L’Association
parlementaire canadienne de l’OTAN a l’honneur de présenter son rapport
concernant sa participation au 78e Séminaire
Rose-Roth, tenu à Londres, Royaume-Uni, du 21 au 22 novembre 2011 et à la
visite de la Sous-commission sur la coopération transatlantique en matière de
défense et de sécurité (DSCTC), tenue à Lincoln et Glasgow, Royaume-Uni, du
22 au 25 novembre 2011
Les deux visites
ont été réunies dans ce même rapport, car elles ont eu lieu successivement.
RAPPORT DE LA VISITE DU 78E SÉMINAIRE ROSE-ROTH
LONDRES, ROYAUME-UNI, 21 AU 22 NOVEMBRE 2011
Plus d’une centaine de parlementaires des 33 pays membres et
partenaires de l’OTAN se sont réunis à Londres (Royaume-Uni) les 21 et
22 novembre 2011 à l’occasion du 78e Séminaire Rose-Roth,
intitulé "2011-2014 : La transition en Afghanistan".
L’objectif de ce séminaire était de passer en revue les priorités de
l’opération dirigée par l’OTAN en Afghanistan ainsi que les défis qui s’annoncent
au moment où le pays se prépare à assumer l’entière responsabilité de sa
sécurité d’ici la fin 2014.
Le Canada était représenté par le sénateur Joseph A. Day.
Quatre mois après le lancement officiel du processus de transition de
l’Afghanistan vers la prise en main de sa sécurité, le séminaire, organisé par
l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (AP-OTAN) en partenariat avec le Parlement
britannique et avec le soutien du gouvernement suisse, a fourni une excellente
occasion d’évaluer les progrès accomplis sur certains aspects fondamentaux de
la mission. Ces aspects étaient notamment les suivants : montée en
puissance des forces de sécurité afghanes, instauration d’une gouvernance de
qualité et de l’Etat de droit, réconciliation et réintégration, reconstruction
et développement économique, et enfin, coopération régionale. Les participants
ont eu des discussions approfondies avec un large éventail de
hauts-responsables de l’OTAN, des gouvernements alliés et partenaires, de
l’Afghanistan et du Pakistan, ainsi qu’avec des experts indépendants.
La conclusion des débats est qu’il est nécessaire, pour que les progrès
soient irréversibles, que l’Alliance, ses partenaires et les Afghans eux-mêmes
poursuivent leurs efforts. L’Afghanistan reste un élément-clé de la sécurité
euro-atlantique, et les avancées obtenues jusqu’ici risqueraient d’être perdues
si la communauté internationale et les pays membres de l’OTAN n’avaient pas la
volonté ou la capacité de fournir un soutien suffisant jusqu’à la fin 2014 et
au-delà. La prochaine conférence internationale sur l’Afghanistan tenue à Bonn
en décembre 2011 et le sommet de l’OTAN à Chicago en mai 2012 ont été
considérés comme des rendez-vous importants pour confirmer l’engagement à long
terme de la communauté internationale à l’égard de l’Afghanistan.
AFGHANISTAN 2001-2011 : LES ENSEIGNEMENTS DU PASSE ET
LA VOIE A SUIVRE POUR L’AVENIR
Ouvrant le séminaire, le ministre britannique des Affaires étrangères,
William Hague, a indiqué aux participants que des "progrès durement acquis
mais fragiles" avaient été accomplis en Afghanistan dans de nombreux
domaines. La transition vers une prise de responsabilité afghane est la
"bonne stratégie" car elle montre clairement le chemin, engageant
l’Afghanistan sur la "voie de l’autonomie" dans un délai "crédible",
a souligné M. Hague. Un "engagement international durable" et de
la "patience sur le plan stratégique" seront toutefois
indispensables, et les forces internationales devront "affronter les
insurgés jusqu’au dernier jour" de leur mission de combat. Ce message a
été relayé par les deux autres intervenants, M. Zia Nezam, Haut conseiller
pour l’Afghanistan au ministère des Affaires étrangères, et l’ambassadeur
Stephen Evans, Secrétaire général adjoint de la division Opérations de l’OTAN.
Au titre des formidables progrès accomplis par le pays depuis 2001,
M. Hague a cité l’extraordinaire augmentation de l’accès à la santé et à
l’éducation – y compris le fait qu’un tiers des enfants scolarisés soit
des filles –, ainsi que la mise en place d’institutions et de processus
politiques qui fonctionnent. M. Nezam a également appelé l’attention sur
les avancées considérables obtenues au cours des dix dernières années, en
particulier en ce qui concerne la situation sécuritaire, les services publics
et les conditions de vie. L’intervenant a en outre insisté sur les progrès
d’ordre politique, en citant comme exemples les cycles réguliers d’élections,
la liberté des médias et les droits des femmes. Un récent sondage réalisé par
l’organisation Asia Foundation a par ailleurs mis en évidence le haut degré de
confiance de la population à l’égard des forces de sécurité afghanes, son
faible soutien aux talibans, et son optimisme accru quant à l’avenir du pays.
Selon M. Evans, le bilan des résultats en 2011 – soit dix ans
après le début de l’engagement de la communauté internationale dans le
pays – est particulièrement considérable. L’Etat afghan est de plus en
plus capable d’assumer son propre rôle et ses propres responsabilités. Cette
notion de renforcement des responsabilités est à la base de la mission et
de la stratégie actuelles de l’OTAN.
La communauté internationale a commencé à mettre en œuvre une stratégie
de transfert des responsabilités aux Afghans en matière de sécurité, un
processus qui devrait s’achever avant la fin 2014. Les trois intervenants ont
souligné que cette stratégie de transition reflétait la volonté largement
exprimée des autorités afghanes de prendre pleinement en main les affaires et
la sécurité de leur pays. M. Nezam a par ailleurs précisé que ce processus
sera doublement bénéfique puisqu’il allègera la charge assumée par les
partenaires internationaux et renforcera la confiance de la population afghane
à l’égard de son gouvernement.
Pour reprendre les termes de M. Evans, l’adoption de cette
stratégie lors du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Alliance qui
a eu lieu en novembre 2010 à Lisbonne a conduit les pays de l’OTAN et le
gouvernement afghan sur "la pente douce" de la transition, et lors de
"l’atterrissage" en 2014, l’Afghanistan aura pris les rênes de sa
propre sécurité. Selon les plans actuels, les différentes régions d’Afghanistan
seront placées sous la responsabilité des forces de sécurité afghanes de
manière progressive, à raison de cinq phases e espacées d’environ 18 mois.
Un premier transfert représentant quelque 20 % de la population afghane
est en cours, et l’annonce de la deuxième phase est imminente. Cette deuxième
phase devrait permettre aux forces de sécurité afghanes d’exercer leur contrôle
sur 50 % de la population en tout, dont un certain nombre de zones
difficiles. L’espoir est que, d’ici le 31 décembre 2014, les autorités
afghanes auront pris en main la gestion de la sécurité sur l’ensemble du
territoire, car c’est à cette date que prendra fin la mission de combat de la
FIAS. M. Evans a dit espérer qu’un tournant se produira dès la mi-2013,
lorsque la FIAS cessera de se concentrer sur les combats pour assumer
principalement des tâches de conseil, d’assistance et de soutien. On espère
également que d’ici à 2014, les forces de sécurité afghanes compteront aux
alentours de 350 000 membres (hommes et femmes). Si l’on ajoute à
cela une formation prolongée de ces forces et la fourniture d’équipements, la
FIAS pourra ainsi passer le relais et mettre progressivement un terme à sa
mission de combat.
Selon M. Hague, la transition est "en bonne voie".
M. Nezam s’est dit du même avis, en faisant observer que cette transition
devra évidemment être progressive, mais que la première phase était une
réussite et s’était déroulée sans incident majeur. Appelant l’attention sur les
bons résultats obtenus en ce qui concerne la montée en puissance des forces de
sécurité afghanes, l’intervenant a indiqué aux délégués que
3 500 soldats recevaient une formation chaque semaine, et que les
forces afghanes assuraient déjà le commandement de plus de 50 % des
opérations menées contre les terroristes et les insurgés. Tout en assurant que
ces forces posséderont les capacités nécessaires pour assurer en temps voulu la
relève en matière de sécurité, M. Nezam a insisté sur la nécessité
d’investir davantage dans le domaine de la formation et de l’équipement.
"La transition est sur les rails, la direction est claire", a
également reconnu M. Evans, mais "le parcours sera semé
d’embûches" car l’ennemi a naturellement, par son rôle, son vote et son
action, une influence sur la marche des événements. S’il est prouvé que
l’insurrection perd du terrain, les talibans ont en revanche les moyens et la
capacité de conduire des attaques et d’attirer l’attention sur eux. S’exprimant
sur les récentes attaques très médiatisées commises à Kaboul, l’intervenant a
souligné qu’elles constituaient des échecs sur le plan militaire et que les
forces de sécurité afghanes avaient pris les commandes des opérations, avec
l’OTAN "relégué au second plan".
