PDAM Rapport du Comité
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Plus de protections pour les personnes vulnérables Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir : Rapport dissident Ce rapport dissident reflète le point de vue des députés suivants qui ont siégé au Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir (le « Comité ») : Michael Cooper (vice-président du Comité, St. Albert-Edmonton), Mark Warawa (Langley-Aldergrove) et Gérard Deltell (Louis-St-Laurent), ainsi que Harold Albrecht (Kitchener-Conestoga) qui a participé à la majorité des réunions à titre de membre suppléant. Contexte Le 6 février 2015, dans sa décision sur l’affaire Carter c. Canada, 2015 SCC 5, la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a aboli à l’unanimité la prohibition criminelle de longue date de l’euthanasie volontaire et du suicide assisté (« aide médicale à mourir ou AMM »), statuant qu’elle était en contravention au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne garanti par l’article 7 de la Charte des droits libertés (la « Charte »). Plus précisément, la CSC a statué que la prohibition par le Code criminel de l’AMM est nulle parce qu’elle prive de cette aide : Un adulte capable dans les cas où (1) la personne touchée consent clairement à mettre fin à ses jours ; et (2) la personne est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition.[1] La CSC a suspendu sa décision jusqu’au 6 juin 2016 afin de permettre au Parlement de préparer une réponse législative.[2] Le Parlement a demandé au Comité de faire des recommandations au gouvernement sur la meilleure façon de répondre à la décision Carter. Justification d’un rapport dissident Dans l’affaire Carter, la CSC a bien décrit la tâche difficile qui incombe au Parlement : « Il doit soupeser et pondérer le point de vue des personnes qu’un régime permissif pourrait mettre en danger et le point de vue de celles qui demandent de l’aide pour mourir ».[3] La CSC a reconnu qu’il y aurait de véritables risques pour les personnes vulnérables non protégées contre l’AMM, mais que ces risques pourraient être gérés par un « système de protections soigneusement conçues et surveillées ».[4] De plus, le Comité a entendu de nombreux groupes représentant des professionnels de la santé, dont l’Association médicale canadienne, au sujet de la nécessité de protéger les droits prévus par la Charte des professionnels et des établissements de santé qui peuvent refuser par conscience de participer à l’AMM. Malheureusement, le régime recommandé dans le rapport principal du Comité est bien loin d’offrir ce qui est requis pour protéger les Canadiens vulnérables et le droit de conscience des professionnels de la santé prévu par la Charte. En outre, la CSC a donné au Parlement une feuille de route raisonnablement claire pour préparer sa réponse législative. Il est regrettable que le Comité n’ait pas suivi cette feuille de route. Au contraire, le Comité recommande un cadre législatif qui n’est pas conforme à l’affaire Carter. Dans l’ensemble, nous, les députés siégeant au Comité, estimons donc qu’il est de notre devoir devant les électeurs, les Canadiens et les générations futures de présenter respectueusement ce rapport dissident. Expérience du Québec Le Québec est la seule province canadienne à avoir adopté une loi sur les soins de fin de vie. Le rapport principal du Comité présente la chronologie des événements ayant mené à l’adoption de la loi, mais ignore les facteurs les plus importants. Au Québec, seuls les patients de 18 ans et plus souffrant d’une maladie grave et incurable et dont l’état est caractérisé par un déclin avancé et irréversible peuvent demander une aide médicale à mourir. La loi ne permet pas les directives préalables. Le médecin traitant doit s’assurer que le patient a clairement consenti à l’AMM, veillant entre autres à ce qu’il n’ait pas subi de pressions externes, et prononcer un pronostic exhaustif sur l’état du patient et les options de traitement possibles, ce qui comprend les conséquences probables. Le médecin doit aussi assurer le consentement continu du patient en discutant avec lui à différents moments, espacés par des délais raisonnables, en tenant compte de son état. Les médecins du Québec sont libres d’agir selon leur conscience. S’ils ne veulent pas offrir ce service, ils doivent diriger le patient vers un organisme indépendant qui s’adressera à un autre médecin. Deux médecins indépendants doivent confirmer que le patient répond à tous les critères prescrits par la loi. Les travaux précédant l’adoption de la loi ont duré six ans, sous trois législatures différentes et dans le cadre d’un processus non partisan. La loi a finalement été adoptée par un vote libre des députés de l’Assemblée nationale : 94 députés ont voté pour et 22 ont voté contre. Tous les votes contre venaient des députés du parti au pouvoir, dont 11 ministres. De façon générale, nous reconnaissons que l’expérience du Québec est le résultat d’une approche prudente, sérieuse et exhaustive qui respecte l’autonomie de l’individu et protège davantage les plus vulnérables que le fait le Rapport du Comité. Le rapport du Comité ne respecte pas l’affaire Carter La décision Carter est la loi du pays. Toute réponse législative doit respecter les paramètres de l’affaire Carter. Malheureusement, le Comité recommande un cadre législatif qui ne respecte pas l’affaire Carter. Ouvrir la porte aux mineurs contrairement à Carter Le Comité, dans la recommandation 6b, recommande de permettre l’AMM dans des cas expressément exclus par Carter, notamment la possibilité d’autoriser des mineurs matures à une date ultérieure. La CSC a bien précisé que l’AMM devrait être accessible aux « adultes capables ».