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Je souhaite la bienvenue à tous nos témoins présents ce soir et à ceux qui se joignent à nous en ligne.
Je m'appelle Yonah Martin et je suis la coprésidente du Sénat à ce comité. Je suis accompagnée de Shelby Kramp-Neuman, la vice-présidente de la Chambre des communes au Comité.
Aujourd'hui, nous poursuivons notre examen visant à vérifier le degré de préparation atteint pour une application sûre et adéquate de l’aide médicale à mourir lorsque le trouble mental est le seul problème médical invoqué, conformément à la recommandation 13 du deuxième rapport du Comité.
Avant de présenter nos témoins, je tiens à informer nos collègues de la Chambre qu'il pourrait y avoir des votes au Sénat à la deuxième heure. Nous serons alors tenus de nous absenter et de suspendre la séance du Comité. Nous ne savons pas encore ce qui va se passer, mais ce serait au cours de la deuxième heure.
Dans notre premier groupe de témoins ce soir, nous accueillons H. Archibald Kaiser, professeur à l'École de droit Schulichla et au Département de psychiatrie de la Faculté de médecine à l'Université Dalhousie, qui comparaît à titre personnel par vidéoconférence. Nous avons le Dr Tarek Rajji, médecin-chef du Comité médical consultatif au Centre de toxicomanie et de santé mentale. Nous recevons enfin les représentants du Collège des médecins du Québec: le Dr Mauril Gaudreault, président, et le Dr André Luyet, médecin psychiatre, témoignent par vidéoconférence.
Je souhaite la bienvenue à nos témoins du premier groupe. Vous disposerez de cinq minutes chacun pour votre déclaration préliminaire. Nous espérons que vous ne dépasserez pas le temps imparti.
Nous allons commencer par M. Kaiser, qui sera suivi du Dr Rajji et du Dr Gaudreault. Je ne sais pas si le Dr Luyet partagera les cinq minutes, ou si le Dr Gaudreault parlera seul.
Nous allons commencer par M. Kaiser. Vous avez cinq minutes.
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Bonsoir. Je vous remercie de me donner l'occasion de contribuer à vos réflexions.
Je m'oppose à cette modification du droit pénal canadien. Je doute que le Canada ne soit jamais prêt, du point de vue de la politique publique, à offrir l'aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladie mentale. L'adoption de cette mesure aliénerait ces gens au Canada et leur causerait du tort, ce qui est contraire à notre charte et à nos obligations internationales en matière de droits de la personne, en plus de ternir notre réputation bien méritée auprès des Nations unies.
Premièrement, l'aide médicale à mourir est une appellation qui ne convient pas aux personnes atteintes de maladie mentale qui meurent d'autres facteurs de vulnérabilité, comme la stigmatisation, la discrimination, l'exclusion sociale, l'appauvrissement, la violence d'autrui et une mauvaise santé physique.
Ensuite, les réalités intersectionnelles de la maladie mentale, de la déficience intellectuelle et de la toxicomanie amplifient mes préoccupations. Les taux de suicide sont plus élevés non seulement pour les personnes atteintes de maladie mentale, mais aussi pour d'autres personnes qui subissent des inégalités en matière de santé, y compris les Autochtones, les transgenres, les survivants de traumatismes et le nombre croissant de personnes qui subissent des stress psychosociaux et économiques.
Comme l'a souligné le représentant du Centre de toxicomanie et de santé mentale, différentes stratégies de prévention du suicide seront nécessaires pour différentes populations, mais tout le monde mérite que des efforts soient déployés, plutôt que nous assistions à une banalisation légale du suicide.
En 1991, la Cour suprême a conclu que les personnes atteintes de maladie mentale ont toujours été victimes de mauvais traitements, de négligence et de discrimination. En 2020, elle a affirmé que les attitudes stigmatisantes subsistent, et qu'elles jouent en rôle dans le soutien des solutions législatives et des justifications des inégalités et des injustices sociales.
Il s'agirait ici d'un élargissement considérable des motifs actuels d'admissibilité à l'aide médicale à mourir, qui permettrait de s'éloigner du droit pénal habituel devant protéger les personnes les plus vulnérables. Ceux qui participent de bonne foi à l'aide médicale à mourir ne sont pas individuellement coupables, mais la société fera clairement la preuve de ses motifs ignobles si elle élargit la portée de l'aide médicale à mourir, comme le craignait la Commission de réforme du droit du Canada il y a 40 ans.
Cette prolongation de l'aide médicale à mourir ne favorise pas l'égalité. C'est tout le contraire. Elle accentue la discrimination, la marginalisation et les inégalités. En 2020, la Cour suprême nous a mis en garde qu'une législation comme celle‑ci donne « force de loi à la discrimination » parce qu'elle « renforce, perpétue ou accentue le désavantage subi [par un groupe] » et « porte atteinte à la garantie d'égalité ».
Les principes de la Convention relative aux droits des personnes handicapées sont obligatoires. L'article 4 exige l'abolition des « lois [...] qui sont source de discrimination ». L'article 10 exige la « jouissance effective » du « droit [inhérent] à la vie ». L'article 25 porte sur le « droit de jouir du meilleur état de santé possible », y compris le droit à un niveau de vie adéquat.
L'extension de l'aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladie mentale représenterait un important recul en vertu de la convention. Cette décision est déconcertante sur le plan moral et contraire aux valeurs démocratiques, étant donné que les protestations des personnes handicapées n'ont pas été écoutées. C'est aussi contraire à l'article 4 de la convention, qui nous oblige à consulter « étroitement et [faire] activement participer [les personnes handicapées] » afin qu'elles « puissent effectivement et pleinement participer à la vie politique et à la vie publique », selon l'article 29.
La proposition reçoit une vive opposition, notamment du Conseil des Canadiens avec déficiences, qui parle au nom de 170 ONG. Ces gens disent ceci: « Les députés [...] ont obstinément ignoré les préoccupations de la collectivité [des personnes handicapées]. [...] Nous nous battons pour nos vies. »
Des organisations comme Personnes d'abord du Canada, pour laquelle je suis actuellement conseiller provincial, ont également rejeté cette initiative. Elles disent qu'il serait alors plus facile que jamais d'écarter ces gens. C'est dangereux et discriminatoire. La mesure pourrait être fatale aux Canadiens handicapés. Le président vous implore avec force de tuer le projet de loi, mais pas les personnes handicapées.
Le Canada a entaché sa réputation auprès des Nations unies. La rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées a dit, en 2019, que le Canada doit « veiller à ce que les personnes handicapées ne demandent pas d'aide médicale à mourir simplement parce qu'il n'y a pas de solutions de rechange communautaires ».
