Une délégation de neuf parlementaires de pays membres de l’OTAN
conduite par Hendrik Jan Ormel (Pays-Bas), Vice-président de
l’Assemblée parlementaire de l’OTAN et président de la Sous-commission sur la
gouvernance démocratique, s’est rendue en Géorgie
du 5 au 8 avril 2010 pour discuter des priorités et
des problèmes du pays sur le plan de la situation intérieure et de la politique
extérieure. Cette visite a coïncidé avec la première réunion à Tbilissi du
Conseil interparlementaire Géorgie-OTAN (GNIC). Le Canada a été représenté par
le Sénateur Pierre Claude Nolin et Mme Cheryl Gallant, députée.
Selon le vice-Premier ministre, Guiorgui Baramidze, la visite de la
délégation est intervenue alors que la Géorgie fait face à « une
conjoncture à la fois préoccupante et prometteuse » ;
M. Baramidze a ajouté : « Il nous appartient, à nous comme à nos
partenaires internationaux, de trouver le moyen d’éviter les obstacles et de
mieux utiliser les occasions qui se présentent. »
Le contexte politique était, au moment de la visite dominé, par les
préparatifs d’importantes élections municipales – et, notamment, de la
première élection directe du maire de Tbilissi –, prévues pour
le 30 mai 2010. Tous les responsables géorgiens ont réaffirmé
l’attachement de leur pays à une complète intégration euro-atlantique. Pour
parvenir à cet objectif, la Géorgie a mis en chantier un programme exhaustif de
réformes dans les domaines politique et socio-économique comme dans celui de la
sécurité, en dépit du double handicap que constituent les retombées de la crise
financière et économique mondiale et les conséquences politiques et économiques
du conflit d’août 2008. La situation en Abkhazie et en Ossétie du Sud
continue à susciter de nombreuses difficultés et il y a très peu de progrès à
signaler. Les autorités géorgiennes ont commencé à appliquer une nouvelle
stratégie d’ouverture destinée à jeter des passerelles entre les populations
situées de part et d’autre des frontières administratives.
Les parlementaires de l’Assemblée ont rappelé le ferme soutien que
cette dernière apportait depuis longtemps aux aspirations d’adhésion de la
Géorgie. Ils ont aussi pris acte des avancées accomplies dans les réformes
malgré une situation problématique et se sont dits impressionnés par la nouvelle
Stratégie d’État relative aux territoires occupés. Ils ont salué, par
ailleurs, le rôle majeur joué par la Mission d’observation de l’Union
européenne, seule entité de surveillance internationale à demeurer dans le
pays.
RELATIONS ENTRE LA GÉORGIE ET L’ASSEMBLÉE
La première réunion du GNIC, qui s’est tenue à Tbilissi, a été
l’occasion de faire le point sur l’active participation de la Géorgie aux
activités de l’Assemblée.
Assen Agov (Bulgarie), Vice-président de
l’Assemblée et l’un des deux représentants de celle-ci au GNIC, a rappelé que
l’institution avait décidé, en novembre 2008, de créer une contrepartie
parlementaire à la Commission OTAN-Géorgie et de démontrer ainsi clairement sa
solidarité avec ce pays dans le prolongement du conflit du mois d’août. Il a
souligné que le GNIC offrait des structures dynamiques et souples qui
contribueraient à élever d’un cran une coopération déjà intense entre
l’Assemblée et la Géorgie et qui aideraient ce pays à progresser sur la voie de
son entrée dans l’Alliance en tant que membre à part entière.
Guiorgui Kandelaki, chef de la délégation de la
Géorgie auprès de l’Assemblée, a qualifié le GNIC de « forum d’une grande
utilité pour la communication avec l’Assemblée » et d’« instrument
pour l’information des parlementaires de l’OTAN sur les défis auxquels la
Géorgie est actuellement confrontée ».Il s’est félicité des critiques constructives émises par l’Assemblée
alors que son pays se dirige vers l’intégration euro-atlantique.
