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PDAM Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir


NUMÉRO 006 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 27 janvier 2016

[Enregistrement électronique]

(1705)

[Traduction]

     Je déclare ouverte cette séance du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir.
     Je tiens à remercier nos témoins — et surtout en ce moment — et à leur offrir les excuses de la Chambre des communes pour les deux changements d'heure qui se sont produits. Il est assez fréquent de changer l'heure des réunions, mais cela se produit rarement deux fois. Or, lorsqu'il y a des votes ou des déclarations ministérielles, nous devons semble-t-il exiger une certaine flexibilité, du moins en ce qui concerne la Chambre. Quoi qu'il en soit, merci d'avoir fait ce qu'il fallait pour être ici, et ce, malgré les changements d'heure.
    Je signale que notre coprésident, le sénateur Ogilvie, prend part à une autre réunion, et qu'il nous rejoindra dès qu'il le pourra.
    Je rappelle au Comité que cette première séance durera une heure. Il se peut toutefois que nous demandions une prolongation de quelques minutes puisque nous avons trois groupes d'experts à entendre ce soir. Donc, il se pourrait que je vous demande de rester cinq minutes de plus à la fin de la séance afin de permettre quelques questions additionnelles. Je vous consulterai en temps et lieu à ce sujet. Il nous reste un certain temps avant le vote à la Chambre, alors cela ne devrait pas être un problème.
    Monsieur Warawa, vous avez la parole.
    En ce qui concerne cette question, monsieur le président, si nous avons effectivement une prolongation à cause du vote, il y a quelque chose dont j'aimerais parler à huis clos aux membres du Comité. Dans cette optique, si vous pouviez permettre un huis clos de 5 ou 10 minutes à la fin de la séance, je vous en saurais gré.
     Bien sûr. Je crois que la sonnerie d'appel ne retentira pas avant 18 h 45, alors nous aurons un peu de temps. Nous passerons à huis clos une fois que nous aurons eu une bonne discussion.
    Nos premiers témoins sont de l'Association médicale canadienne, qui représente les médecins du Canada.
    Nous vous remercions beaucoup d'être ici. Vous avez 10 minutes pour faire votre exposé. Ce temps vous appartient. Chacun pourra s'identifier et nous donner son titre lorsque son tour arrivera.
    Je m'appelle Cindy Forbes, et je suis la présidente de l'Association médicale canadienne, l'AMC. Je suis également médecin de famille en Nouvelle-Écosse. Je suis accompagnée par le Dr Jeff Blackmer, vice-président du professionnalisme médical à l'AMC. C'est lui qui a dirigé le travail de notre organisme sur l'aide médicale à mourir.
    J'aimerais commencer l'exposé en faisant un bref retour sur les consultations que l'AMC a menées auprès du public et des médecins concernant les soins de fin de vie. Je ferai ensuite un survol de notre rapport, intitulé Approche fondée sur des principes pour encadrer l’aide à mourir au Canada.
    Mais avant tout, j'aimerais porter deux enjeux d'importance névralgiques à l'attention du Comité, des enjeux qui seront cruciaux pour garantir un accès efficace aux patients.
    Premièrement, comment pouvons-nous assurer que les cadres législatif et réglementaire permettront de faire un équilibre approprié entre la capacité des médecins de suivre leur conscience et celle des patients d'obtenir de l'aide médicale à mourir? Deuxièmement, comment pouvons-nous garantir l'établissement d'un cadre uniforme à l'échelle du pays?
    Nous aborderons ces enjeux dans nos commentaires, et vos questions seront les bienvenues. Nous souhaitons mettre en relief le rôle potentiel que les lois fédérales peuvent jouer pour traiter ces enjeux avec efficience et efficacité.
    Tout d'abord, un peu d'histoire. En tant qu'association professionnelle représentant les médecins du Canada, l'AMC reconnaît depuis longtemps l'importance des soins de fin de vie. Nous avons joué un rôle de premier plan au cours des deux dernières années, notamment en menant la discussion nationale sur les soins de fin de vie, dont l'aide médicale à mourir. En 2014, l'AMC a entrepris la plus vaste consultation que le Canada ait vue ces dernières années. Nous avons organisé des assemblées publiques partout au pays — en plus d'échanges en ligne — afin de savoir ce que le public et les médecins pensent des questions relatives aux soins de fin de vie. Cette consultation nous a permis d'étayer notre position en la matière et de préciser l'attention que nous souhaitons accorder à ces questions.
    Durant l'affaire Carter, l'AMC s'est présentée en Cour suprême à titre d'intervenant, d'ami du tribunal, avec l'objectif de rendre compte du point de vue des médecins. Dans sa décision, la Cour a fait référence à la position de l'AMC. À la suite de la décision historique rendue par la Cour suprême en février dernier, l'AMC a entrepris de mettre au point des recommandations afin de baliser la mise en oeuvre de l'aide médicale à mourir. L'élaboration de ces recommandations s'est appuyée sur des consultations et des réflexions poussées menées auprès du comité d'éthique de l'AMC, des médecins canadiens et des principales parties concernées en santé et en médecine.
    De plus, au cours de l'automne, l'AMC a rencontré de nombreux ministres de la Santé provinciaux et territoriaux afin de discuter de ces recommandations. Or, l'élaboration de nos recommandations est désormais terminée, et nous les avons rendues publiques la semaine dernière. Les membres du Comité ont reçu une copie du document où elles sont présentées, Approche fondée sur des principes pour encadrer l’aide à mourir au Canada. Orientées par une série de 10 principes fondamentaux, les recommandations formulées portent sur les quatre domaines suivants: l'admissibilité du patient à une évaluation concernant l’aide à mourir; les mesures de protection procédurales pour assurer que les critères d'admissibilité sont satisfaits; les rôles et responsabilités du médecin traitant et du médecin consultant; comment trouver le juste équilibre entre l'objection de conscience et la demande d'aide médicale à mourir d'un patient.
    En raison des préoccupations particulières qu'elle suscite, cette dernière question, l'objection de conscience, en est une dont nous aimerions parler plus longuement.
    Pour ce faire, je laisse la parole à mon collègue, le Dr Jeff Blackmer.
     Merci, docteure Forbes, et merci aux membres du Comité.
    La garantie d'une offre d'accès concrète aux patients dans l'ensemble du pays dépend en partie de notre façon d'approcher la question. Je tiens à souligner qu'une des préoccupations clés de l'AMC a été de faire en sorte que les médecins comme les patients soient pris en compte dans la réponse réglementaire et législative globale à l'arrêt Carter. Comme il s'agit d'une question de société, l'aide à mourir est un sujet délicat et controversé pour la profession médicale. Il faut admettre qu'il s'agit là d'un changement en profondeur pour les médecins du Canada, et comme organisme représentant ces professionnels, nous ne saurions trop insister sur la signification et l'importance de ce changement.
    Comme nous l'avons dit, l'AMC a abondamment consulté les médecins en amont et en aval de la décision Carter. Nos enquêtes et nos consultations indiquent qu'environ 30 % des médecins sont disposés à offrir de l'aide médicale à mourir. Il est important de noter que la majorité des médecins qui choisiront de ne pas offrir cette aide de façon directe ne voient par ailleurs aucun problème à recommander un autre médecin à un patient, et ne considèrent pas cela comme une violation de leur conscience ou de leur code moral.
    Pour d'autres cependant, il serait catégoriquement et moralement inacceptable de faire cette sorte de recommandation. Pour ces médecins, un tel geste est synonyme d'une participation procédurale forcée susceptible de les relier — voire de les en rendre complices — à ce qu'ils jugent comme étant un acte odieux sur le plan moral. Autrement dit, la recommandation d'un tiers pour offrir de l'aide médicale à mourir ne pose pas de problème de conscience à certains médecins, mais à d'autres, oui.
    Une partie de l'obligation du gouvernement et des parties prenantes est d'assurer un accès efficace pour les patients en mettant en place les ressources et les systèmes nécessaires. Le cadre de l'AMC rend compte des différences de conscience en recommandant la création de ressources visant à faciliter cet accès. Il est essentiel que nous rendions les choses claires pour les médecins et leurs patients, et que nous élaborions une approche uniforme pour l'ensemble des administrations.
    L'AMC est très consciente de ce qui risque de se produire si elle ne fait rien en ce sens: nous assisterons sans doute à la multiplication d'approches diverses et potentiellement conflictuelles, ce qui ne serait utile pour personne — docteurs ou patients. Or, je peux vous dire comme une confidence — et avec une certaine gravité — que c'est le risque que nous courons à l'heure actuelle. Un certain nombre d'organismes de réglementation provinciaux ont récemment publié des lignes directrices provisoires ou définitives à ce sujet. Pour un certain nombre d'aspects importants, les vues exprimées dans ces lignes directrices divergent légèrement ou considérablement entre elles. Il ne s'agit plus d'une question théorique. Nous nous retrouvons concrètement avec une mosaïque d'approches.
    Nous nous tournons vers le Parlement pour qu'il nous montre la voie et appuie l'élaboration d'une approche pancanadienne. Le cadre de l'AMC fournit une orientation névralgique à l'intention de ceux qui prendront des décisions à ce sujet. Je le répète, l'élaboration de ces recommandations par l'AMC a demandé une réflexion délicate et approfondie qui s'est étalée sur les deux dernières années. Ce sont peut-être les consultations les plus rigoureuses que nous ayons menées jusqu'ici. À chaque étape, nous avons consulté nos membres, le public et d'autres intervenants des soins de santé. Nos recommandations sont fondées cette importante consultation et sur l'examen réalisé par nos experts au sujet des cadres existants à l'étranger.
    Je suis ravi que les médecins du Canada se soient dits prêts à travailler avec vous afin d'assurer que vous soyez en mesure de fournir une réponse dans quatre mois. À l'heure actuelle, le pays n'a pas de système en place pour nous épauler, mais je peux vous dire avec une certaine fierté que le cadre de l'AMC est prêt pour que vous l'adoptiez.
    La Dre Forbes et moi serons heureux d'écouter tous vos commentaires et de répondre à toutes vos questions.
    Merci.
(1710)
     Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant laisser la parole à Mme Sutherland Boal de l'Association des infirmières et infirmiers du Canada.
     Bonjour. Je m'appelle Anne Sutherland Boal. Je suis la directrice générale de l'Association des infirmières et infirmiers du Canada, l'AIIC.
    L'AIIC est la voix professionnelle nationale des infirmières et infirmiers du Canada. Elle représente 135 000 membres à l'échelle du pays — des infirmières praticiennes et des infirmières autorisées —, et elle est représentée dans toutes les provinces et tous les territoires. Je suis accompagnée par Josette Roussel, une infirmière-conseil principale de notre organisme.
    La fonction fondamentale de notre association nationale est de défendre le personnel infirmier, les Canadiens et une meilleure santé pour tous. Merci d'avoir invité l'AIIC à cette 6e séance du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir. Nous espérons que le comité mixte tiendra compte des connaissances et du savoir-faire spécialisés des infirmières et des infirmiers au sujet de l'aide médicale à mourir. Nous formulerons également certains commentaires sur le sujet plus général des soins de fin de vie.
    Les infirmières praticiennes et les infirmières autorisées forment le groupe de soignants le plus nombreux au Canada. Notre taille seule — plus de 350 000 infirmières et infirmiers — et les situations innombrables dans lesquelles nous travaillons font de nous les intervenants en santé qui ont l'interaction la plus systématique et la plus directe avec les patients et les familles qui ont besoin de soins de santé. Les infirmières et les infirmiers s'occupent des gens 24 heures sur 24, 7 jours par semaine. Ils nouent des liens de confiance avec leurs patients, les familles et les soignants. Les infirmières praticiennes et les infirmières autorisées vont là où sont les Canadiens: à la maison, dans la collectivité et dans les hôpitaux. Dans les commentaires qui suivent, le terme « infirmières » désigne les infirmières et infirmiers praticiens, et les infirmières et infirmiers autorisés.
    Les infirmières canadiennes ont surveillé de près la question de l'aide médicale à mourir. En octobre 2015, nous avons fait part de notre point de vue sur la question au Comité externe sur les options de réponse législative à Carter c. Canada. Nous avons aussi discuté des conséquences que cette question aurait sur la pratique des soins infirmiers, et ce, bien avant la décision rendue par la Cour suprême du Canada en février 2015 et la décision prononcée par la Cour d'appel du Québec, en décembre 2015. C'est une question dont les infirmières discutent couramment. Hier encore, à l'occasion d'un webinaire de l'AIIC sur les soins de fin de vie, plus de 350 infirmières se sont penchées sur les enjeux éthiques et les soins infirmiers liés à l'aide médicale à mourir.
    Les Canadiens savent qu'il n'est jamais facile de voir un être cher ressentir de la douleur et de la détresse, et les infirmières canadiennes le savent aussi. Nous faisons face à ces situations en parlant en faveur des patients et en nous appuyant les uns les autres en tant que fournisseurs de soins afin que les souhaits des patients soient respectés. Les infirmières aident depuis longtemps les patients et les familles en ce qui a trait aux soins de fin de vie, à la planification et aux discussions entourant ce passage. Nous militons verbalement pour une amélioration des soins palliatifs dans l'ensemble du Canada. Nous estimons que le travail de votre comité, mais aussi les efforts des décideurs et des fournisseurs doivent se poursuivre afin d'améliorer l'offre des services et des ressources en soins palliatifs pour tous les Canadiens.
    La pratique des soins infirmiers au Canada est fondée sur notre code de déontologie, le Code de déontologie des infirmières et infirmiers. Ma collègue Josette Roussel va maintenant vous parler de ce code et de l'importance que cette question revêt pour les infirmières du Canada.
    Cela dit, permettez-moi de vous présenter Josette.
(1715)

[Français]

     Je suis infirmière et j'ai soigné des patients en fin de vie pendant de nombreuses années au cours de ma carrière.
    Je vais continuer ma présentation en anglais.

