DEDC Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
LE COMITÉ MIXTE SPÉCIAL SUR LA DÉCLARATION DE SITUATION DE CRISE
PROCÈS-VERBAL
OTTAWA, le jeudi 1 décembre 2022
(20)
[Français]
En vertu de l’ordre du Sénat du jeudi 22 septembre 2022 et l’ordre de la Chambre des communes du jeudi 23 juin 2022, le Comité mixte spécial sur la déclaration de situation de crise se réunit aujourd’hui, dans la pièce 025-B de l’édifice de l’Ouest, et avec vidéoconférence, à 18 h 31 HE, sous la présidence de l’honorable sénatrice Gwen Boniface (coprésidente).
Représentant le Sénat : Les honorables sénateurs Boniface, Carignan, c.p., Harder, c.p. et Patterson (Nunavut) (4).
Représentant la Chambre des communes : Rachel Bendayan, Larry Brock, Rhéal Éloi Fortin, Matthew Green, Glen Motz, Yasir Naqvi et Arif Virani (7).
Membres suppléants de la Chambre des communes : Kevin Lamoureux pour Arif Virani (1).
Participent à la réunion : Angus Wilson, greffier procédural par intérim, direction des comités du Sénat; Stephanie Feldman, Colin Sawatzky et Iryna Zazulya, analystes, Bibilothèque du Parlement.
Conformément à l’ordre de renvoi adopté par le Sénat le jeudi 3 mars 2022 et la Chambre des communes le mercredi 2 mars 2022, le comité poursuit son examen de l’exercice des attributions découlant de la déclaration de situation de crise en vigueur du lundi 14 février 2022 au mercredi 23 février 2022.
TÉMOINS :
Centre intégré d'évaluation du terrorisme :
Marie-Hélène Chayer, directrice exécutive.
Bureau du Conseil privé :
Jody Thomas, conseillère en sécurité national et au renseignement;
Martin Green, secrétaire adjoint du Cabinet, Évaluation du renseignement;
Mike MacDonald, secrétaire adjoint du Cabinet, Sécurité et renseignement.
GiveSendGo :
Jacob Wells, cofondateur (par vidéoconférence).
Jody Thomas fait une déclaration puis, avec Marie-Hélène Chayer, Martin Green et Mike MacDonald, répond aux questions.
À 18 h 56, M. Green assume la présidence du comité.
À 19 h 1, l’honorable sénatrice Boniface assume la présidence du comité.
À 19 h 43, la séance est suspendue.
À 19 h 50, la séance reprend.
M. Motz donne préavis de la motion suivante :
Qu’il soit ordonné aux coprésidents de présenter sans délai le rapport provisoire suivant à chaque Chambre :
- Le Comité mixte spécial sur la déclaration de situation de crise, agissant à titre de comité d’examen parlementaire en vertu de l’article 62 de la Loi sur les mesures d’urgence, et conformément à ses ordres de renvoi de la Chambre des communes et du Sénat, adoptés respectivement le 2 mars 2022 et le 3 mars 2022, a examiné l’exercice des pouvoirs et l’accomplissement des tâches et des fonctions conformément à la déclaration d’urgence d’ordre public qui était en vigueur du 14 au 23 février 2022.
- Malgré le fait qu’un secrétaire parlementaire ait insisté pour que ce mandat soit interprété de telle sorte qu’il « n’a aucun élément rétrospectif qui nous permettrait de nous pencher sur les événements qui ont précédé la déclaration » (Témoignages, 24 mars 2022, page 5), votre comité, lors de sa réunion du 5 avril 2022, a adopté une motion selon laquelle il étudierait
« des options auxquelles le gouvernement du Canada a eu recours durant l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence et qui sont énoncées dans la Proclamation déclarant une urgence d’ordre public ; Que dans la présente étude de chaque option et aux fins du rapport final du comité, ce dernier tienne compte de la nécessité, de la mise en œuvre et de l’incidence que pourraient avoir ces options… »
- À cette fin, l’un des domaines d’intérêt important dans l’interrogation des témoins tout au long des travaux de votre comité a été de savoir si les seuils nécessaires pour que le gouvernement déclare une urgence d’ordre public avaient été atteints.