CONTEXTE POLITIQUE ET PROCESSUS DE RÉFORME
Le chef de l’État, Mikheïl Saakachvili, a décrit les projets que
formait l’équipe dirigeante. La Géorgie doit demeurer une belle histoire de
réussite, a-t-il dit, citant quelques-uns des atouts qui font du pays un modèle
dans le domaine de la lutte contre la corruption, l’exemple d’une réforme
réussie de la police et une destination attractive pour le monde des affaires
et, en particulier, pour les investisseurs étrangers.
Tous les interlocuteurs officiels de la délégation se sont dits résolus
à poursuivre les réformes, en dépit d’une situation intérieure difficile. Le
vice-président du Parlement, Mikheïl Machavariani, a indiqué que la
Géorgie « se sentait l’obligation de continuer les réformes ».
M. Baramidze a fait observer que les dirigeants géorgiens devaient se
pencher sur les préoccupations de la population, au premier rang desquelles
viennent le chômage et l’intégrité territoriale du pays, tout en préservant la
stabilité politique.
M. Kandelaki a décrit quelques-unes des mesures récemment arrêtées par
les autorités pour approfondir les processus démocratiques. Les efforts se sont
concentrés, notamment, sur l’amélioration des relations entre majorité et
opposition et de la représentation de la seconde dans les institutions de
l’État, ou encore, sur le renforcement de l’indépendance de l’appareil
judiciaire et de la liberté et du pluralisme de la presse.
ÉLECTIONS MUNICIPALES DU 30 MAI
Les élections municipales du 30 mai – et,
singulièrement, la première élection au suffrage direct du maire de Tbilissi –
sont considérées par les responsables géorgiens comme par les observateurs
locaux et étrangers comme une étape importante qui permettra de juger des
avancées et de la maturité démocratiques du pays. Il est significatif que le
poste de maire de la capitale soit considéré comme la plus importante fonction
élective du pays après la présidence de la République. Des diplomates étrangers
ont rappelé que la Géorgie n’avait encore jamais connu d’alternance politique
via un processus électoral pacifique. M. Kandelaki a assuré à la
délégation que les autorités étaient pleinement conscientes de l’importance de
ces élections.
Des parlementaires du parti majoritaire ont mis en avant le processus
de consultations intensives auquel est associée l’opposition dans le contexte
de la campagne électorale ; ils se sont félicités que les principales
décisions aient été arrêtées par consensus, exception faite du seuil pour
l’élection au poste de maire de Tbilissi : un chiffre de 30 % a
été fixé en guise de compromis entre la proposition du gouvernement (0 %)
et celle de l’opposition (50 %).
Les autres grandes réformes sont :
·nouvelles règles en matière de composition de la
Commission électorale centrale et confirmation par les représentants de
l’opposition du choix du président de la commission parmi les candidats
proposés par le chef de l’État ;
·possibilité pour tous les partis de vérifier
l’exactitude des listes électorales et de bénéficier de fonds publics pour
financer cette opération ;
·accès de tous les partis politiques qui le
souhaitent à la seconde chaîne de télévision publique, qui sera consacrée à la
diffusion d’images non montées de manifestations et de réunions
politiques ;
·révision des règles de financement des partis
politiques se traduisant par l’octroi d’un financement accru à l’opposition et
par la possibilité pour les partis politiques de financer des organisations
affiliées ;
·moratoire sur la mise en chantier de nouveaux
programmes gouvernementaux pendant les campagnes électorales, de manière à
éviter tout risque d’abus de fonds publics à des fins politiques.
