[Français]
Bonjour à tous.
[Traduction]
Bienvenue à la réunion du Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir.
J'aimerais commencer par souhaiter la bienvenue aux membres du Comité, aux témoins et à tous les gens qui nous regardent en webdiffusion. Je suis la sénatrice Yonah Martin, coprésidente du Sénat de ce comité. Je suis accompagnée de l'honorable Marc Garneau, coprésident de la Chambre des communes.
Nous poursuivons aujourd'hui notre examen prévu par la loi des dispositions du Code criminel concernant l'aide médicale à mourir et leur application.
Le Bureau de régie interne exige que les comités respectent les protocoles sanitaires qui sont en vigueur jusqu'au 23 juin 2022. En tant que coprésidents, nous ferons respecter ces mesures. Nous vous remercions de votre coopération.
Je rappelle aux membres du Comité et aux témoins qu'ils doivent mettre leur micro en sourdine, à moins que l'un des coprésidents ne leur donne la parole en les désignant par leur nom. Tous les propos doivent être adressés à un coprésident. Lorsque vous avez la parole, veuillez vous exprimer lentement et clairement. Les services d'interprétation offerts pour cette vidéoconférence sont les mêmes que ceux offerts pour une réunion en personne. Vous avez le choix, au bas de l'écran, entre le parquet, l'anglais et le français.
Cela dit, au nom du Comité, j'aimerais souhaiter la bienvenue à notre premier groupe de témoins. Ils sont ici pour discuter de la question de savoir si les personnes atteintes de maladie mentale devraient pouvoir accéder à l'aide médicale à mourir au Canada.
Nous accueillons deux témoins qui comparaissent à titre personnel: M. Brian Mishara, professeur et directeur du Centre de recherche et d'interventions sur le suicide, Enjeux éthiques et pratiques de fin de vie, à l'Université du Québec à Montréal; et le Dr Derryck Smith, professeur émérite de médecine au Service de psychiatrie de l'Université de la Colombie-Britannique. Nous recevons également Me David E. Roberge, membre du Groupe de travail de l'Association du Barreau canadien sur la fin de vie.
Je remercie les témoins de leur présence. Nous écouterons tout d'abord la déclaration préliminaire de M. Mishara. Ensuite, ce sera au tour du Dr Smith, puis de Me Roberge.
Monsieur Mishara, vous disposez de cinq minutes. La parole est à vous.
Depuis 50 ans, je mène des recherches sur la prévention du suicide et les questions liées à la fin de vie et je travaille à la prévention du suicide. En 1995, j'ai reçu la Bourse canadienne Bora Laskin pour la recherche sur les droits de la personne pour étudier l'euthanasie aux Pays-Bas. J'ai publié 12 livres et plus de 180 articles scientifiques.
Nous vivons dans un pays dont les lois et la culture accordent une place importante au libre choix. Toutefois, la société impose des limites afin que nous ne prenions pas des décisions dangereuses pour nous-mêmes. Nous sommes légalement tenus de porter un casque en moto, une ceinture de sécurité en voiture et un casque de sécurité sur un chantier de construction. Notre gouvernement agit pour que les personnes compétentes ne mettent pas en danger leur santé et leur bien-être, qu'elles le veuillent ou non. Nous devons empêcher les gens de prendre la décision irréversible de mourir lorsqu'il y a un espoir de guérison.
Je crois que la souffrance qui découle d'une maladie mentale peut être aussi intense que la souffrance d'une maladie physique. La principale question qui se pose est de savoir s'il est possible de déterminer si la souffrance causée par une maladie mentale est interminable et irrémédiable. Dans son rapport, le Groupe d'experts sur l'aide médicale à mourir et la maladie mentale indique qu'il n'existe pas de critères pour savoir si une maladie mentale est irrémédiable, et il ne fournit pas un iota de preuve que quelqu'un peut déterminer de manière fiable que la situation d'une personne atteinte d'une maladie mentale ne s'améliorera pas.
Selon les travaux de recherche, de 50 à 60 % des personnes qui souffrent de dépression ou d'anxiété se rétabliront sans aucun traitement. Même les maladies mentales les plus graves, comme la schizophrénie, sont imprévisibles: 50 % des personnes atteintes de schizophrénie répondent aux critères objectifs de rétablissement pendant de longues périodes de leur vie.
S'il était possible de distinguer les très rares personnes atteintes d'une maladie mentale qui sont destinées à souffrir interminablement de celles qui peuvent être traitées, il serait inhumain de refuser l'aide médicale à mourir. Toutefois, quiconque essaierait de déterminer quelles personnes devraient avoir accès à l'aide médicale à mourir ferait un grand nombre d'erreurs, et des personnes qui verraient une amélioration de leurs symptômes et ne souhaiteraient plus mourir mourraient en ayant recours à l'aide médicale à mourir.
Partout en Occident, conformément aux lois et aux coutumes, on veut sauver les personnes suicidaires de la mort. Presque toutes les personnes qui présentent un risque élevé de suicide avec lesquelles j'ai parlé répondraient aux exigences actuelles concernant l'aide médicale à mourir. Plus de 90 % des personnes qui se suicident ont un trouble mental qui peut être diagnostiqué. Elles ont généralement suivi des traitements en santé mentale pendant de nombreuses années et sont convaincues que leur souffrance est intolérable, inévitable et interminable. Elles se trompent presque toujours dans leur évaluation. Même dans les cas extrêmes où des personnes sont emmenées à l'hôpital contre leur gré, seulement 10 % d'entre elles feront une nouvelle tentative, et seulement 1 à 3 % mourront. Elles sont en grande majorité ravies qu'on les ait sauvées et très heureuses d'être en vie.
Pour chaque histoire déchirante d'une personne qui a souffert interminablement d'une maladie mentale, il y a beaucoup plus de personnes qui ont reçu de l'aide et qui sont heureuses d'être en vie. Si l'accès à l'aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de maladie mentale devient légal l'année prochaine, une grande partie des personnes suicidaires pourraient mourir au lieu d'obtenir l'aide dont elles ont besoin.
C'est déjà au Canada que l'accès à l'aide médicale à mourir est le plus grand dans le monde. Ailleurs, toute personne voit sa demande rejetée s'il existe d'autres traitements pour soulager ses souffrances physiques et mentales. Le médecin et le patient doivent convenir qu'il n'y a pas d'autre solution raisonnable. Au Canada, le médecin doit informer les patients des traitements possibles, mais si les patients ne les jugent pas acceptables, les professionnels de la santé sont tout de même obligés de mettre fin à leur vie.
Aux Pays-Bas, on ne force personne à essayer des traitements, mais les médecins ne sont pas autorisés à mettre fin à la vie des gens s'ils pensent que leurs souffrances peuvent être soulagées par d'autres moyens. Aux Pays-Bas, seulement 5 % des demandes d'aide médicale à mourir pour des troubles mentaux sont approuvées. Après des évaluations psychiatriques menées sur une période de 10 mois en moyenne, presque toutes les demandes sont refusées, généralement parce que des traitements n'ont pas été essayés.
Même dans les cas de maladie en phase terminale, 40 % des demandes sont refusées parce que le médecin croit qu'il existe un traitement pour soulager les souffrances qui n'a pas encore été essayé, et presque aucune personne dont la demande a été refusée ne réitère sa demande après avoir essayé le traitement. Dans son rapport, le groupe d'experts ne tient pas compte des recherches qui montrent que la situation d'une grande partie des personnes qui se sentent totalement désespérées en raison d'un trouble mental s'améliore avec le temps. Il ne fournit aucune preuve que quiconque peut dire si une maladie mentale est incurable, irréversible et permanente, car les recherches indiquent qu'il est actuellement impossible de le savoir.
Personnellement, j'ai connu...
:
Je parle de la fiabilité des diagnostics psychiatriques. De bonnes recherches montrent que les diagnostics psychiatriques sont aussi fiables que d'autres diagnostics médicaux, et ce, en dépit du fait que nous ne disposons pas de marqueurs biologiques tels que les analyses de sang ou les radiographies pour établir des diagnostics psychiatriques. La raison en est que le cerveau est un organe très complexe et que nous ne le comprenons pas.
Cependant, les tribunaux se sont certainement fondés sur des diagnostics psychiatriques au fil des années. En fait, dans l'affaire Truchon, au Québec, qui a abouti à la présentation du projet de loi , on s'est largement appuyé sur des diagnostics psychiatriques. La juge a conclu qu'un psychiatre peut établir des diagnostics précis.
