SJQS Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
SPECIAL JOINT COMMITTEE TO AMEND SECTION 93 OF THE CONSTITUTION ACT, 1867 CONCERNING THE QUEBEC SCHOOL SYSTEM
COMITÉ MIXTE SPÉCIAL POUR MODIFIER L'ARTICLE 93 DE LA LOI CONSTITUTIONNELLE DE 1867 CONCERNANT LE SYSTÈME SCOLAIRE AU QUÉBEC
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le lundi 27 octobre 1997
Le coprésident (M. Denis Paradis (Brome—Missisquoi, Lib.)): Nous reprenons les audiences du Comité mixte spécial pour modifier l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 concernant le système scolaire au Québec, conformément à l'ordre de renvoi du 1er octobre 1997.
Cet après-midi, il nous fait plaisir de recevoir la Commission des écoles catholiques de Montréal, représentée par M. Michel Pallascio, le président; Mme Carmelle Gadoury, vice-présidente; et M. Roger Dominguez, commissaire indépendant. Bienvenue à vous tous.
Nous allons procéder de la façon suivante. Nous vous accorderons une dizaine de minutes pour faire votre présentation et ensuite on passera à une période de questions de la part des membres du comité d'environ une demi-heure.
J'imagine que c'est vous, monsieur Pallascio, qui allez faire la présentation. On vous écoute.
M. Michel Pallascio (président, Commission des écoles catholiques de Montréal): Je voudrais vous rappeler d'emblée que l'année dernière, on s'était présentés devant un comité sénatorial sur la question de Terre-Neuve et on avait manifesté notre inquiétude quant à la diminution des droits des individus et des classes particulières de personnes. Aussi, nous avions souligné qu'un acquiescement à cette demande allait créer un dangereux précédent susceptible d'entraîner l'abolition d'autres droits constitutionnels dans d'autres provinces. C'est donc ce que l'on peut constater aujourd'hui, puisqu'il y a une demande du gouvernement du Québec au gouvernement fédéral pour modifier l'article 93.
La modification de cet article occasionnera la perte des garanties accordées aux écoles confessionnelles et une diminution des droits des catholiques et des protestants.
Naturellement, nous, de la Coalition, nous opposons à cette demande et demandons aux membres de ce comité de ne pas acquiescer à la requête du gouvernement du Québec.
Je vais d'abord décrire brièvement la Coalition des commissaires de la CECM. Comme vous le savez peut-être, nous avons quelques partis politiques autour de la table du Conseil des commissaires à la CECM; c'est une particularité chez nous.
La Coalition regroupe des membres du Regroupement scolaire confessionnel, du groupe des Commissaires unis pour le renouveau scolaire et des commissaires indépendants et rallie les tenants de deux thèses: celle d'une structure confessionnelle catholique et celle d'une structure non confessionnelle. Ce qui relie tout le monde autour d'un point fondamental, c'est le libre choix des parents en matière de confessionnalité des services d'enseignement public.
L'Assemblée nationale du Québec a unanimement demandé que l'article 93 soit modifié en avançant qu'il y avait un fort consensus de la population sur l'abolition des droits qui y sont garantis. Ces politiciens se sont prononcés sans qu'aucune audience publique ni aucun référendum ne soient tenus. Ils ont présumé d'un tel consensus au sein de la population sans toutefois vérifier cette présomption.
Lorsque la Commission des états généraux sur l'éducation a recommandé de retirer la religion du système d'éducation et de faire des écoles québécoises des établissements laïques, elle a outrepassé son mandat qui était de refléter les demandes de la population et de rechercher un consensus. Les différents sondages, tout comme les mémoires présentés devant les commissaires, ne légitimaient cette proposition en aucune façon. Si l'on peut arguer que la formulation des questions influe sur le résultat des sondages, il n'en est pas de même du choix effectué par les parents. Quand il s'agit de décider du statut de l'école que fréquentent leurs enfants et de choisir entre des cours d'enseignement moral ou religieux, la position des premiers concernés par l'éducation des enfants est claire: une forte majorité opte pour le maintien du statut confessionnel de l'école et pour l'enseignement religieux.
Je voudrais rappeler que dans la province, le Comité catholique a fait une évaluation du statut confessionnel de la très grande majorité des écoles. À plus de 90 p. 100, les parents ont demandé le maintien du statut confessionnel de leur école.
À la CECM, 78 p. 100 de nos élèves se déclarent de foi catholique parmi une population scolaire qui comprend 36 p. 100 d'élèves d'origine ethnique. De plus, 60 p. 100 des élèves issus des communautés culturelles adhèrent à cette religion et une proportion encore plus forte choisit l'enseignement religieux catholique. Différents sondages, dont celui de La Presse, ont clairement donné une réponse à la question suivante: «Les États généraux sur l'éducation veulent sortir la religion des écoles québécoises. Êtes-vous d'accord avec cette démarche?» Les réponses recueillies: non, à plus de 64 p. 100. Face à ces choix, on est en droit de se demander sur quelles données se basaient les commissaires des États généraux pour recommander la laïcisation du système d'éducation. De même, peut-on aujourd'hui se demander sur quelles données se basent nos politiciens pour réclamer l'amendement de l'article 93?
En plus de l'importance de l'opinion publique dans un tel débat, il y a d'autres arguments qui doivent être présentés. Notre société est historiquement catholique ou protestante. Au-delà de l'aspect confessionnel et de l'éducation à la foi, ces religions ont façonné les valeurs et la culture de notre peuple, tout comme elles ont contribué à modeler la culture de nombreux autres pays.
• 1535
Ces religions, qui ont marqué nos origines et celles du
monde occidental, sont encore très présentes dans la vie
de la majorité des Québécois et, bien que la
configuration de notre société ait beaucoup changé
depuis quelques années, de nombreux immigrants adhèrent
aussi à la foi chrétienne.
La tradition chrétienne a influé sur la mise en
place de nos grandes institutions et elle influe encore
aujourd'hui sur les manières d'être et d'agir. Elle ne
saurait être exclue du milieu scolaire sans risque de
perte d'identité.
Au niveau du libre choix des parents, on voudrait rappeler que les différentes chartes des droits de la personne, que ce soit la Charte des droits et libertés de la personne, la Déclaration universelle des droits de l'homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ou le Protocole additionnel à la Convention européenne, conventions internationales auxquelles le Canada a adhéré sauf une, enchâssent la liberté du choix des parents en éducation, et le respect de leur volonté en cette matière occupe une place privilégiée.
Au Québec, on reconnaît aussi ces droits aux parents, du moins jusqu'à maintenant. Une forte proportion de parents a fait connaître sa volonté de maintenir l'école confessionnelle et l'enseignement religieux. Parallèlement à cette position, d'autres parents privilégient l'accès à des écoles non confessionnelles et à des cours d'enseignement moral. Le commun dénominateur est que tous les parents tiennent fortement à leurs droits de choisir pour leurs enfants une école qui correspond à leurs valeurs.
En juin 1996, un sondage Léger & Léger révélait que 67 p. 100 des répondants désiraient l'autonomie de l'école en matière de statut confessionnel, catholique, protestant ou neutre. De plus, 91 p. 100 privilégiaient le libre choix entre l'enseignement religieux et l'enseignement moral et, même dans une école neutre, 83 p. 100 des répondants souhaitaient maintenir ce libre choix.
Ces différents sondages rappellent la volonté des parents de la base. Ces parents cherchent la meilleure école pour leurs enfants, l'école qui offre un projet éducatif respectueux de leurs valeurs, de leur conception de l'éducation. Pour certains, cette école est neutre ou laïque mais, pour beaucoup, elle est confessionnelle. Est-il possible, à l'heure actuelle, de faire consensus sur un modèle unique d'école publique? Y croire serait adhérer à un mythe.
Advenant la disparition des droits garantis par l'article 93, les parents qui considèrent l'enseignement religieux et l'éducation à la foi comme des aspects fondamentaux de l'éducation devront-ils avoir recours à l'école privée, qui ne sera pas soumise aux mêmes normes? L'éducation aux valeurs chrétiennes sera-t-elle à la seule disposition des mieux nantis?
On fait ici allusion à un rapport de l'OCDE publié en 1994 qui montre que, dans les pays industrialisés, la tendance générale va vers un accroissement des possibilités de choix pour les usagers du système scolaire. Je cite:
-
Le libre choix est en voie d'être appréhendé comme
étant définitivement le moteur fondamental du
renouvellement authentique du système d'éducation.
L'approche pluraliste permet de rendre possible ce choix entre différents modèles d'écoles à l'intérieur du système public d'éducation. Dans plusieurs pays, les écoles confessionnelles sont intégrées au secteur public. C'est le cas notamment en Allemagne, en Angleterre et en Nouvelle-Zélande, tout comme dans certaines provinces canadiennes dont l'Ontario, l'Alberta et la Saskatchewan. Nous croyons que le Québec peut faire certainement de même.
Au nom de l'évolution de notre société et en celui de son unité, on évoque la nécessité de faire disparaître la confessionnalité des écoles. Et pourtant, la meilleure façon de favoriser l'évolution n'est-elle pas de laisser les choses évoluer? Au nom de l'unité, doit-on proposer des solutions qui divisent les gens? Si l'on constate que notre société connaît actuellement une mutation qui l'incite à choisir des structures linguistiques en remplacement des structures confessionnelles, rien ne laisse présager, à la lumière des sondages, des pétitions et autres manifestations publiques, que cette mutation va au-delà des structures et concerne le statut des écoles et l'enseignement religieux.
Nous craignons qu'un amendement à l'article 93 n'entraîne la disparition totale de la religion dans les écoles, car c'est la seule garantie que nous ayons. Certaines personnes argumenteront que la Loi sur l'instruction publique assure l'enseignement religieux et permet aux écoles de conserver leur statut confessionnel. Selon elles, un amendement à l'article 93 ne changerait pas cette protection.
Ce qu'il ne faut cependant pas oublier, c'est que la Loi sur l'instruction publique a été rédigée en tenant compte de l'article 93; elle pourrait éventuellement être remaniée afin d'éliminer ces protections qui ne seront plus assurées par la Loi constitutionnelle de 1867. D'ailleurs, un groupe de travail récemment mis sur pied par la ministre de l'Éducation est chargé d'examiner la place de la religion dans les écoles. Pouvons-nous présumer de la conclusion de ces travaux et croire que, sans la protection de l'article 93, le souhait des parents et de la population sera respecté?
Le Canada est un pays mondialement reconnu pour le respect des minorités et des droits individuels. C'est d'ailleurs l'objet de la Constitution, qui vise la protection des droits individuels et ceux des classes particulières de personnes. Les demandes d'amendements à la Constitution visent habituellement à accroître la protection des droits et non à les diminuer, tel que c'est le cas dans la demande du Québec.