Il n’en reste pas moins que les insurgés ne seront mis en échec que
lorsque les Afghans auront pleinement confiance dans la capacité de leur
gouvernement à leur fournir les services dont ils ont besoin, a précisé
M. Hague. Il est également essentiel, a-t-il insisté, d’enclencher un
processus politique et de renforcer l’autorité de l’État sur la population. Des
progrès supplémentaires sont par ailleurs nécessaires dans le domaine de la
lutte contre la drogue et la corruption. Une gouvernance de qualité a toujours
eu le soutien du peuple, a indiqué M. Nezam. Or, la consolidation de la
gouvernance passe aussi par la mise en retrait des "structures
parallèles" au gouvernement afghan, a-t-il insisté en se référant en
particulier aux équipes de reconstruction provinciale (PRT) et aux
organisations non gouvernementales (ONG). Sur le plan économique, une politique
de "priorité aux Afghans" doit être mise en œuvre, et l’intervenant a
dit apprécier l’aide de l’OTAN à cet égard. M. Nezam a également appelé à
ce que l’objectif visant à attribuer 50 % de l’aide internationale par le
biais du budget afghan soit réalisé.
Bien que tous les intervenants aient reconnu que l’assassinat du
président du Haut Conseil pour la paix, Burhanuddin Rabbani, avait été un coup
terrible, ils ont également été très fermes sur le fait que le Président afghan
était très attaché au processus de réconciliation, et que l’assassinat de
M. Rabbani ne devait pas le mettre en péril. M. Hague a expliqué que
la communauté internationale apportait son soutien aux efforts de
réconciliation, par exemple en mettant à jour les noms des groupes d’insurgés
et de leurs chefs sur la "liste des sanctions" établie par les
Nations unies. Le problème, selon lui, est que l’on ne sait pas toujours
très bien si les insurgés sont prêts à négocier.
Les intervenants ont souligné unanimement que la participation du
Pakistan – sur cette question comme sur d’autres – était capitale.
Comme l’a indiqué M. Nezam, la communauté internationale et l’Afghanistan
lui-même doivent s’assurer que les terroristes ne peuvent pas trouver refuge en
dehors de l’Afghanistan, et en particulier au Pakistan. Les relations entre ces
deux pays ne sont pas aussi bonnes que le souhaitent leurs gouvernements
respectifs, a déploré M. Nezam. Il n’empêche que le gouvernement afghan
est en train de prendre des mesures sans précédent pour les améliorer. L’accord
stratégique conclu récemment entre l’Afghanistan et l’Inde n’était en aucun cas
dirigé contre d’autres pays, a-t-il souligné. M. Evans a insisté pour sa
part sur l’importance vitale du Pakistan dans la réussite du processus de
transition. L’OTAN a dû elle-même concentrer ses efforts sur l’Afghanistan, car
les relations avec le Pakistan étaient gérées bilatéralement par les États
membres. L’ensemble des intervenants ont considéré que la récente conférence
régionale à Istanbul était un pas dans la bonne direction et un bon début de
cadre pour la coopération régionale.
Les intervenants ont tous reconnu qu’à l’issue du processus de
transition en 2014, un engagement à long terme serait encore nécessaire, en
particulier pour aider les Afghans à mettre en place des forces de sécurité
compétentes et un État viable doté d’un processus politique juste et
rassembleur. M. Hague s’est dit convaincu que des problèmes de sécurité
subsisteront après 2014 et qu’il restera certainement des poches
d’insurrection. Il a toutefois indiqué être "prudemment optimiste"
quant au fait qu’avec la poursuite de la croissance, de la formation et de
l’aide (y compris de l’aide financière au-delà de 2014), les forces de sécurité
afghanes seront en mesure de surmonter ces difficultés. Compte tenu de l’écart
important existant actuellement entre les revenus du gouvernement afghan et les
coûts de fonctionnement attendus des forces de sécurité aux niveaux qui ont été
prévus, la question de la viabilité des forces de sécurité afghanes a été citée
par les trois intervenants comme un défi de taille pour la phase de
post-transition. Les forces de sécurité afghanes doivent continuer à bénéficier
d’un soutien international jusqu’à la fin de la décennie, a déclaré
M. Evans. Dans le cas contraire, tous les progrès accomplis jusque-là
risqueraient d’être perdus, a-t-il averti en citant les leçons tirées de
l’expérience soviétique : le régime de Nadjibullah a chuté lorsque l’Union
soviétique a cessé de le soutenir financièrement, a rappelé l’intervenant.
Une fois la transition réussie, l’Afghanistan aura toujours besoin de
ses amis et de la présence d’une force de sécurité dans le pays, a souligné
M. Nezam. "La fin de la transition ne doit pas marquer la fin de la
coopération", a-t-il indiqué en soulignant que le gouvernement afghan
était déterminé à établir des partenariats stratégiques avec l’OTAN et les pays
alliés, objectif également approuvé par la traditionnelle Loya Jirga qui
s’est réunie la semaine précédente. Comme l’a confirmé M. Evans, bien que
la FIAS va devoir mettre un terme à sa mission de combat fin 2014, l’OTAN va
tenir ses engagements et mettre en place un partenariat durable. L’Afghanistan
ne doit plus jamais servir de lieu de refuge pour les terroristes. Bien que les
modalités et les structures précises soient encore à définir, on sait que ce
partenariat de longue durée sera axé sur la formation, le conseil, le tutorat
des forces de sécurité afghanes et la fourniture du soutien approprié en cas de
besoin.
L’appui aérien est un domaine dans lequel les forces de sécurité
afghanes risquent de ne pas être pleinement opérationnelles d’ici à 2014, a
fait savoir M. Evans. On ne sait pas cependant si cette capacité sera
fournie par l’OTAN ou ses Alliés après cette date.
La conférence sur l’Afghanistan tenue à Bonn en décembre 2011 et le
sommet de l’OTAN à Chicago en mai 2012 ont été considérés par l’ensemble
des intervenants comme des occasions importantes pour réaffirmer le soutien à
long terme de la communauté internationale à l’égard de l’Afghanistan dans le
domaine politique, économique et sécuritaire.
SÉCURITÉ : COMMENT RÉUSSIR LA TRANSITION ?
18. Lars Jensen, directeur des Opérations au Bureau du Haut représentant
civil de l'OTAN en Afghanistan, a présenté les plans de la FIAS en ce qui
concerne la reconversion des équipes de reconstruction provinciale (PRT) qui
sera mise en œuvre parallèlement au transfert des responsabilités en matière de
sécurité. Cette reconversion avait été explicitement demandée par le président
Hamid Karzaï lors de son discours d’inauguration de 2009 dans lequel il avait
exprimé sa vision de la transition. Les PRT sont en fait perçues par les
autorités afghanes comme des structures parallèles qui font de l’ombre aux
autorités locales. M. Jensen a cependant précisé que les gouverneurs de
province s’étaient progressivement habitués à ces équipes et à leur façon de
travailler, et que les PRT étaient toujours d’une grande utilité dans les zones
actuellement en transition.
Un projet de transformation des PRT à l’échéance de 2014 a donc été
conçu, en complément du processus de transition en matière de sécurité.
L’objectif est que ces équipes évoluent progressivement du rôle de prestation
de services à celui de renforcement des capacités. A l’issue du processus, les
PRT pourront transférer l’ensemble de leurs fonctions de prestation de
services, principalement au gouvernement afghan.
Selon M. Jensen, les progrès accomplis depuis le discours
d’inauguration du président Karzaï sont "impressionnants". Il a
toutefois souligné que la communauté internationale devait être
"réaliste" car ce ne sera pas "toujours tout rose". Il
n’empêche que dans l’ensemble, "il est clair que nous avons les choses en
main, et nous sommes sur la bonne voie", a-t-il indiqué.
Le général de brigade Tim Bevis, Directeur du groupe d’évaluation
et de transition stratégique de la FIAS, s’est expliqué sur la mise en œuvre de
la transition en matière de sécurité. L’un des grands changements engendrés par
la transition est le fait que les décisions sont aujourd’hui prises
conjointement à tous les niveaux, ce qui favorise l’instauration d’un climat de
confiance, a souligné le général Bevis. Les premières phases de la
transition – centrées initialement sur les "cas faciles", en
préparation des cas plus ardus à venir – fournissent également leur lot
d’enseignements. Le général Bevis en a cité trois : la nécessité de
procéder à une planification circulaire, en combinant la préférence de la FIAS
pour une approche ascendante et celle du gouvernement afghan pour une démarche
inverse ; la prise de conscience que le processus de transition est axé
avant tout sur la sécurité ; enfin, la nécessité d’intégrer la feuille de route
émanant des plans de priorité nationale du gouvernement afghan.
La deuxième phase du processus, qui sera annoncée prochainement,
concernera des zones présentant plus de difficultés en matière de sécurité et
de gouvernance. Des plans sont également en cours d’élaboration pour les
troisième et quatrième tranches. La cinquième sera évidemment la plus
difficile, a précisé le général Bevis.
Parmi les principales priorités et difficultés de mise en œuvre de la
transition, le général Bevis a cité la nécessité de : coordonner le
développement des forces de sécurité afghanes (en taille et en compétences)
avec la réduction des effectifs de la FIAS ; mener avec succès les tâches
de commandement et de contrôle et la coordination des opérations ; mettre
à la disposition des forces de sécurité afghanes des facilitateurs ; créer
un lien entre les niveaux stratégiques et tactiques ; intégrer
gouvernance, sécurité et développement. L’intervenant a également souligné que
la confiance entre la FIAS et les ANSF et dans les résultats de la transition,
était d’une importance capitale pour la réussite du processus.
