:
Bonsoir, et bienvenue à cette réunion du Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir.
J'aimerais commencer par souhaiter la bienvenue aux membres du Comité et à tous nos témoins ainsi qu'aux personnes qui nous regardent sur le Web.
Je m'appelle Yonah Martin. Je suis coprésidente du comité sénatorial. Je suis accompagnée de M. René Arseneault, coprésident du Comité à la Chambre des communes.
Aujourd'hui, nous poursuivons notre examen du degré de préparation atteint pour une application sûre et adéquate de l'aide médicale à mourir, lorsque le trouble mental est le seul problème médical invoqué, conformément à la recommandation 13 du deuxième rapport du Comité.
Je tiens à rappeler aux députés et aux témoins de tenir leurs microphones en sourdine, sauf lorsque l'un des coprésidents leur cède la parole. À titre de rappel, tous les commentaires doivent être adressés aux coprésidents. Lorsque vous parlez, veuillez le faire lentement et clairement. Pour ceux qui comparaissent par vidéoconférence, l'interprétation est disponible. Au bas de l'écran, vous avez le choix entre l'anglais et le français.
Sur ce, je souhaite la bienvenue à nos témoins de ce soir.
Merci beaucoup d'être venus.
À titre personnel, nous accueillons Mme Jocelyn Downie, professeure émérite à la Faculté de droit de Schulich de l'Institut du droit de la santé, Université Dalhousie. Nous accueillons aussi M. Trudo Lemmens, professeur et titulaire de la chaire Scholl en droit et politique de la santé à la Faculté de droit de l'Université de Toronto, par vidéoconférence.
De la Direction générale de la politique stratégique de Santé Canada, nous avons Mme Jocelyne Voisin, sous-ministre adjointe, accompagnée de deux fonctionnaires de la Direction des programmes et des politiques de soins de santé, Mme Sharon Harper, directrice générale, et Mme Jacquie Lemaire, conseillère principale en politique. Du ministère de la Justice, nous accueillons Mme Myriam Wills, avocate, Section de la politique en matière de droit pénal.
:
Je n'osais pas vous interrompre, madame la présidente, mais nous éprouvons toujours le même problème en début de séance. Le son dans la salle est beaucoup trop fort pour les interprètes.
Si je ne veux pas me blesser les tympans à cause du son trop fort dans mon oreille, il faudrait ajuster le son. Il faudrait d'ailleurs effectuer les tests de son sur place en début de séance, comme on le fait pour les participants à distance.
Cela m'agace un peu de vous interrompre à chaque rencontre, mais la situation restera ainsi jusqu'à la fin si les tests de son ne font pas partie de la procédure.
Je m'excuse, mais c'est la vie.
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D'accord. Je vais lire la liste des témoins et leur ordre de comparution. J'espère que cela vous aidera à régler le volume. Je vais juste essayer cela.
Je vais attendre avant de céder la parole à notre premier témoin.
On me dit que le volume est bon maintenant. Excellent.
Nous allons commencer par une déclaration préliminaire de cinq minutes de chacun de nos témoins, soit la professeure Downie, suivie du professeur Lemmens, puis de la fonctionnaire fédérale, Mme Voisin.
Madame Downie, vous avez la parole pour cinq minutes.
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Bonsoir. Je vous remercie de m'avoir invitée à m'adresser à vous.
Je m'appelle Jocelyn Downie et je suis professeure émérite aux facultés de droit et de médecine de l'Université Dalhousie. J'ai eu l'honneur de devenir membre de la Société royale du Canada et de l'Académie canadienne des sciences de la santé et d'être nommée membre de l'Ordre du Canada pour mon travail sur cet enjeu.
Je commencerai ce soir par le mandat du Comité, qui est de vérifier le « degré de préparation atteint pour une application sûre et adéquate de l'aide médicale à mourir » dans les situations d'aide médicale à mourir lorsqu'un trouble mental est le seul problème médical invoqué, l'AMM TM‑SPMI. Je ferai particulièrement référence aux normes de pratique mentionnées par le groupe d'experts.
Pour ce qui est de cette mesure, l'état de préparation a déjà été établi lors de vos audiences. Vous savez que la norme de pratique modèle a été publiée en mars 2023, et les organismes de réglementation professionnelle sont tout à fait prêts. Toutefois, au cas où vous dépassiez ce mandat ou que vous modifiiez les paramètres de cette mesure, il faut que nous en discutions plus avant.
Il y a d'abord la Charte. Les articles 7 et 15 limitent les droits d'accès à l'AMM fondé sur un diagnostic pour les personnes atteintes d'une maladie mentale. On trouve des arguments en ce sens dans de nombreux témoignages, mémoires et décisions juridiques. On pourrait invoquer un manque de préparation pour tenter de justifier cette limitation des droits selon l'article 1. Toutefois, cet argument serait rejeté.
Le gouvernement fédéral est prêt. Il a modifié son règlement sur les rapports, créé un groupe d'experts indépendant sur l'aide médicale à mourir et la maladie mentale, créé un groupe d'experts indépendant chargé de rédiger et de modéliser des normes de pratique. Il a financé le programme national accrédité indépendant pour former des évaluateurs et des fournisseurs d'aide médicale à mourir. Il a appuyé un atelier d'échange de connaissances entre des évaluateurs, des fournisseurs et des psychiatres de toutes les administrations du Canada afin de les préparer à la mise en œuvre de l'AMM TM‑SPMI. De plus, les personnes chargées de réglementer la conduite des évaluateurs et des fournisseurs d'aide médicale à mourir vous ont confirmé qu'elles étaient prêtes.
L'état de préparation clinique a été établi en organisant de multiples séances de formation partout au pays. Il existe maintenant une communauté de pratique réunissant des psychiatres experts situés dans tout le Canada. Les évaluateurs et les fournisseurs d'AMM ont déjà acquis de l'expérience en évaluant les demandes d'AMM de personnes atteintes de troubles mentaux, et les psychiatres l'ont acquise en conseillant des patients des voies 1 et 2. L'élaboration de protocoles et de politiques dans le cadre des programmes a aussi renforcé l'état de préparation clinique.
L'absence de préparation politique ne justifie pas la limitation des droits garantis par la Charte. Le prétendu manque de préparation clinique de certains psychiatres ne justifie pas la limitation des droits garantis par la Charte. Tous les cliniciens du Canada ne se sentaient pas prêts à administrer l'aide médicale à mourir lorsqu'elle est entrée en vigueur. Les psychiatres qui ne se sentent pas prêts ne sont pas tenus d'y participer. Partout au pays, des psychiatres et d'éminents experts en psychiatrie sont tout à fait prêts.
Certains diront que les Canadiens ne sont pas tous prêts. Cependant, tous les Canadiens n'étaient pas prêts à accepter l'aide médicale à mourir. Personne n'est obligé de demander l'aide médicale à mourir. La protection des droits garantis par la Charte n'attend pas, et ne peut pas attendre, qu'un sous-ensemble de la population se prépare. Par conséquent, on ne peut pas invoquer le manque de préparation pour préserver les limites des droits garantis par la Charte que tout retard supplémentaire entraînerait.
Passons maintenant à la répartition des pouvoirs en vertu des articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle. Le Parlement fédéral doit aborder la question de la préparation en tenant compte de ses propres compétences. Il est tout à fait évident qu'il est prêt. Même si vous n'êtes pas convaincus que toutes les provinces et tous les territoires le sont — ce qui est inexact, car les ordres de réglementation des provinces et des territoires ainsi que de l'information disponible sur les programmes d'aide médicale à mourir et sur les mécanismes de surveillance des provinces et des territoires prouvent irrécusablement le contraire — le partage des pouvoirs exige que vous ne différiez pas davantage.
Considérons quelques faits historiques. Prenons, par exemple, la loi de 1969 qui a rendu l'avortement légal sous certaines conditions. Cette loi a été adoptée en mai 1969. La sanction royale a été donnée en juin 1969. Les dispositions sur l'avortement sont entrées en vigueur en août 1969. Le Parlement n'a pas attendu que de nouveaux comités sur l'avortement thérapeutique soient établis dans les hôpitaux du pays. Il a apporté les changements qu'il jugeait appropriés pour protéger les droits des femmes, et il a laissé aux provinces et aux territoires le soin de faire le nécessaire pour mettre en œuvre les changements à leur niveau.
Cette vision de la préparation repose aussi sur un fondement logique et éthique. Si le Parlement devait un jour lier les modifications apportées au Code criminel à l'état de préparation des provinces et des territoires, il permettrait aux provinces et aux territoires de casser ses décisions en matière de droit pénal. Cela permettrait également à toutes les provinces et à tous les territoires à la traîne de tenir en otage les autres provinces et territoires qui se sont préparés. Les provinces et les territoires qui ont choisi de ne pas être prêts pourraient ainsi bloquer la protection des droits que la Charte garantit aux habitants des provinces et des territoires qui se sont préparés. C'est une chose à laquelle le Parlement ne devrait pas s'associer.
Je vous laisse sur une dernière réflexion. La décision de première instance dans l'affaire Carter a été rendue en 2012. La décision Truchon a été prise en 2019. Le projet de loi a été adopté en 2021.Nous sommes maintenant en 2023. Un autre délai nous mènerait jusqu'en 2025. Justice différée est justice refusée.
Merci.
:
Chers présidents, membres du Comité, bonjour.
[Traduction]
L'obligation fondamentale du Parlement est de protéger la vie et de promouvoir le bien-être des Canadiens. L'expansion de l'aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladie mentale constitue une menace sans précédent. Elle semble être motivée par trois facteurs. Premièrement, par une interprétation, une perception erronée de l'obligation constitutionnelle; deuxièmement, par l'engagement ferme, à l'égard de cette expansion, d'un petit groupe de personnes qui ont une influence dominante dans le processus d'élaboration des politiques et qui insistent massivement sur la nécessité de l'accès et non de la protection; et troisièmement, par un manque de compréhension des problèmes auxquels les administrations qui la permettront se heurteront ici, parce que nos normes juridiques sont moins rigoureuses.