- Étant donné la pertinence particulière des enjeux qui seront abordés dans le présent rapport périodique, votre comité souhaite les exposer ci-dessous.
- Le paragraphe 17(1) de la Loi sur les mesures d’urgence prévoit ce qui suit :
Le gouverneur en conseil peut par proclamation, s’il croit, pour des motifs raisonnables, qu’il se produit un état d’urgence justifiant en l’occurrence des mesures extraordinaires à titre temporaire et après avoir procédé aux consultations prévues par l’article 25, faire une déclaration à cet effet.
- L’article 16 de la Loi sur les mesures d’urgence offre des définitions pertinentes :
état d’urgence Situation de crise causée par des menaces envers la sécurité du Canada d’une gravité telle qu’elle constitue une situation de crise nationale ;
menaces envers la sécurité du Canada S’entend au sens de l’article 2 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité.
- Une « urgence nationale » est, quant à elle, définie par l’article 3 de la Loi sur les mesures d’urgence :
Pour l’application de la présente loi, une situation de crise nationale résulte d’un concours de circonstances critiques à caractère d’urgence et de nature temporaire, auquel il n’est pas possible de faire face adéquatement sous le régime des lois du Canada et qui, selon le cas :
(a) met gravement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens et échappe à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces ou ;
(b) menace gravement la capacité du gouvernement du Canada de garantir la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale du pays.- Enfin, la définition de « menaces à la sécurité du Canada » de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, parfois surnommée « le seuil de la Loi sur le SCRS », qui est importée dans la Loi sur les mesures d’urgence, est la suivante :
menaces envers la sécurité du Canada
Constituent des menaces envers la sécurité du Canada les activités suivantes :
(a) l’espionnage ou le sabotage visant le Canada ou préjudiciables à ses intérêts, ainsi que les activités tendant à favoriser ce genre d’espionnage ou de sabotage ;
(b) les activités influencées par l’étranger qui touchent le Canada ou s’y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts, et qui sont d’une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque ;
(c) les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger ;
(d) les activités qui, par des actions cachées et illicites, visent à saper le régime de gouvernement constitutionnellement établi au Canada ou dont le but immédiat ou ultime est sa destruction ou son renversement, par la violence.
La présente définition ne vise toutefois pas les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord qui n’ont aucun lien avec les activités mentionnées aux alinéas a) à d).- L’importance de ces seuils a été expliquée à votre comité par l’honorable Perrin Beatty, C.P., O.C., qui, à titre de ministre de la Défense nationale, était le parrain de l’ancien projet de loi C-77 qui a promulgué la Loi sur les mesures d’urgence — ou le soi-disant « auteur » de la loi — et qui a comparu devant votre comité le 29 mars 2022.
- M. Beatty a dit que le choix du seuil de la Loi sur le SCRS était délibéré « en raison du soin qui a été apporté à sa rédaction » (Témoignages, page 17). Il a ajouté,
Deux critères très stricts doivent être respectés pour pouvoir déclarer l’état d’urgence. Le premier consiste à établir l’existence d’une urgence grave ne pouvant être gérée efficacement en vertu d’aucune autre loi du Canada. Le second est qu’elle doit répondre à la définition de menaces à la sécurité du Canada établie pour protéger les droits des Canadiens, laquelle exclut explicitement « les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord ». Témoignages, page 17)
- L’honorable David Lametti, C.P., c.r., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada, a comparu devant votre comité le 26 avril 2022. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait reçu des avis écrits selon lesquels la Loi sur les mesures d’urgence devrait être invoquée, il a refusé de répondre en invoquant le secret professionnel de l’avocat (Témoignages, page 20).
- De même, tout en invoquant le privilège du secret professionnel de l’avocat lorsqu’on lui a demandé quels faits ou considérations avaient été fournis lors de la formulation d’avis concernant le seuil de la Loi sur le SCRS, M. Lametti a fait le commentaire suivant,
Tout d’abord, le document que nous avons déposé décrit la nature des diverses menaces qui pesaient sur le pays, y compris celles que vous avez relevées avec justesse dans votre question. Nous avons estimé que ces menaces répondaient à la définition de menaces graves contre des personnes selon la Loi sur le SCRS — voilà l’élément principal. Il y a aussi les dommages économiques, qui pourraient être considérés comme faisant partie de la question des biens. (Témoignages, page 21).