Interrogé sur le rôle et les capacités de la police afghane, le
général Bevis a reconnu que des problèmes graves étaient survenus, en
particulier avec les policiers en uniforme. Il a toutefois cité, parmi les
points positifs, la hausse du niveau de qualité sous l’influence des hautes
instances de commandement, la diminution de l’usage de stupéfiants et
l’amélioration de la discipline. Des progrès ont également été enregistrés en
ce qui concerne l’alphabétisation des forces de sécurité afghanes. Plus de
100 000 de leurs membres ont atteint le niveau 1 et devraient
atteindre le niveau 3 d’ici trois ans. Les forces spéciales de police,
notamment la police nationale afghane de maintien de l’ordre civil, sont déjà
très performantes et recueillent la même cote de popularité que l’armée.
L’intervenant a ensuite expliqué que l’une des difficultés de la transition
sera que la police devra pendant quelque temps assumer un double rôle, celui de
police locale et de force de sécurité.
S’exprimant sur la situation sécuritaire, le général Bevis a
indiqué que dans le sud et le sud-ouest du pays, les talibans étaient "en
mauvaise posture". Le nombre d’incidents ennemis y est en baisse pour la
première fois depuis des années, et la situation de guérilla évolue vers un
phénomène de terrorisme, avec par exemple des actes terroristes en milieu
urbain, accompagnés d’une intense médiatisation. On note en outre une
utilisation croissante – plus 20 % par rapport à l’an dernier –
des engins explosifs improvisés (EEI). A cet égard, le général Bevis a rappelé
que 85 % des pertes civiles étaient dues à l’action des insurgés. En
d’autres mots, "les talibans essaient de nous nuire plutôt que de se mesurer
à nous", a déclaré le général, en ajoutant : "c’est un mouvement
d’insurrection qui ne tient pas la route".
26. Pour terminer, les deux intervenants ont lancé un appel à la
poursuite des engagements en Afghanistan au-delà de 2014.
LA DIMENSION RÉGIONALE
27. "Si la transition est indispensable à la réussite, la réussite
de la transition demeure incertaine", a déclaré aux délégués Ashley
Tellis, administrateur en chef du programme pour l’Asie du Sud de
l’organisation Carnegie Endowment for International Peace. La réussite comporte
pour lui deux dimensions. La dimension interne concerne l’efficacité des
autorités et des forces de sécurité afghanes, alors que la dimension externe
est de savoir si les efforts déployés par la communauté internationale pour obtenir
la sécurité et la réconciliation politique seront couronnés de succès.
M. Tellis a comparé cette dimension à un beignet : au cœur se
trouvent les États-Unis, l’Afghanistan, le Pakistan et les talibans afghans,
alors qu’à la périphérie se situent l’Inde, l’Iran, les républiques d’Asie
centrale et l’Arabie saoudite. Si les quatre acteurs du centre sont incapables
de se mettre d’accord pour trouver une solution, la position des autres acteurs
n’a aucune importance, a indiqué M. Tellis.
Bien que tous les acteurs externes partagent les mêmes objectifs de
base – à savoir une issue pacifique conduisant à l’instauration d’un État
afghan stable, compétent et indépendant, qui ne soit plus jamais un lieu de
refuge pour les terroristes –, plusieurs obstacles de taille rendent leur
réalisation compliquée. Une première question est de savoir si les chefs
talibans sont véritablement intéressés par une réconciliation : il est
encore difficile d’en être sûr. A cet égard, M. Tellis a dit regretter que
la décision d’annoncer le calendrier du retrait des troupes de la coalition ait
eu lieu en même temps que leur augmentation, car cela a donné aux talibans le
signal qu’ils pouvaient "patienter".
Un deuxième obstacle est la stratégie du Pakistan à l’égard de la
réconciliation afghane. Selon M. Tellis, la "crainte de
l’encerclement stratégique" a conduit le Pakistan à se donner pour
objectif de voir en l’Afghanistan un État "stable mais soumis" ; il
a, pour ce faire, apporté son soutien aux talibans afghans, une démarche qui
l’amène à une situation "d’affrontement" avec les stratégies des
États-Unis et de la communauté internationale. M. Tellis s’est dit
cependant convaincu que les États-Unis et ses partenaires n’avaient pas d’autre
solution que de travailler avec le Pakistan, même si l’on ne sait toujours pas
si Islamabad acceptera "l’option de pis-aller" concernant
l’Afghanistan. La situation est rendue encore plus compliquée par le fait que
le gouvernement civil et l’armée du Pakistan ont des points de vue différents
sur ces questions. Par ailleurs, on ne sait toujours pas si les autres acteurs
de la région (Inde, Iran et Asie centrale) seront satisfaits de l’Afghanistan
que la communauté internationale projette de laisser derrière elle.
Le point de vue de M. Tellis est que le problème du
Cachemire – qui est au cœur de la rivalité entre l’Inde et le
Pakistan – ne sera pas réglé avant 2014, mais que cela n’est pas non plus
indispensable pour résoudre le cas de l’Afghanistan. L’Iran joue, pour sa part,
un jeu très complexe et subtil, a souligné M. Tellis. Sur le court terme,
ce pays va continuer à essayer de "mener la vie dure aux États-Unis en
Afghanistan", mais dès que les talibans seront sur le point de reprendre
le pouvoir, il leur tournera le dos.
Farooq Hamid Naek, président du Sénat pakistanais, a déclaré aux
délégués qu’il voulait clarifier l’image de son pays, indiquant qu’il était
très facile de critiquer depuis l’extérieur, mais que le Pakistan avait
l’impression d’être "un boxeur sur un ring". "L’Afghanistan se
trouve au cœur de l’Asie", a-t-il noté, et son évolution vers la paix et
la prospérité serait donc une bonne chose pour la région. Il a ensuite reconnu
que le Pakistan et l’Afghanistan entretenaient des relations uniques, et que
leur destin était inextricablement lié. L’orateur s’est donc félicité que leurs
relations se soient améliorées depuis environ 2008.
L’instabilité qui a régné pendant trois décennies a eu un impact sur la
région, et particulièrement sur le Pakistan. M. Naek a informé les
délégués que son pays avait payé un lourd tribut au terrorisme, le bilan étant
de plus de 30 000 morts parmi les civils et 5 000 parmi les
militaires. Il a déploré que le Pakistan n’ait jamais bénéficié de la
reconnaissance qu’il mérite pour ses efforts. Le pays est cependant fermement
résolu à lutter contre le terrorisme ; les terroristes sont les
"ennemis de l’islam", a-t-il ajouté. L’intervenant a refusé
d’admettre que le Pakistan ait un jour protégé Oussama ben Laden, et a appelé
les parlementaires à cesser d’être si critiques à l’égard de son pays, qui
représente "non pas le problème, mais une partie de la solution".
"Le déficit de confiance doit cesser" et "le jeu des reproches
doit prendre fin", a indiqué avec force M. Naek.
Le
Pakistan est en outre "totalement acquis au processus de
réconciliation", car les solutions militaires ne suffisent pas.
M. Naek a, à cet égard, déploré la disparition de l’ex-président Rabbani,
en rappelant aux participants que son pays avait proposé son aide pour les
besoins de l’enquête, et que l’Afghanistan et le Pakistan avaient créé une
commission conjointe sur la réconciliation. Le Pakistan ne veut pas subir des
retombées négatives après la fin de la transition en Afghanistan, raison pour
laquelle il est favorable à la mise en place d’un État afghan stable avec un
gouvernement rassembleur, ce qui, de son point de vue, implique aussi
l’augmentation de la représentation de l’ethnie pachtoune originaire du sud du
pays.
M. Naek a par ailleurs souligné que le développement économique, en
particulier dans les régions frontalières, était indispensable pour une
stabilité à long terme, et que cela permettrait de résoudre toute une série de
problèmes sous-jacents ayant un rapport avec la pauvreté. Il a ensuite appelé
les membres de la communauté internationale à apporter leur soutien au
développement régional. Dans de telles épreuves, le plus important est de se
serrer les coudes, a conclu l’intervenant.
LES PARTENAIRES DE L’OTAN AU SEIN DE LA FIAS : LES
ENSEIGNEMENTS TIRES ET LES PERSPECTIVES CONCERNANT LA TRANSITION
En tant que représentant du premier contributeur de forces par habitant
parmi les pays de la FIAS non membres de l’OTAN, Giorgi Kandelaki, chef de la
délégation géorgienne auprès de l’AP OTAN, a souligné que la raison qui pousse
les pays partenaires à participer aux opérations en Afghanistan est qu’ils ont
tous compris que l’OTAN était présente là-bas parce qu’il est dans l’intérêt de
tous que l’Afghanistan soit un État sûr et stable.
Représentant un autre large contributeur, Brendan Nelson, ambassadeur de
l’Australie auprès de l’UE, de l’OTAN, ainsi que de la Belgique et du
Luxembourg, a rappelé la détermination de son pays à participer à la mission en
Afghanistan. Avec quelque 1 550 hommes en Afghanistan, l’Australie est
le premier contributeur non membre de l’OTAN en chiffres absolus, le neuvième
pays contributeur de troupes parmi les membres de la FIAS, et le troisième
contributeur aux forces d’opérations spéciales. Pour M. Nelson, il existe
quatre raisons pour lesquelles l’Australie a considéré son engagement en
Afghanistan comme crucial pour la défense de ses intérêts nationaux. La
première est son alliance en matière de sécurité avec les États-Unis. La
seconde est le fait que des citoyens australiens ont été victimes d’attaques terroristes,
notamment à Bali et Jakarta ; l’un des auteurs de l’attentat à la bombe de
Bali en 2002 avait en fait suivi un entraînement en Afghanistan. La troisième
raison est que "notre génération mène un combat contre une insurrection
d’ampleur internationale", a affirmé M. Nelson, en ajoutant que cette
insurrection était fondamentalement opposée à la liberté et autres droits
humains fondamentaux. La quatrième raison est simplement "parce que c'est
la bonne chose à faire", a indiqué l’ambassadeur. L’Australie tente de
défendre ses valeurs fondamentales ; il serait "complètement
irresponsable" de laisser les seuls États membres de l’OTAN s’acquitter de
cette tâche, a-t-il souligné.