Tout en saluant le processus de réforme, les responsables étrangers ont
émis des réserves quant à certaines de ces nouvelles mesures et ont regretté
que d’autres questions importantes n’aient pas été prises en considération. Ils
ont toutefois déclaré que les élections devaient être jugées à l’aune du
progrès qu’elles représentaient par rapport aux précédents scrutins. Ils ont
aussi insisté sur la nécessité de poursuivre la réforme politique après les
élections, de manière à renforcer le climat de confiance entre les principales
forces politiques et à passer à un régime politique qui soit moins dominé par
quelques personnalités. Des membres de l’opposition parlementaire ont souscrit
à ce message ; ils ont fait valoir que le système devait évoluer jusqu’au
point où le parti au pouvoir ne redouterait plus qu’en cas de défaite
électorale, l’opposition n’accompagne nécessairement son retour au pouvoir par
une modification des règles du jeu et l’annulation des décisions passées. Ils
ont cependant déploré que le débat sur la réforme constitutionnelle ne soit
suspendu en raison de la coexistence de textes concurrents, dont un projet déjà
adopté par une commission parlementaire spéciale, et une version alternative en
cours de rédaction par le gouvernement.
PAYSAGE POLITIQUE DE LA GÉORGIE
Des diplomates étrangers ont indiqué que le paysage politique géorgien
demeurait fluctuant. Si le camp de la majorité connaît une consolidation
progressive, l’opposition, elle, se ressent de la reconfiguration en cours et
d’une désunion chronique. Les principales questions qui la divisent sont la
collaboration avec le parti au pouvoir, par exemple, la participation aux
travaux parlementaires, ou encore, les relations avec la Russie. Ces divisions
l’ont empêchée de présenter une solution de remplacement crédible face au parti
dirigeant ; son taux de popularité reste stable.
Les réunions de la délégation avec les représentants de l’opposition
parlementaire et non parlementaire ont confirmé les différences de perception
et d’attitude entre l’une et l’autre.
Les représentants de l’opposition non parlementaire se plaignent que le
dialogue et la collaboration avec le parti au pouvoir n’aient apporté aucune
modification tangible. Par conséquent, s’ils ne souhaitent pas une révolution,
ils n’en estiment pas moins que les failles substantielles du système politique
en place – dont, selon eux, des médias biaisés et un appareil judiciaire
sujet aux dysfonctionnements – restreignent les possibilités d’un
changement pacifique ; ils demandent à la communauté internationale de
presser le chef de l’État d’aménager dans l’arène politique un espace ouvert à
l’opposition. Le système politique géorgien est, de leur point de vue, moins
démocratique aujourd’hui qu’il ne l’était il y a encore trois ans. La crise
profonde du pays est imputable aux dirigeants actuels, qui ont perdu le sens
des responsabilités et se comportent de manière imprévisible.
Par contraste, les représentants de l’opposition parlementaire estiment
que la Géorgie a besoin d’« une évolution et d’une modernisation sur le
long terme » plutôt que d’une révolution. Ils constatent avec regret que
l’encouragement à l’instabilité ne sert que les intérêts de ceux qui veulent
voir la démocratie géorgienne échouer. Bien au contraire, les forces politiques
doivent se concentrer sur les réformes et informer les électeurs des problèmes
auxquels le pays est confronté. L’intégration dans l’OTAN implique aussi, à
leurs yeux, des réformes démocratiques. Il faut que la Géorgie devienne un
modèle de démocratie pour la région.
LIBERTÉ DES MÉDIAS
La délégation a reçu des informations sur l’état du paysage médiatique
géorgien. Les responsables gouvernementaux ont mentionné quelques-unes des
mesures adoptées récemment pour introduire plus de liberté et de pluralisme
dans les médias, y compris une représentation accrue de l’opposition et de la
société civile au sein du conseil de surveillance de l’audiovisuel public et
des efforts pour garantir une couverture plus équitable de l’actualité des
différents partis politiques.
Les représentants de la société civile ont fait valoir que la liberté
d’expression ne posait pas de problème en Géorgie mais que ce n’était pas le
cas pour la liberté des médias. Certes, la pluralité médiatique garantit
l’existence d’une large gamme d’opinions, et l’accès de l’opposition aux médias
est jugée satisfaisant, mais les médias électroniques et la presse écrite
continuent à se heurter à des difficultés, dont la principale concerne la
réglementation relative à la propriété des médias. Autre point faible
mentionné : la qualité du professionnalisme des journalistes.