• 1540
Est-il souhaitable qu'un gouvernement chargé de la
protection des droits demande l'abolition d'un
droit aussi fondamental que celui de l'enseignement
religieux, de l'école confessionnelle? Est-il possible de
croire qu'un tel gouvernement garantira lui-même ce
droit à la confessionnalité des écoles et à l'enseignement
religieux?
À l'origine de la fédération canadienne, les pères fondateurs ont inscrit dans la Constitution la protection des privilèges accordés par les provinces aux écoles confessionnelles parce que cette protection était jugée fondamentale. La Cour suprême du Canada considère d'ailleurs que l'article 93 de la Loi de 1867 est le fruit d'un compromis historique sans lequel la création du Canada sous sa forme fédérale n'aurait pas été possible. On doit garder à l'esprit cette analyse de l'article 93 comme compromis fondamental de la Confédération au moment où des provinces demandent des modifications à la Constitution. En 1867, quatre provinces étaient concernées par l'article 93.
Puisque la province de Québec n'est pas la seule concernée par l'amendement de cet article, est-il possible de convenir d'une entente bilatérale? Le gouvernement fédéral aurait-il obtenu des avis juridiques qui lui permettent d'en arriver à une telle entente? Tout laisse croire que non. Serait-il alors disposé à accorder un statut distinct au Québec? Nous pensons que cette question doit être étudiée avec le plus grand sérieux. La précipitation avec laquelle on veut obtenir une réponse soulève des inquiétudes et est peu garante d'une décision éclairée.
Devons-nous croire que notre Constitution est à ce point dépassée que, pour moderniser nos institutions, il nous faille à chaque fois la remanier?
Le gouvernement du Québec, comme de nombreuses autres institutions, souhaite modifier certaines décisions prises il y a plus de 100 ans afin d'ajuster son système d'éducation à la réalité d'aujourd'hui. Cet exercice nécessaire et fort louable n'exige cependant pas une solution aussi radicale que celle envisagée.
La mise sur pied de commissions scolaires linguistiques au Québec n'exige pas de modifier l'article 93 ni de faire disparaître les droits des catholiques et protestants. La Cour suprême a précisé, lors du jugement rendu en juin 1993:
-
La province a le pouvoir de créer des commissions
scolaires linguistiques, neutres confessionnellement,
d'en délimiter les territoires et de réattribuer les
biens des anciennes commissions aux nouvelles.
La province peut procéder à un tel remaniement en
autant qu'elle n'affecte pas de façon préjudiciable les
droits et garanties énoncés à l'art. 93 de la Loi
constitutionnelle de 1867.
Cela signifie principalement que le droit à la
dissidence doit être maintenu en dehors des villes de
Québec et de Montréal et que dans ces deux villes,
catholiques et protestants puissent continuer à avoir
le droit à des écoles confessionnelles.
Les commissions pour catholiques et les commissions pour
protestants ne sont pas le fruit de l'exercice d'un
droit de dissidence et ne sont par conséquent pas
protégées par l'art. 93. L'abolition des commissions
existant actuellement ne constitue donc pas en soi
une violation des droits garantis par la Constitution.
Ce jugement fait la preuve que l'article 93, tel qu'il est rédigé, autorise la mise en place des commissions scolaires linguistiques sur tout le territoire de la province et qu'il n'est pas nécessaire de le modifier. Alors, pourquoi le gouvernement du Québec tient-il absolument à un amendement?
Nous ne sommes pas convaincus de la légitimité de la demande de l'Assemblée nationale du Québec qui vise, sur la présomption d'un consensus populaire non vérifié, à demander l'abolition des droits enchâssés dans cette Loi de 1867, selon un compromis fondamental lors de la création de la fédération canadienne.
La coalition qui gère la destinée de la plus grosse commission scolaire du Québec ne s'oppose pas à la création des commissions scolaires linguistiques en autant que les écoles puissent maintenir leur statut confessionnel, catholique ou protestant, ou choisir un statut laïque. Elle réclame que le libre choix des parents à une éducation religieuse, catholique ou protestante, pour leurs enfants soit respecté et elle affirme qu'il existe des solutions autres qu'un amendement à l'article 93 pour mettre en place au Québec des commissions scolaires linguistiques.
Je vous remercie de votre attention.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci beaucoup, monsieur Pallascio.
On va débuter la période des questions avec Mme Val Meredith.
[Traduction]
Mme Val Meredith (South Surrey—White Rock—Langley, Réf.): Merci, monsieur le président.
Je voudrais soulever deux ou trois questions auxquelles vous faites allusion dans votre mémoire sur l'article 93.
Vous décrivez cet article comme un compromis historique. Je l'ai moi-même décrit comme une tentative d'assurer l'équilibre entre les deux parties de la province du Canada au moment de la Confédération.
Il semble que, comme moi, vous vous demandez si le Québec peut se retirer de l'article 93 alors qu'il était partie à ce compromis historique ou à cette tentative d'assurer l'équilibre entre deux entités. D'après vous, comment le Québec peut-il se retirer de ce compromis sans le consentement de l'autre partie de l'entente?
• 1545
Vous avez aussi dit que si l'article 93 ne vous protège plus,
rien n'empêcherait le gouvernement provincial d'éliminer les écoles
professionnelles dans la Loi sur l'instruction publique, n'est-ce
pas?
Troisièmement, vous avez soulevé la question de savoir...
[Français]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Excusez-moi. Je voudrais vous faire remarquer que les téléphones cellulaires sont interdits dans cette pièce. Je voudrais que ce soit très clair: les téléphones cellulaires sont interdits dans cette pièce. Je m'excuse encore une fois, mais on est obligé de faire cette remarque tous les jours et d'interrompre nos présentations parce qu'il y a des téléphones cellulaires qui sonnent. J'espère que le message est clair pour aujourd'hui.
[Traduction]
Allez-y.
Mme Val Meredith: Premièrement, peut-on modifier l'article 93 avec le seul consentement du Québec, sans le consentement de l'Ontario? Deuxièmement, pourrait-on modifier la Loi sur l'instruction publique en l'absence de la protection conférée par l'article 93? Troisièmement, vous en parlez à la page 10, la création des commissions scolaires linguistiques au Québec ne nécessite pas la modification de l'article 93 ni l'abolition des droits des catholiques et des protestants.
Ce matin, nous avons entendu des témoins qui ont affirmé que l'article 93 doit être supprimé pour qu'on puisse créer des commissions scolaires linguistiques. Pouvez-vous m'expliquer, à moi et aux autres membres du comité, comment on pourrait créer des commissions scolaires linguistiques au Québec sans abolir l'article 93?
[Français]
M. Michel Pallascio: Je vais commencer par le troisième point, soit votre question sur la la création des commissions scolaires linguistiques.
La semaine dernière, mes deux collègues ici présents et moi-même avons été élus à des comités provisoires justement créés par une loi qui permet de former des commissions scolaires linguistiques. En ce moment, il y a déjà une loi adoptée par l'Assemblée nationale du Québec qui prévoit l'existence de commissions scolaires en juillet 1998. Donc, cette loi existe, et son adoption n'a pas nécessité un amendement à l'article 93.
Je rappelais tout à l'heure le jugement de la Cour suprême qui mentionnait que rien, absolument rien, dans le cadre de l'article 93, n'interdit au gouvernement du Québec de créer des commissions scolaires linguistiques. C'est ce qu'il a fait d'ailleurs.
À propos de la disparition de la confessionnalité des écoles, nous pensons que toutes ces possibilités seront retirées à la province du Québec lorsque l'article 93 sera amendé. Il n'y aura plus de garanties pour maintenir la confessionnalité, même celle des écoles qui sont sur le territoire du Québec. On sait qu'à ce moment-là, la Charte canadienne des droits et libertés va s'appliquer dans tout son ensemble. Je pense que plusieurs experts constitutionnels, dont ceux qui se sont présentés devant vous, ont mentionné la semaine dernière qu'il fallait s'attendre à l'abolition de la confessionnalité des écoles si l'article 93 était modifié.
En ce qui concerne le bilatéralisme—je rappelle que je ne suis pas un expert constitutionnel—, je pense qu'il est clair qu'au début de la Confédération, il y avait quatre provinces qui étaient sujettes à cet article, qu'il y en a eu deux autres ensuite et que le Haut-Canada et le Bas-Canada ont été à l'origine même du Pacte confédéral dont l'article 93 est un des éléments essentiels. Alors, je suppose que les experts ont certainement de quoi se demander s'il est réellement possible de faire cela de façon bilatérale. Au départ, il y a eu plusieurs cosignataires à cet article-là, et maintenant on ne demande cette modification qu'à deux d'entre eux.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci. Sénateur Lynch-Staunton.
Le sénateur John Lynch-Staunton (Grandville, PC): Je suis un peu déçu de vous entendre défendre le maintien de l'influence chrétienne. Je n'ai rien contre l'influence chrétienne, mais cela me semble nier l'existence d'autres religions, d'autres dénominations, d'autres croyances. Je pensais que les représentants de la commission scolaire la plus importante au Québec allaient nous montrer qu'ils évoluent en même temps qu'ils acceptent, tout en défendant les acquis de l'article 93, le fait que le Québec, comme le Canada, compte d'autres religions, d'autres croyances et d'autres moeurs.
• 1550
Je voudrais donc que vous nous disiez pourquoi, dans votre
mémoire, vous n'avez pas accepté cette réalité.
M. Michel Pallascio: Si vous me le permettez, je n'accepte pas les prémisses à cette question qui est posée. L'article 93 parle de droits garantis pour deux communautés, catholique et protestante. Je ne pense pas que ce soit parce qu'on veut maintenir des droits garantis qu'il faut penser que l'on ne veut pas accorder de droits aux autres. L'article 93 existe et il parle de protection.
Le sénateur John Lynch-Staunton: Ce n'est pas dans le mémoire.
M. Michel Pallascio: Pour l'instant, nous examinons l'amendement de l'article 93 qui garantit des droits à deux communautés. Je voudrais rappeler que la CECM a toujours été favorable à la création de commissions scolaires linguistiques. Nous avons souvent donné l'exemple de l'Ontario. Je peux donner l'exemple de Toronto, sur lequel on revient souvent, où il y a un système non confessionnel et un système confessionnel. Pour nous, le pluralisme existe à tous les niveaux et surtout au niveau de l'école. Nous pensons aussi qu'il est possible de répondre aux demandes de tous dans la mesure où on maintient les garanties des droits qui existent présentement.