Premièrement, la Constitution n'exige pas que l'on utilise la mort pour « résoudre » les souffrances souvent aiguës causées par une maladie mentale. Une lettre adressée au Cabinet par 31 professeurs de droit canadiens, notamment des spécialistes des droits constitutionnels et des droits de la personne, le souligne clairement. Cet argument figure dans plusieurs publications universitaires, dans notre prochain article ainsi que dans les mémoires présentés en comité par des juristes et dans la Norme sur la protection des personnes vulnérables.
Les auteurs de ces documents précisent également qu'il n'est pas discriminatoire de limiter l'accès à l'aide médicale à mourir. Aucun tribunal — certainement pas la Cour suprême — n'a statué que la mort provoquée par un médecin est une procédure intrinsèquement ou essentiellement bénéfique à laquelle tous doivent avoir droit. Il s'agit d'une pratique complexe qui, de l'avis de la Cour, devrait être permise dans des circonstances très particulières à titre d'exception soigneusement conçue à une interdiction cruciale du Code criminel.
En réalité, c'est le contraire. Le fait de cibler les personnes handicapées — et bientôt aussi les personnes atteintes de maladie mentale, dont la maladie ne peut être jugée irrémédiable — expose les personnes handicapées, qui sont déjà victimes de discrimination systémique, à un risque grave de décès. Cela menace aussi leur droit à la vie. Cela stigmatise de la façon la plus discriminatoire la réalité de vivre avec une maladie mentale ou avec un handicap, car notre système offre à ces personnes la mort au lieu d'un soutien suffisant tout en continuant à protéger les autres.
Deuxièmement, certains experts médicaux soulignent devant ce comité que l'aide médicale à mourir pour la maladie mentale est un « droit constitutionnel », mais ils hésitent à répondre lorsqu'on leur demande s'il est possible de le faire en toute sécurité et de déterminer si l'affection de chaque demandeur est irrémédiable. J'y vois là une caricature de la façon dont les politiques prudentes et le processus législatif devraient fonctionner. Les experts en médecine, en politiques et en éthique doivent informer le gouvernement, les députés et les tribunaux de ce que signifiera l'expansion de l'aide médicale à mourir. Avec la politique d'aide médicale à mourir du Canada, tout ira à l'envers. Reprenant la rhétorique des droits constitutionnels, le gouvernement a donné aux personnes qui s'y étaient déjà engagées des positions privilégiées pour la mettre en œuvre.
Il est frappant de constater que ceux qui nous assurent maintenant que les préoccupations sont injustifiées affirmaient dès le premier jour que l'aide médicale à mourir pour maladie mentale ne pose pas de problème et qu'elle ne devrait pas être traitée différemment. Pourtant, ils avaient été chargés d'évaluer les autres mesures de sauvegarde nécessaires, puis ils ont omis de les recommander, ce qui laisse à la discrétion de chaque professionnel l'option de laisser vivre ou d'accorder la mort. Les autorités n'ont même pas tendu la main à l'ensemble de la communauté de la santé mentale lorsqu'un bioéthicien défenseur des patients a démissionné, en signe de protestation, du groupe d'experts sur l'AMM et la maladie mentale. Il est encore plus troublant, comme le souligne un mémoire, que les mêmes experts aient récemment fourni des renseignements trompeurs aux députés, alors que le récent projet de loi visant à suspendre l'expansion de l'AMM a fait l'objet d'un vote au Parlement.
Troisièmement, l'affirmation selon laquelle nous n'avons besoin que de quelques psychiatres prêts à l'administrer parce que peu de patients seront admissibles est fausse. Au lieu de nous rassurer, cette affirmation nous inquiète.
En outre, en Belgique et aux Pays-Bas, cette pratique demeure controversée justement parce que quelques psychiatres l'ont entraînée dans des directions problématiques. Une poursuite criminelle a temporairement bloqué son expansion en Belgique, alors qu'un psychiatre avait participé à près de la moitié des cas d'euthanasie en santé mentale de 2007 à 2011. Les taux d'approbation pour l'euthanasie psychiatrique sont faibles — de 5 à 10 % — surtout à cause de la difficulté de déterminer si l'affection est irrémédiable. Toutefois, lorsque l'euthanasie pour maladie mentale est devenue une pratique plus répandue, la demande a augmenté considérablement, passant de 500 en 2008 à 1 100 en 2015. La demande au Canada sera plus élevée, et aucune contrainte juridique ne maintiendra les approbations à un faible niveau.
Lorsque les organismes de réglementation disent qu'ils sont prêts, nous devons nous demander « prêts à quoi? » Oui, il y aura de piètres règlements assortis de règles qui laisseront tellement de latitude que l'on aura très peu de motifs d'intenter des poursuites criminelles ou d'imposer des mesures disciplinaires professionnelles. Nos lois et nos règles professionnelles accorderont un droit illimité de mettre fin à la vie de patients atteints de maladie mentale. C'est une forme flagrante d'abandon qui discrimine les Canadiens atteints de maladie mentale et leurs familles.
[Français]
Je vous implore de ne pas vous cacher sous le couvert d'un droit constitutionnel pour laisser cet élargissement de la loi aller de l'avant.
:
Je remercie les présidents et les membres du Comité de nous avoir invités aujourd'hui.
Je tiens à remercier le Comité pour son engagement à l'égard de cet enjeu ainsi que pour le travail qu'il a accompli jusqu'à maintenant et qu'il accomplira par la suite.
[Français]
J'aimerais commencer par dire que Santé Canada croit que les Canadiens méritent de vivre dans le confort et dans la dignité en ayant accès à des soins, y compris des soins de fin de vie, qui sont adaptés à leurs besoins et qui respectent leurs souhaits.
[Traduction]
Nous reconnaissons que l'AMM est un choix profondément personnel et nous nous engageons à veiller à ce que nos lois reflètent les besoins évolutifs des Canadiens, protègent les personnes vulnérables et soutiennent l'autonomie et la liberté de choix.
Comme vous le savez, le Code criminel fédéral du Canada n'autorise la prestation d'AMM que dans des circonstances et selon des règles très précises. Toute personne qui demande l'AMM doit répondre à des critères d'admissibilité très particuliers pour en bénéficier. Les médecins qui administrent l'AMM à une personne doivent observer toutes les mesures de sauvegarde.
[Français]
Compte tenu de votre mandat, je comprends que vous vous concentriez sur l'état de préparation du système à offrir l'aide médicale à mourir aux personnes dont la maladie mentale est le trouble médical invoqué.
[Traduction]
Dans le cadre de nos travaux visant à préparer la levée de l'exclusion de l'admissibilité à l'AMM pour les personnes souffrant uniquement de troubles mentaux, Santé Canada a travaillé en étroite collaboration avec les provinces et les territoires ainsi qu'avec les intervenants du secteur de la santé mentale, les associations de professionnels de la santé et d'autres intervenants afin de donner suite aux recommandations de ce comité et du groupe d'experts sur l'AMM et la maladie mentale.
Par exemple, Santé Canada a appuyé l'élaboration et la publication d'un document intitulé Modèle de norme de pratique en matière d'aide médicale à mourir qui s'accompagne d'un document de référence intitulé Document de référence : Aide médicale à mourir. Nous avons également financé l'Association canadienne des évaluateurs et prestataires d'AMM pour l'élaboration et le développement d'un programme de formation d'AMM bilingue accrédité à l'échelle nationale. Le nombre d'inscriptions continue d'augmenter, avec un dernier décompte de 901 inscrits en date du 17 novembre. Parmi ceux‑ci, 490 sont des médecins, 132 sont des psychiatres, et 279 sont des infirmiers praticiens. Le curriculum comprend 7 modules, dont un module sur la maladie mentale comme seule condition médicale invoquée.
Nous avons également amélioré la collecte de données existantes sur l'AMM par l'entremise du système fédéral de surveillance pour aider à déterminer s'il existe des inégalités ou des désavantages dans les demandes et la prestation de l'AMM. Nous continuons à consulter les peuples autochtones en organisant des réunions dirigées par le gouvernement et par les Autochtones. Nous publierons en 2025 un rapport sur ce que nous aurons entendu.
Enfin, pour appuyer l'examen des cas et la surveillance, nous collaborons avec les provinces et les territoires afin d'améliorer l'uniformité et les possibilités d'échange de pratiques exemplaires sur les mécanismes de surveillance déjà en vigueur dans ces administrations.
[Français]
Ces ressources apporteront un soutien accru à l'évaluation et à la prestation de l'aide médicale à mourir dans les situations où la mort n'est pas raisonnablement prévisible, par exemple dans les cas de maladie de Parkinson, ainsi que dans les situations où la demande est fondée uniquement sur la base d'une maladie mentale.
Au niveau fédéral, nous avons travaillé avec diligence pour nous assurer que les outils et les ressources seront en place pour soutenir les cliniciens et les régulateurs avant le mois de mars 2024. Je sais, grâce à mon engagement auprès de mes collègues des provinces et des territoires, qu'ils travaillent ardemment à préparer leur système de santé à la levée de la restriction. De nombreux évaluateurs de l'aide médicale à mourir s'occupent déjà des cas de la voie 2, où la mort n'est pas raisonnablement prévisible, ce qui inclut les personnes qui peuvent souffrir d'une maladie mentale combinée à d'autres affections.
[Traduction]
Cela dit, le niveau de préparation varie à travers le pays, et les provinces et territoires se heurtent à un manque de professionnels qualifiés, surtout dans le domaine de la santé mentale.
Les praticiens nous ont dit que les évaluations des demandes de la voie 2 sont généralement plus difficiles à effectuer en raison de la complexité des pathologies concernées et de l'application des critères d'admissibilité et des mesures de sauvegarde rigoureuses existantes. Autrement dit, les cliniciens qui évaluent l'AMM passent beaucoup plus de temps à rassembler les renseignements nécessaires sur la personne et sur son état. Le processus nécessite souvent un examen de plusieurs années de traitements, d'opérations chirurgicales et de médications ainsi que des consultations avec des experts afin de faire preuve de diligence raisonnable dans la prise d'une décision sur l'admissibilité.