[Traduction]

    Le Code de déontologie des infirmières et infirmiers est un document fondamental pour les infirmières au Canada. Pour m'aider à expliquer pourquoi il est important et comment il aide le personnel infirmier, je vais vous demander de vous représenter le scénario suivant. Un homme de 85 ans se retrouve à l'hôpital après avoir subi une grave hémorragie cérébrale. Il dit à sa fille qu'il a peur. Il reste éveillé toute la nuit dans son lit à réfléchir à ce qui l'attend. Vais-je mourir? Quand vais-je mourir? Vais-je avoir beaucoup de douleur? Ce sont les grandes questions que tout le monde se pose. Or, lorsqu'il est là, à 3 heures du matin, dans son lit d'hôpital, entouré d'étrangers, l'une des seules personnes à qui il peut parler est l'infirmière.
    Notre Code de déontologie des infirmières et infirmiers et les ressources que fournit l'AIIC servent à préparer les infirmières à ces discussions qui ont lieu à 3 heures du matin. Le code est là pour aider les infirmières à exercer leur profession avec compétence, compassion, sens des responsabilités et éthique. Il fournit une orientation sur les droits des personnes à refuser ou à supprimer le consentement. Il met aussi l'accent sur l'importance de reconnaître les différences entre le pouvoir des fournisseurs de soins et celui du malade, et sur ce qu'il convient de faire lorsque les soins entrent en conflit avec la conscience. Le code fournit des renseignements pratiques sur la formation de l'objection de conscience: avant l'emploi, anticipation et planification d'un conflit et la situation où quelqu'un est engagé dans un soin infirmier qui crée un conflit.
    Bien que les infirmières aient leur code pour les orienter dans leur travail, elles ont aussi besoin de lois, de règlements, de politiques et de procédures. Ce sont ces structures qui nous permettent d'assurer, en tant que fournisseurs de soins, que les Canadiens ont accès aux soins qu'ils méritent.
    Merci, Josette.
    Les infirmiers et infirmières savent pertinemment que l'aide médicale à mourir est un enjeu des plus complexe qui peut mettre en contradiction les valeurs professionnelles, les valeurs personnelles et les règles de pratique en santé. Quoi qu'il en soit, dans la foulée de la décision rendue par la Cour suprême, l'AIIC doit s'employer en priorité à aider le personnel infirmier à offrir à tous les patients les meilleurs soins qui soient dans le respect des règles d'éthique.
    J'aimerais maintenant vous entretenir des mesures à privilégier aux yeux de notre association.
    Nous avons d'abord besoin de mesures de protection permettant à chaque patient de prendre les décisions qui le concernent. De telles mesures sont nécessaires pour s'assurer que l'aide médicale à mourir est fournie de façon consciencieuse et compétente, dans le plus grand respect des règles d'éthique. Nous recommandons la mise en place de mécanismes permettant à chaque patient de discuter de sa situation avec ses proches, les pourvoyeurs de soins et l'équipe interprofessionnelle; de politiques et de procédures pour déterminer si le patient est toujours capable de prendre des décisions à toutes les étapes de son cheminement; de processus permettant au patient de reconsidérer sa décision; de mécanismes de protection pour les patients les plus vulnérables; de mécanismes permettant au personnel infirmier de contribuer à la prise de décisions et à l'évaluation des mesures de soutien requises pour le patient; de lignes directrices à l'intention de l'équipe interprofessionnelle pour la consignation des discussions tenues et des plans établis.
    En deuxième lieu, il faut offrir un accès équitable et rapide à l'information au sujet des options de fin de vie, y compris les soins palliatifs et l'aide médicale à mourir. Tous les Canadiens doivent bénéficier du même accès à l'aide médicale à mourir, quel que soit leur code postal ou le milieu où ils se trouvent, soit à l'hôpital ou à la maison. Les considérations relatives à la culture, au sexe, aux inégalités et aux disparités doivent également être prises en compte.
    Les Canadiens et les fournisseurs de soins doivent avoir accès aux ressources et à l'information nécessaire au sujet de toutes les options de fin de vie. Selon nous, la planification des processus d'aide médicale à mourir devrait se faire parallèlement à celle des soins palliatifs dans le cadre d'une approche pancanadienne. Nous recommandons que les infirmiers et infirmières aient accès dans tous leurs contextes de travail à l'information, aux ressources et aux outils nécessaires pour répondre aux questions posées par les patients, leur famille et les autres fournisseurs de soins. Les professionnels de la santé devraient en outre recevoir une formation leur permettant de mieux guider les patients dans leurs choix touchant les soins palliatifs et les soins de fin de vie.
    Troisièmement, nous souhaiterions l'adoption d'une approche axée sur la personne pour aider le patient à mieux faire ses choix. Il faut considérer que le désir de mourir dans la dignité en étant soulagé de ses souffrances est toujours au coeur de la demande d'un patient. Quel que soit le plan établi, la dignité en sera donc l'un des éléments clés. En offrant des soins axés sur la personne, on respecte les valeurs du patient et ses volontés en matière de soins de santé en favorisant son autonomie, sa liberté de choix, sa capacité de contrôle ainsi que la prise conjointe de décisions. Nous recommandons la mise en place de politiques et de procédures guidant l'équipe interprofessionnelle dans ses communications avec le patient, sa famille et les pourvoyeurs de soins. Nous préconisons en outre une orientation assurant une discussion ouverte et une écoute attentionnée tenant compte des différences culturelles ainsi que de l'autonomie et de la spiritualité de chacun.
    Quatrièmement, il nous faut des mécanismes assurant la qualité et la sécurité. Il faut absolument mettre en place un processus rigoureux pour évaluer l'état des patients et en arriver à une décision. Le processus doit être bien défini et documenté de façon à être compris de la même manière partout au Canada. Nous recommandons la création de mécanismes systématiques, y compris des systèmes, des politiques et des procédures normalisées permettant la cueillette de données exactes et la publication de rapports à l'échelle nationale. Il conviendrait également d'établir un cadre harmonisé, piloté par des organismes de réglementation, pour normaliser la formation et l'évaluation des compétences des professionnels de la santé.
(1720)
    Il vous reste une minute.
    Cinquièmement, les pourvoyeurs de soins doivent bénéficier d'un accès équitable à des mesures de soutien psychologique. Dans le contexte actuel, ces professionnels sont soumis à beaucoup de pression et énormément de stress. Nous recommandons que leur programme de formation comprenne des modules sur l'aide médicale à mourir. Il faut également que les praticiens aient accès à des mesures de perfectionnement et de formation continue ainsi qu'à des services de soutien psychologique.
    En terminant, il convient d'assurer la protection des infirmiers et infirmières et des autres pourvoyeurs de soins en vertu du Code criminel. Le personnel infirmier a un rôle direct à jouer dans les processus de fin de vie. Il n'est pas rare que l'infirmière soit la première personne avec laquelle un patient choisit de discuter de ses options de fin de vie. Nous recommandons des modifications au Code criminel, une position très bien expliquée par la Société de protection des infirmières et infirmiers du Canada dans son mémoire au comité externe. Il faudrait également offrir une orientation relativement à l'objection de conscience.
    Merci beaucoup de nous avoir donné l'occasion de vous présenter nos points de vue.
    C'est la Dre Monica Branigan qui nous présentera le troisième exposé de la journée.
    Bonsoir à tous. Je suis vraiment heureuse d'être ici. J'ai l'intention d'apporter ma contribution en vous aidant à mieux comprendre le travail d'un médecin en soins palliatifs, ce que je suis moi-même.
    À Toronto, je visite mes patients à leur domicile. Je suis ici pour vous présenter les points de vue de la Société canadienne des médecins de soins palliatifs. En reconnaissance du fait que vous avez déjà reçu de grandes quantités d'information, je vais concentrer mon intervention sur quatre grandes priorités.
    Passons tout de suite à la première de ces priorités. Parallèlement aux mesures législatives qui sont prises pour régir la mort provoquée, nous devons améliorer l'accès aux soins palliatifs. Il y a trois raisons pour cela. Il faut d'abord savoir qu'il y a moins de 3 % de Canadiens qui risquent de se prévaloir de l'aide médicale à mourir, alors que les soins palliatifs peuvent bénéficier à tous et chacun d'entre nous. Nous savons par ailleurs que les soins palliatifs actuellement offerts sont insuffisants et que 65 % des patients meurent à l'hôpital, contrairement à leur volonté. Troisièmement, il faut comprendre que c'est davantage une question personnelle qu'un enjeu politique. Nous avons tous vu mourir des proches. Pour certains, la mort a été plutôt douce; pour d'autres, elle a été beaucoup plus difficile. Si nous voulons vraiment respecter la liberté de choix, il faut qu'il y ait une option et que l'on offre l'accès à des soins palliatifs de qualité.
    La création d'un secrétariat national serait d'après nous l'une des façons de mieux répondre aux besoins en matière de soins palliatifs. De nombreuses organisations, comme la Société canadienne du cancer et l'Association médicale canadienne, ont déjà préparé le terrain pour l'établissement d'une stratégie nationale touchant les soins palliatifs. Différentes pistes de réflexion ont ainsi pu être proposées.
    Si l'on souhaite une approche nationale, c'est que les Canadiens sont soucieux de l'équité et qu'il y a un grand manque d'uniformité dans le régime en place. C'est l'endroit où vous vivez qui détermine les services auxquels vous avez accès.
    Il faut que cette initiative soit menée à l'échelle nationale ou fédérale pour permettre l'établissement de normes, le suivi de leur application et la cueillette de données, ce qui nous manque actuellement. On pourra ainsi mieux savoir à quoi s'en tenir quant aux moyens à prendre pour opérer la transition des soins de courte durée en milieu hospitalier, qui accaparent actuellement 95 % du budget, vers les services communautaires, qui doivent se contenter de 5 % des fonds. Nous avons besoin d'une stratégie d'orientation qui doit émaner d'une réflexion pancanadienne. Comment mener une campagne de sensibilisation du public pour dissiper certaines des craintes face à la mort?
    Notre deuxième priorité doit être de réduire les risques de décès prématuré. Tous les médecins en soins palliatifs ont eu des patients qui ont demandé qu'on les aide à mourir pour changer d'avis par la suite et nous dire à quel point ils étaient heureux que nous n'ayons pas pu acquiescer à leur requête. Je ne veux pas laisser entendre par là que tous les patients vont changer d'avis, mais il faut mettre en place les mesures de protection nécessaires, en prévoyant notamment une période d'attente proportionnelle au pronostic de vie du patient.
    À titre d'exemple, lorsqu'une telle requête est formulée par une patiente souffrant d'un cancer du sein à laquelle il ne reste peut-être que quatre semaines à vivre, nous devrions pouvoir réagir plus rapidement que dans le cas d'un jeune homme de 21 ans souffrant d'une lésion de la moelle épinière qui n'arrive pas à envisager sa vie dans un fauteuil roulant. Comme nous savons que les gens peuvent finir par s'adapter à leur nouvelle réalité, une période d'attente uniforme ne serait pas appropriée.
    Nous devons aussi nous assurer que les gens qui examinent une demande de mort provoquée possèdent les compétences nécessaires. Si le jeune homme en question avait parlé à un médecin qui ne connaissait pas les différentes options disponibles, il aurait très bien pu se faire dire que sa situation était sans espoir et que l'aide médicale à mourir était bien sûr la solution dans son cas. Dans notre rôle de médecins en soins palliatifs, nous savons que la plupart de ces demandes sont des expressions de désespoir, et que nous pouvons faire partie de la solution dans certains cas. Je vous dis cela en toute humilité, car je sais très bien que nous ne pouvons pas aider tout le monde.
    Il est en outre important que nous ayons accès à des conseillers en toxicomanie, à des psychiatres et à des professionnels en soutien spirituel de telle sorte que le patient obtienne toute l'aide dont il a vraiment besoin. Vous trouverez dans notre mémoire quelques observations au sujet de la mise en oeuvre progressive et je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions à ce sujet.
    Notre troisième priorité réside dans la mise en place d'un organisme de supervision national qui permettrait de s'assurer que ce service est disponible partout au pays. Cela ne devrait pas se limiter à ce seul aspect, car si nous n'éprouvons pas actuellement de difficulté, comme l'indiquait le Dr Blackmer, à trouver des médecins consentants, il n'est pas chose facile d'établir la connexion entre ces médecins et les patients, un fardeau qui ne devrait pas reposer sur les épaules des médecins canadiens.
(1725)
    Le rôle de cet organisme de supervision national ne se limiterait pas à la cueillette de données, à l'analyse des tendances et à l'établissement de normes canadiennes. Il pourrait également offrir des services d'enregistrement des fournisseurs de soins consentants, de l'information et de l'aiguillage. Les professionnels de la santé dont l'aide est sollicitée n'ont pas nécessairement accès aux ressources requises pour fournir toute l'information pertinente.
    En plus du soutien apporté aux établissements et aux régimes en manque de ressources, cet organisme de supervision pourrait permettre d'établir une distinction véritable entre la mort provoquée par un médecin et les soins palliatifs. C'est une distinction qui nous préoccupe tout particulièrement, car nous n'avons pas ménagé nos efforts pour que les soins palliatifs deviennent une option valable pour les patients. Si, dans leur esprit, l'aide à mourir — celle que je dispense tous les jours à mes patients à titre de médecin en soins palliatifs — est la même chose que la mort provoquée, il y a certains d'entre eux qui n'auront tout simplement plus recours aux soins palliatifs.
    Comme dernière priorité, nous devons créer un système durable. Il faut que le Code criminel offre des mesures de protection pour tous nos professionnels de la santé — et pas uniquement pour les médecins. Nous devons en outre envisager des mesures législatives pour protéger le droit à la liberté de conscience, car un système durable ne peut pas s'appuyer sur la détresse morale. Je crois d'ailleurs que le Dr Blackmer a déjà abordé ce point avec vous. Nous devons faire en sorte que le choix de certains établissements de ne pas offrir de tels services ne se traduise pas par une surcharge de travail pour d'autres établissements. Comme Anne le soulignait, les professionnels qui offrent ce service doivent obtenir du soutien psychologique et spirituel de manière à éviter tout débordement.
    Pour qu'un système soit vraiment durable, il convient, comme je le disais précédemment, de s'assurer qu'il y a une distinction nette entre soins palliatifs et mort anticipée. J'espère vous avoir proposé quelques pistes de solutions intéressantes à cet égard.
    Merci.
(1730)
    Merci beaucoup à tous nos témoins.
    Débutons la période de questions avec M. Aldag.
    Je vais d'abord m'adresser aux Drs Forbes et Blackmer. J'aimerais vous parler du résultat d'un sondage concernant la disposition des médecins à administrer l'aide médicale à mourir. J'ai essayé de retrouver les chiffres dans les rapports, mais je n'y suis pas parvenu.
    D'après l'un des documents que j'ai lus, la décision Carter constituerait un seuil minimal, plutôt qu'un plafond, en matière d'aide médicale à mourir. Je me demandais quel pouvait être votre point de départ dans vos sondages auprès des médecins. Est-ce que vous vous basez sur la décision Carter en déterminant si le problème de santé est grave et...?
    Une voix: Irrémédiable
    M. John Aldag: Oui. Un problème de santé grave et irrémédiable. Je n'arrivais pas à relire mes notes.
    Si l'on envisage d'étendre la portée de ces mesures — en tenant compte de l'âge, de l'incapacité de décider et d'autres facteurs — à partir de quel moment le soutien des membres de l'AMC commence-t-il à faiblir? Il y a toutes ces étapes qui nous font passer d'un régime très restrictif à un régime permissif, et j'essaie simplement de voir où vos membres se situent et jusqu'où les décideurs peuvent aller sans risquer de perdre leur soutien.
    Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?
    Si vous n'arrivez pas à vous relire, c'est sans doute que vous auriez fait un bon médecin.
    Des voix: Oh, oh!
    Dr Jeff Blackmer: Merci beaucoup pour cette question. Nous avons d'ailleurs tâté le terrain auprès de nos membres à ce sujet. Nous ne l'avons pas fait de manière très précise, mais nous sommes arrivés à un taux d'environ 30 % en les interrogeant sur leur niveau global de soutien.
    Si l'on commence à ajouter certains facteurs, comme le fait que la souffrance puisse être uniquement psychologique, le soutien diminue. C'est également le cas lorsque l'on se demande si le patient est en phase terminale ou non. Plus on ajoute des variables de la sorte, plus les médecins deviennent mal à l'aise. Nous n'avons pas fait intervenir dans notre sondage des aspects comme l'âge ou la possibilité de s'en remettre à des directives préalables, mais il est ressorti de nos conversations avec nos collègues que ces variables sont aussi à l'origine d'un grand malaise.
    Notre interprétation de la décision Carter a servi de base à bon nombre de nos discussions à ce sujet. Il ne s'agit pas d'une formule « Carter plus » comme certains l'appellent, mais davantage d'un seuil que d'un plafond. Plus vous ajoutez de variables à l'équation et plus les pourvoyeurs de soins vont trouver la situation délicate. C'est à ce moment-là que leur soutien diminue, et qu'ils sont proportionnellement moins nombreux à être disposés à administrer l'aide médicale à mourir.
    Merci.
    Je reviendrai aux mesures de protection s'il me reste du temps, mais j'aimerais d'abord que nous discutions de la définition de « grave et irrémédiable ».
