Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Bonjour et bienvenue à la réunion du Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir.
Je souhaite la bienvenue aux membres du Comité, aux témoins et aux gens du public qui suivent cette réunion sur le Web.
Je m'appelle Yonah Martin et je suis coprésidente du Sénat de ce comité. Je suis accompagné de l'honorable Marc Garneau, coprésident de la Chambre des communes.
Aujourd'hui, nous continuons notre examen prévu par la loi des dispositions du Code criminel concernant l’aide médicale à mourir et leur application.
Le Bureau de régie interne exige que les comités respectent les protocoles sanitaires suivants, qui sont en vigueur jusqu'au 23 juin 2022. En tant que coprésidents, nous appliquerons ces mesures, et nous vous remercions de votre collaboration.
J'aimerais rappeler aux membres et aux témoins de mettre votre micro en sourdine en tout temps, à moins que la présidence ne vous nomme. Je vous rappelle que toutes les observations doivent être adressées à la coprésidence. Lorsque vous parlez, s'il vous plaît exprimez-vous lentement et clairement. Les services d'interprétation offerts pour cette vidéoconférence sont les mêmes que ceux offerts pour une réunion en personne. Au bas de votre écran, vous pouvez choisir entre le parquet, l'anglais ou le français.
Sur ce, je souhaite la bienvenue à nos témoins. Je vous remercie de votre patience, car nous avons un peu débordé dans la première heure.
J'aimerais présenter nos témoins. À titre personnel, nous accueillons la Dre Ramona Coelho. De l'organisme Le handicap sans pauvreté, nous accueillons Michelle Hewitt, coprésidente du conseil d'administration; et de l'organisme Lésions médullaires Canada, nous accueillons Bill Adair, son directeur général.
Merci à tous de vous joindre à nous.
Nous commencerons par le discours d'ouverture de la Dre Coelho, suivi de Mme Hewitt et M. Adair.
Docteure Coelho, vous disposez de cinq minutes pour votre témoignage.
Mon cabinet de médecine familiale prend soin de patients marginalisés, notamment des personnes qui vivent dans la pauvreté, des réfugiés, des hommes sortis de prison qui font face à des accusations; des membres de la communauté LGBTQ+, des Autochtones et des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, des dépendances, de la douleur chronique et des handicaps.
J'ai été victime de racisme, d'intimidation et d'exploitation sexuelle dans mon enfance, donc je comprends que les injustices que la vie nous amène peuvent facilement agir sur le choix de mourir.
Lors de comparutions précédentes, j'ai fait part de ma crainte des inégalités et des situations comme la pauvreté, des traumatismes, le manque d'accès à des soins médicaux en temps opportun [difficultés techniques] puissent conduire à la présentation de l'AMM comme une option de traitement pour une telle victime de discrimination.
J'ai prévenu que de nombreuses blessures et maladies s'accompagnent d'une suicidalité transitoire qui prend fin avec l'adaptation et le soutien, mais seulement après deux ans en moyenne. Après ces deux ans, l'écrasante majorité des personnes évaluent leur qualité de vie au même niveau que des personnes en bonne santé jumelées selon leur âge. L'offre de l'AMM dans une période où l'on sait que la suicidalité augmente conduirait au décès prématuré de personnes qui se seraient rétablies.
Un homme a subi un léger accident vasculaire cérébral affectant son équilibre et sa déglutition. Il était déprimé et isolé en raison d'une épidémie de COVID‑19 dans son service. Le neurologue spécialiste des AVC prévoyait que l'homme serait capable de manger normalement et de retrouver l'essentiel de son équilibre, mais le patient a refusé toute thérapie et les psychiatres lui ont diagnostiqué un trouble de l'adaptation tout en estimant qu'il allait s'améliorer. Cependant, il a demandé l'AMM. Personne parmi ceux qui l'ont évalué aux fins de l'AMM n'avait d'expérience en réadaptation et en récupération après un AVC.
Dans cette phase aiguë, alors qu'il éprouvait des difficultés liées à son humeur et à son isolement, sans thérapie pour évaluer son niveau de fonctionnement final, il a reçu l'AMM. Il n'était pas en phase terminale, mais comme il s'adaptait à une alimentation légèrement épaissie et qu'il était donc temporairement légèrement sous-alimenté, ils ont jugé qu'il était admissible au « premier volet » et il a reçu l'AMM la semaine suivante. Techniquement, aucune garantie n'a été outrepassée et pourtant, il est mort alors qu'il était gravement déprimé, isolé et qu'il n'avait pas fait l'expérience de vivre avec une récupération maximale par suite de son AVC.
M. Ernest McNeill était un veuf de 71 ans admis à l'hôpital pour des chutes. Pendant son séjour, il a contracté le C. difficile, une maladie diarrhéique infectieuse. Il a été ouvertement humilié par le personnel à cause de l'odeur de sa chambre. Il a présenté un nouvel essoufflement qui n'a pas été évalué à fond. Sans que le patient le demande, un membre de l'équipe soignante a évoqué et recommandé l'AMM.
L'équipe a déclaré qu'il souffrait de MPOC et que son pronostic était fatal. L'équipe soignante a réservé la procédure d'AMM avant même une deuxième évaluation et dans les 48 heures suivant sa première évaluation, il était mort. Les analyses post-mortem ont confirmé l'absence de MPOC importante et sa médecin de famille a aussi déclaré qu'il n'était pas en phase terminale de la MPOC, mais personne n'avait communiqué avec elle pour connaître les antécédents collatéraux de son patient.
L'AMM a été suggérée à ce patient. Le projet de loi C-7 ne contient aucune garantie interdisant d'évoquer l'AMM et le Sénat a rejeté l'amendement connexe. L'ACEPA a un document intitulé « Bringing Up Medical Assistance in Dying » et Susan MacDonald a mentionné ici que l'AMM devrait être soulevée dans le cadre du processus de consentement éclairé. L'AMM a‑t-elle été soulevée parce que son séjour était plus long que prévu parce qu'il a été victime d'âgisme? A‑t‑il choisi l'AMM parce que son équipe de soins aigus l'avait fait sentir mal? C'est ce que sa famille croit.
Le rapport « In Plain Sight » de la Colombie-Britannique et l'histoire tragique de Joyce Echaquan exigent que nous prenions ces considérations au sérieux.
Enfin, après qu'un reportage diffusé à l'émission CTV W5 ait montré un homme recevant l'AMM, le lundi suivant, une patiente m'a dit que l'histoire était super attrayante et que l'AMM serait tout indiquée pour elle. Ma patiente est dans la quarantaine, elle a récemment subi une lésion de la moelle épinière et n'a pas eu le temps de s'adapter, de bénéficier de soutien par des pairs ou d'un contrôle adéquat de ses symptômes, ni d'atteindre un rétablissement maximal, mais elle remplit désormais les conditions requises pour bénéficier de la deuxième voie d'accès à l'AMM dans les 90 jours. La loi est conçue de manière à permettre son décès avant même qu'elle n'ait eu la chance de se rétablir au maximum. Ce cas montre aussi comment le gouvernement doit prendre en compte les recherches actuelles sur le suicide qui montrent que les messages faisant la promotion du suicide peuvent inciter davantage de personnes à choisir cette option.
(1945)
Le régime de l'AMM semble autoriser un droit à mourir avec l'aide du gouvernement pour certains groupes. Des garanties inadéquates donnent à penser que cette option a été présentée sous le jour à peine voilé d'une procédure médicale. Si ce n'est pas le cas, je demande au gouvernement de revoir son régime de l'AMM.
Je suis une femme handicapée qui vit avec la sclérose en plaques à Kelowna, en Colombie-Britannique. Ma maladie est parfois agressive et elle est assez avancée. J'utilise un fauteuil roulant motorisé. Je ressens une grande fatigue et des douleurs parfois intenses. Cependant, j'ai une excellente qualité de vie.
Je représente aujourd'hui l'organisme Le handicap sans pauvreté. Environ 2 personnes sur 10 vivant au Canada ont un handicap, mais parmi les personnes qui vivent dans la pauvreté, c'est 4 sur 10. Les personnes handicapées sont surreprésentées. Deux fois plus de personnes handicapées vivent dans la pauvreté que ce que les statistiques seules pourraient expliquer. Elles vivent souvent dans une pauvreté abjecte, car les prestations d'aide à l'invalidité ne représentent généralement que la moitié ou les deux tiers du seuil de pauvreté. Nous savons que des personnes handicapées ont obtenu l'AMM parce que les souffrances intolérables qu'elles vivent sont causées par la pauvreté, alors qu'il existe des options qu'elles jugeraient acceptables pour soulager ces souffrances.
Voici seulement deux exemples parmi tant d'autres de résidents de la Colombie-Britannique.
Sean était atteint de la SLA et souhaitait vivre à la maison. Il a réussi à le faire pendant un certain nombre d'années. Lorsque le stress constant lié à la nécessité de chercher par lui-même des soins appropriés est devenu trop grand, l'autorité sanitaire lui a proposé de le placer dans un établissement de soins de longue durée, à quatre heures de route de son fils de 10 ans. Sean a plutôt choisi l'AMM. Il a qualifié les décisions financières et les offres institutionnelles proposées par l'autorité sanitaire de « peine de mort ».
Madeline est atteinte du syndrome de fatigue post-viral avec lequel elle vit depuis 30 ans. Il n'existe aucun traitement approuvé par Santé Canada, mais elle a trouvé une combinaison de traitements qui fonctionnent pour elle, qu'elle doit tous payer de sa poche. Cependant, elle a épuisé toutes les options financières et s'en tire actuellement, de mois en mois, grâce à des paiements de GoFundMe. Madeline dit que lorsque l'argent sera épuisé, elle n'aura d'autre choix que de recourir à l'AMM, à laquelle elle est déjà admissible. Elle dit qu'elle ne souhaite pas mourir, mais qu'elle sera confrontée à un mur de douleurs insupportables, sans qualité de vie.
Personne au Canada ne devrait mourir parce qu'il ou elle vit dans la pauvreté. Pourtant, nous devançons cette mort pour les personnes handicapées. Nous offrons une procédure sanctionnée par l'État pour que ces personnes handicapées meurent. Pour Sean et Madeline, nous avons des remèdes à leurs souffrances qui auraient été acceptables pour eux. Sean et Madeline se sont exprimés dans les médias sur leurs besoins et les remèdes à leurs souffrances, mais nous n'avons entendu aucune réponse de la part du gouvernement. Soit le gouvernement croit que les aménagements pour les personnes handicapées prévus par la loi n'ont pas besoin d'être respectés, soit il ne prend pas au sérieux son rôle de supervision des garanties de l'AMM. Les souffrances de Sean et Madeline sont dues à une condition sociale et non à leur condition médicale.
Je ne peux pas croire qu'il s'agissait là de l'intention de l'AMM, soit de sanctionner la mort de personnes handicapées parce qu'elles vivent dans la pauvreté, et pourtant, c'est ce que nous observons. Je vous demande de reconnaître que les garanties échouent et de soutenir la vie des personnes handicapées et le projet de loi sur les prestations d'invalidité du Canada pour veiller à sortir toutes les personnes handicapées de la pauvreté. Mettez en oeuvre une vaste réforme de nos systèmes de soins pour prodiguer aux personnes handicapées les soins qu'elles souhaitent. Jusqu'à ce que ces conditions soient remplies, l'admissibilité à l'AMM doit être limitée aux personnes en fin de vie, lorsque leurs souffrances intolérables sont dues à leur état de santé et non aux conditions sociétales dans lesquelles elles sont forcées de vivre.