En 2021, trois envoyés spéciaux de l'ONU ont exprimé une crainte inhabituelle selon laquelle il pourrait s'ensuivre un renforcement subtil, et que la société conçoive qu'il vaut mieux être mort que de vivre avec un handicap. L'ajout se traduirait par un système à deux vitesses dans lequel certains bénéficieraient de mesures de prévention du suicide, et d'autres, d'une aide au suicide, en fonction de leur handicap et de leurs facteurs de vulnérabilité.
Le Canada est à la croisée des chemins. Il peut soit protéger les droits des personnes handicapées, en particulier celles atteintes de maladie mentale, soit accroître l'accès à la mort autorisée par l'État, et faire en sorte que les personnes handicapées se sentent encore plus réduites au silence, dévalorisées, trahies et abandonnées.
Je vous remercie infiniment de me donner l'occasion de témoigner.
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Je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner au nom du Centre de toxicomanie et de santé mentale, ou CTSM.
Le CTSM est le plus grand hôpital d'enseignement en santé mentale au Canada et l'un des meilleurs centres de recherche au monde dans son domaine. Le CTSM mène des recherches révolutionnaires, offre de la formation spécialisée aux professionnels de la santé et aux scientifiques, élabore des stratégies novatrices de promotion de la santé et de prévention et se prononce sur des enjeux de la politique gouvernementale.
Plus important encore, nous offrons chaque jour des traitements et des soins fondés sur des données probantes et axés sur le rétablissement à des centaines de patients souffrant de maladies mentales aiguës et chroniques et de troubles liés à la consommation de substances.
Au cours des dernières années, le CTSM a présenté plusieurs mémoires aux comités gouvernementaux concernant l'aide médicale à mourir et la maladie mentale. Nous sommes toujours préoccupés par l'élargissement de l'accès à l'AMM aux personnes dont la seule condition médicale sous-jacente à ce moment est la maladie mentale.
Nous tenons à préciser que nous ne croyons pas que la souffrance causée par la maladie mentale n'est pas comparable à celle d'une maladie physique. Il ne fait aucun doute que la maladie mentale peut être pénible et causer des souffrances physiques et psychologiques. Nous ne sommes pas ici pour en débattre.
Le CTSM craint que le système de soins de santé ne soit pas prêt pour mars 2024. Les lignes directrices cliniques, les ressources et les processus ne sont pas en place pour évaluer les personnes, déterminer leur admissibilité et dispenser l'aide médicale à mourir lorsque l'admissibilité est confirmée pour les personnes dont la seule condition médicale sous-jacente est la maladie mentale. Il faut notamment faire la distinction entre les plans suicidaires et la demande d'aide médicale à mourir. Il faut plus de temps.
Les normes de pratique fédérales sont une première étape encourageante. Elles mettent en évidence les critères que les organismes de réglementation des professionnels de la santé peuvent exiger de leurs membres, lorsqu'ils choisissent d'offrir l'aide médicale à mourir. Mais ce n'est pas suffisant. Ces organismes de réglementation s'attendent également à ce que leurs membres aient accès aux meilleures données probantes disponibles sous forme de guide de pratique clinique.
Il n'existe actuellement aucune ligne directrice pour les cas d'aide médicale à mourir où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée. C'est pourquoi les médecins, les infirmières praticiennes et les autres cliniciens disent clairement au CTSM avoir besoin de directives mieux définies sur la façon de déterminer qu'une personne a une maladie mentale irrémédiable et est admissible à l'aide médicale à mourir, y compris de distinguer une demande d'AMM d'une tentative de suicide ou d'un projet suicidaire.
Pour combler cette lacune, les experts du CTSM ont travaillé d'arrache-pied avec leurs partenaires cette année afin d'élaborer un guide de pratique, qui est fondé sur le peu de données probantes disponibles à l'heure actuelle. Il permettra de normaliser les évaluations et de prendre des décisions plus éclairées lorsque l'aide médicale à mourir est demandée alors que la maladie mentale est la seule condition sous-jacente.
Fait important, étant donné qu'il manque de données probantes dans le domaine à l'heure actuelle, le CTSM et d'autres organismes ont clairement indiqué que ces lignes directrices doivent faire consensus. C'est loin d'être simple. Nous y travaillons, mais n'obtenons pas l'unanimité sur les renseignements qui doivent être recueillis et la façon d'établir le caractère irrémédiable du problème de santé.
Nous faisons des progrès, mais il faut plus de temps et d'argent pour assurer une collaboration interprofessionnelle et interorganisationnelle. Il faudra plus de temps pour qu'un consensus se dégage au sein des organismes de santé et des organismes communautaires du pays. Étant donné que ces décisions sont des questions de vie ou de mort, nous voulons bien faire les choses, et nous savons que c'est aussi le souhait du gouvernement.
Le gouvernement doit également comprendre que le système de santé n'est pas outillé pour faire face à l'augmentation des demandes d'aide médicale à mourir attendue en mars 2024. En Ontario, il y a déjà un manque de ressources dans la deuxième voie de l'aide médicale à mourir, et l'infrastructure en place ne sera pas en mesure de répondre à la demande accrue.
Le CTSM et nos hôpitaux partenaires, par l'entremise du Toronto Academic Health Science Network, ont présenté au gouvernement provincial une proposition visant à améliorer le service existant de coordination de l'aide médicale à mourir et à créer une table de consultation sur la deuxième voie pour répondre à l'augmentation du nombre de questions et de demandes d'aide médicale à mourir où la maladie mentale est la seule condition médicale sous-jacente. Nous attendons une réponse.
Ce qui est au cœur de notre proposition, c'est la reconnaissance qu'il y a déjà un nombre limité d'évaluateurs et de prestataires d'aide médicale à mourir qui s'occupent des cas pour la deuxième voie. Le nombre de personnes qui ont une expertise en santé mentale et qui font des évaluations de santé mentale est encore plus limité. Il est essentiel d'avoir plus de temps pour bâtir cette communauté de pratique.
Si nous n'avons pas le temps nécessaire pour mettre en place les lignes directrices, les ressources et les experts, l'accès à l'AMM des personnes dont la seule condition médicale sous-jacente est la maladie mentale sera limité et non uniforme, et pourrait exacerber les inégalités qui existent déjà dans le système de soins de santé. Cela peut aussi entraîner de la confusion, de la détresse et de la frustration pour les patients, leur famille et les fournisseurs de soins de santé.
Par conséquent, le CTSM exhorte le gouvernement à retarder davantage l'admissibilité à l'aide médicale à mourir des personnes dont la seule condition sous-jacente est la maladie mentale, jusqu'à ce que le système de soins de santé soit prêt et que les fournisseurs aient les ressources dont ils ont besoin pour dispenser des services de haute qualité, uniformes et équitables.
Enfin, il est important de souligner de nouveau ce qui a été mentionné au début. La maladie mentale peut être grave et causer des souffrances comparables à la maladie physique, mais les soins de santé offerts en maladie mentale ne sont pas comparables à ceux auxquels ont droit les personnes atteintes de maladie physique. Les soins en santé mentale sont nettement sous-financés par rapport aux soins de santé physique.
