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DEDC Rapport du Comité

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Rapport complémentaire du Bloc Québécois [DEDC]

Le Bloc Québécois tient d’abord à remercier les témoins pour leurs précieux témoignages au sujet de l’occupation de la Colline parlementaire du 28 janvier au 20 février 2022, ainsi que des événements collatéraux qui se sont produits. Le Comité a également considéré la partie de la preuve présentée devant la Commission Rouleau, qui avait été rendue disponible et traduite, afin d’examiner le contexte et la pertinence de la déclaration de la situation de crise. L’état d’urgence, au sens de la Loi sur les mesures d’urgence, a été en vigueur du 14 au 23 février 2024.

Nous sommes d’avis qu’un tel rapport, de par son importance dans la vie démocratique des citoyens, aurait mérité des conclusions claires et constructives. À elle seule, l’absence de conclusions au présent rapport justifie, selon nous, la présentation d’un rapport complémentaire afin de faire connaître les nôtres.

À titre de remarque préliminaire, nous sommes d’avis qu’étant donné la nature et les intentions de cette manifestation, elle était, dès le départ, un « attroupement illégal » et les corps policiers auraient pu agir beaucoup plus rapidement pour contrecarrer les plans d’occupation du groupe de manifestants. Cette constatation nous semble évidente lorsqu’on lit la note de renseignement préparée par la PPO et envoyée au SPO avant l’arrivée du convoi[1]. D’ailleurs, l’article 63(1) et (2) du Code criminel est clair à ce propos :

« 63 (1) Un attroupement illégal est la réunion de trois individus ou plus qui, dans l’intention d’atteindre un but commun, s’assemblent, ou une fois réunis se conduisent, de manière à faire craindre, pour des motifs raisonnables, à des personnes se trouvant dans le voisinage de l’attroupement :

a) soit qu’ils ne troublent la paix tumultueusement;

b) soit que, par cet attroupement, ils ne provoquent inutilement et sans cause raisonnable d’autres personnes à troubler tumultueusement la paix.

              Quand une assemblée légitime devient un attroupement illégal

(2) Une assemblée légitime peut devenir un attroupement illégal lorsque les         personnes qui la composent se conduisent, pour un but commun, d’une façon qui        aurait fait de cette assemblée un attroupement illégal si elles s’étaient réunies de       cette manière pour le même but »[2].

Le Bloc Québécois est d’avis que non seulement le gouvernement du Canada n’avait pas à invoquer la Loi sur les mesures d’urgence, mais que sa décision de le faire est principalement due à sa gestion chaotique et désorganisée des événements. Les prochains paragraphes seront consacrés à étayer les arguments nous permettant d’en arriver à cette conclusion.

  • 1.                  L’OBLIGATION DE CONSULTATIONS ET LA DÉTERMINATION DE LA ZONE DÉSIGNÉE

Dans un premier temps, malgré l’obligation de consulter les premiers ministres du Québec et des provinces, prévue à l’article 25 de la Loi sur les mesures d’urgence, le gouvernement du Canada n’a pas tenu compte de leurs avis. En effet, la majorité des provinces, soit sept sur dix, étaient en défaveur de l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence : seules l’Ontario, la Colombie-Britannique et Terre-Neuve-et-Labrador la jugeaient nécessaire[3]. Au terme de cet exercice, même en étant informés des avis contraires des provinces, le gouvernement fédéral a tout-de-même choisi de déclarer l’état d’urgence. La justification du gouvernement fédéral à cet effet était assez extraordinaire : « […] la crainte d’une fuite de l’information et la possibilité qu’une déclaration d’état d’urgence puisse provoquer la colère des manifestants et augmenter le risque de violence »[4]

Fuite ou non, il était évident que l’objectif du gouvernement fédéral était de proclamer l’état d’urgence. Une augmentation de la pression de la part des manifestants n’aurait, au contraire, que valider leur décision.

Dans le but d’éviter qu’un tel contournement des objectifs des consultations se reproduise, le Bloc Québécois recommande de modifier l’article 25 de la Loi sur les mesures d’urgence afin d’obliger le Gouverneur en conseil à justifier les motifs soutenant sa décision de passer outre l’avis de ses homologues. Ces motifs devront être inscrits à même la déclaration prévue à l’article 17 de la présente loi.

