avais la responsabilité d'exprimer mon opinion et de formuler des recommandations sur les mesures de protection à prendre lorsque la maladie mentale est le seul problème médical invoqué pour demander l'AMM.
Dès le début du processus, des difficultés sont survenues, notamment en ce qui concerne la composition du groupe d'experts. Ce groupe était composé de sept médecins, dont cinq ou six ont fourni des évaluations, d'un médecin de famille spécialisé dans les soins palliatifs qui travaille avec des personnes marginalisées, de deux médecins de la communauté autochtone, d'un éthicien psychiatrique, de deux avocats, de deux membres de la communauté de la santé mentale et de moi-même, qui suis membre de la communauté des personnes handicapées et de la communauté de la santé mentale.
Dès le début des témoignages du groupe d'experts, ceux qui étaient évaluateurs ont parlé des difficultés qu'ils rencontraient avec [difficulté technique] les patients en général. Ils ont fait part des complications et des difficultés liées à l'évaluation. Ces difficultés n'étaient pas claires pour moi, ni transparentes. Les évaluateurs ont également parlé du temps nécessaire pour chaque évaluation et d'une rémunération équitable pour le travail que l'on attend des évaluateurs de l'AMM. Aucun temps n'avait été prévu pour que des discussions constructives aient lieu au sujet de questions sérieusement compliquées liées à la prise de décision, au consentement et à la capacité, à la responsabilité, au suivi, aux privilèges et à la vulnérabilité. Ces discussions n'ont tout simplement pas eu lieu dans le contexte des personnes atteintes de troubles mentaux.
Lorsque le sujet de la maladie mentale était abordé, la discussion était interrompue ou nous passions à autre chose. Lorsque les membres du groupe d'experts faisaient des suggestions, ils étaient dissuadés d'aller de l'avant faute de temps. Lorsque j'ai formulé une suggestion, le seul autre pair du groupe d'experts m'a humiliée en déclarant que le fait de prévoir des mesures de protection particulières pour les personnes atteintes de troubles mentaux était discriminatoire.
Dans le cadre du projet de loi , je crois qu'il y a une grande différence entre les personnes qui demandent l'AMM pour des maladies incurables et invalidantes et celles qui invoquent la maladie mentale comme seul problème médical pour demander l'AMM. Je vous pose la question suivante: le problème est-il lié à un manque de ressources ou à la bureaucratie? Je crois que les conclusions du groupe d'experts étaient prévisibles. Il est apparu clairement que certains des experts du groupe étaient très peu enclins à formuler des recommandations relatives à l'ajout de garanties législatives pour tout amendement au projet de loi C-7 concernant l'invalidité liée à la santé mentale.
Après avoir lu la décision du Québec et y avoir réfléchi, il m'est apparu évident qu'il y avait trop de questions et de problèmes sans réponse dans la détermination et l'évaluation des demandes des patients de la voie 2, une voie qui sera disponible en mars 2023, sans qu'on y ajoute les demandes des personnes atteintes de maladie mentale. J'ai donc quitté le groupe d'experts.
Tout au long de ce processus, la maladie mentale invoquée comme seul problème médical pour demander l'AMM a été très peu discutée, et le processus a été précipité. La période de sept mois qui a suivi notre première réunion ne suffit pas pour décider de la vie et de la mort d'une personne. Vous n'avez pas eu assez de temps pour consulter la communauté que le projet de loi met en danger. Je tiens à souligner que ce processus parlementaire est également précipité.
Je vous remercie de m'avoir permis de vous faire part de mon histoire.
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Boozhoo, aaniin, good morning, bonjour.
[Traduction]
Je tiens à remercier les coprésidents, les vice-présidents, les membres du Comité, les sénateurs et les députés de m'avoir invitée à comparaître devant eux.
Je m'appelle Cornelia « Nel » Wieman. Je suis originaire de la Première Nation de Little Grand Rapids, qui est située dans le territoire visé par le Traité no 5, au Manitoba, et je fais partie de la nation anishinabe. Je vis, travaille et m'amuse maintenant dans les territoires traditionnels, ancestraux, non cédés et continuellement occupés des Salish du littoral, y compris les Premières Nations de Musqueam, de Squamish et de Tsleil-Waututh.
Je suis la première femme autochtone au Canada à avoir suivi une formation de psychiatre, et j'ai plus de 20 années d'expérience de la pratique clinique dans divers contextes, notamment en milieu rural, dans des réserves, en milieu urbain et dans des services de psychiatrie d'urgence de soins tertiaires. Il serait difficile de quantifier le nombre d'évaluations psychiatriques que j'ai effectuées au cours de ces plus de vingt ans, mais j'estime que ce chiffre s'élève au moins à plusieurs milliers.
J'ai récemment terminé un mandat de six ans à titre de présidente de l'Association des médecins autochtones du Canada, et j'occupe actuellement le poste de médecin en chef adjoint à l'autorité sanitaire des Premières Nations de la Colombie-Britannique. Cependant, je ne m'adresse pas à vous aujourd'hui en ma qualité de titulaire de ces postes de direction. Je vous livre mon témoignage à titre personnel, en tant que psychiatre et membre du Groupe d'experts sur l'AMM et la maladie mentale qui a déposé son rapport final en mai dernier.
Au cours de ma déclaration préliminaire, je soulignerai quelques messages clés, puis j'attendrai avec impatience la suite des discussions qui auront lieu pendant les séries de questions qui suivront. Dans la section 1.5 du rapport final du groupe d'experts, il est indiqué ce qui suit:
Les peuples autochtones du Canada ont un point de vue sur la mort qui leur est propre et qui doit être pris en compte dans le contexte de l’émergence de l’AMM, y compris l’AMM TM-SPMI. Toutefois, la mobilisation auprès des peuples autochtones du Canada concernant l’AMM n’a pas encore eu lieu.
L'audition d'autres témoins, dont moi-même, ne peut être considérée comme une consultation complète des Premières nations, des Métis ou des Inuits. Les points de vue au sujet de l'AMM figurent à divers degrés d'une échelle. J'ai entendu parler de décès attribuables à l'aide à mourir qui surviennent dans des communautés des Premières Nations et qui sont ancrés dans des cérémonies, où toute la communauté est consciente de ce qui se passe et où la personne mourante est emmenée dans l'autre monde au son du tambour. À l'autre bout de l'échelle, il y a ceux qui sont encore profondément bouleversés par leurs expériences personnelles de traumatismes historiques, intergénérationnels et contemporains. Pour eux, l'AMM équivaut essentiellement à un génocide.
Les choses deviennent encore plus compliquées lorsque nous prenons en considération l'AMM de type TM-SPMI. De fausses informations risquent d'être propagées, comme nous l'avons vu pendant la pandémie de COVID, à un tel point que certaines personnes risquent de croire que les jeunes Autochtones suicidaires pourront avoir accès à l'AMM. Nous savons tous que cela ne sera pas autorisé, mais ce sont les raisons pour lesquelles une mobilisation plus vaste est nécessaire.
Enfin, selon mon expérience en Colombie-Britannique, je tiens à souligner que les communautés des Premières Nations sont fatiguées d'être mobilisées et consultées. Les communautés ont dû faire face à tellement d'événements au cours des dernières années qu'il est décourageant de leur demander de participer à une consultation supplémentaire sur un sujet aussi délicat que l'AMM en général, et l'AMM TM-SPMI en particulier. Les communautés des Premières Nations sont plus susceptibles de vouloir discuter de la vague de suicides chez les jeunes que de l'AMM TM-SPMI, mais malgré cela, elles doivent être consultées.