- Face à cette affirmation, votre comité, le 31 mai 2022, a exercé son pouvoir de convoquer des personnes, des documents et des dossiers et a ordonné la production de ce qui suit
toutes les évaluations de sécurité et tous les avis juridiques sur lesquels le gouvernement s’est appuyé pour déterminer que : a) le seuil des « menaces à la sécurité du Canada », tel que défini par l’article 2 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, requis par l’article 16 de la Loi sur les mesures d’urgence, avait été atteint ; b) les seuils requis par les paragraphes 3a) ou b) de la Loi sur les mesures d’urgence, concernant une « urgence nationale », avaient été atteints ; c) la situation ne pouvait « être réglée efficacement sous le régime d’aucune autre loi du Canada », comme l’exige l’article 3 de la Loi sur les mesures d’urgence….
- François Daigle, sous-ministre de la Justice et sous-procureur général du Canada, a répondu à cette ordonnance, le 29 juin 2022, en écrivant, « Après une pleine considération, notre ministère a déterminé que tous les avis juridiques détenus qui pourraient répondre à l’ordonnance du Comité sont assujettis au secret professionnel de l’avocat. » Il a ajouté, « je confirme que je ne suis pas en mesure de produire les avis juridiques demandés dans l’ordonnance du Comité. »
- Lors de sa réunion suivante, le 22 septembre 2022, votre comité a convenu qu’il
considère que les éléments de preuve, y compris les témoignages et les documents, reçus par… la Commission sur l’état d’urgence, et publiés sur leurs sites Web, relativement à l’état d’urgence de février 2022 et aux questions qui en découlent, ont été reçus par le comité et peuvent être utilisés dans ses rapports…
- La question de l’interprétation des seuils, y compris celui de la Loi sur le SCRS, est devenue dernièrement un enjeu central dans les procédures devant la Commission de l’état d’urgence.
- Selon une entrevue préalable à l’audience tenue avec l’avocat de la Commission, David Vigneault, le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité,
a dit qu’à aucun moment, le Service n’a jugé que les manifestations à Ottawa ou ailleurs… constituaient une menace pour la sécurité du Canada au sens de l’article 2 de la Loi sur le SCRS, et rappelé que le SCRS ne peut enquêter sur une activité constituant une manifestation licite…
M. Vigneault a insisté sur le fait que le seuil imposé par la Loi sur le SCRS et en vertu duquel le Service fonctionne est très précis. Par exemple, le fait de déterminer qu’un événement ne constitue pas une menace pour la sécurité nationale en vertu de l’article 2 de la Loi n’empêche pas de déterminer qu’il existe une menace pour la sécurité nationale selon une définition plus large, ou du point de vue de la population. (document de la Commission WTS.00000060.FR, page 6)
- Malgré les protestations de février, « qu’à aucun moment », constituaient une menace de façon à déclencher les propres seuils d’enquête du Service qui, en vertu de l’article 12 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, est fondé sur des motifs raisonnables de soupçonner — une norme juridique beaucoup plus basse que le fardeau du gouverneur en conseil, en vertu de l’article 17 de la Loi sur les mesures d’urgence, de motifs raisonnables de croire — M. Vigneault a recommandé au premier ministre de déclarer un état d’urgence, « puisqu’il comprenait que la Loi sur les mesures d’urgence définissait la menace à la sécurité du Canada plus largement que la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et compte tenu de tout ce qu’il avait vu jusque-là » (document de la Commission WTS.00000079.FR, page 9).
- Dans son témoignage public, le 21 novembre 2022, M. Vigneault a confirmé avoir reçu des conseils l’encourageant à appliquer une définition plus large au seuil de la Loi sur le SCRS de la Loi sur les mesures d’urgence :
Donc, lorsque cela a été soulevé pour la première fois, le fait que la Loi sur les mesures d’urgence utilisait les mêmes mots que la Loi sur le SCRS pour définir la menace, ainsi importée dans la Loi sur les mesures d’urgence, j’avais besoin de comprendre pour moi- même et pour, vous savez, le cours de cette affaire, quelle était l’implication de cela.