Dans un deuxième temps, la décision d’imposer l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire était, à notre avis, tout aussi injustifiée, d’autant plus que le paragraphe 17(2)c) de la Loi sur les mesures d’urgence permet précisément au gouvernement de limiter l’application de l’état d’urgence à un territoire précis.

Cette disposition a justement pour objectif d’éviter de porter atteinte, de façon déraisonnable, aux droits et libertés des individus. Le gouvernement fédéral, dans sa gestion désordonnée et chaotique de la crise, a opté pour la voie facile en appliquant la proclamation sur tout le territoire, et non pas seulement à des endroits précis. D’ailleurs, la Cour fédérale appuie notre raisonnement dans un jugement sur la question rendu le 29 janvier 2024, en affirmant que :

« Selon l’alinéa 17(2)c) de la Loi, si l’état d’urgence ne touche pas tout le Canada, la déclaration d’état d’urgence doit comporter la désignation de la zone touchée. Même si le terme « zone » figure au singulier dans le texte législatif, il s’applique, conformément au paragraphe 33(2) de la Loi d’interprétation, à la pluralité. Il était donc loisible au GEC de préciser les zones, nombreuses ou pas, qui étaient touchées par l’état d’urgence à l’exclusion d’autres zones où la situation d’urgence ne s’était pas produite ou était maîtrisée. Cependant, la Proclamation précise que l’état d’urgence « se produit dans tout le pays ». Il s’agit, à mon point de vue, d’une exagération de la situation dont le gouvernement avait connaissance à l’époque. »[5]

Le Bloc Québécois partage donc cette opinion du juge Mosley et est en désaccord avec la décision du gouvernement fédéral d’avoir imposé une déclaration d’état d’urgence ayant une portée territoriale si large. Ainsi, dans l’objectif de mieux protéger les citoyens d’interventions injustifiées du gouvernement fédéral sur leur territoire, le Bloc Québécois recommande d’imposer au Gouverneur en conseil de justifier sa décision de désigner la zone dans laquelle la Loi sur les mesures d’urgence sera appliquée, qu’elle soit pancanadienne ou plus circonscrite.

  • 2.                  LES LOIS, RÈGLEMENTS ET POUVOIRS EXISTANTS

Conformément aux nombreux témoignages entendus, il existait encore des moyens dans le corpus législatif ordinaire afin d’endiguer la crise lorsque le gouvernement fédéral a déclaré l’état d’urgence. En janvier dernier, la Cour fédérale a déclaré ce qui suit :

« […] Je suis d’accord pour dire qu’il est évident, selon la preuve, que la situation était critique et nécessitait une solution de toute urgence de la part des gouvernements, mais les éléments de preuve ne permettent pas d’affirmer qu’il était impossible d’y faire face en recourant à̀ d’autres lois canadiennes, comme l’avait fait l’Alberta, ni qu’elle échappait à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces. Ce qui s’est passé au Québec et dans d’autres provinces et territoires, dont l’Ontario, hormis la situation à Ottawa, démontre le contraire. »[6]

Par exemple, l’article 170 du Code de la route de l’Ontario concernant l’interdiction de stationner un véhicule sur la chaussée aurait pu être appliqué sans la proclamation de l’état d’urgence. Nous indiquons également que les articles 175 et 180 du Code criminel visant respectivement les situations troublant la paix et les nuisances publiques, étaient à la disposition des agents de la paix avant même que la Loi sur les mesures d’urgence ne soit invoquée. Tout cela sans compter les nombreux règlements municipaux concernant l’utilisation des lieux publics et les nuisances sonores qui étaient en vigueur à ce moment.

Dans le présent rapport, il est également souligné que la Commissaire de la GRC avait envoyé un courriel au chef de cabinet de l’ancien ministre de la Sécurité publique, M. Marco Mendicino (14 février 2023), dans lequel elle affirmait justement : « […] je pense que nous n’avons pas encore épuisé tous les outils disponibles dans le cadre des lois existantes ». Elle énumérait ensuite, dans ce courriel, des exemples de gestes qui pouvaient être posés[7].