Dans ma déclaration préliminaire — que vous avez —, j'ai inclus un tableau qui montre que les diagnostics psychiatriques sont tout aussi fiables que les autres diagnostics médicaux.
Je veux ensuite parler de la question de savoir si les troubles psychiatriques sont irrémédiables. Les maladies mentales ne sont généralement pas des maladies terminales, à moins qu'il ne s'agisse d'une maladie comme la maladie d'Alzheimer. En vertu de la loi actuelle, il n'est pas nécessaire d'avoir une maladie terminale pour bénéficier de l'aide médicale à mourir.
Je pense qu'on peut apprendre de l'affaire A.B., en Ontario, où une juge a accordé l'aide médicale à mourir à une femme qui souffrait d'arthrose. Il ne s'agit pas d'une maladie terminale ou qui entraîne habituellement la mort. La juge a accepté parce qu'elle a tenu compte de la situation de la personne dans son ensemble. On ne peut pas se contenter d'un diagnostic. Il faut comprendre l'expérience humaine de la personne qui est assise devant vous. Il ne faut pas se fier entièrement au diagnostic. C'est la personne qui nous intéresse ici.
Dans une décision plus récente, la juge Baudouin a accordé à Jean Truchon, un homme handicapé, l'aide médicale à mourir. Dans sa décision — que vous avez sûrement vue —, au paragraphe 466, elle dit ceci: « [l]es médecins impliqués peuvent distinguer un patient suicidaire d'un patient qui recherche l'aide médicale à mourir ». C'était l'une de ses conclusions.
Contrairement au témoin précédent, je pense que, lorsque l'affaire est jugée devant un tribunal, le juge reconnaît que les psychiatres peuvent faire la distinction entre les personnes qui ont des pensées suicidaires et celles qui veulent recevoir l'aide médicale à mourir. Je suis d'accord.
Maintenant, le terme « irrémédiable » est utilisé lorsqu'il n'y a plus de traitements qui sont « acceptables » pour le patient. Selon la loi, on ne peut pas forcer un patient à recevoir n'importe quel type de traitement disponible. Il doit accepter. Si une personne refuse de suivre un traitement supplémentaire, je considère qu'elle a un problème de santé irrémédiable. L'une des principales controverses en psychiatrie est de savoir si l'on doit forcer les personnes qui souffrent de dépression à subir une électroconvulsivothérapie. Je pense que la loi est assez claire. Le patient doit donner son accord. S'il refuse et qu'il n'y a pas d'autres traitements disponibles, alors il souffre d'un problème de santé irrémédiable.
Nous ne parlons pas ici de personnes qui sont déprimées pendant une journée ou qui ont connu six mois de détresse. Nous parlons de personnes qui souffrent de troubles psychiatriques depuis des années et qui ont essayé de nombreux traitements différents — médicaments, psychothérapie, etc. Tous les cas aux Pays-Bas dont on parle sont des patients souffrant de maladies chroniques qui ont suivi des traitements pendant de nombreuses années.
J'aimerais maintenant parler de la question de savoir si les personnes vulnérables ont besoin de protection. Encore une fois, cette question a été jugée par les tribunaux dans les affaires Carter et Truchon. Il n'y a aucune preuve que les personnes vulnérables sont à risque concernant l'aide médicale à mourir. En fait, si l'on regarde quelles personnes reçoivent l'aide médicale à mourir, elles sont généralement blanches, bien éduquées et aisées. On pourrait facilement faire valoir que les communautés marginalisées sont désavantagées parce qu'elles n'ont pas accès à l'aide médicale à mourir. Dans l'affaire Truchon, la juge Baudouin a également estimé que les personnes défavorisées n'étaient pas dupées et qu'on doit traiter un cas à la fois.
J'ai pensé vous parler des deux dossiers auxquels j'ai travaillé.
L'un concernait une femme, E.F. Cette cause a été examinée en détail par la juge Baudouin. E.F. souffrait d'un trouble de conversion. Elle souffrait de ce trouble depuis environ 10 ans. C'est un trouble psychiatrique et neurologique complexe. En fin de compte, un juge de la Cour du Banc de la Reine lui a accordé l'aide médicale à mourir. Le procureur général du Canada a fait appel de cette décision et la cour d'appel l'a accordée en se fondant entièrement sur le diagnostic psychiatrique.
C'était avant le projet de loi , lorsque les règles découlaient de l'arrêt Carter. L'arrêt Carter nous a appris que les troubles psychiatriques n'étaient pas une exclusion.
Si vous regardez attentivement le projet de loi , vous verrez que rien n'exclut les patients psychiatriques. Encore une fois, il s'agit d'une conclusion de la juge Baudouin dans l'affaire Truchon.
Personnellement, j'ai vu le cas d'une femme dans la quarantaine. Elle souffrait de troubles alimentaires depuis de nombreuses années. Elle avait suivi tous les traitements connus. La famille disposait de beaucoup de ressources. Elle était allée dans des centres de traitement aux États-Unis. Je me suis entretenu avec elle, ainsi qu'avec son père, un juge de la Cour suprême à la retraite. Son père m'a dit en toute connaissance de cause qu'il comprenait la situation et que cela lui brisait le cœur de convenir avec sa fille qu'elle avait besoin de l'aide médicale à mourir. En fin de compte, il était d'avis qu'elle devait en bénéficier. Après avoir suivi un programme d'évaluation complet, elle a reçu l'aide médicale à mourir. Ce sont les deux seuls dossiers que j'ai traités.
Jusqu'à présent, au Canada, le nombre est extrêmement faible et, soit dit en passant, il continuera de l'être également. Si nous regardons du côté des pays du Benelux, très peu de patients atteints d'un trouble psychiatrique voient leur demande d'accès à l'aide médicale à mourir approuvée. Nous n'avons donc pas à craindre qu'un tsunami de patients psychiatriques demande l'aide médicale à mourir et que leur demande soit approuvée.
:
Chers présidents et membres du Comité, bonjour.
Je me nomme David Roberge et je suis membre du Groupe de travail sur la fin de vie de l'Association du Barreau canadien.
Au nom de l'Association, je vous remercie de votre invitation.
[Français]
L'Association du Barreau canadien, ou l'ABC, est un organisme national regroupant plus de 36 000 juristes de partout au pays. Le groupe de travail de l'ABC sur la fin de vie est composé de représentants d'un grand nombre de domaines d'expertise, dont le droit constitutionnel, les droits de la personne, la justice pénale et le droit de la santé.
L'ABC a démontré un engagement ferme à clarifier le droit entourant les décisions en fin de vie et à souligner l'importance d'adopter une approche pancanadienne à ce sujet qui sera conforme aux critères établis par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Carter.
[Traduction]
Nous reconnaissons que l'aide médicale à mourir est un sujet complexe qui soulève des questions importantes et suscite des opinions diverses. C'est peut-être encore plus vrai dans les cas de santé mentale. Notre association reconnaît l'importance de soins de santé mentale et d'un soutien social approprié pour les personnes souffrant de maladie mentale. Pendant ce temps, nous devons nous rendre compte que leur souffrance n'est pas moins réelle que celle des personnes souffrant de maladie corporelle.
En tant que tel, le cadre devrait reconnaître le droit des personnes souffrant de maladie mentale de prendre leurs propres décisions en matière de soins, y compris l'aide médicale à mourir, en conciliant leur autonomie et les garde-fous appropriés.
Bref, voici la position de notre association sur l'aide médicale à mourir lorsqu'une maladie mentale est le seul problème médical invoqué:
D'abord, le Parlement devrait autoriser l'aide médicale à mourir dans certains cas de maladie mentale conformément à une démarche axée sur le patient et à la condition que les garde-fous appropriés soient en vigueur.
[Français]
Deuxièmement, le Parlement devrait veiller à ce que les éventuelles mesures de protection supplémentaires, le cas échéant, qu'elles visent l'expertise de l'évaluateur, les délais ou le consentement éclairé, ne prolongent pas indûment les souffrances des patients qui seraient autrement admissibles à l'aide médicale à mourir.
[Traduction]
Troisièmement, le Parlement devrait veiller à ce que, dans des cas de maladie mentale, l'aide médicale à mourir soit en harmonie avec les pratiques exemplaires du secteur des soins de santé mentale.
Même si des médecins sont plus susceptibles de répondre à certaines questions touchant l'aide médicale à mourir et la maladie mentale, l'Association souhaite mettre en relief des éléments importants d'appréciation concernant les garde-fous appropriés du point de vue juridique.