Et c’est là qu’on m’a assuré que, vous savez, ils étaient — c’était une compréhension distincte. Vous savez, dans les limites de la Loi sur le SCRS, les mêmes mots, selon l’interprétation juridique, la jurisprudence, les décisions de la Cour fédérale et ainsi de suite, il y avait une compréhension très claire de ce que ces mots signifiaient dans les limites de la Loi sur le SCRS, et ce qui m’a rassuré, c’est qu’il y avait, vous savez, dans le contexte de la Loi sur les mesures d’urgence, une interprétation distincte basée sur les limites de cette loi. (transcription de la Commission, page 58 (traduction))
- En contre-interrogatoire par l’avocat de l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC), M. Vigneault a reconnu que c’était le résultat d’un avis juridique qu’il avait demandé au ministère de la Justice (transcription de la Commission, page 95).
- Cette nouvelle interprétation d’une « définition plus large » est devenue un thème dans les témoignages des ministres et des hauts fonctionnaires devant la Commission.
- Jody Thomas, conseillère en matière de sécurité nationale et de renseignement auprès du premier ministre, a comparu devant la Commission le 17 novembre 2022. Elle a affirmé : « D’après ce que je comprends, la Loi sur les mesures d’urgence a le sens que lui donne la Loi sur le SCRS, mais elle n’est pas limitée par cette dernière », et « elle peut aller au-delà de ce que dit la Loi, c’est-à-dire une menace pour la sécurité du Canada » (transcription de la Commission, pages 238 et 239 (traduction)).
- Lors d’un contre-interrogatoire par l’avocat de l’ACLC, le 17 novembre 2022, sur le seuil « dans la Loi sur les mesures d’urgence [étant] lié exclusivement et exhaustivement à la définition dans la Loi sur le SCRS », Mme Thomas a répondu, « L’avis juridique du gouvernement fédéral est différent » (transcription de la Commission, page 271 (traduction)).
- Pour sa part, Janice Charette, greffière du Conseil privé et secrétaire du Cabinet, qui a comparu le 18 novembre 2022, a expliqué : « C’est un processus distinct du gouverneur en conseil qui s’appuie sur la définition qui a une construction différente. » (transcription de la Commission, page 197 (traduction))
- Nathalie Drouin, sous greffière du Conseil privé et secrétaire associée du Cabinet, et ancienne sous-procureure générale, qui a fait partie d’un groupe d’experts avec Mme Charette, a offert cette perspective lors du contre-interrogatoire :
l’idée était de s’assurer que nous interprétons, avec les adaptations nécessaires, l’incorporation par référence…
Je suppose que ce que je veux dire ici, c’est que lorsque le législateur a adopté la Loi sur les mesures d’urgence et lorsque le législateur a adopté la Loi sur le SCRS, c’était à des fins différentes. Le but de mener une enquête en vertu de la Loi sur le SCRS n’est pas le même que celui de déclencher ou d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence pour un état d’urgence. (transcription de la Commission, page 218 (traduction))
- L’honorable Bill Blair, C.P., C.O.M., député, président du Conseil privé du Roi pour le Canada et ministre de la Protection civile, a déclaré à la Commission, le 21 novembre 2022,
« aux fins de la Loi sur les mesures d’urgence, je crois que cette définition a une application plus large que celle qu’elle contient ». (transcription de la Commission, page 309 (traduction))- L’honorable Marco Mendicino, C.P., député, ministre de la Sécurité publique, a affirmé que « le seuil a été atteint dans l’interprétation plus large de la loi ». (transcription de la Commission, page 197 (traduction))
- Entre-temps, l’honorable Dominic LeBlanc, C.P., c.r., député, ministre des Affaires intergouvernementales, de l’Infrastructure et des Collectivités, qui a également comparu le 22 novembre 2022, a assuré la Commission que « Mon collègue, David Lametti, sera ici demain. Il sera en mesure, j’en suis sûr, de parler directement du test juridique que le gouvernement a utilisé et conclu lorsque le gouverneur en conseil a pris la décision. » (transcription de la Commission, page 296 (traduction))
- M. Lametti, pour sa part, lors de sa comparution le 23 novembre 2022, a tenté de résoudre la quadrature du cercle sur l’interprétation du seuil : « bien qu’il s’agisse de la même norme de la même ampleur, l’interprétation de cette norme est faite selon un ensemble plus large de critères par un ensemble très différent de personnes ayant un objectif différent à l’esprit, et cet objectif est donné par la Loi sur les mesures d’urgence et non par la Loi sur le SCRS. » (transcription de la Commission, page 81 (traduction))
- Il a ensuite clarifié,
Le seuil, tel qu’il est appliqué, comme vous l’avez vu dans les témoignages devant cette Commission, a évolué. Les règles générales d’interprétation ont évolué. L’objet de cette loi est très différent…. les mêmes mots auront, non pas un sens plus large, mais pourront être — auront un champ d’interprétation plus large, selon la structure même de la Loi sur les mesures d’urgence. Et je pense que c’est l’interprétation que je vous soumettrais comme étant celle qui se vérifie le mieux dans la pratique et qui est correcte. (transcription de la Commission, pages 83 et 84 (traduction))
- Malheureusement, lorsqu’on lui a demandé d’expliquer les assurances dont M. Vigneault a parlé, et qui sont citées ci-dessus, M. Lametti n’a pas pu répondre (transcription de la Commission, page 170).