Une des conclusions du rapport Rouleau était à l’effet [qu’] « il est évident qu’il existait des outils et des pouvoirs prévus par la loi. Le problème tenait au fait que ces pouvoirs, comme le pouvoir d’arrestation, n’étaient pas utilisés parce qu’ils n’étaient pas considérés comme un moyen efficace de mettre fin aux manifestations illicites en toute sécurité et dans les meilleurs délais »[8]

Les moyens usuels d’intervention et les lois en vigueur n’ont pas été utilisés, ou ont été mal été utilisés: Commandement désorganisé du Service de Police d’Ottawa.

La police d’Ottawa est la première entité responsable de ce chaos en n’ayant pas pris au sérieux la manifestation dans son centre-ville. En fait, la Police d’Ottawa n’a pas adéquatement pris en compte des informations de renseignements que lui envoyait la Police provinciale de l’Ontario au sujet de l’arrivée du convoi. Les premières mises en garde ont été transmises le 13 janvier 2024, soit 11 jours avant l’arrivée des camions[9]. Qu’a fait la police d’Ottawa avec cette information : fermer la rue Wellington, installer des contrôles aux entrées de la Ville d’Ottawa, collaborer avec la PPO pour élaborer un plan d’intervention? Non. Le commandement du Service de police d'Ottawa (SPO), était convaincu que le « convoi de la liberté » allait quitter la capitale nationale après une seule fin de semaine de protestation[10]. Cette croyance erronée est d’ailleurs clairement observée dans le rapport final de la Commission Rouleau :

« Le SPO avait accès à plusieurs sources de renseignements avant que le Convoi    de la liberté arrive à Ottawa. Pris dans leur ensemble, ces renseignements ont   montré qu’il y avait une forte probabilité que les manifestations d’Ottawa se         prolongent au-delà de la première fin de semaine, contrairement à ce que le               commandement du SPO croyait. »[11]

Lors des audiences de la Commission Rouleau, plusieurs problèmes internes impliquant le chef de police, ont été dévoilés[12]. Les témoignages laissaient entendre que l’autorité et le leadership du chef du SPO, M. Peter Sloly, étaient contestés au sein même du service de police. Cela pourrait expliquer l’absence de plan d’intervention et le manque de cohérence dans l’application des règlements et lois en vigueur. Certains policiers de la Ville d’Ottawa refusaient même d’agir contre les manifestants, puisqu’ils étaient sympathiques à leur cause. Des exemples concrets de cette désorganisation du commandement du SPO ont été relevés lors des audiences de la Commission Rouleau[13].

Il reste que, faute d’un plan d’intervention et de contingence, la police d’Ottawa n’a pas obtenu les nombreuses ressources demandées[14]. Un extrait du rapport de la Commission Rouleau est très révélateur à cet égard :

« Le 30 janvier, à midi, le SPO a finalement demandé des agents de première ligne de la PPO et a indiqué que d’autres demandes d’assistance suivraient. Toutefois, le SPO était tellement débordé qu’il était incapable de déployer efficacement les agents de la PPO qui ont commencé à arriver ce jour-là. Le surintendant Abrams de la PPO a fourni 10 agents au SPO, mais le SPO n’en a déployé que deux. En conséquence, le surintendant Abrams a retiré les 10 agents. Il avait l’impression que le dysfonctionnement du commandement et la mauvaise coordination du SPO l’empêchaient d’utiliser efficacement les ressources de la PPO »[15].

La crise au Centre-ville d’Ottawa n’a pas été prise au sérieux par le gouvernement fédéral et son ministre de la Sécurité publique

Le gouvernement fédéral a totalement ignoré la crise jusqu’à l’appel des autorités américaines, à la vice-première ministre Chrystia Freeland, dans lequel ils l’ont « avisé » que le blocus du Pont Ambassador devait être démantelé. Nous croyons que c’est précisément l’incident du Pont Détroit-Windsor qui a mené à la Déclaration de l’État d’urgence, puisque le gouvernement du Canada devait montrer au monde entier (surtout aux États-Unis) qu’il agissait et qu’il prenait la situation au sérieux. La chronologie des événements, de même que le libellé de la Déclaration en tant que telle, appuient notre hypothèse.

Ainsi, la crise a commencé à se dénouer concrètement à la suite de l’appel du gouvernement américain. Dès lors, les forces de l’ordre ont mis 2 jours à chasser les manifestants du Pont Ambassador. Le Premier ministre du Canada craignait la réaction et la perception des Américains s’il ne se montrait pas capable de résoudre le problème.