[Français]
En ce qui a trait à la portée de la loi, le Parlement devrait bien définir la portée de l'AMM en matière de maladies mentales pour éviter toute ambiguïté quant aux protocoles et aux mesures applicables.
Quant à l'expertise de l'évaluateur, vu la complexité inhérente aux maladies mentales, le Parlement pourrait vouloir préciser qu'un des évaluateurs de l'AMM devrait être un psychiatre. Cependant, il faudra tenir compte de l'accès à ces spécialistes dans les faits, car des délais pourraient prolonger indûment les souffrances du patient.
[Traduction]
Les délais à respecter dans les situations où la mort naturelle n'est pas prévisible sont d'au moins 90 jours écoulés entre la demande initiale et l'administration de l'aide médicale à mourir. La longueur du délai doit permettre aux évaluateurs un examen complet des antécédents et de la situation du patient. Le Parlement doit se méfier du risque de l'imposition d'un délai arbitraire, qui ferait abstraction de la nature du trouble mental.
[Français]
Maintenant, au sujet du consentement éclairé, le patient qui réclame l'AMM devrait s'être fait suggérer des solutions thérapeutiques raisonnables afin de faire un choix informé. L'opportunité de renforcer les critères du consentement éclairé est l'objet de débats. À ce sujet, selon l'ABC, il faut tenir compte des normes et des lignes directrices en matière de soins de santé relevant des gouvernements provinciaux et des autorités de réglementation professionnelles.
:
Je crois que le Dr Smith confond le caractère définitif et la fiabilité du diagnostic avec le caractère irrémédiable des symptômes qui conduisent à demander l'aide médicale à mourir. Oui, on peut, avec une certaine assurance, déterminer que quelqu'un est schizophrène ou dépressif, mais l'immense majorité des personnes schizophrènes ou dépressives n'envisagera pas sérieusement le suicide ni l'aide médicale à mourir ni ne souffrira de symptômes graves qui, non traités, leur feront désirer la mort.
Je suis un scientifique. La dernière étude Cochrane sur la recherche sur la capacité de trouver un indicateur de l'évolution à venir d'une maladie mentale, traitée ou non, a conclu que nous ne disposions d'aucune méthode scientifique précise pour le faire. Nous nous fions à l'intuition d'un clinicien qui ne connaît pas le patient depuis 20 ou 30 ans et qui ne possède aucune donnée scientifique montrant qu'il peut faire cette détermination.
J'accepte le caractère irrémédiable de nombreuses maladies mentales, mais ça ne signifie pas qu'un patient convenablement traité ne pourra pas mener une vie agréable et bien remplie malgré sa maladie mentale. La vraie question, c'est que, en prévention du suicide, tous ceux qui appellent une ligne d'écoute satisfont aux critères de l'aide médicale à mourir. Ils souffrent, ils ont l'impression que c'est interminable et ils ont souvent refusé les traitements offerts.
La différence entre le Canada et les autres pays est que, partout ailleurs, si le médecin estime qu'il existe un traitement, le malade n'est pas obligé de le suivre. Le choix lui revient, mais le médecin ne le fait pas mourir.
:
Merci, madame la présidente.
Je remercie les témoins de la précieuse aide qu'ils nous apportent aujourd'hui.
Ma première question s'adresse au Dr Smith.
Docteur Smith, vous me rassurez quand vous dites que les psychiatres sont en mesure de distinguer les deux fameuses tendances lorsqu'une personne souffre de troubles mentaux, soit la tendance au suicide et la tendance à demander l'aide médicale à mourir.
Pouvez-vous nous donner plus de précisions sur la façon dont les psychiatres s'entendent pour faire la distinction entre une personne suicidaire et une personne qui souffre de troubles mentaux et qui demande l'aide médicale à mourir?
:
Je vous remercie de cette question. Je ferai de mon mieux pour répondre.
Je pense que la réponse détaillée se trouve dans ce rapport, que vous avez déjà reçu, celui du Groupe d'experts sur l'aide médicale à mourir et la maladie mentale. Je ne pourrais l'éplucher en cinq minutes, mais je tiens à vous rassurer de nouveau, ça déjà été essayé devant les tribunaux, non par le poids d'une foule d'opinions, mais au moyen de contre-interrogatoires qui ne se satisfaisaient que de preuves irréfutables.
Dans l'affaire Truchon, les preuves irréfutables étaient que, pour l'aide médicale à mourir au Canada, il existait un processus énergique et rigoureux pour lequel ça ne posait aucun problème. Ensuite, les médecins sont en mesure de distinguer le patient suicidaire de celui qui cherche à obtenir l'aide médicale à mourir. Ce sont des faits judiciairement établis.
Nous n'éprouvons aucune difficulté à faire connaître ces faits devant le tribunal, parce que c'est un endroit où les opinions ne suffisent pas; il faut des faits, et les faits peuvent être remis en question. Il peut y avoir contre-interrogatoire, et on peut présenter de nouvelles preuves aux jurés.
En ma qualité de psychiatre praticien, je tiens à vous rassurer. Les personnes qui ont des pensées suicidaires, nous en voyons tous les jours. Elles font partie intégrante du métier. Personnellement, ça ne pose aucun problème pour moi de distinguer ce genre de patient de la personne qui veut obtenir l'aide médicale à mourir. D'abord, cette dernière souffre peut-être d'une maladie psychiatrique depuis 8 à 10 ans. Ce n'est pas une jeune femme de 18 ans qui devient soudain déprimée, qui a des pensées suicidaires et qui cherche à obtenir l'aide médicale à mourir. Absolument pas. Il s'agit plutôt de patients qui souffrent constamment depuis un certain nombre d'années.
:
Merci, madame la présidente.
Je vais d'abord profiter de la présence d'un juriste parmi nous pour lui poser une question qui m'a été posée au cours des 24 dernières heures et à laquelle je ne pouvais pas répondre spontanément.
Maître Roberge, nous savons que le Québec et la Commission spéciale sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie, dans son rapport, ont décidé de ne pas aller de l'avant et de ne pas recommander que le projet de loi déposé ce matin ouvre la porte à la question des troubles mentaux comme seul problème médical invoqué.
Supposons que nous suivions cette recommandation et que le projet de loi et sa disposition de temporisation sont effectivement adoptés, qu'arriverait-il en ce qui a trait à la concordance ou la cohésion?
Croyez-vous que le Québec serait alors obligé de suivre cette décision? Aurait-il une autonomie, une marge de manœuvre? Nous savons bien que les cadres réglementaires ne se retrouvent pas nécessairement dans le Code criminel.
Selon vous, qu'arriverait-il du point de vue légal?
:
Merci pour la question.
Ça revient à ce que je disais, et à ce qui est ressorti à maintes reprises des jugements, c'est‑à‑dire qu'on prend en considération toute la personne et non pas seulement le diagnostic. Les premiers cas des pays du Benelux, qui souffraient de troubles de la personnalité, m'ont fait croire à une erreur terrible.
En Belgique, des confrères et moi avons revu les cas dans le grand détail. C'est dans les détails que se cache le diable. On examine la totalité de la personnalité et non un diagnostic. Les personnes qui souffraient de troubles de la personnalité et qui avaient reçu l'aide médicale à mourir avaient souffert, pendant de nombreuses années, d'une maladie réfractaire, ordinairement, aux médicaments et, souvent, à la psychothérapie, qui causait une très grande détresse. Il faut oublier ce que dit le diagnostic et se focaliser sur la souffrance de la personne.
Voilà pourquoi les tribunaux ont été si efficaces, parce qu'ils trouvent devant eux une ou deux personnes, seulement en même temps. Ils peuvent examiner l'affaire très attentivement.
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Merci beaucoup, madame la coprésidente.
Moi aussi, à la suite d'autres collègues, je remercie les témoins pour les conseils qu'ils donnent à notre comité pendant cette étude très importante.
Docteur Smith, les auteurs du rapport dont nous discutons ont remarqué la forte corrélation entre de nombreux troubles mentaux et certaines inégalités socioéconomiques et environnementales telles que la pauvreté, le chômage, le sans-abrisme. Dans ma propre circonscription de Cowichan—Malahat—Langford, nous subissons certains effets vraiment néfastes de la crise des opioïdes. Beaucoup souffrent de plusieurs traumatismes.