- Le très honorable Justin Trudeau, C.P., député, premier ministre, était le dernier témoin devant la Commission le 25 novembre 2022, et il a également été interrogé sur la question du seuil de la Loi sur le SCRS. Pour sa part, M. Trudeau a expliqué,
L’utilisation de la définition de la Loi sur le SCRS, comme je l’ai déjà dit, s’inscrit dans deux contextes très différents : l’utilisation par le SCRS et l’utilisation dans l’invocation d’un état d’urgence. Le contexte est différent, l’objectif est différent, le décideur est différent. Les exigences qui l’entourent, les intrants sont différents. (transcription de la Commission, pages 72 et 73 (traduction))- Il suffit de dire que l’enjeu en suspens de l’interprétation juridique nouvelle — et que certains, comme l’ACLC, ont qualifiée de « créative » — est devenu un enjeu très important dans les dossiers soumis à votre comité et à la Commission. En effet, elle a été un irritant pour plus que certains des membres de votre comité.
- L’avocat de la Commission, Gordon Cameron, a fait remarquer, à la fin de l’interrogatoire de M. Lametti, que la Commission avait « tenté de trouver un moyen de lever le voile qui a fait de ce qui s’est avéré être un enjeu central de l’audience une boîte noire », en déplorant que « nous regrettons simplement que cela se solde par une absence de transparence de la part du gouvernement dans cette procédure ». (transcription de la Commission, page 171 (traduction))
- L’honorable Paul Rouleau, commissaire de la Commission, a effectivement ajouté à cette observation,
comme l’a mentionné l’avocat de la Commission, il y a un enjeu de caractère raisonnable. Et j’ai un peu de mal, et je ne sais pas si vous pouvez m’aider, à évaluer le caractère raisonnable lorsque nous ne savons pas sur quoi ils agissaient. Et devons-nous simplement présumer qu’ils ont agi de bonne foi sans connaître la base ou la structure dans laquelle ils ont pris cette decision ? Et vous savez de quoi je parle. (transcription de la Commission, page 176 (traduction))
- En fait, cela se résume à un argument du type « faites-nous confiance » quant à la justification de la proclamation d’un état d’urgence qui permet au Cabinet fédéral de légiférer par décret et de le faire sur des questions qui sont normalement de compétence provinciale.
- Pourquoi le gouvernement adopterait-il une telle ligne de conduite et resterait-il si opaque dans ce domaine? Cela soulève de nombreuses questions, invite à la spéculation et incite à rechercher d’autres éléments de preuve afin de tirer des conclusions.
- Par exemple, au fur et à mesure que d’autres documents présentés à la Commission sont apparus, il est devenu évident que M. Lametti était peut-être depuis longtemps un partisan de l’action énergique, allant jusqu’à l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence.