Les conditions médicales typiques citées dans la voie 2 sont des maladies neurologiques comme la maladie de Parkinson ou la sclérose en plaques. Le rapport annuel de 2022 nous apprend que les cas de la voie 2 ne constituent qu'une faible proportion des demandes d'AMM. Seulement 463 personnes ont reçu l'AMM dans le cadre de la voie 2, soit 3,5 % de toutes les prestations d'AMM, ne représentent que 0,2 % de tous les décès survenus au Canada. Selon le rapport de 2021, qui ne présente qu'une partie de l'année, 223 personnes de la voie 2 ont reçu l'AMM et représentaient 0,7 % de tous les décès survenus au Canada.
[Français]
Encore une fois, je tiens à souligner l'importance du travail accompli par ce comité jusqu'à présent.
[Traduction]
Vos rapports ont fourni de précieux renseignements sur les points de vue des différentes parties prenantes, et les fonctionnaires fédéraux ont travaillé en étroite collaboration avec les provinces, les territoires et les principales parties prenantes de la communauté de l'AMM afin de continuer à suivre ces recommandations pour soutenir les améliorations dans la prestation de l'AMM.
Merci.
:
Merci, madame la présidente.
Mes questions s'adressent à M. Lemmens.
Professeur, vous avez de nouveau entendu dire aujourd'hui au Comité que la loi du Canada oblige les parlementaires à accorder l'aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladie mentale. Nous avons également entendu Mme Shelley Birenbaum le dire lors de notre dernière réunion. Elle a dit qu'elle représentait l'Association du Barreau canadien, et elle a laissé entendre qu'en n'étendant pas l'aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladie mentale, le Canada risquait de faire face à de nombreuses contestations fondées sur la Charte.
Êtes-vous d'accord avec cette évaluation que si nous n'élargissons pas l'aide médicale à mourir, nous serons exposés à de nombreuses contestations fondées sur la Charte?
:
À mon avis, nous n'en avons pas. Je crois qu'il est facile de contourner les mesures de sauvegarde que nous avons. Elles sont déjà contournées dans le contexte de la voie 2. J'exhorte les membres du Comité à regarder, par exemple, le récent documentaire d'Al Jazeera, où nous voyons Rosina Kamis recevoir l'aide médicale à mourir dans le contexte de la voie 2. Je pense que certaines des exigences qui sont censées empêcher les gens de recevoir l'AMM de la voie 2 sont bourrées d'énormes lacunes.
En examinant les guides de pratique de l'Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l'AMM, ou ACEPA, ainsi que les documents de formation déjà préparés, les modèles de pratique et les lignes directrices, je vois qu'on insiste énormément sur la nécessité de faciliter l'accès à l'aide médicale à mourir. C'est tellement évident que, par exemple, dans les documents de l'ACEPA, on explique comment transformer très simplement des cas d'AMM de la voie 2 en cas d'AMM de la voie 1. Autrement dit, même les cas évalués à la voie 2... Par exemple, le document de l'ACEPA précise qu'en refusant des antibiotiques pour une infection grave, on peut transformer un cas de la voie 2 en un cas de voie 1.
Je trouve que cela illustre bien que notre approche réglementaire a été adoptée dans le contexte de la voie 2, et il en sera de même pour la maladie mentale.
C'est une grande leçon d'humilité que de siéger à ce comité. Bon nombre des membres du Comité qui ont comparu avant moi en savent beaucoup plus que moi à ce sujet. Les témoins, bien sûr, sont extraordinairement qualifiés.
À titre d'information, je voudrais remonter deux ans en arrière, lorsque le Sénat a amendé le projet de loi pour supprimer l'interdiction relative à la maladie mentale. Il a renvoyé ce projet de loi. A‑t‑il ajouté la nécessité de créer un comité d'experts, ou est‑ce que le gouvernement l'a demandé? Je devrais probablement le savoir moi-même, mais cela remonte à plusieurs années.
:
Non, je ne le crois pas.
Nous devons porter une attention particulière au fait que l'expression « grave et irrémédiable » figure dans la loi — ce n'est pas un terme clinique — et que l'expression « maladie, affection ou handicap grave et irrémédiable » figure dans la loi. En fait, cela fait partie de la définition de « irrémédiable ». Lorsque les gens disent qu'il n'y a pas de définition clinique, ils se trompent, parce que nous ne cherchons pas à attribuer une définition clinique à un terme juridique. Les termes juridiques des lois devraient être définis dans les lois, et ils le sont. Les cliniciens doivent déterminer si la maladie correspond à cette définition. Pour cela, on élabore des normes de pratique, et c'est ce que nous avons. Dans la norme de pratique modèle, il y a un énoncé clair au sujet de la « maladie grave et incurable » etc., de sorte que l'on ne pourrait pas démontrer l'absence de ces termes.
L'autre chose que j'aimerais ajouter est la suivante. Bien sûr, l'expression « mort naturelle devenue raisonnablement prévisible » se trouve dans le Code criminel. Les cliniciens — surtout la première fois qu'ils ont vu cette expression — ne s'entendent pas sur ce que cela signifie.
Ce n'est pas une justification pour violer les droits.
:
Merci, madame la présidente.
Il est difficile pour moi de suivre l'interprétation des propos quand mes collègues font des commentaires à haute voix. J'appelle donc au calme et à la sérénité alors que nous parlons de l'aide médicale à mourir.
Madame Downie, vous nous avez envoyé un court texte dans lequel vous disiez que l'arrêt Carter et le jugement Baudouin n'excluaient pas les troubles mentaux.
Pouvez-vous nous en parler davantage et nous expliquer pourquoi il en est ainsi? Tantôt, on nous a dit que l'arrêt Carter ne permettait pas d'invoquer le trouble mental comme seul problème médical pour obtenir l'aide médicale à mourir. Vous avez aussi dit que le jugement Baudouin, entre autres, rejetait l'exclusion générale fondée sur l'appartenance à un groupe, comme celui des personnes vulnérables. Je ne sais pas si vous vous le rappelez.
Pouvez-vous nous donner expliquer de quelle façon l'arrêt Carter serait inconstitutionnel si on décidait de permettre aux personnes atteintes d'un trouble mental d'avoir accès à l'aide médicale à mourir?
:
L'important, c'est de revenir à l'arrêt Carter et d'admettre qu'il dit qu'il est inconstitutionnel de dresser un obstacle devant les personnes affectées par des problèmes de santé graves et irrémédiables causant des souffrances persistantes et intolérables. Il ne dit pas que les troubles mentaux ne font pas partie des problèmes de santé graves et irrémédiables. Ils ne sont pas exclus. Ils auraient pu l'être. Les juges auraient pu les exclure s'ils l'avaient voulu.
Voilà l'analyse. Les troubles mentaux sont des problèmes de santé graves et irrémédiables. Par conséquent, il serait contraire à l'arrêt Carter de dresser un obstacle devant les personnes atteintes de troubles mentaux.
Autre chose: il vaut la peine d'examiner l'arrêt. Je savais que cette question serait soulevée aujourd'hui, car elle l'est toujours. La décision concernant la fonction exécutive est très claire. Comme on peut le constater dans l'arrêt Carter de 2015, les tribunaux étaient clairement saisis de la question de savoir si les troubles psychiatriques devraient être exclus de la déclaration d'invalidité. Néanmoins, ils ont refusé de les exclure expressément dans les critères qu'ils ont soigneusement rédigés. Il y avait là tout un ensemble, et ils ont refusé d'en exclure ces troubles.
L'autre chose que je voudrais ajouter, c'est que nous avons également eu l'arrêt G de la Cour suprême du Canada, dont il est important de nous souvenir en ce moment. Il nous éclaire en précisant que nous ne pouvons exclure des personnes en fonction de leur appartenance à un groupe. L'évaluation doit se faire au cas par cas. Personne ne nie qu'il y ait des situations complexes, mais nous devons les étudier au cas par cas.
M. Scarpaleggia a soulevé les différences cliniques entre un cancer et la prévisibilité d'un trouble mental. Plus tôt, vous avez parlé du rapport d'experts. Dans ce rapport, n'y a-t-il pas des balises supplémentaires qui encadrent davantage l'élargissement de l'accès à l'aide médicale à mourir aux personnes ayant un trouble mental? Je pense, par exemple, à l'obligation d'assurer une surveillance prospective, ce qu'on ne retrouve actuellement nulle part au Canada dans la mise en place de l'aide médicale à mourir. C'est rétrospectif. Je pense aussi à l'obligation d'obtenir l'avis d'un deuxième psychiatre, qui doit être indépendant de l'équipe de soins.
N'y a-t-il pas des balises à l'intérieur de cela? J'aimerais que vous me parliez de ces balises. En effet, on est prêt à aller jusqu'à la Cour suprême, s'il le faut, et celle-ci va devoir déterminer si cet élargissement est raisonnable ou non et dire quels critères de sauvegarde sont nécessaires pour assurer un usage sécuritaire de l'aide médicale à mourir, si on ne veut pas emprunter la prétendue pente glissante.
Quels arguments ou quelles mesures de sauvegarde supplémentaires ce rapport d'experts fournit-il, selon vous, pour permettre l'élargissement de l'accès à l'aide médicale à mourir aux personnes ayant un trouble mental?
:
Merci beaucoup, madame la présidente.
Merci à tous les témoins d'aider le Comité à s'y retrouver. Ce n'est pas un sujet facile, et je parle d'expérience, ayant siégé au Comité dès le départ, tant au cours de la dernière législature qu'au cours de celle‑ci.
Madame Downie, je m'adresse d'abord à vous.
J'admets volontiers que, pour ma part, j'éprouve un certain malaise lorsque nous parlons des troubles mentaux et de l'accès à l'aide médicale à mourir. Je comprends aussi que le mandat du Comité est assez restreint. Il n'est pas chargé de revoir la loi. En fait, la Chambre des communes vient de tenir un vote à ce sujet. Nous devons donc respecter le processus. Le Comité est chargé de vérifier l'état de préparation, et j'ai écouté votre déclaration liminaire. Je vais vous dire ce qui me met mal à l'aise.