S’exprimant sur les relations de l’Australie avec l’OTAN, M. Nelson
a expliqué que son pays avait eu dans un premier temps le sentiment que la voix
des partenaires de l’OTAN n’était pas entendue lors de la préparation des
opérations et de la prise des décisions stratégiques, mais qu’il était
aujourd’hui satisfait des dispositions du nouveau Concept stratégique de
l’OTAN, qui ont créé un mécanisme à part entière pour la gestion des relations
avec les partenaires des opérations de l’OTAN. L’Australie a par ailleurs salué
l’adoption, dans le Concept stratégique, d’une approche globale de la sécurité
euro-atlantique, ainsi que la reconnaissance de la nécessité pour l’OTAN de
mettre en place une capacité civile.
L’Australie maintiendra son engagement en Afghanistan jusqu’à la fin de
la décennie, a confirmé M. Nelson. Une fois que la transition sera
terminée, son pays recentrera ses efforts sur la coopération pour le
développement, le tutorat et les opérations spéciales. L’intervenant a insisté
sur la nécessité de planifier dès maintenant la nature de l’engagement de la
communauté internationale après 2014, en attirant l’attention sur les aspects
importants que sont à cet égard l’aide financière à long terme de
l’Afghanistan, les élections présidentielles de 2014, la réconciliation du
pays, la qualité des forces de sécurité afghanes et le rôle des voisins de
l’Afghanistan. Les écarts de revenus dans ce pays sont particulièrement
préoccupants. Comme la souligné M. Nelson en citant les estimations de la
Banque mondiale, si la croissance annuelle de l’économie se maintient au taux
actuel de 6 %, il faudra 20 ans à l’Afghanistan pour doubler son
revenu par habitant. Il est donc impératif de mettre au point un cadre en
collaboration avec les Afghans et de "transformer les incertitudes
géopolitiques en perspectives d’avenir, notamment sur le plan économique".
M. Nelson a par ailleurs cité un certain nombre de résultats
positifs. Il a ainsi évoqué un récent sondage de l’organisation américaine Asia
Foundation, qui montre que 46 % des Afghans considèrent que leur pays se
dirige dans la bonne direction, alors qu’ils sont seulement 35 % à penser
le contraire, ce qui représente un mieux par rapport à de précédents sondages.
Les Afghans sont en outre 87 % à considérer que leur armée nationale
contribue à améliorer la situation en matière de sécurité. Dans la zone de
déploiement de l’Australie – au sud de l’Afghanistan –, la situation
est en cours d’amélioration, et les forces de sécurité afghanes se sont, dans
certains cas, conduit de manière héroïque, a fait savoir l’intervenant.
Le colonel Mats Danielsson, ex-commandant de la PRT suédoise à
Mazar-i-Sharif et aujourd’hui commandant de l’école militaire de Karlberg, a
présenté le bilan des enseignements tirés par la Suède de son expérience dans
le nord de l’Afghanistan. La PRT suédoise couvrait une zone d’une superficie
quatre fois supérieure à celle du Kosovo. Sa composante militaire ne comprenait
cependant qu’un bataillon mécanisé léger de seulement 750 soldats (la
plupart suédois), alors que les effectifs au Kosovo étaient de
16 000 hommes au plus fort du déploiement. La présence militaire dans
la zone a été progressivement réduite ; d’ici 2014, ils ne seront pas plus
de 200 hommes.
Le colonel Danielsson a indiqué que la Suède avait, dans sa zone de
responsabilité, obtenu des avancées non négligeables sur la voie de la
transition. Les forces de sécurité afghanes ont aujourd’hui, dans le cadre de
la première phase de la transition, pris la direction des opérations dans la
zone de la PRT suédoise. Les forces suédoises évoluent donc petit à petit vers
une mission de tutorat, de conseil, de soutien et de facilitation. Cette PRT
s’achemine également vers une direction civile, et l’on espère que les Afghans
pourront en assumer la responsabilité en 2013. L’intervenant a toutefois appelé
à la prudence car des problèmes surviennent tous les jours et seule la réalité
sur le terrain dictera en fin de compte la rapidité des progrès. Il a reconnu
que la situation en matière de sécurité avait empiré, avec notamment
l’augmentation des risques d’attentats à l’aide d’engins explosifs improvisés,
ce qui a contraint le personnel suédois à commencer à se déplacer dans des
véhicules blindés et a donc rendu la communication avec la population locale
plus difficile.
Pour terminer, le colonel Danielsson a fait part d’un certain nombre de
leçons et de recommandations sur la manière d’aborder la transition. Il a
insisté sur l’importance du choix de la zone à transférer en premier, afin que
cela puisse servir d’exemple pour les autres zones. La transition ira plus vite
sous la direction des Afghans. Un leadership et une gouvernance énergiques sont
par conséquent indispensables ; dans la province de Balkh, le gouverneur a
enregistré de gros progrès, mais une aide extérieure lui est tout de même
nécessaire pour protéger ces acquis. Il est important de comprendre que
"ce n’est pas la transition qui détermine la mission, mais les objectifs
de la mission qui conduisent à la transition", a précisé le colonel
Danielsson.
LES DÉFIS EN MATIÈRE DE GOUVERNANCE : PERSPECTIVES
POUR 2014 ET AU-DELÀ
M. Ali Jalali, professeur émérite au Centre d’études stratégiques
sur l’Asie du Sud et le Proche-Orient (NESA) de l’Université de la défense
nationale des Etats-Unis, a livré son analyse de l’état actuel de la
gouvernance en Afghanistan.
Selon lui, la Constitution actuelle de l’Afghanistan a fait passer le
système politique d’un excès de décentralisation sous le régime des talibans à
un excès de centralisation aujourd’hui. Bien qu’il ne pense pas que les
talibans puissent revenir au pouvoir, M. Jalali estime que le système
actuel comporte trois failles majeures, auxquelles il faut impérativement
remédier.
La première est qu’un pouvoir trop important est concentré entre les
mains de la branche exécutive, qui ne dispose toujours pas des moyens
nécessaires pour en faire le meilleur usage possible, a indiqué M. Jalali.
Cela a conduit à des abus d’autorité, malgré les nombreuses règles censées les
éviter. Le parlement et les instances judiciaires disposent en revanche d’un
pouvoir insuffisant. Bien que la conférence de Kaboul en 2010 ait appelé à des
réformes d’ampleur gouvernementale et étatique (notamment le renforcement des
capacités des ministères), les avancées en la matière sont rares, a précisé le
professeur. Dans le contexte actuel, le gouvernement veut saper l’action du
parlement, et vice-versa. C’est la communauté internationale, et non les
institutions afghanes, qui exerce un contrôle sur l’exécutif. Le chevauchement
des mandats des ministères et des structures infranationales, ainsi que la
répartition peu claire du pouvoir entre les institutions formelles et
informelles sont également sources de gros problèmes, auxquels il faut ajouter
l’incapacité du gouvernement de Kaboul à gérer et coordonner l’assistance
internationale.
Le deuxième problème majeur tient à la corruption et au caractère
prédateur de l’État afghan, a déclaré M. Jalali. Le président Karzaï
manque de force politique pour s’opposer aux personnalités qui détiennent le
pouvoir au niveau local, et c’est donc tout naturellement vers elles que se
porte le choix. Les secteurs politiques et économiques sont par conséquent
minés par la corruption. Les structures officielles sont utilisées par les
réseaux locaux pour leurs activités. Les personnalités détenant le pouvoir
local sont elles-mêmes utilisées par la FIAS, a souligné M. Jalali.
L’intervenant a également accusé le gouvernement afghan d’être le moteur de
l’insurrection au niveau local, car il n’existe pas d’outils légaux ou
efficaces pour obtenir réparation. Pour lutter contre la corruption, il ne faut
pas seulement procéder à des arrestations, mais s’attaquer au mal depuis sa
racine. Car après tout, ce sont "des activités à faible risque dans un
environnement à haut risque", a prévenu le professeur.
Le dernier problème est le caractère éphémère de l’aide, qui a limité le
développement dans le pays de structures de gouvernance de qualité.
L’intervenant a déploré que 80 % de l’aide se situent "hors
budget". Selon les estimations du FMI, en tablant sur les taux de
croissance actuels, l’Afghanistan ne sera autonome financièrement et
économiquement qu’en 2024, a indiqué M. Jalali. Entretemps, il faudra
entre quatre et six milliards de dollars pour faire fonctionner les forces de
sécurité afghanes. Il est donc nécessaire que la communauté internationale
réfléchisse à un autre mode de financement du secteur de la sécurité.
L’instauration de la conscription est une possibilité, mais la conclusion d’un
véritable accord de paix permettrait aussi d’alléger la charge qui pèse sur les
forces de sécurité afghanes. Il est clair néanmoins que sur le court terme, la
réduction de la présence et de l’aide internationales conduira à la
récession.
Pour améliorer sa capacité à fournir des services publics, l’Etat afghan
a besoin d’une véritable réforme structurelle. Le renforcement des moyens
d’action des zones périphériques est une nécessité, a souligné M. Jalali.