Je termine par les mots de Madeline: « J'essaie vraiment de ne pas paniquer… mais le fait que je sois confrontée à la mort pour quelque chose qui peut être gérée est vachement ridicule et cela me met tellement en rogne. Je vais mourir quand je n'aurai plus d'argent ».
Je suis Bill Adair. Je travaille pour l'organisme Lésions médullaires Canada qui a été fondé en 1945 par des anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale à leur retour dans un pays qui n'attendait pas grand-chose d'eux, des anciens combattants qui rejetaient l'idée d'être mis au rancart dans des maisons de convalescence.
Nos fondateurs ont participé à des combats outre-mer, puis sont rentrés au pays pour prouver que leur vie valait la peine d'être vécue. En fait, 13 de nos fondateurs ont été décorés de l'Ordre du Canada pour ce qu'ils ont fait après la guerre. Apparemment, 72 ans plus tard, les personnes vivant avec des lésions médullaires doivent encore se battre pour prouver que leur vie vaut la peine d'être vécue. C'est fatigant de se battre pour exister, mais voilà où nous en sommes.
J'ai travaillé avec notre fédération des membres de LMC pendant 33 de ces 72 ans d'existence. Nos organisations à travers le pays aident les personnes qui s'ajustent, s'adaptent et s'épanouissent en vivant avec une lésion médullaire. J'ai répondu à des demandes de soutien pendant la moitié de ma vie. Mon expérience en tant qu'ancien chef de la direction de Lésions médullaires Ontario et maintenant en tant que directeur général de Lésions médullaires Canada m'a doté d'un savoir-faire bien utile pour parler de l'AMM et de son incidence potentielle sur les personnes vivant avec des lésions médullaires.
Je suis ici pour vous parler de deux problèmes, à savoir le délai de 90 jours et l'absence de choix réels pour les personnes qui se voient proposer l'AMM.
Le délai de 90 jours est arbitraire. Il y des raisons très valables, surtout en ce qui concerne les personnes vivant avec des lésions médullaires, pour prolonger ce délai d'attente. Une étude récente a révélé que 50 % des répondants ayant subi une lésion de la moelle épinière ont eu des idées suicidaires au cours des deux premières années suivant la blessure. Une autre étude a révélé qu'aux termes de la première année suivant l'atteinte, plus de 70 % des personnes estimaient que leur qualité de vie était égale ou supérieure à ce qu'elle était avant la blessure.
Mon travail m'a appris qu'il faut compter de quelques mois à sept ans ou plus pour qu'une personne fasse le deuil de sa perte et accepte sa nouvelle vie. La réadaptation, les batailles judiciaires, la recherche d'un logement accessible et un éventuel recyclage professionnel peuvent prendre des années. Une lésion médullaire change une vie du tout au tout. La personne alitée dans un centre de soins aigus ou de réadaptation ne dispose pas forcément de tous les renseignements nécessaires pour prendre une décision de vie ou de mort. Comme vous le savez, il faut du temps pour réfléchir à toutes les options, écouter tous les points de vue et comprendre quelles ressources sont disponibles et lesquelles ne le sont pas. Un délai de 90 jours n'offre pas une protection suffisante aux 4 000 personnes ou plus annuellement qui subissent une lésion de la moelle épinière au Canada.
Imaginez la perte pour notre société si nous permettions à nos concitoyens de prendre des décisions impulsives et mal éclairées au cours des premières étapes de la reconstruction d'une vie qui vaut la peine d'être vécue. Laquelle de ces personnes aurait pu être notre prochain récipiendaire de l'Ordre du Canada?
Ma deuxième préoccupation est que les gens n'ont pas de véritable choix lorsqu'ils demandent l'AMM. Dans le cadre d'une discussion de l'AMM avec un médecin, les gens devraient aussi se voir offrir d'autres choix, comme des services à domicile, des soins de longue durée, des fonds de subsistance de base, des mesures de prévention du suicide, des services psychiatriques et un logement sûr, accessible et abordable. Ces services ne sont pas proposés ou s'ils le sont, ils ne sont pas disponibles parce qu'il y a une liste d'attente, ils sont trop chers ou trop éloignés. La personne ne se voit pas vraiment offrir un choix, n'est‑ce pas? En réalité, on lui refuse un choix. C'est l'AMM ou rien.
De nombreuses personnes handicapées souffrent à cause du manque de services et de la pauvreté écrasante dans laquelle elles vivent, et non à cause de leur handicap. En retour, le manque de services et une vie dans la pauvreté tuent l'espoir et poussent les gens à se tourner vers l'AMM pour mettre fin à leur misère. Ce n'est pas le Canada qu'aucun d'entre nous ne souhaite.
Voici ma liste de solutions: prolonger le délai d'attente si une personne n'est pas en fin de vie; mettre en oeuvre dès maintenant la prestation d'invalidité du Canada; financer des professionnels formés par des organisations pour aller offrir un soutien par des pairs dans les centres de soins de santé lorsqu'une personne demande l'AMM; construire des logements accessibles et abordables.
(1955)
En tant que parlementaires, il vous incombe de changer cette horrible situation et de la prévenir. S'il vous plaît, réfléchissez sérieusement à mes recommandations.
Je vous remercie de m'avoir écouté et de m'avoir invité.
Docteure Coelho, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le cas du premier patient dont vous avez parlé, qui a subi un AVC et qui s'est vu accorder l'aide médicale à mourir en vertu du régime du projet de loi C‑14, même s'il n'avait pas reçu de diagnostic de maladie terminale comme l'exige la loi en vertu du projet de loi C‑14?
Monsieur Cooper, pour préciser, il s'agissait en fait d'un cas plus récent, mais qui aurait dû relever du deuxième volet sous le régime du projet de loi C‑7.
Ce patient n'avait pas de comorbidités terminales et n'était pas en train de mourir de son AVC. Comme il est d'usage lorsqu'une personne a un AVC et a de la difficulté à avaler, nous modifions lentement son régime alimentaire pour éviter l'aspiration — une pneumonie et d'autres problèmes du genre — et il ne s'est pas étouffé et il n'a pas eu de problèmes d'aspiration avant de mourir. La diététicienne avait ordonné une progression normale de ses repas. Il ingérait 1 300 calories par jour, probablement autant que ce que j'ingère, et il mangeait tout son plateau facilement, chaque plateau. Et le problème était temporaire.
Cependant, je suppose que cela dépassait le champ de compétence de l'évaluateur de l'AMM, parce que le patient n'était pas affamé, mais l'évaluateur a décidé qu'il ne pourrait pas survivre avec un tel régime, et il a donc jugé admissible au premier volet afin qu'il puisse mourir sans délai de réflexion.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la patiente que vous avez vue récemment, qui a regardé l'émission W5 et qui, comme vous l'avez dit, trouve maintenant l'AMM attrayante?
C'est ma propre patiente, que j'aime beaucoup, et je lui ai demandé la permission de raconter son histoire. Comme toutes les personnes concernées dans toutes les histoires que je vous ai racontées, elle m'a dit qu'elle était prête à vous parler. J'ai aussi envoyé des courriels aux présidents pour leur faire part d'autres histoires que je n'ai pas eu le temps de vous relater. Ils tiennent à raconter ce qui leur est arrivé. Elle veut vous dire qu'elle craint beaucoup la pauvreté dans laquelle elle tombera si elle ne peut pas retourner travailler et qu'elle préfère mourir que de vivre dans la pauvreté.
Je serais heureuse de communiquer avec les greffiers ou qui que ce soit pour vous fournir tous ces récits. Ce sont tous des récits récents, y compris ceux que j'ai déjà fait parvenir à Mme la présidente et à M. le président.
Docteure Coelho, pouvez-vous nous en dire plus sur le deuxième patient qui a opté pour l'AMM sur la base d'un mauvais diagnostic?
Pour partager le temps, monsieur Adair, pouvez-vous nous parler de certains appels que votre organisation a reçus au sujet de l'AMM de personnes souffrant de lésions médullaires?
D'accord, je vais essayer d'être très, très brève.
J'ai passé en revue ce dossier médical et j'ai rencontré moi-même la famille. La famille raconte qu'il a subi de graves humiliations [difficultés techniques]
Essentiellement, j'ai parlé à la famille. J'ai examiné moi-même le dossier médical. Il était humilié par le personnel. Les employés laissaient les fenêtres ouvertes, se plaignaient quand ils devaient le changer. Le patient ne pouvait pas communiquer très souvent avec sa famille. Il avait encore faim quand le personnel débarrassait ses plateaux de nourriture. Dans ce contexte, il a commencé à manquer de souffle, un problème qui n'a pas été évalué à fond. Il devenait si désorienté que son oxygène, lorsque le masque à oxygène glissait de son visage… ils ont dû annuler sa deuxième évaluation.
La deuxième évaluatrice a dit à la famille qu'elle devait s'en remettre à la première évaluation. Il a donc reçu l'AMM aux termes d'un processus très bâclé, sans diagnostic juste. Comme je l'ai dit, la médecin de famille n'a jamais été consultée et le diagnostic n'a pas été confirmé à l'hôpital ou au moyen d'une anamnèse connexe.
De nombreux appels parviennent à nos organisations dans tout le pays. Je suis heureux de vous parler de deux d'entre eux.
Il y a plusieurs semaines, j'ai reçu un appel d'un collègue qui représentait une jeune femme de 17 ans. Elle était aux soins intensifs et avait une lésion médullaire très haute. Elle voulait obtenir l'AMM. Depuis, notre organisation a pu entrer en contact avec la famille et l'aider à voir qu'il y a une vie après ce traumatisme initial de paralysie et elle a changé d'idée. Nous en sommes heureux, mais le fait qu'une jeune femme de 17 ans, qui a un énorme potentiel pour contribuer à notre société, envisage même l'AMM est un très grave problème.
L'autre cas est celui d'une trentenaire multihandicapée qui m'a contacté. Elle cherche un logement qui favoriserait son autonomie et sa capacité à reprendre le travail après l'apparition d'un second handicap consécutif à une lésion de la moelle épinière. Après 10 ans, elle a dit, et je paraphrase: « Je suis prête à jeter l'éponge. Je ne peux plus le supporter. Je veux me sortir de la pauvreté. Je veux trouver un emploi, mais je n'arrive pas à trouver un endroit où vivre qui me permette d'être autonome. »
Merci à tous les témoins pour leurs témoignages très convaincants et utiles. J'ajouterais même qu'ils ont été très instructifs.
Docteure Coelho, je suis d'accord avec ce que vous venez de dire. Personne ne devrait jamais avoir à… Les circonstances que vous avez décrites sont épouvantables. J'oublie le langage que vous avez utilisé, mais je suis d'accord avec vous. D'après les faits que vous avez présentés, il me semble que cette situation est peut-être davantage le fruit de soins de mauvaise qualité que des lois en vigueur, mais ce n'est que mon interprétation.
Ma question est vraiment… Je suis d'accord avec vous. Les finances d'une personne, parce qu'elle vit dans la pauvreté ou a des problèmes de santé mentale ou est handicapée, ne devraient jamais la conduire à retenir l'option de l'AMM. À votre avis, est‑il possible de mettre en place des garanties pour se protéger contre une telle situation?
Je ne sais pas si vous le savez, mais un groupe d'experts a publié ses conclusions la semaine dernière et a abordé certains de ces enjeux. Je cherchais la recommandation précise pendant que vous parliez. Je ne l'ai pas trouvée, mais ils disent quelque part qu'il faudrait un processus complet dans le cadre de l'évaluation pour s'assurer que les conditions de vie ne sont pas à l'origine de la demande.
Merci de poser cette question, madame la présidente.
