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AMAD Rapport du Comité

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AVIS DISSIDENT DU SÉNATEUR DALPHOND

INTRODUCTION

  • 1. Selon un sondage réalisé en janvier 2023, une large majorité de Canadiens souhaite avoir la possibilité d'accéder à l'aide médicale à mourir (AMM), dans des circonstances bien définies, notamment en cas de maladie grave et résistante aux traitements pour laquelle ils éprouveraient des souffrances intolérables.[1] Pour la plupart de ces Canadiens, il s'agit d'une question de dignité et d’autonomie.

CONTEXTE DE L’EXCLUSION DES MALADIES MENTALES DE L’ACCES A L’AIDE MEDICALE A MOURIR

  • 2. Dans l'affaire Carter c. Canada (Procureur général), (2015), la Cour Suprême du Canada a statué sur une contestation constitutionnelle de la prohibition criminelle de l’AMM initiée quatre ans plus tôt et dont le procès avait fait l’objet d’une procédure accélérée. La Cour a déclaré que l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés protégeait le droit des Canadiens de décider des questions de fin de vie et que les dispositions du Code criminel empêchant l'AMM étaient inconstitutionnelles, accordant au Parlement un délai d'un an pour légiférer en conséquence. La Cour a également déclaré que l’AMM pour les personnes souffrant de troubles psychiatriques en tant que condition médicale unique n'entrait pas dans les paramètres de ses motifs, malgré les arguments présentés par le procureur général du Canada sur cette question.
  • 3. En juin 2016, le Parlement a adopté le projet de loi gouvernemental C-14, qui modifie le Code criminel pour permettre l’accès à l’AMM aux personnes souffrant d'une maladie irrémédiable et dont le décès est raisonnablement prévisible.
  • 4. Dans l’affaire Truchon c. Procureur général du Canada (2019), dans le cadre d’une autre contestation constitutionnelle, la Cour supérieure du Québec a conclu que l’accès à l’AMM ne pouvait être restreint aux seules personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible.  
  • 5. En réponse, le gouvernement a déposé le projet de loi C-7 qui étend l'accès à l’AMM aux personnes qui ne sont pas en phase terminale, mais qui souffrent d'un état irrémédiable qui leur est devenu insupportable. Cependant, ce projet de loi excluait expressément toutes les personnes souffrant uniquement d'une maladie mentale irrémédiable.
  • 6. Comme indiqué dans l’ Énoncé concernant la Charte déposé à la Chambre des communes le 21 octobre 2020, l’exclusion ne repose pas sur l’hypothèse selon laquelle les personnes atteintes d’une maladie mentale ne sont pas capables de prendre des décisions, ce qui les rendrait inadmissibles à recevoir l’aide médicale à mourir si elles répondent aux autres critères même si elles souffrent d’un autre problème médical considéré comme étant une maladie, une affection ou un handicap grave et irrémédiable. Elle était plutôt fondée sur des appréhensions de complexité et de risques inhérents à l'accès à l’AMM pour ces personnes, tels que la difficulté d'évaluer la capacité de prise de décision, la difficulté de prévoir dans le temps l'évolution d'une maladie mentale par rapport à une maladie physique, et certaines expériences récentes dans les quelques pays qui ont autorisé l'AMM pour les personnes dont la seule condition médicale était une maladie mentale.
  • 7. Ces appréhensions ont été largement acceptées par les partis politiques de la Chambre des communes.
  • 8. Pour sa part, après avoir réexaminé la question, le Sénat a adopté un amendement visant à soumettre l'exclusion à une clause crépusculaire de 18 mois, afin de mettre en place des lignes directrices et une formation appropriées.
  • 9. En proposant l'amendement, le sénateur Kutcher a déclaré : "La disposition excluant la maladie mentale est stigmatisante, discriminatoire et ainsi probablement inconstitutionnelle."
  • 10.  En soutien à cet amendement, j’ai déclaré :