Le Comité a sans doute conscient de certaines des difficultés auxquelles se heurtent de nombreux autochtones en ce qui concerne les déterminants sociaux de la santé qui les placent dans des situations de vulnérabilité, ou le Comité a sans doute entendu d'autres témoins en parler. Le fait d'être atteint d'une maladie mentale, de vivre dans un logement inadéquat ou instable, d'être sous-employé ou sans emploi et de vivre dans l'insécurité alimentaire peut contribuer à la souffrance physique et mentale, et les évaluations de l'AMM TM-SPMI devront tenter de distinguer ce type de souffrance de celle liée à un trouble mental incurable et irréversible. Comment soulager la souffrance, surtout dans les régions rurales et éloignées où les programmes et les ressources en matière de santé et de services sociaux sont déjà rares et inadéquats?
Certaines de ces questions sont résumées dans une déclaration tirée du rapport final du groupe d'experts: Some of these issues are summarized in a statement from the expert panel's final report:
Suite à la création de lois favorisant l’accès à l’AMM, des préoccupations ont été soulevées par les dirigeants et les collectivités autochtones, qui estiment qu’il est plus facile pour leurs membres d’accéder à un moyen de mourir que d’accéder aux ressources dont ils ont besoin pour bien vivre.
Dans le rapport provisoire du comité mixte spécial de juin 2022, je note une certaine discussion sur la question de l'accès aux services de santé, par rapport au fait que tous les Canadiens, y compris les populations autochtones du Canada, devraient avoir un accès équitable à la fois aux évaluations de l'AMM, si elles sont demandées, et aux services et programmes de soins de santé dont ils peuvent avoir besoin pour prévenir des souffrances irrémédiables. Cependant, nous devons élargir notre compréhension du terme « accès » afin qu'il ne se limite pas à la disponibilité d'une équipe de professionnels de la santé ou de services permettant de fournir des soins dans un délai raisonnable. Les soins et l'attention médicale peuvent être entravés par des personnes qui choisissent de ne pas utiliser les services en raison, dans le cas présent, d'un racisme envers les Autochtones ou d'un traitement discriminatoire. Les Autochtones décident de ne pas se prévaloir des services de santé par crainte de la façon dont ils seront traités. Il sera impératif que la sécurité culturelle soit assurée dans les soins cliniques liés à l'AMM et à l'AMM TM-SPMI. Il s'agit notamment d'avoir accès à la fois à la médecine occidentale et aux soins et services de soutien traditionnels.
Je vous remercie encore une fois de m'avoir donné l'occasion de participer à la séance d'aujourd'hui. Je me réjouis à l'avance de nos discussions à venir, et je vous encourage à continuer de rechercher les points de vue des membres et des organisations des Premières nations, des Métis et des Inuits, dans le cadre des travaux du Comité.
Merci. Meegwetch.
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Bonjour, membres du Comité.
Je pense qu'il est approprié que je m'adresse à vous en français.
Je m'appelle Guillaume Barbès‑Morin et je suis médecin psychiatre. Je comparais devant vous aujourd'hui en tant que représentant du comité consultatif sur l'aide médicale à mourir de l'Association des médecins psychiatres du Québec. Je travaille depuis 16 ans comme psychiatre généraliste dans une petite communauté du Nord‑Ouest du Québec située près de la frontière de l'Ontario, qui s'appelle Rouyn‑Noranda. C'est une petite communauté de 45 000 personnes, éloignée de Montréal, de Toronto et d'Ottawa.
Je travaille auprès d'une clientèle générale composée tant d'adolescents que de personnes en fin de vie, dans différents milieux cliniques tels que les salles d'urgence, les hôpitaux et les bureaux de consultations externes. J'évalue, à la demande de leur médecin traitant, des gens qui ont des problèmes simples, mais aussi des gens qui éprouvent des problèmes extrêmement graves et ont besoin de soutien, de suivi médical et de soins durant toute leur vie.
On me demande aussi parfois d'agir comme consultant dans des situations où des personnes demandent l'aide médicale à mourir et qu'on cherche à déterminer si leur état mental interfère avec leur aptitude à prendre des décisions. C'est une clientèle que je connais aussi.
J'aimerais vous présenter la position du comité consultatif sur l'aide médicale à mourir de notre association.
Premièrement, il est fondamental pour nous que tous les intervenants comprennent bien que notre rôle ne consiste pas à faire la promotion de l'aide médicale à mourir en général ou lorsqu'un problème de santé mentale est le seul problème médical invoqué. À vrai dire, nous insistons sur le fait qu'aucune justification clinique ne permet de refuser systématiquement toutes les demandes de personnes dont un problème de santé mentale est le seul problème médical invoqué pour obtenir l'aide médicale à mourir. À notre avis, les personnes qui éprouvent de tels problèmes méritent que leur souffrance soit entendue et évaluée, même dans le contexte de l'aide médicale à mourir. Par contre, nous sommes très sensibles au fait que cela doit être fait adéquatement, comme en témoignent tous les travaux du comité.
Pour nous, il est aussi fondamental de bien faire comprendre que l'aide médicale à mourir ne doit jamais être vue comme une solution de rechange à des services en santé mentale accessibles et adéquats.
Par contre, je voudrais mentionner un élément important. À notre avis, la complexité inhérente à de tels problèmes n'est pas nouvelle. Elle est déjà bien connue des médecins qui évaluent des situations d'aide médicale à mourir actuellement. Ce sont des situations dans lesquelles il y a souvent des personnes qui sont déjà très vulnérables sur le plan social et sur d'autres plans. La vulnérabilité des personnes qui éprouvent des problèmes de santé mentale n'est pas quelque chose de nouveau. Des mécanismes existent déjà pour prendre cela en considération et les cliniciens s'entourent déjà d'équipes multidisciplinaires pour essayer d'évaluer le mieux possible l'ensemble des facteurs pertinents.
Il est aussi très important pour notre comité de bien faire comprendre que les problèmes de santé mentale qui seront ciblés par les demandes d'aide médicale à mourir sont en fait des problèmes de maladies mentales très graves. Pour nous, il est important de bien distinguer la souffrance psychologique et mentale, très présente partout dans notre société, de la maladie mentale grave. Cette dernière est une chose très particulière et heureusement très rare. À notre avis, il est important de bien faire la part des choses dans tout cela.
J'ai fait l'exercice d'essayer de déterminer dans quelle proportion mes patients, au cours de ma pratique personnelle, auraient pu être admissibles à l'aide médicale à mourir conformément aux critères reconnus. Or, parmi les centaines de patients que j'ai évalués durant mes 16 années de pratique, je dirais que seulement trois ou quatre auraient pu y être admissibles. On parle ici de personnes qui souffraient de problèmes extrêmement graves et qui ne pouvaient malheureusement pas être soulagées par l'ensemble des traitements que nous avions à leur offrir et auxquels ils avaient eu accès. Je rappelle qu'il est question ici de cas très graves, qui sont heureusement très rares.
Voilà ce que je voulais faire valoir. Cela me fera plaisir de répondre à vos questions.
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Non, ce n'est pas du tout le cas.
Dès ma première conversation avec Abby Hoffman et Karen Kusch, j'ai dit que j'avais un malaise par rapport à cela; cependant, dans mon milieu, celui de la santé mentale, dans le mouvement des consommateurs, l'opinion est très divisée à ce sujet. J'ai des amis et des proches qui croient fermement que l'aide médicale à mourir devrait être autorisée pour les personnes qui y sont préparées et qui sont prêtes à la demander.
Je n'ai jamais dit que j'étais contre l'aide médicale à mourir pour les personnes atteintes d'une maladie mentale; cela dit, les personnes vulnérables, la majorité des personnes atteintes d'une maladie mentale, vivent dans la pauvreté. Ce sont avant tout des gens de la classe moyenne supérieure et les mieux nantis qui pourraient demander l'aide médicale à mourir pour cause de maladie mentale.
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Merci, madame la présidente.
Madame Cohen, vous avez dit d'entrée de jeu que le fait de témoigner aujourd'hui vous rendait très nerveuse. Je peux vous assurer que tous les gens ici, autour de la table, sont assez nerveux à l'idée d'aborder ce sujet délicat devant des témoins qui ont autant d'expérience. Je félicite donc tous les témoins d'être ici aujourd'hui.