Dans votre déclaration préliminaire, vous l'avez dit, relativement aux personnes vulnérables, mais je voudrais encore que vous en disiez davantage, parce que j'aperçois dans les rues de ma circonscription, des communautés de ma région natale, beaucoup de personnes qui, visiblement, souffrent de troubles mentaux et éprouvent beaucoup d'angoisse. Notre comité tient simplement à savoir si ces inégalités pourraient conduire une personne malade mentale à demander l'aide médicale à mourir. Je crains un accès tellement inégalitaire aux bons services pour tant de ces personnes.
:
L'accès aux services offerts aux personnes souffrant de maladies psychiatriques est certainement inégalitaire. Elles sont défavorisées pour l'obtention du genre de traitement dont elles ont besoin, mais ça devient également vrai dans d'autres spécialités de la médecine. Dans ma province, près d'un million de personnes n'ont pas de médecin de famille. Une crise de l'accès aux soins de santé nous guette donc.
Voilà pourquoi il faut privilégier l'individu et non les groupes peut-être défavorisés, l'individu en face de soi, qui discute de l'option d'obtenir l'aide médicale à mourir. À ce moment‑là, il aura peut-être reçu beaucoup de services. Dans ce cas, il est sûr que, en ma qualité de médecin, de psychiatre, je lui recommanderais un traitement.
Les évaluateurs ne sont pas aveugles au traitement et si on pouvait offrir à la personne un traitement évident pour soulager ses souffrances, alors, certainement, nous n'essaierions pas seulement de le recommander, mais de l'organiser. Il ne s'agit pas de personnes qui n'ont jamais été traitées ou ne peuvent accéder aux services, mais qui, pendant nombre d'années ont reçu des traitements, dont l'état ne s'améliore pas et qui continuent de souffrir interminablement.
Nous devrions tous œuvrer à débarrasser le système de santé de ses inégalités, particulièrement envers les communautés défavorisées, mais je ne crois pas que ça ait nécessairement un si grand rapport avec une maladie psychique ou l'aide médicale à mourir.
:
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins de nous aider à cheminer vers une décision.
Ma question s'adresse au Dr Smith.
Y a-t-il un diagnostic précis de maladie mentale qui a plus de force et qui indique qu'il s'agit d'une maladie incurable?
Naturellement, il faut faire toutes les investigations, comme on a l'habitude de le faire, et tenir compte de toutes les considérations en cours.
Certaines maladies mentales diagnostiquées sont-elles incurables?
:
Je vous remercie pour votre question.
Certaines maladies mentales sont incurables et terminales. Je fais référence ici aux diverses formes de démence. La maladie d'Alzheimer et la démence à corps de Lewy finissent par tuer les gens, alors c'est une catégorie de maladie psychiatrique pour laquelle il n'y a aucun débat.
Mais il n'est pas question de déterminer si la maladie est incurable. Certaines personnes voudraient nous faire croire qu'il faut attendre pendant des années dans l'espoir qu'un nouveau traitement soit disponible. Cela ne fait que prolonger les souffrances d'une personne qui cherche activement à se donner la mort pour soulager des douleurs intolérables.
Je ne crois pas que le mot « incurable » soit nécessairement celui à préconiser. Il faut se demander s'il existe des traitements qui sont acceptables pour une personne qui a déjà connu 10 années de traitement, par exemple, et qui vont améliorer son fonctionnement. Si la réponse est non — en d'autres termes, il n'y a pas de traitement ou ceux qui sont disponibles ne sont pas acceptables pour le patient —, alors selon ce que je comprends de la loi, le patient est admissible à l'aide médicale à mourir.
:
Je vous remercie pour votre question.
Non seulement je ne suis pas du même avis, mais je crois qu'une telle affirmation est absurde. Les gens qui font appel à ces services sont peut-être en situation d'adaptation... Ils ont rompu les liens avec un membre de leur famille ou ils ont perdu leur emploi, par exemple. Ce ne sont pas du tout ces patients qui sont admissibles à l'aide médicale à mourir.
On parle ici de patients qui souffrent de maladies mentales, de maladies psychiatriques, de maladies pouvant être diagnostiquées, qui ont subi des traitements pendant de nombreuses années et qui ont consulté de nombreux psychiatres et thérapeutes. Ce sont ces gens qui sont susceptibles d'être admissibles à l'aide médicale à mourir.
La grande majorité des personnes qui font appel aux lignes téléphoniques de prévention du suicide sont loin d'être prises en compte pour l'aide médicale à mourir. C'est un faux débat.
C'est l'une de mes passions. Je crois que, malheureusement, la plupart des personnes présentes dans la salle et en vidéoconférence vont souffrir de démence à un certain moment.
En ce qui a trait à l'autre question, sur les mineurs matures et les patients psychiatriques, ils sont peu nombreux. L'éléphant dans la pièce, c'est la démence. À l'heure actuelle, le problème est le suivant: si une personne attend trop longtemps avant de faire une demande d'aide médicale à mourir, elle deviendra inapte. Elle sera alors condamnée à attendre pendant cinq ou six ans dans une résidence, à porter des couches, à ne pas savoir où elle est ni qui est sa famille; elle ne profitera plus du tout de la vie. Le risque, lorsqu'on attend trop longtemps, c'est de devoir vivre avec la démence. J'ai été témoin de telles situations, et ce n'est pas beau.
L'autre risque, c'est de prendre la décision de manière trop précoce. J'avais une amie, la femme d'un médecin, qui a obtenu l'aide médicale à mourir il y a un an et demi. Elle ne voulait pas vivre des années de démence. À mon avis, elle a obtenu l'aide médicale à mourir beaucoup trop tôt, même si elle répondait aux critères requis. Elle n'a pas pu connaître deux de ses petits-enfants, parce qu'elle ne voulait pas assumer le risque associé à la démence.
Oui, je suis pour les demandes anticipées pour les personnes souffrant de démence.
:
S'il était possible de tracer cette ligne, dans les très rares cas où une personne est vouée à souffrir de façon permanente, il n'y aurait pas de débat. Dans leur rapport, les experts font valoir à répétition qu'il est impossible d'établir des règles fixes lorsqu'on tente de faire la distinction entre une personne qui est suicidaire et une personne qui demande l'aide médicale à mourir. Ils ne citent aucune étude qui démontre que l'humain est capable de faire la différence entre ces deux groupes de personnes.
Lorsqu'on a demandé au Dr Smith quelle était la façon de déterminer si une personne était suicidaire ou si elle demandait l'aide médicale à mourir, il n'a donné aucun critère de diagnostic qui pouvait être appliqué, mais il a dit qu'il était capable de faire la distinction. La recherche est très claire. Rien n'indique qu'il est possible de prédire l'évolution d'une maladie mentale, qu'elle soit traitée ou non, à l'aide d'un quelconque critère fiable. Dans le cadre des recherches où divers psychiatres ont tenté de le faire, ils n'arrivaient habituellement pas au même résultat, ce qui m'inquiète, en raison de toutes les personnes suicidaires...
Je vais le répéter: j'aimerais vraiment pouvoir fournir les preuves demandées par le sénateur Kutcher. Lorsqu'une personne veut vraiment se suicider, c'est parce qu'elle croit qu'il n'y a plus d'espoir. Nous avons le droit d'envoyer une ambulance pour sauver la vie d'une personne qui est en train de commettre l'acte ou qui s'apprête à le faire, même sans son consentement. La plupart de ces personnes — la grande majorité d'entre elles — sont ensuite très reconnaissantes envers ceux qui les ont sauvées. Ces personnes répondent aux critères d'admissibilité parce qu'elles ont habituellement des antécédents de troubles mentaux, elles ont subi de nombreux traitements et elles se sentent complètement désemparées à un certain moment, mais elles changent d'idée par la suite.
Combien de personnes sont aujourd'hui heureuses d'être en vie alors qu'elles ont été sauvées contre leur gré? Je crains que des personnes meurent pour rien parce que nous n'avons pas établi de critères appropriés. Même si les personnes croient qu'elles peuvent prendre une telle décision, les données scientifiques ne le démontrent pas et je vous mets au défi de lire le rapport du comité d'experts et de trouver ces critères, de savoir comment on peut prendre une telle décision après avoir parlé à quelqu'un.
:
Merci beaucoup, sénatrice Martin.
Voilà qui met fin à la première partie de notre réunion. Je tiens à remercier nos trois témoins: M. Mishara, le Dr Derryck Smith et Me David Roberge.
[Français]
Je vous remercie beaucoup de vos témoignages.