La Loi sur les mesures d’urgence a été appliquée à partir du 14 février, c’est-à-dire la journée de la fin de l’occupation du pont Ambassador. Il est aisé de croire que la Loi sur les mesures d’urgence a été invoquée dans le but de rassurer les États-Unis et de rétablir l’ordre pour faire face aux critiques internationales qui fusaient de toutes parts.

C’est pourtant le même Premier ministre du Canada qui a dit en conférence de presse que c’était aux policiers de « faire leur job pour régler la situation »[16] une semaine après l’arrivée du convoi à Ottawa. Il aurait même dit au Premier ministre de l’Ontario : « Vous ne devriez pas avoir besoin de plus d'outils [...] juridiques : ils paralysent l'économie, causent des millions de dommages par jour et nuisent à la vie des gens »[17].

Ainsi, devant le Parlement canadien, malgré la proclamation du 14 février 2022, il faudra encore 5 jours aux autorités avant de se décider à dégager le centre-ville d’Ottawa. Opération, par ailleurs, qui constituait une intervention policière traditionnelle et qui aura duré plus ou moins 48 heures, soit du 19 au 20 février, et aura été beaucoup moins violente que la répression de certaines autres grandes manifestations, comme le G20 ou le Sommet des Amériques. Cette façon de faire, de même que le plan qui en est né, auraient dû être conçu dès le début des événements en faisant état des divers scénarios possibles et des mesures devant être prises pour chacun d’eux.

Le libellé de la Déclaration des mesures d’urgence.

Dans ce contexte, il est intéressant d’examiner le libellé de la Déclaration qu’a déposée Justin Trudeau devant les deux Chambres. Il est très difficile de ne pas voir le lien direct entre la proclamation de l’état d’urgence et la crainte des perceptions négatives des Américains envers la faiblesse de l’intervention canadienne dans la gestion des différentes occupations.

La première partie de la Déclaration énumère cinq éléments qui décrivent l’état d’urgence et qui justifient l’imposition de la loi sur les mesures d’urgence[18]. En voici les grandes lignes :

  • a)      Les blocages continus et les menaces proférées en opposition aux mesures visant à mettre fin aux blocages;
  • b)      Les effets néfastes sur l’économie qui découlent des blocages d’infrastructures essentielles, notamment les axes commerciaux et les postes frontaliers internationaux;
  • c)      Les effets néfastes des blocages sur les relations du Canada avec ses partenaires commerciaux, notamment les États-Unis;
  • d)      La rupture des chaînes de distribution de ressources, de services et des denrées essentiels causés par les blocages existants;
  • e)      Le potentiel d’augmentation du niveau d’agitation et de violence qui menaceraient davantage la sécurité des Canadiens.

Rappelons que l’État d’urgence doit d’abord se justifier par une véritable menace à la sécurité nationale du Canada. Selon les Services de renseignements canadiens, ce n’était pas le cas[19].

Dans la seconde partie de la Déclaration, le gouvernement prévoit des mesures d’intervention qui ne nécessitent pas, du moins pour la plupart, des lois spéciales de mesures d’urgence. Par exemple, le fait de réglementer ou d’interdire certains types d’assemblées publiques qui troublent la paix ou qui menacent des infrastructures essentielles ou alors le fait de forcer des entreprises à fournir un service pour dénouer la crise, l’imposition d’amendes et de peines de prison ou alors de permettre à la GRC de faire respecter des lois hors de sa juridiction (municipales et provinciales)[20].

À cet égard, le directeur municipal de la Ville d’Ottawa, M. Steve Kanellakos, a indiqué au Comité ce qui suit que : « [l]es jours suivants, […] Grâce à nos efforts, environ 40 poids lourds et un nombre inconnu de camions légers et de véhicules ont quitté les secteurs résidentiels. À peu près au même moment […] le               gouvernement fédéral a invoqué la Loi sur les mesures d'urgence. À ma connaissance, la Ville n'a jamais demandé l'invocation de cette loi. »[21]

D’abord, on peut comprendre que certaines actions étaient possibles, avant même l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence, et donnaient déjà des résultats.

  • 3.                  COORDINATION ET PARTAGE D’INFORMATIONS

Par ailleurs, le gouvernement a fait obstruction aux travaux d’examen du comité mixte spécial sur la déclaration de situation de crise, en refusant de produire certains documents pertinents pour corroborer les témoignages expliquant la décision de déclarer l’état d’urgence.