Ma première question s'adresse à la Dre Wieman.
[Traduction]
Docteure Wieman, pouvez-vous nous parler de l'expérience de l'Autorité sanitaire des Premières Nations de la Colombie-Britannique en ce qui concerne l'AMM? Pouvez-vous nous parler des pratiques exemplaires ou des lignes directrices que l'Autorité sanitaire des Premières Nations a adoptées en la matière?
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Je devrais probablement préciser que l'Autorité sanitaire des Premières Nations n'est souvent pas un fournisseur direct de services médicaux; cependant, nous travaillons en partenariat avec nos autorités sanitaires régionales.
Nous avons récemment formé un comité directeur interne pour examiner et surveiller comment sont menées les évaluations pour l'AMM et comment l'AMM elle-même est administrée dans notre province, bien que ce travail n'en soit qu'à ses débuts. Nous avons quelques infirmières cliniciennes spécialisées qui travaillent pour nous, au bureau de l'infirmière en chef, et elles assurent la liaison avec les fournisseurs de services d'AMM aux Autochtones de la Colombie-Britannique. C'est là, par exemple, que j'ai entendu parler de plusieurs membres des Premières Nations de la Colombie-Britannique qui ont eu accès à l'AMM et qui répondaient aux critères d'admissibilité. Des mesures de protection étaient en place, et ils ont reçu l'aide médicale à mourir.
Il s'agit là d'exemples positifs, mais comme je l'ai mentionné, il faut bien sûr aussi tenir compte de l'hésitation d'autres personnes, qui ne connaissent peut-être pas les services d'aide médicale à mourir en général, surtout lorsqu'un trouble de la santé mentale est le seul problème de santé sous-jacent à la demande d'aide médicale à mourir. Le travail se poursuit à ce chapitre.
Je dirais cependant, d'après mon expérience au sein du groupe d'experts, que l'une de mes collègues, également médecin autochtone, la Dre Sara Goulet, évaluatrice et fournisseuse de services d'AMM, a décrit une équipe formidable — et je ne peux pas trouver de meilleur mot pour la qualifier que « multidisciplinaire » — qui ne se contente pas d'évaluer les demandes d'AMM dans les grands centres urbains, mais se rend jusque dans les endroits éloignés pour effectuer des évaluations et fournir des services d'AMM.
Ma prochaine question s'adresse au Dr Barbès‑Morin.
L'alinéa 241.2(1)c) du Code criminel stipule que, pour être admissible à l'aide médicale à mourir, une personne doit être « affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables ». Cela signifie que la personne a « des souffrances physiques ou psychologiques persistantes qui lui sont intolérables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge acceptables », comme le Code le précise plus loin.
Existe-t-il des traitements pour certaines maladies ou certains troubles mentaux qui peuvent être considérés comme inacceptables par le patient, mais qui pourraient alléger des souffrances intolérables?
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C'est une excellente question. C'est un des éléments que nous avons tenté de clarifier dans notre document.
Il y a effectivement certains types de traitements en psychiatrie qui sont extrêmement invasifs. Je vais donner l'exemple de l'implantation d'un stimulateur du nerf vague. Il s'agit d'un dispositif qui est implanté dans le cerveau. Certaines personnes pourraient décider qu'il s'agit d'un traitement trop invasif pour elles. Il faudrait clarifier cela.
Il existe un ensemble assez vaste de traitements auxquels nous avons accès en psychiatrie au Canada. Je dirais qu'en général, les gens vont hésiter lorsqu'il y a une mauvaise compréhension ou une mauvaise information. Prenons l'exemple des électrochocs, soit la sismothérapie, un traitement qui est extrêmement efficace contre la dépression majeure et qui est utilisé régulièrement. Or, c'est un traitement qui est immensément stigmatisé sur le plan social. Souvent, les gens vont le refuser lorsqu'ils sont mal informés. Personnellement, c'est un traitement que je donne à certains patients. Lorsqu'on prend le temps de s'assoir avec les gens et de leur expliquer adéquatement l'utilité du traitement, ils le comprennent bien, en général.
Il peut arriver que des traitements comme ceux-là soient refusés par une personne parce qu'elle les juge inacceptables. En général, cependant, il est possible de bien accompagner les gens, de très bien illustrer les bénéfices que ces traitements peuvent procurer et de leur expliquer à quel point ces traitements sont faciles à tolérer, comparativement à tous les traitements disponibles en médecine physique, qui sont souvent très invasifs aussi.
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Merci, madame la présidente.
Je commencerais par Mme Cohen.
Bonjour, madame Cohen. Je vous souhaite la bienvenue au Comité.
Je suis un peu perplexe. Je comprends que vous avez quitté le Groupe d’experts sur l’aide médicale à mourir et la maladie mentale. Or, vous avez sûrement lu son rapport final.
À la page 10, il est question de l'établissement de la capacité à consentir à des soins: « En fait, lorsque l'évaluation est si difficile ou incertaine que les cliniciens impliqués ne peuvent pas établir qu'une personne possède les aptitudes nécessaires pour consentir de manière éclairée, l'intervention n'est pas fournie. »
Plus loin, à la page 11, le rapport parle de situations de crise où la personne a des tendances suicidaires: « Dans toute situation où les tendances suicidaires constituent une préoccupation, le clinicien doit adopter trois perspectives complémentaires [...] » Premièrement, il faut « tenir compte de la capacité de la personne à donner son consentement éclairé ou à refuser les soins ». Deuxièmement, il faut « déterminer si des interventions de prévention du suicide — y compris involontaires — doivent être déclenchées ». Ici, on est loin de l'aide médicale à mourir. Troisièmement, il faut « proposer d'autres types d'interventions qui pourraient aider la personne ».
Quand on lit ce rapport, on comprend très bien que toute personne qui a des troubles mentaux ou des troubles de la personnalité, qui est suicidaire, qui est dans la vingtaine, par exemple, devrait attendre plusieurs décennies avant de, peut-être, avoir accès à l'aide médicale à mourir un jour, après avoir essayé toute la panoplie de thérapies possibles. En effet, cela prendrait une évaluation à ce moment pour déterminer si elle pourrait y avoir accès.
Que pensez-vous de cette partie du rapport? Êtes-vous pour ou contre ce qui y est exprimé?
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Je vous répondrais que c'est la même préoccupation en médecine physique. Des médecins traitant toutes sortes d'atteintes neurologiques et différents troubles peuvent avoir cette perception. Je ne voudrais pas juger de leur niveau de paternalisme.
Selon mon expérience clinique personnelle, je peux vous dire qu'il y a des situations où des gens ayant eu accès de façon appropriée et soutenue à une panoplie de traitements incroyables continuent malheureusement de percevoir leur souffrance comme étant intolérable.
Je suis d'avis qu'il faut reconnaître l'autonomie de ces gens et leur capacité de juger de leur situation. Bien sûr, je ne parle pas des cas où on est en présence d'idées suicidaires. Toutefois, de façon générale, les gens souffrants sont capables d'apprécier leur souffrance et de décider ce qu'ils veulent pour leur vie. Il faut les écouter.
Ce n'est pas propre à la maladie mentale; c'est la même chose en médecine physique.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie nos témoins de contribuer à guider le Comité sur ce sujet très sérieux. C'est un sujet qui, je le sais, retient l'attention de nombreux Canadiens.
Madame Cohen, je m'adresserai d'abord à vous. Je comprends que vous soyez nerveuse de comparaître devant un comité parlementaire, mais je peux vous assurer que tous les députés autour de cette table vous sont reconnaissants de votre présence parmi nous. Nous souhaitons rendre cette séance aussi agréable que possible pour vous.