    Y a-t-il eu des discussions à ce sujet? Vous avez parlé dans votre exposé d'une approche pancanadienne. Je me demande qui est le mieux placé pour établir ces définitions. Est-ce que ce sont les législateurs? Vaudrait-il mieux que les praticiens s'en chargent? Comment nous assurer que rien ne cloche du point de vue de la terminologie, un aspect très important?
    Merci pour cette question. Je peux vous assurer que nous en avons déjà beaucoup discuté entre nous.
    Nous proposons d'ailleurs une définition dans notre mémoire. Je pourrais vous la lire, mais disons qu'il s'agit essentiellement de considérer comme « grave » un problème de santé qui est sérieux ou sévère, et comme « irrémédiable » un problème qui est incurable ou dont on ne peut atténuer les symptômes. Nous sommes conscients qu'il ne s'agit pas d'une terminologie médicale. Il n'existe pas de définition médicale pour ces termes, et il y a assurément une part de subjectivité qui entre en jeu.
    Au fil de notre analyse de cette problématique, nous nous sommes rendu compte que le dialogue entre le patient et son médecin est clairement au coeur de cet enjeu. Il y a aussi la question de la souffrance. Le patient est vraiment le seul qui puisse dire à quel point il souffre.
    Dans ce contexte d'un dialogue, il faut espérer que l'on puisse en arriver à une décision concertée, comme dans la plupart des cas en médecine, qui sera fondée à la fois sur le cheminement particulier du patient et les conseils professionnels du médecin. C'est une solution qui exige une décision conjointe.
    J'aimerais vous poser la même question concernant les mesures de protection. Croyez-vous qu'il faut emprunter la voie législative?
    L'une de vos collègues — je crois que c'était la docteure Branigan — a parlé des périodes d'attente qui doivent être variables en fonction de différents facteurs comme l'espérance de vie. Comment établir ces périodes d'attente? Faut-il prendre des actions législatives concrètes? Comment s'y prendre avec les mesures de protection?
(1735)
    Je vous remercie. C'est une question très importante, et nous croyons effectivement que des mesures législatives s'imposent.
    Comme vous le disait la docteure Branigan, nous préconisons des mesures de protection et des périodes d'attente adaptées à la situation particulière de chaque patient. Il y a clairement une différence entre une personne qui approche de la fin de sa vie naturelle et vit des souffrances atroces que l'on ne peut pas alléger, et une autre à laquelle on vient de diagnostiquer une blessure ou une dépression, une situation qui n'est pas nécessairement irréversible.
    Nous ne voulions pas proposer une définition stricte; nous estimons qu'il faut pouvoir s'adapter en fonction de l'évolution des circonstances. Les notions définies de même que l'uniformité dans l'approche fédérale conservent cependant toute leur importance.
    Merci, docteur Blackmer.
    Je dois donner la parole à M. Cooper.
    Merci, monsieur le président.
    Ma question s'adresse à la Dre Branigan.
    D'après ce que l'on a pu constater ailleurs dans le monde, il arrive que certaines personnes souhaitent formuler une demande d'euthanasie ou de suicide assisté en raison de facteurs qui n'ont rien à voir avec leur état de santé, comme la victimisation, l'isolement social et la pauvreté, par exemple.
    Vous avez brièvement fait allusion au besoin de formation, mais je me demandais si vous pouviez nous dire quel genre de formation est actuellement dispensée aux médecins pour les guider dans leur analyse de ces facteurs très variés.
    Notre formation sur les soins palliatifs est terriblement inadéquate. Les étudiants du programme de médecine de l'Université de Toronto reçoivent moins de 16 heures de formation à ce chapitre. Quel type de formation reçoivent-ils pour examiner ce genre de demandes? En tant que médecin en soins palliatifs, je parle de ce sujet avec mes patients au moins une fois par semaine.
    Vous parlez de la question du fardeau. C'est l'une des principales raisons pour lesquelles les demandes d'accélération de la mort sont approuvées, et il s'agit parfois d'une impression de fardeau.
    Parmi les autres raisons, il y a le fait de ne pas pouvoir vivre comme on le veut, et il s'agit ici de perte d'autonomie. L'une des raisons principales, c'est que la personne n'accepte pas qu'on l'aide lorsqu'elle doit aller à la toilette. Pour bien des gens, c'est grave et intolérable.
    Concernant l'autre question, je crois que vous parlez de la possibilité qu'une personne accélère sa mort parce qu'elle est dans une situation de pauvreté, par exemple. À mon avis, c'est un aspect de la question. Nous regardons toujours les ressources d'aide qui existent chez les patients, ce qui constitue une grande partie de l'évaluation.
    Pour revenir sur la question de la formation, je pense que certains témoins qui ont comparu devant le Comité ont présenté l'euthanasie ou le suicide assisté comme une procédure simple. Or, il existe de nombreux cas où la personne s'est littéralement réveillée au beau milieu du processus d'euthanasie. Il s'agit donc d'une procédure complexe à bien des égards.
    Je me demandais si vous seriez en mesure de donner votre point de vue sur ce plan compte tenu de la nécessité de former les gens.
    Je ne crois pas que la procédure en tant que telle soit aussi complexe. Ce qui est complexe, c'est plutôt la capacité de répondre, en faisant preuve de compassion, à la demande d'une personne qui souhaite qu'on accélère sa mort.
    Les raisons pour lesquelles des gens demandent à être euthanasiés se divisent en quatre catégories. Il s'agit souvent d'une manifestation de désespoir. Également, pour certaines personnes, il s'agit d'un plan de sortie hypothétique, et en Oregon, environ 40 % des gens qui obtiennent une ordonnance ne l'utilisent jamais et en tirent profit. Ce type de demandes se présentent également lorsqu'une personne est sur le point de mourir. II y a des personnes qui le demandent avec persistance et dans ce groupe, le fardeau, l'autonomie et la dignité sont des raisons beaucoup plus répandues que la douleur ou les symptômes incontrôlables.
    Je vous accorde un peu plus de temps, car Dre Forbes veut intervenir.
(1740)
    À titre d'information pour les gens ici, je voulais vous dire que l'Association médicale canadienne est consciente de la nécessité de donner de la formation sur l'aide médicale à mourir aux médecins, et que nous sommes en train de créer des programmes de formation qui leur sont destinés. En fait, Dre Branigan agit à titre de conseillère.
    Nous jugeons que ces programmes comportent deux volets principaux. Il y a tout d'abord la formation destinée à tous les médecins, de sorte qu'en tant que médecin de famille, si un patient me demande de recevoir de l'aide médicale à mourir, je suis en mesure d'avoir les discussions préalables et d'obtenir de l'information et des ressources pour le patient. Pour ce qui est de l'autre volet, il s'agit d'un programme de formation intensif destiné aux médecins qui souhaitent aider les patients, et il comprendrait certainement des aspects plus complexes, dont les moyens et les procédures relatives aux médicaments.
    Veuillez prendre une minute de plus.
    Docteure Branigan, lors de son témoignage devant notre comité hier, Maureen Taylor a contesté certaines statistiques. Elle fait partie du groupe provincial-territorial et elle a laissé entendre que les statistiques selon lesquelles environ 15 à 30 % des Canadiens ont accès à des soins palliatifs sont désuètes. Elle a dit également que le Canada est un pays tellement vaste qu'il n'est vraiment pas nécessaire que les soins palliatifs fassent partie des discussions sur l'aide à la mort.
    Je me demande si vous êtes en mesure de donner votre point de vue.
    À vrai dire, nous n'avons pas les données qui nous permettraient de connaître la situation de l'accès aux soins palliatifs. C'est la réalité. Selon le dernier rapport de la Société canadienne du cancer, 45 % des patients atteints de cancer ne sont pas vus par un praticien en soins palliatifs durant leur dernière année de vie. Je ne pense donc pas qu'il y ait trop de doute que l'accès constitue un problème.
    Excusez-moi, mais j'ai oublié le reste de...
    Merci, mais je dois céder la parole au prochain intervenant. Une minute et demie supplémentaire avait été accordée.
    C'est au tour de M. Rankin.
    Merci beaucoup.
    J'aimerais tout d'abord poser la question suivante aux représentants de l'Association médicale canadienne.
    Dans vos documents, vous dites qu'il est nécessaire que le Parlement élabore une approche pancanadienne, et vous indiquez que sept organismes de réglementation provinciaux ont publié des lignes directrices provisoires ou définitives, qui proviennent sans doute des collèges des provinces.
    Ma question comporte deux volets. Tout d'abord, êtes-vous contents de laisser aux collèges le soin de faire ces travaux? Êtes-vous plutôt d'avis que le Parlement a un rôle à jouer dans l'examen de ces questions? Autrement dit, les médecins, qui exercent une profession autonome, peuvent-ils faire le travail? Si c'est le cas, qu'en est-il de l'uniformité que nous espérons assurer si nous laissons la tâche aux organismes de réglementation de chaque province?
    Merci beaucoup. C'est une question extrêmement importante pour la profession en ce moment.
    Ce que nous avions espéré des lignes directrices élaborées par les provinces, c'est que les différentes approches soient beaucoup plus uniformes. Un organisme national les représente, mais les points de vue et les politiques élaborés varient. Comme je l'ai dit, ils divergent légèrement ou considérablement.
    Nous savons très bien que si nous laissons cela entre les mains des provinces, nous nous retrouverons avec une mosaïque. Comme je l'ai dit, nous en avons déjà une. Il ne s'agit plus d'une préoccupation théorique. C'est maintenant un fait, et nos membres nous font part de leurs inquiétudes. Chaque jour, des gens me téléphonent et me disent qu'ils vivent dans telle province et qu'ils pensent à déménager dans une autre province parce que ses règles correspondent mieux à leurs principes moraux. Il ne s'agit plus d'un problème théorique.
    Pour cette raison, nous voudrions qu'il existe une approche fédérale très rigoureuse pour essayer de garantir l'uniformité d'une province à l'autre concernant certaines de ces questions très difficiles afin de résoudre une partie de ces incertitudes.
    Ensuite, j'aime beaucoup votre approche fondée sur des principes pour encadrer l'aide à mourir au Canada. Dans la partie intitulée « Étape 2: Mesures préalables à l'intervention », vous recommandez le recours à un « deuxième médecin, consultant indépendant » .
    D'autres personnes ont dit qu'il fallait que le deuxième médecin soit un spécialiste du domaine — un oncologue dans certains cas, ou quelqu'un qui connaît la SLA, ou peut-être un psychiatre dans d'autres cas. Souscrivez-vous à cette idée? Convenez-vous qu'il faudrait que...?
    Craint-on que deux médecins travaillant dans une même petite ville puissent voir les choses de façon très différente et pense-t-on qu'il faut qu'une personne extérieure, peut-être un spécialiste, intervienne?
(1745)
    Je pense que cela varie. Dans un cas où le médecin pense que la situation est complexe, nous avançons certainement qu'il voudra peut-être orienter le patient vers un spécialiste, surtout pour l'évaluation de la capacité s'il n'est pas sûr que le patient est en mesure de donner son consentement. Dans certains cas, l'établissement d'une règle selon laquelle il faut que ce soit un spécialiste aurait pour effet de restreindre l'accès.
    Nous croyons que dans le cadre que nous avons mis en place, nous avons expliqué très clairement ce à quoi on s'attend des deux médecins. À notre avis, si ces lignes directrices sont suivies, il n'est pas nécessaire que le deuxième médecin soit un spécialiste.
    J'aimerais poser une question d'ordre général, peut-être à la Dre Branigan ou aux représentants de l'AMC.
    Qu'en penseriez-vous si l'on fournissait le service à la maison pour un patient qui aurait suivi toutes les étapes que vous exigez, ou que nous exigerons, et qui voudrait exercer ce droit chez lui? Êtes-vous d'avis que cela ne peut se faire que dans un contexte hospitalier?
    Je suis certaine qu'un grand nombre de patients voudront se prévaloir de ce droit chez eux, entourés de leur famille plutôt, que dans un établissement.
    Du point de vue médical, vous ne verriez donc aucun problème à cet égard?
    Non, pourvu qu'il s'agisse d'un professionnel consentant. Je pense que les gens veulent mourir chez eux.
    D'accord.
    Vous avez parlé tous les deux du temps d'attente. J'aimerais en savoir un peu plus à ce sujet.
    Docteur Blackmer, je crois que vous avez parlé de lignes directrices législatives sur le temps d'attente. Je comprends que cela varie beaucoup en fonction de la maladie et de la situation. Vous avez fait une comparaison entre la situation d'une patiente atteinte du cancer du sein qui n'a que quatre semaines à vivre et une personne âgée de 21 ans.
    Comment peut-on fournir des lignes directrices par voie législative? Est-ce que cela doit être laissé à la discrétion des médecins — qui, bien sûr, seraient assujettis à des mesures concernant leur profession autonome?
    Je vais peut-être essayer de répondre à votre question en premier. C'est un excellent point.
    Je crois que nous aimerions obtenir des précisions sur la nécessité d'une période de réflexion. Dans le cadre de discussions, des gens ont dit qu'il ne devrait s'agir que d'un seul médecin, et que cinq minutes après la réception de la demande, il soit possible d'intervenir. Il ne devrait pas y avoir de possibilités d'y réfléchir encore mûrement ou d'en discuter davantage avec la famille et les êtres chers.
    Je pense que nous aimerions que le principe soit clair, mais il faut qu'il y ait une marge de manoeuvre concernant la décision prise par le fournisseur de soins de santé et les patients, selon la situation.
    Je suis d'accord avec le Dr Blackmer. Il est difficile d'imposer simplement une période d'attente qui conviendra. J'appuie ce qu'il dit.
    Aucune règle précise...
    Merci, monsieur Rankin.
    C'est maintenant au tour de la sénatrice Seidman.
    Je veux parler de l'uniformité de l'accès, la question soulevée par M. Rankin.
    Vous avez parlé d'une approche pancanadienne. J'aimerais savoir comment chacun de vous répondrait à une recommandation que le Groupe consultatif provincial-territorial d'experts a faite hier. Selon la recommandation qu'il nous a présentée, les professionnels de la santé agréés, comme les infirmières autorisées ou les adjoints au médecin, devraient pouvoir administrer l'aide médicale à mourir sous la direction d'un médecin ou d'une infirmière praticienne.
    Pourrais-je avoir les impressions de chacune de vos associations à cet égard?
    Jusqu'à maintenant, nous avons toujours supposé qu'une équipe participerait aux soins, mais nous croyons comprendre que selon l'arrêt Carter, l'aide serait fournie par un médecin. Puisque c'était notre interprétation, nous n'avons pas étudié la question sous cet angle. Il est certes possible d'en élargir la portée. Nous n'avons pas soumis l'idée et ne l'avons pas appuyée ou rejetée, mais nous pouvons comprendre que pour faciliter l'accès, cela pourrait s'appliquer dans des régions éloignées.
(1750)
    Notre association n'en a pas discuté. Nous appuyons l'idée de favoriser l'accès, et je comprends qu'il pourrait s'agir d'une solution viable à certains endroits.
    Nous savons tous que les infirmières et infirmiers praticiens sont des professionnels autonomes et qu'ils peuvent actuellement prescrire des médicaments. Ils assument une responsabilité élargie et ils travaillent dans des régions où ils sont parfois les fournisseurs de soins principaux. En ce qui concerne l'accès, nous croyons que le modèle proposé améliorera l'accès et permettra aux équipes de collaborer pour fournir ce service.
    C'est notre avis.
    Surtout dans notre immense pays, où l'on trouve un grand nombre de régions rurales où la population n'a pas accès à un médecin... Toutefois, vous avez parfaitement raison lorsque vous dites que la Cour suprême parle de l'« aide d'un médecin pour mourir », alors qu'au Québec, dans le projet de loi 52, on parle de l'« aide médicale à mourir », ce qui est différent, car cette expression a une portée beaucoup plus étendue. En effet, je présume que lorsqu'on se penche sur les mots utilisés, l'expression « aide médicale à mourir » a une portée plus étendue que l'« aide d'un médecin pour mourir ».
    Toutefois, au Québec, c'est limité aux médecins.
    J'aimerais seulement préciser qu'au Québec, les infirmières et infirmiers ont un rôle à jouer dans l'évaluation. Ils font également partie de l'équipe de soutien, car la structure nécessaire est en place.
    Toutefois, je conviens que la concrétisation de l'acte est menée par les médecins.
    La question des directives préalables a été soulevée au cours de nos discussions avec des témoins précédents. En effet, la Cour suprême n'a pas étudié les directives préalables, et au Québec, on ne s'entend pas à ce sujet en ce qui concerne le projet de loi 52, et ce type de directives a donc été éliminé de la version définitive.
    Encore une fois, le groupe consultatif d'experts provincial-territorial a reconnu le rôle joué par les directives préalables et le fait qu'elles varient selon les régions au pays. Ses membres ont toutefois recommandé de permettre au patient de donner son consentement à l'aide médicale à mourir à l'avance par l'entremise de ce qu'ils ont appelé un formulaire de déclaration du patient normalisé ou un testament biologique.
    Que pensez-vous de cette recommandation?
    C'est une question très importante. Il s'agit d'une autre question pour laquelle notre interprétation de la décision Carter n'incluait pas la capacité d'énoncer des directives préalables. Nous avions conclu que cela visait une personne qui avait toutes ses facultés au moment de la demande et au moment de l'acte de l'aide médicale à mourir et c'est également l'interprétation de nos avocats spécialisés en droit constitutionnel. Nous n'avons pas consulté nos membres à cet égard.
    Je peux vous dire que dans la pratique concrète, il est extrêmement complexe et difficile de faire appliquer des directives préalables, car il est très difficile de saisir toutes les nuances et les détails liés à un problème de santé très compliqué et à l'intervention médicale appropriée. Même dans le meilleur des cas, les médecins ont beaucoup de difficulté à faire appliquer une directive préalable.