Je représente la circonscription de Cowichan—Malahat—Langford, dans l'île de Vancouver. Je me promène dans ses diverses collectivités, et il est assez évident qu'il y a une crise de santé mentale. On peut voir des gens qui ont manifestement besoin d'aide et qui ne reçoivent pas les services voulus. Cela déchire certains éléments de ma collectivité.
En tant que parlementaire — non seulement à titre de membre du Comité, mais aussi parce que j'essaie de bien faire les choses pour mes électeurs —, comment puis‑je vérifier l'état de préparation? Comment m'assurer de cet état de préparation face à la réalité qui existe chez moi?
:
Vous pourriez notamment vous assurer que le manque de soutien et de services ne motive pas les demandes d'aide médicale à mourir. Et ce n'est pas le cas. Au fil des ans, nous avons recueilli des données solides provenant des autres pays qui autorisent l'AMM, et nous avons maintenant de bonnes données du Canada qui montrent que ce n'est pas ce qui motive les demandes.
Vous devez ensuite dire que deux choses revêtent une importance incroyable. Nous devons protéger les droits que la Cour suprême du Canada a reconnus. Du reste, elle a établi des paramètres dans l'arrêt Carter. Parallèlement, nous devons promouvoir des mesures de soutien et des services pour les personnes atteintes de troubles mentaux ou touchées par d'autres facteurs à l'origine de la vulnérabilité socioéconomique.
Le Parlement a l'obligation d'agir simultanément sur les deux plans. Ne prenez pas en otage les droits des personnes parce que le Parlement ne préconise pas l'offre de services et de soutien en matière de santé mentale ou pour les personnes en situation de handicap. Faites les deux. Il vous incombe de faire les deux en même temps. Lorsque vous répondez à vos électeurs, vous devez être en mesure de leur dire que les lacunes dans les services ne sont pas un motif pour demander l'aide médicale à mourir.
Ceux qui obtiennent l'aide médicale à mourir sont en fait très privilégiés. Ils sont Blancs. Ils sont à l'aise. Ils sont très instruits. Ils ne sont pas dans des établissements. Ils ont des familles. Le bilan général, c'est que ce sont des privilégiés. Cela ne veut pas dire que nous ne voulons pas nous occuper des personnes vulnérables.
:
Merci, monsieur le président.
Ma question s'adresse à Mmes Downie et Voisin.
En général, on ressent chez les gens, même ceux présents autour de la table, un sentiment d'insécurité. C'est comme si on pensait que, une fois l'aide médicale à mourir devenue accessible aux personnes souffrant de problèmes de santé mentale, elles se retrouveraient devant un bar gratuit et y seraient toutes admissibles.
Pourtant, parmi les témoins que nous avons entendus, une psychiatre nous a dit que, dans ses 35 ans de carrière, elle avait trouvé seulement trois personnes, parmi celles qu'elle suivait, qui y seraient admissibles, compte tenu des critères sérieux pour évaluer la chronicité, la médication à long terme, et le reste.
Ainsi, une personne en crise ne pourra pas recevoir l'aide médicale à mourir. Cette affirmation a été confirmée par deux autres témoins.
Vous avez dit qu'il manquait de cliniciens pour mener les évaluations. Cela va-t-il être un problème? Si un clinicien doit attendre 35 ans pour trouver trois patients admissibles, cela veut-il dire que nous aurons besoin de 100 psychiatres?
Je vous laisse la parole.
:
Merci, monsieur le président.
Merci à tous les témoins.
Ma question s'adresse à Mme Voisin.
D'après vos échanges avec les partenaires territoriaux et provinciaux, estimez-vous que, du point de vue de l'état de préparation, les programmes de formation médicale établis comme élément fondamental pour les cliniciens qui pratiquent l'AMM ont apporté suffisamment de connaissances, au sujet de la santé mentale, pour mettre en place un cadre propre à assurer la sécurité et à repousser ce que nous considérons comme des demandes bidon?
:
Merci, monsieur le président.
J'ai une petite précision à apporter. Le Sénat avait recommandé d'inclure une disposition de temporisation afin que l'exclusion de l'admissibilité à l'aide médicale à mourir pour les personnes dont la maladie mentale est la seule condition invoquée soit révisée après 18 mois. La Chambre des communes a prolongé à 24 mois cette période et a proposé d'autres dispositions. Alors [inaudible] en vigueur. Le but d'établir une période de 18 mois était de permettre la mise en place d'un système qui protégerait les gens. Le rapport est très clair.
Ma question porte sur l'accomplissement du mandat de notre comité dans le respect de la Constitution. Nous avons amendé le Code criminel et nous avons mis en place des dispositions très claires. Je crois comprendre, d'après les commentaires de la professeure Downie, que ces dispositions sont très satisfaisantes. Notre mandat n'est pas de les réviser, mais de nous assurer qu'elles sont bien comprises et qu'elles vont être mises en place.
Si j'ai bien compris votre présentation, madame Downie, nous faisons plus que ce qui est nécessaire, parce que la mise en place relève des provinces, et non du fédéral. Nous voulons nous assurer que les provinces font ce qu'il faut, mais notre obligation constitutionnelle ne va pas aussi loin que cela, n'est-ce pas?
[Traduction]
Ma question s'adresse à vous et peut-être aussi à Mme Wills.
:
Je vais intervenir en premier.
Non, absolument pas. Le gouvernement fédéral a fait plus en ce qui concerne cet aspect de l'aide médicale à mourir qu'il ne l'a fait pour tout autre élément de compétence provinciale ou territoriale. Le programme d'études ou l'éducation médicale, les ateliers d'échange de connaissances, la formation médicale et la norme de pratique modèle se situent tous à l'échelon provincial ou territorial. Le gouvernement fédéral a facilité tout cela, ce qui est extraordinaire.
Le fait que nous ne l'ayons pas fait pour d'autres choses est peut-être un point que nous devrions prendre en considération, comme exemple de ce qui peut se faire. Voyez à quel point il est bon de travailler ensemble. Nous pouvons construire quelque chose de ce genre et avoir un système harmonisé à l'échelle de notre pays.
:
Je vous remercie de la question.
Je dois dire que nous n'avons pas eu comme mandat de discuter de la justification de la légalisation. Jersey a proposé deux options de légalisation. L'une était axée sur un diagnostic de maladie terminale, un peu comme la voie 1, mais plus étroite que dans le contexte canadien. La deuxième était une voie très large, qui se compare à la deuxième voie canadienne. Je n'ai pas été complètement étonné, mais j'ai été heureux, de voir que mes deux collègues, qui sont en fait en faveur de la légalisation de l'aide médicale à mourir sous une forme ou une autre, étaient d'accord pour dire, à la lumière des faits présentés, que le modèle canadien n'était pas l'approche qu'ils devraient adopter.
En fait, nous avons recommandé de ne pas accorder un accès illimité à l'aide médicale à mourir pour des souffrances insupportables. L'aide médicale à mourir pour des motifs d'ordre psychiatrique est explicitement exclue, comme c'est le cas dans la plupart des pays du monde, ou dans de nombreux pays qui ont légalisé une certaine forme d'aide médicale à mourir. Tout simplement, c'est aussi parce que la plupart des administrations limitent l'accès à l'aide médicale à mourir, à l'euthanasie ou à l'aide au suicide en fin de vie aux personnes qui ont reçu un diagnostic de maladie terminale. La maladie mentale ne répond pas aux critères d'un pronostic de survie clairement identifiable ou d'un pronostic de maladie terminale.
:
Nous entamons la deuxième heure de cette rencontre. Je vous prie de prendre vos places.
Je souhaite la bienvenue à tous les témoins, qui se joignent à nous par vidéoconférence. Au cours de cette deuxième heure, nous allons entendre, à titre personnel, la Dre Stefanie Green, prestataire de l'aide médicale à mourir et conseillère du ministère provincial de la Santé de la Colombie‑Britannique. Nous allons entendre aussi Mme Julie Campbell, infirmière praticienne de l'Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l'aide médicale à mourir. La Nova Scotia Health sera représentée par le Dr Gordon Gubitz, de la division de neurologie du département de médecine.
Chers invités, nous allons être vraiment pressés par le temps. Vous aurez donc cinq minutes chacun pour faire votre présentation.
Docteure Green, nous commençons par vous.
[Traduction]
Vous avez la parole. Cinq minutes. Nous avons très peu de temps.
La parole est à vous.
:
Je vous remercie de donner l'occasion de témoigner.
Je m'appelle Stefanie Green et je suis médecin et j'ai 30 ans d'expérience clinique.
En juin 2016, j’ai commencé à travailler presque exclusivement dans le domaine de l’aide médicale à mourir. Vous pouvez prendre connaissance de mes titres de compétences dans mon mémoire. Je n'ai aucun intérêt personnel ou professionnel à l'égard de l'issue de vos délibérations et je reste déterminée à fournir la meilleure qualité de soins médicaux possible dans le respect de toutes les lois.
Si le but du Comité est de « vérifier le degré de préparation atteint pour une application sécuritaire et adéquate de l’AMM » dans les situations de TM‑SPMI, c'est‑à‑dire lorsque les troubles mentaux sont le seul problème médical invoqué, votre travail ne devrait pas être compliqué. Très clairement, il existe un degré élevé de préparation, et j'attire votre attention sur les nombreuses activités de préparation clairement décrites dans le mémoire de l'ACEPA, l'Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l'AMM, et également mentionnées par les Drs Mona Gupta et Douglas Grant et, ce soir, par Mme Downie.
Il y a une préparation au niveau fédéral. Les organismes de réglementation en matière de soins médicaux et infirmiers et les ordres professionnels se disent prêts. Des équipes cliniques de la Colombie‑Britannique, de l'Alberta, de la Saskatchewan, de l'Ontario et de la Nouvelle‑Écosse ont toutes confirmé leur état de préparation. Je pourrai en parler davantage pendant nos échanges, si vous le souhaitez.