Lorsque vous avez parlé dans votre déclaration préliminaire du caractère précipité du processus, je peux comprendre les craintes que vous avez à cet égard. Ce comité mixte existait à la législature précédente, mais il a dû être reconstitué à la 44e législature. Nous ne nous sommes vraiment mis au travail qu'en avril. Nous avons moins d'un an pour faire notre travail, jusqu'en mars de l'année prochaine, moment où la loi sera modifiée et à partir duquel il sera permis, selon le Code criminel, d'autoriser l'AMM lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué.
Vous avez indiqué très clairement que vous n'étiez pas contre l'aide médicale à mourir, mais que vous déploriez vivement qu'il n'y ait pas eu de discussions approfondies sur l'aptitude, les vulnérabilités et des mesures de protection particulières. Par conséquent, étant donné que notre comité est chargé de rédiger un rapport contenant des recommandations à l'intention du gouvernement fédéral, avez-vous des observations particulières à faire sur... Devrions-nous recommander de repousser l'échéance de mars? Quelles mesures supplémentaires aimeriez-vous voir le gouvernement fédéral prendre pour répondre aux préoccupations que vous avez si clairement exposées dans votre témoignage?
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Premièrement, j'aimerais que le gouvernement repousse la date limite parce qu'elle n'est pas réaliste. J'ai accepté de me joindre au groupe d'experts en juin, et nous n'avons pas tenu notre première réunion avant la fin août, donc tout s'est fait très vite. Je comprends que votre comité est également pressé dans ce processus. Je ne vois pas trop où est l'urgence.
Je sais que nous avons fait de nombreuses recommandations. La Dre Wieman a fait état de l'expérience de la Dre Goulet au Manitoba en tant qu'évaluatrice des demandes d'AMM. Nous avons parlé des équipes. Elle a dit avoir une excellente équipe. Je pense qu'il faut prendre le temps de réfléchir à la façon dont les gens...
C'est difficile pour les médecins aussi, d'après ce que je comprends. Je l'ai bien compris quand je faisais partie du groupe d'experts. Je comprends les difficultés, mais je pense que si le gouvernement veut aller de l'avant, il doit aider le milieu médical à mettre au point des processus collectivement. Il doit y avoir une norme nationale pour éviter que les choses ne dérapent.
Il y a déjà dérapage dans les lois sur la santé mentale. Chaque province a ses propres règles. J'ai constaté, pendant l'étude du projet de loi , que chaque province surveillait la situation différemment et que certaines provinces avaient des catégories « inconnues ». Beaucoup trop de gens mouraient de maladies inconnues...
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Je pense que vous soulevez d'excellents arguments, mais mon temps est limité, et je veux poser une question à la Dre Wieman.
Docteure Wieman, je vous remercie de votre présence à notre comité. Je suis moi aussi originaire de la Colombie-Britannique. Ma circonscription, Cowichan-Malahat-Langford, compte une population autochtone très importante. Je comprends très bien le traumatisme intergénérationnel qui existe dans les communautés autochtones de ma circonscription.
Vous avez très clairement mentionné qu'il faut mener des consultations plus vastes. Encore une fois, compte tenu de l'échéance de mars qui approche à grands pas, à quoi ressembleraient, selon vous, des consultations adéquates? Quelles mesures concrètes le gouvernement fédéral devrait‑il prendre dans le cadre de ce processus?
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Cela dépend de la région dont on parle. La question de savoir s'il y a assez de psychiatres ou non ne cesse de se poser puisque des gens arrivent et repartent. Je suis persuadé que c'est la même chose partout au Canada.
À mon sens, l'accès aux services et aux soins est un dossier extrêmement important, qui ne doit pas être réglé au détriment de l'aide médicale à mourir. L'accès aux services et aux soins doit être considéré comme prioritaire par l'ensemble des systèmes de santé au Canada. Il faut s'assurer que les gens qui ont des besoins ont accès à des services. C'est vrai dans toutes les régions. Pour parler de ce que je connais, je dirais que, dans certains secteurs de Montréal, cet accès est difficile actuellement.
Les gens auxquels s'adresse l'aide médicale à mourir ont, en général, des troubles très graves et chroniques depuis longtemps. Ils ont souvent eu accès dans leur vie à beaucoup de services de qualité. Il faut que ce soit maintenu. Il faut que les gens ayant une maladie mentale grave continuent d'avoir accès à des services de qualité tout au long de leur parcours, de façon à être soulagés le plus rapidement et le mieux possible.
Même s'il y est relié, ce dossier est différent, transcende l'aide médicale à mourir, à mon avis, et demeure fondamental.
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Je vous remercie de ces questions. Je vais essayer d'être brève.
Par exemple, quand des membres des Premières Nations ont recours à l'aide médicale à mourir, c'est à eux de décider comment ils veulent que les choses se passent. Pour certaines personnes, cela peut inclure des rituels culturels et une cérémonie. Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, j'ai entendu parler de cas où l'AMM a été administrée à des membres des Premières Nations, en Colombie-Britannique, et où la personne souhaitait qu'il y ait des éléments cérémoniels. En fait, les gens de la communauté étaient au courant, étant donné que beaucoup de nos communautés en Colombie-Britannique sont assez petites, que cela se passait ce jour‑là. C'est un exemple que j'ai donné et qui donne une idée de ce à quoi peut ressembler l'aide médicale à mourir pour une personne membre d'une Première Nation.
En outre, pour répondre à la deuxième question, j'ai passé la majeure partie de ma carrière à travailler avec des patients autochtones, comme je l'ai mentionné, dans divers milieux. La première chose que j'essaie de faire lorsque je rencontre des patients, c'est de leur demander d'où ils viennent. Je pense que cela fait partie de la prestation de soins respectueux de la culture. Bien sûr, j'entends les craintes des gens qui ont peur de ne pas être jugés admissibles à une évaluation ou à des services d'AMM. J'écoute leurs préoccupations, parce qu'elles sont légitimes. Elles viennent de leur point de vue. Ensuite, je serai évidemment en mesure de prendre le temps de temps d'essayer de leur fournir l'information juste ou de corriger leurs perceptions erronées: l'aide médicale à mourir, en particulier pour les personnes souffrant de troubles mentaux, n'est pas une forme de génocide.
Il y a des gens qui souffrent réellement et dont les problèmes, comme l'a mentionné le Dr Barbès-Morin... Nous avons tous deux, je pense, des expériences comparables. Quand je repense à mes dizaines d'années d'expérience de travail en psychiatrie, il y a très peu de personnes, probablement moins de 10, qui, d'après mes connaissances, me sembleraient admissibles à l'aide médicale à mourir dans la catégorie TM‑SPMI.
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Les rapports des autorités aux Pays‑Bas et en Belgique indiquent que l'aide médicale à mourir n'est accordée tout au plus que dans 1 % des cas de troubles mentaux.
Vous évaluez que trois ou quatre des patients que vous avez traités durant vos 16 années de pratique auraient pu être admissibles à l'aide médicale à mourir, selon les critères actuels du Code criminel.
Cependant, d'autres personnes qui ont témoigné devant notre comité ont dit qu'elles avaient des inquiétudes à cet égard. Selon elles, l'aide médicale à mourir serait trop facilement accessible pour une personne dépressive ou une personne qui vit un mauvais moment, qui a perdu son emploi, qui est au chômage ou qui éprouve des difficultés économiques.
Croyez-vous que des normes fédérales sont requises pour assurer une uniformité en la matière et que l'aide médicale à mourir n'est accordée que dans les cas les plus graves? Croyez-vous plutôt que la pratique médicale et professionnelle est suffisamment structurée pour assurer un tel résultat?
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En ce qui concerne le défi fédéral-provincial de la gestion de normes uniformes dans l'ensemble du pays, je suis désolé, mais je n'ai pas les compétences nécessaires pour juger quelles normes sont préférables et s'il vaut mieux respecter l'avis des provinces.