Nous avons aussi entendu des témoignages selon lesquels il est illogique d’exclure les Canadiens qui souffrent uniquement de maladie mentale tout en permettant l’accès à ceux qui ont des problèmes de santé mentale et physique. Dans ces cas, il faut aussi effectuer des évaluations de la capacité, et il semble que c’est possible sans grande difficulté en pratique.
En réalité, comme beaucoup de témoins l’ont dit, l’exclusion proposée renforce, perpétue et exacerbe les mythes et les préjugés entourant la maladie mentale, y compris la croyance selon laquelle les souffrances associées aux maladies mentales sont en quelque sorte moins légitimes que celles causées par les problèmes physiques et que les personnes atteintes d’une maladie mentale n’ont pas la capacité de prendre des décisions par rapport à leurs propres souffrances en toute autonomie. 
  • 11.  Comme proposé par le gouvernement, une majorité de la Chambre des communes a accepté l'amendement du Sénat, mais a étendu la clause crépusculaire à 24 mois. 
  • 12.  La Chambre des communes a également ajouté une obligation pour le ministre de la Santé et le ministre de la Justice de confier à groupe d’experts « un examen indépendant portant sur les protocoles, les lignes directrices et les mesures de sauvegarde recommandés pour les demandes d’aide médicale à mourir de personnes atteintes de maladie mentale ».
  • 13.  Le rapport final du groupe d'experts a été publié le 13 mai 2022. Le Groupe a conclu que les critères d'admissibilité et les mesures de sauvegarde en vigueur concernant l’AMM renforcés par les autres lois, normes et pratiques en vigueur dans les domaines connexes des soins de santé, peuvent fournir un encadrement adéquat à l’AMM lorsque la seule condition médicale invoquée est la maladie mentale.  Toutefois, le Groupe a recommandé qu'une formation spécialisée soit mise à la disposition des prestataires et des évaluateurs avant d'autoriser l'accès.
  • 14.  En mars 2023, par le biais du projet de loi C-39, le Parlement a prolongé la clause crépusculaire d'un an, jusqu'au 17 mars 2024. En présentant le projet de loi C-39, le gouvernement a indiqué qu’une telle prolongation contribuerait à assurer l'état de préparation du système de soins de santé, notamment en accordant plus de temps pour la diffusion et l'utilisation des ressources clés par les communautés médicales et infirmières, y compris les évaluateurs et les fournisseurs de l’AMM.
  • 15.  Dans l’Énoncé concernant la Charte déposé à la Chambre des communes le 15 février 2023, le ministre de la Justice a reconnu que le projet de loi C-39, en interdisant temporairement l’accès à l’AMM lorsque la maladie mentale est le seul problème médical invoqué, serait susceptible de mettre en jeu le droit à la liberté et à la sécurité de la personne protégé par l’article 7 de la Charte. Il risquait également de porter atteinte au droit à l'égalité garanti par l'article 15, car l'exclusion ne s'applique qu'aux personnes souffrant d'une maladie mentale.
  • 16.  En tant que sénateur du Québec, je ne peux ignorer que, dans son rapport de décembre 2021, la Commission spéciale sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie de l'Assemblée nationale a recommandé de ne pas étendre l'accès à l’AMM aux personnes dont le seul problème médical invoqué est une maladie mentale. Elle a fait cette recommandation d'avis que cela était conforme au principe de précaution que le Québec privilégie depuis le début de ses travaux sur l'AMM et en raison de l'absence de consensus médical et social. En juin 2023, l'Assemblée nationale a adopté le projet de loi 11, modifiant la Loi concernant les soins de fin de vie, pour exclure l'accès à l'AMM uniquement pour une maladie mentale.
  • 17.  Enfin, les récents débats à la Chambre des communes sur le projet de loi d'initiative parlementaire C-314 – qui a échoué – ont mis en évidence le fait que de nombreux députés souhaitent toujours exclure de façon permanente l'accès à l'AMM aux personnes souffrant uniquement de maladie mentale, et ce pour les mêmes raisons que celles invoquées pour justifier l’exclusion initialement prévue dans le projet de loi C-7.