Tout d'abord, concernant votre question à propos du cas mettant en cause de la négligence, de possibles pratiques discriminatoires et une période d'hospitalisation plus longue que ce qui était souhaité ou attendu, il y a là un problème évident. Abby Hoffman a affirmé devant le Comité que les cas de non-conformité sont très rares, voire inexistants. Ce que j'en comprends, c'est que Santé Canada ne recueille pas les données correctement aux fins de sécurité et de suivi, et je trouve cela très préoccupant.
Par ailleurs, pour ce qui est du comité d'experts, dont j'ai examiné le rapport, il faut se rappeler qu'il s'est intéressé à l'AMM pour les personnes qui invoquent uniquement un trouble mental dans leur demande. Premièrement, le comité n'a pas tranché la question de savoir si l'AMM peut être offerte en cas de maladie mentale, le fait étant que beaucoup de données probantes indiquent qu'il est impossible d'être absolument certain du caractère irrémédiable de la condition d'une personne, comme le veulent les critères d'admissibilité à l'AMM, ou du caractère médical de l'acte.
Deuxièmement, 19 mises en garde sont énoncées eu égard à ce qui est considéré comme très dangereux…
Permettez-moi d'aller droit au but. Selon vous, des mesures de protection sont-elles requises relativement aux problèmes que vous avez soulevés? C'est tout ce que je veux savoir.
Si vous avez entendu mes déclarations au sujet du projet de loi C‑7, vous saurez que j'ai proposé une série de mesures de protection, y compris l'interdiction d'aborder le sujet avec un patient, comme il est prévu dans la législation australienne. Le libre arbitre fait partie intégrante de l'intégrité professionnelle.
Les données scientifiques sur les patients handicapés, par exemple, et il est bien connu qu'il faut des années avant d'avoir des résultats… Un député a proposé un amendement visant à assurer que personne ne réclame l'AMM en raison de problèmes psychosociaux. La proposition a été rejetée.
Mon avis est que le régime de l'AMM est très dangereux.
Oui, ce serait utile, si c'est possible pour vous.
Je m'adresse maintenant à l'ensemble des témoins. Le temps file, je suis désolé.
Dernièrement, j'ai assisté à une conférence dans un centre de soins palliatifs. J'y ai entendu quelque chose de fort intéressant. Quand la première loi sur l'AMM est entrée en vigueur au Canada, les 12 médecins du centre s'y opposaient. Dans les 6 mois qui ont suivi, 6 des 12 médecins se sont ralliés à l'idée et, aujourd'hui, ils sont tous d'accord parce qu'ils ont compris que c'est la volonté des patients.
Je pose la question aux trois témoins. Y a‑t‑il eu un changement dans la façon de penser au sein de la communauté des personnes handicapées depuis quelques années?
Je ne crois pas que les choses ont bougé de ce côté, du moins pas à ce que je sache. Vous devrez poser la question à des personnes plus au courant ou plus expertes que moi.
Je n'ai pas non plus suffisamment d'information pour vous donner une réponse définitive. Chose certaine, au sein de la communauté des personnes handicapées, les gens parlent plus souvent de l'AMM comme d'une réponse possible à des problèmes sociaux plutôt qu'à des problèmes médicaux. Ils souffrent et ils pensent qu'il existe une solution. Comme elle ne leur est pas offerte, l'AMM est vue comme une issue possible.
Je remercie les témoins de leurs témoignages, qui vont éclairer nos délibérations.
Je m'adresserai d'abord à vous, monsieur Adair.
Je vous remercie, parce que votre association est importante. Cela frappe l'imaginaire collectif lorsque, tout à coup, une jeune personne d'une vingtaine d'années se retrouve avec une lésion médullaire. Cela change sa vie radicalement.
Il est évident que le handicap est social, mais que la déficience est individuelle. Lorsqu'il y a une déficience individuelle, quelle qu'elle soit, le handicap social doit être le moins important possible. C'est une lutte de tous les jours, et vous œuvrez à rendre ces déficiences de moins en moins handicapantes. Toutefois, j'imagine que c'est tout de même un choc.
Vous voudriez avoir des mesures de sauvegarde plus fortes. Je comprends bien cela. En tant que professionnel de la santé, trouvez-vous que celle qui consisterait à ne pas amorcer la discussion avec le patient dès les premiers moments suivant le choc serait intéressante pour vous et vos patients?
La meilleure protection vient du soutien donné à la famille et à la personne qui vient de subir une blessure. Il faut les mettre en contact avec les familles et les personnes qui ont déjà vécu la phase initiale d'un choc aussi terrifiant pour toutes sortes de raisons, qui ont surmonté les embûches et qui ont refait leur vie de manière remarquable. Comme je l'ai dit, beaucoup de personnes ont une vie plus dynamique et plus satisfaisante après leur blessure.
De toute évidence, il serait préférable de ne pas mentionner l'AMM aux personnes récemment blessées et, mieux encore, de ne pas leur offrir cette possibilité avant qu'elles aient donné une chance à la vie et réfléchi aux rêves qu'elles pourraient réaliser dans leur nouvelle vie.
Monsieur Adair, ne croyez-vous pas qu'une bonne pratique médicale voudrait qu'on ne propose pas cette option après un choc traumatique de cette envergure?
Évidemment, je suis d'accord avec vous sur la nécessité d'encadrer cette personne de la meilleure façon possible et de lui permettre d'envisager ses perspectives de vie et sa contribution à la société. Je comprends tout cela. Comme vous l'avez dit, le processus que vous décrivez peut s'étendre sur deux, trois, cinq ou sept ans.
Concevez-vous que, pour certaines personnes, après cinq à six ans de ce processus, l'aide médicale à mourir soit la seule avenue possible, malgré tous vos bons soins?
Le plus important est de ne pas mentionner ou offrir l'AMM avant la sortie des soins intensifs, ou même tant qu'une personne n'a pas terminé sa réadaptation après avoir subi une lésion médullaire.
Vous me demandez si, après sept ou huit ans… Je le répète, il faut toujours tenir compte de tous les facteurs en jeu. Ce que vous m'avez présenté est une situation hypothétique pour laquelle il m'est impossible de dire si ce serait mieux ou non.
Tout ce que je peux dire, c'est que je n'ai jamais rien vu de tel. Ce que j'ai constaté, c'est que les personnes qui ont repris le dessus, qui ont trouvé de nouveaux rêves et qui ont rebâti leur vie ne pensent plus au suicide si elles n'ont pas à se battre contre une multitude de problèmes liés au soutien social. Le logement est un grave problème. La pénurie de logements abordables et la pauvreté compliquent passablement la vie de ces personnes. Elles peuvent carrément perdre leur âme.
Je trouve important de préciser, monsieur, que je ne parle pas au nom de tous les blessés médullaires. Chaque personne est unique et doit pouvoir faire ses propres choix, pourvu que ces choix soient éclairés et authentiques.
Madame Hewitt, mes premières questions seront pour vous.
Le Comité a reçu un mandat assez large. On nous a demandé d'examiner les dispositions du Code criminel concernant l'aide médicale à mourir et leur application, mais nous nous intéressons aussi à des questions comme les mineurs matures, les demandes anticipées, la santé mentale, la situation des soins palliatifs au Canada et la protection des Canadiens handicapés.
À votre avis, comment le Comité doit‑il donner suite à cette instruction de la Chambre des communes eu égard au dernier élément de notre mandat, soit la protection des Canadiens handicapés?
Ce volet de votre mandat est exactement celui pour lequel j'ai demandé à témoigner devant le Comité. Ma position est ferme: notre pays ne protège pas les personnes handicapées et, avant d'élargir l'accès à l'AMM, il y a de nombreux problèmes à régler.
Par exemple, 7 % des résidants des établissements de soins de longue durée sont de jeunes personnes handicapées qui n'ont pas d'autre endroit pour se loger. Croyez-moi, ce n'est jamais leur choix. Bien évidemment, la personne dont j'ai parlé, Sean, qui a recouru à l'AMM avant l'adoption du projet de loi C‑7, ne voulait pas vivre dans un tel lieu, et c'est pourquoi il a opté pour cette solution. Cela me fait dire que nous ne protégeons pas ces personnes.
C'est profondément troublant pour moi qui vis avec la sclérose en plaques et qui milite au sein de la Société canadienne de la sclérose en plaques ainsi que de l'organisme Le handicap sans pauvreté. Les conditions sociales des personnes handicapées ne leur permettent pas de décider elles-mêmes de leur avenir. Il est tout bonnement impensable de condamner une personne dans la trentaine ou la quarantaine à vivre dans un établissement conçu pour des personnes démentes de 85 ans et, comme l'a évoqué M. Adair, à avoir à le faire alors qu'elle doit se réadapter à une situation complètement nouvelle. Imaginez le désespoir si on ajoute la pauvreté au tableau.
Ici, en Colombie-Britannique, dans nos établissements de soins de longue durée, une personne a besoin de 3,28 heures de soins en moyenne par jour. Si un résidant a besoin de plus de soins parce qu'il souffre de démence grave, il ne recevra pas 3,28 heures de soins. Ce sera beaucoup moins.
Les personnes atteintes de la sclérose en plaques, qui ont des besoins liés à la fatigue et autres… Je connais beaucoup de personnes qui, par crainte de se retrouver en établissement de soins de longue durée, pourrait… Ces personnes préféreraient de loin être admissibles à l'AMM, ce qui semble envisageable actuellement.
Vous avez beaucoup insisté sur l'importance de distinguer la souffrance intolérable due à un problème médical et celle qui découle de la situation sociale. Il faut éviter les généralisations. Chaque personne est différente et ce terme est très subjectif.
À vos yeux, quelles sont les mesures de protection minimales, ou quelles mesures de protection souhaiteriez-vous voir dans la législation pour éviter que la situation sociale d'une personne influe sur sa décision et pour lui garantir l'accès aux soins nécessaires? Même si elle reçoit beaucoup de soutien, il se peut qu'une personne persiste à croire qu'un problème de santé la condamne à une vie de souffrance intolérable.
Quel est le strict minimum attendu dans notre pays?
Madeline, dont j'ai parlé, est une de mes amies. Je sais que vous êtes en Colombie-Britannique, tout comme Madeline. Il existe des traitements et ils ont fonctionné pour elle, mais elle n'y a plus accès parce qu'elle n'en a pas les moyens.
Si des traitements ont fait leurs preuves, il faut à tout prix éviter que le fait pour une personne de ne plus y avoir accès lui donne droit à l'AMM. Quand une personne sait exactement de quoi elle a besoin pour soulager une souffrance intolérable, il faut qu'elle y ait accès avant de devenir admissible à l'AMM. Si notre pays ne peut pas s'en assurer, il faudra revenir au sens initial donné à l'AMM, qui visait à assister une personne atteinte d'une maladie incurable à mettre fin à ses jours, et il faudra améliorer les conditions de vie des personnes handicapées.
Je remercie les témoins de nous avoir fourni ces informations.
Ma première question s'adresse à vous, docteure Coelho, et j'aimerais que vous me répondiez brièvement.
Quand je pratiquais la médecine, j'avais un patient atteint de sclérose en plaques. Il était très souffrant et il n'avait qu'un reste de mobilité dans les doigts pour être capable de porter sa main à sa bouche. Il m'avait demandé, si, un jour, son cœur s'arrêtait, de ne rien faire et de le laisser mourir. Effectivement, un jour, son cœur s'est arrêté et on l'a réanimé. Ensuite, il m'a dit qu'il était heureux qu'on l'ait fait, qu'il avait toute sa tête et qu'il ne voulait pas mourir.