Il y a aussi des incohérences dans les traitements couverts par les différents régimes provinciaux de soins de santé. Cela signifie que de nombreuses personnes au Canada n'ont pas facilement accès à la gamme complète de traitements fondés sur des données probantes qui peuvent les aider à se rétablir.
Pour cette raison, retarder l'élargissement de l'aide médicale à mourir permettrait également aux gouvernements et aux experts en soins de santé de travailler ensemble pour trouver la meilleure façon d'intégrer l'AMM au vaste système de soins de santé mentale.
Je vous remercie de votre attention.
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Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du Comité, vous nous avez entendus, il y a presque un an jour pour jour. Merci de nous permettre aujourd'hui de nous exprimer de nouveau, cette fois sur le volet des troubles mentaux.
Je vous rappelle que la mission du Collège des médecins du Québec est de protéger le public en offrant une médecine de qualité. Pour nous, une médecine de qualité signifie soulager des personnes qui souffrent, peu importe leur trouble ou leur maladie.
Pour le Collège des médecins du Québec, les balises médicales pour encadrer l'aide médicale à mourir sont claires. Ce qui ne l'est pas, ce sont les balises juridiques. Il est nécessaire d'harmoniser le Code criminel et la Loi québécoise concernant les soins de fin de vie. Cela favoriserait l'uniformité de l'application de ce soin d'un océan à l'autre.
Entretemps, cette situation engendre de la confusion parmi les patients et les médecins.
Dans une vision inclusive, sans discrimination, basée sur le diagnostic et qui tient compte de la globalité de l'être humain, les maladies mentales sont maintenant désignées comme des troubles mentaux dans les classifications médicales internationales des maladies, et ce, au même titre que n'importe quelle maladie.
La prévalence des troubles mentaux est maintenant bien connue en épidémiologie. D'ailleurs, on estime qu'une personne sur cinq présentera un trouble de santé mentale au cours de sa vie.
Le Collège des médecins du Québec ne prétend pas que l'aide médicale à mourir constitue une réponse appropriée pour l'ensemble des personnes touchées par des troubles mentaux. Pour la plupart d'entre eux, il existe des avenues thérapeutiques spécifiques basées sur des données scientifiques probantes, qui ouvrent des perspectives de plus en plus porteuses en matière de traitement biopsychosocial, de réadaptation et de réhabilitation.
Le Collège des médecins du Québec croit cependant qu'on ne peut priver d'aide médicale à mourir des patientes et des patients atteints d'un trouble de santé mentale. Nous basons ce positionnement médical sur les facteurs suivants. Tout d'abord, il faut reconnaître que le niveau de souffrance engendré par certains problèmes de santé mentale peut être aussi intense que celui rencontré lors d'autres problèmes de santé dits physiques. De plus, on ne peut discriminer les patientes et les patients en santé mentale en regard de l'aide médicale à mourir. Il faut respecter le droit d'aspirer à l'universalité d'accès aux soins. Il faut aussi protéger la personne vulnérable, mais également actualiser son potentiel et lui permettre d'être autonome. Enfin, on doit considérer l'erreur qui consiste à associer trouble de santé mentale et aptitude à consentir.
Cependant, des conditions spécifiques strictes sont essentielles pour éviter toute dérive. Nous en avons établi cinq.
Premièrement, la décision d'accorder l'aide médicale à mourir dans un cas de trouble mental ne doit pas s'inscrire uniquement dans un épisode de soins, mais doit être prise au terme d'une évaluation globale et juste de la situation de la patiente ou du patient.
Deuxièmement, il ne doit pas y avoir d'idéation suicidaire, comme dans un cas de trouble dépressif majeur.
Troisièmement, la souffrance psychique intense et continue, confirmée par des symptômes graves et une atteinte du fonctionnement global, est présente sur une longue période et enlève à la patiente ou au patient tout espoir d'allègement quant à la lourdeur de sa situation. Cela l'empêche de se réaliser dans un projet de vie et fait perdre toute signification à son existence.
Quatrièmement, on doit être en présence d'un long parcours de soins avec des suivis appropriés, des essais multiples de thérapies disponibles et reconnues comme efficaces, de même qu'un accompagnement psychosocial soutenu et éprouvé.
Cinquièmement, une évaluation multidisciplinaire des demandes doit avoir été faite en présence essentielle du médecin ou de l'infirmière-praticienne spécialisée en santé mentale ayant assumé le suivi de la personne, et celle d'un psychiatre consulté dans le cadre précis de la demande d'aide médicale à mourir.
Nous estimons que, si ces balises étaient respectées, les personnes souffrant d'un trouble grave et irréversible de santé mentale pourraient bénéficier, elles aussi, de l'aide médicale à mourir.
Il faut éviter que les personnes qui n'ont pas accès aux soins appropriés, qui ne jugent pas acceptables les services offerts, par exemple l'hébergement prolongé sans perspective de regagner davantage d'autonomie, optent, en désespoir de cause, pour l'aide médicale à mourir.
Pour le Collègue des médecins du Québec, peu importe sa maladie, une patiente ou un patient demeure une personne qui a droit, selon sa condition, à tous les soins médicaux disponibles, sans discrimination.
Nous sommes convaincus que les balises précédemment établies encadreront bien le soin, qu'elles guideront les cliniciennes et les cliniciens et qu'elles éclaireront la patientèle autant que son entourage.
Nous savons que cette question est d'une extrême sensibilité. Sur le plan médical, cependant, il y a une réalité principale: celle de la souffrance de la personne. Notre devoir est de l'apaiser, selon le souhait de la patiente ou du patient, lorsque tous les autres moyens ne sont pas parvenus à la ou le soulager.
Je vous remercie.
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Évidemment, il vaut mieux poser cette question aux représentants des peuples autochtones, de sorte que la teneur de ma réponse s'inspire d'eux.
En février 2021, par exemple, de nombreux signataires autochtones distingués ont écrit au Parlement pour dire que la consultation à ce chapitre n'a pas été suffisante et qu'elle n'a pas tenu compte des disparités existantes en matière de santé et des inégalités sociales que rencontrent les Autochtones par rapport aux personnes non autochtones. Ils affirment que leur peuple est vulnérable à la discrimination et à la contrainte, et devrait être protégé des conseils non sollicités.