LE MANDAT LIMITÉ DU COMITÉ

  • 18.  Comme suggéré dans la recommandation 13 du précédent rapport du Comité mixte spécial, ledit comité a été reconstitué en octobre 2023 pour vérifier le degré de préparation atteint pour une application sûre et adéquate de l'aide médicale à mourir lorsque la maladie mentale est le seul problème médical invoqué.
  • 19.  Ce mandat limité exclut toute considération de l'accès à l'AMM par le biais de demandes anticipées, applicables dans des circonstances bien définies, telles que le diagnostic d'une maladie irréversible comme la maladie d'Alzheimer.  Selon un sondage réalisé en 2022, 85 % des Canadiens sont favorables aux demandes anticipées pour les personnes souffrant d'une maladie grave et irrémédiable. Il faut espérer qu'une telle tâche sera confiée au Comité mixte spécial dans un avenir proche.

LE COMITE A MALHEURESEMENT VARIÉ DE SA TRAJECTOIRE

  • 20.  Pour respecter son mandat limité de vérification du degré de préparation atteint pour une application sûre et adéquate de l'aide médicale à mourir lorsque la maladie mentale est le seul problème médical invoqué, le Comité mixte spécial aurait dû se concentrer sur les témoignages des représentants des associations de médecins, d'infirmières et d'autres personnes impliquées dans la prestation de l'aide médicale à mourir (qui ont dit qu'ils étaient prêts), des organismes de surveillance provinciaux (qui ont dit que des mesures appropriées étaient en place pour assurer l'application adéquate des dispositions du Code criminel) et des organismes impliqués dans la formation des personnes fournissant l'aide médicale à mourir (qui ont décrit la formation spéciale déjà dispensée et toujours offerte).
  • 21.  Pour plus de détails sur ces preuves, je renvoie à l'analyse détaillée incluse dans le rapport dissident ci-joint de certains de mes collègues du Sénat, essentiellement des experts en matière de fourniture de soins de santé.
  • 22.  Malgré cela, le rapport majoritaire conclut que le système médical canadien n'est pas préparé à l’AMM lorsque la maladie mentale est le seul problème médical invoqué. La majorité en arrive à cette conclusion en accordant, peut-être, trop de poids aux témoignages de personnes qui s’opposent depuis longtemps à tout élargissement de l’AMM pour des convictions personnelles.
  • 23.  Sur la base de cette conclusion discutable, le rapport recommande que l'exclusion de ce groupe de personnes dure jusqu'à ce que le ministre de la Santé et le ministre de la Justice soient d’avis, sur la base des recommandations de leurs ministères respectifs et en consultation avec leurs homologues provinciaux et territoriaux respectifs et avec les peuples autochtones, que l’AMM peut leur être fourni de manière sûre et adéquate.
  • 24.  En outre, le rapport recommande qu'un an avant la date à laquelle il est prévu que la loi autorise l'application de l’AMM à ce groupe de personnes, la Chambre des communes et le Sénat rétablissent le Comité mixte spécial sur l’AMM afin de vérifier le degré de préparation atteint pour une application sûre et adéquate de l'aide médicale à mourir lorsque la maladie mentale est le seul problème médical invoqué.
  • 25.  En d'autres termes, la majorité propose une exclusion générale et indéterminée de l'accès à l’AMM pour toutes les personnes qui invoquent comme seul problème une maladie mentale, mêmes si elles satisfont par ailleurs à toutes les exigences rigoureuses du paragraphe 241.2 du Code criminel.
  • 26.  A mon avis, cette recommandation découle en grande partie de la croyance qu’il n’y a pas de consensus médical et social suffisant au Canada pour l’accès à l’AMM au seul motif d’une maladie mentale, plutôt que de la seule preuve sur l’état de préparation. 
  • 27.  Qui plus est, ce prétendu manque d'acceptabilité sociale est discutable. En effet, un sondage réalisé en janvier 2023 indique que 82 % des Canadiens sont d'accord pour dire qu'avec la mise en place de garanties appropriées, un adulte ayant la capacité de donner son consentement éclairé devrait pouvoir demander une évaluation pour l'aide médicale à mourir pour une maladie mentale grave et résistante aux traitements, qui lui cause des souffrances intolérables. Parmi les 82%, 34 % de personnes sont tout à fait d’accord et 48% plutôt d’accord.
  • 28.  En bref, le rapport du Comité mixte spécial s'est éloigné, consciemment ou non, de son mandat qui consistait à vérifier l'état de préparation des organismes de réglementation et des personnes participant à l'évaluation et à la fourniture de l’AMM. L'accent a plutôt été mis sur l'acceptabilité médicale et sociale de la fin de l'exclusion.