Plus particulièrement, l’avis juridique qui a été rendu tout juste avant la proclamation de la Loi sur les mesures d’urgence qui a été invoqué par les différents ministres qui ont défilé devant le Comité et qui, vraisemblablement, aurait recommandé la déclaration de l’état d’urgence, n’a jamais été divulgué en version intégrale et non-caviardée. En tant que client, le gouvernement pouvait renoncer au secret professionnel et aurait pu permettre aux membres du Comité d’avoir accès à cet avis et à d’autres documents couverts par le secret professionnel.

Le Conseil Privé de la Reine a également invoqué la confidentialité de ses délibérations pour ne pas transmettre au Comité des preuves qui auraient pu être pertinentes pour l’examen de la déclaration d’état d’urgence.

Dans un souci d’améliorer la transparence des institutions gouvernementales fédérales et de favoriser la confiance de la population, le Bloc Québécois recommande qu’à l’article 62 de la Loi sur les mesures d’urgence soient ajoutés les paragraphes suivants :

« Éléments de preuve

(4.1) Le Gouverneur en Conseil est tenu de divulguer au Comité d’examen         parlementaire tous les éléments de preuve fondant ses motifs raisonnables de    croire qu’une situation de crise nationale avait lieu.

(4.2) Si les éléments de preuve divulgués au par. (4.1) sont couverts par la              confidentialité du Conseil privé pour la Reine, les réunions du comité d’examen        parlementaire en vue de leur étude se tiennent à huis clos. »

Le SPO avait toutes les informations pour se préparer à l’arrivée du convoi.

Par ailleurs, la mauvaise utilisation (voire la non-utilisation) par le SPO des renseignements fournis par la Police provinciale de l’Ontario est fort surprenante. Alors qu’on l’avait informé au moins une semaine à l’avance de la progression et des intentions du convoi[22]!

Ces précieuses informations provenaient d’une opération de renseignement de longue haleine, puisque certains des organisateurs du convoi de 2022 n’en étaient pas à leur premier rodéo. En effet, Pat King avait également été impliqué dans une autre tentative d’occupation deux ans auparavant[23]. Il s’agissait d’une information connue et publique. Les médias sociaux permettaient au groupe de s’organiser. L’événement était prévisible et même si l’ampleur était incertaine, le SPO avait le devoir et la responsabilité de s’y préparer au meilleur de ses capacités. Le manque de leadership était tel que la Police provinciale de l’Ontario, qui a fourni les renseignements à M. Sloly, « se demandait même si le SPO était « digne de recevoir de l’aide » d’autres services policiers »[24].

Le sujet de cette étude est aussi important que délicat, puisqu’il est question des conditions suivant lesquelles un gouvernement peut s’octroyer des pouvoirs extraordinaires, même si ces pouvoirs doivent s’exercer en conformité avec la Charte des droits et liberté du Canada[25]. Mais il s’agit également, dans un monde rempli de désinformation et de mésinformation, de trouver l’équilibre entre le partage d’information efficace et la protection de la sécurité nationale. 

  • 4.                  LA CONFUSION ENTOURANT LA PROTECTION DE LA CITÉ PARLEMENTAIRE.

En terminant, le Bloc Québécois déplore le fait que le gouvernement fédéral et la police d’Ottawa ne semblent absolument pas avoir tiré des leçons de l’ensemble des événements violents survenus sur la Colline parlementaire depuis les années 1960[26]!  Même la fusillade de 2014, lors de laquelle le militaire Nathan Cirillo a été assassiné, n’a pas pu régler la question du périmètre de la Cité parlementaire et de la sécurité de la rue Wellington, ce qui est une aberration. Encore aujourd’hui, très peu a été fait concrètement, malgré une étude du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre sur la question.

D’ailleurs, le Bloc Québécois recommande : «  Que le présent rapport tienne compte des conclusions et recommandations du 19e rapport du Comité permanent de la Procédures et des Affaires de la Chambre intitulé « Protéger la cité parlementaire : répondre à l’évolution des risques »[27].

L’inertie du gouvernement par rapport à l’établissement de rôles clairs entre les différents corps de protection concernant des débordements ou des événements sur la Colline Parlementaire, est un problème grave qui a contribué au chaos et à la confusion dans la réponse à la manifestation de janvier et février 2022.