[5] Si la CSC voulait rendre l’AMM accessible aux mineurs matures, elle l’aurait précisé. La CSC a plutôt tout fait pour empêcher cela. C’est corroboré par le témoignage du professeur Peter Hogg, le plus grand spécialiste constitutionnel du Canada, qui a dit : La Cour suprême, dans son jugement, parlait d’une « personne adulte capable ». Par conséquent, je ne crois pas que nous pourrions fixer à 16 ans l’âge de consentement à cette fin, parce qu’il ne s’agirait pas d’un adulte capable au sens de la loi. Maintenant, selon votre interprétation du terme « adulte », il vous reste à déterminer à partir de quel âge, entre 18 et 21 ans, une personne est en mesure d’accorder son consentement à l’aide à mourir.[6] De plus, une haute responsable du ministère de la Justice a appuyé le professeur Hogg, disant que « le jugement de la Cour visait clairement uniquement les adultes mentalement compétents ».[7] Le Comité a également entendu des témoignages importants sur les raisons politiques justifiant que l’AMM soit accessible uniquement aux adultes. La Société canadienne de pédiatrie, dont l’opinion dans cette affaire est extrêmement importante, a été sans équivoque : « Aux fins de la loi, je dirais qu’une personne âgée de 18 ans est un adulte. Je serais la plus conservatrice possible. »[8] Et : « Je suis ici aujourd’hui pour parler au nom des enfants et, en ce qui a trait aux enfants, je dirais qu’il ne faut pas outrepasser la décision de la Cour suprême. »”[9] Pas de protection pour les personnes souffrant de maladie mentale En outre, le cadre législatif proposé par le Comité n’établit pas un juste équilibre entre le respect de l’autonomie de l’individu et la nécessité de protéger les personnes vulnérables, comme la CSC a demandé au Parlement de le faire dans l’affaire Carter. Par exemple, de façon choquante, ni dans la recommandation 3 du rapport principal, ni ailleurs dans le rapport principal du Comité, il n’y a aucune exigence voulant que les patients ayant une maladie mentale subissent une évaluation psychiatrique par un professionnel afin de déterminer s’ils sont aptes à consentir à l’AMM. Ainsi, même si l’Association des psychiatres du Canada est de cet avis, et nous pensons que la grande majorité des Canadiens seraient tout à fait d’accord, quand une personne souffrant d’une maladie mentale demande une aide médicale à mourir, « le psychiatre doit participer au processus afin d’effectuer une évaluation adéquate dès que la demande est présentée ».[10] La CSC a statué que l’AMM pourrait être pratiquée d’une façon qui protège les personnes vulnérables si elle est accompagnée de protections rigoureuses. Un régime qui n’est pas suffisamment rigoureux pour protéger les personnes vulnérables, s’il est contesté, serait presque certainement considéré comme étant contraire à la Charte. Il est illogique de remplacer une loi contraire à la Charte d’une certaine façon par une loi qui est contraire à la Charte d’une autre façon. Malheureusement, le Comité, dans son rapport principal, n’établit pas le juste équilibre entre l’autonomie de l’individu et la nécessité de protéger les personnes vulnérables. Autres préoccupations liées au rapport principal Nous pensons que le rapport principal du Comité aurait dû accorder plus d’importance à trois autres points : (1) les soins palliatifs ; (2) la protection de la conscience des médecins et des établissements de santé ; et (3) les directives préalables. Soins palliatifs Lors des audiences du Comité, de nombreux témoins ont souligné l’importance des soins palliatifs dans le contexte de l’AMM. Ils ont aussi parlé de la pénurie globale de services de soins palliatifs appropriés. La Société canadienne du cancer a parlé des « graves pénuries de soins palliatifs partout au pays ».[11] La Société canadienne des médecins de soins palliatifs a indiqué que la formation des fournisseurs de soins palliatifs est « totalement inadéquate ».[12] L’importance des soins palliatifs dans le contexte de l’AMM est expressément précisée dans le Rapport final du Comité externe sur les options de réponse législative à Carter c. Canada : « Une demande d’aide médicale à mourir ne peut être véritablement volontaire si la possibilité d’avoir accès à des soins palliatifs appropriés n’est pas disponible pour alléger les souffrances d’une personne ».[13] Il n’est pas possible qu’une personne choisisse de façon vraiment autonome de mettre fin à ses jours si elle n’a pas accès à des soins palliatifs, car son seul choix est la souffrance intolérable ou l’AMM. Le témoignage de la Société canadienne du cancer l’a confirmé : « Toute politique responsable sur l’aide à mourir doit garantir l’accès de tous les Canadiens aux soins palliatifs ».