Bonsoir et bienvenue à la réunion du Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir.
J'aimerais commencer en souhaitant la bienvenue aux membres du Comité et aux témoins, ainsi qu'aux personnes qui suivent cette réunion en ligne. Je m'appelle Yonah Martin, et je suis coprésidente du Sénat de ce comité. Je suis accompagnée de l'honorable Marc Garneau, coprésident de la Chambre des communes.
Aujourd’hui, nous continuons notre examen prévu par la loi des dispositions du Code criminel concernant l’aide médicale à mourir et leur application.
J'aimerais rappeler aux membres et aux témoins qu'ils doivent garder leur micro en sourdine, à moins qu'ils ne soient désignés par leur nom par l'un des coprésidents. Lorsque vous parlez, veuillez vous exprimer lentement et clairement.
Les services d’interprétation offerts pour cette vidéoconférence sont les mêmes que ceux offerts pour une réunion en personne. Au bas de votre écran, vous pouvez choisir entre le parquet, l’anglais et le français.
Encore une fois, j'aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins du premier groupe, qui sont ici pour discuter de l'aide médicale à mourir lorsqu'un trouble mental est le seul problème de santé évoqué.
Par vidéoconférence, nous avons trois experts comparaissant à titre personnel: la Dre Marie Nicolini; Shakir Rahim, avocat chez Kastner Lam LLP; et le Dr Michael Trew, professeur agrégé de clinique à l'Université de Calgary. Merci à vous trois de votre présence.
Nous allons commencer par la déclaration liminaire de M. Nicolini. Suivront celle de M. Rahim et celle de M. Trew. Chacun dispose de cinq minutes, que je vais chronométrer.
Docteure Nicolini, vous avez cinq minutes. Nous vous écoutons.
Je suis la Dre Marie Nicolini, et je suis heureuse d'être avec vous aujourd'hui pour m'adresser au Comité.
Je suis médecin et psychiatre et j'ai un doctorat en bioéthique. J'ai été formée en Belgique, où la pratique de l’aide médicale à mourir dans les cas de troubles mentaux est autorisée depuis 20 ans.
Au cours des cinq dernières années, j'ai publié un large éventail de recherches novatrices sur la pratique de l'aide médicale à mourir pour troubles mentaux dans les meilleures revues d'éthique et de psychiatrie. J'ai effectué ces recherches dans des institutions de bioéthique de premier plan dans le monde entier, notamment les National Institutes of Health et le Kennedy Institute of Ethics de l'Université Georgetown, et on m'a invitée à donner des conférences à ce sujet dans des universités, des centres médicaux et des les plus grands colloques du monde entier, dont le King's College de Londres, l'Université de Pennsylvanie, l'American Psychiatric Association et la conférence mondiale de psychiatrie.
Se basant sur de grands ensembles de données portant sur des cas réels d’aide médicale à mourir aux Pays-Bas, mes recherches ont permis d'établir des faits fondamentaux sur la façon dont se passe réellement l’aide médicale à mourir dans les cas de troubles mentaux. En outre, mes recherches ont également permis de clarifier les questions éthiques que soulève cette pratique, notamment en ce qui concerne les femmes. J'ai tenu à poursuivre cette recherche dans une perspective neutre permettant d'examiner comment les conditions d'admissibilité s'appliquent, quelles sont les normes relatives à ces conditions et quelles difficultés elles soulèvent. Mes recherches ne prennent pas position pour ou contre la pratique de l’aide médicale à mourir.
Sur la base de ces enquêtes étendues et très détaillées, j'ai découvert deux problèmes centraux en ce qui concerne la pratique de l’aide médicale à mourir dans les cas de troubles mentaux. Je vais d'abord les présenter, puis j'expliquerai chacun d'eux un peu plus en détail.
Premièrement, l'incurabilité ou l'irréversibilité est toujours une condition essentielle de l'aide médicale à mourir, mais nous ne disposons pas d'une description cohérente de ce que signifie l'incurabilité d'un trouble mental. Deuxièmement, les pays qui ont adopté l'aide médicale à mourir continuent de mettre en place des programmes de prévention du suicide, mais pour l'instant, il n'existe aucun principe pour guider les cliniciens à déterminer si c'est l'aide médicale à mourir ou la prévention du suicide qui devrait s'appliquer selon le cas.
En ce qui concerne la première préoccupation, dans le cas de l'aide médicale à mourir pour les maladies physiques, il est toujours exigé que la condition soit incurable ou irréversible. Dans les cas d'aide médicale à mourir pour troubles mentaux, cette exigence est reprise, mais nous ne savons pas ce que signifie le fait qu'un trouble mental soit incurable. Nous pouvons adopter une approche objective qui énumère tous les traitements disponibles fondés sur des preuves et leurs pronostics probables, mais mes recherches montrent qu'en psychiatrie, le pronostic ne peut être « prédit ». Nous pouvons également adopter une approche subjective, comme le fait le Canada, selon laquelle les patients déterminent eux-mêmes si leurs troubles mentaux peuvent être soignés, mais cela ne nous permet pas de filtrer les cas dans lesquels l'aide médicale à mourir a été demandée sur la base de conditions sociales ou de maladies sociales telles que la pauvreté, le chômage, la violence sexiste ou d'autres inégalités.
En ce qui concerne la deuxième préoccupation, étant donné que les pays qui disposent de l'aide médicale à mourir pour les cas de troubles mentaux poursuivent des programmes de prévention du suicide, il est de la plus haute importance d'établir des paramètres clairs pour décider quand nous devons aider à réaliser un désir de mort et quand nous devons prendre des mesures pour l'empêcher. À l'heure actuelle, il n'existe aucune orientation pratique ou conceptuelle qui caractérise la différence entre ces deux possibilités.
Ces deux problèmes posent une sérieuse responsabilité éthique à tout gouvernement qui choisit de légaliser la pratique de l’aide médicale à mourir pour les cas de troubles mentaux. En l'absence de normes claires sur ce qui est curable et ce qui ne l'est pas et sur la différence entre aide médicale à mourir et prévention du suicide, les évaluations des cliniciens concernant cette décision ultime doivent se faire au cas par cas. Le problème avec une telle approche, c'est que la prise de décision est alors basée sur les intuitions personnelles des cliniciens et sur des préjugés non reconnus.
Mes recherches ont montré qu'aux Pays-Bas, les patients atteints de maladie mentale qui présentent également des handicaps physiques sont plus susceptibles d'être orientés vers la clinique de fin de vie — qu'on appelle maintenant Expertisecentrum Euthanasie. Paradoxalement, les personnes qui présentent également des handicaps physiques sont moins susceptibles d'être vues par un psychiatre avant le décès. Je pense que nous pouvons tous convenir qu'il s'agit là d'un résultat et d'une responsabilité que le Canada devrait s'efforcer d'éviter.
Par conséquent, d'après mes recherches, il serait très problématique d'autoriser l’aide médicale à mourir pour les cas de troubles mentaux avant de clarifier, premièrement, ce que signifie le fait qu'un trouble mental soit incurable et, deuxièmement, ce qui distingue un cas d’aide médicale à mourir d'un cas de prévention du suicide.
Je vous remercie, et j'ai hâte de répondre à vos questions.
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Merci, madame la présidente.
Permettez-moi de me présenter. Je suis un avocat dont la pratique comprend des affaires de droits de la personne d'importance provinciale et nationale, y compris celles qui concernent l'article 15 de la Charte, c'est‑à‑dire la disposition concernant la question d'égalité.
J'étais intervenant et conseiller juridique adjoint dans l'affaire Ontario c. G, une décision de la Cour suprême de 2020 aux termes de laquelle l'article 15 devait s'appliquer relativement à des troubles mentaux.