A l’heure actuelle, le gouverneur le plus puissant est celui qui vole de
l’argent illégalement pour des besoins légitimes. Il faut que cela change, a indiqué
avec force l’intervenant. Une priorité accrue doit également être accordée à la
lutte contre le trafic de stupéfiants, l’investissement dans l’agriculture et
l’exploitation minière, et la création d’emplois.
Comme l’a indiqué le professeur, la modification de la
Constitution – y compris la mise en place d’un Premier ministre chargé de
la coordination des activités gouvernementales – pourra être nécessaire
ultérieurement. Il a estimé qu’il faudra entre cinq et dix ans d’aide
internationale ininterrompue après la fin de la transition pour que le système
politique devienne viable.
M. Jalali a ensuite appelé l’attention sur trois graves lacunes du
système judiciaire : manque de moyens, existence de lois et de cadres
contradictoires, et absence de tribunaux dans de nombreuses régions du pays. Un
autre problème à résoudre est le manque de coordination entre la police, le
ministère public et les instances judiciaires.
51. S’agissant du rôle des femmes dans la société afghane, l’intervenant
a fait savoir aux participants qu’il était beaucoup plus important aujourd’hui,
mais qu’il faudra du temps avant d’assister à des changements sociaux plus
profonds.
L’AFGHANISTAN PEUT-IL METTRE EN PLACE UNE ÉCONOMIE
VIABLE ?
Lindy Cameron, ex-responsable de la PRT britannique d’Helmand et membre
du Royal College of Defence Studies rattaché au ministère du Développement
international, a débuté son exposé en parlant d’un malentendu dont elle a
souvent été témoin : alors que nombreux sont ceux qui pensent que les
organisations de développement développent le pays, c’est plutôt le secteur
privé qui se charge de cette tâche, les organisations extérieures ayant pour
rôle de leur faciliter le travail.
Classé au 172e rang sur 187 dans l’indice de développement humain
des Nations unies, l’Afghanistan a devant lui un énorme défi, a indiqué
l’intervenante. Même si ce pays devait enregistrer pendant 20 ans les
mêmes taux de croissance qu’actuellement, il ne ferait pas beaucoup mieux que
certaines régions du Pakistan aujourd’hui. Mme Cameron a donc souligné
qu’il convenait d’être réaliste, de replacer les éléments dans leur contexte,
et de définir avec justesse les attentes ainsi que le point de départ de
l’action. Sur le moyen terme, l’Afghanistan ne peut être qu’un très petit État,
a-t-elle indiqué car il possède, entre autres, une infrastructure en piteux
état, un déficit éducatif énorme et aucun accès maritime. Bien que
l’Afghanistan ait enregistré de nets progrès dans le domaine de l’éducation, il
va devoir subir les conséquences de l’existence d’une "génération
perdue".
Lorsqu’elle travaillait au sein de la PRT britannique d’Helmand,
l’objectif ultime de cette équipe était de contribuer à l’amélioration de la
sécurité dans la province, afin que des autorités afghanes compétentes puissent
préparer le terrain pour le secteur privé, c’est-à-dire mettre en place des
marchés qui fonctionnent, par exemple pour les produits agricoles. Il est
important de comprendre que le but n’est pas de créer une économie viable, mais
d’arriver au stade où cela pourra devenir la principale préoccupation.
Le secteur des stupéfiants a représenté un défi particulier dans la
province d’Helmand. L’une des raisons qui rend l’opium si attractif est qu’il
peut être stocké. De nombreuses cultures alternatives pâtissent du mauvais état
de l’infrastructure : les produits n’arrivent tout simplement pas à temps
jusqu’aux marchés. L’opium a toujours beaucoup de succès à Helmand, même si le
gouverneur a lancé un bon programme de cultures alternatives, associé à des
mesures d’éradication et un système judiciaire efficace. Il n’empêche que
l’arrêt de la production d’opium reste un choix individuel très difficile, car
les familles n’ont la plupart du temps pas d’économies pour éponger les pertes
transitoires à court terme. Même si le développement économique prendra du
temps, Mme Cameron s’est dite impressionnée par les progrès accomplis dans
la province d’Helmand en ce qui concerne la mise en place de marchés qui
fonctionnent. Le gouvernement ne doit pas essayer de créer de la richesse,
a-t-elle indiqué, mais faciliter les investissements privés.
Donald "Larry" Sampler, premier administrateur assistant
adjoint et directeur adjoint du Bureau des affaires de l’Afghanistan et du
Pakistan à l’Agence américaine pour le développement international (USAID), a
affirmé que des "solutions afghanes aux problèmes afghans" sont ce
qui permettra en fin de compte à l’Afghanistan de s’engager efficacement sur la
voie du développement durable, et ce malgré les grandes difficultés. En règle
générale, le rôle de la communauté internationale est de "rester à
l’écart" et "d’apporter son aide quand elle peut et où elle
peut".
Le développement de l’Afghanistan repose sur la société civile, les
milieux d’affaires et le gouvernement. Une question essentielle, mais
difficile, est de savoir si les autorités afghanes possèdent les outils
nécessaires pour fournir un cadre propice au développement économique.
M. Sampler a cité une nouvelle étude de la Banque mondiale portant sur les
conséquences de la transition pour l’économie afghane. L’un des constats de
cette étude est que les moyens financiers et intellectuels ne sont pas
suffisants pour obtenir de bons résultats. L’Afghanistan dépend trop de la
fourniture de services (53 %), un secteur qui connaîtra inévitablement un
déclin à mesure que la FIAS opérera sa transition. Les fonds consacrés au
développement de l’agriculture sont trop réduits par rapport au potentiel que
représente ce secteur pour le pays. Les revenus de l’État afghan sont en
augmentation, mais ils ne sont pas à la hauteur des coûts de la
transition.
Il existe néanmoins quelques signes encourageants. Les mines de cuivre
procurent des revenus croissants, tandis que l’économie des stupéfiants va
mal : elle ne représentait que 11 % de l’économie afghane en 2011,
contre 61 % en 2004.
En fin de compte, les Afghans feront de la transition une réussite si la
communauté internationale leur en donne la possibilité : ce peuple a
toujours eu un esprit d’entreprise, mais il lui manque aujourd’hui la stabilité
et la continuité dont il a besoin. M. Sampler a précisé que l’Afghanistan
était actuellement l’un des pires endroits au monde pour faire des affaires, en
raison par exemple de la paperasserie et du manque de transparence. L’existence
de systèmes parallèles signifie également que les processus peuvent prendre
beaucoup de temps, les hommes d’affaires afghans sachant comment contourner le
système. Mme Cameron s’est dite plus confiante concernant les milieux
d’affaires afghans. Dans la province d’Helmand, par exemple, les Afghans
essaient de créer des groupements d’entreprises, éventuellement en préambule à
la création d’une chambre de commerce. En fait, les entreprises réagissent
plutôt bien aux évolutions du marché, a indiqué Mme Cameron.
M. Sampler a également fait observer que le gouvernement afghan
réussissait mieux qu’avant à injecter l’argent de l’aide dans le processus du
budget ordinaire, même si l’objectif visant à acheminer 50 % de l’aide par
le biais des institutions afghanes n’était pas prêt d’être atteint.
Mme Cameron a dit partager le même avis, en citant l’exemple positif du
fonds d’affectation pour la reconstruction de l’Afghanistan.
La mise en place d’une économie de transit en Asie centrale suscite
également beaucoup d’espoirs, mais cela nécessite des investissements dans
l’infrastructure dont les avantages ne se feront pas sentir immédiatement.
RÉUNION CONJOINTE DES COMMISSIONS : L’OTAN APRÈS LA
TRANSITION EN AFGHANISTAN
Le séminaire a été suivi d’une réunion spéciale au cours de laquelle les
parlementaires ont abordé des questions plus générales telles que la cohérence,
la coordination et la solidarité au sein de l’Alliance. Les débats ont fait
émerger plusieurs thèmes et plusieurs points de vue qui, pour la plupart,
étaient partagés par un large éventail de participants.
Comme cela a été dit, le bilan des opérations tactiques au cours des
derniers mois a penché en faveur de la FIAS et non des insurgés. Ce constat est
particulièrement clair dans les provinces de Kandahar et d’Helmand. On assiste
manifestement à un affaiblissement des capacités des insurgés. Il n’y a donc
pas de doute sur le fait que la tactique, les ressources et la direction prise
sont bonnes, et que la réussite est au bout du chemin. Cependant, de nombreuses
difficultés subsistent et le succès tactique doit se traduire par des avancées
stratégiques.
La communication stratégique est une autre clé de la réussite, et il est
important d’améliorer la façon dont elle est gérée. Au cours des derniers mois,
des attaques spectaculaires ont défrayé la chronique ; cela a donné de
fausses impressions qui doivent être corrigées. Le précédent qu’a constitué
l’opération de l’OTAN au Kosovo a montré que la dimension psychologique jouait
un grand rôle dans un conflit, et qu’il était important de convaincre
l’adversaire qu’il n’allait pas gagner. Il y a également une nette impression
que tout n’a pas été fait pour expliquer aux citoyens des pays de l’Alliance le
rôle de l’OTAN et les raisons de son engagement en Afghanistan.