Ce qui va arriver, c'est l'abolition de la confessionnalité, et pas seulement pour les catholiques et les protestants. Ce sera la laïcisation des écoles et, à notre avis, cela va autant à l'encontre des droits des autres communautés religieuses que des droits des catholiques, des protestants ou même des neutres.
Quelqu'un voudra peut-être compléter.
Le sénateur John Lynch-Staunton: Si c'était à refaire, pensez-vous que l'article 93 serait adopté? Pensez-vous qu'on donnerait aujourd'hui à deux dénominations religieuses les privilèges qui leur ont été donnés en 1867?
Je vous demande de nous dire pourquoi, dans votre mémoire, vous n'acceptez pas que les privilèges qui ont été accordés à deux dénominations puissent être accordés à toutes les dénominations religieuses qui coexistent dans votre commission scolaire.
Je comprends que vous défendiez ce qui est acquis. Mais en même temps, j'aimerais que ceux qui sont arrivés au Québec plus tard, qu'ils soient juifs, musulmans, hindous ou n'importe quoi, jouissent du même respect.
M. Michel Pallascio: Dans nos écoles, nous recevons sans aucune restriction tous les élèves, de quelque nationalité, religion, sexe ou autre qu'ils soient, et j'insiste pour dire qu'il n'y a absolument aucune restriction de ce côté-là.
Je ne pense pas qu'on ait le mandat de récrire la Constitution sur ce plan-là, mais nous défendons fermement la confessionnalité des écoles, la confessionnalité dans le sens complet du terme. Nous ne sommes pas contre la création d'autres écoles. Je crois d'ailleurs qu'il existe au Québec des écoles musulmanes et des écoles juives depuis aussi longtemps qu'il existe des écoles catholiques. Nous ne sommes donc pas contre la création ou l'existence de ces écoles-là. Nous parlons des garanties constitutionnelles qui existent, malheureusement ou heureusement, je ne pourrais pas le dire. Ces garanties s'exercent à l'égard de deux classes de personnes, et nous croyons que ces garanties doivent être maintenues, ne serait-ce que pour permettre aux autres classes de personnes de maintenir aussi leurs droits et pour éviter qu'on aille vers une laïcisation complète du système scolaire.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur Pallascio.
M. Michel Pallascio: M. Dominguez voudrait peut-être compléter sur cette question.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Dominguez.
M. Roger Dominguez (commissaire indépendant, Commission des écoles catholiques de Montréal): Pour revenir à la question qui est posée, je voudrais dire que je suis un immigrant et que je n'ai pas de religion. Je ne suis ni catholique ni protestant.
La loi actuellement en vigueur au Québec donne la possibilité d'avoir des écoles laïques et des écoles neutres. Mais le fait d'avoir des écoles laïques et des écoles neutres ne veut pas dire que ceux qui avaient des droits doivent les perdre.
Je voudrais aussi dire que, lors de la campagne électorale pour la dernière élection de 1994, j'ai frappé à 5 000 portes au moins, et 60 p. 100 des gens reconnaissaient en moi un immigrant quand j'annonçais que je m'appelais Dominguez. C'est clair. À ce moment-là, la position du MÉMO, tout comme ma propre position, était de favoriser le maintien de la religion dans les écoles, mais aussi la création des écoles linguistiques, tout en laissant le libre choix aux parents. Je n'ai pas changé là-dessus.
• 1555
Pourquoi? Les gens, au Québec, nous demandaient pourquoi
les immigrants voulaient les faire changer de système.
Pourquoi faire changer les gens? Pourquoi diviser?
Pourquoi créer de la bagarre? Ce n'est pas nécessaire.
On peut évoluer. On peut faire en sorte que tout le
monde ait des droits. Je pense d'ailleurs qu'avec la loi
telle qu'elle est actuellement, nous allons avoir des
écoles laïques. J'ai eu moi-même des problèmes avec mes
enfants, mais ce n'est pas une raison pour faire perdre
des droits aux autres. Il peut y avoir une évolution,
et ça ne veut pas dire une révolution.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Réal Ménard.
M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): J'aurais voulu être d'accord avec le témoin parce que la CECM est dans mon comté. J'ai moi-même été formé dans deux écoles de la CECM et j'espère ne pas offusquer les cheveux gris de M. Pallascio en pensant qu'il était déjà impliqué, à ce moment-là, dans le milieu scolaire.
Néanmoins, je ne peux pas être d'accord sur le témoignage qu'on nous présente et ce, pour deux raisons. D'abord, quand vous dites qu'il n'y a pas de consensus au Québec, je vous fais respectueusement remarquer que c'est une question dont on discute depuis 1982.
J'ai fait sortir tantôt toutes les publications des différentes consultations qu'il y a eu. En 1982, un Livre blanc sur l'éducation parlait déjà de commissions scolaires linguistiques. En 1986, il y a eu le projet de loi 3 et le projet de loi 40.
On peut tout dire de ce débat-là, mais on ne peut certainement pas dire que l'idée de créer des commissions scolaires linguistiques n'a pas des racines profondes dans notre forum démocratique québécois, et on ne peut certainement pas dire que vous n'avez pas été consultés. C'est ma première remarque.
Deuxièmement, monsieur Pallascio, je crois qu'indirectement, vous induisez le comité en erreur quand vous donnez à penser que l'objectif que vous poursuivez, c'est celui du libre choix des parents pour les écoles. Je vous mets au défi de me prouver qu'avec la Loi 107 et la Loi 109, vous n'auriez pas cette possibilité.
Quand on regarde les différents articles de loi, tant dans la Loi 107 que dans la Loi 109, on voit qu'il est toujours possible pour les parents de choisir le type d'enseignement religieux qu'ils veulent ou encore un enseignement moral. Je vous rappelle que le ministère de l'Éducation, dans sa loi, a maintenu les comités protestants et catholiques. Le caractère confessionnel est conféré aux écoles par ces comités-là. Vous êtes d'accord avec moi là-dessus. Rien ne sera changé.
Je ne crois donc pas qu'on ait besoin d'une garantie constitutionnelle qu'on ne peut plus justifier socialement.
Quand vous dites, monsieur Dominguez que vous ne voulez pas faire perdre des droits à certaines communautés, je suis d'accord avec vous. Mais le rôle du législateur est de s'assurer que les droits qui sont conférés par des lois trouvent une certaine justification. Aujourd'hui, on ne pourrait pas dire qu'il faut spécifiquement qu'il y ait des lois discriminatoires. Vous pouvez naturellement interpréter cela comme de la discrimination positive, mais expliquez-moi en vertu de quel principe les catholiques et les protestants devraient avoir aujourd'hui, en 1997-1998 ou en l'an 2000, un statut particulier alors que d'autres religions plus importantes numériquement ne l'auraient pas.
M. Michel Pallascio: Je voudrais d'abord qu'on se comprenne bien. Nous sommes en train de considérer l'amendement de l'article 93.
En ce qui concerne les commissions scolaires linguistiques, je fais partie du mouvement scolaire confessionnel et j'ai vu les textes de ce mouvement depuis 1970. Tout le monde est d'accord sur les commissions scolaires linguistiques. Nous-mêmes n'avons jamais été contre l'idée d'avoir des commissions scolaires linguistiques, jamais. Nous avons toujours été pour le libre choix des structures.
L'important, c'est le libre choix au niveau de l'école, ce qui est fondamental. Il n'est pas question aujourd'hui des commissions scolaires linguistiques, puisqu'elles sont en train de se former, mais de l'amendement de l'article 93.
En ce qui concerne l'amendement de l'article 93, et je l'ai répété tantôt, on sait très bien que la confessionnalité même des écoles va être remise en cause si l'article 93 est amendé.
M. Réal Ménard: Pourquoi dites-vous cela?
M. Michel Pallascio: Vous savez très bien que la Charte canadienne des droits et libertés va être appliquée. J'ai ici un très beau volume que je vous recommande: Comprendre la Charte canadienne des droits et libertés: Guide à l'intention des enseignants et enseignantes des administrations scolaires.
Au chapitre 5, la question des droits religieux est mentionnée. Vous avez une excellente étude sur la jurisprudence dans les autres provinces où il est clairement établi que les protections confessionnelles ne s'appliquent pas aux provinces du Québec et de l'Ontario, notamment grâce à l'article 93. Mais il est démontré clairement qu'en cas de suppression de l'article 93, nous sommes soumis, comme certaines autres provinces, à l'application pure et simple de la Charte canadienne des droits et libertés.
Je vous rappelle aussi qu'actuellement, les protections sont très minces et que des experts constitutionnels sont également venus ici vous présenter les mêmes interprétations que les nôtres.
M. Réal Ménard: Qui, par exemple?
M. Michel Pallascio: Je pense à Me Proulx, par exemple. J'ai lu les journaux. Naturellement, je n'ai pas le texte de base, mais l'interprétation donnée par les médias me semblait très claire par rapport à la question qui avait été posée.
M. Réal Ménard: Monsieur Pallascio, méfiez-vous des médias.
M. Michel Pallascio: J'en sais quelque chose.
M. Réal Ménard: À quelques exceptions près!
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Ménard, je vous rappelle que nous considérons l'article 93 qui traite d'éducation et non de médias.
Madame Finestone.
L'hon. Sheila Finestone (Mont-Royal, Lib.): Merci.
[Traduction]
Monsieur Pallascio, je sais que vous avez tout un défi à relever. Je crois savoir que vous avez été élu à la tête de la nouvelle commission scolaire qui vient d'être créée, n'est-ce pas?
M. Michel Pallascio: Oui.
Mme Sheila Finestone: Très bien. Vous avez du pain sur la planche.
En ce qui concerne l'article 93, n'êtes-vous pas d'accord avec moi pour dire que l'article 93 ne protège ni les commissions scolaires, ni les droits linguistiques, ni les droits linguistiques des minorités, ni le droit des minorités de gérer leurs écoles, ni le droit à l'enseignement religieux dans les écoles, ni le droit de désigner des écoles comme étant catholiques ou protestantes, ni le droit de percevoir des impôts, ni le droit de contrôler les programmes scolaires? Pourquoi alors voudriez-vous que nous conservions les paragraphes (1) à (4) de l'article 93, puisque, à mon avis, ils ne servent à rien?
Je crois comprendre que ce qui est protégé—et je suis un peu inquiète de la façon dont s'applique cette protection dans les lois 107 et 109, qui nécessitent le recours à la clause dérogatoire, car je n'aime pas l'idée de recourir à la clause dérogatoire pour protéger des droits—c'est le droit des minorités protestantes et catholiques à la dissension par rapport à la majorité et le droit des protestants et catholiques de Montréal et Québec à des commissions scolaires protestantes et catholiques.