    Nos membres nous ont dit qu'ils prévoyaient de nombreuses difficultés si nous envisagions d'ajouter la notion de directive préalable à un ensemble de circonstances très complexes dans le cadre de ce nouveau type d'intervention, surtout au départ. Encore une fois, cela créerait un nouveau degré de complexité et il deviendrait encore plus difficile pour de nombreux médecins de concrétiser le processus de l'aide médicale à mourir et d'y participer.
    Il ne s'agit certainement pas de notre politique officielle, mais j'aimerais souligner que cela amène une tout autre série de circonstances.
     Merci, docteur Blackmer.
     Avant de donner la parole au sénateur Joyal, j'aimerais profiter de la prérogative de la présidence et poser une question.
    Dans l'exposé des infirmières, on nous recommandait de mettre en place des politiques et des procédures pour veiller à ce que la compétence soit évaluée tout au long du processus. Dr Branigan a soulevé la préoccupation selon laquelle certaines parties du processus de l'aide médicale à mourir pourraient provoquer prématurément le décès.
    Craint-on que le fait d'exiger qu'un patient ait toutes ses facultés jusqu'au moment où l'aide à mourir est accordée précipite le moment du décès, car une personne pourrait prendre cette décision pendant qu'on juge qu'elle jouit toujours de toutes ses facultés, mais elle pourrait ensuite jouir de toutes ses facultés et profiter d'une bonne qualité de vie pendant plusieurs mois? Se pourrait-il qu'un patient craigne que sa directive préalable ne soit pas respectée et que cela l'encourage à mourir plus tôt?
    Je suis préoccupé par le son de cloche différent que j'entends parmi les témoins. Quel est votre avis à cet égard?
(1755)
    Nous faisions valoir que tout au long de cette démarche, que nous jugeons très complexe, les membres de l'équipe doivent mener de solides évaluations et offrir leur soutien, afin de veiller à ce qu'au moment d'obtenir l'aide médicale à mourir, les patients possèdent tous les renseignements dont ils ont besoin pour prendre une décision qui est dans leur meilleur intérêt, et qu'ils auront suffisamment l'occasion de réfléchir à leur décision, car parfois, les circonstances changent. Nous voulions veiller à ce que des mécanismes soient en place pour donner aux patients l'occasion de revenir sur leur décision.
    Vous mentionnez bien la possibilité de revenir sur leur décision, mais ce point est distinct de l'évaluation des facultés pendant la démarche. Cela signifie-t-il réellement que le patient doit jouir de toutes ses facultés au moment du décès, lorsque l'aide médicale est accordée? Est-ce ce que vous...?
    D'accord. Ce n'était pas clair. Je crois que j'ai entendu ailleurs que vous ne vouliez pas précipiter inutilement le décès. Je voulais seulement éclaircir ce point.
    D'accord. Très bien.
    Sénateur Joyal.
     Docteur Forbes, j'aimerais revenir sur un commentaire que vous avez formulé dans votre exposé et que je trouve troublant.
    Vous avez dit que 30 % des médecins que vous avez interrogés ont répondu qu'ils fourniraient l'aide médicale à mourir, ce qui signifie que 70 % ne le feraient pas. Même si la Cour suprême a clairement énoncé que, conformément à l'article 7 de la Charte, une personne a le droit de demander l'aide d'un médecin, il faut concilier cela avec la liberté de pensée ou la liberté de conscience d'un médecin en vertu de l'alinéa 2b) de la Charte. À quoi donne-t-on la préséance dans ce cas? Pourriez-vous exprimer très clairement votre position sur la situation d'un médecin qui aurait un problème de conscience s'il était forcé de fournir l'aide médicale à mourir, et nous préciser quelle est la responsabilité de ce médecin lorsqu'il s'agit de conseiller le patient ou de l'aiguiller vers le service ou les renseignements appropriés, afin qu'il puisse obtenir l'aide dont il a besoin dans ces circonstances?
    C'est essentiellement l'un des principaux enjeux auxquels nous sommes confrontés. Je crois qu'il est important de se concentrer sur ce que sont, à notre avis, les responsabilités des médecins. Selon nous, les médecins qui ne sont pas prêts à fournir ce service et qui sont d'avis qu'un aiguillage va également à l'encontre de leurs croyances morales ont la responsabilité de présenter au patient toutes les options, c'est-à-dire de lui communiquer, comme nous l'avons dit, tous les choix qui s'offrent en fin de vie, y compris l'aide médicale à mourir, et de veiller à ce que le patient ait les renseignements nécessaires pour avoir accès à ce service.
    Lorsque vous mentionnez que seulement 30 % des médecins sont prêts à fournir ce service, je crois que vous devez également tenir compte du fait que nous nous attendons à ce que moins de 3 % choisissent cette option. L'Association médicale canadienne compte environ 82 000 médecins membres, et il s'agit donc d'un très grand nombre de médecins. Ensuite, on parle réellement de distribution et d'accès aux soins dans différentes régions. Je crois qu'il est utile de mettre les choses en perspective.
    Le Dr Blackmer aimerait également formuler des commentaires.
    Je pense qu'il est essentiel de reconnaître que cette proportion de 30 % représente 24 000 médecins canadiens. Je peux garantir aux membres du Comité que l'accès ne posera pas de problème si cela dépend uniquement de ce nombre.
    Comme le Dr Branigan l'a déjà indiqué, il s'agit de mettre en communication les gens qui se qualifient pour recevoir l'aide médicale à mourir et les personnes qui sont prêtes à fournir cette aide. La question de lier l'accès et le droit à l'objection de conscience est une fausse dichotomie. Ces deux notions ne sont pas liées. En fait, un très faible pourcentage de nos membres ont indiqué qu'ils avaient des sentiments très contradictoires à l'égard de l'obligation d'aiguiller le patient vers le service approprié. Toutefois, tous les autres médecins précisent que même s'ils ne partagent pas ce point de vue, ils se battront pour faire valoir le droit des autres médecins de se soustraire à l'obligation d'aiguiller le patient.
    En résumé, s'il s'agit d'un très faible pourcentage des médecins et qu'un très faible pourcentage des patients demandent l'aide médicale à mourir, cela n'aura aucune répercussion sur l'accès.
    Le dernier point que j'aimerais faire valoir, et je crois que c'est extrêmement important, c'est qu'aucun autre pays n'oblige les médecins à aiguiller efficacement les patients. En effet, parmi les pays qui autorisent actuellement l'aide médicale à mourir ou l'euthanasie, aucun n'exige l'aiguillage efficace des patients, et pourtant, l'accès ne représente pas un problème. Je peux vous garantir, au nom de la profession médicale, que le respect des droits de conscience ne posera pas de problème en ce qui concerne l'accès. Il y a encore du travail à faire dans les régions rurales et éloignées, mais il s'agit d'un autre enjeu.
(1800)
    Cela fera-t-il partie des directives ou de l'interprétation que vous fournirez aux intervenants de la profession médicale, c'est-à-dire aux collèges des médecins provinciaux, qui sont responsables du code de déontologie et d'éthique, en ce qui concerne le rôle dans le dossier de l'aide médicale à mourir?
    Ils connaissent parfaitement notre avis sur la question.
    Merci.
    Monsieur le président, si vous me le permettez, j'aimerais poser une très brève question.
    Docteur Blackmer, vous avez déclaré qu'il existe déjà une variété de directives dans les différentes provinces. Un témoin qui a comparu plus tôt cette semaine, le professeur Hogg, nous a indiqué qu'il serait possible d'atténuer ce problème si le gouvernement fédéral — ou un organisme fédéral à déterminer — établissait l'uniformité des normes à l'échelle du Canada. Autrement dit, certains éléments du service relèvent manifestement de la compétence provinciale, mais étant donné qu'il semble exister une variété de directives, nous sommes déjà confrontés au problème et nous devons trouver une solution. Il ne s'agit pas d'une situation théorique. Selon vos propres mots aujourd'hui, il s'agit d'une situation pratique à laquelle nous sommes confrontés lorsqu'il s'agit de maintenir l'équité et l'universalité des services à l'échelle du pays.
    À votre avis, devrions-nous mettre en oeuvre un cadre de travail national, et lorsque la province a la capacité d'intervenir, devrait-on établir une mesure d'équivalence, afin de veiller à ce que tous les Canadiens aient accès au même service partout au pays?
    Je crois que nous pourrions appuyer cette approche.
    Madame Dabrusin.
    Merci, monsieur le président.
    Aujourd'hui, nous avons beaucoup parlé de la question de l'accès, et surtout de l'accès dans les collectivités éloignées. Pourriez-vous me parler un peu du rôle des infirmières et infirmiers praticiens relativement à la portée des soins qu'ils fournissent actuellement dans les régions éloignées?
    Il y a actuellement plus de 4 000 infirmières et infirmiers praticiens au Canada et 250 000 infirmiers et infirmières. Je ne connais pas leur nombre dans les collectivités rurales et éloignées, mais ces deux catégories sont présentes dans toutes les régions rurales et éloignées.
    Ces infirmières et infirmiers ont accès à des équipes. Parfois, il s'agit d'équipes virtuelles, et parfois, ils sont les seuls fournisseurs de service dans une région. Les infirmières et infirmiers praticiens ont des responsabilités élargies; ils sont en mesure de poser des diagnostics et de traiter des maladies et ils peuvent également prescrire des médicaments. Dans ces collectivités, les infirmières et infirmiers suivent certaines directives médicales, et leurs responsabilités sont également élargies.
    J'espère avoir répondu à votre question sur la situation dans les régions rurales et éloignées.
    Merci.
    Nous avons entendu parler de l'utilisation de la télémédecine par les infirmières et infirmiers. Je crois qu'on en parlait dans le rapport provincial et territorial. Pouvez-vous nous expliquer comment cela fonctionne?
    Nous sommes au courant de quelques exemples et de quelques modèles. Terre-Neuve-et-Labrador utilise parfois la télémédecine pour avoir accès à des services spécialisés. Ce modèle a permis de consulter des spécialistes qui ne sont pas en mesure de se rendre physiquement dans ces collectivités. De nombreuses consultations sont effectuées par l'entremise de ce service.
    Quelques modèles et innovations ont été utilisés avec succès un peu partout au Canada.
    Afin d'aider ceux d'entre nous qui ne travaillent pas dans ce domaine, pourriez-vous décrire le fonctionnement de la télémédecine? Par exemple, parlez-nous d'une infirmière qui s'occupe d'un patient dans une région éloignée lorsqu'il n'y a pas de médecin sur place.
    Cette infirmière a accès à une aide visuelle, par exemple une télévision, et à un outil de communication. Le patient se trouve dans la pièce, et il est en mesure de communiquer avec le ou la spécialiste. Parfois, la technologie en jeu est très avancée, et on peut mener...
    J'aimerais avoir l'aide de mes collègues médecins. En effet, mon expérience d'infirmière concerne surtout le traitement spécialisé et avancé des plaies. J'ai utilisé le service de télésanté, et l'image et la communication étaient de bonne qualité, ce qui nous a permis d'avoir accès à un spécialiste.
    J'espère avoir répondu à votre question.
(1805)
    Vous avez répondu à ma question, mais j'aimerais approfondir le sujet. Une fois que l'infirmière obtient ces renseignements, elle prodigue les soins sous la directive d'un médecin?
    Oui.
    Merci.
    Quel rôle les infirmières et infirmiers jouent-ils dans l'examen de la compétence? Par exemple, lorsque les infirmières et infirmiers praticiens suivent une formation, reçoivent-ils de la formation sur l'évaluation de la compétence?
    Notre personnel infirmier autorisé et notre personnel infirmier praticien sont en mesure de mener l'évaluation préliminaire. L'évaluation de la compétence exige une formation spécialisée, et nous avons besoin de l'aide de spécialistes. Les infirmières et infirmiers sont en mesure de mener l'évaluation préliminaire, mais ensuite, les étapes liées à la compétence sont habituellement menées par des professionnels qui ont reçu une formation spécialisée. Toutefois, les lois et les règlements diffèrent dans chaque province et territoire.
    J'aimerais que vous définissiez le mot « professionnels ». Lorsque vous parlez de professionnels qui ont reçu une formation spécialisée, parlez-vous des médecins?
    Il s'agit habituellement d'un professionnel dans le sens légal. Habituellement, les infirmières et infirmiers ne demandent pas ces outils et évaluations liés à la compétence. Nous pouvons contribuer à cette évaluation par l'entremise de nos interactions préliminaires avec les patients, mais la partie officielle et légale n'est pas accomplie par les infirmiers et infirmières.
    Ma question s'adresse aux témoins de l'AMC. Y a-t-il actuellement des interventions médicales qui sont exclues des directives préalables?
    Je ne suis pas certaine de la réponse à cette question. Je sais qu'une procédure doit franchir un processus assez méticuleux pour être acceptée dans le cadre d'une directive préalable. Elle doit en effet être approuvée par des organismes de réglementation des médecins en collaboration avec l'organisme de réglementation des infirmières et infirmiers. Elle doit également être encadrée de directives très précises. Toutes les procédures ne sont pas des directives préalables. Il ne fait aucun doute que l'aide médicale à mourir doit passer par un processus de réglementation.
    Il se peut que nous vous demandions de répondre à cette question par écrit un peu plus tard.
    Monsieur Warawa.
    Merci, monsieur le président.
    Merci aux témoins.
    Docteurs Blackmer et Forbes, les observations dont vous nous avez fait part aujourd'hui sont une compilation de vos consultations et reflètent l'opinion de l'ACM et non pas vos opinions personnelles. Est-ce exact?
    Absolument.
    Je vous remercie pour votre travail, ainsi que pour les documents et les rapports que vous nous avez fournis.
    Conformément à votre recommandation 5.2, qui porte sur l'objection de conscience d'un médecin:
Les médecins ne sont pas obligés d'accéder aux demandes d'aide à mourir. Cela signifie que les médecins qui décident de ne pas fournir de services d'aide à mourir ou de ne pas participer à la prestation de tels services ne sont pas tenus de le faire ou de diriger le patient vers un médecin ou un administrateur médical qui le fera. Il ne devrait pas y avoir de discrimination à l'endroit d'un médecin qui décide de ne pas fournir de services d'aide à mourir ou de ne pas participer à l'acte.
    Cette recommandation s'applique-t-elle aux médecins, aux installations et aux organisations, ou seulement aux médecins?
    Elle s'applique uniquement aux médecins.
    Si je comprends bien, votre recommandation découle des consultations que vous avez tenues auprès de vos membres? Merci.
    Docteure Branigan, vous avez parlé des délais d'attente, et si je ne m'abuse, vous avez dit que la plupart des gens préféreraient mourir chez eux. Je crois que vous avez entièrement raison. Presque tout le monde ici autour de cette table est suffisamment âgé pour avoir vu mourir l'un de ses proches. En ce qui me concerne, j'ai vu mes deux parents, ma belle-mère et mes beaux-parents mourir. Ce n'était pas facile, mais j'ai eu au moins la chance de pouvoir leur dire au revoir.
    Pour ce qui est des soins palliatifs, en tant que médecin qui côtoie des patients qui songent à la mort anticipée, si je reprends votre terme, c'est-à-dire qui envisagent le recours au suicide assisté par un médecin, à l'euthanasie ou à l'aide médicale à mourir, avez-vous déjà rencontré un patient qui a changé d'avis après avoir reçu des soins palliatifs?
(1810)
    Oui.
    Pourriez-vous nous donner des exemples et nous expliquer comment les soins palliatifs peuvent amener une personne qui souhaite mourir à changer d'avis?
    Je ne crois pas que ce soit uniquement grâce aux soins palliatifs. Il y a d'autres facteurs qui entrent en jeu, dont les démarches de croissance personnelle et la satisfaction des besoins.
    Il y a toutefois deux cas qui me viennent à l'esprit. Un homme s'est présenté à l'urgence, en disant vouloir mourir parce qu'il était trop malade pour prendre l'avion et se rendre en Suisse, où son suicide assisté devait être réalisé par Dignitas. Il souffrait d'un cancer de la prostate. Sa douleur n'était pas maîtrisée. Il a donc été hospitalisé, et on a pu contrôler sa douleur. Il a fini par épouser sa conjointe et est décédé, heureux, à l'unité des soins palliatifs. Je me souviens d'être entrée dans sa chambre et de l'avoir entendu dire: « Je n'ai pas besoin de faire quoi que ce soit. Je n'ai qu'à apprécier ce moment de ma vie. »
    J'ai également côtoyé une patiente atteinte de SLA qui, dès notre première rencontre, m'a remis des documents sur Dignitas. Elle a toutefois changé d'idée. Elle a accepté qu'on lui installe un tube pour l'alimenter, ce qui lui a permis de vivre plus longtemps. Elle aurait pu choisir de ne pas le faire et de mettre fin à ses jours plus rapidement.
    Cette semaine encore, j'ai rencontré une femme qui souhaitait mourir tout simplement parce qu'elle ne pouvait tolérer qu'on l'aide à aller à la toilette. Nous ne sommes pas en mesure d'alléger ce type de souffrance et je ne crois pas que nous y arriverons un jour.
    Merci. J'ai beaucoup d'autres questions à vous poser.
    Vous nous avez dit que la plupart des médecins n'avaient pas de formation en soins palliatifs. Ai-je raison de dire que les médecins ne savent peut-être pas exactement ce que les soins palliatifs peuvent offrir à une personne qui envisage l'aide médicale à mourir?
    Je pense que c'est une question de génération. Les étudiants et les résidents en médecine ont une meilleure formation à cet égard. Il y en a davantage qui possèdent des compétences en soins palliatifs. N'empêche qu'il reste encore beaucoup de gens qui ne comprennent pas bien en quoi consistent les soins palliatifs et qui ne dirigent pas leurs patients vers ces ressources, de peur de les bouleverser. Cela arrive encore aujourd'hui.
    Merci.
    Merci beaucoup à nos témoins. Nous allons nous arrêter ici pour aujourd'hui.
    Il est possible qu'on communique à nouveau avec vous pour recueillir vos opinions.
    Chers collègues, une fois que les témoins auront quitté la salle, nous tiendrons une réunion à huis clos qui sera très brève, étant donné que nous devons participer à un vote à la Chambre.
    Je remercie nos invités. Je vous demanderais de vous retirer le plus rapidement possible afin que nous puissions tenir une réunion à huis clos dans trois minutes. Merci.
    [La séance se poursuit à huis clos.]