Je suis ici aujourd'hui pour offrir mon point de vue juridique, mais je vous signale aussi que je souffre d'une maladie mentale depuis 18 ans.
Je vais d'abord expliquer comment l'article 15 se rapporte à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, ou lorsque des troubles mentaux sont le seul problème médical sous-jacent. Ensuite, je vous dirai pourquoi je pense que les recommandations du groupe d'experts sont conformes à l'esprit et à la lettre de l'article 15 de la Charte.
L'article 15(1) confère le droit à l'égalité de bénéfice et à la protection égale de la loi. Si une loi fait une distinction de manière discriminatoire entre des personnes pour les motifs énumérés ou des motifs analogues, il s'agit d'une violation de l'article 15(1). Or, les déficiences mentales sont au nombre de ces motifs.
Une distinction est discriminatoire si elle impose une charge ou refuse un avantage d'une manière qui renforce, perpétue ou exacerbe un désavantage. Dans la jurisprudence, les facteurs pertinents à cette détermination sont innombrables et peuvent inclure le préjudice psychologique ou physique.
Si le Parlement adopte une loi qui crée un régime d’aide médicale à mourir distinct pour les personnes atteintes de troubles mentaux et que ce régime rend l'accès à cette aide plus difficile pour ces personnes, cela pourrait constituer une violation de l'article 15(1). En effet, le régime imposerait un fardeau particulier aux personnes qui cherchent à accéder à l'aide médicale à mourir en vertu du motif dûment protégé de la déficience mentale.
Cependant, l'article 1 de la Charte cautionne la violation des dispositions de l'article 15(1) lorsque l'État arrive à établir qu'elle se situe dans des « limites qui soient raisonnables... [et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique] ». L'existence de cette circonstance est évaluée à l'aide du test Oakes: l'État doit avoir un objectif impérieux et substantiel de violer ces droits, les moyens choisis doivent possiblement faire avancer cet objectif et porter le moins possible atteinte au droit garanti par la Charte, et les avantages de la violation doivent l'emporter sur ses effets négatifs.
À mon avis, la recommandation du groupe d'experts sur l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué est conforme à l'esprit et à la lettre de la jurisprudence relative à l'article 15. Je vais mettre l'accent sur trois des raisons sur lesquelles je m'appuie pour dire cela.
Premièrement, le groupe d'experts rejette le stéréotype selon lequel les personnes atteintes de troubles mentaux constituent le seul groupe touché par des problèmes tels que l'incapacité, les comportements suicidaires ou l'incidence des vulnérabilités structurelles. Le groupe d'experts recommande que ses mesures de protection, ses protocoles et ses conseils s'appliquent à toutes les situations cliniques dans lesquelles ces problèmes et d'autres problèmes connexes se posent. Dans l'affaire G, la Cour suprême a souligné comment les personnes atteintes de troubles mentaux perdent leurs droits et libertés précisément à cause des stéréotypes sur leurs propensions et capacités. La recommandation du groupe d'experts en faveur d'une approche applicable de façon universelle exclut l'application de ce stéréotype.
Deuxièmement, le corollaire de cette observation du groupe d'experts concernant l'universalité de ces préoccupations est que ce dernier ne recommande pas de régime distinct en vertu du Code criminel pour l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Cette approche réduit le risque d'une violation de l'article 15(1), car la loi ne fait pas de distinction explicite à l'égard des troubles mentaux. En clair, cela signifie qu'une distinction peut également exister par l'application inégale d'une loi apparemment neutre. Cependant, une distinction en bonne et due forme entraînerait explicitement une différence de traitement et augmenterait le risque d'une violation de l'article 15(1).
Troisièmement, le groupe d'experts approuve les formes d'évaluation individualisées. Le groupe d'experts souligne que des évaluations au cas par cas de l'incurabilité, de l'irréversibilité et du caractère intolérable de l'état devraient être effectuées par les évaluateurs de l’aide médicale à mourir. Cette suggestion est conforme à la jurisprudence récente entourant l'article 15(1), qui a reconnu qu'une évaluation individualisée peut être une alternative moins handicapante qu'une forme catégorielle de traitement fondée sur un motif de discrimination interdit.
Voilà qui conclut ma déclaration liminaire. Je vous remercie.
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Je vous remercie de m'avoir invité à prendre la parole aujourd'hui.
Pour ce qui est de mes antécédents pertinents, je suis psychiatre clinicien depuis 40 ans à Calgary, et je m'intéresse particulièrement à l'interaction entre les troubles mentaux et les troubles physiques. Je suis professeur agrégé de clinique à l'Université de Calgary. Je suis l'ancien médecin-chef de la toxicomanie et de la santé mentale des services de santé de l'Alberta.
De 2016 à 2018, j'ai présidé le groupe d'experts des services de santé de l'Alberta sur les maladies non limitatives de la vie. Je suis membre du groupe de travail de l'Association des psychiatres du Canada sur l’aide médicale à mourir lorsque les troubles mentaux sont le seul problème médical sous-jacent. Je suis également membre de la Canadian Association of MAID Assessors and Providers — l'association canadienne des évaluateurs et des prestataires de l’aide médicale à mourir — et j'ai fourni une évaluation psychiatrique principalement en ce qui concerne la capacité en milieu communautaire.
De manière générale, je respecte et j'approuve les objectifs globaux des projets de loi et , ainsi que le rapport final du Groupe d’experts sur l’aide médicale à mourir et la maladie mentale.
À mon avis, les troubles mentaux ont longtemps été considérés comme étant séparés et distincts des troubles physiques. Je crois que toute distinction continue entre les troubles mentaux et les troubles physiques aux termes des lois régissant l’aide médicale à mourir a peu de chances de résister à une révision judiciaire.
D'après ma propre expérience clinique, je peux décrire des cas dont la plupart des gens conviendraient qu'ils représentent une utilisation appropriée de l’aide médicale à mourir pour des personnes dont la seule condition médicale sous-jacente est un trouble mental. Je peux également décrire des cas où la prestation de cette aide rendrait la plupart des gens très mal à l'aise.
Le défi consiste à mettre au point un système d'évaluation fiable pour prendre ces décisions. L'absence d'un tel système comporte des risques, notamment des écarts substantiels d'une administration à l'autre, le risque de fournir trop ou trop peu d'aide médicale à mourir pour troubles mentaux, la détresse éthique subséquente pour les prestataires et les survivants, et le « magasinage » d’aide médicale à mourir.
À mon avis, les tribunaux ont jugé les cas les plus patents, ceux dont les plaignants étaient très forts et raisonnables. Ces cas de souffrance et de handicap extrêmes ont établi les principes qui sous-tendent l’aide médicale à mourir en général. En les examinant maintenant, ils semblent relativement très typés, alors que certains des cas du 2e volet — et je m'attends à ce que ce soit de même pour beaucoup de situations où les troubles mentaux sont le seul problème médical sous-jacent — seront très nuancés avec beaucoup de détails en zones grises.
Nos requérants ne sont pas tous ou ne seront pas tous très raisonnables. Le degré de complexité, combiné à la pratique actuelle qui, pour de bonnes raisons, a mis l'accent sur l'indépendance des évaluations, appelle à une réflexion sur les processus et les attentes à venir.
La volonté d'instaurer l’aide médicale à mourir au départ était largement motivée par une approche centrée sur la personne et fondée sur les droits de la personne. Le projet de loi s'est largement concentré sur la question de savoir non pas si une personne allait mourir bientôt, mais comment et quand elle allait mourir bientôt. Je crois qu'il a été adopté en grande partie par des personnes qui ont l'habitude d'exercer un degré élevé de contrôle personnel dans leur vie et qui choisissent de franchir cette étape au moment de leur mort. Le programme a été très bien accueilli. Les prestataires et les survivants ont témoigné du soulagement qu'ils ont ressenti et ils ont exprimé des remerciements que la plupart des gens verraient comme des signes de réussite. Le taux d'aboutissement a été élevé dans ce groupe, une fois la demande formulée.