Avez-vous de tels patients?
Si on transportait ce patient 20 ans plus tard, c'est-à-dire maintenant, en 2022, ce genre de patient demanderait-il l'aide médicale à mourir?
J'aimerais que vous m'en brossiez rapidement le portrait, parce que j'ai une aussi question à poser à Mme Hewitt.
Je vais faire de mon mieux. Merci de cette question.
Par votre entremise, monsieur le président, je précise qu'avant de déménager à London, j'ai aussi travaillé à Montréal, où j'ai donné des soins à domicile auprès de personnes atteintes de troubles graves de santé mentale, de dépendances, de démence, ou qui vivaient avec divers handicaps. J'ai accompagné un nombre incalculable de personnes aux prises avec des souffrances de nature médicale ou psychosociale qui ont réussi à les surmonter et qui étaient par la suite extrêmement heureuses d'être en vie. Pour la plupart, il a fallu du temps. Le système des centres locaux de services communautaires de Montréal était extraordinaire pendant la période où j'y étais. Nous avions des préposés aux services de soutien et toute une équipe de soins et, ensemble, nous arrivions à réfréner leur désir de mourir.
Ma prochaine question s'adresse à Mme Hewitt. M. Adair pourra aussi y répondre, s'il le souhaite.
Je sais que vous avez eu connaissance de la lettre cosignée par 43 sénateurs, en janvier 2022, visant à inviter le gouvernement fédéral à promouvoir le projet de loi C‑35. Ce projet de loi visait à créer la Prestation canadienne pour les personnes handicapées. À votre avis, l'implantation du revenu de base garanti pour les personnes en situation de handicap suffirait-elle à les empêcher de demander l'aide médicale à mourir?
Il reste beaucoup de zones d'ombre par rapport à la Prestation canadienne pour les personnes handicapées, notamment pour ce qui concerne les critères d'admissibilité et le montant. Il reste aussi à déterminer les coûts d'un tel programme et le seuil de pauvreté pour une personne handicapée. D'après les recherches menées dans d'autres pays, il faudra hausser le seuil de pauvreté de 40 % pour les personnes handicapées.
Bien évidemment, on parle du seuil de pauvreté. Je vais répéter quelque chose que M. Adair m'a déjà entendu dire. On parle du seuil de pauvreté, pas de Byzance! C'est un début pour améliorer la situation de ces personnes. M. Adair a fait allusion au logement. L'accès à des traitements est aussi important pour que les personnes puissent composer avec leur handicap sans avoir en plus à supporter une pauvreté abjecte.
C'est un début, mais est‑ce que la Prestation canadienne pour les personnes handicapées les empêchera d'envisager l'AMM? Personnellement, je ne pense pas, mais elle pourra faire partie d'une série de mesures que notre pays doit absolument leur offrir.
J'ai trois brèves questions pour la Dre Coelho, et une autre un peu plus longue pour Michelle Hewitt.
Docteure Coelho, selon ce que nous avons entendu, beaucoup de prestataires de l'AMM sont des médecins de famille. J'aimerais savoir s'il existe un consensus entre eux concernant l'obligation d'informer les patients au sujet de l'AMM même s'ils sont moralement en désaccord.
Qu'arrive‑t‑il quand un médecin de famille juge, en son âme et conscience, qu'il ne devrait pas parler de l'AMM à un patient? Les médecins de famille sont-ils convaincus qu'ils ont tous le devoir d'informer les patients de leur admissibilité à l'AMM?
Je suis désolée, mais j'ai un peu de peine à vous suivre. Je ne crois pas qu'il existe un consensus sur cette question. Je sais que Susan MacDonald et d'autres personnes ont fait valoir devant le Comité qu'il faut exiger un consentement éclairé, mais c'est à mon sens un principe très dangereux quand on sait qu'il y a de la discrimination dans le secteur de la santé, comme l'a montré le rapport In Plain Sight, publié en Colombie‑Britannique.
Oui, je comprends. C'est exactement ce que je voulais savoir: existe‑t‑il ou non un consensus?
Ma deuxième question portera aussi sur les médecins de famille. Existe‑t‑il un consensus entre eux concernant l'admissibilité à l'AMM aux patients dont la mort est raisonnablement prévisible? Les médecins de famille sont-ils tous d'accord pour que ces patients aient droit à l'AMM?
De nouveau, par votre entremise, monsieur le président, je dois répondre au sénateur Kutcher que je ne le sais pas. Je ne fais pas partie de l'intelligentsia. J'exerce la médecine familiale en marge, et j'entretiens des liens avec des collègues qui œuvrent auprès de communautés marginalisées. C'est une préoccupation que nous partageons tous. Cela dit, je n'ai aucune idée… Je n'ai rien à dire concernant le consensus entre les médecins de famille.
Si je comprends bien, vous ne savez pas s'il existe ou non un consensus parmi les médecins de famille relativement à un quelconque aspect de la prestation de l'AMM.
Madame Hewitt, je crois que tous les membres du Comité sont d'accord pour dire que la pauvreté et d'autres facteurs sociaux ou économiques ne doivent pas influer sur la décision de demander l'AMM. Il est observé dans le rapport du comité d'experts qu'il faudrait offrir un logement et une aide au revenu, entre autres mesures de soutien, aux personnes handicapées qui envisagent l'AMM.
Selon vous, faut‑il instaurer des mesures de protection pour les personnes handicapées qui envisagent l'AMM?
Je vous répondrai qu'il faut s'assurer que les personnes handicapées ont un logement convenable, qu'elles ne sont pas condamnées à vivre dans la pauvreté et qu'elles ont accès à des traitements, peu importe qu'elles envisagent ou non l'AMM. La vie, même avec un handicap, vaut la peine d'être vécue. Nous avons beaucoup à apporter à la société et, actuellement, une grande partie de la souffrance au sein de notre communauté n'est pas liée à nos handicaps ou à nos incapacités. Elle est due…
La question est celle de savoir si, dans le cas d'une personne handicapée qui n'a pas de logement convenable et qui ne reçoit pas le soutien social dont elle a besoin, l'évaluation de la demande d'AMM… L'évaluation devrait-elle englober ces lacunes et viser à les combler? C'est la question essentielle.
Il faudrait le faire de toute urgence. Une personne qui en est rendue à demander l'AMM est déjà en crise et a besoin de beaucoup de soutien pour trouver des solutions à une situation fort complexe.
J'espère de tout cœur que c'est ce qui leur sera offert. J'aimerais qu'il relève d'un poste, d'une personne ou d'un organisme d'examiner chacun des facteurs complexes qui entrent en ligne de compte dans ces décisions.
Je vous ai donné l'exemple de mon amie Madeline. Elle sait exactement ce qu'il lui faudrait pour ne pas envisager l'AMM. Elle a besoin qu'on lui garantisse l'accès aux traitements qui sont efficaces pour elle, mais qu'elle n'a pas les moyens de s'offrir.
Vous avez vu le rapport du groupe de travail, et j'imagine que vous l'avez lu, tout comme moi. Les membres du groupe se sont mis d'accord sur le processus d'évaluation, et ils ont souligné l'importance de déterminer dans quelle mesure les facteurs socioéconomiques ont influé sur le processus décisionnel du demandeur.
Si j'ai bien compris, vous pensez que ce n'est pas suffisant. Si ce qu'ils proposent ne permet pas d'attester si l'évaluation repose sur un consentement éclairé et adéquat plutôt que sur une réaction passagère à des difficultés socioéconomiques, quelles autres lignes directrices ajouteriez-vous pour éviter que certaines personnes envisagent et, pire encore, qu'elles obtiennent l'AMM? Il faut que ce soit bien établi avant qu'il y ait une demande et que les évaluateurs en viennent à la conclusion que la personne est admissible.
Comme je viens de le dire, je crois qu'il faut aller plus loin qu'une évaluation des facteurs qui ont poussé une personne à demander et à recevoir l'AMM. Il faut lui offrir des solutions. C'est l'élément qui fait défaut: les évaluateurs doivent chercher à comprendre les besoins extraordinaires qui sont la source de la souffrance.
Nous déployons beaucoup d'efforts dans ce pays pour prendre soin de toutes sortes de personnes de toutes sortes de façons. La réponse a été hors du commun au début de la pandémie. Des vaccins ont été développés et distribués. Une panoplie incroyable de mesures ont été mises en place. Nous avons été à la hauteur du défi. Pourquoi ne sommes-nous jamais à la hauteur du défi quand il s'agit de personnes qui vivent une crise si profonde que non seulement elles envisagent l'AMM, mais elles vont jusqu'au bout, jusqu'à la mort.
Le plus bel exemple est celui de mon amie Madeline, qui a désespérément besoin d'un traitement.
Pensez-vous qu'une mesure de protection comme le délai de 90 jours donnera assez de temps aux personnes qui vivent une crise de trouver une solution? Les évaluateurs doivent essayer de comprendre la véritable raison derrière la demande d'AMM et voir à ce que la personne bénéficie du soutien social dont elle a besoin, s'il existe.
Je vais poser une question à tous les membres du Comité. Qu'arrive‑t‑il si ce soutien n'est pas accessible pour soulager une souffrance réelle?
Je vous en prie, dites-nous que nous voulons et que nous pouvons faire mieux. Que nous allons chercher des solutions pour aider ces gens. Offrir l'accès à l'AMM pour des raisons non médicales, pour des souffrances qui pourraient être soulagées autrement, ce n'est tout simplement pas acceptable. C'est bien beau de prévoir des mesures de protection… Que feront les évaluateurs durant ce délai de 90 jours? À qui reviendra cette responsabilité?
Êtes-vous prêts, comme parlementaires, à nous appuyer et à octroyer le financement nécessaire pour répondre à ces besoins urgents? C'est ce que nous attendons de vous.
Je remercie les témoins. Vos témoignages sont fort convaincants.
Monsieur Adair, mon père a subi une lésion médullaire. Il a enduré cette souffrance avec une incroyable détermination. Merci de faire un travail aussi important.
Ma question sera pour la Dre Coelho.
Que pensez-vous de la portée du régime de l'AMM qui fait l'objet de notre étude? J'aimerais avoir votre point de vue en tant que médecin de famille et au vu de votre expérience.
J'ai suivi toutes les délibérations du comité sur l'AMM. Depuis le début, les membres ont mis en doute la véracité des récits que leur ont livrés les témoins et tenu pour acquis que les professionnels prestataires de l'AMM sont irréprochables.
Régulièrement, on a fait la sourde oreille aux mises en garde des experts concernant les mesures de protection, et leur intégrité a même été mise en cause. Des médecins membres du comité n'ont pas su mettre à profit leur expertise en matière d'épidémiologie clinique ou lui donner des avis éclairés pour que cette pratique soit considérée comme un acte médical.
Les cas préoccupants dont nous avons parlé chacun à notre tour témoignent de l'inefficacité des mesures de protection prévues dans le régime de l'AMM pour les Canadiens. Ces exemples contredisent les déclarations d'Abby Hoffman devant le Comité comme quoi ce régime ne pose aucun problème. En fait, ils montrent à quel point la collecte de données est insuffisante. Et sans données, il est impossible de prendre de bonnes décisions.
Des membres du comité ont posé des questions tendancieuses qui se répondent par un mot et qui ont donné l'impression que des témoins préoccupés voulaient faire souffrir les Canadiens en leur faisant subir des traitements inutiles pendant des années. Or, la réalité est que des patients qui attendent des années pour recevoir des traitements sont à bout.
Ellen Wiebe a déclaré que si quelqu'un demande l'AMM et qu'il faut cinq ans pour l'obtenir, c'est selon elle irrémédiable. Des patients qui endurent des souffrances psychologiques non traitées se verraient donc accorder l'AMM par des évaluateurs comme elle.