UNE RECOMMANDATION CONSTITUTIONNELLE ?

  • 29.  Dans l’Énoncé concernant la Charte sur le projet de loi C-39, mentionné plus haut, le ministre de la Justice a reconnu que l’ajout d’une année à la clause crépusculaire afin de prolonger la période d’interdiction d’accès à l’AMM lorsque la seule condition identifiée est la maladie mentale, était susceptible de porter atteinte au droit à la liberté et à la sécurité de ces personnes, garanti par l’article 7 de la Charte, ainsi qu’au droit de ne pas faire l’objet de discrimination au sens de l’article 15, puisque l’exclusion ne s’applique qu’aux personnes souffrant d’une maladie mentale.
  • 30.  Le fait de recommander maintenant une exclusion générale pour une durée indéterminée de ce même groupe de personnes ne peut que porter atteinte aux droits garantis de ces dernières qu’à un degré encore plus important et, à mon avis, risque fort d’être déclaré inconstitutionnel.
  • 31.  Dans l’affaire Carter (2015), la Cour Suprême du Canada a déclaré à l'unanimité :
[115]  […] Se fondant sur la preuve relative aux procédures d’évaluation dans la prise de décisions médicales analogues concernant la fin de vie au Canada, la juge a conclu que la vulnérabilité peut être évaluée au cas par cas au moyen des procédures suivies par les médecins lorsqu’ils évaluent le consentement éclairé et la capacité décisionnelle dans le contexte de la prise de décisions d’ordre médical de façon plus générale. Les préoccupations au sujet de la capacité décisionnelle et de la vulnérabilité se posent dans tous les cas de décisions médicales concernant la fin de vie. D’un point de vue logique, il n’y a aucune raison de croire que les blessés, les malades et les handicapés qui peuvent refuser un traitement vital ou un traitement de maintien de la vie, demander le retrait de l’un ou l’autre traitement, ou encore réclamer une sédation palliative, sont moins vulnérables ou moins susceptibles de prendre une décision faussée que ceux qui pourraient demander une assistance plus active pour mourir. […]
[116] Comme l’a fait remarquer la juge de première instance, on cautionne implicitement l’évaluation individuelle de la vulnérabilité (quelle que soit sa source) dans la prise de décisions de vie ou de mort au Canada. Dans certains cas, ces décisions sont régies par des directives préalables ou prises par un mandataire spécial. Le Canada ne prétend pas que le risque présent dans ces cas nécessite une prohibition absolue (ces pratiques ne sont d’ailleurs pas réglementées par le gouvernement fédéral). Dans A.C., la juge Abella a fait allusion à la vulnérabilité potentielle des adolescents qui ont à prendre des décisions de vie ou de mort quant à un traitement médical (par. 72-78). Notre Cour a pourtant reconnu implicitement la viabilité d’une évaluation individuelle de la capacité décisionnelle dans le contexte de cette affaire. Nous acceptons la conclusion de la juge de première instance selon laquelle il est possible pour les médecins de bien évaluer la capacité décisionnelle avec la diligence requise et en portant attention à la gravité de la décision à prendre. [soulignements ajoutés]
  • 32.  En 2016, après la décision Carter et avant l'adoption du projet de loi C-14, la Cour d'appel de l'Alberta a accordé l'accès à l’AMM à une personne souffrant uniquement de maladie mentale. Dans l'affaire Canada (Attorney General) v. E.F., , cette Cour a déclaré (traduction interne) :
[59] Comme on peut le voir dans l'affaire Carter 2015, la question de savoir si les désordres psychiatriques devraient être exclues de la déclaration d'invalidité a été directement soumise à la Cour ; néanmoins, la Cour a refusé de prévoir une telle exclusion dans ses critères soigneusement élaborés. Notre tâche, et celle du juge des requêtes, n'est pas de réexaminer ces questions, mais d'appliquer les critères établis par la Cour suprême aux circonstances individuelles du requérant. Les critères énoncés au paragraphe 127 et les garanties qui y sont intégrées sont le résultat d’un équilibrage minutieux par la Cour d'intérêts sociétaux importants au regard des protections de la Charte dont nous bénéficions tous. Les personnes souffrant d'une maladie psychiatrique ne sont pas explicitement ou implicitement exclues si elles répondent aux critères.
  • 33.  Dans l’affaire Truchon (2019) la Cour supérieure du Québec a déclaré :
[466]     De l’ensemble de la preuve, le Tribunal retient essentiellement ce qui suit :
  • 1.   L’aide médicale à mourir telle que pratiquée au Canada constitue un processus strict et rigoureux qui, en lui-même, ne présente pas de faiblesse évidente;
  • 2.   Les médecins impliqués sont en mesure d’évaluer la capacité des patients à consentir et de déceler des indices d’ambivalence, de troubles mentaux affectant ou susceptibles d’affecter le processus décisionnel ou encore les cas de coercition ou d’abus;