[Traduction]
Nous vous remercions d'avoir répondu à nos questions sur ce sujet très difficile, mais très important. Nous vous en sommes reconnaissants.
C'est donc ainsi que se termine la première partie de la réunion. Nous allons suspendre la séance pendant quelques minutes afin de nous préparer pour le prochain groupe de témoins.
Merci.
:
Nous reprenons les travaux. J'espère que le Dr McKenzie pourra se joindre à nous avant que ce ne soit à son tour de parler.
Je souhaite la bienvenue aux deux témoins qui sont avec nous pour le moment.
Nous recevons Sean Krausert, de l'Association canadienne pour la prévention du suicide. Nous recevons aussi la Dre Valorie Masuda, à titre personnel, et nous espérons accueillir sous peu le Dr Kwame McKenzie, également à titre personnel.
Nous vous remercions de vous joindre à nous aujourd'hui. Vous disposerez chacun de cinq minutes pour faire une déclaration préliminaire. Nous vous demandons de vous en tenir à ces cinq minutes. Veuillez s'il vous plaît désactiver votre micro lorsque vous n'avez pas la parole. Si vous souhaitez attirer notre attention pendant les témoignages, vous pouvez utiliser la fonction « Lever la main ». Veuillez adresser vos commentaires aux coprésidents. Je suis accompagné aujourd'hui de la sénatrice Yonah Martin, qui copréside une partie de la séance.
Nous allons maintenant commencer.
Monsieur Krausert, si vous êtes prêt, la parole est à vous. Vous disposez de cinq minutes.
Bonjour, honorables membres du Comité mixte spécial. Je m'appelle Sean Krausert et je suis directeur général de l'Association canadienne pour la prévention du suicide. Je vous remercie de m'offrir l'occasion de vous faire part de mes réflexions alors que vous entreprenez l'examen prévu par la loi des dispositions du Code criminel concernant l'aide médicale à mourir et leur application.
Mon organisation admet que les Canadiens jugés aptes à prendre de telles décisions devraient avoir accès à l'AMM afin d'exercer un contrôle sur un processus de mort déjà en cours. D'un autre côté, les efforts que nous déployons pour prévenir le suicide, notamment en diffusant des messages sains au sein de la société, signifient que nous devons tendre vers un avenir où aucun Canadien n'utilise la mort comme solution quand la vie est difficile et douloureuse, particulièrement si les problèmes rencontrés sont remédiables.
J'ai plusieurs préoccupations quant à l'AMM pour les personnes qui ne sont pas en fin de vie et qui souffrent uniquement de troubles mentaux. Trois d'entre elles sont des considérations de principe, et une est une préoccupation d'ordre très personnel.
Sachez d'abord que la vie vaut la peine d'être vécue. Il est impératif que notre société investisse pour trouver des moyens d'atténuer la souffrance et d'aider les gens à avoir une vie qui vaut la peine d'être vécue. L'élargissement de l'AMM aux personnes qui ne sont pas en fin de vie laisse intrinsèquement entendre que certaines vies ne valent pas la peine d'être vécues et qu'on n'y peut rien changer.
De plus, dans le domaine des soins de santé mentale, la capacité de trouver de l'espoir et des raisons de vivre constitue un aspect essentiel des soins cliniques offerts pour les troubles mentaux. Or, le fait d'offrir l'AMM comme solution de traitement est fondamentalement contraire à cette approche et aura probablement un effet négatif sur l'efficacité de certaines interventions thérapeutiques, ce qui pourrait pousser le patient et le prestataire de soins à abandonner prématurément les soins.
Sur le plan de la politique psychiatrique, il est plus simple et probablement moins coûteux de mettre fin à la vie d'une personne atteinte de problèmes de santé mentale complexes que de lui offrir d'excellents soins à long terme. Voilà qui peut avoir l'effet pervers — et inacceptable — d'inciter le système de santé à encourager le recours à l'AMM pour éviter d'avoir à offrir des ressources adéquates aux patients.
Pour ce qui est de mon histoire personnelle, je ne serais probablement pas ici si j'avais pu me prévaloir de l'AMM dans mes jours les plus sombres. J'ai souffert de plusieurs dépressions et d'anxiété extrême pendant la vingtaine et la trentaine. Lors de ma pire dépression, à la fin de la trentaine, la souffrance était intolérable. Même si j'ai songé au suicide, j'ai compris ultérieurement que je ne voulais pas tant mourir que cesser de souffrir. Cette ambivalence est courante chez ceux qui envisagent de mettre fin à leurs jours.
Si je me suis déjà considéré comme un fardeau pour ma famille, je me vois maintenant comme un atout, pas seulement pour les membres de ma famille, mais pour ma communauté. Je suis maintenant relativement libéré de la dépression et de l'anxiété grâce aux médicaments et à une thérapie qui a enfin fonctionné. J'ai également appris que je souffrais d'apnée du sommeil grave non diagnostiquée pendant des décennies. Je vis maintenant une vie riche. J'ai récemment été élu maire de ma ville et mon premier petit-enfant est né il y a quelques semaines. Si j'avais eu la possibilité de demander l'AMM dans mes heures les plus sombres et les plus douloureuses, j'aurais pu réduire à néant un avenir meilleur que ce que j'aurais pu demander ou même imaginer.
L'Association canadienne pour la prévention du suicide est d'avis qu'il faut considérer l'ensemble du contexte de la prévention du suicide et de la promotion de la vie pour tous les Canadiens.
À cette fin, nous recommandons d'abord que l'AMM ne soit pas offerte aux patients souffrant d'un trouble pour lequel la mort n'est pas raisonnablement prévisible, à moins que des preuves scientifiques indiscutables montrent que ce trouble est irrémédiable. Le caractère irrémédiable doit toujours être objectif et jamais subjectif. Aucune preuve n'indique que la maladie mentale entre dans cette catégorie.
De plus, il faudrait augmenter le financement des soins de santé pour que des traitements soient offerts aux patients afin que le manque d'accès aux traitements ne fasse pas en sorte que leur trouble soit jugé irrémédiable. Le refus de traitement de la part d'un patient ne devrait pas signifier que le trouble est irrémédiable.
En outre, il faut faire preuve d'une extrême prudence dans le cas de l'AMM et instaurer des mesures de protection éprouvées et soigneusement réfléchies pour que les plus vulnérables soient protégés afin que l'AMM ne devienne pas un suicide commis avec l'aide d'un médecin.
Enfin, il faudrait fournir des outils aux prestataires de soins de santé — particulièrement à ceux qui prennent des décisions en matière d'AMM — pour qu'ils sachent comment procéder pour offrir du soutien aux patients afin d'éviter des morts prématurées.
En bref, l'Association encourage vivement le retrait des troubles mentaux de la liste des troubles admissibles à l'AMM. Ce faisant, on préviendra la mort prématurée de personnes qui souffrent uniquement de maladie mentale et évitera ainsi de légitimer par inadvertance le suicide, comme s'il s'agissait d'une solution acceptable pour mettre fin à une vie difficile et douloureuse.
Je vous remercie de votre attention.
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Je vous remercie, honorables membres du Comité, de me permettre de présenter mes opinions au Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir en ce qui concerne l'accès des personnes atteintes de maladie mentale chronique à l'AMM.
Je m'appelle Valorie Masuda et je pratique la médecine depuis plus de 30 ans, me spécialisant en médecine d'urgence depuis 20 ans et en soins palliatifs depuis 10 ans.
Je suis évaluatrice des demandes d'AMM et je soutiens les patients au sujet de leur demande d'AMM depuis mai 2016. Je travaille sur l'île de Vancouver, laquelle compte les taux de morts par AMM les plus élevés au Canada. Je suis également médecin autorisée à offrir des traitements au moyen de médicaments psychédéliques aux patients en phase terminale souffrant de démoralisation, de dépression et d'anxiété irrémédiables.
Mon travail dans le domaine de l'AMM m'a permis de découvrir l'éventail de raisons qu'ont les patients de vouloir mettre fin prématurément à leurs jours. Certains envisagent de mourir parce que leur débilité, leur dépendance croissante et leurs pertes cognitives leur sont intolérables, alors que d'autres réclament l'AMM s'ils anticipent de souffrir de symptômes graves en fin de vie. Certains patients atteints de maladie chronique en phase terminale peuvent vivre de très longues périodes de débilité et de souffrance, et même si leur pronostic est imprévisible, c'est toujours vers la mort qu'ils se dirigent.