Les représentants de l’opposition non parlementaire se sont montrés
plus virulents et ont dénoncé une couverture médiatique biaisée et superficielle
qui complique énormément leur tâche dès qu’il s’agit de faire campagne et
d’exposer leurs idées. Ils ont vivement critiqué le récent canular de la chaîne
Imedi TV, qui avait annoncé à l’antenne une nouvelle invasion des troupes
russes et un coup d’État fomenté par l’opposition. Un tel comportement n’a
d’autre but, selon l’opposition non parlementaire, que de saper la crédibilité
de l’opposition dans la perspective des élections du 30 mai.
RÉFORME DE LA JUSTICE
La justice, elle aussi, a été citée parmi les secteurs où un
approfondissement de la réforme s’impose. Des diplomates étrangers ont observé
que l’appareil judiciaire demeurait l’une des institutions dans lesquelles la
population avait le moins confiance. Des spécialistes de la société civile ont
mentionné, plus spécifiquement, des pressions indirectes sur des magistrats. La
délégation a appris que la réforme de la justice, précisément, figurait au
nombre des priorités du gouvernement. Le code de procédure pénale récemment
adopté introduit divers changements substantiels, dont l’introduction de jurés
dans certains procès pénaux. Par ailleurs, les magistrats ont bénéficié d’une
augmentation de leur salaire.
REPRISE ÉCONOMIQUE
Le Premier ministre, Nika Guilaouri, a présenté un survol de la situation
économique et des perspectives pour les quelques années à venir. « Tout ce
qui pouvait mal tourner a mal tourné », a-t-il dit, évoquant le conflit
avec la Russie en août 2008, les problèmes de politique intérieure du
printemps 2009 et la crise économique mondiale. Pourtant, a-t-il ajouté,
« la Géorgie continue à faire mieux que d’autres pays de la région ».
L’économie a connu une croissance négative (-3,9 %) en 2009 mais les
prévisions actuelles annoncent un rebond en 2010 et une croissance
de 2 %. L’objectif du gouvernement est le retour à une croissance
de 7 à 9 % dans le courant des deux prochaines années.
M. Guilaouri a souligné que la Géorgie devait faire « dix fois
mieux » que d’autres pays pour désamorcer les critiques et apaiser les
craintes que suscite la situation géopolitique problématique dans laquelle elle
se trouve. Cela suppose aussi une réduction du chômage, dont le taux est pour
l’instant de 15 ou 16 %.
Selon le Premier ministre, la conjoncture offre de multiples
possibilités. La Géorgie se présente comme un nouveau centre nodal pour les
échanges entre l’Est et l’Ouest et offre un itinéraire attirant pour la
diversification des approvisionnements énergétiques de l’Union européenne. Les
relations économiques avec la Russie, notamment dans le domaine de l’énergie,
sont dynamiques à souhait et le sont restées même pendant le conflit
d’août 2008.
INTÉGRATION EURO-ATLANTIQUE
Les discussions auxquelles la délégation a pris part ont montré en quoi
les ambitions européennes et euro-atlantiques de la Géorgie étaient un moteur
essentiel de la réforme.
INTÉGRATION DANS L’OTAN
Les responsables géorgiens ont tous confirmé que l’intégration dans
l’OTAN était inscrite en tête de l’ordre du jour diplomatique et militaire du
pays et que cet objectif avait l’assentiment de plus de 70 % de la population.
Selon le premier vice-ministre de la Défense, Nikoloz Vashakidze, la
Commission OTAN-Géorgie et le programme national annuel (ANP) ont été « très
efficaces » pour l’orientation des réformes et l’évaluation par l’Alliance des
progrès accomplis. La Géorgie a désormais mis sous forme définitive son ANP
pour 2010, qui vise à garantir la continuité et à assurer un processus de
réforme plus soutenu. M. Vashakidze a déclaré que les autorités géorgiennes
étaient conscientes des problèmes et des insuffisances qui persistaient mais
qu’elles étaient convaincues de pouvoir atteindre l’objectif consistant à
mettre sur pied des forces armées puissantes, adéquatement équipées,
interopérables avec celles de l’OTAN et placées sous le contrôle démocratique
du secteur civil.