[14] Nous pensons donc qu’il est essentiel que le gouvernement fédéral travaille avec les provinces et les territoires, et avec les autorités réglementaires médicales provinciales et territoriales, afin d’assurer que l’option des soins palliatifs est offerte et disponible à toute personne envisageant l’AMM. Protection de conscience L’article 2 de la Charte garantit à tous les Canadiens la « liberté de conscience et de religion ».[15] Les témoins ont dit quasiment à l’unanimité que les médecins qui ne veulent pas participer à l’AMM pour des raisons de conscience ne devraient pas être obligés de le faire. Malheureusement, dans son rapport principal, le Comité ne protège pas suffisamment les droits des médecins et des établissements de santé prévus par la Charte. Le Comité recommande que les médecins qui s’objectent à l’AMM pour des raisons de conscience soient tenus de diriger les patients par une « recommandation efficace ». Nous pensons qu’un tel régime est inutile et empiéterait sur les droits des médecins prévus par la Charte. Nous soulignons que le Canada serait le premier pays à avoir un régime de recommandation efficace. Nous pensons plutôt qu’il existe de meilleurs modèles pour protéger les droits des médecins prévus par la Charte et pour offrir un accès à l’AMM aux patients dans d’autres territoires, dont le Québec. Les médecins qui s’objectent par conscience à l’AMM dont tenus d’informer les patients sur les façons d’obtenir une AMM, et d’aviser un organisme gouvernemental de la demande du patient. L’organisme gouvernemental met ensuite le patient en contact avec un médecin prêt à offrir une AMM. De plus, les établissements de santé qui refusent d’offrir une AMM devraient être exemptés conformément à la détermination par la Cour suprême que les aspects individuels et collectifs de la liberté de religion et de conscience garantis par la Charte sont « indissolublement liés ».[16] Directives préalables Nous nous inquiétons du régime de directives préalables proposé dans le rapport principal du Comité. Le régime proposé pourrait dépasser les paramètres établis par l’affaire Carter. En outre, plusieurs témoins, dont l’Association médicale canadienne,[17] ont reconnu que d’un point de vue politique, le type de régime proposé est déconseillé. Nous soulignons également que les questions liées aux directives préalables sont extrêmement compliquées. Il faut beaucoup plus de temps que ce qui a été accordé au Comité pour étudier les implications juridiques et politiques des directives préalables. Conclusion Nous encourageons vivement le gouvernement à élaborer une mesure législative qui tient pleinement compte des réflexions, des préoccupations et des recommandations susmentionnées. Nous reconnaissons que la loi doit respecter la Charte selon l’interprétation de la CSC dans l’affaire Carter. Le Comité n’a pas respecté les paramètres établis dans Carter et ne propose pas de véritables protections, comme le Parlement devait le faire avec Carter. À la lumière de ce qui précède, il n’est pas possible de soutenir le rapport principal du Comité. Nous espérons toutefois que le gouvernement va tenir compte des lacunes flagrantes du rapport principal du Comité et faire beaucoup mieux quand il présentera sa réponse législative à l’affaire Carter. Le tout respectueusement soumis,
Michael Cooper, député.
Mark Warawa, député.
Gérard Deltell, député. Harold Albrecht, député. [1] CSC, Carter c. Canada (6 février 2015), alinéa 4 [2] Nous soulignons notre grave préoccupation que compte tenu des délais, il sera pratiquement impossible d’analyser suffisamment les importantes conséquences de l’autorisation de l’AMM au Canada. Le Québec a eu besoin de six ans et de trois administrations différentes pour trouver un modèle jugé acceptable. [3] CSC, Carter c. Canada (6 février 2015), alinéa 98. [4] Ibid., alinéa 117. [5] Carter, supra, alinéas 4, 68, 127 et 147. [6] Peter Hogg, Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir (25 janvier 2016). [7] Joanne Klineberg, Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir (18 janvier 2016). [8] Dr Dawn Davies, Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir (3 février 2016). [9] Dr Mary Shariff, Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir (3 février 2016). [10] Dr K. Sonu Gaind, Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir (27 janvier 2016). [11] Gabriel Miller, Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir (1er février 2016). [12] Dr Monica Branigan, Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir (27 janvier 2016). [13] Dr Harvey Max Chochinov, professeur Catherine Frazee, professeur Benoît Pelletier, Rapport final sur les options de réponse législative à Carter c. Canada (15 décembre 2015), page vii. [14] Gabriel Miller, Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir (1er février 2016). [15] Loi constitutionnelle de 1982, 2.a. [16] École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 SCC 12, alinéas 92 à 94. [17] Dr Jeff Blackmer, Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir (27 janvier 2016). |