- Notamment, le troisième jour des manifestations, il a envoyé un SMS à son chef de cabinet : « Avons-nous prévu que ces camions soient retirés demain ou mardi ? Quelle autorité normative avons-nous ou un ordre est-il nécessaire ? Loi sur les mesures d’urgence ? » (document de la Commission SSM.CAN.00007845_REL.0001 (traduction)). Le 2 février 2022, il envoyait un message à M. Mendicino : « Vous devez faire bouger la police. Et les [Forces armées canadiennes] si nécessaire. » (Document de la Commission SSM.CAN.00007851_REL.0001 (traduction))
- Entre-temps, les interventions de M. Lametti lors d’une réunion du 5 février 2022 ont incité le commissaire adjoint de la Gendarmerie royale du Canada, Mark Flynn, M.O.M., à faire remarquer à ses collègues lors d’une discussion de groupe : « Quand le VG parle comme ça, nous ferions mieux de mettre en place notre propre plan ». Quelques minutes plus tôt, dans la même discussion de groupe, la commissaire de la GRC Brenda Lucki, C.O.M., a écrit : « J’ai besoin de le calmer », puis, en même temps que la remarque du commissaire adjoint Flynn au sujet de M. Lametti, elle a ajouté : « ok, donc le calme n’est pas dans les cartes » (document de la Commission PB.NSC.CAN.00008043_REL.0001 (traduction)).
- Au cours des dix minutes qui ont immédiatement suivi l’intervention de M. Lametti qui avait fait tant de bruit, la commissaire Lucki a envoyé au commissaire de la police provinciale de l’Ontario, Thomas Carrique, O.O.M., plusieurs messages, dont les suivants :
- « Entre toi et moi seulement, le GOC perd/a perdu confiance dans SPO… nous devons passer à une action/application sûre »
- « Parce que s’ils veulent aller à la Loi sur les mesures d’urgence, toi ou peut être amené à diriger… ce n’est pas quelque chose que je veux »
- « J’essaie de les calmer, mais ce n’est pas facile lorsqu’ils voient des grues, des structures, des chevaux, des châteaux gonflables dans le centre-ville d’Ottawa ».
- Des suggestions pour les calmer ? »
(document de la Commission OPP00004583 (traduction))
- Se pourrait-il que le procureur général (et peut-être d’autres de ses collègues du Cabinet) ait été tellement attaché à l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence que tout conseil juridique a été modelé pour donner la réponse souhaitée ?
- Il est certain que des doutes sur la solidité des arguments en faveur de l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence sont reconnus par Mme Charette dans sa note de service du 14 février 2022 à M. Trudeau recommandant la déclaration de l’état d’urgence : « De l’avis du BCP, cette situation s’inscrit dans les paramètres statutaires définissant les menaces à la sécurité du Canada, bien que cette conclusion puisse être vulnérable à la contestation. » (document de la Commission SSM.NSC.CAN.00003224_REL.0001, page 8 (traduction))
- Ces enjeux incitent votre comité à revoir ses ordonnances antérieures de production des avis juridiques sur lesquels le gouvernement s’est appuyé — à la fois pour le travail de votre comité et pour celui de la Commission sur l’état d’urgence. Comme M. Beatty l’avait expliqué à votre comité, lors de sa comparution le 29 mars 2022,
Si vous examinez les mesures prises par le gouvernement à la suite de l’invocation de la Loi et que vous découvrez des preuves indiquant qu’il n’était pas approprié d’invoquer cette loi, alors tout ce qui en a découlé serait également inapproprié. Il me semble qu’il s’agit ici de la même chose. (Témoignages, page 19)
- Il est nécessaire, pour une transparence totale, que soient divulgués tous les avis juridiques sur lesquels le gouvernement s’est appuyé pour déclarer le toute premier état d’urgence au Canada, afin que nous puissions déterminer si cela était approprié ou non. Nous avons des questions auxquelles nous voulons des réponses.
- Le droit primordial qu’ont les membres des comités d’obtenir une réponse à leurs questions découle du pouvoir des deux Chambres de procéder à des enquêtes, de convoquer des personnes et de demander la production de documents et de dossiers. De tels privilèges parlementaires sont définis dans le préambule et à l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, ainsi qu’à l’article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada. Les deux Chambres ont délégué ces pouvoirs aux membres du votre comité, par l’entremise des ordonnances des Chambres visant à former le Comité.