Plusieurs interlocuteurs de la délégation ont aussi insisté sur la
détermination de la Géorgie à être un fournisseur – plutôt qu’un simple
consommateur – de sécurité, comme l’atteste, ont-ils cité pour preuve, la
récente décision de Tbilissi d’envoyer un contingent supplémentaire de
750 hommes pour renforcer les opérations de la Force internationale
d’assistance à la sécurité en Afghanistan ; la Géorgie devient ainsi le premier
fournisseur par habitant de troupes à la FIAS.
Le vice-ministre des Affaires étrangères, Guiorgui Bokeria, a décrit au
profit de la délégation les différents mécanismes par lesquels le Parlement
exerce sa supervision des affaires de défense et de sécurité : activités
ordinaires de la commission de la défense, examen du budget, supervision par le
Groupe de confiance des acquisitions de défense, y compris l’accès aux
informations confidentielles, et participation des parlementaires au Conseil de
sécurité nationale élargi ; l’opposition est représentée dans toutes ces
activités et ces structures.
Les responsables géorgiens ont demandé à leurs partenaires
internationaux de continuer à les aider et à les guider dans la concrétisation
de leur ambitieux programme de réforme. M. Saakachvili a cependant
souligné que « lorsque des progrès sont accomplis, il convient d’en
reconnaître l’existence sans ambiguïté ». M. Bokeria a regretté que
l’OTAN n’ait pas accordé de plan d’action pour l’adhésion (MAP) à la Géorgie
lors du Sommet de Bucarest et que sa réaction à l’invasion du territoire
géorgien par la Russie puisse être interprétée comme une appréhension lacunaire
de certaines questions fondamentales de la part de l’Alliance.
M. Guilaouri a déclaré à la délégation que les autorités de Tbilissi espéraient
recevoir, à l’occasion du sommet des chefs d’État et de gouvernement des pays
de l’OTAN qui se tiendra à Lisbonne en novembre 2010, un message clair
renforçant l’engagement du Sommet de Bucarest quant à l’entrée de la Géorgie
dans l’OTAN. Des responsables étrangers ont aussi souligné l’importance de la
politique de la porte ouverte de l’OTAN et la nécessité de maintenir un
engagement fort avec la Géorgie et d’autres pays de cette région vulnérable.
M. Baramidze n’en a pas moins indiqué que la reprise du dialogue
entre l’OTAN et la Russie était une bonne chose pour la Géorgie, puisque
l’occasion était ainsi donnée à l’Alliance de dissiper des craintes sans
fondements et d’insister pour que la Fédération se conforme aux dispositions du
droit international.
INTÉGRATION DANS L’UNION-EUROPÉENNE
M. Baramidze a annoncé à la délégation que son pays espérait
ouvrir cette année des négociations en vue de la conclusion avec l’Union
européenne d’un accord d’association et de l’instauration d’un régime de
libre-échange complet. La signature d’un accord de facilitation de délivrance
de visas est également prévue pour juin 2010.
MM. Guilaouri et Baramidze ont fait valoir que le Partenariat
oriental offrait un bon cadre pour les relations avec l’Union européenne. Le
Premier ministre a cependant estimé qu’il fallait distinguer plus clairement
entre les questions bilatérales et celles qui font l’objet de discussions
collectives. Selon lui, les progrès de la Géorgie dans les secteurs où elle est
en avance sur d’autres partenaires, tel celui du libre-échange, ne sauraient
être subordonnés aux progrès des autres partenaires.