  • 3.   La vulnérabilité d’une personne qui demande l’aide médicale à mourir doit exclusivement s’apprécier de manière individuelle, en fonction des caractéristiques qui lui sont propres et non pas en fonction d’un groupe de référence dit « de personnes vulnérables ». Au-delà de divers facteurs de vulnérabilité que les médecins sont en mesure d’objectiver ou de déceler, c’est l’aptitude du patient lui-même à comprendre et à consentir qui s’avère somme toute déterminante en sus des autres critères prévus à la loi;
  • 4.   Les médecins impliqués peuvent distinguer un patient suicidaire d’un patient qui recherche l’aide médicale à mourir. De plus, il existe d’importantes différences entre le suicide et l’aide médicale à mourir tant dans les caractéristiques des personnes impliquées que dans les raisons qui les motivent;
  • 5.   Ni les données nationales au Canada et au Québec, ni les données étrangères ne font état de dérives, de dérapages ou même de risques accrus chez les personnes vulnérables lorsque la fin imminente de la vie n’est pas un critère pour l’admissibilité à l’aide médicale à mourir.
  • 34.  Dans l'affaire Ontario (Procureur général) c. G (2020), la Cour suprême du Canada s’est penchée sur une loi qui offrait la possibilité à une personne condamnée pour une infraction sexuelle d’être retirée du registre des délinquants sexuels, tout en refusant telle possibilité aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux (NRCTM). La Cour a estimé que l'article 15 de la Charte, qui garantit l'égalité, exige que ces personnes aient également accès à un mécanisme d'exclusion, sur la base d’évaluations individualisées. La Cour a conclu qu'un refus général d'exclusion pour ce groupe de personnes était inconstitutionnel. La juge Karakatsanis s'est exprimée au nom de la majorité :
[74] Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que la Loi Christopher ne porte pas atteinte de façon minimale aux droits garantis par le par. 15(1) aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’une infraction sexuelle qui ont obtenu une libération. La Loi Christopher elle‑même prévoit des mécanismes qui, après une évaluation individuelle de la situation des délinquants, permettent aux délinquants qui n’ont pas reçu de verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux d’être retirés du registre (pardon absolu), d’être dispensés de l’obligation de se présenter devant les autorités (pardon absolu et suspension du casier judiciaire), ou d’être dispensés au départ de l’obligation de se présenter devant les autorités (absolution au sens du par. 730 du Code criminel). L’inclusion de toute méthode permettant aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux d’être dispensées des obligations qui leur incombent et d’être retirées du registre à la suite d’une évaluation individuelle porterait moins atteinte aux droits que leur garantit le par. 15(1) et permettrait en fait d’améliorer l’efficacité du registre en restreignant son application aux personnes qui présentent un risque élevé pour la société. [soulignements ajoutés]
  • 35.  Avec égard pour ceux qui ont une opinion différente sur l'état du droit, je préfère celle exprimée par l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique dans un mémoire déposé auprès du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles le 1er décembre 2020, lorsqu’elle déclare :
La maladie mentale ne doit pas être exclue de la définition « d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap graves et incurables … [dans le Code criminel.]
Cette interdiction absolue va à l’encontre de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5 […]. Elle est donc inconstitutionnelle. Empêcher toutes les personnes souffrant de « maladie mentale » de choisir l’aide à mourir, peu importe l’intensité de leurs souffrances ou à quel point leur maladie est grave ou irrémédiable, et sans égards à la compétence ou au volontarisme de leur décision ignore un droit de la personne octroyé par la Cour suprême du Canada. En bref, le gouvernement doit soutenir les droits de la personne dans le contexte de la santé mentale au lieu de stigmatiser et d’abandonner ceux et celles qui souffrent de troubles mentaux.
  • 36.  En conclusion, la recommandation majoritaire d'exclure l'admissibilité à l’AMM pour une période indéterminée mais assurément longue, à toute personne qui invoque comme seule condition une maladie mentale, et ce, sans égard à la compétence et au caractère volontaire des requérants, à la nature non guérissable de leur maladie mentale et à l'intensité de leur souffrance, contrevient à l'article 7 de la Charte parce qu'elle est excessive. De plus, l’exclusion de ce groupe de personnes contrevient à l'article 15 en interdisant l'accès à l’AMM, qui doit reposer dans tous les autres cas sur une évaluation individualisée du respect de toutes les exigences du Code criminel.