À titre de médecin en soins palliatifs, j'ai le devoir d'offrir au patient toutes les solutions disponibles pour atténuer ses souffrances; je peux même appuyer sa demande d'AMM. La démoralisation ou la terreur que les patients éprouvent au sujet de leur diagnostic constituent les symptômes le plus difficiles à traiter. Par le passé, le seul traitement dont nous dispositions consistait à leur administrer des sédatifs afin d'atténuer leur souffrance extrêmement profonde, mais dernièrement, certains ont choisi l'AMM pour être libérés de cet état qu'ils considèrent intolérable.
Au cours des trois dernières années, j'ai légalement — et avec succès — traité 20 patients atteints de démoralisation, de crainte et de dépression irrémédiables en vertu d'une exemption prévue à l'article 56 ou au titre du programme d'accès spécial. J'ai traité ces patients avec de la psilocybine, un médicament psychédélique très efficace et sécuritaire. Avec un traitement, j'ai observé une disparition totale de la démoralisation et de la peur. J'offre maintenant ce traitement aux patients souffrant de ce genre de détresse qui, sinon, auraient pu réclamer l'AMM.
Je comprends que certains patients atteints de maladie mentale chronique pensent que leur souffrance est intolérable et qu'ils devraient pouvoir y mettre fin avec de l'aide médicale, mais je ne suis pas d'accord. Tout d'abord, l'AMM est un programme visant à aider les personnes mourantes. De plus, le serment d'Hypocrate veut qu'on s'abstienne de tout mal. Or, l'injection d'un produit létal à un patient qui ne se dirige pas vers la mort fait du mal.
En outre, la maladie mentale chronique est un trouble multifactoriel extrêmement complexe, souvent causé par des traumatismes et de la maltraitance subis durant la petite enfance, et aggravé par le chômage, la pauvreté, l'isolement et l'itinérance. Les gens soignent leur démoralisation et leur désespoir à coup de substances. Le manque de ressources de ces gens perpétue et aggrave leur souffrance. La promesse des sociétés pharmaceutiques de soigner la dépression et l'anxiété est un mensonge. Neuf pour cent des Canadiens consomment des antidépresseurs, et la consommation chronique de ces médicaments augmente. Le quart des Canadiens souffrent de dépression; nous assistons donc à une crise de consommation de substances et à une épidémie de décès attribuables aux stupéfiants.
Pour certains patients, la démoralisation, le désespoir et la dépression persistent malgré la médication, les hospitalisations et les interventions draconiennes comme les électrochocs. Leur souffrance morale semble s'être imprégnée en permanence dans leur cerveau, et le recours aux substances est devenu un comportement établi chez nombre d'entre eux. Ces patients sont considérés comme étant résistants aux traitements, car ils ne réagissent pas aux traitements traditionnels. J'ai eu l'occasion d'étudier les effets des médicaments psychédéliques chez mes patients en soins palliatifs. Avec un soutien adéquat et dans un contexte thérapeutique, ces médicaments déprogramment le cerveau et ont un potentiel extraordinaire de changer les modes de pensée et de comportement. Malheureusement, il s'agit de médicaments à usage restreint qui ne peuvent être offerts aux patients en dehors d'essais cliniques.
En résumé, les Canadiens atteints de dépression ont le droit constitutionnel de faire atténuer leur souffrance, mais je ne pense pas que l'AMM devrait servir à cette fin. Les Canadiens ne devraient pas recevoir l'aide médicale au suicide parce qu'ils n'ont pas accès aux ressources de santé mentale de base et ne peuvent combler leurs besoins essentiels. Les produits pharmaceutiques ne sont pas la solution pour traiter la maladie mentale. Les Canadiens doivent avoir accès à des programmes de traitement efficaces financés par le gouvernement et offerts par des thérapeutes payés par l'État, et pouvoir recevoir des traitements comprenant des médicaments psychédéliques.
Le traitement efficace de la maladie mentale permet aux gens de retourner au travail, diminue la pauvreté et l'itinérance, réduit les hospitalisations et la criminalité, et stimule l'économie. C'est là que se trouve, selon moi, la réponse à la crise de santé mentale.
Si le Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir recommande d'autoriser le recours à l'AMM dans les cas de maladie mentale chronique, je préconiserais d'instaurer un solide processus d'examen multidisciplinaire dans le cadre duquel des médecins, des psychiatres, des travailleurs sociaux et des éthiciens examineraient la demande d'AMM d'un patient, et d'effectuer un examen transparent des dossiers d'AMM qui serait partagé entre les autorités sanitaires sous supervision provinciale et fédérale pour éviter de traiter des problèmes sociaux avec l'euthanasie.
Je vous remercie beaucoup.
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Je vous remercie de cette réponse.
Le Dr Smith a indiqué dans son témoignage qu'il faut examiner le patient dans son ensemble. Il semblait s'attarder presque exclusivement à la souffrance, mais la dernière fois que j'ai vérifié la définition de ce qui constitue un problème « irrémédiable » dans le Code criminel, j'ai constaté que la souffrance « intolérable » est un des trois critères, mais que ce n'est pas le seul critère. Les deux premiers sont la « maladie incurable » et le « déclin irréversible ».
Selon ce que je comprends de vos propos, il n'est pas possible de déterminer qu'un patient a une maladie incurable et est dans un état de déclin irréversible, car il est toujours possible d'aller mieux. Il n'est donc pas possible d'établir le caractère irrémédiable. Est‑ce exact?
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Cela ouvre la porte. Sachez que je parle des troubles pour lesquels la mort n'est pas raisonnablement prévisible.
Au cours du volet précédent, le Dr Smith a longuement parlé de la démence, et je ne comprends pas pourquoi nous envisagerions l'AMM pour la maladie mentale. Quand la mort est raisonnablement prévisible comme c'est le cas pour la démence, nous emprunterions cette voie.
Je ne pense pas que la démence serait exclue si nous n'autorisions pas l'AMM en cas de maladie mentale.
De par mon expérience personnelle, toutefois, je peux affirmer que la noirceur dont la Dre Masuda a parlé est éprouvante et douloureuse. Elle pousse à l'isolement et perturbe le schéma de pensée. Ce n'est pas un état d'esprit dans lequel on devrait décider de se marier, d'acheter une maison ou de faire quelque chose dans la vie, et encore moins de mettre fin à ses jours.
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Merci beaucoup, docteure Masuda.
Je vais maintenant me tourner vers M. Krausert.
Monsieur Krausert, je suis très heureuse que vous soyez parmi nous aujourd'hui et que vous n'ayez pas cédé à vos crises de dépression et à vos idées suicidaires.
Vous avez brièvement mentionné que vous avez eu de l'aide. De toute évidence, c'est une bonne chose. Nous croyons tous que c'est une bonne chose. Le Dr Smith a dit plus tôt que les tribunaux, à la suite de très longs contre-interrogatoires, ont conclu dans certains cas, dont Truchon, que des psychiatres qualifiés ont la capacité de faire la distinction entre des idées suicidaires, qui peuvent être temporaires, et une maladie mentale qui est irréversible. Êtes-vous de cet avis?
J'ai noté que les tribunaux ont également affirmé que seul le patient est en mesure de dire si quelque chose est irrémédiable ou non, ou intolérable ou non, parce qu'il sait ce qu'il vit, il sait ce qu'il croit et il sait quelles sont ses options. S'il dispose de bonnes options et qu'il peut donner son consentement en toute connaissance de cause, le patient a le droit de dire s'il peut être considéré comme souffrant de manière irrémédiable et s'il souhaite recevoir le traitement qui lui est proposé parce que, pour lui, le traitement n'est pas acceptable.
Les tribunaux ont rendu des décisions positives sur ces points. Êtes-vous d'accord avec ces décisions?
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Merci, monsieur Krausert. Cependant, vous vivez dans votre propre corps et, comme l'a dit le Dr Smith, il faut considérer l'être humain dans son ensemble: la personne entière, avec son cerveau, qui est maintenant affligée d'une façon différente de voir le monde ou d'une maladie mentale. Nous parlons d'une partie de l'être humain dans son ensemble, et les tribunaux ont statué que c'était très différent.
La conclusion que vous tirez de votre propre expérience ne correspond pas nécessairement à tous les êtres humains qui souffrent d'une maladie mentale ou d'une maladie chronique pour laquelle ils décident de ne plus recevoir de traitement, ce qui est différent de l'idéation suicidaire, soit dit en passant.