    [La séance publique reprend.]
(1925)
    Merci à tous, particulièrement aux sénateurs, de nous permettre de mener ces travaux et d'exercer notre devoir civique.
    Je souhaite la bienvenue aux membres substituts, MM. Wrzesnewskyj et Maloney. M. Albrecht est également parmi nous.
    Je tiens aussi à remercier nos témoins. Je vous ferais des excuses si c'était réellement de notre faute, mais comme vous le savez, les votes échappent à notre contrôle. Nous sommes toutefois désolés d'avoir tergiversé ces deux derniers jours au sujet de l'heure de votre comparution. Nous vous remercions de votre patience et nous avons très hâte d'entendre votre témoignage.
    Nous accueillons aujourd'hui deux groupes de témoins, soit l'Association des pharmaciens du Canada et l'Association des psychiatres du Canada. Je les invite donc à faire un exposé de 10 minutes chacun, après quoi nous enchaînerons avec une période de questions. Merci.
    Je cède d'abord la parole aux représentants de l'Association des pharmaciens du Canada.
    Je tiens à vous remercier, coprésidents du Comité et honorables députés et sénateurs, de nous donner cette occasion de comparaître devant vous aujourd'hui.
    Je m'appelle Carlo Berardi. Je suis pharmacien à Sudbury, mais je comparais aujourd'hui à titre de président du conseil d'administration de l'Association des pharmaciens du Canada.
    L'APC est le porte-parole national des pharmaciens au Canada. L'association a pour but d'améliorer la santé et le bien-être des Canadiens grâce à l'excellence des soins pharmaceutiques. Nous regroupons 10 associations provinciales et nous représentons plus de 20 000 pharmaciens et étudiants en pharmacie partout au Canada.
    Je suis aujourd'hui accompagné de mon collègue, Phil Emberley, qui est également pharmacien, et aussi le directeur des affaires professionnelles à l'APC. Nous reconnaissons l'ampleur de la tâche à accomplir, qui nécessite de concilier les opinions de divers intervenants, du public, mais surtout, des patients. Nous sommes venus vous parler aujourd'hui du rôle des pharmaciens dans l'aide médicale à mourir et de l'incidence que pourrait avoir cette intervention sur les pharmaciens.
    Depuis que la Cour suprême a rendu son jugement il y a près d'un an, une grande partie du débat public a porté sur le rôle que jouent les médecins dans la pratique de l'aide médicale à mourir, et avec raison. Toutefois, les médecins ne travaillent pas seuls. Ils font partie d'un vaste système composé d'infirmières et d'infirmiers, de pharmaciens, de travailleurs sociaux et d'autres fournisseurs de soins de santé ayant chacun leur expertise et leurs responsabilités. Alors que l'arrêt Carter s'articulait principalement autour du rôle des médecins dans la prestation des soins de fin de vie, nous avons eu l'occasion de réfléchir au rôle important des pharmaciens, tant dans le contexte des soins de fin de vie que dans celui de l'aide médicale à mourir.
    D'autres témoins vous ont parlé de la portée de l'arrêt Carter et de la place que devraient occuper les autres professionnels de la santé dans l'aide médicale à mourir. Selon nous, quelle que soit la façon dont l'aide médicale à mourir sera réglementée au Canada, les pharmaciens auront un rôle à jouer.
    Les pharmaciens sont parmi les professionnels en qui les Canadiens ont le plus confiance. Leur accessibilité et leur visibilité au sein de leurs communautés font souvent d'eux le premier point de contact pour les patients qui veulent obtenir rapidement des renseignements fondés en matière de santé.
    À titre de pharmacien, je sais à quel point le public dépend des pharmaciens pour obtenir de l'information sur diverses questions de santé, alors il est très probable que des gens leur demandent de l'information sur l'aide médicale à mourir en vue de prendre une décision éclairée.
    Au cours des derniers mois, l'APC a mené de vastes consultations auprès de ses membres et d'experts du domaine afin d'élaborer une position de principe et un cadre en vue d'aider les gouvernements qui se penchent sur cette question. Dans le cadre de nos consultations, nous avons réalisé un sondage national auprès des pharmaciens et des intervenants du milieu pharmaceutique auquel nous avons reçu près de 1 000 réponses. Le nombre de réponses montre tout l'intérêt que nos membres portent à cette question.
    Nous avons également passé en revue les études existantes sur le sujet et regardé ce qui se faisait dans les autres pays ayant légalisé l'aide médicale à mourir afin de mieux vous conseiller.
    Bien que nous n'ayons pas encore finalisé nos recommandations ou notre cadre relativement au rôle des pharmaciens dans l'aide médicale à mourir, nous aimerions souligner certaines des questions qui sont constamment soulevées.
    En tant que fournisseurs de soins primaires, nous ne sommes pas étonnés de voir que l'aide médicale à mourir suscite divers points de vue au sein de la profession, comme vous avez pu le constater à la lumière des témoignages de nos collègues médecins et infirmiers. On entend souvent que les pharmaciens se soucient avant tout de la santé et du bien-être de leurs patients et veulent s'assurer qu'ils ont accès aux meilleurs soins possible en fin de vie. Ils doivent avoir accès à des soins palliatifs de qualité, à des mesures efficaces de gestion de la douleur et à l'aide médicale à mourir.
    Cependant, nos consultations ont également révélé des préoccupations plus pratiques dont nous aimerions vous faire part aujourd'hui. Même si bon nombre de nos préoccupations ressemblent à celles d'autres fournisseurs de soins de santé, y compris nos collègues de l'AMC et de l'AIIC, il y en a quelques-unes qui ne concernent que les pharmaciens.
    Quel que soit le cadre législatif qui sera mis en place ou la façon dont la pratique sera réglementée à l'échelle fédérale ou provinciale, ce qui compte par-dessus tout, c'est que nous ayons accès à des médicaments adéquats. Il n'existe pas qu'un seul médicament pour mettre fin à la vie de quelqu'un, alors comme pour tout autre médicament, nous estimons que le gouvernement fédéral devrait s’assurer que les prescripteurs et les pharmaciens ont accès aux médicaments les plus appropriés, y compris les médicaments utilisés dans l'aide médicale à mourir, afin de fournir aux Canadiens les meilleurs soins possible.
(1930)
    De plus, nous reconnaissons aussi la diversité des méthodes employées ailleurs pour légaliser l'aide à mourir, chacune ayant des conséquences différentes sur les modalités concrètes de cette aide. Nous n'avons pas terminé l'élaboration de notre politique ni celle des documents qui vont encadrer le rôle des pharmaciens dans l'aide à mourir, mais nous tenons à éclairer l'impact de certains modèles sur les soins aux patients et sur le rôle et les responsabilités des pharmaciens.
    Au Québec, par exemple, l'aide à mourir se borne à une aide médicale qui exige l'administration directe de l'injection mortelle par le médecin. La dose précise et la composition du mélange mortel sont fixées dans le cadre provincial, et, même si le mélange est préparé par une pharmacie hospitalière, il est ensuite administré par le médecin, à l'hôpital.
    Cependant, dans certains pays d'Europe et en Oregon, des variantes existent et autorisent l'ingestion des médicaments dans des lieux divers, notamment à la maison ou dans la collectivité. Dans ces cas, le rôle du médecin resterait important sur le plan de la prescription, mais celui des pharmaciens s'amplifierait sensiblement.
    À part ces questions qui nous paraissent particulièrement intéressantes pour les pharmaciens, nous avons aussi les réactions de la profession, qui correspondent à celles des autres fournisseurs de soins. L'immense majorité des pharmaciens appuie l'inclusion, dans la loi, d'une disposition protégeant la liberté de conscience. Comme les membres d'autres professions, ils tiennent à ne pas être obligés de participer à l'aide à mourir en dépit de leurs convictions morales ou religieuses. Dans sa décision, la Cour suprême a clairement dit que rien, dans la déclaration, ne devait contraindre les médecins à fournir l'aide à mourir ou à y participer, et nous croyons que cette protection doit s'étendre aussi aux pharmaciens.
    Tout en croyant aussi que le patient a le droit d'être objectivement informé sur l'aide à mourir et l'accès aux soins de fin de vie, les pharmaciens, comme les autres professionnels de la santé, sont divisés sur l'obligation de diriger le patient vers un autre pharmacien qui remplirait volontiers une ordonnance pour l'aide à mourir. Notre priorité reste l'assurance d'un accès au patient. Nous encourageons donc le gouvernement à examiner des options pour diriger les patients facilement, tout en protégeant le droit des pharmaciens à l'objection de conscience. De plus, pour les pharmaciens qui souhaiteraient y participer, nous préconisons vivement des dispositions limitant la responsabilité des professionnels de la santé.
    Quel que soit le cadre législatif retenu, nous tenons à ce que les pharmaciens membres d'équipes interdisciplinaires de prestation de soins aux patients qui délivrent aussi les doses mortelles de médicaments soient tout à fait en mesure de fournir les soins nécessaires à leurs patients. Il faut donc assurer une collaboration efficace entre les médecins prescripteurs et les pharmaciens et l'accès des pharmaciens à des renseignements, à un appui et à des ressources appropriés, s'ils choisissaient de participer à l'aide à mourir.
    L'information sur le diagnostic du patient et le but de la prescription, de même que la confirmation du consentement du patient et du respect, par ce même patient, de tous les critères d'admissibilité sont essentielles à la délivrance appropriée du médicament et elles amélioreront les soins donnés au patient à tous ses points de contact dans le système. Nous croyons que cela pourrait aider à limiter la responsabilité de tous les fournisseurs de soins de santé en cause.
    Nous reconnaissons le très petit nombre de précédents pour guider le gouvernement dans la résolution de cette question importante. Quant aux pharmaciens, ils entrent dans une ère nouvelle. Néanmoins, la profession possède les compétences nécessaires en pharmacothérapie, dans la prestation de conseils aux patients sur les médicaments et dans la distribution des médicaments pour jouer un rôle qui fait partie intégrante des soins de fin de vie de qualité.
    En guise de conclusion, je dirai, au sujet de cette pratique nouvelle et en évolution, que nous croyons indispensable de surveiller et d'examiner l'application des lois fédérales et provinciales dans les années à venir. Nous proposons que le mécanisme en soit une commission consultative nationale interdisciplinaire de professionnels de la santé, qui compterait des pharmaciens dans ses rangs.
    Dans les semaines à venir, nous mettrons en forme finale notre politique et le cadre que nous proposons et nous serons heureux de les communiquer au Comité.
    Nous vous remercions de votre temps et nous sommes prêts à répondre à vos questions.
(1935)
    Merci, monsieur Berardi.
    Écoutons maintenant le Dr Gaind ou Mme Hardy. Je vous en prie.
    Merci, monsieur le président. Je serai le premier à parler.
    Au nom de l'Association des psychiatres du Canada, nous remercions les coprésidents et les membres du comité de nous offrir l'occasion de vous parler de cette question importante.
    Je me nomme Karandeep Sonu Gaind, et je suis le président de l'APC, la voix nationale des 4 700 psychiatres du Canada et de plus de 900 résidents psychiatres. Fondée en 1951, l'Association est vouée à la promotion d'un environnement qui favorise l'excellence dans les soins cliniques, l'instruction et la recherche.
    Mes remarques d'aujourd'hui se concentreront sur des questions précises touchant la maladie mentale, dont il faut tenir compte dans toute relation d'aide médicale à mourir. L'Association a commencé à élaborer une position complète sur la question avec une gamme de recommandations précises. Mes observations visent à soulever des questions importantes pour que le Comité en tienne compte dans ses délibérations, mais il ne faudrait pas les considérer comme la position finale de l'Association sur la question. La position qu'elle adoptera est en voie d'élaboration.
    Commençons par les questions centrales dont il faut tenir compte quand on discute de notions comme « irrémédiable », « souffrances intolérables et persistantes » et « capacité » dans le contexte de la santé mentale.
    L'évaluation de ce qui constitue des souffrances intolérables et persistantes causées par les symptômes d'une maladie dépend de la gravité de ces symptômes, du dysfonctionnement qu'ils causent et de la perception, par le patient, de ce qu'il vit. L'évaluation subjective de ce qui est intolérable et l'évaluation prédictive de ce qui est persistant peuvent dans les deux cas être spécialement affectées par la santé mentale.
    La maladie mentale peut modifier la cognition du patient et diminuer son jugement et la compréhension de son état de santé. Les symptômes de distortion cognitive communs avec la dépression clinique comprennent des attentes négatives face à l'avenir; le désespoir; la perte de l'espoir d'une amélioration, même si cet espoir est réaliste; une plus grande rigidité cognitive; une pensée qui n'est plus dirigée vers l'avenir; des ruminations sélectives centrées sur le négatif et réduisant au minimum le positif ou n'en tenant pas compte. Souvent, le patient souffre de distorsions de son propre sentiment d'identité et de son rôle dans le monde, y compris de sentiments de culpabilité ou d'inutilité excessive ou de celui d'être un boulet pour autrui.
    Les personnes en dépression clinique sont également moins résilientes sur le plan émotif et moins capables d'affronter les facteurs courants de stress de la vie. Des niveaux modérés de stress peuvent même leur paraître intolérables ou excessifs. Même si nous ne pouvons pas encore leur trouver d'applications cliniques, de plus en plus de constats de la recherche portent à croire que des parties dysfonctionnelles du cerveau en période de dépression grave correspondent à ces changements cognitifs.
    En ce qui concerne l'irrémédiable, il faut en déterminer soigneusement la signification dans le contexte de la maladie mentale. Bien sûr, irrémédiable ne peut pas simplement signifier incurable. Beaucoup d'états sont considérés, par la psychiatrie et la médecine, comme chroniques et incurables, mais cela n'empêche pas d'agir pour remédier à la situation ou l'améliorer. Il existe des possibilités multiples de traitement, généralement pour les cas même les plus graves de maladie mentale, qui permettent de traiter et d'atténuer les symptômes et la souffrance, quand ce n'est pas de les guérir.
    Il est aussi important et essentiel de se rappeler que la personne ne se réduit pas à sa maladie. Des facteurs psychosociaux jouent un rôle important dans l'expérience de la maladie d'une personne, particulièrement dans beaucoup de maladies mentales. Par exemple, l'adoption d'un point de vue étriqué pour l'évaluation de l'irrémédiable, en se limitant à l'amélioration possible des symptômes d'une dépression grave par des traitements biomédicaux, risque de négliger des facteurs importants comme l'isolement social ou la pauvreté.
    Parlons maintenant de « capacité ».
    Les médecins tiennent compte de quatre éléments importants pour l'évaluer: de la capacité de choisir, de celle de comprendre l'information utile, de celle de comprendre la situation et les conséquences de ses décisions et de celle de manipuler rationnellement l'information. Même chez le patient souffrant de maladie mentale qui est capable de choisir, de comprendre et de se rappeler l'information, son appréciation de la situation, ses attentes actuelles et futures et sa capacité de manipuler rationnellement l'information, tout cela peut être altéré par les distorsions cognitives dont j'ai parlé.
(1940)
    Je tiens à souligner que rien de ce que je viens de dire ne vise à faire croire que la maladie mentale réduit à elle seule le jugement et la cognition du patient, mais, dans la discussion sur l'aide médicale à mourir, nous parlons, par définition, des situations les plus graves, et, dans les cas de maladies mentales graves, le risque d'une telle distorsion cognitive est, bien sûr, plus élevé. Nous pensons avec le cerveau et non avec le coeur ou les membres.
    Toutes ces questions s'adressent directement à la crainte du tribunal qu'on n'amène le patient à s'enlever la vie dans un moment de faiblesse. Si on excepte les souffrances effectivement causées par les symptômes, les distorsions cognitives présentes risquent de faire dérailler le processus de décision du patient. Dans l'examen, par la Cour, des facteurs de coercition ou de contrainte, ce serait comme si la maladie mentale détruisait l'autonomie du patient qui lui permettrait de prendre une décision à l'abri de l'influence de ces distorsions. La difficulté provient de cet effet récursif des symptômes sur le processus d'évaluation, par lequel les symptômes mêmes de la maladie mentale peuvent gêner l'évaluation de sa propre maladie mentale par le patient et son évaluation des répercussions actuelles et à venir.
    Enfin, il faut tenir compte d'un autre fait. Dans le contexte de la constatation, par le tribunal, de la perte de liberté qu'entraîne le choix de mettre fin prématurément à ses jours, de crainte de ne pouvoir le faire soi-même à cause de souffrances ou d'une incapacité physique progressive croissante, les maladies mentales à elles seules conduisent très rarement sinon jamais à une telle incapacité physique progressive et grave.
    Compte tenu de ce contexte général et aussi, je le souligne, de la position encore provisoire de l'Association, nous pouvons proposer pour le moment quelques principes directeurs.
    D'abord, quand la maladie mentale sévit, pour bien évaluer dans leurs nuances les problèmes qui pourraient influer sur la prise de décision et pour donner au temps la possibilité de remédier aux symptômes ou aux facteurs psychosociaux, il faudrait confier les évaluations étalées dans le temps à de multiples évaluateurs possédant les compétences appropriées. Notre position définitive tiendra compte d'un plus grand nombre de particularités, et il pourra se trouver divers mécanismes selon les besoins et les ressources publiques, mais ces nombreux évaluateurs compétents sensibilisés aux effets potentiels des maladies mentales sur la cognition, la capacité, etc., et, aussi, ces évaluations successives sont des garde-fous nécessaires.
    Ensuite, les notions d'« irrémédiable » et de « souffrances intolérables et persistantes » ne devraient pas se focaliser exclusivement sur l'état biomédical, mais tenir compte de tout l'état du patient, y compris l'éventuel effet d'interventions psychosociales contre la souffrance et les symptômes.
    Ensuite encore, des psychiatres peuvent choisir de ne pas participer au processus de l'aide médicale à mourir, à l'instar d'autres professionnels qui vous l'ont fait savoir. Dans ce cas, les patients demandant cette aide devraient pouvoir accéder à des renseignements sur les ressources disponibles à cette fin ainsi qu'aux processus permettant de les diriger, y compris vers des ressources psychiatriques, le cas échéant.
    Enfin, il importe de reconnaître que les expressions « dépression résistant au traitement » ou « maladie mentale résistant au traitement » ne définissent généralement pas une maladie sans remède. Dans ce contexte, « résistant au traitement » sert généralement à orienter ultérieurement le déroulement des options de traitement, en se fondant sur les faits. Tout cadre de l'aide médicale à mourir devrait l'expliciter, pour éviter une assimilation des termes « résistant au traitement » et « irrémédiable ».
    Pour terminer, je remercie encore une fois le Comité d'avoir bien voulu réfléchir à ces questions. Je serai heureux de répondre à ses questions.
(1945)
    Merci beaucoup.
    Allez-y madame Shanahan.
    Merci, monsieur le président.
    Ma question s'adresse au représentant, n'importe lequel, de l'Association des pharmaciens du Canada.
    J'aimerais examiner avec vous le rapport qui existe entre le rôle du pharmacien et celui du médecin. Plus précisément, nous voulons savoir comment le processus pourrait se dérouler. Ensuite je voudrais aborder la méthode que vous avez employée pour consulter vos membres afin d'évaluer leur position sur cette question.
    Pour répondre à la question, il serait mieux de songer aux différents types de modèles qu'on appliquerait. En contexte strictement hospitalier, la relation entre le médecin et le pharmacien serait très différente de ce qu'elle serait au domicile du patient.
    Les pharmaciens ne veulent pas participer à la détermination de l'admissibilité ou de la compétence du patient, mais il est sûr que si une directive portait sur l'obtention du médicament par le pharmacien, elle devrait exposer clairement les conditions permettant de satisfaire aux critères d'admissibilité et de compétence du patient. Il ne faudrait pas qu'elle donne lieu à des erreurs de compréhension ou d'interprétation, pour que le pharmacien sache tout à fait qu'il a été satisfait à ces critères ou à ces lignes directrices avant l'obtention ou la délivrance des médicaments.
    Cela exigerait une collaboration étroite entre le pharmacien et le médecin ou plus d'un médecin ou avec l'équipe médicale de qui émanerait la directive. Aujourd'hui, les pharmaciens et les médecins collaborent sur toute une gamme de moyens thérapeutiques, d'options et de modalités de traitement pour les patients. La collaboration entre les deux professions n'a rien de nouveau pour la nôtre.
    Excellent.
    Vous avez parlé de la consultation de vos membres. À quel degré? L'Association médicale canadienne dit avoir consulté 30 % des médecins. Quel est le taux, actuellement, chez les pharmaciens?
    Nous n'avons pas précisément posé la question que l'Association médicale canadienne a mentionnée. Nous avons posé effectivement les questions suivantes, qui, je pense, intéressent cette discussion.
    Nous avons demandé aux répondants à quel point ils étaient d'accord avec l'affirmation suivante: « On devrait obliger les pharmaciens à participer à l'aide à mourir ». Ils ont été 70 % à ne pas être d'accord ou à n'être absolument pas d'accord. L'opposition est donc vive.
    L'autre affirmation intéressante était « Si un pharmacien ne souhaite participer à aucun aspect de l'aide à mourir, il doit diriger le patient ou le médecin vers un autre pharmacien qui répondra à la demande »: 65 % des répondants ont été d'accord.
(1950)
    Merci.
    Pouvez-vous nous donner une réponse qui n'est pas excessivement technique? Nous avons entendu dire, bien sûr, qu'on administre un médicament, qui peut différer d'un patient à l'autre. À quel point estimez-vous que les pharmaciens sont prêts à exprimer un jugement professionnel sur ce qui est approprié, vu qu'ils ne l'ont jamais fait jusqu'ici?
    Avant de répondre, précisons deux ou trois choses.
    D'abord, il n'existe pas de médicament ou de prescription unique qui conviendra à tous les patients. Tout en ne pouvant pas dire quels types de médicaments ou de combinaisons de médicaments on utilise, on les choisirait sûrement en tenant compte d'une foule de facteurs. La masse corporelle, la taille et la surface corporelle seraient toutes des paramètres vraiment importants. Les pharmaciens prennent tous les jours ce genre de décisions cliniques ou thérapeutiques en fonction de ces paramètres. Ce n'est pas cet aspect de la profession qui serait nouveau. Bien sûr, il exigerait une formation différente, mais ce genre d'exercice, les pharmaciens le connaissent bien.
    Je ferais cette mise en garde pour le Comité: quel que soit le protocole ou le traitement retenu, s'assurer que ces médicaments ne sont jamais en rupture de stock chez le fabricant. Ce serait catastrophique.
    Nous avons entendu dire que certains médicaments n'étaient pas offerts au Canada. Que le Comité s'assure donc que, quels que soient les protocoles conçus, notre système de médicaments sera sûr et qu'il aura l'intégrité et la capacité voulues pour fournir ces médicaments.
    Monsieur Albrecht.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je remercie nos témoins d'être ici ce soir.
    J'ai trouvé particulièrement encourageant de vous entendre parler ouvertement, en tant que professionnels, de vos préoccupations concernant la subjectivité des termes employés — « irrémédiable », « intolérable », « persistant ». Je crois que cela fait ressortir pour les membres du comité la gravité du sujet dont nous traitons et l'importance de l'étudier avec sérieux et de faire preuve d'une très grande prudence.
    Au cours des dernières années, j'ai consacré une bonne part de mon temps aux questions qui touchent la santé mentale ainsi qu'à la prévention du suicide. Je sais que, depuis 1991, on a présenté au Parlement pas moins de 15 mesures législatives visant à autoriser le suicide médicalement assisté. Elles ont toutes été rejetées. Par contre, ces deux dernières années, le Parlement a fortement appuyé certaines mesures sur la prévention du suicide. L'Agence de la santé publique du Canada est actuellement en train d'élaborer un cadre fédéral de prévention du suicide en raison de l'adoption du projet de loi C-300. En outre, aujourd'hui, l'initiative Bell Cause pour la cause est très populaire sur le réseau Twitter. J'ignore combien de milliers ou de millions de gazouillis ont été envoyés.
    La société est préoccupée par la poursuite des efforts concertés en vue de prévenir le suicide. À mon sens, c'est paradoxal que des initiatives de prévention du suicide soient mises en place un peu partout au pays et par notre agence de la santé publique et que pourtant nous soyons en train d'examiner des façons de faciliter l'accès au suicide.
    Il est très clair que le suicide médicalement assisté est un geste irréversible. Certaines des études sur la santé mentale illustrent bien que l'humeur des gens varie et qu'ils changent d'avis au fil du temps. Nous savons également que la dépression peut généralement être traitée et, comme vous l'avez souligné dans votre allocution, docteur Gaind, les taux de succès sont variables.
    Pour ce qui est de donner l'accès aux personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale ou de dépression, quelles protections supplémentaires le comité devrait envisager d'ajouter pour s'assurer qu'il protège certaines des personnes les plus vulnérables durant les moments les plus difficiles de leur vie?
    Je vous remercie pour cette question très réfléchie.
    Vous savez, il est difficile de déterminer, lorsqu'il est question du décès d'une personne, ce qui a mené à ce décès. Lorsqu'on parle d'aide médicale à mourir ou d'initiatives de prévention du suicide, il peut sembler que ces deux sujets soient contradictoires. Toutefois, il y a certaines différences que j'estime utile d'expliquer.
    Je vais répondre à votre question au sujet des protections nécessaires, car cela est lié à ce dont je parlais...
(1955)
    Nous n'avons pas beaucoup de temps, alors j'aimerais que vous répondiez à cette question en premier.
    D'accord.
    Les deux entraînent la mort du patient. C'est vrai. Cependant, on peut dire que le suicide, dans l'optique des initiatives de prévention du suicide, se produit lorsqu'une personne souhaite mourir. Dans le cas de l'aide médicale à mourir, le patient souffre d'une maladie et il souhaite arrêter de vivre avec des souffrances. La souffrance est l'une des différences.
    Lorsqu'une personne veut se suicider ou même qu'elle souffre uniquement d'une dépression clinique, elle est très souvent incapable de décrire ce qui l'amène à ressentir un sentiment de dépression. Certaines personnes vont dire: « Je ne devrais pas me sentir déprimée, mais je ne peux pas arrêter de me sentir ainsi. »
    Pour ce qui est du processus d'évaluation, c'est la raison pour laquelle nous proposons de faire appel à des personnes adéquatement formées pour essayer de comprendre ce qui amène la personne à prendre la décision. C'est le processus décisionnel qui est important, et non pas le résultat de la décision.
    J'aimerais revenir à la question du droit à la liberté de conscience. Vous nous avez fait remarquer que l'Association des psychiatres du Canada affirme le droit des médecins de ne pas participer s'ils ne le souhaitent pas. La Cour suprême a quant à elle confirmé que les médecins ne peuvent pas être obligés à aider une personne qui souhaite obtenir de l'aide pour mourir. Vous êtes d'accord, à l'instar de l'AMC. J'aimerais aussi souligner, comme l'a fait le Dr Blackmer aujourd'hui, qu'actuellement, aucun autre pays qui autorise l'euthanasie ou le suicide assisté n'impose une obligation juridique aux médecins qui refusent en leur âme et conscience d'aiguiller les patients.
    Quelle est l'importance de la protection du droit à la liberté de conscience? Dans quelle mesure est-il important de l'inclure?
    Je suis désolé, vos cinq minutes sont écoulées. Si vous voulez fournir une réponse écrite, vous pouvez le faire.
    Madame Sansoucy.