Notre société a beaucoup évolué, et je veux savoir pourquoi cela représente une menace pour vous. Est-ce que la disposition dérogatoire ne protège pas les droits des anglo-catholiques et des franco-protestants ou le droit à la dissidence à l'extérieur des deux grandes villes? Pourquoi cela vous inquiète-t-il tant?
[Français]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Pallascio.
M. Michel Pallascio: Monsieur le président, puisqu'on parle de la clause nonobstant, je voudrais vous faire remarquer que la dernière fois que la clause nonobstant a été adoptée dans le cadre de l'éducation, c'était en juin 1989 et que le Parti québécois, alors dans l'opposition, avait voté contre. Je voudrais dire aussi que M. Bouchard, même s'il vient de retrouver récemment une vertu à la clause nonobstant, avait dit dans le passé qu'il ne voulait pas l'appliquer. Or, cette clause, par le fait même de son existence, nous donne des protections et des garanties constitutionnelles.
Je pense qu'il est important de mentionner ici le droit des classes de personnes et le droit des minorités comme le droit des majorités d'avoir une protection, tant dans le cadre linguistique que dans le cadre confessionnel. Nous ne croyons pas léser qui que ce soit en maintenant l'article 93. Au contraire, je pense qu'une marge de manoeuvre provinciale existe et qu'en même temps, cela nous donne une certaine garantie sur l'aspect fondamental.
[Traduction]
Mme Sheila Finestone: Puis-je poser une deuxième question?
[Français]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Une question additionnelle.
[Traduction]
Mme Sheila Finestone: Dans votre mémoire,
[Français]
vous avez parlé de toutes les chartes qui ont été signées et des conventions internationales auxquelles le Canada a adhéré, et vous avez raison de reconnaître ces faits. Mais ne croyez-vous pas qu'avec le nouveau système qui est préconisé dans la Loi 107 ou la Loi 109, à savoir que les enfants ou leurs parents auraient le droit de choisir leur école selon des critères personnels, la protection devrait être suffisante? Le fait que les écoles puissent choisir leur orientation confessionnelle tous les deux ans ne constitue-t-il pas aussi une protection?
M. Michel Pallascio: Je suis entièrement d'accord que les écoles puissent choisir leur orientation confessionnelle tous les deux ans. Mais là, on parle d'une loi provinciale, la Loi 107. Je voudrais rappeler que la Loi 107 vient d'être amendée au mois de juin dans un cadre bien spécifique, celui de la création des commissions scolaires linguistiques, et qu'elle va être amendée encore prochainement dans le cadre des programmes éducatifs.
Je voudrais donc vous faire remarquer qu'une loi provinciale se modifie très facilement. En ce qui me concerne, je ne crois pas que ce soit une garantie suffisante pour des principes fondamentaux comme ceux que nous avons présentement.
Mme Sheila Finestone: On est méfiant.
[Français]
Vous n'avez pas assez confiance.
M. Michel Pallascio: Ce n'est pas une question de confiance. Je pense que dans le moment présent, ce sont des éléments absolument fondamentaux qui ont une protection constitutionnelle. Le fait de laisser ce libre choix au niveau provincial, sujet à des changements de régime, ne nous semble pas être une garantie suffisante.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur Pallascio.
Sénateur Beaudoin.
Le sénateur Gérald Beaudoin (Rigaud, PC): J'ai deux petites questions.
Tout d'abord, vous dites que vous ne vous opposez pas à la création de commissions scolaires linguistiques à la condition que les écoles puissent maintenir leur statut confessionnel ou choisir un statut laïque. Là je ne comprends plus, parce qu'il me semble que vous êtes contre le statut laïque. Est-ce qu'il n'y a pas une contradiction?
M. Michel Pallascio: Nous ne sommes absolument pas contre le statut laïque. Mais nous voudrions être sûrs qu'il y ait des protections au niveau confessionnel, parce que nous croyons qu'au niveau laïque, il n'y a absolument aucun problème de protection. Les écoles laïques peuvent exister en tout temps tandis que les autres écoles n'existent que dans la mesure où il y a une volonté de les maintenir.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Plus j'assiste à ce genre d'audience, plus je me dis qu'on ne peut pas faire deux choses en même temps. Si vous voulez garder les structures confessionnelles et si vous voulez moderniser l'article 93, il faudra inclure les autres religions, les autres groupes religieux. Il me semble qu'il faut être logique jusqu'au bout et mettre au même niveau catholiques, protestants, juifs, islamiques, etc. D'autre part, les deux derniers paragraphes de l'article 93 avaient peut-être bien de l'allure en 1867, mais aujourd'hui, ça n'en a plus.
L'arbitre constitutionnel aujourd'hui, ce sont les cours de justice. Ce n'est pas le gouvernement fédéral qui va venir se mêler de l'éducation dans les provinces.
Ne vous demandez pas pourquoi cette question n'a jamais été posée. En 100 ans, on n'a jamais invoqué les paragraphes (3) et (4) de l'article 93, et ce n'est pas sans raison: c'est parce que cela va à l'encontre de notre système judiciaire actuel.
Alors, il faut choisir. On peut déconfessionnaliser les structures, mais on laisse l'enseignement religieux dans les écoles. Pour moi, il n'y a que deux systèmes qui permettraient d'être logique jusqu'au bout: si on se décide sur la confessionnalité, qu'on l'accorde aux autres groupes religieux; si on décide de déconfessionnaliser, la loi s'appliquera et l'enseignement religieux, qu'il soit catholique, protestant, islamique ou autre, sera dispensé en accord avec les lois québécoises.
On ne peut pas tout avoir en même temps. Bonne chance!
Le coprésident (M. Denis Paradis): Vous avez un commentaire, monsieur Pallascio?
M. Michel Pallascio: Oui, certainement.
Je voudrais d'abord préciser que l'article 93 existe effectivement depuis 130 ans, mais que l'article 29 de la Charte canadienne des droits et libertés a été adopté en 1982 seulement, ce qui ne fait pas 100 ans. L'article 29 se reporte à l'article 93. Si on a remis cet article sur la table, ce n'était pas pour le retirer ou le modifier mais pour le rétablir dans sa pleine force.
J'aimerais également répéter que différentes écoles confessionnelles existent au Québec et pas seulement des écoles catholiques ou protestantes. J'ai donné l'exemple de l'école juive qui existe depuis le début, à peu près à égalité. Il existe certainement des écoles musulmanes et je suis sûr qu'il y a des écoles arméniennes maronites. Il en existe à peu près de toutes les couleurs et nous ne sommes pas opposés à ces écoles-là. La CECM a même un contrat d'association avec les écoles grecques orthodoxes comme l'école Socrate de Montréal.
Nous ne sommes donc pas contre ces écoles, au contraire. Nous voulons simplement être certains que cette garantie historique continue de s'appliquer aux protestants et aux catholiques.
Il est fort possible qu'au cas où elle serait revue aujourd'hui, elle s'appliquerait aussi à d'autres religions, et je ne vois aucune objection à cela. Mais, à mon avis, la bataille se joue actuellement entre confessionnalité et laïcisation, et pas seulement pour les catholiques et les protestants.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur Pallascio.
Le prochain intervenant sera le sénateur Grafstein.
[Traduction]
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (Grand Toronto, Lib.): Merci, monsieur le président.
Vous avez fait valoir avec conviction qu'il n'y a pas consensus pour que soient modifiés les droits d'une minorité ou les droits collectifs, mais, je tiens à le répéter, les témoignages à ce sujet sont plutôt mitigés.
• 1610
L'Association des enseignants catholiques, qui représente
3 000 enseignants catholiques du Québec, nous a dit être d'accord
avec la position du gouvernement; les archevêques du Québec, eux,
ne sont pas d'accord, mais sans s'y opposer pour autant, et
l'Assemblée nationale du Québec est unanimement en faveur de ces
amendements. Les commissions scolaires, cependant, pour l'une ou
l'autre raison, ne sont pas d'accord.
Ce n'est donc pas un manque de consensus auquel nous avons affaire, mais plutôt un consensus pénible, s'il faut essayer de deviner ce que réclament au juste les groupes, au Québec, qui veulent voir leurs droits protégés.
Comment se fait-il que les enseignants catholiques—et je leur pose la question—soient en faveur de cet amendement? Et comment se fait-il que les archevêques n'y soient pas opposés? En revanche l'Assemblée nationale, elle, est unanime.
Tout cela nous rend perplexes. L'objectif de ces audiences est d'essayer d'évaluer si possible, pour le Parlement, quel était le consensus au Québec, car l'Assemblée nationale du Québec nous a compliqué la vie en ne tenant pas d'audiences publiques.
Nous voilà donc avec pour tâche, entre autres, d'évaluer le consensus. Êtes-vous en mesure de nous aider sur ce point?
[Français]
M. Michel Pallascio: Je pense à quelqu'un qui faisait une distinction entre le pays légal et le pays réel, et il me semble que c'est ce que nous avons en ce moment. Vous avez eu l'Assemblée des évêques dont vous parliez et vous avez eu, il n'y a pas longtemps, des curés des paroisses de Montréal. Il me semble qu'il y avait une dichotomie entre certains représentants religieux.
Je viens d'apprendre que vous allez entendre demain la Fédération des commissions scolaires catholiques du Québec, dont la CECM est un membre. Au moment où je vous parle, je ne sais même pas si la Fédération va être pour ou contre l'amendement. Notre commission scolaire en fait partie et nous n'avons pas été consultés.
Pour l'instant, aucune commission parlementaire n'a prévu des consultations au Québec. Il n'y a eu aucun référendum. Aux États généraux, cette question-là n'a même pas été soulevée ni même celle de la confessionnalité des écoles.
Je voudrais juste vous donner un exemple de ce qu'on appelle la consultation. Il y a deux ou trois ans, la CEQ avait annoncé dans les médias qu'elle avait l'intention de consulter ses membres sur la confessionnalité des écoles. Il y a eu effectivement une rencontre dans la région de Québec, mais sur 2 000 enseignants de ce groupe, seulement 100 se sont prononcés et le résultat a été de 48 voix contre 46.
La fois suivante, c'était dans la région de Beauport et des groupes se sont organisés. La CEQ a mené sa consultation au niveau local et son assemblée de délégués a voté à main levée pour la déconfessionnalisation. Le lendemain, la CEQ annonçait que ses membres étaient pour la déconfessionnalisation des écoles.
Vous êtes en train d'étudier un sujet extrêmement important. Il faut absolument qu'il y ait des discussions à tous les niveaux où cela est nécessaire avant de prendre un virage aussi important dans la question de l'éducation au Québec.