La situation prévue pour l’aide médicale à mourir ayant les troubles mentaux comme seul problème médical sous-jacent est très différente. L'expérience du Benelux fait état d'un taux d'aboutissement compris entre 0,5 et 4,5 %, alors qu'ici, en 2021, le taux d'aboutissement global était de 81 %. Cela signifie que les attentes des évaluateurs et des prestataires sont complètement différentes pour les personnes qui demandent l’aide médicale à mourir pour raison de troubles mentaux.
Je m'attends à ce que cela soit perçu par certains comme étant trop paternaliste. Cela pourrait donner lieu à d'autres contestations judiciaires, à moins que l'administration sous-jacente ne soit très soigneusement établie et qu'une formation appropriée ne soit dispensée de façon concertée dans tout le pays.
J'apprécie la formulation employée par le groupe d'experts pour décrire la prise de décision partagée. Je crois que nous devons également prévoir un espace de discussion approprié entre les évaluateurs après leur première évaluation afin d'avoir la possibilité de débattre de ces cas difficiles. Comme je l'ai dit, bien que cela ne soit pas explicitement interdit dans la loi, l'accent mis sur l'indépendance de l'évaluation donne l'impression que le fait pour les évaluateurs de pouvoir parler après leur première réunion n'est pas acceptable.
J'apprécie également la recommandation du groupe d'experts concernant la participation des équipes de traitement dans le cadre de ce processus élargi.
Je recommande...
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Merci de votre question. Je vais répondre brièvement aux chiffres.
Le chiffre que vous avancez est correct. Le nombre de cas d’aide médicale à mourir en raison de troubles mentaux a fluctué tant aux Pays-Bas qu'en Belgique. Il s'agit de 1 à 2 % du nombre total de cas. Il est important de noter que lorsqu'il est question d’aide médicale à mourir pour le cancer, par exemple, c'est 10 % des patients concernés qui la demandent, ce qui est un pourcentage important.
En ce qui concerne la deuxième partie de votre question — les différences entre le cadre des Pays-Bas et celui du Canada —, je dirai simplement que la principale différence est la façon dont est définie l'« irréversibilité », l'une des exigences clés. Dans leurs directives officielles, les Pays-Bas adhèrent à un compte rendu objectif lorsqu'ils disent qu'un clinicien est censé évaluer un patient à la lumière de son diagnostic et de son pronostic. Mes recherches ont montré qu'en psychiatrie, nous ne sommes pas en mesure d'établir de pronostic, de sorte que ce compte ne saurait être fiable.
Le Canada soutient explicitement un compte subjectif. Nous n'avons pas encore commencé à déterminer quelles seraient les normes pour de tels comptes dans le cas de troubles mentaux.
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Je suis désolé de vous interrompre, mais je n'ai pas beaucoup de temps de parole et j'aimerais laisser aux autres intervenants la chance de poser des questions.
C'était ma première question.
Vous avez pris connaissance du rapport du comité d'experts qui met en place des recommandations soutenant un certain nombre de principes de précaution, notamment relativement aux tendances suicidaires. On y mentionne clairement que l'évaluateur ne pourrait pas du tout recevoir une demande d'aide médicale à mourir qui provient d'une personne en crise. Les gens qui ont des troubles mentaux et qui sont en période de crise seraient donc exclus.
Voici une citation tirée du rapport final du Groupe d'experts:
Dans toute situation où les tendances suicidaires constituent une préoccupation, le clinicien doit adopter trois perspectives complémentaires [au moment où cela se révèle] : tenir compte de la capacité de la personne à donner son consentement éclairé ou à refuser les soins, déterminer si des interventions de prévention du suicide — y compris involontaires — doivent être déclenchées, et proposer d’autres types d’interventions qui pourraient aider la personne.
Ce qui est indéniable, c'est que, dans ce rapport, on a été en mesure de faire la distinction entre les gens aux prises avec des tendances suicidaires et la recommandation 8.
J'ai trouvé que le concept de cohérence, dont vous avez parlé, était intéressant. D'ailleurs, je l'ai retrouvé dans le rapport.
La recommandation 8 précise ce qui suit: « Les évaluateurs doivent s'assurer que le souhait de mourir du demandeur est cohérent [...], sans ambiguïté et réfléchi rationnellement pendant une période de stabilité, et non pendant une période de crise. »
On y parle aussi de la durabilité dans le temps. Il est question de multiples tentatives.
Les gens qui ont témoigné devant le Comité nous ont dit que, même pour les maladies dites de la voie 2, soit les maladies physiques,ce n'était presque pas possible d'avoir un pronostic clair et irrémédiable.
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Pour ce qui est du pronostic, mes recherches démontrent... Mes co-auteurs et moi-même avons étudié en profondeur la question de la prédiction du pronostic en psychiatrie, en tenant compte du cas paradigmatique de la dépression résistante au traitement; nous avons examiné à la fois les prédictions des cliniciens et la médecine de précision. La conclusion en est qu'on ne peut pas prédire le pronostic. Contrairement à ce que disait le Dr Trew, selon la science pure et dure, même lorsqu'on utilise la médecine de précision, la meilleure prédiction du pronostic à long terme relève du hasard. C'est ce qu'indique la science. C'est ce qui a été publié à ce sujet.
En ce qui concerne les tendances suicidaires et la question de l'autonomie, que vous soulevez, je tiens à dire ceci: même si nous sommes d'accord, et nous pouvons l'être, pour dire que certaines personnes atteintes de maladie mentale qui souhaitent mourir mériteraient notre compassion et notre aide, il faut aussi admettre que d'autres personnes atteintes de maladie mentale qui souhaitent mourir auraient plutôt besoin de services de prévention du suicide. Personne ne pense que l'AMM devrait remplacer la prévention du suicide. Le problème, c'est que nous ne disposons pas de paramètres pour décider quand accepter et quand rejeter l'autonomie du patient à cet égard.
Il est utile de préciser que si nous voulons parler d'autonomie et en parler sérieusement, nous devons parler de consentement éclairé. Or, de nombreux patients bénéficiant actuellement de services de prévention du suicide répondent aux exigences du consentement éclairé, donc si nous voulons parler sérieusement de l'autonomie du patient et légaliser l'AMM en cas de troubles mentaux, il faudrait d'abord procéder à une réforme en profondeur de la façon dont nous faisons la prévention du suicide.
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Merci, madame la coprésidente. Merci à tous nos témoins d'être avec nous aujourd'hui.
Docteure Nicolini, j'aimerais commencer par vous. J'ai pris des notes pendant votre déclaration préliminaire et quand vous avez parlé des difficultés qui se posent pour conclure à l'incurabilité et à l'irrémédiabilité, ainsi que sur la nécessité d'établir des lignes directrices pour la prévention du suicide, entre autres. Je pense que personne ne vous contestera sur ce point.
Compte tenu de la façon dont le Code criminel est rédigé actuellement, dans les dispositions sur l'aide médicale à mourir et la définition des problèmes de santé graves et irrémédiables, on voit qu'il doit s'agir d'une maladie grave et incurable. Il est également mentionné qu'il faut que la situation médicale de la personne se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités. Selon l'alinéa 241.2(2)(c), ses souffrances lui sont intolérables et ne peuvent être apaisées dans des conditions qu'elle juge acceptables.
Ces alinéas pourraient toutefois être en contradiction, parce que vous pourriez, hypothétiquement, trouver un traitement, mais le patient pourrait trouver que ce traitement n'est pas acceptable et ne pas croire qu'il peut vraiment soulager son état. Qu'en pensez-vous?
Je vous pose probablement la même question sous une forme différente, mais pouvez-vous nous parler davantage de cette apparence de conflit?