Audrey Baylis a affirmé qu'elle aimerait mieux mourir que vivre dans un centre de soins de longue durée. En fait, son cri de désespoir concerne l'état atroce de nos centres de soins de longue durée sous-financés.
J'entends aussi un argument juridique récurrent selon lequel il serait discriminatoire de refuser l'AMM à certains groupes. La médecine ne fonctionne pas de cette façon. Nous devons appliquer des mesures de protection et des normes de diligence médicale strictes, et nous conformer à des critères d'admissibilité obligatoires aux traitements. Certaines personnes, handicapées ou non, qui présentent des troubles de santé mentale souvent exacerbés par la souffrance psychosociale ont un processus pathogène qui peut les prédisposer à la suicidalité, sans qu'il y ait de preuve du caractère irrémédiable de leur souffrance. Il est tout simplement impossible d'avoir cette preuve.
Thomas Insel, l'ancien responsable du National Institute of Mental Health, a écrit Healing, où il confirme que le pronostic des troubles mentaux est incertain et qu'il dépend de la vie communautaire, de l'aide offerte et de l'exercice d'activités productives.
Pour toutes ces raisons, n'est‑il pas honteux de la part d'un gouvernement de proposer la mort comme option alors qu'il manque à son devoir d'offrir des soins et du soutien quand les gens en ont besoin, d'enrichir leur vie communautaire et de leur garantir un revenu décent?
M. Luc Thériault nous a donné l'assurance que si le comité d'experts et le Comité mixte spécial parviennent à cette conclusion, la santé mentale devra être exclue. Malheureusement, nous savons maintenant que le comité d'experts n'a même pas pris le temps d'examiner cette question de la plus haute importance.
La commission québécoise a décidé que la santé mentale ne devrait pas ouvrir droit à l'AMM.
Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir invitée. Le Comité fait un travail extrêmement important. Je vous demande de faire un examen honnête du régime de l'AMM que vous proposez parce qu'il est très dangereux.
Merci, docteure Coelho, et merci, sénatrice Martin.
C'est ce qui conclut le volet de la réunion consacré au premier groupe de témoins. Au nom des membres du Comité, je remercie la Dre Coelho, Mme Michelle Hewitt et M. Bill Adair d'avoir pris le temps de venir discuter avec nous de la très importante question des personnes handicapées et de l'accès à l'aide médicale à mourir. Vos témoignages et la sincérité avec laquelle vous avez répondu à nos questions sont remarquables. Merci.
La route est encore longue. Nous espérons que vous allez suivre les progrès de nos travaux. Vos témoignages ont apporté une pierre essentielle à l'édifice et nous vous en sommes reconnaissants.
Chers collègues, nous allons suspendre la séance quelques minutes avant d'accueillir le groupe de témoins suivant.
Monsieur le greffier, pouvez-vous m'avertir quand les témoins seront prêts et que les vérifications auront été faites pour que nous puissions poursuivre sans tarder? Merci.
Bienvenue à nos témoins de ce soir. Pour la gouverne du Comité, nous avons avec nous les personnes suivantes: Mme Jocelyne Landry, qui comparaît à titre individuel, et, de la Société québécoise de la déficience intellectuelle, nous avons Mme Amélie Duranleau, directrice générale.
[Français]
Elle est accompagnée de M. Samuel Ragot, qui est analyste sénior aux politiques publiques et conseiller à la défense des droits.
[Traduction]
Nous avons également, du Conseil Wabanaki sur le handicap, M. Conrad Saulis, directeur général.
Merci de vous joindre à nous.
La façon dont nous procédons commence par des déclarations liminaires. Chacun d'entre vous disposera de cinq minutes pour faire une déclaration liminaire qui sera suivie par des questions.
Sur ce, j'aimerais inviter Mme Landry à commencer, suivie de Mme Duranleau, puis de M. Saulis.
Madame Landry, vous avez la parole pour cinq minutes.
Je proviens d'une région située au nord du Nouveau‑Brunswick, plus précisément d'un petit village nommé Balmoral. J'habite à Charlo, sur la côte de la baie des Chaleurs. Je suis ici parce que mon père a demandé l'aide médicale à mourir, il y a deux ans. C'est la raison pour laquelle j'ai accepté de témoigner devant vous et de vous faire part de mon expérience.
Mon père avait des convictions et le courage de ses convictions. Il était à la fin de sa vie. Il était atteint d'un cancer et, à la fin, il souffrait vraiment. Il nous avait dit plusieurs années auparavant qu'il avait fait son choix. Bien sûr, en tant que famille, nous avons respecté ce choix. Je ne suis pas contente d'avoir perdu mon père, mais je suis heureuse qu'il ait pu avoir accès à l'aide médicale à mourir et qu'il ait été en mesure de choisir la façon dont il voulait partir.
Mesdames et messieurs les membres du Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir, ou AMM, nous tenons à vous remercier de l'occasion que vous offrez aujourd'hui à la Société québécoise de la déficience intellectuelle.
D'emblée, nous souhaitons préciser que notre organisme ne s'oppose pas à l'aide médicale à mourir pour les personnes en fin de vie. Nous demandons plutôt que des mesures de protection adéquates soient mises en place afin de s'assurer qu'aucune n'aura lieu. Nous pensons que le législateur se doit d'être prudent et de prendre en compte les forces systémiques qui pourraient menacer les personnes en situation de handicap, particulièrement les personnes ayant une déficience intellectuelle.
La déficience intellectuelle ou le handicap en général ne devrait jamais être un critère permettant l'accès à l'AMM. Avec le soutien nécessaire et des mesures d'accommodement appropriées, les personnes présentant une déficience intellectuelle peuvent vivre une vie épanouie et riche. Si ces personnes se trouvent aux prises avec des souffrances intolérables en lien avec leur déficience intellectuelle, c'est parce que la société ne les inclut pas et qu'elle ne leur offre pas suffisamment de services.
La Société est également très préoccupée par la possibilité d'autoriser à toutes les étapes de demande d'AMM le consentement substitué pour les personnes inaptes. Cette possibilité avait notamment été soulevée par l'Assemblée nationale du Québec. Même si la question n'est pas à l'étude aujourd'hui, il est important d'en parler.
D'une part, le recours à l'AMM devrait toujours être précédé de la validation du consentement libre et éclairé exprimé par la personne qui la recevra. D'autre part, il peut être difficile d'évaluer ce consentement dans le cas de personnes inaptes, particulièrement lorsqu'elles ont une déficience intellectuelle plus sévère. Si ces personnes peuvent vivre de la détresse en lien avec la mort d'une personne dans leur entourage, il est généralement plus difficile pour elles de comprendre le caractère permanent et irréversible de leur propre mort. Nous demandons donc aux législateurs de ne pas permettre un consentement substitué pour les personnes inaptes.
Pour ce qui est de la volonté du législateur de potentiellement permettre l'utilisation de directives anticipées pour l'accès à l'AMM, nous souhaitons ramener au centre des débats la question de la validité du consentement. En effet, le fait de demander à une tierce personne de consentir de façon substituée à une procédure qui mène à la mort est différent du fait de présenter une demande anticipée pour refuser certaines procédures pouvant mener à une mort naturelle. En ce sens, il nous semble dangereux d'ouvrir la porte au consentement substitué, même pour les personnes qui avaient préalablement donné leur consentement. Cela ne respecte pas l'esprit de l'arrêt Carter, qui plaçait la question du consentement au cœur de l'accès à l'AMM.
À nos yeux, il est important de proposer des choix satisfaisants aux personnes en situation de handicap. C'est une position qui a d'ailleurs été avancée par la Commission canadienne des droits de la personne. Des services publics universels et de qualité en quantité suffisante doivent être offerts aux personnes qui en ont besoin. C'est d'ailleurs une obligation que le Canada a envers les personnes en situation de handicap en vertu de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Il faut donc des possibilités satisfaisantes pour donner une vie digne aux personnes en situation de handicap et à la population en général.
En conclusion, nous pensons que l'AMM doit être une mesure de dernier recours pour les personnes qui sont aptes à donner un consentement libre et éclairé et qui vivent des souffrances intolérables en fin de vie. Nous distinguons également les directives anticipées en matière de soins des directives anticipées en lien avec l'AMM, les unes permettant la mort naturelle, alors que les autres entraînent le recours à une procédure active qui met fin à la vie.
Par ailleurs, pour nous, le consentement substitué ne devrait jamais être permis pour les personnes inaptes, puisque ces personnes ne peuvent fournir un consentement libre et éclairé. L'arrêt Carter mettait la question du consentement au cœur de l'accès à l'AMM. Il importe de respecter ce principe fondamental de justice et d'équité de la santé.
Enfin, dans l'éventualité où des personnes ayant une déficience intellectuelle en fin de vie feraient une demande d'elles-mêmes, sans aucune pression indue, nous pensons qu'elles devraient être évaluées comme toute autre personne, tant que leur accès à l'AMM ne se fait pas sur la base du handicap.
(2050)
Il est toutefois important de se doter de mécanismes de protection plus robustes afin de contrer le capacitisme et la sous-estimation de la vie des personnes en situation de handicap.
Woliwon, merci de me donner l'occasion de m'adresser à votre comité ce soir.
Je m'appelle Conrad Saulis. Je fais partie du Conseil Wabanaki sur le handicap. Nous travaillons pour soutenir les personnes autochtones handicapées qui vivent sur nos terres abénaquises traditionnelles et ancestrales. Nous travaillons en étroite collaboration avec un partenaire clé, la Mawita'mk Society, un foyer collectif qui se trouve sur la réserve et offre des services aux personnes handicapées.
Je tiens à souligner que je m'adresse à vous ce soir depuis les terres ancestrales sacrées, non cédées, de la nation algonquine.
Je dirai d'emblée que l'AMM n'est pas un concept ou un terme bien accueilli par les peuples autochtones des terres abénaquises. Nous avons connu beaucoup trop de décès dans nos familles, nos collectivités et nos nations depuis le premier contact. La colonisation a entraîné plus de 500 ans de mort, de perte de la langue et du savoir culturel, et de perte de nos terres ancestrales pour nos nations et nos peuples. Croyez-moi quand je dis que nous en avons plus qu'assez de perdre des choses, y compris notre identité de Wolastoqey, Micmac, Innu ou Inuit, et les membres de nos familles qui nous sont chers.
Nous en avons assez de pleurer la perte et la mort de nos jeunes et de personnes handicapées. Ces deux populations font partie des personnes les plus vulnérables de ce pays et nous croyons que nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour les aider à continuer à vivre leur vie, à trouver leur identité et à être des personnes importantes dans nos familles, nos collectivités et nos sociétés. Plutôt que de trouver des moyens de mettre fin à la vie de nos jeunes et de nos personnes handicapées, nous aimerions tellement trouver les moyens de prolonger leur vie et de les garder dans nos familles.
Nos familles ont perdu beaucoup trop d'enfants et de jeunes pendant l'ère des pensionnats et des externats, qui a duré plus de 125 ans. Nous avons perdu trop d'enfants et de jeunes aux mains des agences de protection de l'enfance. Ce que nous voulons, c'est trouver des moyens de maintenir la force des personnes, des familles et des collectivités et de les amener à embrasser nos langues, nos cultures et notre savoir ancestral et traditionnel.