Un autre témoin ayant comparu devant le Sénat en février 2021 était le Dr Rod McCormick, lui-même Autochtone, qui a dit que les « Autochtones meurent de maladies complexes et dans des proportions plus élevées que la population en général. Il semble donc ironique, quand nous sommes déjà surreprésentés à tous les niveaux de ce système de santé, de nous offrir un autre chemin vers la mort. »
Enfin, la Dre Richardson, qui a comparu devant le Sénat le 3 février 2021, a affirmé ceci: « Dans un environnement où il existe à la fois du racisme systémique et du racisme interpersonnel, je ne crois pas que les Autochtones seront en sécurité. » Elle a ajouté qu'un « projet de loi qui ne tient pas réellement compte de la façon dont les inégalités sociales affectent de manière disproportionnée les populations autochtones est très problématique. »
Essentiellement, dans quelle mesure pourrait‑on tenir des consultations qui élimineraient les préoccupations profondes, constantes et permanentes des Canadiens autochtones dans le système de soins de santé mentale au Canada compte tenu des facteurs de stress psychosociaux auxquels ils sont confrontés? Je ne crois pas qu'il pourrait y avoir une consultation suffisante, mais je trouve que ces voix représentent bien les Autochtones.
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Merci beaucoup, madame la coprésidente.
J'aimerais également remercier les témoins qui se sont joints au Comité et qui nous prêtent main-forte.
Monsieur Kaiser, j'aimerais commencer par vous, puisque vous occupez un poste qui englobe le droit et la médecine.
Je siège au Comité depuis le début. Ce qui me pose problème personnellement, c'est qu'il est question, d'une part, des droits de personnes qui peuvent exercer leur libre arbitre, qui ont la capacité et le droit de prendre des décisions concernant leur propre corps et, d'autre part, du concept plus vaste de notre devoir de protéger les gens les plus vulnérables.
Vous avez clairement dit que nous ne sommes pas prêts. Pouvez-vous faire part de vos réflexions sur les difficultés que ces deux concepts présentent au Comité?
Au bout du compte, pensez-vous que nous allons parvenir un jour au point où nous respectons le libre arbitre des gens ou pensez-vous que le devoir de protéger les plus vulnérables va toujours l'emporter lorsqu'il s'agit de problèmes de santé mentale en tant que seul problème médical sous-jacent?
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La réponse rapide est que nous devons dissocier le concept de choix et d'autonomie d'une personne atteinte d'une maladie mentale grave compte tenu de tous les facteurs psychosociaux qui imprègnent le diagnostic et l'expérience vécue. Lorsqu'on pense aux personnes handicapées en général, leurs choix sont motivés par la pauvreté, l'isolation, les préjugés, la solitude, le sentiment d'être un fardeau et ainsi de suite, et il est également possible qu'elles agissent sous la contrainte. Il y a aussi l'idée, implicite ou autre, qui préoccupe les Nations unies, selon laquelle il vaut mieux être mort qu'être handicapé.
Lorsqu'on parle d'autonomie, il ne faut pas y penser de la même façon qu'on le ferait lorsque la personne ne se heurte pas à tous ces obstacles à la participation dans la société. Je n'ai pas de maladie mentale aujourd'hui, mais si vous supprimez toutes les bases sur lesquelles je m'appuie et qui me protègent, je ne pense pas alors que j'aurais le même degré d'autonomie. Je ne crois pas que je pourrais faire le même genre de choix à propos de la mort que d'autres personnes qui n'ont pas été privées de ces droits fondamentaux feraient.
Le commissaire canadien des droits de la personne a dit que « l'aide médicale à mourir ne peut être un substitut lorsque le Canada manque à remplir ses obligations en matière de droits de la personne », car « l'inégalité systémique est le résultat d'un manque d'accès aux services sociaux » et « dans de nombreux cas, les personnes handicapées considèrent que mettre fin à leur vie est la seule option possible. »
C'est ce que le commissaire canadien des droits de la personne a dit.
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Merci, madame la présidente.
Docteur Rajji, vous répétez sans cesse que vous parlez au nom du Centre de toxicomanie et de santé mentale. J'ai ici les dernières lignes directrices et considérations du Centre pour opérationnaliser l'aide médicale à mourir. Pour que le Comité sache à quoi s'en tenir, rien dans le document ne dit qu'il faut que ce soit plus précis, comme vous l'avez dit. Dans le document, rien ne dit que les lignes directrices doivent reposer sur un consensus. En fait, on n'y parle pas, contrairement à vous, de critères consensuels. Il n'en est pas question dans le document du Centre. Je vais transmettre le document à tout le monde.
À vrai dire, contrairement à ce que vous avez affirmé sur le caractère irrémédiable, le document dit que le Centre de toxicomanie et de santé mentale doit procéder au cas par cas:
Le Centre de toxicomanie et de santé mentale croit que pour déterminer si un patient est atteint d'une maladie mentale grave et incurable qui pourrait le rendre admissible à l'aide médicale à mourir, il faut s'appuyer sur le meilleur jugement clinique possible et sur un processus décisionnel partagé avec la personne qui présente la demande et toute autre personne qu'elle identifie [...] Cette décision devrait être fondée sur des normes de pratique élaborées à l'échelle nationale [...]
L'élaboration de ces normes est terminée. Vous n'êtes peut-être pas personnellement d'accord dans tous les cas, mais elles ont été élaborées conformément à la procédure établie.
L'autre problème ici, c'est que le Centre de toxicomanie et de santé mentale parle de l'importance de chaque effort pour faire une distinction entre « une demande d'aide médicale à mourir, présentée après avoir déterminé de façon éclairée que la vie avec une maladie mentale grave et incurable n'est pas ce que souhaite la personne », et « l'intention suicidaire en tant que symptôme d'une maladie mentale incurable ».
Vous dites que cela ne pourrait pas se faire, mais ce n'est pas ce que dit le document du Centre. Soyons clairs: parlez-vous en votre nom ou au nom du Centre de toxicomanie et de santé mentale? Je pose la question parce que votre témoignage contredit tout ce que j'ai lu ici dans le document du Centre.
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Chers collègues, nous reprenons nos travaux.
J'aimerais souhaiter la bienvenue au deuxième groupe de témoins. Nous accueillons le Dr Sonu Gaind, chef du Département de psychiatrie au Sunnybrook Health Sciences Centre.
Par vidéoconférence, nous recevons, de la Société canadienne de psychologie, la Dre Eleanor Gittens et le Dr Sam Mikail, psychologue.
Merci à tous de votre présence.
Nous allons commencer. Vous disposez chacun de cinq minutes. Le Dr Gaind interviendra en premier.
Vous avez la parole, docteur Gaind.
Je m'appelle Sonu Gaind et je suis professeur titulaire, psychiatre et membre du conseil des gouverneurs à l'Université de Toronto, chef du Département de psychiatre à Sunnybrook et ancien président de l'Association des psychiatres du Canada et de l'Ontario Psychiatric Association.
Mon domaine d'expertise est la psycho-oncologie. Je travaille avec les patients atteints du cancer et avec leur famille. Je ne suis pas un objecteur de conscience. J'étais médecin président de l'équipe d'aide médicale à mourir à mon ancien hôpital. Les fonctions que j'assume conditionnent mon expertise, mais je témoigne à titre personnel, et non pas au nom d'un groupe.