Quelle que soit la recommandation finale du Comité, je tiens à ce qu'elle soit fondée sur des faits et non sur des malentendus fondamentaux. Dans cet esprit, je soumets les informations suivantes pour plus de clarté.
Premièrement, le consensus n’est pas et n’a jamais été requis dans le développement de la pratique médicale. Il n'existe pas de consensus sur de nombreuses pratiques médicales, par exemple, l'hormonothérapie substitutive pour les femmes ménopausées, la transplantation d'organes, les sites d'injection sécurisés, l'utilisation de la kétamine pour la dépression résistante au traitement. L'absence de consensus n'est pas considérée comme une raison ou une justification pour interdire ces pratiques. Il n’existe pas de consensus parmi les cliniciens au sujet de l’AMM elle-même, mais cela n’a pas empêché et n’empêche pas l’AMM d’être autorisée par la loi.
La pratique médicale ne commence pas par la formation de tous les cliniciens avant que la pratique ne soit autorisée. Au contraire, on commence par en former certains qui, à leur tour, en forment d’autres au fil du temps. Seuls les cliniciens possédant les compétences professionnelles nécessaires pour effectuer l'intervention sont autorisés à la faire, selon les normes déjà publiées et appliquées par les collèges des médecins et des chirurgiens ou des infirmières de chaque province et territoire.
Toute affirmation voulant que le consensus soit nécessaire avant d'aller de l'avant avec l'AMM TM‑SPMI n'est qu'une opposition à l'AMM qui se fait passer pour une volonté d'appliquer un critère.
Deuxièmement, la législation est claire concernant l’admissibilité à l’AMM. Nous devons arrêter de concentrer notre attention sur le diagnostic d’une personne, qu’il s’agisse d’un trouble mental ou autre, et plutôt chercher à avoir des critères d’admissibilité clairement définis: la maladie doit être incurable, irréversible, impossible à soulager.
La compréhension clinique et l'application de la législation sur l’AMM continuent d’évoluer et de mûrir. La norme de pratique modèle récemment publiée pour l’AMM a contribué de manière significative à cette compréhension.
En tant que praticienne expérimentée de l’AMM qui enseigne à d'autres comment aborder cette pratique, je voudrais dire aussi clairement que possible, pour que vous le reconnaissiez, que, dans les situations de TM‑SPMI, une personne en crise n’est pas admissible à l’AMM. Une personne nouvellement diagnostiquée n’est pas admissible à l’AMM. Une personne qui n’a pas reçu de traitement ou a refusé tous les traitements sans justification n’est pas admissible à l’AMM. Une personne qui demande l’AMM en raison de vulnérabilités socioéconomiques n’est pas admissible.
Troisièmement, nous avons déjà suffisamment de psychiatres engagés pour aller de l’avant. La législation exige que deux cliniciens indépendants trouvent un patient admissible avant de pouvoir dispenser l'AMM. Pour les patients dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible, un clinicien expert de la pathologie à l’origine des souffrances de la personne doit également être consulté.
Les psychiatres peuvent donc jouer deux rôles différents. Premièrement, ils peuvent être des évaluateurs ou des prestataires d’AMM, même si peu d’entre eux devront jouer ce rôle. Deuxièmement, ils peuvent être consultés comme cliniciens experts de la maladie à l’origine des souffrances de la personne. Les psychiatres sont déjà consultés en tant que cliniciens compétents pour de nombreuses demandes d’AMM. En effet, ils possèdent déjà les compétences et la formation pour être considérés comme des experts dans leur domaine. Le Canada compte donc près de 5 000 psychiatres déjà adéquatement formés pour continuer à remplir ce rôle d'experts dans les situations de TM‑SPMI.
Plus de 100 psychiatres ont déjà manifesté leur intérêt à s'occuper des cas de TM‑SPMI. Cela représente environ 2 % de tous les psychiatres au Canada. L'an dernier, environ 2 % de tous les médecins au Canada ont dispensé l'AMM à 13 000 patients. Je dirai donc que 2 % des psychiatres suffisent pour donner des conseils sur ce qui devrait rationnellement représenter beaucoup moins de cas de TM‑SPMI.
La préparation aux cas de TM‑SPMI est claire. Ne laissez pas la désinformation distraire ou obscurcir vos délibérations sur ce point.
Merci.
:
Je vous remercie de l'invitation à comparaître ici aujourd'hui.
Je m'appelle Julie Campbell. Je suis infirmière praticienne et vice-présidente de l'Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l'AMM, ou ACEPA. L'ACEPA représente les professionnels qui travaillent à la prestation de l'AMM au Canada. Elle ne prend pas position sur l'aide médicale à mourir dans les cas où un trouble mental est le seul problème médical invoqué, soit l'AMM TM‑SPMI. Nous sommes déterminés à aider nos membres à fournir les meilleurs soins médicaux possible dans le cadre de la loi.
Dans le cadre de cet engagement, l'ACEPA a, au cours des deux dernières années et demie, élaboré le Programme canadien de formation sur l'AMM, ou PCFA, le premier programme de formation complet, agrée à l'échelle nationale, bilingue et fondé sur des données probantes pour soutenir la pratique de l'AMM au Canada. Il vise à former les nouveaux praticiens de l'AMM, à améliorer les compétences des praticiens actuels de l'AMM et à aider à normaliser l'approche des soins en appuyant ceux qui offrent des soins d'AMM d'un océan à l'autre. Le 21 août 2023, le PCFA a été lancé, et la réaction enthousiaste des cliniciens a dépassé les attentes. Les commentaires des cliniciens qui ont terminé les modules ont indiqué des réponses très positives lorsqu'on leur a demandé s'ils estimaient que leurs connaissances et leur confiance avaient augmenté.
En plus de leur expertise en matière d'évaluation et de prestation de l'AMM, les membres de l'ACEPA possèdent également diverses compétences cliniques dans de nombreux domaines, y compris la psychiatrie. Nos membres comptent sur des collègues qui agissent à titre d'experts-conseils dans leur domaine d'expertise. Lorsqu'une évaluation est effectuée pour un patient dont la mort naturelle n'est pas raisonnablement prévisible et pour lequel ni l'un ni l'autre des évaluateurs n'a à la fois l'expertise en matière d'AMM et l'expertise dans l'état qui cause les souffrances du patient, nous nous fions à ces experts pour qu'ils nous fournissent leur expertise sur la condition afin d'ajouter à l'expertise des évaluateurs en matière d'évaluation de l'AMM.
Il est important de comprendre la différence entre le rôle de l'évaluateur et celui de l'expert-conseil. Nos collègues psychiatres ont, grâce à leur vaste formation et à leur expertise en tant que psychiatres, des connaissances avancées sur les décisions relatives à la capacité et les troubles mentaux. Nous avons utilisé leurs compétences d'experts-conseils pour tout patient qui en a besoin. Cela ne s'applique pas uniquement aux patients ayant un TM‑SPMI, et cela peut s'appliquer à la fois aux patients dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible et à ceux pour qui elle ne l'est pas. Dans le cas des patients ayant un TM‑SPMI, nous utiliserons de nouveau leurs compétences spécialisées.
Au Canada, il y a environ 5 000 psychiatres qui, en raison de leur éducation et de leurs compétences, peuvent jouer le rôle d'un expert-conseil. Il y a des psychiatres qui ont demandé et obtenu une expertise en évaluation de l'aide médicale à mourir. À ce jour, plus de 100 psychiatres ont commencé à suivre une formation en collaboration avec le PCFA, ce qui témoigne de l'intérêt marqué de ce sous-groupe de psychiatres, qui seront alors à la fois une source d'expertise en vertu de leurs antécédents respectifs et en tant qu'évaluateurs.
Depuis 2016, nous évaluons en toute sécurité les patients qui demandent l'aide médicale à mourir et qui ont également des troubles mentaux comorbides. Une partie de notre approche approfondie, réfléchie et sécuritaire de l'évaluation de l'admissibilité a toujours été d'examiner le patient dans son ensemble. Pour aider nos membres à relever certains défis, nous avons élaboré des documents d'orientation clinique tels que l'« Évaluation de la capacité de donner un consentement éclairé à l'aide médicale à mourir (AMM) » et l'« Aide médicale à mourir (AMM) pour les personnes atteintes de maladies chroniques complexes ». Ces documents ont aidé nos membres à évaluer et à prendre en charge en toute sécurité les patients présentant des conditions médicales plus complexes et ont développé une expérience qui sera pertinente pour évaluer les patients ayant des demandes d'accès à l'AMM dans les cas de TM‑SPMI.
Comme c'est la norme dans la pratique médicale, nous évoluons chaque jour, nous partageons les meilleures pratiques, nous acquérons de l'expérience et nous disposons désormais de près de sept années d'expérience, de partage et d'expertise sur lesquelles nous nous appuyons. Nous avons organisé et animé des ateliers d'échange de connaissances avec des représentants de partout au Canada. Un échange de connaissances a été axé sur l'état de préparation des cliniciens et l'autre sur l'état de préparation du système, pour s'assurer non seulement que les cliniciens sont prêts, mais que les autres membres importants de nos équipes le sont aussi, soit les infirmières, les travailleurs sociaux et les administrateurs, entre autres. Nous avons organisé un symposium en trois parties à l'automne, qui porte précisément sur l'évaluation des personnes atteintes de troubles mentaux. Nous tenons des webinaires mensuels sur le partage de cas. Nous nous sommes préparés avec diligence à une disposition de temporisation et nous sommes prêts.
Les membres de l'ACEPA sont prêts pour le changement législatif prévu en mars 2024 et continueront d'offrir des soins compatissants et de grande qualité à tous les patients qui envisagent l'AMM.
Merci.
:
Merci et bonsoir de la Nouvelle-Écosse.
Je m'appelle Gord Gubitz et je suis très heureux de pouvoir m'adresser à vous aujourd'hui. Je suis professeur de médecine et de neurologie à l'Université Dalhousie. Après l'adoption de la loi, je suis devenu évaluateur et fournisseur d'aide médicale à mourir pour les patients de la voie 1 et de la voie 2.