Nous voulons établir les programmes, les services et les soutiens dont nos jeunes et les personnes handicapées ont besoin. Ils n'ont pas besoin de trouver un moyen de mourir; ils ont besoin de trouver des moyens de rétablir leur valeur personnelle pour combattre la maladie mentale. Nous voulons qu'ils soient en bonne santé. Ils veulent être en bonne santé. Nous les voulons en bonne santé émotionnelle, spirituelle, physique et mentale. Nous voulons qu'ils soient bien dans la vision holistique de nos ancêtres, selon les enseignements de la roue de médecine. Nous voulons voir le monde, la Terre mère et la vie qu'elle entretient dans l'optique des valeurs de nos ancêtres, selon la vision abénaquise du respect de toute vie.
Nous n'avons pas besoin ni ne voulons établir d'autres moyens de faire mourir les jeunes autochtones. Il y a déjà assez de morts dans nos collectivités et nos familles. Il y a déjà assez de menaces.
Il y a tant de discrimination systémique dans le système médical canadien. Je me souviens, et nous devrions tous nous souvenir, de Joyce Echaquan et de l'humiliation qu'elle a subie, qui a contribué à sa mort inutile dans un hôpital. Mme Echaquan, malheureusement, n'est qu'un exemple parmi d'autres des Autochtones qui sont morts à cause du racisme systémique. Il y en a beaucoup d'autres dans ce pays.
La semaine dernière, j'ai parlé de l'AMM avec de jeunes Autochtones. Leur peur a été instantanée. Leur peur de l'AMM a plané sur toute notre conversation. Ils ont parlé des problèmes de bien-être mental et du suicide de jeunes dans leurs familles et leurs collectivités. Ils voulaient parler de la manière dont nous pouvons aider nos jeunes à jouir d'une bonne santé mentale et à parler la langue de leurs ancêtres afin d'améliorer leur estime de soi, leur valeur et leur identité. Ils ont expliqué comment leur groupe de jeunes et leurs conversations font partie de leur guérison. Parler, c'est guérir. Être entouré de personnes en qui vous avez confiance et qui se soucient de vous est un facteur de guérison.
Ma mère a passé la dernière partie de sa vie à contribuer à la guérison des enfants wolastoqey en leur enseignant la langue wolastoqey dans leur école. L'école faisait partie du système d'éducation provincial et était située en ville, et non dans une réserve. Ma mère est maintenant passée dans le monde des esprits, mais son héritage se poursuit dans la vie de ces enfants qu'elle a influencés positivement par l'apprentissage de la langue et de la culture.
(2055)
Un de nos partenaires régionaux a déclaré:
Tous les jeunes Autochtones ont vécu des traumatismes intergénérationnels causés par des déplacements ou des réinstallations forcées de leurs terres ancestrales, par la Loi sur les Indiens, les pensionnats indiens, le système de placement en famille d'accueil, etc. Pour ces raisons, nous savons et disposons de preuves empiriques que la santé mentale des jeunes autochtones est moins bonne que celle des jeunes non‑Autochtones.
La semaine dernière, le centre de santé Wabano et la coalition autochtone d'Ottawa ont publié un nouveau rapport sur le racisme dans le domaine des soins de santé intitulé Share Your Story, Indigenous-Specific Racism in Health Care Across the Champlain Region.
Voici quelques-unes des conclusions présentées dans le rapport:
Les données ont fait ressortir cinq stéréotypes: 1. les Autochtones sont de race inférieure; 2. les Autochtones sont malades, toxicomanes et en mauvaise santé mentale; 3. les Autochtones sont un fardeau; 4. les Autochtones sont colériques et agressifs; 5. les Autochtones sont de mauvais parents.
Je vous recommande d'inviter aussi le centre de santé Wabano et la coalition autochtone d'Ottawa à vous parler.
Je remercie nos invités d'avoir accepté de nous rencontrer ce soir, malgré l'heure tardive.
Madame Duranleau, bonsoir, je vous remercie d'être là.
Évidemment, le recours à l'aide médicale à mourir pour les personnes vivant avec une déficience intellectuelle est préoccupant et, si je comprends bien, vous y êtes opposée.
Mes connaissances sont limitées en ce domaine, mais je crois qu'il y a une gradation dans le spectre des déficiences intellectuelles. Est-ce bien le cas?
Nous parlons ici de l'aide médicale à mourir pour les personnes qui sont inaptes à prendre des décisions relatives à leur état de santé. Je tiens à préciser qu'elles ne représentent qu'une partie des personnes atteintes de déficience intellectuelle. Il faut souligner que bon nombre de personnes atteintes de déficience intellectuelle pourraient elles-mêmes faire une demande d'AMM, parce qu'elles sont aptes à prendre leurs propres décisions de vie.
Je vais céder la parole à mon collègue M. Ragot pour qu'il complète cet élément de réponse.
Certaines personnes atteintes d'une déficience intellectuelle légère sont tout à fait aptes à demander l'aide médicale à mourir pour elles-mêmes. Toutefois, il est important que cette décision soit prise sans pressions indues, que la personne exerce vraiment un consentement libre et éclairé, et que cette demande ne soit pas faite pour des raisons économiques ou sociales. La demande d'AMM doit vraiment être faite dans un contexte de fin de vie et de souffrances intolérables, ce qui correspond aux critères actuels du premier volet de la Loi concernant les soins de fin de vie du Québec.
En fait, nous recevons parfois des appels de parents vieillissants qui ont un enfant dans la cinquantaine, par exemple, atteint d'une déficience intellectuelle. Dans certains cas, les services offerts sont minimes, voire inexistants. Ces parents se demandent alors ce qu'il va advenir de leur enfant une fois qu'eux-mêmes seront décédés. Parfois, nous entendons des parents nous dire que, s'ils pouvaient décider que leur enfant ait recours à l'aide médicale à mourir, ils le feraient. C'est tragique.
Cela soulève des questions importantes. Ce sont des situations tragiques, évidemment, et la solution n'est probablement pas l'aide médicale à mourir, mais bien une réponse d'ordre social, soit celle de fournir des services, d'offrir de l'hébergement et une sécurité financière à ces personnes déficientes, comme nous en avons parlé tantôt.
Comme je le disais, malheureusement, ce sont des choses que nous entendons de plus en plus fréquemment.
Croyez-vous que les personnes atteintes d'un handicap intellectuel qui sont au courant de l'aide médicale à mourir le sont parce qu'elles se sont renseignées elles-mêmes ou parce qu'on leur en a parlé?
C'est une question à laquelle il est difficile de répondre sans faire de généralisations indues.
Il est certain que nous avons lu, dans les journaux, que des gens se sont fait proposer l'aide médicale à mourir, faute de mieux, faute de services. À la lumière de ces événements, pourrait-on dire qu'il y a des pressions médicales qui sont liées à une certaine sous-estimation de la vie des personnes atteintes d'un handicap? Il y en a certainement. Certaines personnes peuvent-elles faire des demandes valides et légitimes, en exerçant un consentement libre et éclairé? Il y en a certainement, aussi.
Ce qui est plus préoccupant, évidemment, ce sont les pressions indues et le fait que l'on puisse proposer l'AMM par défaut, faute de mieux.
Vous parliez de consentement substitué. Il s'agit bien de la situation où quelqu'un peut prendre des décisions pour un enfant atteint d'une déficience intellectuelle, n'est-ce pas?
Cette possibilité a aussi fait l'objet de discussions à l'Assemblée nationale de Québec, où elle a été rejetée. Ce n'est donc pas dans le projet de loi qui a été déposé la semaine dernière.
Le consentement substitué a toujours été un recours plus ou moins facile à appliquer, pour éviter de donner une capacité juridique réelle à certaines personnes. Plutôt que de donner aux personnes les outils pour qu'elles exercent leurs propres droits, on a donc souvent accordé un consentement substitué aux parents, notamment, et aux familles. C'est quelque chose que nous entendons en lien avec l'aide médicale à mourir.
Aujourd'hui, je crois que j'ai entendu beaucoup de témoignages convaincants de personnes handicapées et de personnes ayant une déficience intellectuelle. Je pense que tout cela est très logique. Évidemment, si nous avions un système dans lequel nous pouvions donner à tout le monde le soutien dont ils ont besoin, économiquement, psychologiquement et socialement, avec des systèmes de soutien en place pour eux, et si les gens qui ont reçu tout cela croient toujours qu'ils aimeraient avoir accès à l'AMM avec un consentement éclairé, je peux voir cela se produire.
À mon avis, vous avez tout à fait raison. Je suis consternée d'entendre aujourd'hui l'histoire de personnes qui ont choisi l'AMM uniquement parce qu'elles vivaient dans la pauvreté et ne pouvaient même pas se payer des traitements.
Que devraient faire les trois ordres de gouvernement pour donner ce genre d'accès, pour créer un système dans lequel tous les soutiens psychosociaux qui sont nécessaires sont effectivement là et prodigués? Que suggérez-vous aux trois ordres de gouvernement pour créer un système homogène, car les provinces sont responsables de la chose A, et le gouvernement fédéral ne l'est pas, ce qui produit bien sûr une mosaïque de mesures disparates dans l'ensemble du pays? Que recommanderiez-vous?
C'est une autre question à laquelle il est très difficile de répondre. Comme nos collègues du mouvement Le handicap sans pauvreté l'ont dit, il faut de l'argent, un revenu décent, des services publics accessibles de qualité et, nécessairement, des logements qui soient sécuritaires, accessibles, de qualité et adaptés aux besoins des personnes en situation de handicap.
Il faut aussi des transports pour permettre aux gens de se rendre à leur travail et là où sont leurs services. Il faut aussi des services psychosociaux, donc des services sociaux, de psychologie et de psychothérapie. Il faut donc un ensemble de services de soutien aux personnes atteintes d'un handicap. Il faut vraiment une mosaïque de services pour que les personnes soient vraiment bien...
Madame Fry, je suis désolée. Il y a eu un léger malentendu et M. Arseneault prendra l'autre moitié, si vous le permettez. Je crois que l'un de ses témoins est ici ce soir.
Ma première question s'adresse à Mme Landry. Je sais qu'il est tard, presque 22 heures, chez vous.
Certains opposants à l'aide médicale à mourir nous disent que l'insuffisance de soins palliatifs pourrait expliquer la demande accrue de recours à l'AMM. Les statistiques nous indiquent qu'environ 83 % des gens ayant demandé cette aide faisaient déjà l'objet de soins palliatifs et qu'environ 15 % avaient voulu éviter ces soins et demandé directement l'AMM.
Pouvez-vous nous raconter l'expérience de votre père dans ce contexte?
C'était exactement la situation de mon père. Il était en fin de vie, bien sûr. Il était techniquement en soins palliatifs, mais cela faisait quand même des années qu'il était malade. Il a été atteint d'un cancer pendant presque 20 ans. Il a toujours dit que, lorsqu'il n'aurait plus de qualité de vie et lorsqu'il souffrirait trop, il opterait pour l'aide médicale à mourir. C'est exactement ce qu'il a fait. Bien sûr, il a attendu de ne plus avoir de qualité de vie pour en faire la demande. Techniquement, il recevait des soins palliatifs. On lui avait prescrit des médicaments, entre autres de la morphine, mais il refusait d'en prendre. Il voulait rester lucide jusqu'à la dernière minute. Puis, un jour, il a demandé l'aide médicale à mourir.
Dans la présentation plus tôt, j'ai été estomaquée d'entendre que des gens avaient pu avoir accès à l'aide médicale à mourir en 48 heures. Dans le cas de mon père, cela a pris deux semaines après qu'il en a fait la demande. Le médecin et l'équipe médicale ont vérifié régulièrement sa demande auprès de lui, et ce, jusqu'à la dernière minute, pendant deux semaines.