LA SITUATION EN ABKHAZIE ET EN OSSÉTIE DU SUD
La situation en Abkhazie et en Ossétie du Sud figurait en bonne place
dans les discussions auxquelles la délégation a pris part. Les responsables
géorgiens ont parlé des graves problèmes que le cours des événements dans ces
deux régions continuait à poser. En outre, des diplomates étrangers ont signalé
une détérioration de la situation sur le plan de la sécurité.
SITUATION SUR LE PLAN DE LA SÉCURITÉ ET APPLICATION DE L’ACCORD DE
CESSEZ-LE-FEU
De l’avis des responsables de la Mission d’observation de l’Union
européenne (MOUE), plusieurs dispositions de l’accord de cessez-le-feu
– et avant tout celles qui portent sur le libre accès de l’aide
humanitaire à l’Abkhazie et à l’Ossétie du Sud et sur le retrait des troupes
russes sur les positions qu’elles occupaient auparavant – ne sont toujours
pas appliquées.
Le maintien par la Russie d’un poste de contrôle à Perevi, en dehors de
l’Ossétie du Sud, a été cité comme un exemple de violation flagrante de
l’accord. Les responsables de la MOUE se sont dits préoccupés également par
diverses tentatives de création d’une ligne de démarcation, dont la
construction de murs de terre le long de la frontière administrative de
l’Ossétie du Sud. Ils ont fait part, de surcroît, de la construction de
logements pour les gardes-frontière russes. Enfin, ils ont observé, du côté
géorgien de la frontière administrative, des manœuvres visant à contrôler la
circulation.
Les parlementaires géorgiens ont exprimé leur inquiétude face à
l’évolution de la situation en Abkhazie et en Ossétie du Sud. Ils ont évoqué,
plus spécifiquement, la consolidation de l’empreinte militaire russe dans les
deux régions, y compris le renforcement de la présence des troupes russes aux
frontières administratives, ainsi que le projet de construction d’une base
navale en Abkhazie, sans oublier le resserrement des liens administratifs avec
Moscou. L’un d’eux a émis l’hypothèse selon laquelle les Jeux olympiques
d’hiver, qui doivent avoir lieu à Sotchi, pourraient donner aux Russes une
occasion d’affermir encore leur emprise sur l’économie abkhaze.
Les pourparlers entre toutes les parties concernées se sont poursuivis
dans le contexte du processus de Genève, qui est actuellement l’unique
mécanisme à mettre en présence directe des responsables de Tbilissi et de
Moscou. Les interlocuteurs géorgiens de la délégation se sont dits satisfaits
par cet arrangement, qui permet d’identifier clairement les parties au conflit
et grâce auquel toutes les parties prenantes peuvent être associées au côté des
principaux acteurs internationaux ; il y a d’ailleurs longtemps que la
Géorgie réclamait une telle configuration. Les mêmes ont souligné qu’en dépit
des obstacles et des minces progrès enregistrés le processus de Genève avait un
effet stabilisateur.
M. Baramidze a assuré les parlementaires de la détermination de la
Géorgie à « faire montre d’une patience stratégique » dans ses relations avec
la Russie et à « éviter d’être victime du paradigme du conflit avec Moscou ».
Il a insisté sur le fait que l’instauration de bonnes relations avec la
Fédération servait les intérêts des deux pays, confrontés à des défis communs.
M. Saakachvili a toutefois précisé que « patience
stratégique » ne signifiait pas « indifférence » : la
Géorgie agit avec diligence pour résoudre les épineux problèmes posés par la
situation en Abkhazie et en Ossétie du Sud.
Par ailleurs, les responsables géorgiens ont invité instamment la
communauté internationale à reconnaître qu’il s’agit d’un conflit entre États
et à mesurer la réalité de la situation dans ces deux régions. Il convient pour
cela, ont-ils souligné, d’user de concepts juridiques appropriés, tels que ceux
d’« occupation » ou d’« épuration ethnique », qui
entraînent des obligations précises en droit international.