Je suis également membre du conseil d'administration de l'Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l'AMM, et je siège à son comité de la formation. J'ai présidé le groupe national de l'ACEPA qui a élaboré le programme de formation sur l'aide médicale à mourir dont vous avez entendu parler, et dont il a été question plus tôt. J'espère que nous aurons l'occasion d'en discuter pendant la période des questions.
Je suis également responsable clinique de l'aide médicale à mourir en Nouvelle-Écosse. Pour ce faire, nous travaillons chaque semaine avec notre administration, en collaboration avec le ministère de la Santé, pour superviser l'aide médicale à mourir dans notre province.
Je suis heureux de vous parler ce soir au nom de la Nouvelle-Écosse à titre d'exemple d'administrations de tout le pays pour vous aider à comprendre pourquoi la Nouvelle-Écosse est prête à aller de l'avant avec les soins pour les personnes qui demandent l'AMM TM‑SPMI à compter de mars 2024.
Chaque province et chaque territoire traitera cette question différemment. En Nouvelle-Écosse, nous avons une équipe centrale qui est gérée et supervisée par un personnel administratif très solide et des infirmières pivots compétentes qui trient et évaluent les patients et fournissent des évaluations et des références détaillées. Nous avons aussi des infirmières praticiennes à temps plein qui se déplacent d'une région à l'autre pour aider à fournir l'aide médicale à mourir. Dans la foulée du projet de loi et en prévision des complexités de la voie 2, nous avons recruté d'autres membres au sein de notre équipe, y compris des travailleurs sociaux, et ainsi de suite.
Notre équipe s'occupe de la formation régulière des apprenants partout dans la province. Fait important, notre équipe se réunit régulièrement chaque semaine le vendredi matin pour examiner les « cas difficiles », comme nous les appelons. Bon nombre de ces personnes ont des problèmes médicaux complexes et sont souvent des patients de la voie 2, et plusieurs ont des problèmes de santé mentale sous-jacents.
En ce qui a trait aux cas de TM‑SPMI, nous avons reconnu que nous devrions commencer à faire ce travail il y a un certain temps, et nous travaillons depuis plus de 18 mois pour veiller à ce que la Nouvelle-Écosse soit prête. Nous avons créé un groupe de travail provincial chargé d'élaborer des politiques et des processus qui serviraient la population des TM‑SPMI. Tout le travail qui a été fait à l'échelle nationale pour nous guider a été très utile.
Notre plan devait être prêt pour la mise en œuvre d'ici mars 2023. Pour ce faire, nous avons embauché du personnel supplémentaire ayant une expertise en santé mentale. Ainsi, parmi nos infirmières pivots, nos infirmières praticiennes et nos travailleurs sociaux, chacun de ces groupes compte un membre ayant une formation clinique en santé mentale. Nous sommes en train d'explorer la possibilité d'offrir des services de consultation en psychologie et nous recrutons un responsable clinique des TM‑SPMI en psychiatrie. Cette personne occupera un poste semblable au mien, mais axé sur la santé mentale. Nous travaillerons tous les deux en collaboration avec notre équipe de l'AMM, car nos ensembles de compétences sont semblables et complémentaires.
Notre groupe de travail était présidé par deux psychiatres, dont l'un effectue également des évaluations complexes de l'aide médicale à mourir lorsque la capacité pose problème. Le groupe de travail comprenait des membres de notre équipe de base de l'AMM, des psychiatres en milieu hospitalier et communautaire, un spécialiste en médecine des toxicomanies, un bioéthicien, un résident en psychiatrie et des représentants de notre gouvernement provincial. À mesure que le processus progressait, nous avons inclus un de nos travailleurs sociaux et une infirmière pivot ayant de l'expérience en santé mentale.
Le groupe de travail a été chargé d'effectuer un examen détaillé de la portée des divers sujets pertinents à l'AMM et aux TM‑SPMI. Il a élaboré des documents d'information et d'orientation détaillés et pratiques qui aideront les cliniciens de la Nouvelle-Écosse dans leur travail quotidien. Nous avons également formulé des recommandations globales pour le gouvernement.
Jusqu'à maintenant, nous avons un cadre éthique fondé sur un examen systématique du domaine émergent de la psychiatrie palliative. Nous avons des documents détaillés et du matériel de formation pour les évaluations requises, y compris un processus complet qui met l'accent sur la détermination de la capacité, du caractère volontaire, de l'irrémédiabilité et de la vulnérabilité structurelle, et la compréhension de la suicidabilité par rapport à un désir de mourir raisonné. Nous avons aussi des parcours cliniques, y compris un processus d'admission modifié qui sera complété par l'infirmière pivot, spécialement conçu pour les cas de TM‑SPMI.
Nous avons donné suite à une recommandation précise. L'un des deux évaluateurs de l'AMM en Nouvelle-Écosse doit être un psychiatre ou un spécialiste en toxicomanie, selon le cas.
Nous procédons à un examen prospectif semblable à nos discussions hebdomadaires sur les cas complexes. Par conséquent, nos discussions de suivi de la voie 2 tous les vendredis matin commenceront de plus en plus à mettre en cause des personnes dont la santé mentale est la seule condition sous-jacente. Nous ferons également l'objet de vérifications rétrospectives pour chaque personne qui suit un processus normalisé d'AMM. Nous avons mis au point des mesures de soutien post-intervention pour les cliniciens, les familles et les amis.
En collaboration avec l'ACEPA, nous élaborons des programmes de formation, y compris les modules qui ont été décrits précédemment, et nous examinons des modèles de rémunération. Nous avons communiqué tous nos documents aux autres administrations du pays, comme Mme Campbell l'a souligné dans son exposé. Nous avons entamé des discussions très intéressantes avec les provinces et les territoires.
Au cours des prochains mois...
:
C'est une bonne question. Nous n'avons pas encore vu ces patients, alors je ne peux que formuler des hypothèses pour vous.
Je pense que le patient type qui répond à ces critères très rares doit avoir un très long passé documenté d'interaction avec le système de soins de santé. Il a fait l'objet de nombreux essais de traitement et a documenté ceux qui ont fonctionné, ceux qui n'ont pas fonctionné et la durée de chaque essai de traitement. Il a probablement vécu un certain nombre d'hospitalisations. Il a probablement vu un certain nombre de spécialistes au fil des ans. Tout cela serait nécessaire. Il ne suffit pas d'avoir vécu cette expérience. Il faut que ce soit documenté dans le système avant que je puisse, en tant que clinicien, formuler ce qu'on appelle un avis médical sur la question de savoir si la personne répond au critère de l'incurabilité ou de l'irrémédiabilité.
Malheureusement, il y aura des patients qui ont vécu cette expérience et qui ne l'ont pas documentée ou qui n'ont pas été vus adéquatement au fil des ans par notre système médical, pour un certain nombre de raisons différentes. Sans ces antécédents solides, ils ne seront probablement pas admissibles à ces soins.
:
Je pense que la plupart d'entre nous avons de l'expérience, au fil des ans, dans l'évaluation de cette différence. Cela peut être compliqué.
Pour vous donner un exemple très simple, je dirais qu'une personne qui a un plan pour se mettre elle-même en danger a un échéancier pour le faire, a un moyen de le faire et l'exprime. C'est une sorte de réaction intuitive à un facteur négatif dans sa vie. Elle peut être considérée comme une personne très suicidaire.
Une autre personne qui demande l'aide médicale à mourir pourrait venir dire qu'elle en parle avec sa famille depuis des mois ou des années et expliquer quelle a été la trajectoire de la maladie, quelles sont ses valeurs, pourquoi elle croit qu'il n'y a plus de sens à sa vie ou pourquoi elle pourrait choisir de mettre fin à ses jours. Elle serait prête à travailler avec l'équipe et les cliniciens pour voir si c'est une possibilité pour elle, ou s'il y a d'autres ressources disponibles.
Il y a une nette différence entre les deux.
Merci à tous nos témoins de s'être joints à nous et d'avoir aidé notre comité à examiner ce sujet.
Docteure Green, j'aimerais commencer par vous. Je vous remercie de votre déclaration préliminaire.
Je m'intéresse à l'élaboration du programme de formation. Nous avons maintenant le plus récent module, intitulé « L'AMM et les troubles mentaux ». Êtes-vous en mesure d'informer le Comité, lorsque ce module était en cours d'élaboration au début, lorsque vous avez appris que le projet de loi avait été adopté par le Parlement et que vous deviez commencer à vous préparer...? Au départ, dans le cadre de l'élaboration de ce module, êtes-vous en mesure d'informer le Comité de la rétroaction ou des préoccupations initiales que vous avez reçues de la part de personnes qui ont de l'expertise dans ce domaine?
Quels sont certains des thèmes dominants qui ont vraiment contribué à éclairer l'élaboration de ce module?
:
Le programme de formation a été mis sur pied par un groupe d'experts qui en a élaboré le contenu, comme tous les autres sujets abordés dans ce programme. Nous avons demandé à ces experts de nous donner des conseils sur la marche à suivre, tout en leur laissant une certaine marge de manœuvre. Ils ont certainement observé ce qui se passe ailleurs dans le monde, dans les pays qui ont déjà légalisé cette pratique, pour voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
Ils ont également réuni des experts de tout le pays, dont la plupart avaient des connaissances spécialisées et une expertise dans les maladies les plus souvent invoquées dans les pays ayant légalisé cette pratique. Il pouvait s'agir, par exemple, de spécialistes des troubles de l'humeur ou des problèmes de toxicomanie. Ils ont réuni un groupe diversifié d'experts canadiens possédant cette expertise généralisée fondée sur ce qui, d'après ce qu'ils avaient observé à l'étranger, pouvait avoir une pertinence avec notre expérience.
Ensemble, ils ont ensuite commencé à développer le contenu du programme qui a été examiné par plus de 100 spécialistes du pays — je ne faisais pas partie de ce comité. De multiples parties prenantes des quatre coins du pays ont participé à ce projet et je crois que 18 intervenants de divers pays ont révisé le contenu de notre programme avant qu'il ne soit soumis à l'approbation du conseil d'administration.
:
Bien sûr. Je vous remercie d'avoir posé la question.