Merci de me donner la chance de m'exprimer. Mon témoignage ne sera pas facile à livrer ni facile à entendre, mais il doit être dit. Les personnes qui demandent un élargissement qualifient de discriminatoire le refus de fournir l'AMM fondée sur un trouble mental. Leur position concorde avec celle du sénateur Kutcher.
En fait, le contraire est vrai pour trois raisons. L'AMM est offerte aux personnes atteintes de problèmes de santé irrémédiables dont on peut prévoir qu'ils ne s'amélioreront pas. Or, les données produites un peu partout dans le monde démontrent que le caractère irrémédiable ne peut pas être prédit dans le cas des maladies mentales. Autrement dit, la première mesure de sauvegarde de l'AMM serait déjà court-circuitée selon les données qui révèlent que les prédictions sont erronées dans plus de la moitié des cas.
Les données scientifiques démontrent l'impossibilité de distinguer entre les idéations suicidaires causées par la maladie mentale et les conditions qui conduisent à faire une demande d'AMM pour des motifs psychiatriques. Les caractéristiques en commun dans les deux situations laissent entendre qu'il n'y a peut-être aucune distinction à établir.
Finalement, les personnes aux prises avec une maladie mentale ont une incidence plus élevée de souffrance psychosociale. Tout cela signifie que les évaluateurs de l'AMM feront fausse route au moins la moitié du temps lorsqu'ils prédiront l'irrémédiabilité. Ils croiront à tort qu'ils auront éliminé les idéations suicidaires. En fait, ils aideront à mourir des Canadiens marginalisés et suicidaires dont la situation aurait pu être améliorée. Voilà la discrimination suprême.
Les décideurs nous ont assurés que nous étions prêts à mettre en œuvre l'AMM pour maladie mentale. J'ai passé en revue les textes, les normes de pratique de Santé Canada et la formation de l'ACEPA sur les demandes d'AMM fondées sur un trouble mental. J'appuie l'AMM de façon générale, mais je vous assure que nous ne sommes pas prêts.
À propos de l'irrémédiabilité, la Dre Gupta a reconnu dans le rapport de 2020 de l'Association des médecins psychiatres du Québec qu'« une personne qui demande l'AMM [...] pourrait éventuellement retrouver le désir de vivre », ce qui veut dire que la décision pourrait s'avérer éthique dans tous les cas. Le groupe d'experts dont elle fait partie a refusé en 2022 de recommander des mesures de sauvegarde supplémentaires même si les lois au Canada, contrairement à celles d'autres pays, ne renferment pas d'exigences relatives à la diligence raisonnable et aux solutions alternatives de traitement autres que l'AMM.
Mme Downie a fait valoir que l'irrémédiabilité est un terme juridique, et non pas un concept clinique. Faites ces contorsions mentales avec vos électeurs. Dites-leur que leur proche atteint de maladie mentale a obtenu l'AMM, non pas à la suite d'une évaluation clinique fondée sur la médecine ou la science, mais plutôt à la suite d'une décision éthique de l'évaluateur, et essayez ensuite de les convaincre que c'est tout à fait correct.
Au sujet des idéations suicidaires, le sénateur Kutcher et la Dre Green affirment que les personnes suicidaires n'obtiendront pas l'euthanasie psychiatrique. La Dre Gupta soutient que les évaluateurs peuvent repérer et séparer les idéations suicidaires dans les demandes d'AMM parce qu'ils font cela...
Ce n'est pas en répétant une fausseté que nous la transformons en vérité, et les données démontrent que la distinction que ces personnes se croient capables de faire est impossible à établir. La formation de l'ACEPA ne montre pas aux évaluateurs comment établir la distinction entre les idéations suicidaires et les demandes d'AMM fondées sur des motifs psychiatriques, mais elle les convainc qu'ils en sont capables. Certains font alors des déclarations marquantes. Par exemple, le Dr Gubitz se demande « si le patient est suicidaire ou s'il a un motif valable de souhaiter mourir, ce qui n'est pas la même chose. »
Ce que je viens d'exposer met en évidence un des principaux problèmes des évaluations des demandes d'AMM pour des motifs psychiatriques, c'est‑à‑dire l'orgueil des évaluateurs qui pensent être en mesure de déterminer l'irrémédiabilité et d'établir la distinction entre les idéations suicidaires et les demandes d'AMM pour des motifs psychiatriques, alors que les données disent le contraire.
Étonnamment, le module sur le suicide de la formation de l'ACEPA ne mentionne pas les risques connus que courent les populations marginalisées. Des données européennes révèlent que deux fois plus de femmes que d'hommes recourent à l'euthanasie psychiatrique. Les données démontrent aussi un écart entre les sexes concernant les cas de souffrance sociale non résolus. Étrangement, la Dre Gupta a balayé cette lacune du revers de la main en disant que cet écart entre les sexes ne la concerne pas, puisque personne ne sait vraiment ce que cela signifie. Les signes d'écart entre les sexes dans le deuxième volet émergent déjà au Canada.
Les tenants de l'élargissement ont donné des assurances à profusion, mais n'ont ajouté aucune mesure de protection.
Dans les dernières semaines, j'ai travaillé avec plus de 200 collègues à déboulonner le flot de désinformation qui oriente les politiques. Vous pouvez voir la publication d'aujourd'hui sur impactethics.ca. Vous trouverez aussi d'autres liens sur le nouveau site de la Society of Canadian Psychiatry, socpsych.org.
La présidente de l'Association des psychiatres du Canada, la Dre Freeland, a admis du bout des lèvres que les choses ne sont pas tout à fait prêtes. La responsable de la formation de l'ACEPA, la Dre Li, a écrit qu'elle avait de graves préoccupations concernant le degré de préparation. La Dre Gupta a mentionné lors de son témoignage qu'une ou deux personnes parmi ses patients seraient admissibles. Je ne peux pas me prononcer sur la gravité des maladies en question, mais M. Scott Kim, chercheur au National Institutes of Health, estime à plus de 2 000 le nombre de patients qui se sont vu accorder l'euthanasie pour des motifs psychiatriques.
Cette augmentation n'est pas vraiment une pente glissante. C'est un train dont on a perdu le contrôle, comme celui qui a causé le désastre de Lac-Mégantic. Une multitude de signes montrent au gouvernement qu'il ne devrait pas aller de l'avant. S'il choisit de le faire, il ne pourra pas dire qu'il n'aura pas été averti.
Nous ne sommes pas prêts. Vous devrez soit conserver la date butoir arbitraire, soit arrêter le train de manière responsable.
Merci.
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Madame la présidente, distingués membres du comité spécial, je vous remercie d'avoir invité la Société canadienne de psychologie à témoigner.
Je suis la Dre Eleanor Gittens, présidente de la Société canadienne de psychologie, ou SCP. Je suis aussi professeure et coordinatrice du programme de traitement et de prévention des dépendances au Georgian College. Je suis accompagnée du Dr Sam Mikail, ancien président de la SCP et professeur clinicien auxiliaire à l'Université de Waterloo.