Nous disons qu'en fait, cette consultation n'a pas réellement eu lieu, puisqu'il y a encore confusion entre les commissions scolaires linguistiques et l'amendement de l'article 93. À notre avis, ce sont sont deux sujets qui ne sont pas reliés—ils le sont peut-être d'une certaine façon—et qui sont complètement différents.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Avant de passer au prochain intervenant, j'aimerais vous mentionner que Mauril Bélanger a demandé la parole, ainsi que Marlene Jennings, Nick Discepola, Christiane Gagnon, Jason Kenney et le sénateur Lynch-Staunton. Je demanderais donc aux membres du comité d'être plus rapides et de poser des questions plus courtes.
Sénateur Grafstein, pour une courte question.
[Traduction]
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Vous mentionnez, dans votre mémoire, les opinions juridiques vous disant qu'il ne peut y avoir d'amendement bilatéral, que pour amender l'article 93 le Québec à lui seul ne suffit pas. Pourriez-vous nous faire connaître ces opinions, afin que nous les examinions, ou bien pouvez-vous nous les résumer?
[Français]
M. Michel Pallascio: Nous n'avons pas d'avis juridique concernant cet aspect. À notre avis, le gouvernement du Canada n'en a pas non plus; du moins, il n'en a pas diffusé publiquement. Je crois que c'était l'inverse qui était mentionné dans le mémoire, mais je ne retrouve pas l'endroit. Nous mentionnons simplement qu'il n'existe pas d'avis juridique permettant une modification bilatérale.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci.
Mauril Bélanger.
M. Mauril Bélanger (Ottawa—Vanier, Lib.): Merci, monsieur le président. Je vais être rapide. Je n'ai qu'une question de clarification.
Vous faites allusion, au début de votre présentation, à la Coalition des commissaires de la CECM qui regroupe le COURS et d'autres groupes. Pourriez-vous, s'il vous plaît, vous situer en nous disant qui vous représentez aujourd'hui?
M. Michel Pallascio: Il y a quatre groupes politiques autour de la table du Conseil des commissaires parce que, depuis quelques années, la CECM s'est politisée pratiquement de la même façon que l'Assemblée nationale ou la Chambre des communes.
Il y a quatre groupes distincts: le RSC, le COURS, le MÉMO et des commissaires indépendants.
La présentation que nous vous faisons est celle de la coalition de tous les commissaires, dont les commissaires indépendants comme M. Dominguez, à l'exception du MÉMO. Je suis, avec Mme Gadoury, membre du Regroupement scolaire confessionnel. Il y a également des membres du COURS. Bien qu'il n'y ait pas un avis unanime autour de la table du Conseil des commissaires, c'est la majorité qui vous présente ce mémoire.
M. Mauril Bélanger: Et cette majorité représente quoi en fin de compte?
M. Michel Pallascio: Le Regroupement scolaire a, bien sûr, défendu l'aspect confessionnel des structures. M. Dominguez, cependant, n'est pas d'accord sur les structures confessionnelles. Le point que nous avons en commun, c'est le libre choix des parents, tant au niveau du choix de l'école confessionnelle que de l'école laïque. Nous voulons donc leur donner la chance de pouvoir choisir entre les écoles et nous croyons que, dans le cadre actuel de l'article 93, il n'y a absolument rien qui empêche ce choix si le gouvernement veut bien donner aux parents les moyens d'avoir ces écoles.
M. Mauril Bélanger: D'accord.
M. Ménard disait tout à l'heure qu'il y avait un consensus sur la question de la formation des commissions scolaires linguistiques, et je pense qu'il se trompe. Jusqu'à maintenant, il semble y avoir unanimité devant le comité.
Seriez-vous prêt à vous aventurer sur un terrain un peu plus glissant et à parler du degré de consensus, s'il y en a un, qu'il peut y avoir sur l'abrogation de l'article 93?
Je suis d'accord avec vous pour dire que c'est le sujet de notre discussion aujourd'hui. Quel est votre avis à propos de ce consensus qui, nous dit-on, existe? Essayez d'être le plus objectif possible.
M. Michel Pallascio: On parle de consensus quand il y a une très forte proportion en faveur d'un sujet donné. On a remarqué dans les dernières semaines ou dans les derniers jours que différents groupes se sont prononcés. Parmi ces groupes, il y a une coalition dont nous faisons partie et qui s'est présentée comme un groupe représentant 650 000 membres Québécois, et non comme une commission scolaire.
Je pense qu'il faut considérer ces interventions comme une sonnette d'alarme et un point d'interrogation parce que plusieurs de ces groupes, que je connais bien, ont des résolutions en bonne et due forme. Ils ont donc procédé à une consultation.
En ce qui concerne notre groupe, nous avons aussi procédé à une consultation avant d'en arriver à une telle proposition. Je voudrais vous reparler de la Fédération des commissions scolaires qui vient se présenter devant vous demain sans avoir consulté ses membres. Nous-mêmes, qui sommes membres, nous nous ne savons pas, au moment où l'on se parle, s'ils sont pour ou contre.
Je pense donc qu'il faut être attentif, lorsqu'un groupe se présente, au fait qu'il y a bien eu des discussions, que le sujet a bien été débattu entre les membres et que la proposition est bien présentée par l'ensemble des membres. C'est la raison pour laquelle je pense qu'il faut se poser de grosses questions sur ce consensus.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur Pallascio.
J'insiste encore auprès des membres du comité pour qu'ils soient brefs. Il nous reste plusieurs personnes et plusieurs groupes à entendre jusqu'à ce soir. Je vous demande donc d'être brefs dans vos questions comme dans vos réponses.
Marlene Jennings.
Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Bon après-midi. Je vais essayer d'être brève.
Je vais revenir au point soulevé par le sénateur Beaudoin, qui me rend très perplexe.
J'ai déjà entendu des groupes dire devant nous qu'ils étaient contre la modification de l'article 93 parce qu'ils ne croyaient pas qu'il y avait un consensus pour la déconfessionnalisation des commissions scolaires et qu'ils pensaient que les droits aux minorités devaient toujours être garantis au niveau constitutionnel.
• 1620
Je me demande donc comment il se fait que, ce droit
étant sacré, ces mêmes groupes ne soient pas en train de
demander plutôt un élargissement de l'article 93 pour
étendre le droit des commissions scolaires
confessionnelles à d'autres groupes religieux. Je
comprends aussi très bien le fait que le Québec
a le pouvoir, actuellement, de mettre en place des
commissions scolaires linguistiques laïques.
Je voudrais tout de même vous demander de donner une
réponse au point soulevé par le sénateur Beaudoin car
je n'ai pas vraiment entendu de réponse quand vous avez
répliqué.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Pallascio.
M. Michel Pallascio: Je vais répéter encore une fois: nous ne sommes pas contre les commissions scolaires linguistiques et nous n'avons jamais été contre les commissions scolaires linguistiques, même si nous avons, pendant plusieurs années, tenté de faire en sorte qu'on ait deux sortes de systèmes scolaires au Québec, comme il en existe en Ontario et dans d'autres commissions.
Actuellement, nous sommes plutôt préoccupés par l'amendement de 93, cette protection...
Mme Marlene Jennings: Monsieur Pallascio, il n'est pas question de commissions linguistiques. Si vous pensez que le droit actuellement garanti au niveau constitutionnel pour les commissions confessionnelles protestantes et catholiques est si important dans notre société aujourd'hui, pourquoi ne demandez-vous pas aujourd'hui que l'article 93 soit élargi pour donner ce même droit aux commissions confessionnelles des autres religions?
M. Michel Pallascio: Tout d'abord, on n'est pas ici pour protéger les autres structures. Nous parlons du droit à l'éducation et du choix des parents.
En ce qui concerne l'élargissement de l'article 93, on nous demandait il y a quelques années de donner notre point de vue sur l'élargissement des commissions scolaires au niveau de l'immigration et de prendre des décisions politiques. À notre avis, c'était un problème qui relevait d'abord et avant tout d'un choix de société et qui devrait être réglé au niveau des gouvernements respectifs.
Nous disons clairement que nous ne sommes pas contre l'élargissement de l'article 93, en principe, sur cette question. Nous ne sommes pas contre l'existence d'autres écoles ou d'autres confessionnalités, et je le dis avant qu'il ne soit question de présenter un amendement. Je pense que c'est une question importante qui devrait relever des gouvernements qui ont cette responsabilité et certainement pas des commissions scolaires.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci.
Madame Gagnon, brièvement.
Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ): Je reviens sur le sondage Léger & Léger. J'essaie de comprendre les chiffres, mais cela manque un petit peu de nuances. Peut-être que vous avez raison, mais on va essayer de se comprendre.
Vous dites qu'il y a 67 p. 100 des répondants qui désirent l'autonomie de l'école en matière de statut confessionnel, mais vous dites par contre qu'il y a en 91 p. 100 qui privilégient le libre choix entre l'enseignement religieux et l'enseignement moral ou autre.
Pour ma part, je pense qu'il y a 67 p. 100 des répondants qui jugent important ou très important qu'une école puisse donner un statut particulier aux options religieuses et qu'il s'agit donc d'une volonté claire d'autonomie de l'école exprimée par la formule «si la majorité le veut», et que cette tolérance déborde même les confessions religieuses traditionnelles du Québec, catholiques et protestants. Je dis cela parce que 60 p. 100 des répondants estiment que, si le nombre le justifie, l'école doit offrir un enseignement religieux autre que catholique.
C'est important parce qu'on dit n'importe quoi et qu'on ne nuance pas. Je crois que c'est important pour la commission. Des enquêtes publiques faites de 1973 à 1994 ont montré que les gens s'identifiaient beaucoup plus par rapport à leur langue et qu'ils désiraient une structure basée sur la langue plutôt que sur l'enseignement religieux.
Ce sondage me semble justifier toutes les enquêtes qu'il y a eu depuis 1974. Aussi, quand vous dites que 67 p. 100 des répondants désirent l'autonomie de l'école confessionnelle, je dis, moi, que ce n'est pas vrai, que ce n'est pas nuancé et que ce n'est pas ce que le sondage voulait démontrer.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Je vous prie de poser votre question, madame Gagnon. Nous écouterons ensuite vos commentaires, monsieur Pallascio.
Mme Christiane Gagnon: Il se sert de chiffres pour dire qu'il y a 67 p. 100 des gens qui désirent perpétuer... Mais ce n'est pas cela que les gens demandent! Les gens demandent d'avoir le choix!
Le coprésident (M. Denis Paradis): C'est correct, madame Gagnon.