[Français]

     Merci, monsieur le président. Je vais partager le temps qui m'est alloué avec mon collègue Murray Rankin.
    Je remercie les témoins de leurs présentations.
    Les experts que nous avons entendus jusqu'à maintenant s'entendent pour dire que les mécanismes de surveillance sont essentiels afin d'assurer la protection des personnes vulnérables. Selon vous, à quel moment du processus d'aide à mourir devrait-on exercer cette surveillance? Est-ce que ce serait avant que la personne reçoive l'aide à mourir ou est-ce qu'on ne ferait des analyses de l'expérience qu'à posteriori?

[Traduction]

    Je veux être certain de bien comprendre la question. Est-ce que vous voulez savoir à quel moment durant le processus d'évaluation un psychiatre devrait intervenir?

[Français]

    Oui, exactement.

[Traduction]

    Si le patient souffre d'une maladie mentale, alors il faudrait faire appel à un psychiatre si le patient demande l'aide médicale à mourir en raison de sa maladie mentale ou en raison d'une maladie physique alors qu'il souffre aussi d'une maladie mentale. Nous estimons que le psychiatre doit participer au processus afin d'effectuer une évaluation adéquate dès que la demande est présentée.

[Français]

    En ce qui a trait aux décisions que nous aurons à prendre au cours du prochain mois, on nous demande d'établir des mécanismes de surveillance pancanadiens. Le but est de voir à ce que tout se passe dans les règles afin de s'assurer qu'une personne vulnérable donne son consentement de façon vraiment éclairée.
     Est-ce qu'on devrait établir ces mécanismes de surveillance avant même que la personne reçoive l'aide médicale à mourir? Pensez-vous au contraire que ce n'est pas possible, dans le cadre du processus, et que seule l'analyse des différentes situations nous permettra de faire une évaluation à cet égard?