RECOMMANDATION : UN RENVOI A LA COUR SUPRÊME DU CANADA

  • 37.  Le Parlement est constitutionnellement habilité à exiger des procédures particulières, tels que l'avis d'au-moins deux médecins et d'autres mesures de protection, pour déterminer l'accès à l'AMM, si cela est raisonnable au vu des circonstances.
  • 38.  Toutefois, il est probablement inconstitutionnel pour le Parlement d’exclure tous les membres d’un groupe spécifique en raison d’une caractéristique personnelle sous prétexte de protection, niant ainsi l’accès à ceux qui remplissent toutes les conditions applicables aux autres personnes, notamment un consentement libre et valable, plutôt que de prévoir une procédure d’évaluation individuelle de l’éligibilité d’une personne à l’accès à l’AMM.
  • 39.  Si le Parlement décide néanmoins de mettre en œuvre la recommandation de la majorité, le message envoyé aux personnes concernées par la nouvelle exclusion indéterminée – mais assurément longue – sera de recourir à une contestation constitutionnelle devant les tribunaux, lieux où les preuves peuvent être évaluées objectivement à la lumière des articles 7 et 15 de la Charte.
  • 40.  Malheureusement, une contestation constitutionnelle est une procédure longue, complexe et couteuse. La contestation dans l’affaire Carter a duré quatre années, malgré un procès en procédure accélérée.
  • 41.  Entre-temps, l’exclusion recommandée entraînera des souffrances extrêmes voire des suicides chez certaines personnes dotées de la pleine capacité de décider, qui remplissent toutes les autres conditions strictes applicables.
  • 42.  Par conséquent, si le Parlement décide d'étendre pour une durée indéterminée l'exclusion de l'accès à l’AMM aux personnes dont la maladie mentale est le seul problème médical invoqué, je recommande que le gouvernement soumette cet amendement à la Cour suprême du Canada pour qu’elle statue sur sa constitutionnalité.

1 Le sondage indique que 82 % des Canadiens sont d'accord pour dire qu'avec la mise en place de garanties appropriées, un tel adulte ayant la capacité de donner son consentement éclairé devrait pouvoir demander une évaluation d'aide médicale à mourir.