La SCP est l'association nationale qui représente la pratique et l'enseignement de la psychologie au Canada, ainsi que la recherche dans le domaine. Le Canada compte environ 19 000 psychologues agréés.
La SCP reconnaît le travail important effectué par le comité mixte spécial sur la question très délicate et controversée de l'aide médicale à mourir. Au sujet de l'admissibilité possible des demandes d'AMM où le trouble mental est le seul problème médical invoqué, la SCP a formulé une série de recommandations en réponse au rapport du Groupe d'experts sur l'AMM et la maladie mentale publié en mai 2022, et avant la publication du rapport provisoire du comité mixte spécial en juin 2022. Ces recommandations ont été communiquées à la ministre de la Santé mentale et des Dépendances, au ministre de la Santé, au ministre de la Justice, ainsi qu'au Comité.
La SCP a mis sur pied un groupe de travail chargé de se pencher sur l'aide médicale à mourir. Elle a également produit deux rapports. Le premier, publié en 2018, portait sur diverses questions relatives à l'AMM, telles que la capacité décisionnelle, les directives anticipées et le rôle des psychologues. Le second, produit en 2020, présentait les lignes directrices de pratique clinique à l'intention des psychologues qui participent aux décisions de fin de vie.
En raison des contraintes de temps, nous ne verrons pas toutes les recommandations présentées dans nos rapports. Nous nous attarderons seulement aux trois suivantes.
Premièrement, le rapport du groupe d'experts recommande qu'un évaluateur indépendant participe au processus d'évaluation relatif à l'AMM lorsque le trouble mental est le seul problème médical invoqué. Les psychiatres sont les experts désignés. Nous sommes tout à fait d'accord pour dire que ces cas doivent faire l'objet d'une évaluation indépendante de l'équipe traitante ou des prestataires de soins. Toutefois, nous recommandons fortement que les psychologues soient désignés comme évaluateurs experts supplémentaires. Les psychologues forment le groupe le plus nombreux de fournisseurs de soins de santé mentale membres d'une profession réglementée au pays en mesure d'évaluer, de diagnostiquer et de traiter des troubles mentaux. Ils peuvent fournir une expertise dans le cadre des décisions relatives à l'AMM et élargir le bassin d'évaluateurs qualifiés. L'expertise des psychologues dans l'administration et l'interprétation de mesures objectives est considérée comme valide et fiable. Elle comprend des indicateurs visant à repérer les réponses incohérentes, les réponses feintes, l'exagération des symptômes et les idéations ou les intentions suicidaires. Cette expertise est essentielle à l'évaluation des demandeurs d'AMM lorsque le trouble mental est le seul problème médical invoqué.
Deuxièmement, la SCP n'a pas eu l'occasion d'examiner le programme de formation à l'intention des évaluateurs de l'AMM et de fournir des commentaires lors de l'élaboration dudit programme. Vu l'expertise des psychologues dans la mise au point, l'administration et l'interprétation de mesures psychométriques dans le cadre d'évaluations complexes, il s'agit selon nous d'une omission importante. Dans les décisions de fin de vie, qui peuvent être compromises par une altération, même infime, des fonctions cognitives, le plus grand soin doit être apporté à la réalisation d'évaluations objectives qui orienteront la détermination de l'admissibilité à l'AMM. Les psychologues sont des spécialistes de l'évaluation et du diagnostic du fonctionnement cognitif. Ils sont particulièrement bien placés pour garantir ce niveau de diligence.
En raison de leur formation et de leurs connaissances poussées de la méthodologie de la recherche, les psychologues devraient eux aussi participer à la recherche sur l'AMM portant sur les soins de fin de vie lorsque la maladie mentale est le seul problème médical invoqué. Nous renvoyons à la recommandation no 19, qui énonce que « le gouvernement fédéral devrait financer des recherches libres périodiques, tant ciblées qu'amorcées par des enquêteurs, sur des questions relatives à la pratique de l'AMM. »
Troisièmement, nous aimerions mentionner également la recommandation no 2, selon laquelle « les évaluateurs de l'AMM devraient établir l'incurabilité en se référant aux tentatives de traitement effectuées jusqu'à ce jour, aux résultats de ces traitements ainsi qu'à la gravité et à la durée de la maladie, de l'affection ou du handicap. »
Cette recommandation...
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J'en serais ravi, et je répéterai que je pense que c'est tout à fait inadéquat. Je serai plus ferme en disant cela.
Je pense que nous aurions pu faire une meilleure utilisation des 3,3 millions de dollars qui y ont été consacrés. Toutefois, si l'on met de côté les commentaires péjoratifs, c'est quelque chose qui, lorsque je l'examine, me permet de voir si cela aide les évaluateurs, de manière avérée ou raisonnable, à distinguer des choses comme le caractère irrémédiable. Comme je l'ai dit, la question n'est pas de savoir si une situation est irrémédiable, mais si nous pouvons prédire qu'elle le sera. C'est là toute la question. Nous faisons des prédictions avant de donner la mort à quelqu'un lorsqu'il n'est pas en train de mourir. Il n'y a rien là qui nous aide à prédire ce qui est irrémédiable.
Il y a aussi les idées suicidaires. Je dois dire que ce facteur m'a littéralement choqué. Je suis en train de l'examiner, mais le module sur les idées suicidaires comprend 10 pages, dont cinq diapositives avec du contenu et un clip audio de quatre minutes et demie.
Il n'y a rien dans ce document sur, par exemple, le ratio femme-homme de l'euthanasie psychiatrique dans les endroits où elle est pratiquée, qui est de 2 pour 1. Il n'y a rien sur le risque de suicide chez les populations marginalisées. On se contente de faire des commentaires de la sorte: « La gestion des idées suicidaires est une chose que la plupart des cliniciens ont apprise à un moment ou à un autre de leur formation [...] Les principes généraux de la gestion des idées suicidaires s'appliquent généralement dans le contexte de l'aide médicale à mourir, l'AMM, que la personne fasse une demande dans le cadre de la voie 1 ou de la voie 2. » Je ne sais même pas ce que cela signifie. Cela ne fournit pas d'orientation. Mais cela dit dangereusement aux gens qu'ils pensent pouvoir séparer les idées suicidaires d'une demande d'AMM psychiatrique, alors qu'aucune preuve n'étaye cette idée.
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J'ai entendu de nombreuses personnes dire cela, et ce n'est tout simplement pas vrai.
Les évaluations sur le suicide que nous sommes forcés de fournir dans le cadre de la résidence ne permettent pas de distinguer les idées suicidaires de la question de savoir si quelqu'un veut mourir par l'entremise de l'AMM. C'est une chose complètement différente.
L'orientation de l'Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l'aide médicale à mourir, l'ACEPA, met beaucoup l'accent sur le caractère impulsif ou non du suicide, passant complètement à côté du fait que de nombreux suicides sont en fait planifiés, mûrement réfléchis sur une période de temps. Il n'y a rien dans ce document qui nous aide à faire la part des choses.