Mme Christiane Gagnon: Si on me donnait la parole plus souvent, je parlerais peut-être moins longtemps.
M. Michel Pallascio: Je n'ai pas l'intention d'interpréter le sondage. C'est un sondage qui est apparu dans le sillage des États généraux sur l'éducation. Je pense que la question posée était très claire: c'était la question confessionnelle.
Je voudrais rappeler, et je pense que cela a été clairement démontré aux États généraux, que la très grande majorité des mémoires qui se sont prononcés sur la confessionnalité était en faveur de cette confessionnalité. Tous les sondages rappellent l'importance de cela au niveau de l'école. J'espère qu'on va me lâcher avec les structures à un moment donné, parce qu'en ce qui nous concerne, ça fait longtemps que nous les avons lâchées. C'est une question au niveau de l'école, du choix de l'école, du choix de l'enseignement religieux à l'intérieur de nos écoles.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci.
M. Nick Discepola (Vaudreuil—Soulanges, Lib.): Je vais être bref, monsieur le président. J'ai deux petites questions.
Tout d'abord, monsieur Pallascio, si on se place à l'époque de 1867 et si on regarde ce qui se passe dans le monde d'aujourd'hui, on remarque qu'il y a des groupes qui se battent et qui se font la guerre sur une question de religion. Cela me donne à penser que nos Pères de la Confédération avaient peut-être raison, en 1867, d'inclure l'article 93. Mais je me demande aujourd'hui si on n'est pas arrivé au stade d'une société soi-disant moderne où il faudra couper les liens qui existent entre l'État et l'Église.
Deuxièmement, vous avez dit qu'il existe d'autres solutions que l'amendement de l'article 93 pour créer des commissions scolaires linguistiques. J'aimerais connaître une ou deux des idées que vous avez et surtout que vous nous disiez si ces idées ne mettront pas un fardeau additionnel sur l'administration ou sur les coûts d'administration des structures telles que vous allez nous les proposer.
M. Michel Pallascio: Les structures linguistiques vont être mises en place. Elles ont été adoptées. Nous voulons surtout nous assurer du libre choix des parents, qui est un principe universel reconnu. Il a été mentionné, dans plusieurs chartes internationales, que les parents ont la possibilité de choisir. Et la plupart des sondages, malgré ce que disait madame tantôt, font mention de la nécessité du libre choix des parents en ce qui concerne les écoles.
M. Nick Discepola: Cela existe aussi dans les projets de loi 107 et 109.
M. Michel Pallascio: Oui, mais c'est une question de garanties actuellement. Et je rappelle l'application des chartes qui est très claire sur cette question-là.
M. Nick Discepola: Recherchez-vous une garantie constitutionnelle?
M. Michel Pallascio: Effectivement, nous demandons de maintenir celle qui existe présentement. Quant à la question de l'élargissement, c'est l'affaire du gouvernement. Il s'agit de maintenir ce qui existe présentement, et nous croyons que le fait de vouloir maintenir un droit à des groupes ne veut pas dire automatiquement le refus à un autre. J'espère que ce n'est pas l'impression que vous avez parce que ce n'est pas le but. Le but est de maintenir ce qui existe. Ce sont des garanties qui, normalement, sont solides. Une constitution ne devrait pas être modifiée à la légère, et nous pensons que ces garanties-là sont beaucoup plus fortes qu'une simple loi provinciale qui pourrait être modifiée en tout temps, selon les options. D'ailleurs, la Loi 107 a été modifiée deux fois cette année.
M. Nick Discepola: Je voudrais vous demander si le moment n'est pas venu de couper le lien entre l'État et l'Église.
M. Michel Pallascio: Je pense que cela fait longtemps que ce lien n'est plus ce qu'il était. Il me semble qu'il n'est plus très fort depuis quelque 30 ans. Je ne pense pas que ce soit une question d'Église, mais plutôt une question de volonté des parents d'éduquer leurs enfants selon leurs valeurs. C'est une question fondamentale qui est rappelée dans les différentes conventions internationales: il faut laisser le choix aux parents et l'État doit donner aux parents la possibilité d'offrir une éducation qui soit conforme aux valeurs qu'ils veulent défendre.
Si ce sont des valeurs confessionnelles, l'État devrait permettre et assurer que les parents obtiennent cet enseignement pour leurs enfants. Et cela n'a aucun rapport, à mon avis, avec l'Église structurelle.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Pallascio, madame Gadoury, monsieur Dominguez, permettez-moi de vous remercier au nom de tous les membres du comité pour la présentation de cet après-midi.
M. Michel Pallascio: Merci.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Nous allons prendre une minute de pause, le temps que le prochain groupe puisse s'installer à l'avant. Je vais demander aux représentants Forum Action Québec de prendre place.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Nous reprenons la séance du Comité mixte spécial pour modifier l'article 93.
Nous avons le plaisir de recevoir Forum Action Québec, représenté par Dermod Travis et Arabella Bowen. Bienvenue à cette séance du Comité mixte spécial. C'est vous, Arabella, qui commencez?
Mme Arabella Bowen (Forum Action Québec): C'est Dermod Travis.
M. Dermod Travis (Forum Action Québec): Bonjour.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Et qui fait la présentation?
Mme Arabella Bowen: Nous deux; on partage.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Allez-y, on vous écoute.
[Traduction]
Mme Arabella Bowen: Madame Pépin, monsieur Paradis, membres du comité, je vous remercie de nous avoir permis de comparaître aujourd'hui devant vous. J'espère que vous avez maintenant un exemplaire de notre mémoire, que je vous ai adressé ce matin par télécopie, et qui ne paie pas de mine.
Le sénateur Gérald A. Beaudoin: De quel mémoire s'agit-il? Je ne le vois pas.
Mme Arabella Bowen: Je l'ai envoyé ce matin par télécopie, mais on ne vous l'a sans doute pas fait parvenir ici, pendant les travaux du comité.
[Français]
Le coprésident (M. Dennis Paradis): Les photocopies sont en train de se faire, et on devrait avoir les textes. Les voilà. Mme la greffière nous arrive avec les textes. Vous pouvez commencer pendant qu'on les distribue.
[Traduction]
Mme Arabella Bowen: Avant d'aller au fond des problèmes, je voudrais brièvement présenter Forum Action Québec au comité spécial.
Forum Action Québec, constitué en 1994 par de jeunes Québécois anglophones, est une organisation qui ne relève d'aucun parti et qui s'est donné pour mission d'encourager, entre tous les Québécois, un dialogue franc sur les grands problèmes auxquels doivent faire face notre société et nos collectivités. Nous avons, depuis notre fondation, organisé plus d'une vingtaine de dîners-conférences avec des hôtes tels que Pierre-Étienne Laporte, député provincial libéral du Québec, Bernard Landry, vice-premier ministre du Québec, Pierre Brien, député du Bloc québécois, et John Fraser, directeur de recherche du Conseil pour l'unité canadienne.
Nous avons adressé plusieurs mémoires aux commissions de l'Assemblée nationale, dont celle qui étudie la Loi 40 et la Commission sur l'avenir du Québec. Compte tenu de cet objectif de dialogue non sectaire, Forum Action Québec a organisé en mars dernier, avec la section d'études du Québec de l'Université McGill, un après-midi de colloque sur les commissions scolaires linguistiques, avec pour orateurs invités Julius Grey et Jean-Pierre Proulx. Nous comptons plus de 300 membres, qui proviennent de tous les groupes linguistiques et de toutes les nuances politiques.
M. Dermod Travis: Il arrive qu'au cours de débats pareils le bon sens fasse place aux intérêts purement sectaires et qu'en ce cas, il est triste de le constater, l'intérêt porté aux manchettes tente à éclipser les enjeux réels. Ces audiences ne font pas exception, car les questions touchant à l'éducation ont déclenché des discussions non seulement sur les droits religieux, mais également sur les droits linguistiques. L'amendement dont vous êtes saisis ne porte toutefois pas sur des positions constitutionnelles, et ce n'est pas une question qu'un un parti peut s'accaparer pour gagner une avance aux prochaines élections, ou marquer un score politique; il porte sur une seule et unique question: la qualité de l'éducation au Québec.
En tant que membres de ce comité, dont certains nouvellement élus lors des élections de juin—vous avez maintenant un avant-goût de ce que la plupart des Québécois en sont venus à accepter, avec regret, comme étant le prix élevé à payer pour la plupart des débats politiques de la province. En effet, sitôt qu'il s'agit, au Québec, de questions touchant la langue, certains militants des deux extrêmes sautent sur l'occasion d'exploiter des craintes et de souffler sur les braises de l'insécurité historique de leurs mandats respectifs, intervenant souvent dans la bataille avec pour seul but de déterrer de nouveau la hache de guerre. Nous sommes d'ailleurs persuadés que la plupart de ces défenseurs de la langue appartiennent à une époque dépassée et à une autre génération.
Ces militants sont probablement sincères, mais nous ne devons jamais oublier qu'ils ne représentent plus la vaste majorité des Québécois. Les membres des deux communautés linguistiques ont prouvé qu'ils ont la bonne volonté nécessaire pour chercher, en coopération avec les autres Québécois et Canadiens, des solutions positives aux problèmes complexes de notre société contemporaine.
• 1635
De nos jours les jeunes anglophones et francophones bilingues
ne veulent pas être contraints à remuer des cendres qui sont
froides depuis longtemps, et refaire la dernière guerre. De
nouvelles voix se font entendre qui sont orientées vers l'avenir,
des voix auxquelles les plaines d'Abraham, que ce soit d'un bout ou
de l'autre, n'alimentent pas leurs aspirations politiques, des voix
de gens qui ne veulent pas se laisser entraver par les luttes de
leurs parents.
Le Québec voit actuellement naître des institutions qui ne sont ni anglophones ni francophones, mais québécoises, et édifiées par de jeunes anglophones et francophones, de jeunes Québécois travaillant de concert, que l'avenir n'effraie pas et pour lesquels la langue maternelle d'une personne ne constitue pas un obstacle à la construction d'une société meilleure pour tous les Québécois. Il nous paraît, à nous tous, que dans la plupart des cas ce qui profite à l'un profite généralement à la société dans son ensemble.
D'ici à 20 ans, sans doute, nos enfants, qui s'exprimeront sans doute indifféremment dans les deux langues, verront peut-être un intérêt historique au label anglophone et francophone, et ne comprendront plus les divisions creusées par ce label et l'obstacle qu'il a constitué à l'édification de leur société. Espérons toutefois que nos institutions et gouvernements accueilleront ces mutations sociales avec autant de facilité que leurs citoyens.