[Traduction]

    Je crois que votre question est liée aussi à l'accès aux options de traitement avant la présentation d'une demande. Nous savons que c'est un grand problème en ce qui concerne les maladies mentales. La Commission de la santé mentale du Canada nous dit que seulement environ une personne sur trois qui souffrent d'une maladie mentale ou d'un problème lié à la santé mentale obtient de l'aide, et, chez les enfants et les adolescents, c'est près de 1 sur 4. Je sais que les patients qui se suicident constituent un sujet de discussion différent, mais nous savons que seulement une minorité d'entre eux ont vu un professionnel de la santé mentale durant le mois précédent. Il s'agit de seulement environ 1 patient sur 5.
    Pour ce qui est de votre question, je dirais que cette participation ne devrait pas avoir lieu seulement à ce moment-là. Nous devons intervenir beaucoup plus tôt pour aider les personnes qui souffrent de problèmes liés à la santé mentale, ce qui pourrait remédier aux souffrances bien avant qu'on se rende au point où la personne formule une demande.
(2000)
    Docteur Gaind, vous avez dit que nous ne devrions pas confondre deux termes importants, à savoir « irrémédiable », qui est le critère établi dans l'arrêt Carter, et « dépression résistante au traitement ». J'essaie de comprendre. Je ne peux pas penser à une situation où seule une maladie mentale pourrait satisfaire au critère établi dans l'arrêt Carter. Vous dites que nous ne devrions pas confondre ces deux termes. Existe-t-il des maladies psychiatriques irrémédiables qui pourraient satisfaire au critère? Existe-t-il des troubles psychiatriques, et non physiques, qui pourraient être considérés irrémédiables?
    Comme je l'ai mentionné, dans la vaste majorité des cas et même dans la plupart des situations les plus graves, on peut faire quelque chose pour essayer d'améliorer les choses. Si rien ne fonctionne, il est concevable de considérer qu'une maladie est irrémédiable. Je dois dire honnêtement qu'il faut faire une évaluation pour chaque cas. Nous faisons valoir que le processus de réflexion du patient qui formule une demande doit être très soigneusement analysé, car, s'il perçoit sa maladie comme irrémédiable, il se pourrait qu'elle ne le soit pas.
    C'est là le problème. J'ai du mal à imaginer une situation, compte tenu de ce que vous avez dit, qui pourrait satisfaire à ce critère très strict.
    Je ne peux pas déclarer qu'il ne pourrait jamais y avoir une telle situation. Je pense que personne ne pourrait affirmer cela, mais je comprends que vous ayez de la difficulté à en imaginer une.
    J'aimerais m'adresser aux témoins de l'Association des pharmaciens du Canada.
    Dans vos documents, il est question des pharmaciens et de l'accès. Vous dites que le gouvernement fédéral devrait s'assurer que les prescripteurs et les pharmaciens ont accès aux médicaments les plus appropriés. Qu'est-ce que le gouvernement fédéral devrait faire précisément? Je ne pense pas qu'il s'agit d'une question qui relève du gouvernement fédéral. Je ne vois pas quelle recommandation concrète nous pourrions formuler.
    Comme je l'ai mentionné, peu importe les protocoles, les modalités de traitement ou les régimes thérapeutiques choisis, je mets en garde le Comité à l'égard de la disponibilité et de l'accessibilité des médicaments au Canada. Il doit aussi veiller à ce qu'il ne s'agisse pas de médicaments en rupture. Pour ce qui est du réseau de distribution des médicaments, peu importe ce qui sera décidé, il faut s'assurer que la disponibilité ne dépend pas du bon vouloir du fabricant ni qu'elle est assujettie à d'autres facteurs qui pourraient faire en sorte que les médicaments ne seraient pas disponibles.
    Je vous remercie, monsieur Berardi.
    Madame la sénatrice Nancy Ruth.
    Je vais m'adresser aux témoins de l'Association des psychiatres du Canada. Vous avez dit — et vous l'avez affirmé également lors de votre témoignage devant le comité externe — que, lorsqu'un patient atteint d'une maladie mentale demande l'aide médicale à mourir en raison d'un autre problème, par exemple un cancer, un professionnel de la santé mentale devrait procéder à une évaluation.
    J'habite à Toronto. Certaines des personnes que je connais qui souffrent d'une maladie mentale ne consultent pas un psychiatre. Elles sont suivies par leur médecin de famille. N'est-ce pas le cas ailleurs au Canada?
    Pour répondre à la dernière partie de votre question, je dirais que c'est une pratique courante effectivement dans bien des régions. Le médecin de famille joue un rôle clé dans la prestation des soins de santé mentale.
    Toutefois, lorsqu'il s'agit d'évaluer le processus de réflexion qui mène à une demande d'aide médicale à mourir, si la personne souffre d'une maladie mentale, il est essentiel que l'évaluation soit effectuée par une personne qui possède la formation adéquate.
    Je vais vous donner un exemple. J'ai mentionné à votre collègue que, dans le cas des suicides, environ une personne sur cinq avait consulté un spécialiste en santé mentale durant le mois précédent. Durant ce même mois, près de la moitié des personnes — environ 45 % habituellement — avaient consulté leur médecin de famille.
    Je ne veux pas laisser entendre que le médecin de famille n'est pas en mesure de répondre aux besoins en soins de santé mentale. Il peut le faire, mais lorsqu'il s'agit d'effectuer des évaluations complexes des risques et des évaluations complexes de ce qui amène une personne à vouloir mourir, il faut alors faire appel à un psychiatre.
(2005)
    Dans les régions rurales du Canada ou dans le Nord, est-ce qu'on aurait recours à la télésanté ou à une méthode similaire?
    Je le répète, c'est pour cette raison que nous n'avons pas formulé une recommandation concrète sur la meilleure façon de faire. Selon les provinces, des questions de logistique peuvent se poser. Dans certaines régions, des psychiatres pourraient se rendre là où se trouve le patient, alors que dans d'autres régions, ce ne serait pas possible.
    En Ontario, par exemple, il existe des comités d'examen des évaluations qui sont contestées. Ces comités relèvent des provinces plutôt que des régions.
    Pour répondre à votre question, je dirais que les mécanismes sont différents selon les endroits, compte tenu des ressources et des besoins.
    Vous dites cependant très clairement qu'une évaluation psychiatrique est nécessaire, au bénéfice des pharmaciens.
    Oui, sinon certaines choses pourraient nous échapper.
    Dans votre exposé, vous avez mentionné qu'il y a certains pays — les Pays-Bas, par exemple — où des trousses de médicaments ainsi que des directives techniques détaillées sont disponibles. Étant donné que les médicaments doivent être approuvés et qu'ils doivent être facilement disponibles dans toutes les régions du Canada afin qu'il n'y ait pas de pénuries, comme dans le cas des isotopes, est-ce que la même chose serait possible au Canada également? Y a-t-il une raison pour laquelle ces trousses ne pourraient pas être disponibles ici, comme c'est le cas dans d'autres pays?
    Il est fort probable que ce qui est utilisé dans d'autres États, comme l'Oregon et les Pays-Bas, pourrait l'être ici au Canada.
    Habituellement, les patients qui prennent ces médicaments chez eux consomment des barbituriques d'action longue, une catégorie de médicaments qui a été très peu utilisée au Canada au cours des 20 dernières années. Les barbituriques sont utilisés principalement comme somnifères.
    Des difficultés existent quant à la disponibilité de ces médicaments. Par exemple, un des médicaments n'est plus commercialisé au Canada. Par conséquent, lorsqu'il s'agit de déterminer quels médicaments seraient utilisés, il faut examiner ce qui est disponible actuellement au Canada, et, si certains médicaments ne sont pas disponibles, il faut voir comment faire en sorte qu'ils le soient s'il s'agit de médicaments qui ont été utilisés avec succès dans d'autres pays.
    Est-ce la responsabilité de Santé Canada?
    Santé Canada dispose d'un processus visant à accroître l'accès aux médicaments qui sont disponibles ailleurs dans le monde et à faire en sorte qu'ils soient disponibles au Canada grâce, par exemple, au programme d'accès spécial. Alors, si ces médicaments sont jugés comme étant les plus appropriés dans ce contexte, il appartient au gouvernement fédéral de faire en sorte qu'ils soient disponibles au Canada.
    Je vous remercie.
    J'aimerais poser une question au Dr Gaind.
    Je suis un ministre du culte au sein d'une église. J'ai célébré les funérailles de nombreuses personnes qui sont décédées à cause d'une maladie mentale. S'il est possible de prévenir ces décès, si rien n'est irrémédiable, où sont les lacunes? C'est une véritable question. Si on dit que pratiquement aucune maladie mentale n'est irrémédiable, mais que j'ai vu des dizaines de personnes mourir à cause d'une maladie mentale, où sont les lacunes?
    Pourquoi sont-elles mortes s'il était possible de...? Où avez-vous échoué ou bien où avons-nous échoué?
    Il existe de nombreuses facettes à cette question. Dans certains cas, si la personne s'est suicidée, comme je l'ai mentionné, c'est souvent parce qu'elle n'a pas eu accès à des soins psychiatriques. Je ne veux pas dire qu'il est possible de prévenir tous les suicides...
    De nombreuses personnes que je connais ont... Trois d'entre elles ont été hospitalisées, mais se sont suicidées alors qu'elles étaient soignées par un médecin qui était un psychiatre.
    Comme je l'ai dit, je ne veux pas laisser entendre qu'on peut prévenir tous les suicides en s'assurant que les personnes soient suivies par un psychiatre. Ce n'est pas ce que je suis en train de dire.
    Vous voulez savoir en quelque sorte à partir de quel moment on peut déterminer qu'une maladie est irrémédiable. Je ne sais pas si ce sont les professionnels qui doivent répondre à cette question ou bien la société.
    Il y a des concepts en droit qui font référence à la probabilité. J'ai acquis mon expérience clinique en tant que psycho-oncologue au Centre de cancérologie Princess Margaret. Dans le cas des patients atteints d'un cancer, on peut prévoir l'issue, mais on ne peut pas être certain à 100 % dans bien des cas. À partir de quel moment peut-on dire qu'une maladie est totalement irrémédiable?
(2010)
    C'est exactement la question que nous vous posons.
    Je crois que je n'obtiendrai pas de réponse, alors ça va.
    Je n'ai pas de réponse à vous donner en ce moment.
    D'accord, nous avons une déclaration, mais pas de réponse. Vous déclarez que rien n'est irrémédiable, mais vous n'avez pas de réponse quant au moment à partir duquel on peut affirmer que c'est irrémédiable.
    En fait, nous n'affirmons pas que rien n'est irrémédiable. Ce n'est pas ce que nous avons dit.
    Monsieur le sénateur Cowan.
    Je vous remercie pour votre présence ce soir et pour l'information que vous nous avez fournie.
    Ma question porte sur les directives préalables. Si notre comité devait recommander que le cadre législatif et réglementaire que le Parlement mettra en place contienne des dispositions concernant les directives préalables, quelles protections supplémentaires devraient être incluses quand il est question de maladie mentale par opposition à la maladie physique?
    Je vais revenir au principe dont nous parlons lorsqu'il y a une maladie mentale, c'est-à-dire la nécessité d'effectuer une évaluation très rigoureuse pour comprendre ce qui influence le processus décisionnel du patient. Il n'est pas question de porter un jugement de valeur sur la décision du patient, mais plutôt d'évaluer le caractère rationnel de tous les éléments qui contribuent à la prise de la décision. Tout cela devrait avoir lieu lorsqu'une personne établit des directives préalables. Je le répète, s'il y a une maladie mentale, toute décision doit être évaluée correctement selon nous.
    J'aimerais apporter une précision. Je ne veux pas que les commentaires que j'ai formulés plus tôt donnent à penser qu'il faut faire appel à un psychiatre dans chaque cas. Nous disons seulement que, s'il y a une maladie mentale, il faut faire appel à un psychiatre.
    C'est la même chose dans le cas d'une maladie physique, je présume. On fera appel au spécialiste de la maladie physique qui cause la détresse.
    Oui, quoique dans le cas d'une maladie mentale, il est question de savoir comment elle a une incidence sur le processus de réflexion. Dans le cas d'autres maladies, ce n'est peut-être pas aussi important et il est peut-être davantage nécessaire d'évaluer la souffrance et le caractère irrémédiable de la maladie.
    Croyez-vous que cela est plus difficile pour un professionnel qualifié dans le cas d'une maladie mentale que dans le cas d'une maladie physique ou est-ce qu'il faut seulement des compétences et une expérience différentes?
    Il faut des compétences différentes et savoir comment la maladie mentale en soi pourrait influencer le processus de réflexion de la personne. C'est la différence. Si j'ai une maladie du coeur ou si j'ai le diabète, j'ai peut-être des symptômes et des problèmes, mais cela n'influence pas nécessairement ma réflexion à propos de ma maladie.
    Vous voulez dire le processus cognitif.
    Exactement. Dans le cas d'une maladie mentale, vous éprouvez à la fois de la souffrance et des symptômes et il y a aussi une incidence sur le processus de réflexion de la personne. Analyser tout cela est difficile, mais nous effectuons déjà des évaluations de la capacité — pas dans ce contexte, mais nous faisons déjà de telles évaluations.
    Bien sûr. Vous en faites pour bien d'autres raisons. Vous le feriez simplement dans un autre contexte, axé davantage sur une finalité, mais il est certain que vous êtes appelés quotidiennement à effectuer des évaluations de la capacité dans le cadre d'autres démarches judiciaires entreprises par vos patients.
    Oui, tout à fait.
    Vous avez peut-être déjà répondu à la question, et si c'est le cas, je m'en excuse. J'aimerais savoir s'il est nécessaire, à votre avis, de définir les termes employés dans l'arrêt Carter, ou s'il s'agit de termes que les médecins — ou les psychiatres, dans votre cas — connaissent bien déjà et avec lesquels ils ont été formés. Est-ce que les professionnels savent quand ces conditions, les seuils, sont réunies du point de vue professionnel? Pouvez-vous nous en parler?
    C'est une excellente question, car elle est au coeur d'autres préoccupations à cet égard.
    Dans certains domaines, lorsqu'il s'agit d'évaluer l'incidence des souffrances et la façon dont la personne les perçoit et les vit, oui, cliniquement nous sommes en mesure de faire une évaluation complète des répercussions sur les patients et de démêler tout cela. Le terme « grave », entre autres, est surtout employé dans le cadre juridique qui vous occupe. Je crois qu'il faudra guider les professionnels pour qu'ils sachent à quel point les souffrances doivent être irrémédiables pour que la loi s'applique.
(2015)
    Est-ce que c'est une question d'évaluation médicale, d'évaluation professionnelle, ou simplement une question de définition juridique? Je comprends que les choses doivent être claires, mais est-ce que ces précisions doivent venir du Parlement ou du collège des médecins et des chirurgiens de votre province?
    Je n'ai pas de réponse parfaite à vous donner pour le moment. C'est encore la question la plus épineuse: quels critères devrait-on appliquer pour déterminer qu'un problème de santé est « irrémédiable »?
    Le terme « grave » est plus facile à définir, n'est-ce pas?
    Le terme « grave » le dit, il doit y avoir un certain niveau de gravité. Pour « irrémédiable », il n'y a pas de nuances. C'est oui ou non. C'est une dichotomie, alors que la plupart du temps en médecine, et ces évaluations sont certainement...
     D'accord. Merci, docteur Gaind.

[Français]

     Monsieur Arseneault, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le coprésident.
    Docteur Gaind, comme votre témoignage est vraiment important, je vais poser mes questions rapidement.
    J'aimerais d'abord savoir si on peut avoir accès à votre document d'introduction.

[Traduction]

    Par document d'introduction, voulez-vous dire mes commentaires préliminaires?
     Oui.

[Français]

    C'est bien ça.