Monsieur Rahim, j'aimerais vous inviter à participer à la conversation. Je vous remercie de vos déclarations préliminaires, particulièrement sur l'article 15 de la Charte, qui prescrit que tout le monde mérite la même protection législative et des avantages égaux selon la loi.
Vous avez entendu la conversation jusqu'à présent dans cette réunion. Vous connaissez bien le rapport du groupe d'experts que nous avons tous lu. Compte tenu de la tâche qui nous incombe en tant que parlementaires membres de ce comité et du fait que nous devons présenter des recommandations au gouvernement fédéral, y a‑t‑il quelque chose en particulier que vous aimeriez voir inclus dans notre rapport, notamment en ce qui concerne le thème des troubles mentaux lorsqu'ils sont le seul problème médical invoqué?
Je sais que le groupe d'experts a jugé que les garde-fous existant dans le Code criminel étaient suffisants et qu'il appartenait aux médecins, aux provinces et aux associations médicales d'élaborer des normes en la matière, mais y a‑t‑il quelque chose dont le gouvernement fédéral n'a pas encore assez tenu compte dans ce domaine et que, selon vous, le Comité devrait recommander?
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Il y a une chose qui me vient à l'esprit, qui a été effleurée pendant les discussions, à la réunion précédente, et c'est la distinction entre certains termes du Code dans le vocabulaire juridique et dans le vocabulaire médical, et comment cela brouille la compréhension de ce qu'ils sous-entendent.
Ainsi, un tribunal ou un avocat sera exposé à un ensemble de faits et à une décision prise selon une norme juridique particulière, puis il essaiera de déterminer si ces faits correspondent à la norme. Ce que je retiens de cette discussion et des délibérations du Comité lors de cette réunion, c'est l'importance pour le Comité de recommander qu'il y ait, dans la mesure du possible, clarté et précision dans tout ce qui est élaboré, par les provinces ou par les organismes de réglementation. Cela s'applique aux normes pour déterminer ce qui constitue une maladie incurable, irréversible ou autre.
Je pense que le rapport du groupe d'experts contribue largement à établir cette base. À mon avis, les délibérations ici et dans d'autres réunions du Comité ont montré qu'il est nécessaire d'aller plus loin, ne serait‑ce que pour s'assurer que lorsque les tribunaux doivent appliquer ces normes juridiques à un ensemble particulier de faits et à une approche adoptée par les professionnels de la santé, ils disposent également d'outils pour évaluer tout cela et ne sont pas laissés dans une situation de novo pour répondre à ces questions.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Ma question s'adresse à la Dre Nicolini.
Docteure Nicolini, vous avez dit tantôt que le pronostic concernant un état irrémédiable était basé sur des probabilités. Selon d'autres experts qui ont comparu devant ce comité, les personnes qui seront admissibles constitueront une petite proportion de l'ensemble des patients. On parle ici de personnes malades depuis plusieurs années, qui ont reçu beaucoup de traitements et dont la plupart n'ont pas bien fonctionné.
Comment voyez-vous cela? Que pensez-vous, non pas de l'état irrémédiable, mais plutôt du statut de ces patients?
D'après vous, pourraient-ils répondre aux critères requis pour recevoir l'AMM?
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Cela rejoint ce que j'ai déjà dit.
Je suis d'accord pour dire qu'un certain nombre de patients — en fait, beaucoup de patients — auront de longs antécédents de traitements psychiatriques. La question que les évaluateurs de chaque demande d'AMM devront se poser, c'est si oui ou non, il est vrai qu'ils ne se rétabliront pas. C'est le propre du critère d'irrémédiabilité.
Lorsqu'on analyse la littérature et les essais sur [Difficultés techniques] un ensemble de patients qui répondaient tous aux critères de maladie grave au début, encore une fois, comme je l'ai dit plus tôt, il y avait une certaine corrélation avec le pronostic: dans la majorité de ces cas, leur état s'est amélioré, tandis que dans une minorité tout de même importante de cas, il ne s'est pas amélioré, donc c'est vrai.
La question est de savoir comment nous pouvons en être sûrs. Quel genre de certitude avons-nous quant au pronostic? Je le répète, en l'état actuel des choses, cela relève presque du hasard.
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Merci, monsieur le président. Je remercie également les témoins, dont l'aide pour cette étude est très appréciée.
Je questionnerai d'abord Me Rahim.
Je vous remercie pour votre exposé réfléchi. Je suis également sensible à votre aveu, fait devant nous, du trouble mental dont vous souffrez. Ça vous donne un point de vue dont beaucoup peuvent être privés.
En logique, on définit le sophisme écologique comme la déduction de l'appartenance d'un individu à un groupe d'après les critères communs au groupe. Ainsi, comme les décisions prises d'après l'appartenance au groupe comportent beaucoup de problèmes et d'embûches, on évite le piège de ce sophisme en traitant chaque cas comme un cas d'espèce.
Vous ai‑je bien compris quand vous avez dit que la jurisprudence canadienne nous enjoint de considérer l'aide médicale à mourir au cas par cas?
J'aimerais connaître la réaction du Dr Trew et de Me Rahim à une observation de la Dre Nicolini sur le dernier stade de la maladie mentale, qu'on connaît mal, contrairement à celui du diabète ou du cancer. Je ne suis pas absolument certaine d'être d'accord avec elle. Je pense que, pour beaucoup trop de personnes, le terme est le suicide, mais je voudrais une comparaison claire.
Si, après le diagnostic d'un cancer, vous ne voulez plus être traité, un miracle est quand même possible, une cure miracle, mais vous pourriez choisir de la refuser, refuser de vivre de cette façon.
Pourquoi, alors, n'est‑ce pas la même chose, si le traitement vous est inacceptable, pour une déficience mentale pour laquelle vous avez été traité, mais que vous ne voulez pas attendre une éventuelle cure miracle? Ces deux situations ne sont-elles pas à peu près les mêmes?
Docteur Trew, vous pouvez répondre d'abord, après quoi j'entendrai Me Rahim.
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Chers collègues, reprenons.
Voici quelques petites observations pour les nouveaux arrivés.
Veuillez attendre que je vous aie nommément accordé la parole avant de la prendre.
Toutes vos observations doivent être adressées aux coprésidents.
Soignez votre diction et votre débit.
L'interprétation pendant cette vidéoconférence se déroule comme dans une réunion de comité en personne. Vous avez le choix, dans le bas de votre écran, entre le parquet, l'anglais ou le français.
Entre vos prises de parole, prière de bien vouloir désactiver votre microphone.
Nous accueillons par vidéoconférence deux témoins à titre personnel: M. Mark Henick, défenseur de la santé mentale, et le Dr Eric Kelleher, psychiatre consultant de liaison à l'hôpital universitaire de Cork.
Nous accueillons par vidéoconférence également les représentantes de l'Ordre des psychologues du Québec: la présidente, la psychologue Christine Grou; la directrice de la Qualité et du développement de la pratique, la psychologue Isabelle Marleau.
Merci beaucoup de votre participation.
Entendons maintenant le premier exposé.
Monsieur Henick, vous disposez de cinq minutes. Allez‑y.
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Merci beaucoup pour le temps que vous m'accordez pour m'exprimer sur une question si vitale.
Pour commencer, l'essentiel de ce que je voudrais dire est que je possède une expertise intime d'un trouble dépressif majeur, durable et résistant aux traitements qui coexistait avec un trouble d'anxiété sociale et des antécédents de tentatives multiples et de plus en plus graves de suicide ainsi que d'hospitalisations.
Pendant des années, on m'a prescrit des cocktails de médicaments. J'ai connu la contention, l'isolement, on a perdu tout espoir en ma guérison, pourtant, n'eût été ce que j'étais alors, je ne serais pas celui que je suis maintenant et je jouis enfin de la liberté de m'aimer moi‑même pour qui je suis maintenant.