L’objectif de la transition est de créer les conditions d’une réussite
durable, pas de quitter l’Afghanistan, a-t-il été rappelé aux délégués. La
transition est un processus, pas un événement ponctuel, et son enjeu est plus
une question de confiance que de territoire. Ses principales composantes sont
le soutien, le tutorat, la facilitation et l’aide des forces de sécurité
afghanes. Les problèmes rencontrés par ces forces doivent impérativement être
résolus. Les priorités sont les suivantes : réduction des départs naturels,
afin de permettre l’augmentation des effectifs ; amélioration de
l’encadrement à tous les niveaux ; fourniture d’un équipement
approprié ; instauration d’un climat de confiance à l’égard des
facilitateurs de la FIAS ; enfin, évaluation de la viabilité financière à
long terme des forces de sécurité afghanes. Au fur et à mesure de la mise en
œuvre de la transition, un équilibre subtil devra être trouvé entre la
réduction progressive des forces de combat et la montée en puissance des forces
de sécurité afghanes. La transition doit donc commencer le plus tôt possible
dans les zones les plus difficiles du pays, pendant que les effectifs de la
FIAS sont au plus haut niveau.
La réussite de la transition avant 2014 passe en outre par la définition
de l’engagement après 2014. Cela signifie qu’il faut résoudre une autre
équation difficile, celle de la taille des forces de sécurité afghanes après
2015 par rapport au niveau de l’aide internationale. On espère que l’on en
saura plus sur les deux termes de l’équation d’ici le sommet de l’OTAN qui se
tiendra à Chicago en mai 2012. Sur le plan militaire, le type d’assistance
requise après 2014 inclura certainement une certaine forme de soutien aux
forces d’opérations spéciales afghanes et un appui aux forces de sécurité
afghanes en tant qu’institution, mais l’aide apportée à ces forces sur le
terrain sera probablement minime.
Le fait que le Pakistan continue d’être un lieu de refuge pour les
insurgés a été présenté comme un problème de taille. Une autre question essentielle
est celle de l’amélioration de la gouvernance, afin que l’Etat afghan puisse
prendre effectivement le relais une fois que la transition arrivera à son
terme. Il est considéré comme essentiel de faire mieux que les insurgés sur ces
deux points.
Bien que l’ethnie pachtoune – qui vit dans le sud du pays – se
caractérise par son conservatisme et son traditionalisme, son soutien aux
talibans est évalué aux alentours de 10 à 15 %. Il faut s’attendre à ce
qu’une partie des talibans refusera d’être réintégrée à la société ; les
autres seront prêts à opérer une conversion, mais avec une certaine forme de
reconnaissance et la garantie d’un certain statut.
Comme en ont convenu de nombreux participants, une meilleure
coordination des politiques est nécessaire, à la fois au sein des États
membres, entre les Alliés et avec les autres acteurs internationaux. Une fois
la transition terminée, il ne fait pas de doute pour les délégués que l’OTAN et
ses États membres devront établir un partenariat durable avec l’Afghanistan.
Par ailleurs, les enseignements qui ont été tirés dans ce pays et les capacités
qui y ont été mises au point doivent être mis à profit par l’Alliance et les
États membres dans leurs capacités de base, afin de pouvoir les réutiliser à
l’avenir.
D’autres questions ont également été abordées lors de la réunion, comme
par exemple les implications – au sens large – pour l’OTAN de la
mission en Afghanistan et des opérations en Libye. S’il est clair que, dans des
situations relevant de l’article 5, la cohésion de l’Alliance sera à son
maximum, la réaction future des Alliés dans un tout autre contexte est en
revanche moins évidente. Les missions en Afghanistan et en Libye font craindre
que les opérations futures, même approuvées à l’unanimité par les Alliés, ne
soient mises en œuvre que par des coalitions de volontaires, voire également
sous la contrainte plus stricte de clauses restrictives concernant
l’utilisation des troupes. Cela suscite une autre inquiétude, celle d’une
Alliance à deux niveaux avec un partage inégal du fardeau. Ces craintes sont
amplifiées par l’impact de la crise économique et financière mondiale sur les
ressources et les capacités en matière de défense.
Les
délégués ont pu entendre de sérieuses mises en garde concernant le fait qu’un monde
sans l’OTAN ferait peser une charge encore plus lourde sur les États-Unis et
l’ensemble des Alliés. Certains participants ont appelé à une intensification
des efforts en matière de groupement et de partage des capacités, ainsi que de
modernisation des forces. Dans le contexte d’assainissement des finances
publiques que connaissent la plupart des États membres, un soin particulier
doit également être accordé à l’information en temps voulu des Alliés, ou à la
coordination de leur action. Il pourrait également être utile de mieux intégrer
les pays partenaires au sein des structures de l’OTAN, tout en conservant la
spécificité du lien euro-atlantique.
RAPPORT DE LA
VISITE DE LA SOUS-COMMISSION SUR LA COOPÉRATION TRANSATLANTIQUE EN MATIÈRE DE
DÉFENSE ET DE SÉCURITÉ (DSCTC)
LINCOLN ET
GLASGOW, ROYAUME-UNI, DU 22 AU 25 NOVEMBRE 20111
Les contributions
du Royaume-Uni à la mise en œuvre du Concept stratégique de l’Alliance adopté
en novembre 2010 sont importantes et de nature variée, et se poursuivront
malgré la forte austérité budgétaire des années à venir. Tel est le principal
message qui a été transmis aux membres de la Sous-commission de l’Assemblée
parlementaire de l’OTAN sur la coopération transatlantique en matière de
défense et de sécurité, au cours de leur visite dans ce pays du 22 au
25 novembre 2011.
Cette délégation,
placée sous la direction du président de la Sous-commission, John Stanley (UK),
était composée de 19 parlementaires de 12 Etats membres de l’OTAN.
Lors d’une série de visites dans des installations militaires – où des
discussions de fond ont été engagées sur tout un éventail de questions allant
des opérations de l’Alliance à la dissuasion nucléaire, en passant par la
défense antimissile –, les délégués se sont entretenus avec des hauts fonctionnaires
du ministère de la Défense, ainsi qu’avec de hauts commandants britanniques et
internationaux. Les membres de la délégation ont également bénéficié d’un accès
direct à certaines installations britanniques telles qu’une station radar de
haute technologie ou une base de sous-marin nucléaire. Cette visite leur a
permis d’apprécier l’ampleur et la sophistication des capacités mises en œuvre
par le Royaume-Uni pour honorer ses engagements au niveau national et dans le
cadre de l’Alliance.
LE ROYAUME-UNI
ET L’OTAN
L’OTAN reste la
pierre angulaire de la défense britannique, a déclaré aux délégués
Gerald Howarth, membre du Parlement et ministre chargé de la stratégie en
matière de sécurité internationale.
Selon
M. Howarth, les opérations menées dans les Balkans, en Afghanistan et en
Libye ont montré que l’OTAN continuait à avoir un rôle à jouer dans le contexte
de l’après-Guerre froide. En fait, le succès de l’OTAN dans la conduite des
opérations en Libye n’a pas été suffisamment exploité. La réaction rapide de
l’Alliance à la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies et sa
capacité à créer des liens de coopération avec les pays de la région au cours
de l’opération ont été une incontestable réussite, a indiqué le ministre.
M. Howarth a
toutefois souligné que l’opération avait également mis en évidence quelques
points faibles de l’Alliance, en particulier le nombre peu élevé de pays
membres prenant part à l’opération et aux frappes aériennes. Le ministre a
également appelé l’attention sur les conséquences de la baisse des budgets de
la défense des Alliés, en particulier en Europe mais aussi aux Etats-Unis, où
la procédure d’annulation des crédits risque d’avoir des effets dramatiques sur
le budget. La dépendance insoutenable de l’Europe à l’égard des capacités
américaines a été soulignée par le fait que 27 des 42 ravitailleurs air-air qui
sont intervenus en Libye étaient fournis par les Etats-Unis. Avec les
deux millions d’hommes engagés dans l’armée en Europe, l’Alliance ne
devrait pas avoir de mal à trouver des forces opérationnelles et déployables
lorsqu’elle en a besoin, a ajouté M. Howarth.
Le Royaume-Uni
s’est dit favorable à l’initiative de "défense intelligente" du
Secrétaire général de l’OTAN, dont le but est d’imaginer des projets multinationaux
qui permettent d’assurer le maintien des capacités essentielles dans un souci
d’efficience financière. M. Howarth a en outre appelé à la réalisation
d’un "audit" sur les capacités dont dispose actuellement l’Alliance
et les conséquences que peuvent produire les réductions des budgets de la
défense sur ces capacités. Dans un environnement sécuritaire imprévisible, il
est capital de veiller à la préservation des capacités, a-t-il déclaré, même si
la bonne santé budgétaire est une condition indispensable au dynamisme de la
défense.
Le traité de
coopération en matière de défense conclu entre le Royaume-Uni et la France est
en passe de fêter son premier anniversaire. Comme l’a indiqué M. Howarth,
ces deux pays représentent conjointement 50 % des dépenses militaires de
l’Europe (et 75 % des travaux de recherche-développement dans le domaine
de la défense). Il existe de nombreuses synergies entre ces deux pays, ce qui
crée un contexte propice à une coopération potentiellement importante et
fructueuse, a-t-il ajouté. Tom McKane, qui occupe le poste de directeur général
pour la politique en matière de sécurité au ministère de la Défense, a précisé
quelles avaient été les principales caractéristiques de cette coopération au
cours des 12 derniers mois : discussions sur la création d’une force
expéditionnaire conjointe interarmées, accord concernant la mise en place d’une
installation d’hydrodynamique pour la recherche sur les armes nucléaires, et
coopération en matière de développement d’équipements. Le Royaume-Uni a
également noué d’autres partenariats, comme par exemple le "Northern
Group", qui rassemble des pays présentant toute une série d’intérêts
communs en matière de sécurité (par exemple la lutte contre la piraterie), ou
encore des dialogues structurés avec l’Allemagne et l’Italie sur des questions
ayant trait à la défense.