À l'origine, l'implantation de l'aide médicale à mourir s'est faite au Québec. Le reste du Canada a alors suivi, mais les choses ont évolué de façon différente, ce qui explique les disparités qui existent aujourd'hui. Je ne veux pas trop me prononcer à ce sujet.
Je pense qu'un cadre est nécessaire pour définir des paramètres assez clairs, en particulier pour ce qui est de l'évaluation. Il faut savoir ce qu'il faut faire comme évaluation, ce qu'on évalue, les paramètres à utiliser et les valeurs données à ces paramètres, notamment les traitements intentés et leur durée.
À ma connaissance, ce cadre est déjà présent sous certaines formes dans la Loi actuelle. Comme nous l'avons suggéré, cependant, cette Loi doit être un peu modulée pour prendre en considération certaines caractéristiques reliées aux problèmes de santé mentale.
Pour ma première question, je pense que je vais m'adresser à la Dre Wieman.
Nous avons entendu, je dirais, des témoignages contradictoires sur cette question au fil des mois, voire des années, certains membres de la communauté autochtone estimant que l'aide médicale à mourir est une tentative de génocide.
Vous présentez ici un autre argument, c'est‑à‑dire que nous devons être en mesure d'intégrer les pratiques ou les rituels traditionnels aux soins prodigués aux personnes autochtones. Pouvez-vous nous donner une idée... Je sais qu'il est difficile de répondre à cette question, mais diriez-vous qu'il y a une résistance culturelle à cela dans la population autochtone en général? Pourriez-vous préciser si c'est de l'ordre de cinquante-cinquante ou de soixante-quarante?
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Merci pour cette question, sénatrice.
Je ne suis pas en mesure de quantifier cela.
Ce que je crois, en quelques mots, c'est que les membres des Premières Nations, les Métis et les Inuits méritent un accès égal à tous les traitements et services médicaux qui sont offerts à tous les autres Canadiens dans ce pays, y compris à l'AMM, ce qui s'applique aussi à ceux qui souffrent de troubles mentaux.
Cependant, je pense que le problème, le conflit, vient de la compréhension qu'ont les gens de ce qu'est l'aide médicale à mourir et du chemin qu'une personne doit parcourir pour y accéder, pour l'AMM en général et dans la catégorie TM‑SPMI en particulier. Je pense que les gens se méprennent, par exemple, sur la facilité avec laquelle on peut obtenir de l'aide médicale à mourir. Ce n'est manifestement pas si facile. Il y a des mesures de sauvegarde dans la loi.
Je pense qu'il faut trouver le juste équilibre d'une manière ou d'une autre. C'est pourquoi je disais qu'il nous faudrait une stratégie de consultation et une stratégie de communication, probablement tant à l'échelle nationale que provinciale, afin que les gens comprennent bien, parce que je crains...
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Nous sommes maintenant prêts à reprendre nos travaux.
J'ai quelques précisions à faire pour la gouverne de nos nouveaux témoins.
Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous nomme. Tous les commentaires doivent être transmis par l'entremise des coprésidents. Veuillez parler lentement et intelligiblement. Il y aura des services d'interprétation comme pour une séance de comité en personne. Vous avez le choix au bas de votre écran entre la transmission du parquet, l'anglais et le français. Veuillez mettre votre microphone en sourdine lorsque vous n'avez pas la parole.
Nous allons maintenant souhaiter la bienvenue à nos deux témoins du second groupe qui sont là également pour discuter avec nous de l'aide médicale à mourir lorsqu'un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Il s'agit de Mme Justine Dembo, qui témoigne à titre personnel, et de la Dre Natalie Le Sage, médecin, clinicienne-chercheuse et prestataire de l'aide médicale à mourir.
Merci à toutes les deux d'être des nôtres ce matin.
Vous avez droit à cinq minutes chacune pour vos observations préliminaires, après quoi nous passerons au premier tour de questions.
Madame Dembo, à vous la parole pour les cinq prochaines minutes.
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Merci. Je suis honorée d'avoir été invitée à prendre la parole aujourd'hui devant le comité mixte.
Je suis psychiatre au Centre des sciences de la santé Sunnybrook à Toronto et chargée d'enseignement à l'Université de Toronto. Je suis évaluatrice pour l'aide médicale à mourir depuis 2015.
Je faisais déjà des recherches sur l'aide médicale à mourir au moment de l'arrêt Carter et je donne régulièrement des cours sur l'aide médicale à mourir à des résidents en psychiatrie et à des professionnels de la santé, y compris des évaluateurs et des prestataires de l'AMM. Je participe actuellement à l'élaboration de deux modules de programmes d'études en aide médicale à mourir sous l'égide de l'Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l'AMM. J'ai été témoin expert dans les procès Truchon et Lamb. J'étais également membre du groupe d'experts établi par le gouvernement.
Je prends la parole aujourd'hui à titre personnel, en toute indépendance par rapport à ces organisations où j'ai eu un rôle à jouer. Les points de vue que je vais exprimer sont donc uniquement les miens. Je vais tenter de me concentrer sur quelques aspects particulièrement importants.
Je tiens d'abord à souligner que plusieurs membres du Comité ont peut-être reçu des informations erronées quant au déroulement du processus d'aide médicale à mourir sur le terrain. Il est en effet possible que certaines personnes ne participant pas à l'évaluation ou à l'administration de l'aide médicale à mourir vous aient mal renseignés concernant la rigueur du travail des évaluateurs et des prestataires et les précautions qu'ils prennent dans l'exercice de leurs fonctions, ainsi que quant à la minutie dont font preuve ces professionnels de la santé et aux efforts qu'ils déploient pour améliorer la qualité de vie des patients qui demandent l'aide médicale à mourir. Je serai ravie de vous décrire la façon dont je procède pour évaluer les demandes d'aide médicale à mourir si vous avez des questions à ce sujet aujourd'hui.
Je vous exhorte à bien réfléchir avant de considérer comme avérés les commentaires d'individus qui ne participent pas directement au processus d'aide médicale à mourir. Vous ne devez jamais oublier que les évaluateurs et les prestataires de l'aide médicale à mourir sont des professionnels consciencieux qui se préoccupent de la vie de leurs patients et qui veulent améliorer leur qualité de vie. Ils vont de l'avant seulement si, au terme d'une évaluation approfondie, ils sont convaincus qu'un patient satisfait sans l'ombre d'un doute à l'ensemble des critères établis et que c'est effectivement la bonne chose à faire dans son cas. Nous sommes tous des médecins et des infirmières et infirmiers praticiens qui avons choisi cette profession pour aider les gens et qui demeurons fermement résolus à respecter cet engagement.
Je vous parle aujourd'hui uniquement en mon nom personnel, mais je fais tout de même partie d'un réseau regroupant d'autres évaluateurs et prestataires de l'aide médicale à mourir. J'ai pu voir mes collègues faire des pieds et des mains pour explorer toutes les avenues possibles dans leur recherche d'autres solutions pour alléger les souffrances d'un patient et dans leurs efforts pour s'assurer que les patients font un choix éclairé en toute autonomie sans qu'aucune coercition ne s'exerce.
Bon nombre de mes évaluations pour la voie 2 — c'est‑à‑dire pour les patients dont la mort naturelle n'est pas raisonnablement prévisible — se poursuivent pendant des mois, voire des années, avec de nombreuses visites ainsi que la mise en place de mesures de soutien additionnelles, différentes interventions et des efforts pour améliorer la qualité de vie témoignant parfois d'une grande créativité.
D'autre part, j'ai aussi été préoccupée d'entendre certaines personnes faire valoir aux membres du Comité que l'aide médicale à mourir sert de solution de rechange à l'amélioration des soins médicaux ou des mesures de soutien psychologique, notamment dans le contexte du logement. J'ai d'ailleurs exposé de façon détaillée mes inquiétudes à ce sujet dans le mémoire que j'ai présenté au Comité le 9 mai 2022. Je vous encourage donc à jeter à nouveau un coup d'œil à ce mémoire.