Depuis ces sombres décennies, j'ai poursuivi des études supérieures, travaillé comme conseiller en santé mentale et participé à certaines des plus importantes initiatives en matière de santé mentale de notre pays. J'ai visité toutes les provinces et territoires du Canada pour m'entretenir de santé mentale et de maladie mentale avec des survivants et leurs familles.
C'est cette expérience, à la fois professionnelle et personnelle, qui me permet de m'opposer énergiquement à l'élargissement de l'aide médicale à mourir uniquement pour des motifs de maladie mentale. Je peux affirmer sans réserve que, si l'aide médicale à mourir avait existé à l'époque pour ce motif et si elle avait été accessible à des mineurs mûrs, je serais aujourd'hui mort. Ça n'aurait pas été le seul moment de ma vie où je l'aurais envisagé. J'ai combattu ma maladie mentale, parfois âprement, pendant plus de 20 ans. Pourtant, aujourd'hui, je ne suis pas mort. En fait, je vais mieux, mais je ne suis pas une exception. Le rétablissement est l'issue habituelle. Nous sommes résilients par nature, et il faut une oppression active pour nous abattre. Malheureusement, l'oppression est envahissante. Le rétablissement ne devrait pas être un privilège accordé aux rares personnes qui peuvent se l'offrir; c'est un droit. Je suis la preuve de ce que la limitation justifiée de certaines libertés, choix et moyens rend possible.
Je pense que le projet de loi découle d'un dangereux réductionnisme. Par exemple, on ne peut assimiler les unes aux autres les maladies mentales et les maladies physiques, ce que nous avons entendu plus tôt. On a été mal inspiré de vouloir gommer cette différence pour mieux faire paraître la santé mentale en la liant aux problèmes plus glamoureux de santé physique auxquels on accorde plus de valeur. Évidemment, cela perpétue l'opprobre.
La santé mentale est en soi digne d'une estime séparée. Le fait de qualifier les maladies mentales d'irrémédiables maladies du cerveau est à la fois nuisible et faux en grande partie. Scander sans cesse la notion de déterminisme biologique, dire aux malades que leur cerveau est brisé et irréparable, c'est s'écarter chaque fois du consensus scientifique. Ça perpétue également l'opprobre.
Le caractère irrémédiable des maladies mentales ne peut pas être prédit de manière fiable. D'après moi, est simplement médiocre tout clinicien qui affirme le contraire. Si, après avoir essayé quatre médicaments sans succès, vous estimez qu'aucun n'est efficace et que vous avez tout essayé, vous vous leurrez. Vous avez essayé une chose. Le cloisonnement des professions épuise et tue les gens. Lui aussi, il perpétue l'opprobre.
Quand on laisse des évaluateurs décider que le patient souffrant de maladie mentale est une cause perdue, il faut vraiment se demander à soi‑même combien de fois on est disposé à avoir tort. Combien de morts injustifiées sont acceptables? L'absence de preuves de l'existence d'un espoir ne prouve pas l'absence d'espoir.
Si le projet de loi était vraiment axé sur les droits, il envisagerait de manière plus réfléchie le parcours de décisions ou l'architecture des choix qui conduisent les malades mentaux à d'abord vouloir mourir, que ce soit par une aide médicale ou par tout autre moyen. Si vous suiviez ce parcours, vous verriez que l'aide médicale à mourir pour motif de maladie mentale seulement est impossible à distinguer du suicide. Comment choisir librement, dans la croyance de n'avoir aucun autre choix? Voilà comment réfléchit celui qui envisage de se suicider. Je suis bien placé pour le savoir. Grâce à notre parti pris naturel pour les solutions accessibles, exacerbé par la rigidité cognitive imposée par notre contrainte mentale et favorisé par l'absence d'options accessibles de traitement, nous conclurons, erronément, que nous ne serons jamais mieux, qu'il n'y a aucun espoir et que nous n'aurons pas d'autre choix.
Ce n'est pas une fatalité. La guérison d'une maladie mentale n'est pas seulement possible; elle est effectivement attendue et probable, particulièrement quand on accède rapidement aux soins, mais chacune de nos provinces ne s'acquitte pas de ses obligations prévues par la Loi canadienne sur la santé concernant la prestation des soins de santé mentale. Tant que l'accès à une psychothérapie médicalement nécessaire ne sera pas universel et que les temps d'attente des interventions psychiatriques et autres pourront excéder au moins une année, les soins de santé mentale au Canada ne seront ni accessibles ni complets.
L'aide médicale à mourir pour le seul motif de la maladie mentale affirme que si un malade mental songe à s'enlever la vie, nous devrions le laisser faire et même l'y aider. La qualifier d'aide à mourir, c'est aseptiser la réalité. C'est un suicide assisté, qui s'oppose directement aux efforts de prévention du suicide.
L'aide médicale à mourir pour le seul motif de la maladie mentale est le comble de l'outrage. C'est pire que violer les droits des malades mentaux; c'est les priver de la possibilité de voir restaurer et défendre leurs droits prépondérants.
Dans l'esprit de la loi de notre pays et dans la loi morale de nos cœurs, faire soigner sa maladie mentale est un droit, et le suicide n'est pas un crime. Le suicide est une situation d'urgence dans la santé publique que fait perdurer un système de santé en déroute. N'en imputez pas la responsabilité aux victimes. Ne nous faites pas accroire qu'il s'agit de nos droits, de notre tempérament biologique ou de l'idéal romantisé d'une belle mort, qui, comme par hasard, coûte commodément moins cher à l'État que les investissements dans de véritables soins. L'élargissement de l'aide médicale à mourir aux cas de maladie mentale dissuade de réparer le système. S'il vous plaît, concentrez plutôt votre énergie à construire un système qui aide à bien vivre et non à mourir. Chaque Canadien ayant une maladie mentale a le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité et le droit de ne pas en être dépossédé, tant pour cause de maladie qu'à cause des lacunes générales du système.
À cette fin, je vous demande de vous battre pour le droit à la vie que nous accorde notre Charte des droits et libertés et de refuser qu'on élargisse l'aide médicale à mourir pour le seul motif de la maladie mentale.
Je vous remercie de votre attention.
Pour commencer, je partage en tout point la position que vient d'exprimer M. Henick et je l'appuie.
Je me nomme Eric Kelleher. Je suis psychiatre consultant de liaison à l'hôpital universitaire de Cork, en Irlande, et maître de conférences cliniques, à titre honoraire, au collège universitaire de la même ville. Je suis membre du collège des psychiatres d'Irlande, où je suis vice-président de la faculté de psychiatrie de liaison et membre du comité d'éthique et des droits de la personne. Je suis également le coauteur de la déclaration de principes de notre collège sur l'euthanasie et l'aide médicale au suicide, dans laquelle nous nous opposons à l'autorisation de ces pratiques en Irlande. Ce genre de loi nous fait particulièrement craindre que, au fil du temps, on ne les élargisse aux patients ayant une maladie mentale, situation qui guette actuellement beaucoup de ces patients au Canada.
C'est à titre personnel que je m'adresse à vous, et je remercie votre comité de sa gracieuse invitation.
Mon point de vue est triple.
D'abord, en édictant cette loi, le gouvernement canadien annonce sans détours aux patients ayant une maladie mentale que, non seulement, il est acceptable de mettre fin à ses jours, mais, encore, que l'État les y aidera. Cela altérera pour toujours non seulement les rapports entre les professionnels de la santé mentale et leurs patients, mais également la perception d'eux‑mêmes et de leur maladie chez les patients.
L'état suicidaire est un critère central de diagnostic de la dépression, de certaines maladies psychotiques et de certains troubles de la personnalité, tous des troubles mentaux qu'on peut parfaitement traiter au moyen de soins prodigués par une équipe multidisciplinaire.