Mme Arabella Bowen: La communauté anglophone, grâce à sa contribution au développement de la société québécoise, s'est acquis certains droits historiques reconnus par tous les partis politiques de l'Assemblée nationale. Ces droits ne lui donnent cependant pas droit de veto sur les changements à la loi, et dans l'état actuel des choses un consensus pourrait se dégager au Québec sans que se fasse entendre la voix d'un seul anglophone.
Il convient de noter que le consensus sur l'amendement dont il est question aujourd'hui a l'appui d'importants personnages de la collectivité anglophone. En tant que communauté nous avons le devoir d'oeuvrer avec d'autres groupes d'intérêts du Québec, non seulement afin d'améliorer la qualité de vie pour les Québécois anglophones, mais pour tous les Québécois, francophones, anglophones ou autochtones, qui tous font partie du Québec. Cela a parfois pour conséquence que des anglophones doivent renoncer aux instruments dont ils disposaient autrefois en faveur de nouvelles institutions mieux adaptées aux besoins de notre communauté et au Québec tout entier. L'un n'exclut pas l'autre. De même les francophones devront consentir à des compromis pour apaiser les craintes de ceux de notre communauté qui pensent—à tort, nous le croyons—que le Québec ne leur réserve pas vraiment une place.
Ce n'est pas là la question dont est saisi votre comité spécial, et nous ne voulons en aucune façon l'introduire dans vos délibérations, mais Forum Action Québec considère qu'un amendement à la Charte des droits du Québec reconnaissant la contribution unique de notre collectivité au développement du Québec, et définissant nos droits historiques en matière d'éducation, de santé et de services sociaux, marquerait un progrès, en rassurant certains et en tempérant les craintes d'un petit nombre d'entre nous.
Nos commentaires sur l'amendement dont est saisi ce comité spécial porteront sur deux volets spécifiques: les garanties linguistiques et les droits confessionnels. Je ne voudrais pas ressasser ce que vous avez souvent entendu pendant vos audiences, mais l'article 93 ne garantit pas les droits linguistiques; ce sont les droits confessionnels qu'il garantit. En 1867 une telle division se justifiait pleinement, ce qui n'est plus le cas en 1997. Les garanties confessionnelles sont anachroniques; elles appartiennent à une autre époque.
D'aucuns soutiennent—à tort—que l'abrogation de l'article 93 aurait pour effet de créer deux catégories de minorités linguistiques au Canada, l'une, les anglophones du Québec, ayant moins de droits que la minorité francophone hors Québec.
D'autres soutiennent que cet amendement n'est pas nécessaire pour introduire des commissions scolaires linguistiques. C'est là un point de vue dépourvu de sens pratique: l'article 23 présente suffisamment de garanties pour la protection, au Québec, de l'enseignement en anglais.
• 1640
Certes des objections se sont fait entendre sur le processus
qui a déclenché ces audiences, mais ne permettez pas à ces
objections, certaines légitimes, certes, et d'autres moins,
d'empêcher ce que nous considérons comme étant fondamentalement la
bonne décision.
Forum Action Québec est en faveur de l'amendement visant à abroger l'article 93 et à établir au Québec des commissions scolaires linguistiques basées sur les garanties de l'article 23. Nous espérons qu'il sera également possible de renforcer la protection des droits anglophones grâce à un amendement à la Charte du Québec, comme nous l'expliquions tout à l'heure. Une telle mesure serait de nature à rassurer certains membres de notre communauté, mais nous ne pensons toutefois pas que l'abrogation de l'article 93 ne soit possible que s'il y a amendement à la Charte.
Forum Action Québec veillera à ce que le système scolaire anglophone ait une assiette fiscale et des effectifs suffisants pour répondre à ses besoins et faire de ce système un élément dynamique de notre communauté.
M. Dermod Travis: En tant que fils d'un ministre du culte, je comprends que les écoles confessionnelles soient un sujet brûlant qui suscite des émotions profondes chez beaucoup de gens, sincères sans aucun doute, mais ni le Canada ni le Québec ne sont définis par des religions fondatrices, mais par des garanties constitutionnelles qui doivent être maintenues de génération en génération.
À l'instar du Canada anglophone le Québec est une société pluraliste. Rien qu'à Montréal l'une des communautés à connaître le développement culturel le plus rapide est celle des musulmans. En permettant que l'article 93 reste intact, allons-nous dire aux musulmans de Montréal—plus de 80 000—que l'immigration pourrait entraîner la conversion religieuse? En effet, le visage du Canada change, et on peut en dire autant de la communauté anglophone du Québec, qui n'est plus aussi exclusivement blanche, britannique ou protestante qu'elle l'était jadis.
Avec l'abrogation de l'article 93 les parents auront toujours le droit—et le devoir—d'inculquer des valeurs religieuses à leurs enfants; les écoles conserveront le droit d'enseigner la religion, mais dans des cours qui tiendront compte non seulement de la diversité dans le monde, mais également de la diversité au sein même du Québec et du Canada. Nous n'offrons pas de garanties constitutionnelles pour la géométrie ou la géographie, et nous ne devrions pas non plus offrir de garanties religieuses pour l'éducation, malgré la ferveur de croyances religieuses profondément enracinées.
Après près de trois décennies de discussions sur les commissions scolaires linguistiques, il est temps, pour les Québécois, de cesser de discuter qui a la haute main sur les écoles, ou combien d'entre elles relèveront de certaines compétences. Nous devrions plutôt nous demander comment mieux éduquer les esprits d'une nouvelle génération de Québécois et comment faire atteindre à la majorité d'entre eux un niveau élevé d'éducation. L'abrogation de l'article 93 représente une importante étape dans cette voie.
Quand il est question d'éducation l'enjeu ne devrait jamais être la propriété des livres ou des bâtiments, mais ce que contiennent ces livres, et ce qui est enseigné dans ces bâtiments. La portée de l'éducation va bien au-delà des droits anglophones ou francophones: il s'agit du droit de nos enfants d'avoir accès aux outils qui leur ouvriront la porte d'un avenir sain et prospère. Les écoles, si elles doivent être la propriété de quelqu'un, devraient être la propriété des enfants qui y font leur apprentissage: notre rôle se limite simplement à être les tuteurs de ce système.
En dernière analyse, c'est là la question dont est saisi ce comité spécial. Il ne faut pas y trouver prétexte, pour les fédéralistes, à invectiver les souverainistes, ou pour les militants de la langue, à sortir du placard leurs squelettes linguistiques; l'enjeu du débat, c'est de décider si l'amendement aidera à améliorer la qualité de l'éducation au Québec. C'est là le coeur du problème, et au tréfonds de vous-mêmes vous en connaissez la réponse.
Je vous remercie.
[Français]
La coprésidente (la sénatrice Lucie Pépin (Shawinegan, Lib.)): Merci. Nous allons maintenant passer aux questions. Monsieur Kenney.
[Traduction]
M. Jason Kenney (Calgary-Sud-Est, Réf.): Merci de votre exposé.
Je constate que vous dites, à propos de l'article 93:
-
Certains affirment que cet amendement n'est pas nécessaire pour
l'introduction de commissions scolaires linguistiques. S'ils ont
raison, ils sont stupides.
Je signale, au cas où vous ne le sauriez pas déjà, que la Cour suprême du Canada a jugé en juin 1993 qu'il était possible de créer des commissions scolaires linguistiques sans modifier l'article 93. Voulez-vous dire que la Cour suprême ne sait pas ce qu'elle dit?
M. Dermod Travis: Je dis que ceux qui croient qu'on pourrait établir quatre commissions scolaires dans certains quartiers de Montréal ne comprennent pas que cela rendrait impossible le fonctionnement quotidien du système d'enseignement.
M. Jason Kenney: Vous n'avez peut-être pas lu tous les mémoires qui nous ont été présentés, mais il est évident que tous ceux qui s'opposent à la modification de l'article 93 ne voient pas d'objection à la création de commissions scolaires linguistiques, mais souhaitent conserver l'article 93 même s'il crée un système bureaucratique et complexe de commissions scolaires confessionnelles parce que c'est la seule garantie constitutionnelle qui existe pour le droit à des écoles confessionnelles.
Dans votre mémoire, vous dites clairement que, à votre avis, la religion n'a pas sa place dans les écoles. Êtes-vous pour la Loi 109, qui prévoit le plein accès à des écoles confessionnelles, à l'enseignement religieux dans les écoles publiques? Si vous vous opposez à l'idée qu'on enseigne la religion dans les écoles publiques, pourquoi votre organisation ne réclame-t-elle pas l'abolition des dispositions pertinentes de la Loi 109?
M. Dermod Travis: Je ne crois pas que nous ayons dit que la religion n'a pas sa place à l'école. Je ne vois pas d'où vous tirez cette citation.
M. Jason Kenney: Cela m'apparaît l'essentiel de votre mémoire.
M. Dermod Travis: Si vous parlez de l'avant-dernier paragraphe de cette partie, nous disons que, même si l'article 93 est abrogé, les parents conserveront le droit d'inculquer des valeurs religieuses à leurs enfants, comme devraient le faire les parents, et que les écoles conserveront le droit d'enseigner la religion. Seulement, nous estimons que la Constitution n'a pas à garantir au Québec le droit à des commissions scolaires confessionnelles.
M. Jason Kenney: Des commissions scolaires confessionnelles... Vous ne voyez donc pas d'objection à garantir dans la Constitution l'accès à l'enseignement religieux.
M. Dermod Travis: Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de garantir ce droit dans la Constitution. En outre, je ne crois pas que ce soit la question sur laquelle vous devez vous pencher.
M. Jason Kenney: Vous estimez donc que la Loi 109 protège suffisamment le droit à l'enseignement religieux.
M. Dermod Travis: Oui.
M. Jason Kenney: Selon certains témoignages que notre comité a entendus, avec la disparition de l'article 93, la Charte des droits dans son intégralité s'appliquerait au système d'enseignement du Québec; cela mènerait à des contestations judiciaires aux termes desquelles on jugerait que le système d'enseignement confessionnel prévu à la Loi 109 est anticonstitutionnel. On a tiré cette conclusion en se fondant sur les précédents de l'Ontario.
Ne craignez-vous pas que, en l'absence de l'article 93, les contestations judiciaires aux termes de la Charte ne mettent en danger le droit à l'enseignement religieux prévu à la Loi 109?
M. Dermod Travis: Je répondrai à cette question si la Cour suprême rend une telle décision. Pour en revenir à la question dont est saisi le comité concernant l'article 93, nous estimons que l'article 93 n'est pas nécessaire pour le système scolaire du Québec et que la Loi 109 protège suffisamment le droit des parents d'envoyer leurs enfants à une école offrant l'enseignement religieux qu'ils souhaitent.