Ce n'est donc pas un processus qui s'est fait nécessairement rapidement. Je dis rapidement dans le sens que cela n'a pas été fait en 48 heures comme l'exemple qui a été donné plus tôt ou comme cela se fait, semble-t-il, ailleurs.
Ma prochaine question s'adresse à M. Conrad Saulis.
J'appuie vos propos et j'entends très bien ce que vous dites, à savoir que le suicide dans votre communauté n'est pas une option et que la résilience, la guérison et l'espoir passent avant tout. J'espère que toutes les communautés du Canada, peu importe lesquelles, enverront le même message à leur jeunesse.
La semaine passée, nous avons reçu des témoins experts qui nous disaient qu'ils étaient en mesure de différencier une personne qui a des tendances suicidaires et qui demande l'AMM, d'une personne qui fait la même demande, mais qui n'a pas de tendances suicidaires.
Ces propos avaient rassuré quelques-uns de mes collègues.
Que pensez-vous des psychiatres qui nous disent qu'ils sont capables de voir cette différence?
Les mesures portent sur les différences culturelles. La culture des Premières Nations, des Métis et des Inuits est très différente de celle de la société dominante — la société européenne. Nous vivons dans votre société. Nous vivons selon vos modalités et conditions. Nous aimerions vivre selon les nôtres. Le fait d'être évalué en fonction des normes, des valeurs et de la morale des sociétés européennes qui sont venues ici et ont établi les gouvernements en place ne fournit pas le genre de soutien culturel ou de connaissances qu'il faut pour déterminer quand une personne autochtone peut envisager le suicide ou agir en fonction de telles pensées.
En ce qui concerne les garanties, je dirais qu'il faut absolument que les conseillers dans le domaine médical soient assujettis à des exigences réglementaires. Ils devraient demander l'avis des aînés, des gardiens du savoir et des membres de la famille. Il s'agirait d'une exigence légale pour ces professionnels de la santé.
Je vais poser mes questions aux représentants de la Société québécoise de la déficience intellectuelle.
Dans l'une des recommandations qu'elle nous a faites, l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité nous disait ceci:
De garder pour le moment un interdit complet sur la question de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir pour les personnes en situation de déficience intellectuelle importante à moins d’une certitude absolue sur l’aptitude décisionnelle de la personne.
Je lisais le mémoire que vous avez déposé devant la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie, en juillet 2021, et je constate que cela rejoint aussi votre deuxième recommandation, qui consiste à proscrire dans tous les cas le recours à la prise de décision substitutive pour les personnes ayant une déficience intellectuelle qui sont jugées inaptes à consentir. Jusque là, j'imagine que cela pourrait vous rassurer.
Vous avez également fait d'autres recommandations intéressantes qui, à mon avis, vont naturellement de soi avec de bonnes pratiques et reflètent ce qui semble se passer actuellement dans le cadre de la pratique médicale. Vous dites qu'il faut « exiger que les personnes qui ont une déficience intellectuelle ne puissent formuler une demande d'aide médicale à mourir que si elles sont en fin de vie ». Je pense qu'on entre là dans la zone grise entre l'inaptitude et l'aptitude, auquel cas j'aimerais savoir comment on évalue l'aptitude décisionnelle.
Madame Duranleau ou monsieur Ragot, avez-vous l'exemple d'un cas qui se trouverait dans cette zone grise?
Les recherches semblent indiquer que les personnes qui ont une déficience intellectuelle comprennent la mort des personnes de leur entourage. C'est assez évident. Elles sont capables d'aborder et de vivre ces situations. Ce qui est moins évident, c'est si elles sont capables de comprendre l'aspect irréversible de leur propre mort. Là, on se trouve dans une zone grise très difficile à départager, comme vous venez de le dire.
Au Québec, la différence entre le consentement médical et le consentement légal, qui est donné en signant un contrat, par exemple, est établie par des tests de compréhension des actes médicaux dont il est question. À ma connaissance, il n'y a pas d'outil parfait pour déterminer si une personne est apte à comprendre sa décision de demander l'aide médicale à mourir ou non. Cela dépend vraiment de l'intensité de la déficience intellectuelle.
Vous exigez qu'un médecin ayant des compétences et une expertise pertinentes en déficience intellectuelle participe à l'évaluation de la demande. J'imagine que c'est le corollaire de ce que vous expliquez. À mon avis, cela va de soi.
Vous soulevez aussi toutes les questions d'inégalité socioéconomique. Je pense aussi que les évaluateurs doivent évidemment tenir compte de cela. C'était aussi ce qui était relevé dans le rapport des experts sur la santé mentale.
Par ailleurs, vous dites que toute demande d'aide médicale à mourir devrait faire l'objet d'une déclaration obligatoire détaillée du professionnel de la santé. Je me demande à quoi vous pensez précisément, étant donné qu'il y a déjà des rapports. Il y a une commission, au Québec, qui examine chaque acte médical qui est fait.
Pensez-vous que cela prendrait quelque chose de supplémentaire? J'imagine que ce n'est pas une thèse. Quelle forme cela prendrait-il?
Il y a eu ce qu'on appelait la Norme sur la protection des personnes vulnérables, qui avait été proposée dans le cadre du premier projet de loi sur l'aide médicale à mourir. La Norme proposait notamment des mesures qui analysaient les déterminants sociaux de la santé et d'autres déterminants de la précarité des personnes, et elle demandait que des rapports plus exhaustifs soient faits. Cela permettait de documenter les raisons réelles pour lesquelles les gens avaient recours à l'aide médicale à mourir, qui peuvent être moins évidentes. C'est aussi pour cela que nous militons, puisqu’on sait que beaucoup de déterminants sociaux de la santé et de la précarité sont d'importants motivateurs pour certaines personnes qui demandent l'aide médicale à mourir.
Votre septième recommandation est d'« exiger que les discussions sur l'aide médicale à mourir soient uniquement amorcées par les patients ». Votre huitième recommandation est de « s'entretenir avec la famille immédiate lors de l'évaluation d'une demande d'aide médicale à mourir » dans le cas d'une déficience intellectuelle. Je pense que ce sont des mesures qui devraient faire partie de la pratique médicale. Avez-vous l'impression que les évaluateurs ou les prestataires ne seraient pas ouverts à cela?
Il me semble que le milieu médical serait sûrement tout à fait disposé à s'entretenir avec les familles. Cela va de soi.
Je pense qu'il s'agit surtout d'éviter que des demandes soient faites sous la pression du personnel médical ou autre, qui ferait preuve d'une certaine forme de capacitisme envers ces personnes. Il s'agit de les protéger contre la sous-estimation de leur vie et les pressions indues.
Monsieur Saulis, j'aimerais commencer par vous remercier d'avoir comparu devant notre comité et d'avoir offert une importante perspective autochtone sur la conversation que nous avons.
Vous avez très bien décrit les disparités qui existent et le traumatisme intergénérationnel qui persiste. Je le vois bien dans les collectivités où je vis, parmi les personnes qui parlent l'halkomelem, les Salish du littoral et les nations Nuu‑chah‑nulth.
J'ai appris à connaître de nombreux aînés au cours de mon mandat de député, et la souffrance est là, elle est juste sous la surface.
Prenant les appels à l'action qui ont été lancés il y a tant d'années, et particulièrement les appels à l'action en matière de santé, les appels à l'action 18 à 24, devons-nous mettre la question de l'aide médicale à mourir dans le contexte du fait qu'un si grand nombre de ces appels à l'action — particulièrement en ce qui concerne les résultats en matière de santé et les soutiens et services offerts aux Premières Nations, aux Inuits et aux Métis du Canada — sont encore grandement insuffisants? Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet, s'il vous plaît?
À mon avis, les appels à l'action sont un excellent cadre pour guider l'avenir avec les peuples autochtones. J'estime qu'il est toujours nécessaire de poursuivre le dialogue entre les gouvernements, fédéral et provinciaux, et les nations autochtones, qu'il s'agisse des Premières Nations, des Métis ou des Inuits. Le dialogue et les conversations sont ce qu'il faut.
Les appels à l'action en matière de santé sont certainement des éléments à utiliser et des points de repère au fur et à mesure que nous avançons. Il faut cependant faire preuve de beaucoup de prudence et de circonspection avant toute mesure concernant l'aide médicale à mourir et les peuples autochtones.
Les remarques de M. Ragot portaient sur le fait que les indicateurs sociaux peuvent être trompeurs, car la qualité de vie des populations autochtones est très différente, voire inférieure à la moyenne. Les personnes handicapées et les jeunes Autochtones, comme je l'ai dit dans mon exposé, sont les personnes les plus vulnérables de la société canadienne.
En même temps, bien sûr, nous devons toujours prendre en considération les femmes autochtones disparues et assassinées et les conséquences de cette situation. Les appels à l'action peuvent être une chose, mais il y a beaucoup plus de choses. Il y en a probablement qui remontent même à la Commission royale sur les peuples autochtones, à dire franchement. Secouez‑en la poussière et relisez‑la. Nous vivons aussi dans la société d'aujourd'hui, donc il faut toujours inclure et faire participer les personnes qui possèdent le savoir, pour ainsi dire.
Vous avez mentionné les femmes autochtones assassinées et disparues. C'était négligent de ma part de ne pas mentionner les appels à la justice qui figurent également dans ce rapport, et qui se recoupent largement.
Madame la coprésidente, mon temps de parole est presque écoulé, je vais donc remercier M. Saulis pour son intervention et lui céder le reste de mon temps.
Mes questions pourraient s'adresser à tous les témoins, mais un ou deux d'entre eux pourraient y répondre.
Normalement, un médecin ou tout autre professionnel de la santé doit expliquer à un patient toutes les options de traitement, que ce soit des soins palliatifs, voire des soins intensifs. Cependant, des anecdotes que rapportent aussi bien les médias que les témoins me donnent l'impression que ces personnes ont demandé l'AMM ou ont été forcées de la demander.
Qu'en pensez-vous, en tant que personne en situation de handicap?
Avez-vous l'impression que, peu importe où vous irez, on vous forcera à demander l'AMM, alors que c'est vous qui devez en décider?
Est-ce que cela vous fait peur?
Je ne sais pas qui voudra répondre à mes questions.
C'est une question à laquelle il est très difficile de répondre. Je dirai néanmoins que le capacitisme est très insidieux. Il n'est pas ouvertement manifesté ou, dans bien des cas, explicité. Il se traduit par des attitudes, des jugements sociaux et des obstacles auxquels font face les personnes dans la société. Il peut parfois se manifester dans le domaine médical, évidemment.
Il faut le redire, il n'y a pas suffisamment de services. Comme nous avons pu le constater, il y a une pénurie de personnel dans les hôpitaux. Nos services de santé sont en piètre état, surtout à la suite de la pandémie. Cela peut mener, indirectement, à recourir à l'AMM plutôt qu'à offrir des services. C'est ce que nous entendons souvent sur le terrain.
Dans le cas de mon père, personne ne lui a offert cette option. C'était vraiment une initiative personnelle. Il a donc demandé l'AMM. Comme je l'ai dit un peu plus tôt, le processus a quand même été beaucoup plus long que celui dont on parle ici. Ces gens ont été très professionnels. De plus, ils l'ont questionné, ont remis en question son initiative et sont revenus à maintes reprises lui poser les mêmes questions pour s'assurer que c'était vraiment ce qu'il voulait. Ils voulaient aussi s'assurer qu'il ne faisait l'objet d'aucune pression de la part de qui que ce soit.