- Vu leur nature constitutionnelle, les pouvoirs d’un comité l’emportent sur le droit législatif et les autres privilèges, comme le secret professionnel de l’avocat. En ce qui concerne les documents, il n’existe aucune limite quant à la nature des documents qui peuvent être exigés ; les seuls préalables étant qu’ils existent en format papier ou électronique et qu’ils soient au Canada. Il peut s’agir de documents et de dossiers qui émanent ou qu’ont en leur possession des gouvernements, mais aussi de documents du secteur privé ou de la société civile (La procédure et les usages de la Chambre des communes, 3e éd., p. 984 ; voir aussi La Procédure du Sénat en pratique, p. 199-200).
- Il peut arriver que les auteurs ou les responsables de documents refusent de les fournir aux comités ou qu’ils acceptent de le faire uniquement après en avoir expurgé certaines parties. Il arrive aussi que les fonctionnaires et les ministres invoquent les obligations que leur imposent certaines lois pour justifier leur refus, notamment la Loi sur la protection des renseignements personnels ou la Loi sur l’accès à l’information (La procédure et les usages de la Chambre des communes, 3e éd., p. 985).
- Comme le précise La procédure et les usages de la Chambre des communes, ce genre de situation ne limite pas le pouvoir des comités d’exiger la production de documents et de dossiers :
Aucune loi ou pratique ne vient diminuer la plénitude de ce pouvoir dérivé des privilèges de la Chambre, à moins que des dispositions légales le limitent explicitement ou que la Chambre ait restreint ce pouvoir par résolution expresse. Or, la Chambre n’a jamais fixé aucune limite à son pouvoir d’exiger le dépôt de documents et de dossiers (La procédure et les usages de la Chambre des communes, 3e éd., p. 985 ; voir aussi la décision du Président Milliken du 27 avril 2010, Débats, p. 2039–2045 et du 9 mars 2011, Débats, p. 8840–8842, et la décision du Président Rota du 16 juin 2021, Débats, p. 8548–8550).
- De même, comme il est indiqué dans Erskine May, 25e éd., au paragraphe 38.32, la Chambre des communes du Royaume-Uni considère que le pouvoir d’exiger des documents ne fait pas l’objet d’une exception législative :
[traduction] Il n’existe pas de restriction au pouvoir des comités d’exiger la production de documents d’organismes privés ou de particuliers si ce n’est que les documents demandés doivent être pertinents pour le travail du comité, tel que défini par son ordre de renvoi. Des comités restreints ont formellement ordonné au président d’une industrie nationalisée et d’une société privée de produire des documents. Des avocats ont reçu l’ordre de produire des documents concernant un client et un organisme de réglementation a reçu l’ordre de produire des documents dont la divulgation faisait l’objet d’une restriction législative.
- Ces dernières années, il y a eu un cas très médiatisé où la Chambre des communes du Royaume-Uni a insisté sur la production d’avis juridiques du gouvernement lorsque, au milieu des débats sur le Brexit, le 13 novembre 2018, elle a adopté une motion exigeant la production de
[traduction] tous les avis juridiques complets, entre autres celui fourni par le procureur général, sur l’accord de retrait proposé relativement aux conditions encadrant la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, notamment l’accord sur le filet de sécurité entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande et le cadre pour les futures relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.
- Le 3 décembre 2018, le procureur général d’Angleterre et du Pays de Galles a présenté au Parlement un document présentant les répercussions juridiques globales de l’accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne signé le 25 novembre 2018. Le même jour, il a fait une déclaration à la Chambre ; ni le document ni la déclaration ne faisaient référence à la résolution du 13 novembre 2018, et le document n’avait pas pour but de constituer une réponse à la résolution de la Chambre.
- Plus tard dans la journée, après que les représentants de cinq partis d’opposition ont allégué que le gouvernement n’avait pas produit les documents requis, M. le Président Bercow a jugé qu’il y avait présomption suffisante d’outrage (Official Report, colonne 625). La Chambre des communes, le 4 décembre 2018, a adopté la motion suivante :
[traduction] Que la Chambre : conclue que, en ne se conformant pas à l’exigence de l’ordre de dépôt de documents adopté le 13 novembre 2018 de publier intégralement l’avis juridique final que le procureur général a fourni au Cabinet concernant l’accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ainsi que le cadre de travail pour l’avenir de la relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, les ministres ont commis un outrage ; ordonne la publication immédiate dudit document.