Croyez-vous vraiment que cela devrait être fait au cas par cas, comme on le préconise pour l'AMM, avec des médecins qui ont la capacité de comprendre la compétence, de comprendre la différence entre le suicide et une souffrance irrémédiable et intolérable, et qui peuvent donc prendre les décisions nécessaires pour aider un patient en mesure de donner son consentement éclairé concernant toutes les options qui s'offrent à lui?
Reconnaissez-vous que c'est un enjeu individuel et que nous ne pouvons pas nous baser sur votre expérience pour définir ce que serait l'expérience d'un autre être humain dans un cas donné?
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Merci, madame présidente.
Ma première question s'adresse à M. Krausert.
J'ai dû lire ce rapport d'expert une dizaine de fois et je pense que je vais le relire encore.
Vous avez soulevé beaucoup de questions que je me posais également.
Toutefois, à la recommandation 8, on parle de la cohérence, de la durabilité et du caractère réfléchi d'une demande d'aide médicale à mourir. On y dit ceci:
Les évaluateurs doivent s’assurer que le souhait de mourir du demandeur est cohérent […], sans ambiguïté et réfléchi rationnellement pendant une période de stabilité, et non pendant une période de crise.
Je suis heureux que vous soyez toujours avec nous, mais, selon ce que je comprends du rapport, même si vous en aviez fait la demande, vous n'auriez pas été admissible à l'aide médicale à mourir au moment où vous étiez dans votre période la plus sombre.
Un peu plus loin, on donne des précisions qui m'ont aidé à comprendre de quelles personnes on parle. On présente donc un cas. Je vais lire l'extrait, et vous me direz si vous considérez que cette dame devrait être admissible à l'aide médicale à mourir:
C. est une femme de 70 ans présentant un trouble dépressif majeur grave et un trouble de stress post-traumatique diagnostiqué à l’âge de 18 ans. Elle a exprimé le désir de mourir depuis l’âge de 20 ans et a fait environ 30 tentatives de suicide au cours de sa vie, dont plusieurs étaient suffisamment graves pour nécessiter des hospitalisations médicales. Elle est incapable de travailler et ne souhaite pas avoir de relations sociales en raison de son état mental. Elle a demandé l’AMM parce que les symptômes de ses troubles ont été réfractaires à plus de 35 interventions psychosociales et traitements somatiques reconnus (médicaments et traitements de neuromodulation) et qu’elle ne veut pas en essayer d’autres. À l’heure actuelle, elle n’a pas l’intention de faire une tentative de suicide.
Selon vous et compte tenu de l'expérience que vous avez vécue, est-ce que cette dame devrait avoir accès à l'aide médicale à mourir à la suite d'un processus d'évaluation rigoureux?
Dans l'exemple que vous avez donné, l'affection dure depuis longtemps. Il n'est pas déraisonnable de penser qu'elle va durer encore longtemps. De plus, je pense que vous avez dit que la dame ne veut pas subir d'autres traitements. La question est vraiment de savoir si nous voulons aider les gens à mourir prématurément.
Selon moi, en l'absence de preuves absolues, de données, qui montrent objectivement que cette maladie ne pourra jamais être traitée de manière à réduire la souffrance, nous devons dire non. Je peux vous dire, subjectivement, que la maladie vous isole. La maladie vous ment, et pour beaucoup de gens, la vérité est tout simplement occultée. Vous trouverez bien ici et là des cas pour lesquels il n'y a pas d'autre solution, mais vous trouverez autant de cas de personnes qui mettent fin à leur vie prématurément alors qu'elles auraient pu aller beaucoup mieux.
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Merci beaucoup, madame la coprésidente.
J'aimerais commencer par la Dre Masuda.
Je vous remercie beaucoup de vous joindre à nous et de nous guider sur ce sujet. J'aimerais revenir sur votre déclaration liminaire et sur les patients que vous avez aidé à traiter avec la psilocybine.
Je tiens à préciser aux membres du Comité que j'ai écrit une lettre d'appui à l'exemption prévue à l'article 56, car je pense que des traitements nouveaux et novateurs sont nécessaires.
Docteure Masuda, lors d'un échange précédent avec Mme Fry, celle‑ci a dit que ce n'était pas une panacée. J'aimerais que vous nous en disiez un peu plus sur les promesses potentielles de ce traitement. Par exemple, pour ce qui est du potentiel que cela présente dans le cadre des interventions, est‑ce que nous ne voyons que la pointe de l'iceberg?
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C'est un traitement que je propose en cas d'indication clinique — pour les personnes qui sont enfermées dans un processus mental de désespoir et de démoralisation, et qui sont vraiment bloquées.
J'ai eu une patiente d'une trentaine d'années qui souffrait de douleurs extrêmement complexes que nous ne pouvions pas gérer. Elle était passée par une unité de soins tertiaires, on lui avait proposé toutes les options imaginables de gestion de la douleur, et nous ne pouvions tout simplement pas gérer sa détresse existentielle. Elle ne pouvait pas communiquer. Elle était une boule de.... Elle était en piteux état, en pleurs.... Elle ne pouvait pas interagir avec ses amis ou sa famille. En vérité, sa souffrance était profonde, très profonde.
Elle est la deuxième patiente au Canada à avoir bénéficié d'une exemption en vertu de l'article 56. Dans son cas, 24 heures après l'administration de ce seul médicament, elle est sortie de l'impasse où elle se trouvait, ce point à propos duquel on entend souvent les psychiatres et les thérapeutes dire: « Mon patient est arrivé à un point que je ne peux pas lui faire franchir. » Eh bien, elle a franchi ce cap, et en 24 heures, elle ne souffrait plus. Nous avons diminué ses médicaments contre la douleur. Elle était alerte et organisée. Elle pouvait en fait parler de la mort, et de la sienne en particulier, et elle a pu rétablir les liens avec ses amis et sa famille.
Depuis, j'ai eu 19 autres patients qui souffraient vraiment beaucoup, et nous n'avions pas d'autres thérapies pour cela à ce jour. Je pense que c'est une percée. J'ai vu des gens dans un état où ils ne pouvaient tout simplement pas s'en sortir, que ce soit parce qu'ils buvaient trop et ne pouvaient pas s'arrêter de boire, qu'ils ne pouvaient pas interagir avec leurs amis et leur famille, ou qu'ils étaient figés dans un état de terreur parce qu'ils étaient en train de mourir. En 24 heures, nous constatons un changement complet à cet égard.
Il existe de nombreuses études. Il y a des études d'IRM fonctionnelle. Nous savons comment ces médicaments fonctionnent, mais ils ont été restreints et ne sont pas accessibles aux patients.
Aux États-Unis, le recours aux psychédéliques est désormais qualifié de « révolutionnaire ». Ce sont des interventions révolutionnaires.
Ce n'est pas seulement le médicament, mais l'administration du médicament dans le contexte d'une thérapie, et le recours à des médecins et des thérapeutes formés aux psychédéliques. C'est révolutionnaire. Aux patients qui sont enfermés dans un certain schème de pensée et de comportement, nous donnons un psychédélique qui ouvre leur cerveau, de sorte que nous pouvons maintenant établir de nouveaux schèmes de pensée et de comportement. C'est un type d'intervention révolutionnaire, et je pense que nous devons aller de l'avant en l'autorisant pour les patients qui souffrent de toxicomanie, de dépression chronique ou d'anxiété.
On pense qu'il n'y a pas de traitement, mais je crois qu'il y en a un, et il faudrait envisager de le rendre accessible à tous les Canadiens.
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Merci beaucoup. J'espère que vous m'entendez bien. Je m'excuse. C'est mon appel Zoom le plus gênant depuis le début de l'année. Je m'en excuse, mais nous avons réussi à nous y retrouver.
Merci beaucoup de me permettre de témoigner aujourd'hui. Je suis honoré d'être ici.
Comme vous le savez, j'ai présidé le groupe qui a produit le rapport de 2018 du Conseil des académies canadiennes, ou CAC, sur l'AMM et les demandes présentées par des personnes dont le seul problème médical est un trouble mental. J'ai également été membre du Halifax Group, qui a publié un document sur les mesures de sauvegarde relatives à l'AMM. Les rapports du CAC et du Halifax Group se sont tous deux attaqués aux mêmes enjeux que celui du groupe d'experts de 2022 de Santé Canada sur l'AMM et la maladie mentale. Ces grands enjeux sont ceux dont vous avez déjà parlé: l'admissibilité, la capacité, les comportements suicidaires, l'intersection entre l'AMM et les déterminants sociaux de la santé ou la vulnérabilité structurelle, et les mesures de sauvegarde.