Cela s'est fait dans le respect. Ils se sont assuré que c'était bel et bien ce qu'il voulait. Bien sûr, son bilan médical en disant long. Il souffrait et n'avait vraiment plus de qualité de vie. Papa était un bon vivant. Il n'a pas parlé de mourir avant d'être vraiment au bout du rouleau. Il souffrait et, de toute manière, était en fin de vie. Il aurait peut-être vécu quelques mois de plus.
Je ne veux pas que vous me disiez que je rêve en couleur, mais, supposons que le gouvernement fasse tout ce qu'il peut faire en adoptant des mesures proactives pour remédier à tous les obstacles et à toutes les inégalités systémiques, pensez-vous que les personnes qui souffrent déjà des inégalités dans l'accès aux soins de santé ne vivraient pas cette même inégalité dans l'accès à l'AMM?
À cause de toutes les inégalités systémiques que certains groupes vivent, de la même façon qu'ils ont de la difficulté à avoir accès aux soins et aux services, pourquoi auraient-ils plus facilement accès à l'AMM?
C'est parce que la mesure ne coûte pas cher et qu'elle est très facile à organiser et à offrir aux personnes. C'est une mesure simple qui demande moins de travail systémique. Elle exige moins de travail en matière de préjugés et demande moins d'argent au gouvernement. Elle est juste plus simple. Certaines personnes, je ne dis pas que c'est notre position, ont utilisé le terme « eugénisme ». C'est un terme qu'il faut utiliser avec beaucoup de prudence, mais c'est un terme qu'on pourrait évoquer.
Mes questions s'adressent à Mme Landry. J'ai deux questions, mais avant de les poser, je tiens à vous dire que nous vous remercions d'être venue parler d'un sujet très personnel et difficile, puisque vous avez vécu l'expérience de l'aide médicale à mourir. Nous vous sommes vraiment reconnaissants d'être venue parler d'une expérience réelle, et non hypothétique. Merci beaucoup.
La première question est la suivante: quelle différence cela a‑t‑il fait pour vous et votre famille que votre père ait pu prendre la décision de choisir l'AMM pour mettre fin à sa vie?
Mon père était de la génération des hommes qui ont pris leur vie en main, qui ont construit leur nid, qui ont fondé leur famille et qui ont pris des décisions pendant toute leur vie. Il était important pour lui et pour nous aussi qu'il puisse choisir et prendre une décision, éclairée, bien sûr. C'est une décision qu'il avait mûrie. D'une certaine façon, il a décidé d'abréger ses souffrances comme on abrégeait les souffrances des chevaux blessés ou des chiens à l'époque où il grandissait sur la ferme.
Pour papa, il était important de faire un tel choix. Il ne voulait pas souffrir davantage. Il avait déjà assez souffert.
Je suis contente et fière de vivre dans un pays où mon père a eu ce choix. Il n'a pas eu à se déplacer en Suisse ou ailleurs pour avoir accès à ce service.
L'autre question est de savoir si vous pouvez nous dire comment vous et votre famille vous êtes préparés à la mort de votre père en sachant quand elle surviendrait. Pouvez-vous imaginer comment les choses auraient pu se dérouler différemment pour vous et votre famille s'il était mort sans aucune préparation?
C'était pendant la COVID. C'était il y a deux ans. Nous étions en confinement à ce moment‑là.
[Français]
Il me sera plus facile de continuer en français, si vous me permettez.
Nous étions au début de la pandémie de COVID‑19, alors, nous l'avons gardé à la maison aussi longtemps que nous le pouvions. Il recevait, bien sûr, des soins palliatifs à ce moment-là, par l'entremise de l'hôpital extra mural qui venait offrir ses services à la maison, au besoin. Cependant, papa désirait mourir à l'hôpital, et non à la maison, probablement parce qu'il aurait trouvé cela difficile si maman était morte à la maison. Il tenait donc à aller à l'hôpital. Toutefois, à l'hôpital, il n'avait droit à aucune visite. Maman aussi était âgée de plus de 80 ans. Alors, je trouvais cela inacceptable qu'elle doive soutenir papa sans aucun autre membre de la famille. Alors, j'ai communiqué avec le Bureau du médecin-hygiéniste en chef de la province et le réseau de santé pour avoir la permission qu'au moins un des enfants, à la rigueur, puisse la soutenir. Nous avons obtenu cette permission. J'étais là la veille que papa nous quitte, et mon frère était présent la journée où il nous a quittés.
Le processus de préparation s'est fait graduellement. Depuis plusieurs années, papa nous disait que, lorsqu'il n'aurait plus de qualité de vie et qu'il désirerait abréger ses souffrances, il ferait appel à l'aide médicale à mourir. Sa décision était prise depuis bien longtemps. Il en avait parlé à son médecin, mais ce n'est pas lui qui a fait la procédure. L'équipe médicale qui s'occupe de la procédure, dans le Restigouche, est très consciencieuse et a fait son travail de façon très professionnelle. D'ailleurs, pour papa, l'attente a été un peu trop longue. Il aurait voulu entrer à l'hôpital, et que cela se fasse dans les heures ou les jours suivants. Or cela a pris beaucoup plus de temps. À la fin, il disait que c'était long, attendre la mort. Il a quand même rigolé avec nous jusqu'à la dernière minute, mais il reste qu'il était prêt, et nous lui avons fait nos adieux.
Lorsque je l'ai conduit à l'hôpital avec maman, nous pleurions, bien sûr, mais je respectais son choix, et c'était important pour nous de le lui dire. Nous comprenions sa souffrance et nous respections son choix. Je pense c'était important pour lui, et que ce l'était aussi pour nous.
Ma mère a vécu cette expérience différemment. Lorsque son père est décédé, elle était avec lui, et il est décédé d'une mort naturelle, tranquillement. Elle a toujours dit que la mort de son papa était comme une chandelle qui s'éteignait. Par contre, dans le cas de mon père, il faut réaliser que le bagage émotionnel était différent. Il était son conjoint, ils avaient le même âge et ils avaient partagé 60 ans de vie commune.
C'était donc plus pénible et plus difficile pour elle, parce que la procédure a pris beaucoup plus de temps qu'elle le prévoyait. Une fois le médicament injecté, cela a pris une vingtaine de minutes avant qu'il n'y ait plus de battement de cœur. Bien qu'elle ait trouvé cela difficile et pénible, elle respectait son choix.
Jusque là, ma mère avait toujours dit que, lorsqu'elle serait malade en fin de vie, elle opterait pour cette solution. Par contre, après l'expérience qu'elle a vécue avec mon père, elle ne voudrait pas que ses enfants aient à subir à nouveau cette expérience.
Je remercie le groupe de témoins de leur témoignage, nous leur en sommes reconnaissants.
[Traduction]
Ma question s'adresse à M. Conrad Saulis.
Monsieur Saulis, je suis heureux de vous revoir. Nous nous sommes rencontrés il y a deux ans lorsque nous avons débattu de la version précédente du projet de loi.
Je suppose que vous avez lu le rapport du groupe de travail. L'une des recommandations du groupe de travail est de s'assurer qu'il y ait une consultation avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis pour que le système d'AMM intègre les perspectives autochtones et d'autres facteurs pertinents pour leurs collectivités. Le rapport note également que, jusqu'à présent, l'engagement avec les peuples autochtones du Canada concernant l'AMM n'a pas encore eu lieu. Je crois comprendre que vous serez d'accord avec la recommandation du groupe de travail d'engager des conversations avec les Premières Nations sur la création de systèmes qui respectent la culture des Premières Nations et qui sont liés à leurs valeurs spirituelles.
Lorsque nous parlons d'aide médicale à mourir... C'est un concept tellement étranger dans le monde des Premières Nations, dans mon expérience de jeunesse dans la réserve, et dans tout le travail que j'ai fait et que je continue de faire. Comme je l'ai dit dans une réponse précédente, il faut absolument que les gouvernements, de même que les fournisseurs de services médicaux, aient des conversations afin de comprendre les valeurs, la morale et les perspectives. Nous voyons le monde à travers les enseignements de la roue de la médecine — l'émotionnel, le spirituel, le physique et le mental. Ces aspects sont très réels pour nous. Nous les avons presque perdus. Les conversations seront toujours nécessaires. Même après avoir eu des conversations, d'autres conversations seront toujours nécessaires, alors quel que soit le dialogue... qui que ce soit...
Je sais qu'il y a beaucoup de Premières Nations et d'Autochtones qui travaillent dans le domaine médical, tant comme praticiens que comme analystes. J'ai mentionné Joyce Echaquan il y a quelque temps — ce qu'elle a vécu et l'expérience médicale qu'elle a eue. Malheureusement, ce n'est pas différent pour beaucoup d'entre nous de notre collectivité des Premières Nations — appelée réserve — qui vont à l'hôpital local en ville. Nous savons simplement que ce n'est pas un environnement accueillant. Comment faire confiance à cela? Comment faire confiance à un environnement où l'on vous méprise? Les conclusions du centre de santé Wabano, ici à Ottawa, ainsi que de la coalition autochtone d'Ottawa, sont les opinions et les conclusions des personnes avec lesquelles ils ont parlé et qui ont répondu aux entrevues et aux questions. Regardez ces conclusions. J'espère vraiment que vous entendrez ce que disent le centre de santé Wabano et la coalition autochtone d'Ottawa. Je suis sûr que ce serait beaucoup de choses réfléchies et importantes, fondées sur leur expérience.
Je vais terminer par une brève question à M. Saulis pour lui donner l'occasion de nous dire ce que le gouvernement fédéral peut faire pour s'occuper des jeunes Autochtones au lieu d'offrir l'AMM.
Nous discutons de ce qui se passerait avec les mineurs matures. Vous avez dit que vous avez parlé aux jeunes avant cela, et je pense que votre voix est très importante ce soir. Que peut faire le gouvernement fédéral?
Je crois qu'il y a un énorme vide en matière de programmes pour les jeunes et de soutien aux jeunes Autochtones. L'un des groupes avec lesquels nous travaillons est un groupe autochtone dont le siège est à Unama'ki, au Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse. Ils se battent et ont du mal à trouver des fonds pour les aider à avoir les conversations qu'ils veulent avoir.
C'est certainement l'une de ces choses. Le gouvernement fédéral doit mettre en place un programme beaucoup plus solide et plus efficace à l'intention des jeunes Autochtones afin qu'ils puissent se réunir, qu'ils puissent se diriger eux-mêmes et déterminer eux-mêmes les sujets dont ils veulent parler.
Je sais qu'invariablement, ils voudront parler de la langue et de la culture, de la possibilité d'entrer en contact avec les aînés et les gardiens du savoir traditionnel, de l'apprentissage sur le terrain et de choses de ce genre, mais ce sont aussi des gens très sérieux. Je pense que si l'on fournit ce genre de ressources aux jeunes Autochtones, ainsi que des garanties dans le cadre de la loi et des politiques qui figurent dans les règlements annexés à la loi... Des garanties sont nécessaires pour protéger les jeunes Autochtones de ces terres.
Nous en sommes à la fin de la séance. J'aimerais remercier nos témoins de ce soir.
Madame Jocelyne Landry, je vous remercie pour votre témoignage très personnel concernant votre père.
Je remercie également les représentants de la Société québécoise de la déficience intellectuelle. Madame Duranleau et monsieur Ragot, je vous remercie de vos témoignages et de vos réponses à nos questions.
[Traduction]
Enfin, monsieur Conrad Saulis, merci beaucoup d'être venu ce soir et de nous présenter la perspective autochtone sur ce sujet très important. Nous vous en sommes fort reconnaissants.
Sur ce, nous arrivons au terme de la réunion du Comité de ce soir.
Notre prochaine réunion se tiendra lundi prochain à 18 h 30. Merci.