[Traduction]

    Nous pourrons vous les remettre plus tard, mais nous n'avons pas préparé de document à faire circuler.
    D'accord, merci.

[Français]

    Je voudrais parler de la décision dans l'affaire Carter, qui a mené à la mise sur pied de ce comité et à la tenue de ces réunions.
    La décision disait notamment que, selon l'esprit de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, on doit être en mesure d'offrir une assistance à mourir. Les mots employés sont « un adulte capable qui consent clairement à mettre fin à sa vie [...] ».
    J'aimerais savoir si, selon vous, lorsqu'on parle d'adulte capable et du fait de consentir clairement, quand on parle de la même personne, c'est la même chose.
     Est-ce qu'on peut considérer les choses de cette façon?

[Traduction]

    Non, ce sont deux choses différentes. Vous pouvez clairement souhaiter quelque chose, mais cela ne signifie pas nécessairement que vous en êtes apte ou capable.
    Je veux également souligner qu'une évaluation de la capacité — c'est souvent ainsi qu'on les appelle dans le domaine médical — est propre à la situation évaluée. Elle porte précisément sur la décision à prendre. Il est donc possible qu'une personne ait la capacité de prendre une certaine décision, mais pas qu'elle ne l'ait pas pour une autre. Dans le cas d'une demande d'aide médicale à mourir, l'évaluation de la capacité doit tenir compte de toutes les nuances que comporte le processus décisionnel dans cette situation précise.

[Français]

     Prenons un cas typique, soit celui d'un adulte qui n'a pas de maladie mentale préexistante et qui apprend qu'il est atteint d'une maladie incurable. La maladie fait son oeuvre et le temps avance. À un moment donné de sa maladie et de ses souffrances — on peut voir le portrait —, il demande à ce qu'on l'aide à mourir en se référant à l'arrêt dans la cause Carter.
    Selon vous, le corps médical au Canada est-il en mesure de faire cette analyse, c'est-à-dire mesurer si l'adulte est capable de décider s'il émet clairement une demande à cet effet ?

[Traduction]

    Je crois que les médecins sont en mesure de déterminer si le patient est apte et qu'il a cette capacité. Dans l'exemple que vous donnez, si le patient ne souffre pas de maladie mentale, l'intervention d'un psychiatre pourrait ne pas être nécessaire.

[Français]

    Merci.
    Allons un peu plus loin. Il s'agit toujours du cas typique de quelqu'un qui n'a pas de maladie mentale préexistante. Dans ce contexte, le fait d'apprendre que l'on souffre d'une maladie qui se terminera inévitablement par la mort affecte-t-il sa capacité de pouvoir clairement demander une aide médicale à mourir?
(2020)

[Traduction]

    Je ne peux pas généraliser, car il faut étudier chaque cas pour comprendre quelle incidence la nouvelle a eue sur le patient. Je vois toutes sortes de réactions chez les patients quand ils apprennent qu'ils sont atteints d'une maladie incurable. C'est du cas par cas. Dans une certaine mesure, la vie est une maladie incurable. Chacun réagit à sa façon devant une telle nouvelle, et chaque situation doit être évaluée de façon individuelle. Il n'existe pas de généralité à cet égard.

[Français]

    Merci.
    Toujours avec le même exemple, diriez-vous encore que le corps médical au Canada peut toujours mesurer la capacité d'un adulte d'exprimer clairement sa volonté de se faire aider à mourir?

[Traduction]

    Je crois que mes collègues de l'AMC seraient mieux placés pour répondre à certaines de ces questions, car ce sont eux qui seraient appelés à intervenir en l'absence de la maladie mentale chez le patient.

[Français]

    Monsieur Deltell, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Mesdames, messieurs, soyez les bienvenus à votre Parlement canadien.
    On ne peut qu'apprécier la richesse et la densité de vos propos. Le débat est très relevé et nous en sommes tous gagnants. Cela démontre jusqu'à quel point ce dont on parle aujourd'hui et la raison pour laquelle nous réunis touche à un sujet qui est délicat. Il faut toujours garder à l'esprit que notre travail de législateurs est d'abord et avant tout de protéger les personnes les plus vulnérables. Nous ne sommes pas ici pour protéger ceux qui sont capables de se protéger tout seuls. Il faut garder à l'esprit que nous devons protéger les plus vulnérables.
    Pourquoi est-on ici? Ce n'est pas pour savoir si l'aide médicale à mourir est bonne ou non. Ce n'est pas le débat. Le débat est de savoir comment adapter cette réalité au Code criminel canadien car la Cour suprême nous ordonne de le faire. Nous allons donc obéir à l'ordre des très honorables juges de la Cour suprême.
    Dans cet esprit, il faut savoir que les soins de santé au Canada sont de compétence provinciale alors que le Code criminel relève du fédéral. Le gouvernement et la Chambre, en votant pour ou contre cette loi qui va lui être présentée, devront réaliser cet arrimage entre le pouvoir provincial et le Code criminel.
    Je pose la question au deux groupes. Selon vous, ce que le gouvernement devra proposer devrait-il contenir des éléments très directifs s'adressant aux provinces ou, au contraire, le gouvernement devrait-il uniquement se concentrer sur le Code criminel?

[Traduction]

     Merci.
    Je sais que chaque province ou administration a ses propres directives en matière de soins de santé. Pour ce qui est du cadre juridique, je ne peux pas me prononcer sur le Code criminel, puisque je n'ai pas les compétences voulues dans ce domaine, mais je crois que les lignes directrices établies par le gouvernement fédéral devraient être suffisamment claires pour que les organismes de réglementation provinciaux puissent les adapter aux cadres professionnels de leurs provinces respectives.

[Français]

     Si je vous ai bien compris, les soins médicaux demeurent de compétence provinciale, mais la loi que le gouvernement va proposer devra fixer des balises aux provinces et leur indiquer jusqu'où elles peuvent aller.
     C'est bien ce que vous avez dit, monsieur Berardi?

[Traduction]

    Oui. Nous pensons que les organismes de réglementation pourraient devoir adapter les lignes directrices de façon à ce qu'elles cadrent avec les réalités de chaque province. Les lignes directrices serviront de pilier aux organismes de réglementation provinciaux qui devront établir le cadre à respecter dans leurs administrations respectives.
    Comme nous pouvons le voir, ce n'est pas une tâche facile, surtout pour vous qui avez de l'expérience auprès des personnes atteintes de maladies mentales. Pouvez-vous nous donner un exemple de ligne directrice que nous pourrions proposer aux organismes de réglementation provinciaux pour ce problème précis? Il n'est pas question d'égratignures, mais de maladies, et ce n'est pas du tout évident. Vous avez vous-même affirmé qu'il est impossible de définir de façon absolument certaine ce qui constitue la fin ou ce qui est inévitable, car rien n'est irréversible. C'est ce que vous avez dit. Quelles sont les lignes directrices que le gouvernement devrait proposer dans la loi?
(2025)
    Vous avez parlé des rôles du gouvernement fédéral par rapport à ceux des provinces. Pour ce qui est du Code criminel, ce serait de compétence fédérale, mais l'application concrète de tout cela pourrait revenir aux provinces, selon les ressources dont elles disposent. Les lignes directrices ou les recommandations que nous allons vous soumettre abordent la question en partie. Nous n'avons pas tout à fait terminé. Nous tentons de définir les principes à appliquer, mais il s'agirait en gros d'avoir plusieurs évaluateurs et plusieurs évaluations au fil du temps. Le facteur temps est aussi primordial, car avec les maladies mentales, l'efficacité des traitements et des différentes interventions se mesure avec le temps.
    Merci.
    L'Association des infirmières et infirmiers du Canada a souligné l'importance de confier l'évaluation des demandes d'aide médicale à mourir à une équipe interdisciplinaire. Si vous me le permettez, je demanderais à l'un ou l'autre des représentants de l'association des pharmaciens de me dire quel rôle précis les pharmaciens devraient jouer au sein d'une équipe interdisciplinaire.
    Comme nous l'avons mentionné ce soir, nous ne pensons pas que les pharmaciens devraient intervenir dans la détermination de l'admissibilité de la demande, de la compétence du patient ou de la conformité du processus entourant l'aide à mourir. Le rôle des pharmaciens serait de faire en sorte que le patient reçoive les bons médicaments au bon moment.
    Est-ce que les pharmaciens auraient leur mot à dire sur la façon dont on devrait disposer d'un médicament qui n'a pas été utilisé, par exemple?
    Oui. Les pharmaciens possèdent déjà l'expertise voulue concernant la manipulation, l'entreposage et la distribution de médicaments toxiques et dangereux. Le volet éducation des patients, les étapes à suivre si quelqu'un refuse le médicament ou que le patient décède avant qu'on lui administre le médicament, et la façon de procéder en cas de retour de médicaments toxiques et dangereux, ce sont toutes là des choses avec lesquelles les pharmaciens doivent composer quotidiennement.
    Exactement.
    Par exemple, au Royaume-Uni, on avait déposé un projet de loi qui prévoyait des directives précises concernant le retour de médicaments à la pharmacie qui avait exécuté l'ordonnance. À votre avis, devrait-on inclure une disposition semblable à la loi?
    Absolument, oui.
    Les pharmaciens ont l'infrastructure et la capacité requises et ils savent comment gérer la chaîne d'approvisionnement lorsque de tels produits leur sont retournés.
    Merci.
    Docteur Gaind, vous avez parlé avec éloquence de la question de la santé mentale. J'aimerais comprendre le rôle que devraient jouer les psychiatres, selon vous, auprès des patients souffrant de maladies incurables ou de problèmes de santé physique et qui pourraient vouloir recourir à l'aide médicale à mourir. Pensez-vous que les psychiatres pourraient participer à la détermination de la capacité du patient, par exemple, qui s'avère un facteur de taille?
     Dans un sens, la pratique actuelle répond à cette question, car les psychiatres ne participent pas à toutes les évaluations de la capacité, y compris dans les situations de vie ou de mort.
    Par exemple, en oncologie, si un patient refuse ses traitements de chimiothérapie ou autres, on ne fera pas nécessairement appel à un psychiatre. Si l'oncologue juge qu'il n'a pas les compétences nécessaires — et je ne dis pas cela péjorativement — ou qu'il n'est pas certain d'avoir toutes les données, car il peut soupçonner la présence d'influences extérieures ou d'une maladie mentale, il peut faire appel à un psychiatre. Ce n'est toutefois pas systématique.
(2030)
    Merci.
    La parole est au sénateur Joyal.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais revenir sur un des critères établis par la Cour suprême dans l'arrêt Carter. Je vais vous le lire. Vous le connaissez sans doute. Il se lit comme suit: une personne « affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables » — et c'est là où je veux en venir — « lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition ».
    Autrement dit, il y a une part de subjectivité du point de vue de la personne qui souffre. Quand on souffre, cela peut être des souffrances physiques et des souffrances mentales. C'est la personne qui doit endurer les souffrances. Un médecin pourrait conclure que la maladie est guérissable. Cependant, si le patient est convaincu que sa condition lui est intolérable, quand doit-on intervenir, si on le peut vraiment, pour l'empêcher d'exercer son droit à l'aide médicale à mourir?
    En médecine et en psychiatrie, il est toujours complexe de trouver l'équilibre entre les principes de la bienfaisance et du respect de l'autonomie, et c'est ce à quoi vous faites référence. En tant que médecins, nous voulons prendre soin des patients. Mais les patients sont aussi libres de faire leurs propres choix.
    Ce qui complique les choses en santé mentale, c'est que la maladie peut en fait miner l'autonomie du patient. Cela s'applique aux points et aux processus décisionnels dont j'ai parlé plus tôt; le patient a l'impression que son avenir est hypothéqué, ou peut-être même qu'il n'en a tout simplement plus. Si la maladie empêche le patient de voir plus loin, comment pouvons-nous déterminer qu'il est en possession de tous ses moyens?
    Je vais vous donner un autre exemple tiré de ma pratique. C'est arrivé il y a quelques semaines, en fait. Je suis un de mes patients depuis de nombreuses années. Il a des tendances suicidaires chroniques, des épisodes qui vont et qui viennent. Entre ces épisodes, il peut avoir une bonne qualité de vie. On a pu régler la dernière chose qui l'a amené au bord du suicide en lui permettant de prendre les transports en commun, de façon à ce qu'il puisse être un peu plus indépendant, se balader en ville et interagir avec des gens. Parfois, les choses semblent irrémédiables pour un patient en état dépressif, parce que cognitivement, il ne voit pas que la vie ne s'arrête pas là. Il ne peut pas s'imaginer que les choses vont s'améliorer. C'est en partie notre responsabilité de déterminer si son jugement est embrouillé par des distorsions cognitives.
    Dans ces cas-là, vous imposez un traitement.
    Non, pas nécessairement. La capacité du patient est déterminée au cas par cas.
    Dans ce contexte très précis, si la personne décidait qu'elle voulait recourir à l'aide médicale à mourir, vous l'en empêcheriez.
    Il y a une différence entre imposer un traitement et déterminer qu'une personne n'a pas la capacité de demander d'être traitée.
    Mais dans l'exemple que vous avez donné, vous empêcheriez le patient de recourir à l'aide médicale à mourir. Selon lui, les souffrances lui sont intolérables au regard de sa condition, selon sa propre perception. Mais vous feriez ce choix en son nom, plutôt que suivre sa décision.
    À ce moment précis, le patient n'était effectivement pas apte à prendre cette décision. Quand on juge que c'est le cas, c'est vrai.
    Il y a ce qu'on appelle le modèle de rétablissement. Dans ce modèle, les patients veulent pouvoir prendre leurs propres décisions, quitte à se tromper. L'idée est qu'ils veulent apprendre de leurs erreurs. Pour ce qui est de la décision qui nous occupe, si c'est une erreur, il n'y a pas de leçon à en tirer.
    Oui, mais comment faites-vous une distinction entre une personne atteinte d'une maladie mentale et une autre qui voit ses capacités mentales changer du tout au tout lorsqu'elle apprend qu'elle souffre d'un cancer, par exemple, et qu'il lui reste deux ou trois mois à vivre? Comme vous le disiez, on ne peut évidemment pas prévoir comment une personne va réagir devant une telle nouvelle.
    Ce sont des décisions que nous sommes déjà appelés à prendre. Nous devons déjà déterminer la capacité des patients.
    Dans ce cas, vous n'empêcheriez pas la personne de prendre une telle décision, puisqu'elle ne souffre pas d'une maladie mentale permanente. Même si vous dites qu'il ne s'agit pas d'un état irrémédiable, dans le cas d'une personne atteinte d'une maladie incurable, ses capacités mentales changent tout autant que celles d'une personne souffrant d'une maladie mentale.
(2035)
    Si on prend deux personnes présentant exactement les mêmes symptômes et vivant la même chose, il se pourrait bien qu'une d'entre elles soit en mesure de prendre une telle décision et pas l'autre. C'est pour cette raison qu'il faut s'en remettre aux principes d'évaluation de la capacité.
    Merci, docteur Gaind, et merci, sénateur.
    C'est tout le temps que nous avions pour entendre les témoins ce soir. Ce fut tellement agréable que je vous propose de revenir demain.
    Des voix: Oh, oh!
    Le coprésident (M. Robert Oliphant): Je vous rappelle que la réunion aura lieu dans cette salle et qu'elle sera d'une durée de trois heures. De 17 h 30 à 19 h 30, nous allons recevoir les témoins suivants: l'honorable Steven Fletcher, le Conseil des Canadiens avec déficiences, le Conseil consultatif des personnes handicapées de Dying With Dignity, et trois témoins à titre personnel — Jocelyn Downie, David Baker et Trudo Lemmens.
    C'est ce que nous aurons à l'ordre du jour. Nous poursuivrons ensuite la séance à huis clos pour examiner l'avancement de nos travaux et la liste des témoins déjà confirmés pour la semaine prochaine.
    Je tiens à remercier les témoins. Nous savons que cela fait partie de votre travail, mais nous savons également que le temps que vous nous accordez nous est très utile. Vous avez très bien représenté vos associations respectives ce soir. Merci beaucoup d'avoir été des nôtres.
    La séance est levée.
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