Les promoteurs de ce projet de loi diront qu'il existe de nette différence entre un malade dépressif et suicidaire et un malade dépressif qui choisit l'aide médicale à mourir, quand, en réalité, il sera impossible aux cliniciens ou aux évaluateurs de distinguer les deux.
La maladie mentale — et ceux qui ont eu le malheur d'en avoir une le confirmeront — déforme la perception de soi, du monde et de son propre avenir chez le malade. Elle a la propriété intrinsèque d'engendrer le désespoir, de rendre léthargique, de faire éviter le traitement et de ne pas s'y conformer. La détermination de la maladie et de son traitement, la restauration de l'espoir et le soutien du patient à certains des moments les plus difficiles de sa vie, tout ça fait partie intégrante des tâches des psychiatres, des psychologues et des autres professionnels de la santé mentale. Comment ces professionnels et les stratèges de la prévention du suicide au Canada pourront‑ils déconseiller aux patients de mettre fin à leurs jours alors que l'aide médicale à mourir pour cause de maladie mentale l'autorise pour ces patients?
Ce qui me conduit au deuxième aspect.
Le devoir du gouvernement canadien, du gouvernement irlandais ou assurément de tout autre gouvernement est de protéger les citoyens les plus vulnérables et de veiller à ce que les lois ne leur causent du tort. Ceux chez qui la maladie mentale provoque la dépression et des pensées suicidaires sont plus susceptibles d'être pauvres, sans instruction, privés de droits et d'avoir subi, dans l'enfance, des traumatismes, notamment des sévices sexuels.
Aux Pays‑Bas, 60 % des patients euthanasiés étaient décrits comme solitaires et isolés socialement. La recherche montre que les femmes sont plus susceptibles de connaître la dépression clinique et de subir de la maltraitance et qu'elles sont également plus susceptibles que les hommes d'obtenir l'aide médicale à mourir pour des raisons de maladie mentale…
Plutôt que d'aider les patients à mettre fin à leurs jours au moyen de l'aide médicale au suicide, l'État devrait tenir compte du budget accordé à la lutte contre la maladie mentale, de la durée de l'attente d'une consultation avec un psychiatre et envisager des moyens pour fournir d'excellents soins à ces patients avec le concours d'excellentes équipes multidisciplinaires. C'est uniquement après que ces conditions seront remplies que les patients pourront affirmer avoir le choix de leur traitement.
Ce qui m'amène au troisième aspect. Pour soigner la maladie mentale, il faut considérer le patient comme une personne entière et examiner toutes les manifestations de la maladie et toutes les facettes des soins — les facteurs psychologiques, sociaux et biologiques. Il n'existe aucune preuve du caractère irrémédiable de la maladie mentale. Dans la pratique, l'amélioration d'une partie ou de la totalité des facteurs précités peut devoir être optimisée pour qu'un patient voie sa situation s'améliorer.
Considérez-vous qu'un patient suicidaire souffrant d'une dépression clinique associée à une solitude et à une pauvreté notables soit un cas irrémédiable? Bien sûr que non, mais beaucoup de ces facteurs, comme la pauvreté et le logement, peuvent exiger des mois d'efforts pour trouver une réponse convenable, délai au bout duquel le patient risque d'être déjà mort parce qu'il aura reçu l'aide médicale à mourir pour des motifs de maladie mentale.
J'ai été scandalisé à la lecture de l'histoire d'une Canadienne qui souffrait de diverses sensibilités à des substances chimiques et qui a reçu l'aide médicale à mourir faute de pouvoir s'adapter à sa maladie dans un logement qui ne répondait pas à ses besoins en matière de soins de santé, malgré la recherche, pendant deux ans, par les organismes officiels, d'un logement qui y aurait répondu. Il est certain que le traitement de ce dossier a été profondément mal conduit, puisque cette femme a pu obtenir que des organismes financés par l'État lui procurent la mort mais non le logement.
Bref, il faut réagir à la révélation de pensées difficiles et effrayantes, comme des idées suicidaires, non seulement avec empathie mais, également, avec un sens pratique, en travaillant avec le patient à la recherche de solutions et non en avalisant superficiellement les distorsions cognitives dangereuses et potentiellement mortelles de la maladie mentale et en aidant les patients souffrant de maladie mentale, qui comptent parmi les membres les plus vulnérables de la société, pour qu'ils mettent fin à leurs jours au moyen de l'aide médicale à mourir qu'on leur accordera pour des motifs de maladie mentale.
Je vous remercie sincèrement de votre attention et je répondrai avec plaisir à vos questions.
Merci.
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Tout d'abord, je remercie grandement le Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir de m'avoir invitée à comparaître devant le Comité.
Ma collègue et moi représentons l'Ordre des psychologues du Québec, dont je suis la présidente.
Je suis psychologue clinicienne et neuropsychologue spécialisée en santé mentale. Je traite des gens depuis 35 ans. J'ai travaillé 30 ans en milieu hospitalier et 25 ans en milieu psychiatrique. J'ai, bien sûr, acquis une expertise en neuropsychologie pour ce qui est des troubles mentaux graves et aussi une expertise en éthique. Je suis donc éthicienne, et j'ai présidé le comité d'éthique de l'hôpital pour discuter des cas complexes, pendant plus de dix ans.
La Dre Marleau, qui est spécialiste des troubles neurodéveloppementaux, a aussi passé 15 ans dans le réseau public de la santé à titre de psychologue clinicienne.
L'aide médicale à mourir est un sujet qui nous anime beaucoup, depuis les débuts, à l'Ordre des psychologues du Québec. De plus, l'aide médicale à mourir pour les personnes ayant un trouble mental nous interpelle particulièrement, compte tenu de notre expertise.
Tout d'abord, j'aimerais dire que l'Ordre est d'accord sur l'ensemble des recommandations du Groupe d'experts, mais, d'entrée de jeu, je dois aussi dire que l'Ordre et nous-mêmes sommes de fervents croyants, quand il s'agit du traitement et du rétablissement des personnes.
Nous avons choisi des professions réparatrices. Nous avons choisi de traiter les gens, et l'Ordre des psychologues du Québec s'assure de la qualité des services psychologiques et du développement des pratiques, ainsi que de l'accessibilité des services. Nous croyons donc fermement au traitement des personnes qui souffrent de détresse psychologique et de troubles mentaux.
Je souhaite réitérer, comme le fait le Groupe d'experts, notre préférence pour l'utilisation du terme « trouble mental » plutôt que celui de « maladie mentale », ce dernier étant déjà utilisé dans la littérature médicale. Nous sommes d'avis qu'il n'est pas nécessaire d'ajouter des critères ou balises supplémentaires pour l'accès à l'aide médicale à mourir pour les personnes qui ont un trouble mental. Cependant, il faut plutôt très bien comprendre et très bien opérationnaliser ces balises.
Actuellement, une majorité des personnes qui font déjà des demandes d'aide médicale à mourir le font en raison de leur état physique. Cependant, elles ont le droit de le faire non pas parce que ce sont leurs souffrances physiques qui ne sont pas apaisées, mais parce que, en raison de leur état physique, elles ont des souffrances psychologiques non apaisées. Pourquoi avoir une logique différente pour les gens qui souffrent uniquement de troubles mentaux? Tout comme pour les maladies physiques, nous sommes d'avis que le processus d'évaluation actuel suffit pour s'assurer que la demande d'aide médicale à mourir est libre, éclairée, cohérente et réfléchie. Le défi est, bien sûr, de confirmer qu'il s'agit d'un trouble mental ayant un caractère irréversible et que les souffrances sont persistantes et intolérables.