En outre, les données recueillies dans les pays européens montrent que les caractéristiques des personnes qui font une tentative de suicide — dont la plupart ne recommencent pas et ne mettent pas fin à leurs jours par suicide, et qui bénéficient de la prévention du suicide — se recoupent avec celles des personnes qui demandent et obtiennent l'euthanasie psychiatrique.
La préoccupation évidente est la suivante: sommes-nous en train de convertir des tendances suicidaires transitoires, qui peuvent être fixées pour une période de temps relativement longue, mais qui diminuent encore avec la prévention du suicide, en une létalité à 100 % par l'entremise de l'AMM? C'est pourquoi le ratio de 2 pour 1 entre les femmes et les hommes qui obtiennent une euthanasie psychiatrique devrait terrifier n'importe quel psychiatre, car ce ratio est exactement le même que le ratio de 2 pour 1 entre les femmes et les hommes qui tentent de se suicider lorsqu'ils souffrent de troubles mentaux, comme je l'ai dit, et dont la plupart ne meurent pas par suicide et ne tentent pas à nouveau de se suicider.
Nous pensons que cela reflète une marginalisation fondée sur le genre. Comment pouvons-nous ignorer cela, en tant que pays, et dire que nous sommes prêts à aller de l'avant en mars 2024?
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Je pense qu'il faut examiner plusieurs éléments dans la question de l'état de préparation.
Premièrement, il y a la loi. Est-elle en place? Oui, elle l'est.
Deuxièmement, des règlements sont-ils en place? Je dirais que les règlements sont incomplets, car ils n'ont pas été examinés par la communauté de la santé mentale dans son ensemble. Ils ont été examinés, comme on l'a dit plus tôt, par la Fédération des ordres des médecins du Canada. C'est un groupe restreint, je pense, qui œuvre dans les soins de santé mentale, et il y a donc du travail à faire à ce chapitre.
Troisièmement, pour déterminer l'état de préparation, il faut avoir une idée de ce que sera la demande, et nous n'en avons aucune idée. Il est évident que nous devons mesurer la demande par rapport aux ressources disponibles en termes de personnes qui sont préparées à effectuer ces évaluations, et nous ne connaissons pas ce ratio.
Je pense qu'il y a de nombreuses lacunes pour ce qui est de prendre cette décision.
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Oui, j'ai bien compris cela. C'est un peu particulier, effectivement. C'est ce qui fait que les troubles mentaux forment une catégorie particulière. C'est beaucoup plus simple lorsqu'il s'agit d'une personne atteinte d'un cancer de stade 4 ou qui est en phase terminale. On comprend cela.
En raison de cette difficulté, justement, il me semble que le rapport des experts contenait un certain nombre de balises. Par exemple, il y avait l'idée que le trouble mental de la personne devait s'inscrire dans une chronicité. Au fil de cet état chronique, il se peut que la personne ait des idées suicidaires. Or, à ma connaissance, l'état suicidaire est réversible. Quoi qu'il en soit, au bout du compte, il demeure un petit nombre de patients qui, même après des années où ils ont essayé tous les traitements possibles censés améliorer leur état, continuent de penser, dans les derniers moments, que leur vie n'a pas de sens. Je ne sais pas si vous l'avez entendu tout à l'heure, mais le président du Collège des médecins parlait de cas où le patient n'arrive toujours pas à donner un sens à sa vie.
Ne trouvez-vous pas que ce rapport du groupe d'experts contient certaines balises qui nous permettent au moins d'espérer pouvoir établir une pratique sûre et durable pour les personnes atteintes de troubles mentaux, plutôt que de les discriminer tout simplement parce qu'elles sont dans une catégorie de patients qui, du point de vue médical, sont difficiles à soigner?
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Il y a quelques éléments. Tout d'abord, il faut garder à l'esprit que je ne connais aucune autre activité médicale qui nécessite une dérogation au Code criminel pour éviter les poursuites pour homicide. Ce dont nous parlons, c'est d'aider les gens à mourir lorsqu'ils sont en train de mourir — c'est essentiellement ce dont il est question.
En ce qui concerne les protections potentiellement requises, pour répondre à votre question, lorsqu'elles ne figurent pas dans la loi, les conséquences sont, disons‑le, que les évaluateurs disposent d'une grande marge de manœuvre. Ce n'est pas moi qui le dis; ce sont des personnes qui travaillent sur le terrain qui le disent. La Dre Li, qui a dirigé l'élaboration des lignes directrices de l'ACEPA, a précisément déclaré que la loi actuelle laisse trop de place aux valeurs personnelles des praticiens. À l'heure actuelle, c'est une fiction juridique que l'admissibilité à l'AMM soit déterminée en fonction d'un jugement clinique objectif. En fait, je constate régulièrement que les valeurs des praticiens influencent l'interprétation des critères d'admissibilité à l'AMM et des protections.
Si vous vous souvenez du témoignage de la Dre Gupta — que j'ai trouvé tout à fait remarquable —, elle semblait utiliser le fait qu'aucun évaluateur n'ait été poursuivi comme un indicateur que tout allait bien et qu'il ne fallait donc pas s'inquiéter. Ce n'est pas le genre de seuil que j'utilise. Si les gens ne sont pas au courant, les lignes directrices de l'ACEPA — ce n'est pas dans la partie sur les maladies mentales, mais dans un document antérieur qui date de 2022, intitulé « The Interpretation and Role of 'Reasonably Foreseeable' », soit l'interprétation et le rôle de ce qui est raisonnablement prévisible — sont assujetties à un processus. Il vise à fournir des conseils aux évaluateurs pour qu'ils convertissent les demandes d'AMM de la voie 2 à la voie 1 pour qu'ils procèdent à l'AMM de la voie 2, contournant ainsi toutes les protections de la voie 2, y compris la période de 90 jours, même si les évaluateurs ne sont pas d'accord que le patient devrait faire partie de la voie 1.
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La réponse est donc oui.
Le Dr Grant, qui est le président de la Fédération des ordres des médecins du Canada, ou FOMC, nous a dit que la profession est prête. J'ai également reçu des lettres de personnes qui ont une certaine responsabilité à l'égard de l'état de préparation à l'AMM dans leur propre province.
Le Dr Hayden Rubensohn, de l'Alberta, a affirmé: « L'Alberta et d'autres provinces et territoires canadiens sont prêts à ce que la disposition de temporisation interdisant l'AMM lorsqu'un trouble mental est le seul problème médical invoqué [...] devienne caduque. »
La Dre Selene Etches, de la Nouvelle-Écosse, a dit: « Malgré les défis » que représente notamment la légalisation, « nous nous sentons bien préparés en Nouvelle-Écosse. »
La Dre Lilian Thorpe, de la Saskatchewan, a dit: « Je crois que nous pouvons élargir la portée de l'AMM de façon sécuritaire et appropriée aux personnes pour qui un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Je crois que nous sommes prêts. »
C'est intéressant, parce que les gens qui sont responsables de faire ce travail affirment être prêts.