Pour l'instant, je vous dirais simplement que l'on crée une fausse dichotomie en présentant les choses de cette manière. L'aide médicale à mourir ne sera jamais une solution de remplacement pour les soins médicaux ou le logement. Quand un patient fait une demande d'aide médicale à mourir, il faut examiner l'ensemble de sa situation et notamment essayer de déterminer si sa demande est en partie justifiée par des problèmes comme le manque d'accès à des soins ou à un logement. C'est dans ce contexte qu'intervient le critère exigeant que le problème de santé soit irrémédiable. Je vous invite à consulter la section du rapport du groupe d'experts où l'on traite des problèmes de santé graves et irrémédiables, car je souscris sans réserve aux recommandations que nous y formulons.
Le rapport indique que les évaluateurs de l'aide médicale à mourir doivent établir que le problème de santé est incurable et irréversible à la lumière des tentatives de traitement effectuées, des résultats de ces traitements et de la gravité de la maladie ou du handicap. Le groupe d'experts précise en outre que, comme c'est le cas pour de nombreuses maladies chroniques, l'incurabilité d'un trouble mental ne peut être établie en l'absence de multiples tentatives d'intervention à but thérapeutique. Cela signifie qu'un patient qui n'a pas eu accès à des soins adéquats ne peut pas être admissible à l'aide médicale à mourir. Par conséquent, l'aide médicale à mourir ne pourra jamais se substituer à des soins psychiatriques de qualité.
Le groupe d'experts a voulu appuyer ses recommandations sur l'efficacité des mesures de sauvegarde et des lignes directrices déjà en place, et je pense qu'il y est effectivement parvenu.
Je voudrais ajouter que je ne suis pas du tout d'accord avec le témoin qui laissait entendre précédemment qu'il n'a pas été possible de tenir des discussions sérieuses au sujet de la vulnérabilité. Au contraire, le groupe d'experts a pu traiter longuement des enjeux liés à la vulnérabilité. Ses recommandations nous procurent des lignes directrices et des protocoles additionnels en plus de nous fournir des interprétations détaillées des critères actuellement en place. Les évaluateurs et les prestataires seront ainsi mieux à même de se conformer à la Loi, tant pour l'aide médicale à mourir de façon générale que pour les demandes où un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Le respect de ces lignes directrices nous assurera que l'on procède avec un maximum de minutie et de prudence.
Un grand merci pour votre attention. Je serai ravie de répondre à toutes vos questions.
J'aimerais d'abord remercier le Comité de m'avoir invitée à témoigner dans le cadre de cette importante réflexion.
J'ai pratiqué et enseigné la médecine d'urgence pendant plus de 30 ans dans un centre universitaire comportant un service d'urgence consacré à la psychiatrie. Je suis aussi clinicienne-chercheuse, et j'ai fait partie du comité d'éthique de la recherche de mon établissement pendant sept ans. Je suis donc très au fait des notions d'aptitude à consentir aux soins, de risque suicidaire, de consentement éclairé et de droit à l'autodétermination. Maintenant en fin de carrière, je me consacre dorénavant à une pratique portant exclusivement sur l'aide médicale à mourir.
Au service d'urgence, j'ai eu l'occasion d'évaluer des centaines de patients atteints de maladie mentale en situation de décompensation. Je me souviens, entre autres, d'une patiente qui bénéficiait d'un excellent soutien des équipes multidisciplinaires du réseau, mais pour qui l'efficacité des traitements existants semblait limitée. Un jour, des problèmes physiques majeurs se sont ajoutés et elle a décidé de refuser les traitements. Cela n'ayant pas suffi, malheureusement, elle a fini par se suicider après de nombreuses années de souffrance. Peut-être aurait-elle pu mourir plus sereinement.
Par ailleurs, mon expérience passée au comité d'éthique m'a aussi permis d'enrichir ma réflexion. En particulier, je trouve que le débat actuel comporte de grandes similitudes avec l'éthique de la recherche. De toute évidence, sous prétexte de protéger les populations vulnérables, on les ignore et on les exclut de l'application des règles acceptées pour la population générale. Ceci entraîne paradoxalement une discrimination à leur égard. Or, par définition, cette attitude est contraire à l'éthique.
En fait, la loi actuelle prévoit déjà des balises pour l'admissibilité à l'aide médicale à mourir, et celles-ci peuvent très bien s'appliquer à la maladie mentale. Bien sûr, dans les cas où le trouble mental est le seul problème médical invoqué, on reconnaît certaines difficultés d'application, particulièrement en ce qui concerne l'évaluation de l'aptitude, de l'incurabilité et du déclin irréversible. De plus, il n'est pas toujours évident de distinguer les idées suicidaires d'une demande d'aide médicale à mourir raisonnée.
Dans ces circonstances, quelles balises ou mesures de sauvegarde faudrait-il mettre en place?
Il me semble important et adéquat, en tant que prestataire de l'aide médicale à mourir, que l'opinion formelle d'un psychiatre se trouve au dossier pour confirmer l'incurabilité et l'irréversibilité de la maladie mentale du patient, ainsi que l'absence de critères représentant une contre-indication à l'aide médicale à mourir. Par contre, il ne m'apparaît pas obligatoire que l'un des deux évaluateurs soit un psychiatre, d'autant plus qu'un problème de disponibilité pourrait constituer une barrière importante, en particulier dans les régions éloignées.
Si le psychiatre traitant désire assumer un rôle d'évaluateur, il serait, à mon avis, tout à fait approprié qu'il le fasse. En effet, il serait en mesure d'apprécier correctement la gravité et l'incurabilité de la maladie de son patient, sa souffrance, ainsi que son aptitude à consentir. Imposer une seconde évaluation psychiatrique dans ces circonstances constituerait, à mon avis, une barrière supplémentaire qui réduirait indûment l'accessibilité de ces patients à l'aide médicale à mourir.
En conclusion, il me semble important d'abolir la discrimination concernant l'accès à l'aide médicale à mourir pour les patients dont la maladie mentale est la seule condition médicale. Il est possible, à l'aide de mesures d'encadrement adéquates, de s'assurer que ces patients répondent aux critères d'admissibilité. Toutefois, ces mesures ne doivent pas constituer des barrières infranchissables pour ces patients, qui souffrent de façon importante.
Je vous remercie de votre attention et suis prête à répondre à des questions.
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Merci, madame la présidente.
Je vais adresser ma question à Mme Dembo.
En 2013, vous avez écrit un article intitulé « The Ethics of Providing Hope in Psychotherapy » dans lequel vous décriviez la « patiente 1 » comme étant une femme de 38 ans souffrant de schizophrénie et d'un trouble obsessionnel compulsif, ces deux maladies ayant résisté à de multiples tentatives de médication et de psychothérapie. Vous indiquiez alors qu'elle vivait une détresse chronique grave depuis une dizaine d'années.
Vous l'avez vu aux soins intensifs et vous en êtes arrivée à la conclusion, après avoir bien examiné la patiente et consulté toute la documentation médicale pertinente, qu'il n'y avait à peu près aucune chance qu'elle puisse se rétablir. Alors, plutôt que de l'aider à mourir, vous lui avez donné de l'espoir. Vous précisez qu'après une autre tentative de traitement, ses symptômes ont disparu et elle a continué de bien se porter au cours des deux années suivantes. Vous ajoutez qu'elle a alors repris ses activités universitaires et militantes de même que ses contacts avec ses amis et ses proches, et qu'elle était reconnaissante d'être encore en vie. Vous concluez qu'avec le recul, il semblerait que vous ayez fait la bonne chose, mais qu'il vous était impossible de le savoir au départ.