Les critères actuels, à notre avis, vont permettre d'éliminer les cas pour lesquels le désir de suicide serait lié à un désir spontané de mort provoqué par une crise ou par un trouble non traité ou insuffisamment traité. Nous sommes persuadés que le processus d'évaluation va permettre de respecter l'autonomie des personnes qui souffrent d'un trouble mental en s'assurant, par ailleurs, de protéger les personnes vulnérables, que ce soit en raison de leur état ou à cause de leur difficulté d'accès aux services.
Pour ce qui est de l'évaluation de l'aide médicale à mourir, nous croyons que les psychologues et neuropsychologues devraient être mis à profit lors du processus compte tenu de leur expertise particulière, et qu'ils pourraient offrir un apport considérable. Nous croyons même qu'ils pourraient être désignés comme des évaluateurs experts indépendants.
Nous estimons que, selon la nature du problème et du contexte, il pourrait être plus pertinent, effectivement, de faire appel à eux. J'ajouterais que les psychologues et neuropsychologues ont une formation universitaire de huit à neuf ans. De plus, ils sont particulièrement avisés en ce qui concerne l'espace narratif qui est propice à la confidence et, surtout, ils sont formés à avoir une position de neutralité quant à la subjectivité du patient. Ils sont aussi formés à neutraliser leurs propres sentiments.
Pour ce qui est de la mise en œuvre, il va de soi que la formation des professionnels devrait être adaptée pour inclure les troubles mentaux. C'est la même chose pour les guides et les normes de pratique en matière d'aide médicale à mourir.
À ce jour, l'aide médicale à mourir est bien balisée et surveillée. Les balises établies devraient permettre d'éviter les dérives potentielles.
Nous sommes aussi d'avis que les balises existantes font en sorte qu'un très petit nombre de personnes est admissible à l'aide médicale à mourir. Les balises sont déjà en place. Il faut maintenant opérationnaliser adéquatement les mesures de protection.
À mon avis, la collectivité doit franchir cette étape. On a mis beaucoup de temps à reconnaître l'autonomie et les droits des personnes qui souffrent de troubles mentaux. On a aussi mis du temps à reconnaître l'individu, à ne pas faire de distinction entre les deux types de santé et à reconnaître la santé globale. La distinction entre la santé mentale et la santé physique n'est pas tranchée.
Maintenant que l'on reconnaît l'autonomie et les droits des personnes qui ont des troubles de santé mentale, il ne faudrait pas les priver d'un droit que l'on donne à tous les autres patients. De plus, il ne faudrait pas être tenté d'opposer l'accès aux services et la qualité des services à l'aide médicale à mourir. Au contraire, je pense qu'il faut assurer l'accès aux services et la qualité des services avant d'envisager l'aide médicale à mourir.
Nous serons heureux de répondre à vos questions et de participer à la discussion.
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Voilà une vraiment bonne question.
Malheureusement, l'information est plutôt rare. Une analyse systématique récente, l'une des formes de preuves les plus dignes de confiance, a été publiée cette année. Sa conclusion était simplement qu'il se faisait peu de recherche dans ce domaine.
Plusieurs études signalent des augmentations des taux globaux de suicide et, dans certains cas, des suicides sans aide médicale dans les pays qui ont adopté des protocoles qui s'apparentent à l'aide médicale à mourir. Notamment, les femmes de certains pays du Benelux ont de plus en plus accès à l'aide médicale à mourir pour des motifs de maladie mentale. C'est un phénomène caractéristique. D'habitude, les femmes qui s'automutilent recourent à des moyens non létaux. Mais on observe, à la différence de chez les hommes, un nombre croissant de femmes souffrant de maladies psychiatriques qui reçoivent l'aide médicale à mourir pour des motifs de maladie mentale.
Des tendances observées en Europe montrent certainement que l'aide médicale à mourir pour ces motifs semble disproportionnelle pour les femmes et, dans certains pays, un effet de contagion semble augmenter le taux de suicides sans aide médicale. De toute manière, la recherche le constate: cette contagion existe à l'échelle locale et explique les lignes directrices très rigoureuses visant les reportages sur les suicides et leur description dans les médias.
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Je vais vous donner un exemple très concret.
En 25 ans de psychiatrie et en 30 ans de travail en hôpital, j'ai vu deux cas où des patients auraient pu demander l'aide médicale à mourir et qui auraient peut-être pu l'obtenir. Compte tenu des balises actuelles, il n'est pas possible de l'obtenir à 20 ou à 25 ans. De plus, il est impossible de l'obtenir dans un contexte d'épisode dépressif majeur non traité ni lorsque la personne n'a pas de longs antécédents de douleurs et de souffrances.
Si cela fait 10 ans ou 15 ans qu'une personne souffre, malgré les traitements qui sont jugés par un expert indépendant comme étant relativement optimaux et si l'on fait des essais thérapeutiques et que, pour toutes sortes de raisons, un nuage noir persiste au-dessus de sa tête, l'aide médicale à mourir pourrait être envisageable.
Il faut comprendre qu'il y a des histoires de vie extrêmement difficiles et qu'il peut être extrêmement complexe de traiter certains problèmes de santé. C'est rare, mais cela existe. Si je vous dis que des gens ont un cancer de l'âme et que l'on n'arrive pas à le traiter, me direz-vous qu'il faut les condamner à souffrir? Faut-il les priver de cette autonomie de choisir?
J'aurais tendance à dire qu'il faut tenir compte du désir de mort chez quelqu'un qui n'est pas capable de vivre et avec qui on a tout tenté. Il ne s'agit pas ici de quelqu'un que le système de santé a abandonné. On peut examiner la nature des traitements, la longévité des traitements, l'intensité de la souffrance et, surtout, la durée de celle-ci, y compris l'ensemble des troubles de santé dont elle souffre.
Il faut aussi considérer l'accord de la personne et de son entourage, de sa famille qui la voit vivre depuis 10 ans, 15 ans ou 20 ans. Dans ce contexte, risque-t-on tant de se tromper quant au pronostic? Je ne pense pas.
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Je vous remercie de cette question qui me donne l'occasion de mettre les choses au clair.
Je suis convaincu que j'aurais été un candidat admissible. J'ai fait plus d'une demi-douzaine de séjours hospitaliers involontaires. On m'a transféré dans différents hôpitaux. On m'a gardé en salles fermées. J'ai essayé plus d'une douzaine de médicaments, et aucun ne semblait vraiment efficace. J'ai consulté une foule de médecins. La maladie était chronique et persistante pour un nombre suffisant d'années qui m'auraient rendu absolument admissible, et si la loi avait évolué de manière à admettre à ce traitement ceux qu'on qualifie de mineurs mûrs, j'aurais peut-être été admissible beaucoup plus tôt.
Je suis tellement reconnaissant, je le serai éternellement, à l'aide médicale à mourir pour des motifs de maladie mentale de ne pas avoir existé quand j'ai éprouvé des difficultés, convaincu comme je l'étais, quotidiennement, que je serais mort le lendemain. Et j'ai survécu. Chacun, également, mérite cette chance. Si on cherche les causes profondes de ce si long combat, elles ne se trouvent pas dans l'inefficacité des traitements. Au contraire, leur efficacité est amplement prouvée, et le véritable problème réside dans l'accès à ces traitements et dans leur obtention, ce que j'ai exactement vécu.
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La prévention du suicide est un élément sur lequel il est important de continuer à travailler, notamment en donnant accès aux soins et en permettant une continuité des soins. Il y a du chemin à faire à cet égard, cela est évident.
Il ne faut toutefois pas considérer que les patients suicidaires sont tous dans le même registre. En ce qui concerne le patient suicidaire pour qui c'est l'expression du moment, pour qui c'est une expression impulsive et qui, deux semaines plus tard, va mieux, je pense qu'il faut continuer à le traiter et à faire de la prévention.