Pouvez-vous aider le Comité à comprendre? Y a‑t‑il des organismes au Canada qui accréditent des programmes de formation médicale?
À l'heure actuelle, la collecte de données pour repérer la marginalisation... C'est ce dont il est question. Il est vrai que beaucoup de gens reçoivent encore l'AMM pour le cancer et d'autres problèmes, mais nous élargissons l'admissibilité pour permettre à d'autres patients de la recevoir pour toutes sortes d'autres raisons. Si nous faisons fi du fait que les personnes marginalisées peuvent demander l'AMM pour des raisons différentes de celles des privilégiés, c'est un problème.
Nous ne recueillons pas les données correctement — ou du moins, elles ne sont pas déclarées —, mais nous constatons néanmoins une augmentation de certains phénomènes frappants. Je crois que c'est dans la catégorie « autre » que l'augmentation a été la plus importante. Ce chiffre est passé à 15 % — et je vous rappelle que c'est 15 % de 13 000 décès. Il s'agit maintenant de la troisième catégorie la plus courante. Dans cette catégorie, il y a un écart entre les sexes: 17 % de femmes et 12,8 % d'hommes.
La catégorie « autre » comprend aussi la fragilité. On observe un écart semblable entre les sexes: plus de femmes se font administrer l'AMM pour de multiples comorbidités, comme l'arthrite et la perte auditive. Le taux est de 12 % comparativement à environ 8,3 % pour les hommes. De plus, environ le tiers des gens disent qu'ils ont l'impression d'être un fardeau pour leur famille. Il y a un écart encore plus marqué entre les sexes si on ventile ensuite les données selon le critère de la mort non raisonnablement prévisible — le deuxième volet. À cet égard, l'écart entre les sexes peut atteindre 60 % de plus pour les femmes que pour les hommes.
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Oui, et en fait, j'ai commencé à y faire allusion dans la réponse précédente. Il y a certaines différences entre les sexes — l'écart entre les sexes — qui émergent dans certains volets de l'AMM, y compris le deuxième volet et les autres domaines dont j'ai parlé.
Évidemment, par rapport aux chiffres qui font les manchettes — 4,1 % de tous les décès au Canada — je dois dire que la façon dont Santé Canada a rendu compte de ce sujet me surprend. Le ministère semble plutôt blasé. Le ministère dit que le taux d'augmentation est constant et de 30 % par année. Ce n'était pas la façon de faire des calculs lorsque j'allais à l'école, alors peut-être que cela devrait faire sourciller... Aucun autre pays au monde n'a connu une telle augmentation au cours des six ou sept premières années où ils ont appliqué des politiques d'AMM. Je ne sais pas ce que cela signifie, mais les chiffres sont considérables.
L'autre élément qui me préoccupe, c'est que, honnêtement, nous ne savons pas combien de personnes faisaient vraiment partie du premier volet. J'ai lu les lignes directrices de l'ACEPA. Voici ce qu'elles disent essentiellement:
Une personne peut satisfaire au critère de la « prévisibilité raisonnable » si elle a démontré une intention claire et sérieuse de prendre des mesures pour que sa mort naturelle se produise bientôt ou pour que sa mort soit prévisible. Par exemple, on pourrait déclarer refuser le traitement antibiotique d'une infection grave actuelle ou future [...] ou cesser volontairement de manger et de boire.
J'ai entendu dire que certaines personnes avaient été converties, pour ainsi dire, du deuxième au premier volet. Dans ses lignes directrices, l'association dit qu'on peut faire cette conversion, alors je ne sais même pas combien de patients étaient réellement dans le deuxième volet comparativement au premier. De plus, le nombre de refus — le nombre de refus pour l'AMM — est extrêmement faible. Les nombres révèlent des signes inquiétants.
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Docteur Gaind, je vais vous poser une question que j'ai aussi posée à l'un des témoins du groupe précédent.
Je siège au Comité depuis le premier jour. Ce que je trouve difficile, c'est que d'un côté, il faut reconnaître les droits des personnes qui peuvent exercer leur libre arbitre et qui ont la capacité de prendre des décisions. Ces droits sont protégés par la Constitution. Cependant, d'un autre côté, la société a le devoir de protéger les gens les plus vulnérables. Je fais allusion aux arguments constitutionnels soulevés dans ce débat: oui, nous avons des droits et des libertés, mais en vertu de l'article premier, ces droits et ces libertés peuvent être soumis à une analyse et ils peuvent être restreints dans des limites raisonnables.
En votre qualité de médecin et de psychiatre ayant de nombreuses années d'expérience dans ce domaine particulier, avez-vous personnellement tenté de concilier, d'une part, les droits des personnes qui peuvent exercer leur libre arbitre et qui ont la capacité de prendre des décisions concernant leur propre corps et, d'autre part, le droit de la société de défendre les gens les plus vulnérables?
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C'est une excellente question. Elle touche au cœur du problème.
Je peux vous dire qu'au début, je concluais mes exposés en laissant entendre qu'on trouverait un point d'équilibre, une ligne distincte entre ce qui est bon et ce qui est mauvais. Je ne parle plus de cette façon parce que je ne crois pas qu'on puisse trouver un point d'équilibre. Soit c'est trop large, soit c'est trop étroit. Selon moi, la question est donc de savoir quelles erreurs on veut faire. À mes yeux, offrir et donner la mort sous un prétexte fallacieux est une grave erreur.
L'autre chose que je veux dire, c'est qu'offrir l'aide médicale à mourir lorsque le trouble mental est le seul problème médical invoqué, sous le prétexte fallacieux que l'état de santé de la personne ne s'améliorera pas — dans plus de la moitié des cas, c'est faux —, et penser pouvoir séparer les tendances suicidaires... Nous avons aussi affaire à des personnes marginalisées qui subissent des souffrances psychosociales, et l'on sait que plus l'on s'éloigne du critère de la mort raisonnablement prévisible, plus ce type de souffrances alimente les demandes d'aide médicale à mourir. Les gens cherchent à échapper à une vie de souffrance. C'est un défi.
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Je présume que j'ai la parole.
La vice-présidente (Mme Shelby Kramp-Neuman): Oui.
M. Michael Cooper: En bref, je précise, pour le compte rendu, que d'après ce que j'ai compris, le Comité a reçu plus de 900 documents dont il ne pourra pas se servir parce qu'ils ne seront pas traduits à temps. À mes yeux, c'est un signe très clair que nous ne sommes pas prêts.
Ma deuxième question concerne une motion que le Comité a adoptée en séance publique durant la dernière réunion. Cette motion ordonnait à l'ACEPA de produire immédiatement le module 7, qui porte sur la maladie mentale. « Immédiatement » veut dire « immédiatement ».