Cet exemple ne va‑t‑il pas dans le sens de la conclusion du groupe d'experts dont vous avez fait partie qui affirme, à la page 9 de son rapport, qu'« il est difficile, voire impossible, pour les cliniciens de formuler des prévisions précises sur l'avenir d'un patient donné » dans les cas de maladie mentale? N'est‑ce pas la preuve qu'il y a un risque important, si on ouvre la porte à l'aide médicale à mourir lorsqu'un trouble mental est le seul problème médical invoqué, que des personnes, des gens comme la « patiente 1 », voient leur vie prendre fin prématurément? Je rappelle que l'aide médicale à mourir n'était pas offerte à l'époque.
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Merci pour votre question, monsieur Cooper. Vous soulevez certains éléments très importants.
Cette publication est intéressante, car elle a été évoquée dans certaines causes pour lesquelles j'ai témoigné. Il n'y avait pas alors de loi en vigueur au Canada pour l'aide médicale à mourir. Cette patiente n'a donc été soumise à aucune évaluation visant à établir son admissibilité à cette aide, si bien que nous n'avons aucune façon de savoir si elle y aurait était admissible ou non. Il faut aussi noter que ces deux années au cours desquelles son état s'est amélioré ont malheureusement été suivies d'une nouvelle détérioration de sa situation.
Vous avez raison de dire, et je confirme les conclusions de notre groupe de travail à ce propos, qu'il est difficile de prédire que l'état d'un patient particulier est irrémédiable lorsque la maladie mentale est le seul problème médical invoqué. Cela dit, le même degré d'incertitude existe déjà pour la voie 2 des demandes d'aide médicale à mourir. Il y a de l'incertitude même pour la voie 1, car on ne sait pas si un patient va changer d'avis ou choisir de s'adapter à la situation mettant sa vie en péril à la dernière minute.
Selon moi, il faut d'abord et avant tout évaluer chaque patient individuellement en n'oubliant pas que des patients aptes et autonomes sont sans cesse habilités à prendre des décisions dans des circonstances où il n'existe aucune certitude médicale. Dans notre rôle d'évaluateurs, nous devons faire de notre mieux pour accompagner le patient dans ce processus décisionnel, en sachant que l'on retrouve le même genre d'imperfection dans l'ensemble de la pratique médicale.
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Merci pour la question.
Je pense effectivement que cela serait discriminatoire à plusieurs égards.
D'abord et avant tout, les gens atteints d'une maladie mentale, surtout si elle est chronique et grave, peuvent souffrir atrocement pendant des décennies. Leur vie peut complètement dérailler. Leur personnalité peut se transformer. Ils peuvent avoir des douleurs physiques qui s'ajoutent aux douleurs émotives. Leur détresse et leur souffrance sont tout aussi légitimes que celles qu'endurent les patients aux prises avec un problème physique.
Il y a aussi le fait qu'il peut être difficile de distinguer nettement les composantes physiques et mentales de différents types de problèmes de santé, comme les douleurs chroniques, qui pourraient mener à l'admissibilité dans le cadre de la voie 2.
Si l'on établit comme principe général que les patients souffrant d'une maladie mentale ne devraient tout simplement pas être admissibles, sans leur donner la chance d'être évalués en fonction des circonstances particulières à leur cas, il me semble que l'on continue de stigmatiser au plus haut point les problèmes de santé mentale, un peu comme on l'a toujours fait.
Merci, madame la présidente.
Je remercie également nos deux témoins de leurs témoignages très complets. Leurs expériences et leurs feuilles de route servent beaucoup aux travaux du Comité.
Docteure Dembo, vous avez déjà dit que la douleur physique, tout comme la douleur psychologique, pouvait compromettre la prise de décision et le consentement libre et éclairé. Selon vous, c'est l'individu qui devrait être évalué, et ce, dans les deux situations.
Cela veut-il dire que nous devrions considérer les demandes au cas par cas, selon vous?
Finalement, que devons-nous évaluer?
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Merci beaucoup. C'est vraiment une question importante à plusieurs niveaux.
C'est effectivement la personne que nous évaluons. Je pourrais vous citer un auteur, Eric Cassell, qui vient du milieu médical. Il fait valoir sans cesse que la souffrance est une situation où l'intégrité de la personne est menacée. Je pense que ce constat s'applique aussi bien aux maladies physiques que mentales. Évaluer chaque cas individuellement est la seule façon de comprendre une personne, ses besoins et les circonstances qui lui sont particulières. Cette évaluation permet aussi de créer un lien entre le patient et le professionnel qui l'évalue. C'est à la faveur de ce lien unique que l'évaluateur et le patient évalué peuvent en arriver à une compréhension commune de la situation leur permettant de travailler ensemble. J'estime essentiel que l'on évalue chaque cas individuellement, plutôt que de s'en remettre à des critères généraux.
Pour ce qui est de votre commentaire concernant la douleur physique, je crois que vous faites référence à ce que j'indiquais concernant la gravité des souffrances aussi bien physiques que mentales. C'est également un élément qui peut seulement être mesuré qualitativement dans le cadre de l'interaction entre l'évaluateur et le patient.
J'espère avoir répondu à votre question.
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Comme l'a bien mentionné la Dre Dembo, actuellement, l'encadrement de la loi pour les maladies physiques donne des critères d'admissibilité serrés. Lorsqu'un patient est considéré comme admissible, on a évalué de façon très rigoureuse ces critères.
Il faut bien comprendre qu'on ne parle pas du voisin qui a fait une dépression à la suite de son divorce. Je pense que cela a été dit et redit au sein du Comité. On parle de cas rares, de situations où le psychiatre est en mesure d'évaluer l'irréversibilité de la maladie. On parle de maladies chroniques graves.
En tant que prestataire, je vais avoir en main tous les éléments, tout comme nous les avons à l'heure actuelle. Depuis qu'on donne l'aide médicale à mourir aux gens qui n'ont pas une mort raisonnablement prévisible, soit depuis mars 2021, on est déjà confronté à ce type de situation en ce qui a trait aux maladies physiques. Je parle notamment de l'incertitude du pronostic. C'est avec rigueur qu'on applique les critères afin de ne pas créer de discrimination chez un patient.
C'est exactement le même genre d'enjeu pour les cas de maladies mentales.
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Oui, en effet. Le psychiatre prestataire de l'AMM doit démontrer que la personne souffre d'une maladie grave au long cours et qui est chronique, et qu'elle ne répond pas aux traitements. Dans les rapports, on parle souvent de décennies. Il est clair qu'il ne s'agit absolument pas de donner accès à l'AMM à une personne qui se retrouve à l'urgence après avoir fait une première tentative de suicide. Ce n'est absolument pas cela. Comme on l'a souligné, l'AMM ne doit pas être un moyen de remédier à un manque de ressources ou à un problème d'accès aux soins.
Dans tous les cas, il y a une analogie très forte avec la maladie physique. Lorsqu'on fait l'évaluation d'une demande d'aide médicale à mourir, on doit s'assurer que la personne a eu accès à des soins palliatifs et de soulagement de ses souffrances. C'est la même chose dans le cas des maladies mentales. Il faut s'assurer que la personne a reçu des soins pour soulager ses souffrances.
Toutefois, la médecine a ses limites. La médecine a ses limites en cardiologie, en pneumologie et en oncologie, et elle n'en aurait pas en psychiatrie? On peut penser que, si l'organisation du réseau était parfaite, on pourrait obtenir un taux de succès de 100 % dans les traitements psychiatriques, mais c'est faux. C'est croire aux licornes.
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Merci pour cette réponse.
Nous avons entendu des préoccupations au sujet de l'apparition incessante de nouveaux traitements à la faveur des recherches qui se poursuivent, comme c'est le cas pour toutes les spécialités de la médecine. Certains de nos témoins ont indiqué craindre que quelqu'un soit jugé admissible à l'aide médicale à mourir avant que l'on découvre, quelques années plus tard, un traitement efficace pour son problème de santé. C'est l'avenir qui nous le dira.