STRATÉGIE D’ÉTAT RELATIVE AUX TERRITOIRES OCCUPÉS
L’un des piliers de la politique géorgienne est la Stratégie d’État
relative aux territoires occupés, qui vient d’être adoptée et dont le
principal objectif est de créer des occasions de rapprochement avec la
population des deux régions dans des domaines comme l’éducation, les
infrastructures, la santé et les échanges commerciaux lorsque des projets
conjoints peuvent être mis en chantier de manière neutre.
Le vice-Premier ministre chargé de la réintégration, Temour
Iakobachvili, a ainsi expliqué les motivations sous-tendant cette
stratégie : le gouvernement géorgien a décidé qu’il ne pouvait isoler ses
propres citoyens ; bien plutôt, en tant que « souverain envoyé en
exil », il a l’obligation de continuer à développer des liens avec la
population. Il a cependant ajouté que cette stratégie était purement intérieure
et ne traitait pas des questions de statut ou de sécurité, pas plus que des
aspects internationaux.
La délégation a appris que les mesures d’application de la Stratégie
seraient précisées dans un plan d’action qui serait adopté pour la fin du mois
de juin. M. Iakobachvili a dit ne pas douter que les autorités en place à
Soukhoumi et à Tskhinvali comprendraient les avantages de cette stratégie de
rapprochement, du moins dans certains des domaines qu’elle englobe. La partie
abkhaze a manifesté son intérêt à cet égard. Les représentants de la société
civile ont indiqué que, des deux côtés de la frontière administrative, on se
prononçait pour la réouverture des voies commerciales ; ils ont estimé
qu’il y avait donc lieu de prendre des mesures pour faciliter le processus, y
compris en modifiant en conséquence le mode de fonctionnement des postes de
contrôle existants.
Des diplomates étrangers se sont félicités de l’introduction de cette
stratégie qui est, à leurs yeux, l’instrument le plus élaboré présenté
jusqu’ici par les autorités géorgiennes. Toujours de leur point de vue, sa
concrétisation mérite donc d’être soutenue sans réserve par les partenaires
internationaux du pays.
RÔLE DE LA MOUE
La délégation a rencontré des représentants de la MOUE à Tbilissi et à
Gori. La MOUE a été mise sur pied le 15 septembre 2008 après la
signature de l’accord de cessez-le-feu en tant que mission de surveillance
civile et non armée menée en application de la Politique européenne de défense
et de sécurité (PESD). Ses premières patrouilles ont commencé à circuler deux semaines
plus tard, soit le 1er octobre 2008. La Mission se
compose pour l’instant de plus de deux cents observateurs – policiers,
spécialistes militaires et civils – de vingt-six Etats membres,
observateurs déployés à Tbilissi et dans trois antennes régionales.
Le mandat de la MOUE comporte quatre grands volets : stabilisation
(autrement dit, vérification de l’application des dispositions de l’accord de
cessez-le-feu par toutes les parties), normalisation (qui comprend la
surveillance du retour des personnes déplacées à l’intérieur du territoire),
restauration de la confiance (incitation au dialogue et à la coopération) et
information (compte rendu de la situation sur le terrain aux États membres et à
l’Union européenne). Les responsables de la MOUE ont toutefois souligné qu’ils
n’avaient reçu aucun pouvoir d’exécution.
Un protocole d’accord signé avec les ministères de l’Intérieur et de la
Défense donne à la MOUE la possibilité élémentaire de surveiller les activités
de la police et des forces armées géorgiennes à la frontière administrative et
prévoit la notification préalable de tout mouvement de grande ampleur. Selon
les responsables de la Mission, ces mécanismes répondent de façon satisfaisante
au double objectif de restauration de la confiance et de prévention d’une
nouvelle escalade.
Si la Russie apprécie de plus en plus les activités de la MOUE, les
responsables de cette dernière ont cependant des difficultés à entrer en
contact avec les autorités sud-ossètes et abkhazes. La mise en place du
Mécanisme de prévention et de règlement des incidents (MPRI), lequel réunit
toutes les parties, est apparue comme une démarche positive. Malheureusement,
l’Ossétie du Sud s’abstient de participer aux réunions du MPRI depuis
octobre 2009.