En 2015, suite aux événements de l’année précédente on a créé le Service de protection parlementaire (SPP), regroupant les services de sécurité de la Chambre des communes et du Sénat qui étaient jusque-là complètement distincts. Le SPP répond au commandement opérationnel de la GRC, mais relève des Présidents des deux Chambres et du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile[28].

Ce service doit assurer la sécurité dans la Cité parlementaire. Or, depuis les rénovations entreprises aux Édifices du Centre et de l’Est, le territoire s’est considérablement agrandi. D’autant plus que la rue Wellington, juste devant le Parlement, n’en fait pas partie! De deux choses l’une : le gouvernement ignorait la crise au point de croire qu’il n’y avait aucun risque de débordement de la rue Wellington sur les terrains du Parlement, ou alors tout le monde s’est dit que c’était la responsabilité du Service de Police d’Ottawa et ils ont détournés le regard.

Voici l’extrait d’un rapport sur la sécurité de la Cité parlement datant de 1999 :

« Une Cité parlementaire bien définie est un élément essentiel dont les autres mesures de sécurité dépendent. Les limites actuelles — la rivière des Outaouais au nord, la rue Wellington au sud, le canal Rideau à l’est et le prolongement de la rue Bank à l’ouest — rendent la Cité parlementaire très vulnérable. D’ailleurs, la limite du côté ouest n’est plus clairement définie95. Des bureaux de député se trouvent à l’extérieur des limites traditionnelles de la Cité, dans l’édifice de la Confédération, dans l’édifice Wellington (du côté sud de la rue Wellington) et dans l’édifice de la Justice (installation projetée pour le milieu de l’an 2000). De plus, les comités parlementaires se réunissent régulièrement dans les édifices Wellington et La Promenade. Cet éparpillement crée de la confusion : on ne sait pas de quelle compétence relèvent les interventions, ce qui peut avoir comme conséquence un manque d’uniformité dans le service et dans la réponse en cas de situations dangereuses »[29]. Ce n’est pas sérieux.

C’est pourquoi le Bloc Québécois recommande : « que la rue Wellington, à partir du Pont de la Confédération jusqu’à la rue Sussex soit incluse dans la Cité Parlementaire et qu’elle soit sous la responsabilité du SPP et de la GRC ».

  • 5.                  CONCLUSION

L’occupation du Centre-Ville d’Ottawa par le « Convoi de la liberté » pendant pratiquement un mois est une indication flagrante de la légèreté avec laquelle le gouvernement et le service de Police d’Ottawa prennent les menaces. Malgré des indications claires de la venue et des intentions des manifestants, rien n’a été fait pour protéger les infrastructures essentielles, ni les citoyens d’ailleurs.

Aussi, le Bloc Québécois est d’avis que la proclamation de la Loi sur les mesures d’urgence constitue l’artillerie lourde du corpus législatif canadien et ne devrait être invoquée qu’en cas d’extrême urgence. Ce principe directeur n’a pas orienté les prises de décisions du gouvernement fédéral durant la durée de la crise. Cela a résulté en une proclamation de la Loi sur les mesures d’urgence inutile, abusive et ne respectant pas les avis du Québec et des provinces, en plus de couvrir un territoire trop important.

Cette faiblesse, dont le monde entier a été témoin, lance un très mauvais message dans un contexte où l’ingérence étrangère et la sécurité des frontières sont des enjeux de premiers plans. Le Bloc Québécois tenait à faire la lumière sur ces enjeux afin que le gouvernement fédéral prenne conscience de ces lacunes et qu’il les corrige pour le bien de la sécurité nationale et de l’intégrité de nos institutions démocratiques.


[2] Code criminel (article 63)

[3] Rapport du Comité, paragraphe 58. Compte-rendu du 16 février 2022 présenté aux 2 Chambres

[4] Rapport du Comité, paragraphe 56.

[5] Canadian Frontline Nurses c. Canada (Procureur Général), 2024 CF 42, par. 248.

[6] Canadian Frontline Nurses c. Canada (Procureur Général), 2024 CF 42, par. 254.

[7] Rapport du Comité, paragraphe 102.

[8] Rapport de l’Enquête publique sur l’état d’urgence déclaré en 2022. Volume3 : Analyse (partie 2) et recommandations, page 234.

[19] Rapport du Comité, paragraphes 144 et 158