Durant le développement du module, plusieurs thèmes revenaient sans cesse. Comme je l'ai mentionné, les experts ont décidé de se baser sur des cas très précis, parce que c'est là que se trouve l'essentiel. Ils ont facilité les discussions pour s'assurer que les responsables de la formation sont vraiment des spécialistes du domaine et sont capables de guider les participants dans une discussion très nuancée portant sur la capacité, le libre arbitre, le caractère irrémédiable de la maladie et des vulnérabilités structurelles dont a parlé Mme Downie au cours de la session précédente ainsi que sur le concept évoqué par la Dre Green, à savoir si le patient est suicidaire ou s'il a un motif valable de souhaiter mourir, ce qui n'est pas la même chose.
Toutes ces questions qui posent des difficultés aux cliniciens sont en fait au cœur des différents cas examinés dans le module de formation, allant du plus simple au plus complexe, tout en reconnaissant qu'il y a probablement des cas encore plus complexes. Au fil du temps, les modules seront donc revus, évalués et bonifiés afin de refléter les pratiques courantes et pourront éventuellement inclure d'autres exemples.
Je vais poursuivre sur le même thème que le sénateur Ravalia et revenir sur les inquiétudes souvent exprimées à l'idée que l'aide médicale à mourir soit trop facilement accessible aux personnes atteintes de troubles mentaux.
Compte tenu de ce que vous avez dit, docteure Green, et vous également, docteur Gubitz, j'ai l'impression que le problème se situe vraiment de l'autre côté. Vous avez tous deux insisté sur le fait qu'il serait très difficile d'y avoir accès et que vous allez avoir besoin de documents que les personnes atteintes d'une maladie mentale ne seront peut-être pas en mesure de vous fournir. Vous allez devoir examiner des documents antérieurs provenant de professionnels qui ont déjà traité ces patients pour autre chose, qu'ils aient ou non la capacité de rassembler toute l'information.
Commençons par vous, docteure Green. Quelle est votre principale préoccupation à cet égard?
Eh bien, ce n'est donc pas un souhait. Nous essayons en fait de vérifier la qualité de la formation. Nous parlons de la vie de personnes. Qu'il s'agisse de dizaines ou de centaines, nous parlons de la vie de chacune de ces personnes.
Par souci de clarté, permettriez-vous au Comité de consulter ce module? En tant qu'ancienne enseignante, je sais que si nous en avons une version papier sous les yeux, cela nous donnera une certaine assurance. Pourriez-vous nous faire parvenir ce document, madame Campbell?
:
Rien ne prouve que les personnes présentant ces caractéristiques demandent et reçoivent l'AMM dans une proportion plus élevée au Canada. Nous avons plutôt des preuves du contraire.
En 2024, Santé Canada publiera les données recueillies depuis janvier 2023, ce qui nous donnera un portrait plus complet des personnes qui demandent et reçoivent l'AMM. Je pense que cela sera utile.
Comme c'est le cas ailleurs dans le monde, il n'y a absolument aucune preuve que ces facteurs incitent des personnes à demander l'AMM et nous ne nous attendons pas à ce que ce soit le cas au Canada. Nous savons pertinemment, d'après nos critères d'admissibilité très clairs, que les vulnérabilités socioéconomiques ne sont pas un critère d'admissibilité à l'aide médicale à mourir.
De toute évidence, comme l'a fait remarquer Mme Campbell, les gens sont complexes et il est parfois difficile de discerner quels facteurs entrent en jeu. Cela ne veut pas dire que les gens possédant ces caractéristiques ne demandent pas l'aide médicale à mourir, mais il y a une différence entre cela et un titre très accrocheur dans les médias alléguant qu'une personne vulnérable essaie d'avoir accès à l'aide médicale à mourir. Il y a une différence entre évaluer l'admissibilité d'une personne à l'AMM et déterminer qu'elle y est admissible. Il est important que le Comité en tienne compte.
:
En ce qui concerne l'AMM en général, nous savons que la participation à une évaluation de l'admissibilité à l'AMM a souvent pour effet d'améliorer les soins de santé de la personne. Par exemple, si la personne n'a jamais reçu de soins palliatifs et qu'elle en reçoit, elle peut en retirer des bienfaits. Elle n'a ainsi plus besoin de l'aide médicale à mourir et peut finir sa vie confortablement grâce aux soins palliatifs. C'est un exemple général.
Si nous sommes honnêtes dans notre façon d'évaluer les personnes atteintes de troubles mentaux, nous devons parfois aller un peu plus loin que la norme et leur demander quels traitements elles ont essayés et lesquels elles n'ont pas essayés. Nous pourrons ensuite leur conseiller de réfléchir à un traitement qu'elle pourrait essayer s'il leur semble indiqué. C'est pour cette raison que nous faisons appel à des professionnels qui possèdent une expertise en la matière.
Comme l'a dit Mme Downie, il n'est pas nécessaire de faire appel à un psychiatre, puisque beaucoup de médecins en soins primaires sont devenus des experts dans le traitement de certains groupes de patients. L'important, c'est que le médecin connaisse l'état de santé du patient, qu'il connaisse aussi la personne et qu'il ait exercé une diligence raisonnable en traitant cette personne.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Docteure Green, je vais terminer ce tour avec vous.
N'eût été le projet de loi , que le Parlement a adopté très rapidement, nous vivrions certainement dans un pays où la maladie mentale pourrait être la seule maladie sous-jacente invoquée pour être admissible à l'AMM.
En examinant cette question dans l'optique de la Colombie‑Britannique, dans quelle mesure cette année supplémentaire nous a‑t‑elle aidés à mieux nous préparer dans notre province? Compte tenu de votre implication dans ce dossier, à quel moment, approximativement, a‑t‑on déterminé que notre province était prête? J'essaie simplement de revenir en arrière.
:
La Colombie-Britannique a toujours eu l'intuition des choses à venir. Par exemple, elle a chargé un groupe de travail provincial d'examiner l'aide médicale à mourir pour TM‑SPMI depuis septembre 2022. Cela a pris plus de temps, puisque cela fait plus d'un an maintenant. C'est un sous-comité d'un autre comité du ministère de la Santé qui a pris en compte les recommandations du groupe d'experts et les normes de pratique modèles et qui propose maintenant de nouvelles mesures de protection provinciales en prévoyant la création d'un comité d'examen des cas pour toutes les demandes d'AMM TM‑SPMI.
Trois des autorités sanitaires régionales sont déjà prêtes à créer ce genre de comité d'examen. L'une d'elles a déjà quelque chose de très semblable, et toutes seront prêtes d'ici mars 2024. Nos deux organismes de réglementation, l'ordre des médecins et celui des infirmières, sont en train de modifier les normes de pratique médicales de la province en fonction des normes de pratique modèles et des recommandations du groupe de travail.
Je crois que, compte tenu de tout le travail accompli au cours de la dernière année, la province se sent prête à aller de l'avant. Quand a‑t‑elle dit qu'elle le serait? Je crois que c'est dès maintenant, parce qu'on se rend compte que les choses sont mises en place à temps. A‑t‑on profité de l'année supplémentaire? Absolument.
:
La séance est de nouveau ouverte.
Chers collègues, reprenons nos travaux.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à notre principal témoin, mais, en fait, il y en a deux. Nous avons une deuxième personne au cas où nous aurions besoin de renfort.
Accueillons par vidéoconférence le Dr Jitender Sareen, médecin au département de psychiatrie de l'Université du Manitoba. Il est accompagné du Dr Pierre Gagnon, directeur du département de psychiatrie et de neurosciences de l'Université Laval. Bienvenue à vous deux.
Monsieur Sareen, vous avez cinq minutes pour faire votre exposé préliminaire, puis nous passerons directement à la première série de questions. Nous allons d'abord entendre le témoin.
Docteur Sareen, vous avez cinq minutes.
:
Merci beaucoup, madame la présidente.
Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser au Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir.
Je tiens à souligner que les campus de l'Université du Manitoba sont situés sur les terres ancestrales des peuples anishinabe, cri, oji-cri, dakota et déné, et sur la terre natale de la nation métisse. Nous respectons les traités qui ont été conclus sur ces territoires, nous reconnaissons les torts et les erreurs du passé et nous nous engageons à travailler en partenariat avec les communautés autochtones dans un esprit de réconciliation et de collaboration.
Au regard du sujet à l'étude, je n'ai aucune objection de conscience à l'aide médicale à mourir. Je suis psychiatre pour adultes et j'ai une expérience clinique et une expérience de recherche en prévention du suicide depuis plus de 20 ans, avec plus de 400 publications évaluées par des pairs, dont 150 sur la prévention du suicide.
En 2019, j'ai témoigné au nom du procureur général du Canada dans l'affaire Truchon. J'ai coprésidé le groupe d'experts fédéral de 2016 sur la prévention du suicide dans l'armée avec le Dr Rakesh Jetly.
Aujourd'hui, je représente le département de psychiatrie de l'Université du Manitoba et Soins communs Manitoba. Je suis accompagné du Dr Pierre Gagnon, directeur du département de psychiatrie de l'Université Laval, mais nous représentons également six autres directeurs de départements de psychiatrie dans plusieurs provinces du pays, dont Jack Haggarty, de l'École de médecine du Nord de l'Ontario, Karin Neufeld, de l'Université McMaster, Gustavo Turecki, de McGill, Sarah Noble, de l'Université Memorial, Simon Hatcher, de l'Université d'Ottawa, et Leslie Flynn, de l'Université Queen's. À nous tous, nous avons des décennies d'expérience dans la pratique clinique, dans la recherche sur le suicide et dans la responsabilité de l'éducation et de la formation des psychiatres et des étudiants en médecine.
Nous recommandons instamment de suspendre durablement l'élargissement de l'aide médicale à mourir aux troubles mentaux comme seul problème médical invoqué au Canada, tout simplement parce que nous ne sommes pas prêts. D'après notre expérience, les gens se remettent de longues périodes — par « longues », il faut comprendre des décennies — de dépression, d'anxiété, de schizophrénie et de toxicomanie grâce à des traitements fondés sur des données probantes. Nous sommes convaincus que l'accès à l'aide médicale à mourir en raison de troubles mentaux entraînera des décès inutiles au Canada et nuira aux efforts de prévention du suicide. Le rôle des médecins est de donner de l'espoir, et non d'acheminer les patients vers la mort.