Je sais que vous avez lu les rapports, et je serai heureux d'en discuter, mais j'ai pensé que je prendrais une minute ou deux seulement pour souligner les incidences possibles de trois facteurs — la COVID‑19, les déterminants sociaux de la santé et l'inégalité raciale — sur l'AMM pour les personnes souffrant de maladie mentale.
L'évaluation de la souffrance dans les cas de problèmes de santé mentale est partiellement liée à la pertinence du traitement. De plus, les répercussions sociales de la maladie, l'exclusion sociale et le sentiment d'avoir un avenir difficile devant soi augmentent la perception de la souffrance.
La souffrance des personnes atteintes de problèmes de santé mentale risque d'augmenter à cause de la COVID‑19. Avant la COVID, nous étions déjà confrontés à une crise caractérisée par l'augmentation des taux de maladie, l'augmentation des taux de problèmes de santé mentale et l'accès insuffisant aux soins et aux mesures de soutien. À cause de la COVID, la situation a empiré. Cela s'explique par le besoin accru de services, mais aussi par l'épuisement du personnel et la diminution de la capacité de prestation des services. Nous avons un plus grand déséquilibre entre les services fournis et les besoins.
Si le nombre de personnes incapables d'accéder à un traitement approprié augmente, nous avons un nombre accru de personnes qui souffrent. Par conséquent, si nous avons un nombre accru de personnes qui souffrent, nous devons réfléchir à ce que cela signifie pour l'AMM et la maladie mentale.
La COVID‑19 n'est pas le seul facteur de stress. La crise en matière d'abordabilité et les restrictions des dépenses publiques auront une incidence sur la souffrance des personnes atteintes de problèmes de santé mentale, car elles font des évaluations et des comparaisons irréalistes de la situation dans laquelle elles se trouvent par rapport aux autres. À mesure que le filet de sécurité sociale est soumis à des pressions et que le problème de l'abordabilité s'accentue, la souffrance perçue peut augmenter.
Il y a aussi l'inégalité raciale. Nous savons tous que la COVID‑19 a durement touché les Autochtones, les Noirs et les autres groupes racialisés, mais ces groupes étaient déjà mal desservis par les services de santé mentale. Ces disparités risquent de s'accentuer. Ils sont également moins susceptibles d'obtenir le soutien social dont ils ont besoin. Là encore, nous avons une augmentation différentielle de la souffrance.
Jusqu'à présent, aucun des rapports dont j'ai parlé n'a convenablement traité des incidences différentielles de l'AMM sur les différents groupes raciaux. Je note que le rapport de Santé Canada indique qu'il faut consulter les populations autochtones dans la mise en œuvre des mesures de sauvegarde, mais qu'il ne recommande pas que les Noirs et les autres groupes racialisés soient expressément consultés eux aussi. Je pense que c'est une erreur.
J'estime que nous devons nous concentrer davantage sur la manière de garantir le plein accès à un soutien médical approprié et efficace à chaque personne qui a une maladie mentale comme seule maladie sous-jacente et qui envisage l'AMM. Pour l'instant, nous disons qu'ils doivent en être informés, mais la question est de savoir si nous nous assurons qu'ils ont réellement un accès complet.
Nous devons évidemment mettre en place un système qui ne se contente pas d'offrir du soutien médical, mais qui veille également à ce que les personnes souffrant de problèmes de santé mentale ne soient pas exclues socialement, ne vivent pas dans la pauvreté et ne croient pas qu'elles n'ont pas d'avenir. Nous devons nous assurer que les personnes qui ont recours à l'AMM ont eu un accès adéquat aux mesures de soutien social.
Enfin, nous devons veiller à ce que ce groupe, nos groupes d'experts et les autres groupes qui réfléchissent à la loi sur l'AMM s'engagent pleinement et de manière réfléchie auprès des Noirs et des autres groupes racialisés à prendre en compte leurs besoins dans les lois transformationnelles dont nous parlons.
Dans l'ensemble, je souhaite que nos mesures de sauvegarde garantissent que les personnes ont un accès équitable à tous les traitements et les mesures de soutien social dont elles ont besoin pour atténuer leurs souffrances. Il s'agit de veiller à ce l'AMM ne crée pas une voie de sortie pour la souffrance sociale.
Merci beaucoup.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Si je peux me permettre, j'ai une petite question pour la Dre Masuda.
Vous avez mentionné — et nous l'avons parfois entendu de la bouche d'autres témoins également — qu'on propose l'aide médicale à mourir pour remédier à des problèmes psychologiques, psychiatriques ou sociaux, etc. Avez-vous des preuves ou le nom d'un médecin ou d'un fournisseur de l'aide médicale à mourir qui a offert cette aide, sans suivre la procédure, à quelqu'un qui se sentait simplement déprimé ou qui était sans domicile?
Je suis désolée, mais je ne peux pas vous entendre.
Monsieur le président, si je peux obtenir... Je répète qu'il s'agit d'un thème récurrent, mais lorsque des déclarations de ce genre sont faites, il serait très utile pour le Comité d'obtenir des preuves concrètes, car, et je crois l'avoir déjà mentionné, si des gens ne suivent pas la procédure, ils contreviennent clairement à la loi, alors nous devrions en être informés.
Si je peux me permettre, je vais passer au Dr McKenzie. Nous avons entendu des témoins nous dire — et les statistiques le montrent — que les personnes qui demandent l'aide médicale à mourir sont habituellement de race blanche, bien nanties et consentantes. Êtes-vous d'avis que ce n'est pas une possibilité ou un choix que se voient offrir les membres d'autres groupes, comme les minorités qui font face à beaucoup de problèmes sociaux?
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Je pense que la question de la capacité doit être évaluée par le médecin, en tenant compte bien évidemment de la condition dont souffre la personne. Quand on parle de troubles mentaux, selon mon expérience, cela influe sur la capacité.
Au sujet de la divulgation complète, je crois que la divulgation doit être assortie d'une condition particulière, par exemple, qu'il existe entre 0 et 100 % de chance que la condition soit irrémédiable, parce que nous n'avons pas les données. Je ne sais pas comment on pourrait conclure subjectivement quand on n'a pas de données objectives à l'appui. Je pense qu'il faut que ce genre de divulgation soit faite. Comme il est mentionné dans le rapport, il faut qu'il y ait une vision commune subjective, en quelque sorte, sur ces questions entre le praticien et le patient. C'est une question tellement subjective.
On fait des pieds et des mains dans le Code criminel pour protéger les innocents. Il faut prouver qu'une personne est coupable, même si cela signifie que des coupables échapperont à la justice. J'estime que des mesures de sauvegarde doivent être en place afin que ceux qui le regretteraient et tous ceux touchés... Il ne faut pas oublier l'onde de choc chez les amis, les collègues, les proches. Chaque décès a des conséquences énormes. Ce n'est pas une décision qui touche seulement la personne. Elle touche toute la communauté. Nous devons veiller à ce que ces mesures de sauvegarde soient en place.
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Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
Je sais qu'il est prévu que nous passions à huis clos pour examiner deux motions, mais je dirais, simplement pour gagner du temps et éviter d'avoir à se reconnecter, qu'il serait avantageux de ne pas passer à huis clos. Pour ce qui est de ma motion, à tout le moins, je crois qu'il serait bien d'en discuter en public.
La motion demande que le Comité consacre six heures à étudier l'efficacité, la conformité et l'applicabilité des mesures de sauvegarde existantes sous les régimes des projets de loi et .
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C'est bien que vous me le rappeliez. Je vous remercie, monsieur le greffier.
Je crains que votre rappel au Règlement soit irrecevable, monsieur Cooper.
Avant de terminer, je veux remercier nos témoins. Nous vous sommes très reconnaissants. Au nom du Comité, je vous remercie sincèrement, monsieur Sean Krausert, docteure Masuda et docteur McKenzie. Nous sommes ravis d'avoir pu vous avoir avec nous. Même si nous avons eu quelques difficultés techniques, nous sommes très heureux d'avoir votre point de vue sur le travail important que fait le Comité.
Sur ce, je vais suspendre la séance. Il faudra quelques minutes pour pouvoir reprendre à huis clos. Tous les membres doivent maintenant utiliser le nouveau lien pour passer à la séance à huis clos.
Monsieur le greffier, dès que nous aurons le quorum, nous pourrons commencer notre troisième heure.
Je vous remercie.
[La séance se poursuit à huis clos.]