Pouvez-vous nous indiquer si les médecins, et tout particulièrement les évaluateurs, estiment qu'il est de leur devoir de se tenir au fait des recherches les plus récentes en matière de nouveaux traitements? Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?
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Cela dépend vraiment du patient. N'oubliez pas qu'à l'heure actuelle, nous n'évaluons pas les personnes dont le trouble mental est le seul problème médical, mais nous utilisons plutôt les patients de la voie 2 comme exemples. Je peux vous expliquer comment cela peut s'appliquer.
La première étape consiste toujours à rassembler les renseignements fournis par la personne qui m'envoie le patient. C'est beaucoup de travail: lire tous les dossiers médicaux antérieurs du patient qui m'ont été fournis et les raisons pour lesquelles on m'envoie le patient. Ensuite, il y a une rencontre avec le patient. La rencontre initiale dure généralement deux heures, et ce n'est généralement pas la seule fois que nous nous rencontrons. Je crois que, dans le cas où la maladie mentale est le seul problème médical, il y aura beaucoup plus que quelques rencontres — probablement plusieurs rencontres de deux heures sur une période de plusieurs mois, voire plusieurs années. Cela pourrait couvrir une période très longue, comme pour la voie 2.
Entre les étapes, il faut vérifier si des traitements appropriés ont été proposés au patient et s'il en a tenu compte sérieusement. Il peut s'agir ici de certaines interventions — pas seulement des traitements médicaux, mais aussi des interventions concernant des questions liées aux finances, au logement et au soutien social. Tout cela prend du temps à mettre en place. Ces séries d'évaluations se dérouleraient sur une longue période, à mon avis.
J'espère que ma réponse vous est utile.
:
Je vous remercie de cette question.
Mon expérience sur le terrain m'a amenée à évaluer des patients atteints de maladies physiques quant à leur admissibilité à l'AMM dans le cadre de la loi actuelle. Cependant, j'ai également évalué des patients qui, malgré le fait qu'ils avaient, au premier plan, une maladie physique qui répondait à tous les critères d'admissibilité, avaient aussi, en second lieu, une maladie mentale assez importante pour nécessiter une évaluation psychiatrique. Il faut vérifier les divers éléments qui, dans une situation de trouble mental, comme on l'a dit, sont un peu plus délicats.
J'ai noté que, bien souvent, l'attitude des intervenants du réseau de la santé était différente à l'égard des patients atteints d'un trouble mental. Ils ne voyaient même plus les problèmes de santé physique qui rendaient ceux-ci admissibles à l'AMM. Même si ces patients n'étaient pas suicidaires, qu'ils étaient lucides et qu'ils répondaient à tous les critères, ils faisaient parfois l'objet de discrimination en raison de leur problème de santé mentale. Cela retardait même souvent le moment où on entendait leur demande d'aide médicale à mourir. C'est une forme de discrimination que j'ai observée.
Comme nous le disons depuis le début, je pense que les cas où la seule condition médicale invoquée est un trouble mental seront des cas d'exception. Tous les psychiatres le disent; mais fermer la porte à ces patients, c'est ne pas entendre leur souffrance, c'est ne pas être empathique. Pour moi, comme médecin, c'est inacceptable.
:
Merci, monsieur le président.
Beaucoup de sujets ont été abordés, alors je ne suis pas certain que j'aurai besoin de tout ce temps. Les témoins n'ont donc pas à se sentir trop pressées.
[Traduction]
Mes premières questions s'adresseront à la Dre Dembo.
Vous faites partie du groupe de travail, qui a produit un rapport étoffé. Êtes-vous convaincue que les lignes directrices du groupe de travail sont suffisantes? J'ai certainement suivi certaines critiques qui ont été exprimées après la publication du rapport. Cela vous a‑t‑il amenée à changer d'avis ou à vous dire que le groupe aurait peut-être dû également dire quelque chose sur certaines questions?
Y a‑t‑il quelque chose que vous aimeriez dire? Diriez-vous que le rapport de votre groupe de travail est bon et que ses lignes directrices sont suffisantes ou bien qu'après mûre réflexion, vous recommanderiez quelque chose?
:
Je vous remercie de la question.
Oui, je crois que les recommandations du groupe d'experts sont très complètes et approfondies. J'y ai longuement réfléchi, et je ne vois rien que je voudrais ajouter ou que je considère nécessaire d'ajouter. Si je dis cela, c'est en partie parce que je pense que les mesures de sauvegarde qui sont déjà en place pour la voie 2 sont très complètes si elles sont suivies comme il se doit par les évaluateurs et les prestataires.
En plus de la recommandation contenue dans le rapport du groupe d'experts selon laquelle les évaluateurs et les prestataires doivent être formés d'une manière normalisée... J'espère que vous savez que des programmes de formation sont en cours d'élaboration, et je participe à l'élaboration des modules de formation. Si les évaluateurs reçoivent cette formation supplémentaire, ils peuvent fournir des évaluations de manière plus normalisée et suivre les lignes directrices existantes et les mesures de sauvegarde qui existent déjà. En outre, les éléments qui ont été ajoutés dans le rapport du groupe d'experts viennent peaufiner ce qui existe déjà et permettent aux évaluateurs d'interpréter la loi actuelle de façon encore plus claire.
Je suis assez satisfaite de la manière dont le rapport étoffe les choses. La seule chose qui me préoccupe, c'est qu'on doit s'assurer qu'il est suivi et que les recommandations sont mises en œuvre à l'échelle locale.
Oui, je pense que c'est un point très important, en fait. Nous évaluons déjà la capacité des personnes qui ont des troubles de santé mentale graves et qui ont également un trouble physique les rendant admissibles à l'aide médicale à mourir. Il ne s'agit pas seulement de la voie 2, mais aussi de la voie 1.
Les psychiatres sont formés à évaluer la capacité des patients à consentir, au départ, pour d'autres décisions médicales dont les conséquences sont importantes, telles que l'arrêt de traitement de survie ou la capacité de refuser un traitement de survie. Je pense donc que tout cela est en grande partie déjà connu. Il y aura toujours des nuances, mais je ne pense pas que ces nuances soient spécifiques au diagnostic, comme un diagnostic de maladie mentale. La nuance sera spécifique à chaque patient, à chacune des circonstances.
[Français]
Docteure Le Sage, ma prochaine question s'adresse à vous.
Quelques témoins s'inquiétaient du fait que certaines maladies mentales sont associées à des tendances suicidaires. Vous y avez fait allusion tantôt. Que faites-vous, dans ces cas, pour éviter que la personne soit admissible à l'aide médicale à mourir?
Une des objections formulées que l'on entend régulièrement, c'est qu'on va permettre à des gens qui ont des tendances suicidaires de demander l'aide médicale à mourir.
:
Je vais encore faire une analogie avec la maladie physique.
Contrairement à ce que certains ont véhiculé comme information, depuis que l'aide médicale à mourir est permise dans notre pays, les soins palliatifs, soit l'offre de soins et le soutien ont probablement été plus favorisés que l'inverse. Dans l'évaluation de l'aide médicale à mourir, nous sommes tenus de nous assurer que ces patients ont eu accès aux différentes options de soins. Nous devons nous assurer que leur souffrance n'est pas liée au fait qu'il y a un manquement dans le réseau. Nous observons que ces patients reçoivent déjà des soins palliatifs mais n'en veulent plus, ou qu'ils se sont vu offrir ces soins mais optent plutôt pour l'aide médicale à mourir.
Pour un patient qui a comme seule maladie un trouble mental, nous sommes tenus d'évaluer s'il ne s'agit pas d'un manquement du réseau. Nous devons nous assurer que tout a été mis en œuvre pour aider ce patient.
Tous les psychiatres le disent, ce sont tout de même des cas rares, qui auront été soutenus par le réseau et qui auront obtenu des ressources pendant plusieurs années.