Tout en rappelant
la participation active du Royaume-Uni à l’élaboration de la politique commune
de l’Union européenne en matière de sécurité et de défense, M. McKane a
réitéré la crainte d’une duplication par l’UE des structures existant déjà à
l’OTAN, car cela constituerait un gaspillage de ressources pour des
organisations qui ont en commun un grand nombre de leurs membres. D’un autre
côté, l’orateur a eu le sentiment au cours des 18 derniers mois que les
membres de l’UE avaient de plus en plus conscience qu’une duplication de ce
type n’avait pas de sens.
M. McKane
s’est ensuite exprimé sur la contribution du Royaume-Uni à la mise en œuvre du
Concept stratégique de l’OTAN, adopté en novembre 2010. Le gouvernement
britannique a récemment entrepris deux grands travaux de révision : la
mise au point d’une stratégie nationale en matière de sécurité, et la réforme
stratégique de la défense et de la sécurité (ou SDSR pour "Strategic
Defence and Security Review"). Ces deux projets ont été délibérément
reliés au processus général de décision budgétaire du gouvernement. Les
documents de fond qui en résultent sont parfaitement en phase avec le Concept
stratégique de l’OTAN, a indiqué M. McKane aux délégués, en précisant que
l’OTAN avait été consultée au cours du processus.
Malgré les
critiques selon lesquelles la SDSR serait le fruit de considérations uniquement
financières, il est clair que sans une solide base économique, il était
impossible pour le Royaume-Uni de se doter d’une défense forte, a souligné
M. McKane. L’orateur a en outre précisé que son pays allait continuer,
pour la période de planification en cours d’une durée d’environ quatre ans, à
se maintenir au-dessus du ratio de 2 % établi par l’OTAN pour définir le
niveau des dépenses militaires par rapport au PIB. La position qui sera adoptée
par le gouvernement britannique en matière de défense suite à ces réformes a
été décrite comme "évolutive", légère et souple, compte tenu de
l’incertitude quant à l’avenir. Le Royaume-Uni conservera un large éventail de
capacités (mais pas un éventail complet) et se réservera la possibilité de
moderniser à l’avenir d’autres capacités.
L’un des domaines
dans lesquels le Royaume-Uni est en train d’investir – en dépit des
restrictions budgétaires générales – est celui de la cybersécurité. Le
nouveau budget, qui a été fixé à 650 millions de livres pour les trois à
quatre prochaines années, permettra de financer la création au Royaume-Uni d’un
nouveau groupe spécialisé dans les opérations de cyberdéfense, qui s’appuiera
sur un ensemble d’experts chargés de sécuriser les réseaux britanniques et de
mettre au point de nouvelles capacités. Ce nouveau groupe aura pour tâche de
conduire des opérations, de faire en sorte que le concept de cyberdéfense soit
au cœur de toutes les activités militaires, et d’intégrer planification,
formation et exercices. Un nouveau livre blanc sur la politique en matière de
cybersécurité devrait être publié prochainement, avec la description des rôles
et responsabilités des différents ministères.
Les forces
britanniques opérationnelles et déployables ont également été d’une grande
utilité pour l’Alliance, a déclaré M. McKane en décrivant le rôle joué par
les forces britanniques de réaction rapide interarmées (dont des éléments de
forces sont mis à la disposition des opérations de l’OTAN et de la Force de
réaction de l’OTAN) et le quartier général du Corps de réaction rapide allié
(un quartier général de déploiement rapide, actuellement déployé dans le cadre
de la FIAS). Le Royaume-Uni a été un important contributeur de la Force de
réaction de l’OTAN, lui fournissant sans restriction des éléments de forces et
des quartiers généraux. Les Britanniques ont assuré le commandement de la
composante maritime de cette force en 2011, et ils le feront à nouveau en 2016.
Ils conduiront par ailleurs la composante terrestre et la composante aérienne
en 2013 et 2017. M. McKane a ensuite décrit le concept "Future Force
2020" imaginé par le Royaume-Uni, qui inclura notamment les capacités
suivantes : la force Trident et ses capacités de soutien ; sept
nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque de la classe Astute ; une
capacité aéronavale d’attaque s’appuyant sur un seul nouveau porte-avions opérationnel
à partir de 2020 et un second maintenu dans un état de "préparation
améliorée", ainsi qu’une flotte de surface composée de 19 frégates et
destroyers ; cinq nouvelles brigades polyvalentes conçues pour donner au
Royaume-Uni la possibilité de déployer rapidement des moyens très performants,
mais aussi de préparer en cas de besoin une capacité de plus grande envergure
et plus grande portée ; enfin des avions de combat polyvalents et très
performants, ainsi que des capacités de transport aérien stratégique et tactique
et d’autres capacités telles que des hélicoptères et des moyens de
renseignement, surveillance, acquisition d’objectifs et reconnaissance (ISTAR -
Intelligence, Surveillance, Target Acquisition and Reconnaissance).
LA FORCE DE
DISSUASION NUCLEAIRE BRITANNIQUE
Compte tenu du
consensus existant au sein de l’OTAN – à savoir que tant qu’il existe des
armes nucléaires, l’Alliance doit maintenir des capacités de dissuasion –,
le Royaume-Uni s’est engagé à conserver en continu une force de dissuasion
maritime sous forme de sous-marins, a indiqué le représentant du ministère de
la Défense, M. McKane. Le gouvernement a décidé de réduire dans les
prochaines années le nombre de tubes lance-missiles et d’ogives et, ainsi que
de prolonger la durée de vie de la génération actuelle des sous-marins
lance-missiles balistiques à propulsion nucléaire Vanguard (SSBNs), ce qui
permettra de réaliser des économies de trois milliards de livres sur dix ans.
La décision de moderniser les capacités a été reportée à plus tard au cours de
la décennie (pour en savoir plus, voir la diapositive).
Les délégués se
sont ensuite rendus à la base navale de Faslane, appelée Her Majesty’s Naval
Base Clyde, où ils ont eu l’occasion unique de visiter une installation en
activité de sous-marins nucléaires militaires. Outre la réparation et la
maintenance de sous-marins de la Royal Navy, cette installation s’occupe du
stockage et du traitement d’armes nucléaires. Avec des effectifs de
5 600 personnes, la base abrite actuellement quatre sous-marins lance-missiles
balistiques à propulsion nucléaire, un sous-marin d’attaque à propulsion
nucléaire, ainsi que sept bâtiments de lutte contre les mines.
La principale
mission de cette base est de fournir des moyens permettant d’assurer une
dissuasion maritime continue. Cette tâche n’est pas facile, a-t-on précisé à la
délégation, car le nombre de sous-marins disponibles est limité et des
opérations de maintenance et de formation des équipages sont nécessaires. La
tâche est rendue encore plus difficile par la très grande complexité des
sous-marins nucléaires, le vieillissement de la flotte et l’éventail très large
des compétences requises pour accomplir la mission.
Les bâtiments de
lutte contre les mines se trouvant sur cette base ont par ailleurs été
régulièrement déployés ; lors de la visite des délégués, l’un d’entre eux
venait justement de rentrer d’une mission de 94 jours au large
de la Libye, où il a effectué des travaux de déminage à l’appui de l’opération
"Protecteur unifié" de l’OTAN. En fait, deux de ces bâtiments
britanniques de lutte contre les mines sont réservés en permanence à l’OTAN.
La base de
Faslane héberge également une unité très active de recherche et sauvetage en
mer, une installation de formation très sophistiquée pour les sous-mariniers, et
une unité des Royal Marines composée de 170 hommes dont la mission est
d’assurer la protection rapprochée des unités de la Marine. Cette unité très
sollicitée est déployée de façon régulière et croissante dans un contexte
opérationnel, y compris dans le cadre de missions de lutte antipiraterie.
Enfin, les
délégués ont assisté à la présentation du système OTAN de sauvetage de
sous-marins qui, géré conjointement par le Royaume-Uni, la France et la
Norvège, a pour but de venir en aide à un sous-marin de l’OTAN en difficulté
(ou à un sous-marin de toute autre provenance). Il est expliqué aux délégués
que sur les 34 incidents qui ont touché des sous-marins depuis le début de
la Guerre froide, seuls deux ont eu une fin heureuse. Ce système, mis en place en
2008, comprend un ensemble unique de capacités dont un navire de sauvetage
ultra-performant et un équipement médical pressurisé (hyperbare) permettant de
soigner les sous-mariniers blessés sans les exposer à des risques
supplémentaires dus aux problèmes de décompression. Ce matériel de sauvetage
est mobilisable dans un délai de 12 heures et peut être envoyé n’importe
où dans le monde sous trois à quatre jours.
LE ROYAUME-UNI
ET LA DÉFENSE ANTIMISSILE
Même s’il
participera activement à l’avenir au programme – en constante
évolution – de l’OTAN en matière de défense antimissile, notamment par le
biais du financement commun de l’Alliance, le Royaume-Uni ne prévoit pas de
développer ses propres capacités dans ce domaine, a déclaré M. McKane. La
contribution de son pays à l’approche adaptative phasée des États-Unis pour
l'Europe sur la question de la défense antimissile s’est également traduite par
l’installation de radars sur les bases de Fylingdales et Menwith Hill de la
Royal Air Force.