La situation est très différente dans le cas d'une personne qui a un problème de santé physique, qui n'a plus aucune qualité de vie et qui devient suicidaire de façon réfléchie et rationnelle. Dans ce cas, nous allons considérer l'aide médicale à mourir.
Prenez une personne qui a un problème de santé mentale duquel on n'arrive pas à l'affranchir, que l'on n'arrive pas à faire aller mieux et qui a des souffrances intolérables pendant longtemps. Elle pourrait, elle aussi, de façon réfléchie et rationnelle, privilégier la qualité de sa vie, plutôt que le respect sacré de la vie, et avoir un désir de mort. Cette personne suicidaire, qui a un désir de mort, ressemble donc davantage à une personne qui pourrait faire une demande d'aide médicale à mourir, et c'est peut-être elle qui le fera. Tous les suicidaires ne sont pas identiques, et toutes les motivations et tous les suicides ne sont pas identiques.
Si l'on parle d'une personne qui a réfléchi longuement, à qui on a proposé des traitements, et même différents choix de traitement, qui a un cursus de traitement qui n'a pas fonctionné, qui veut arrêter de souffrir et qui envisage la mort, il y a deux choix. Je peux vous assurer qu'il y a des patients qui, de toute façon, vont attenter à leurs jours dans un contexte comme celui-là et de façon réfléchie. Préférons-nous les contraindre à mourir seuls et dans des conditions qui sont parfois risquées ou préférons-nous leur permettre cette offre de soins, qui sont offerts à tout autre patient par ailleurs, d'avoir une mort plus accompagnée, plus digne et plus sécuritaire?
Dans les deux cas, peut-être devrions-nous donner accès à l'aide médicale à mourir à ces patients. Si nous ne le faisons pas, n'est-ce pas leur refuser un droit fondamental et, encore une fois, faire prendre un recul à la santé mentale en disant que nous allons respecter l'autonomie de tous les patients dans leur choix de traitement, dans leur désir d'être traité ou non, et même dans la responsabilisation de leur traitement? N'est-ce pas dire que nous allons respecter leur autonomie pour tout, mais pas pour leur demande d'aide médicale à mourir, et que nous allons les exclure encore une fois? Cela fait reculer la santé mentale et les droits des patients en santé mentale d'un demi-siècle.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je remercie également les témoins d'être avec nous.
Ma question s'adresse à la Dre Grou.
Docteure Grou, vous avez dit que vous étiez d'accord sur l'idée de ne pas inclure de nouvelles balises pour les personnes dont le trouble mental est la seule raison invoquée pour demander l'AMM. Vous avez aussi dit que les mêmes balises peuvent être utilisées, mais qu'il faut bien les gérer.
Avez-vous un exemple de dérive qui aurait pu survenir relativement aux balises?
Je vous pose tout de suite une deuxième question parce que je dispose de seulement trois minutes. Vous pourrez ainsi organiser vos réponses en conséquence.
Que pourriez-vous nous proposer, sur le plan réglementaire, pour guider les évaluateurs de l'AMM dans le cas des personnes ayant un trouble mental?
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Pour ce qui est des balises, en fait, la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie du Québec estime que les balises sont adéquates, effectivement, si elles sont correctement interprétées. En ce qui concerne l'opérationnalisation, nous avons présenté une série de recommandations parce que c'est là qu'il y a beaucoup à faire.
Il est toutefois certain qu'il faut être très minutieux au moment d'évaluer les antécédents personnels du patient, surtout quand il s'agit d'évaluer la probable irréversibilité du trouble mental. Il est extrêmement important de prendre le temps de le faire, avec le patient et avec sa famille. Il faut faire l'historique des traitements, des résultats obtenus et des périodes de rémission. Il faut déterminer, par exemple, combien de temps ont duré les rémissions.
Il faut essayer d'établir une espèce de parcours de la douleur ou de l'intensité de la douleur, même si cela est subjectif. Il est important de pouvoir estimer l'intensité et la permanence de la souffrance ressentie. Par ailleurs, l'autre chose qui est absolument fondamentale, c'est de s'assurer, en tant que société, de l'accès aux services et de veiller à ce que cet accès ne soit pas à géométrie variable selon les régions. Il faut s'assurer aussi de la qualité des services.
Les balises prévoient les services de professionnels compétents, qui vont informer la personne non seulement de son ou ses problèmes de santé — parce qu'ils sont souvent multiples —, mais aussi des possibilités de traitement qui sont à sa portée.
La marche à suivre prévoit aussi une période de réflexion. Le consentement est un processus. En santé mentale, nous avons justement le temps, dans un tel contexte, de pouvoir bien faire les choses. Il nous faut examiner l'ensemble des balises. Il faut faire appel à des professionnels compétents pour obtenir une évaluation adéquate.
Puisque les patients ambivalents ne sont pas admissibles, il faut aussi s'assurer de la persistance de la personne dans sa décision, et que celle-ci est en lien avec ses valeurs. Le désir de mort ne doit pas être une expression de la maladie ou de l'une de ses récidives.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Ma question s'adressera à la Dre Grou, et peut-être aussi à la Dre Marleau.
Le Dr Brian Mishara, professeur à l'Université du Québec à Montréal et directeur du Centre de recherche et d'intervention sur le suicide, enjeux éthiques et pratiques de fin de vie, a fait des études sur la pratique aux Pays‑Bas. Il en a conclu que l'évaluation moyenne d'une personne qui demande l'aide médicale à mourir pour des raisons de troubles mentaux prenait 10 mois — un processus tout de même assez long — et qu'à peine 5 % des requêtes étaient accordées.
Docteure Grou, d'après ce que j'ai entendu tantôt, vous auriez vu, en 30 ans, deux cas répondant aux critères suggérés par le comité spécial qui a recommandé des lignes directrices.
Selon votre expérience de psychologue clinicienne et de présidente de l'Ordre des psychologues du Québec, êtes-vous d'avis que la tendance observée aux Pays‑Bas serait probablement la même ici, au Canada?
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J'ai toujours du mal à formuler une réponse hypothétique quand il n'y a pas de données.
Je peux parler de mon expérience clinique, par ailleurs. J'ai effectivement travaillé pendant 25 ans en psychiatrie et j'ai présidé le comité d'éthique.
En général, les patients qui ont des troubles mentaux veulent vivre, aller mieux et se rétablir. C'est le cas de la majorité des patients. La majorité des problèmes de santé se traitent, même ceux qui sont complexes ou réfractaires.
Dans ma vie, j'ai vu deux cas, dont l'un concernait un patient fermement déterminé à mettre fin à ses jours et qui demandait à mourir d'une façon humanitaire, parce qu'il n'était pas capable de vivre.
Vous savez, en psychiatrie, nous rencontrons parfois des gens dont la vie donne l'impression que toute la misère s'est jetée sur la personne. Quand je parle de misère, je parle de misère humaine, de traumatismes, de difficultés de vivre, de combats, de maladies, de manques de ressources, de pauvreté et d'isolement social.
Il y a des cas où tous ces éléments sont concentrés en une même personne. Cela se produit souvent dans des contextes de troubles mentaux graves. Je n'ai pas vu souvent des gens qui, spontanément, disaient avoir un désir de mort ou souhaiter la mort.
Prenons les critères d'admissibilité. Je pense sincèrement que rien n'est simple pour les soignants qui sont justement formés à traiter des problèmes de santé et à réadapter des patients.
Vous savez, en éthique, nous observons qu'il est beaucoup plus difficile de respecter la décision d'un patient lorsqu'elle choque nos valeurs, lorsqu'elle va à l'encontre de ce que nous voulons pour lui. Alors, quand nous offrons un traitement et que nous pensons qu'il va fonctionner, nous établissons une alliance thérapeutique et, en général, le patient le veut, parce qu'il veut aller mieux...