- Le lendemain, le gouvernement a produit un exemplaire complet et non censuré des conseils juridiques du procureur général. Le procureur général a affirmé s’être conformé à l’ordre de la Chambre du 4 décembre, « par respect pour la position constitutionnelle de la Chambre. » (Comité de procédure de la Chambre des communes du Royaume-Uni, « The House’s power to call for papers : procedure and practice » (2019), paragraphe 68 (traduction))
- Votre comité souhaite attirer l’attention sur ce qui semble être une possible violation de privilège, en relation avec la production d’un avis juridique en réponse à son ordre du 31 mai 2022, et recommande que la Chambre prenne les mesures jugées nécessaires.
- En outre, votre comité fait la recommandation suivante :
Qu’un ordre soit donné pour tous les avis juridiques sur lesquels le gouvernement s’est appuyé pour déterminer que
(a) le seuil des « menaces à la sécurité du Canada », tel que défini par l’article 2 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, requis par l’article 16 de la Loi sur les mesures d’urgence, avait été atteint ;
(b) les seuils requis par les paragraphes 3(a) ou (b) de la Loi sur les mesures d’urgence, concernant une « urgence nationale », ont été atteints ; et
(c) la situation ne pouvait pas « être réglée efficacement sous le régime d’une autre loi du Canada », comme l’exige l’article 3 de la Loi sur les mesures d’urgence,
à condition que(d) ces documents soient déposés au Bureau du légiste et conseiller parlementaire, dans les deux langues officielles, dans les 14 jours ;
(e) une copie des documents soit également déposée au Bureau du légiste et du conseiller parlementaire, dans les deux langues officielles, dans les 14 jours, avec toute proposition de rédaction de renseignements qui, de l’avis du gouvernement, pourraient raisonnablement compromettre la sécurité nationale ;
(f) le Bureau du légiste et conseiller parlementaire avise sans délai le président de la Chambre, qui informe immédiatement le Sénat ou la Chambre, selon le cas, s’il est convaincu que les documents demandés ont été produits conformément à l’ordonnance, à condition que le président de la Chambre, si le Sénat ou la Chambre, selon le cas, est ajourné, dépose l’avis du Bureau du légiste et conseiller parlementaire sur le Bureau conformément à la règle 14-1(6) du Sénat ou à l’article 32(1) du Règlement de la Chambre, selon le cas ;
(g) le Bureau du légiste et conseiller parlementaire transmet à la Commission sur l’état d’urgence une copie des documents non expurgés visés à l’alinéa (d), dès leur reception ;
(h) le Président du Parlement fait déposer sur le Bureau les documents expurgés en vertu du paragraphe e) à la première occasion et, après avoir été déposés, ils sont renvoyés à la Comité mixte spéciale sur la déclaration de situation de crise ;
(i) les représentants du Bureau du légiste et du conseiller parlementaire discuteront avec le comité, lors d’une réunion à huis clos qui se tiendra dans le mois suivant le dépôt des documents expurgés, de son accord ou non avec les expurgations proposées par le gouvernement ; et
(j) le comité peut, après avoir entendu le Bureau du légiste et du conseiller parlementaire, accepter les expurgations proposées ou en rejeter une partie ou la totalité et demander la production des documents non expurgés de la manière déterminée par le comité ;
Qu’il soit ordonné au greffier d’aviser la Commission sur l’état d’urgence de l’adoption de la présente ordonnance ; et
Qu’un message soit envoyé à l’autre Chambre pour l’informer en conséquence.
- Une copie des procès-verbaux pertinents (séances no XX) est déposée.
À 20 h 16, M. Green assume la présidence du comité.
À 20 h 22, l’honorable sénatrice Boniface assume la présidence du comité.
À 20 h 35, la séance est suspendue.
À 20 h 41, la séance reprend.
Jacob Wells fait une déclaration puis répond aux questions.
À 21 h 6, M. Green assume la présidence du comité.
À 21 h 12, l’honorable sénatrice Boniface assume la présidence du comité.
À 21 h 28, la séance est levée jusqu’à nouvelle convocation de la coprésidence.
ATTESTÉ :
Les cogreffiers du comité,
Miriam Burke
Mark Palmer