Lors de sa visite
de la station radar – sophistiquée – de détection lointaine de
missiles balistiques sur la base de Fylingdales, la délégation a assisté à la
présentation de la mission qui incombe aux 360 membres du personnel civil
et militaire chargés de faire fonctionner le radar à semi-conducteurs et
balayage électronique (SSPAR) installé sur cette base : outre la détection
ininterrompue de missiles balistiques, ils doivent aussi assurer la
surveillance de l’espace aérien. Ce radar, qui balaie en continu près de
4 800 km, détecte toute attaque commise à l’aide d’un missile
balistique à l’encontre du Royaume-Uni ou des forces britanniques déployées
hors zone. Sa portée inclut également les États-Unis (y compris l’Alaska),
l’Europe occidentale et le Canada. Sa mission spatiale consiste essentiellement
à repérer les objets spatiaux et à signaler leur présence (quelque 38 000
à ce jour) ainsi que leur possible pénétration dans la zone atmosphérique
terrestre.
Comme en a été
informée la délégation, cette station est depuis près de 44 ans un élément
fondamental de la coopération bilatérale entre le Royaume-Uni et les
États-Unis, et dépend à la fois des chaînes de commandement britannique et
américaine. Dans le contexte de l’OTAN, il est rappelé aux délégués que le
Royaume-Uni a apporté son soutien aux projets de défense antimissile de
l’Alliance par sa participation au financement commun de certains des éléments
du dispositif, ainsi que par des échanges de données bilatéraux avec les
États-Unis au profit de l’approche adaptative phasée des États-Unis pour la
défense antimissile en Europe (EPAA) sur la question de la défense antimissile.
Le radar de la base de Fylingdales a donc fourni des données pour contribuer à
l’efficacité de l’EPAA. Les tests de défense antimissile effectués par l’OTAN
ont déjà montré que le système pouvait intégrer dans son fonctionnement les
données provenant de l’EPAA (c’est-à-dire de Fylingdales).
LA BASE DE LA
RAF A WADDINGTON
La visite de la
base de la RAF à Waddington a permis à la délégation d’avoir un aperçu des
moyens dont dispose le Royaume-Uni en matière de renseignement, de
surveillance, d’acquisition d’objectifs et de reconnaissance (ISTAR). Les
quelque 3 000 personnes affectées à cette base ont travaillé sur cinq
différents types d’avions, dont 25 % ont, à un moment ou un autre, été
déployés dans le cadre d’une opération. La mission de cette base est de fournir
des moyens ISTAR adaptables et flexibles pour les opérations de l’OTAN, y
compris en Libye et en Afghanistan. Les avions proposés – Sentinel, E3D, Rivet
Joit, Shadow et Reaper, le véhicule aérien sans pilote – offrent tous des
capacités différentes dans un cadre opérationnel, l’idéal étant leur
intervention conjointe pour fournir, dans un espace de combat difficile, des
informations exhaustives. Dans le contexte de l’OTAN, l’E3D est considéré comme
une contribution du Royaume-Uni au système aéroporté de détection lointaine et
de contrôle de l’Alliance : 6 E3D ont été fournis dans le cadre d’une
force alliée de détection lointaine de grande ampleur qui comprenait
17 autres aéronefs basés à Geilenkirchen, en Allemagne.
La délégation a
également effectué une visite approfondie au centre de formation de pilotage de
la base de Waddington : utilisant une simulation en réseau d’un
environnement de combat, il permet de former le personnel aux procédures et
communications requises, et peut également exécuter des simulations conjointes
avec des installations similaires se trouvant aux États-Unis. Après une mise à
l’essai achevée en 2008, ce centre est devenu pleinement opérationnel ; sa
"formation synthétique du pilotage aérien" permet de s’affranchir des
problèmes inhérents à la formation "en direct", notamment sur le plan
financier et environnemental. Les délégués ont pu visionner des modules de
formation conçus spécialement pour préparer les forces britanniques aux
opérations menées par leur pays en Afghanistan. Leur constat est que, bien que
ce dispositif de formation extrêmement sophistiqué soit utilisé par un faible
pourcentage des forces alliées, il pourrait avoir un puissant effet
multiplicateur de force dans toute l’Alliance s’il était utilisé à beaucoup
plus grande échelle au sein des forces de l’OTAN.
COMMANDEMENT
DE LA COMPOSANTE MARITIME DE NORTHWOOD / LES EFFORTS DE LUTTE
ANTIPIRATERIE DE L’OTAN
Lors d’une visite
au Commandement de la composante maritime alliée de Northwood, la délégation a
assisté à une présentation des spécificités du milieu maritime, décrit par l’un
des intervenants comme le "talon d’Achille de nos sociétés". Les
défis propres à ce milieu sont notamment les classiques attaques navales, les
Etats côtiers en déliquescence, ainsi que les trafics d’êtres humains, de
stupéfiants ou d’armes ; ces défis sont rendus encore plus difficiles par
un ensemble de facteurs additionnels tels que la pollution, la perturbation des
échanges, les intérêts économiques et les catastrophes naturelles, pour n’en
citer que quelques-uns. Comme en a été informée la délégation, 90 % du
volume total des échanges mondiaux transitent par la mer, et 95 % empruntent
l’un des neuf "goulots d’étranglement" particulièrement
vulnérables, comme par exemple le détroit d’Ormuz.
La stratégie
maritime récemment approuvée par l’OTAN est en conformité avec le Concept
stratégique et comprend, parmi les tâches maritimes contribuant à la sécurité
des Alliés : la dissuasion et la défense collective, la gestion de crise,
la sécurité coopérative et la sécurité maritime.
Le Commandement
de la composante maritime de Northwood est actuellement occupé à mettre en
place la nouvelle structure de commandement de l’OTAN, qui consiste à
abandonner le rattachement aux commandements de forces interarmées de l’OTAN
pour dépendre directement du Grand Quartier général des puissances alliées en
Europe (SHAPE). Dans la nouvelle configuration, Northwood continuera d’assurer
le commandement de l’opération OTAN de lutte contre la piraterie, surnommée
Ocean Shield. Le vice-amiral Witthauer, commandant adjoint du Commandement
de la composante maritime de Northwood, a salué les points positifs de ce
changement en indiquant que leur installation aux côtés de la mission de lutte
antipiraterie de l’UE, ainsi que la proximité physique avec les représentants
de l’industrie navale – installés dans le centre de Londres –
permettront d’avoir des relations particulièrement efficaces.
L’initiative
militaire de lutte contre la piraterie est compliquée par un certain nombre de
facteurs, dont le plus important est l’ampleur de la zone d’opération située au
large de la Corne de l’Afrique.
Outre le
déploiement orchestré par un certain nombre de pays indépendants, trois grandes
coalitions mènent actuellement des opérations : l’OTAN (TF508), l’Union
européenne (TF465) et la Coalition Maritime Force (CMF – TF151), placée sous
commandement américain et dont le quartier général se trouve à Bahreïn. Les
responsables de la composante maritime de Northwood ont indiqué que la
coopération entre tous ces acteurs (dont l’industrie navale) était très
développée, même si leurs règles d’engagement étaient souvent différentes et, dans
le cas des pays opérant un déploiement indépendant, dépourvues de
transparence.
Ces mêmes
responsables ont laissé entendre que si les initiatives militaires produisaient
bel et bien un impact, cela n’était pas suffisant pour avoir un effet dissuasif
sur d’éventuels pirates. En vérité, l’augmentation des sommes réclamées à titre
de rançon a entraîné une montée en flèche de l’activité de piraterie, que l’on
observe désormais au large de l’Afrique de l’Ouest2.
Comme l’ont
suggéré les responsables de la composante maritime de Northwood, l’efficacité
des efforts militaires pourrait potentiellement être améliorée en élargissant
le mandat des coalitions et en autorisant la destruction des installations de
ravitaillement utilisées par les pirates sur la terre ferme (lorsqu’ils
reviennent de leurs opérations en mer), mais cela n’a pas été approuvé par les
instances politiques de l’OTAN.
Quoi qu’il en
soit, même plus efficaces, les efforts militaires ne pourront combattre que les
symptômes de la piraterie et non les causes politiques et économiques du
problème, qui trouvent leur origine dans les pays concernés. Sans d’autres
actions de la part de la communauté internationale pour asseoir une gouvernance
en Somalie et offrir à ce pays des débouchés économiques, le problème de la
piraterie risque de perdurer pendant des décennies, ont averti les responsables
de Northwood. Une tendance à la privatisation de la lutte antipiraterie peut
déjà être observée, ont-ils souligné en indiquant qu’un grand nombre des
navires circulant dans les zones concernées disposaient désormais à leur bord
de dispositifs de sécurité privatifs.
_______________
1 Ce programme n’est pas à proprement parler sous la direction de
l’OTAN. Lancé initialement par 9 pays, il ne compte aujourd’hui que 3 pays
participants.
2
L’amiral Witthauer a souhaité replacer dans leur contexte les montants
considérables réclamés par les pirates à de rançons, en
indiquant qu’ils n’étaient pas comparables avec les centaines de milliards de
dollars que représente par exemple le trafic de stupéfiants par voie
maritime dans les Caraïbes, qui a une incidence directe sur les intérêts
des pays de l’OTAN.
Respectueusement
soumis,
L’honorable sénateur Joseph A. Day
Association parlementaire canadienne de l’OTAN (AP OTAN)