Les responsables géorgiens et les membres de la délégation ont reconnu
le caractère crucial de la MOUE, seule présence internationale à demeurer dans
le pays, et se sont dits préoccupés par le fait que les observateurs ne
pouvaient franchir la frontière administrative pour se rendre en Abkhazie et en
Ossétie du Sud. Les représentants du gouvernement géorgien ont insisté sur la
nécessité à terme d’appliquer sur le terrain de nouveaux arrangements de
sécurité, concomitamment au retrait progressif des troupes russes.
M. Baramidze a exprimé l’espoir que la MOUE puisse ainsi devenir une
mission de maintien de la paix et de police à part entière. Les responsables
géorgiens ont instamment invité leurs partenaires internationaux à soutenir les
discussions sur le sujet et à convaincre Moscou de renoncer à ses objections.
PERSONNES DÉPLACÉES À L’INTÉRIEUR DU TERRITOIRE
Selon les chiffres de la MOUE, environ 230 000 personnes
– originaires, pour la plupart d’Abkhazie, – restent déplacées à la
suite des conflits du début des années 90. Après les événements
d’août 2008, la Géorgie a dû faire face à une nouvelle vague dont à peu
près 30 000 personnes (des Ossètes du Sud dans leur très
grande majorité) sont toujours déplacées.
Les mesures prises par les autorités de Tbilissi pour accueillir cette
deuxième vague ont été largement applaudies. La délégation a visité le camp de
Tserovani, à l’extérieur de la capitale ; avec ses quelque 2 100
logements, Tserovani est la plus grande des installations aménagées pour les
personnes déplacées à la suite du conflit de 2008. Environ
5 000 logements se répartissent ainsi entre les 38 camps de
cette nature construits à travers la Géorgie dans les mois qui ont suivi ce
conflit. Les réfugiés ont eu le choix entre une aide financière et un
relogement provisoire. La propriété du logement est automatiquement accordée à
ses occupants.
Les responsables de la MOUE ont souligné qu’il serait extrêmement
malaisé d’atteindre l’objectif officiellement poursuivi par le gouvernement
géorgien, à savoir le retour de toutes les personnes déplacées dans leurs
foyers, compte tenu de l’opposition à de tels retours qui se manifeste en
Ossétie du Sud et en Abkhazie, et compte tenu aussi de la destruction de
plusieurs villages pendant le conflit. A cet égard, il faudra en faire
davantage pour intégrer les personnes déplacées dans les communautés où elles
ont été relogées. Plusieurs intervenants ont également insisté sur la nécessité
de supprimer les différences de traitement entre les deux catégories de
personnes déplacées.
GORI
La délégation
a également rencontré à Gori le gouverneur de la région de laKarthlie inférieure, Vladimir Vardzelachvili, et
s’est rendue à Ergneti, sur la frontière administrative sud-ossète.
M. Vardzelachvili a fait la chronologie du conflit d’août 2008 dans
les alentours de Gori et dressé dans ses grandes lignes le bilan des
destructions causées par les hostilités. Il a fait observer que l’attention se
portait sur le « tableau d’ensemble », mais qu’il était essentiel de
ne pas oublier les séquelles du conflit, des séquelles dont les habitants des
zones adjacentes à la frontière administrative continuaient au quotidien à être
les victimes. Il a indiqué à la délégation que 2 000 familles de
la région – des familles non déplacées – étaient encore privées de
revenus. Au vu de la situation en matière de sécurité, les agriculteurs ne
peuvent cultiver les champs qui se trouvent à proximité de la frontière
administrative. Certaines familles craignent de retourner dans leur village,
même de ce côté de la frontière. Selon le gouverneur, la priorité devrait être
accordée au rétablissement d’un sentiment de sécurité.
Respectueusement soumis,
L’honorable Sénatrice Raynell Andreychuk
Association parlementaire canadienne de l’OTAN (AP OTAN)