Nous avons examiné attentivement le modèle de norme établi par Santé Canada en 2023 pour l'AMM. En septembre 2023, nous avons écrit aux ministres fédéraux pour leur faire part des préoccupations suivantes. La norme n'exige pas la participation d'un psychiatre au processus d'évaluation applicable à l'aide médicale à mourir en raison de troubles mentaux. Il n'existe aucune définition internationale ou reconnue de l'irrémédiabilité des troubles mentaux et de la toxicomanie. On peut bien examiner les traitements antérieurs, mais la question la plus importante est de savoir ce qui va se passer dans l'avenir. Il n'existe pas de définition opérationnelle reconnue pour différencier les idées suicidaires des demandes d'aide médicale à mourir chez les personnes qui ne sont pas mourantes. Les mesures de protection sont insuffisantes pour protéger les groupes vulnérables touchés de façon disproportionnée par les troubles mentaux. Compte tenu des obstacles géographiques, les patients des régions mal desservies seront plus susceptibles d'obtenir l'AMM plutôt que des soins fondés sur des données probantes. L'expérience internationale atteste clairement que l'aide médicale à mourir est utilisée dans des cas de troubles mentaux communs et traitables et qu'elle n'est pas réservée aux cas très rares et réfractaires. La norme de Santé Canada ne donne pas de directives aux psychiatres sur le nombre d'essais de traitement exigibles avant de recommander l'aide médicale à mourir, parce qu'il n'y a pas de données probantes à cet égard.
Les partisans de l'aide médicale à mourir estiment qu'il est discriminatoire d'exclure les personnes atteintes de troubles mentaux de l'accès à l'AMM, mais nous ne sommes pas du tout d'accord. L'équité ne signifie pas que chaque personne doive recevoir le même traitement. Contrairement aux conditions physiques qui déclenchent les demandes d'AMM, nous ne comprenons pas le fondement biologique des troubles mentaux et de la toxicomanie, mais nous savons que ces troubles peuvent être résorbés au fil du temps. La véritable discrimination et le manque d'équité consistent à ne pas fournir des soins aux personnes atteintes de troubles mentaux et de toxicomanie.
Les partisans de l'élargissement de l'AMM suggèrent que seul un petit nombre de psychiatres devraient être formés pour se préparer à l'AMM en 2024. Là non plus, nous ne sommes pas d'accord. Si l'admissibilité à l'AMM est élargie, tous les psychiatres canadiens devront s'interroger sur la façon de traiter les idées suicidaires dans le contexte de la maladie mentale. Ils devront déterminer quand aiguiller les patients vers l'AMM plutôt que de traiter les idées suicidaires au moyen de médicaments, de traitements et parfois d'une hospitalisation forcée.
Des sondages répétés au Canada montrent que la plupart des psychiatres ne sont pas en faveur de l'AMM. Quant à l'Association canadienne pour la santé mentale et à l'Association canadienne pour la prévention du suicide, elles s'opposent à l'élargissement de l'AMM aux troubles mentaux. Enfin...
Je l'ai constaté personnellement. L'histoire que j'allais vous raconter est celle d'une de mes patientes dans la soixantaine, atteinte de symptômes du TOC liés à un accident vasculaire cérébral. Je l'ai traitée pendant deux ou trois ans à l'aide de différents types de médicaments. Nous avons essayé les électrochocs, et nous avons pu l'aider à se sentir mieux au bout de cinq ans. Elle a encore vécu 10 ou 15 ans, et c'est la COVID‑19 qui l'a emportée.
Nous n'avons pas de données scientifiques. Comme vous l'avez dit, quand on a le cancer, c'est la biologie physique qui mène à la mort. Dans le cas des troubles mentaux, il n'y a pas de facteur biologique. C'est là qu'il est impossible de définir l'irrémédiabilité.
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Lorsqu'une personne qui est prise en charge pendant une longue période en raison d'une maladie chronique décide de se suicider, considérez-vous qu'il s'agit d'un échec de votre thérapie, ou considérez-vous que vous ne pouviez rien y faire?
En ce sens, ne trouvez-vous pas que certaines personnes, rendues à l'étape de votre patient — j'imagine que vous êtes un excellent psychiatre —, plutôt que de se suicider, auraient préféré choisir l'aide médicale à mourir?
Si oui, à la lumière de ce que vous avez vécu, n'aurait-il pas été préférable que ces gens aient accès à l'aide médicale à mourir plutôt que d'être amenés à se suicider après des années de traitement avec vous?
C'est une question simple.
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Non, ce n'est pas ainsi que je vois les choses. L'important, c'est la contagion du suicide. Quand une société offre l'AMM, la population croit que c'est un moyen de mettre fin à la souffrance. Dans d'autres pays où l'AMM est possible pour les troubles mentaux, il y a non seulement des décès attribuables à cette procédure, mais il y a aussi des décès attribuables à des suicides non liés à l'AMM.
Je tiens à souligner qu'il ne s'agit pas d'un mécanisme de prévention du suicide. C'est vraiment un moyen... On va non seulement faire augmenter le nombre de décès par suicide, mais aussi le nombre de décès liés à l'AMM.
Je rappelle qu'il y a beaucoup de maladies mentales et de dépendances non traitées dans notre société et qu'il faudrait consacrer beaucoup plus d'énergie à essayer de donner aux gens des soins fondés sur des données probantes plutôt que d'accorder autant d'importance à l'AMM. Des témoignages attestent que des gens de la Colombie-Britannique se sont présentés aux services d'urgence et que quelqu'un leur a demandé s'ils avaient songé à l'AMM. On a demandé à des anciens combattants s'ils n'aimaient pas mieux l'AMM qu'un fauteuil roulant.
Il faut vraiment réfléchir aux conséquences imprévues de l'accès à l'AMM pour troubles mentaux au Canada, et ces mesures de protection ne sont que de fausses garanties.
En fait, nous ne sommes pas d'accord pour aller plus loin à ce stade.
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Je n'ai qu'un commentaire pour commencer. Vous avez dit et répété qu'il n'y a pas encore de données probantes concernant l'AMM pour troubles mentaux. Je tiens à dire, aux fins du compte rendu, qu'il ne peut évidemment pas y en avoir. Ce n'est pas encore réglementé, et il est donc difficile de recueillir des données et des renseignements sur une pratique qui n'existe pas.
J'ai deux questions à vous poser. Je vais les poser toutes les deux, puis vous pourrez y répondre.
Qui représentez-vous exactement? Avez-vous consulté tous les psychiatres de vos départements, de vos hôpitaux ou de vos universités, ou vos directeurs de département? L'avez-vous fait?
Deuxièmement, pourriez-vous nous donner une définition juridique ou médicale, clinique, de la notion d'« incitation au suicide »? Est‑ce un fait médical? Est‑ce un concept juridique? Qu'est‑ce que cela signifie?
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Si cela vous convient, je vais répondre en français.
Non, il n'y a pas de consensus. C'est la raison pour laquelle l'Assemblée nationale du Québec a décidé de rejeter l'élargissement de l'accès à l'aide médicale à mourir aux personnes dont le seul problème médical est un trouble mental. On a eu tous ces débats et, évidemment, l'Association des médecins psychiatres du Québec a témoigné, entre autres.
Ce que le Dr Sareen vient de dire est tout à fait vrai, et cela a été répété au Québec aussi. On ne peut pas aller dans cette direction présentement. Nous ne sommes pas prêts. C'est pour cela que l'Assemblée nationale du Québec a décidé de ne même pas inscrire cela à son programme. C'est trop compliqué. Il y a de la controverse chez les patients, dans les familles, dans la population, chez les psychiatres, chez les politiciens, etc.
C'est un sujet qui demande une longue étude. C'est ce que voulait dire le Dr Sareen en mentionnant que nous demandons un report indéfini de cette mesure, parce que c'est extrêmement complexe et cela crée de la controverse sur tous les plans.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je voudrais proposer une motion pour que le Comité ordonne la production immédiate du module sept du programme de formation de l'ACEPA intitulé « AMM et troubles mentaux ».
Permettez-moi de commenter très brièvement la motion que je viens de présenter.
On a souvent invité le Comité à faire confiance au programme de l'ACEPA, en nous disant qu'il est solide et que nous pouvons avoir l'assurance que la formation est de la plus haute qualité possible. La question fondamentale est en l'occurrence celle de l'irrémédiabilité, de la capacité de prédire avec exactitude l'irrémédiabilité et de la distinction entre une demande rationnelle d'AMM et des idées suicidaires.
J'ai demandé à trois reprises à l'ACEPA de fournir les critères de son programme de formation. Elle ne l'a pas fait. Elle ne l'a pas fait non plus quand le sénateur Martin a fait un suivi. On nous a dit que c'était très compliqué et que c'était du cas par cas. C'est exactement ce qu'a dit le groupe d'experts, et c'est précisément la raison pour laquelle les directeurs de départements psychiatriques ont écrit une lettre demandant au gouvernement de retarder la mise en œuvre de l'AMM pour troubles mentaux, dont l'application serait entrée en vigueur en mars 2023. Il est très décevant de constater que, quand on demande à l'ACEPA de fournir son programme de formation au Comité, elle oppose de la résistance.
Monsieur le président, le Comité permanent a le pouvoir d'exiger la production de documents. À moins que l'ACEPA puisse invoquer une disposition réglementaire précise qui l'empêcherait de fournir cette information au Comité, elle sera dans l'obligation d'obtempérer si le Comité adopte la motion, faute de quoi elle se rendra coupable d'outrage au Parlement.
Compte tenu de la gravité des enjeux et de la mesure dans laquelle ce programme de formation sert de justification à la mise en œuvre de l'AMM pour troubles mentaux, l'ACEPA a l'obligation de fournir ce programme au Comité. Cela ne devrait pas être un grand secret.