La coprésidente (la sénatrice Lucie Pépin): Merci.
Sénateur Beaudoin.
Le sénateur Gérald A. Beaudoin: Si j'ai bien compris votre thèse, il n'y a pas de religion d'État au Canada. La Cour suprême a statué clairement sur ce sujet. Nous avons la liberté de religion, mais nous n'avons pas de religion d'État. Que ce soit aux termes de l'article 93 ou de l'article 29 de la Charte, deux groupes chrétiens jouissent d'une protection spéciale qu'aucun autre groupe religieux n'a au pays. C'est parfaitement légal, parfaitement constitutionnel.
Si j'ai bien compris votre thèse, parce que l'État et l'Église sont deux entités distinctes et parce qu'il n'y a pas de religion d'État au Canada, l'article 93 ne devrait pas prévoir des garanties confessionnelles spéciales. Vous ai-je bien compris?
Mme Arabella Bowen: Si j'ai bien compris votre question, c'est ce que nous affirmons. Ni les catholiques ni les protestants ne représentent la majorité de nos jours, si je peux m'exprimer ainsi. Notre pays est diversifié et multiethnique. L'octroi d'un traitement spécial ou de pouvoirs spéciaux à ces deux groupes religieux ne reflète plus la véritable nature de notre pays. C'était peut-être le cas à une certaine époque, il y a 130 ans, mais plus aujourd'hui.
Le sénateur Gérald A. Beaudoin: Oui, mais moi j'ai l'impression qu'au Québec les catholiques et les protestants constituent encore la majorité, n'est-ce pas? Mais même si tel est le cas, je ne veux pas me lancer dans le débat sur la majorité et la minorité; je veux parler du principe selon lequel, dans les États où il n'y a pas de religion officielle, aucun groupe religieux ne devrait être protégé si les groupes religieux ne le sont pas tous. Est-ce votre thèse?
Mme Arabella Bowen: Oui.
Le sénateur Gérald A. Beaudoin: Cela me semble très logique. Je voulais simplement m'assurer que c'est bien ce que vous affirmez.
Mme Arabella Bowen: Oui.
Le sénateur Gérald A. Beaudoin: Vous êtes d'accord avec cela.
Mme Arabella Bowen: Oui.
Le sénateur Gérald A. Beaudoin: Très bien.
[Français]
M. Réal Ménard: J'espère qu'on va tout faire pour le diffuser très largement. C'est un bon mémoire parce que, dans le fond, vous avez posé deux constats. D'abord, vous représentez un groupe de jeunes anglophones désireux de maintenir le dialogue avec différentes composantes de la société, et c'est quelque chose dont il faut se réjouir. Tôt ou tard, et je sais que M. Discepola sera d'accord avec moi à ce sujet, il faudra avoir un débat sur la place des communautés anglophones. Je vous rappelle que j'appartiens à une formation politique qui a une vision très généreuse de ce que cela doit être, et ça va continuer. Ce qui est intéressant dans...
La coprésidente (la sénatrice Lucie Pépin): Pourrions-nous en revenir au sujet?
M. Réal Ménard: Madame la présidente, je vous sens très directive depuis le déjeuner. Je poserai deux questions et je ne tolérerai pas qu'on m'interrompe à nouveau.
Vous dites que la communauté anglophone est suffisamment protégée. Il y a des protections qui sont connues et j'aimerais que vous puissiez développer ce point de vue. Quelle est la lecture que vous faites des droits, des privilèges et du rôle de la communauté anglophone? N'ayez pas peur d'exprimer des points de vue qui pourraient fâcher mais qui méritent d'être cités parce qu'ils sont justes.
[Traduction]
M. Dermod Travis: J'aimerais lire des extraits d'un document rédigé par un avocat bien connu de la communauté anglophone de Montréal—je m'excuse de n'avoir le document qu'en anglais, et je ne tenterai pas de vous en faire une traduction à vue. Ce document a été rédigé par un associé principal du cabinet McCarthy Tétrault, Allan Hilton, et a été publié dans la Gazette de Montréal il y a quelques mois.
Je ne vous lirai pas tout le document, mais seulement les paragraphes qui me semblent pertinents à votre question. Je cite:
-
Certains anglophones craignent qu'on n'élimine des garanties
constitutionnelles sans en prévoir d'autres comparables en retour.
Cette opinion est peut-être sincère, mais elle fait fi de la nature
extrêmement limitée des droits conférés par l'article 93 de l'Acte
de l'Amérique du Nord britannique et, dans une approche un peu plus
contemporaine, par l'article 23 de la Charte des droits et
libertés.
-
À titre d'avocat ayant plaidé devant la Cour suprême du Canada et
ailleurs plusieurs causes traitant de diverses questions de langue
et d'éducation aux termes de l'article 93 et de la Charte, je
n'hésite pas à dire que l'abolition des garanties prévues à
l'article 93 n'entraînera pas une diminution des droits à
l'éducation dont jouit actuellement la minorité linguistique.
-
En fait, les garanties constitutionnelles prévues à l'article 23,
que les tribunaux sont tout à fait disposés à appliquer, sont plus
solides que ne l'est ce qui reste de l'article 93.
[Français]
M. Réal Ménard: Vous devriez déposer ce texte pour que tous les membres du comité puissent en avoir copie, et surtout le distribuer aux membres de l'autre côté. Ce n'est pas la littérature de votre bibliothèque, madame Finestone.
La coprésidente (la sénatrice Lucie Pépin): Monsieur Ménard, vous avez terminé votre intervention? Je vous prie de vous dépêcher.
M. Réal Ménard: Oui, madame la présidente. Soyez douce avec moi.
Au fond, si on devait résumer vos propos, on pourrait dire que vous êtes une variante extrêmement intéressante d'Alliance Québec. Vous nous faites la preuve cet après-midi qu'il y a des anglophones qui ont une compréhension extrêmement généreuse de ce que doivent être les rapports entre nos communautés. Je comprends que vous avez de l'expertise que vous donne clairement à penser et à comprendre que vous êtes suffisamment protégés par les garanties qui sont inscrites dans la Loi 101.
La coprésidente (la sénatrice Lucie Pépin): Vous avez terminé? Sénateur Grafstein.
[Traduction]
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Ma question fait suite à celle de M. Ménard. Dans votre mémoire et dans vos remarques liminaires, vous avez affirmé que l'article 23 de la Charte canadienne protège suffisamment le droit à l'enseignement en anglais au Québec. Or, d'autres témoins nous ont dit que cette protection ne sera suffisante que lorsque l'alinéa 23(1)a) aura été proclamé par le gouvernement du Québec.
Comment conciliez-vous votre opinion avec celle des autres témoins qui nous ont dit que, tant que le Québec n'aura pas proclamé l'alinéa 23(1)a), l'article 23 ne sera pas une garantie suffisante?
M. Dermod Travis: Heureusement qu'il y a M. Hilton.
J'aimerais citer deux autres paragraphes du texte de M. Hilton:
-
On a fait grand état du fait que l'Assemblée nationale a réitéré
son objection au rapatriement de la Constitution de 1982, qui s'est
fait sans son consentement, et que cela aurait une incidence sur le
droit à l'éducation de la minorité linguistique du Québec. Pour au
moins deux raisons, c'est tout simplement faux.
-
Premièrement, du point de vue juridique, peu importe que
l'Assemblée nationale réitère son opposition à la Loi
constitutionnelle de 1982, puisque les tribunaux du Québec sont
forcés d'appliquer la Constitution, de façon indépendante du
gouvernement. En dernière analyse, ce sont les tribunaux, et non
pas l'Assemblée nationale, qui statueront sur les droits
constitutionnels.
Si la communauté anglophone a des préoccupations et décide d'aller devant les tribunaux à l'avenir par suite d'autres décisions, elle constatera qu'elle est suffisamment protégée par l'article 23 et par le fait que les tribunaux sont en mesure d'entendre cet argument.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Je n'ai pas sous les yeux le texte que vous avez lu, et il est difficile d'analyser un avis juridique si on ne l'a pas lu, mais M. Hilton semble dire que le Québec ne peut absolument pas prétendre qu'il n'est pas lié par la Constitution, et je suis d'accord avec lui. Je ne remets pas cette affirmation en question. Nous nous entendons tous là-dessus. Le Québec a demandé une modification à la Constitution. Il veut simplement sauver la face en disant dans le préambule qu'il n'accepte pas la Constitution. Nous nous entendons là-dessus, et ce n'est pas ma question.
Plus précisément, l'alinéa 23(1)a) de la Loi constitutionnelle de 1982 ne s'appliquera au Québec qu'à la date que fixera par proclamation le gouvernement du Québec. M. Hilton ne semble pas se pencher sur cette question.
Les représentants d'Alliance Québec réclament une réaffirmation ferme des droits de la minorité anglophone aux termes de l'alinéa 23(1)a). Ils ne demandent pas de modification; ils demandent au Parlement de réaffirmer le caractère de ces droits.
Je suis essentiellement d'accord avec l'argument de M. Hilton, mais il nous reste encore une lacune à combler.
M. Dermod Travis: Moi, je ne crois pas. Nous n'en avons pas discuté avant de venir témoigner aujourd'hui. Nous ne voyons pas d'objection à ce que la Chambre des communes appuie les droits de la minorité anglophone du Québec et adopte parallèlement une résolution confirmant les droits des francophones hors Québec, à condition que la modification à l'article 93 soit dûment adoptée dans un délai raisonnable.
La coprésidente (la sénatrice Lucie Pépin): Sénateur Lynch-Staunton.
Le sénateur John Lynch-Staunton: La question n'est pas de savoir si le Québec est lié ou non par la Constitution. Le Québec ne s'estime lié que par les décisions de la Cour suprême qui lui plaisent. Nous l'avons constaté lorsque a été rendue la dernière décision qui n'a pas fait son affaire; M. Bouchard n'a pas éliminé la possibilité d'invoquer la disposition de dérogation. On nous a prévenus que si le Québec n'est pas satisfait des réponses aux trois questions qui ont été posées par le gouvernement fédéral, il réagira en conséquence.
• 1700
Je comprends mal que vous trouviez rassurant de pouvoir
invoquer l'article 23, puisque vous savez, comme l'a fait remarquer
le sénateur Grafstein, qu'un des alinéas ne s'applique pas au
Québec; même s'il s'appliquait, si l'interprétation de cette
disposition par la Cour suprême ne plaisait pas au Québec, il en
ferait fi. C'est une de nos préoccupations.
Dans sa résolution, qui n'a pas été répétée dans la résolution dont ont été saisis la Chambre et le Sénat, l'Assemblée nationale déclare unanimement que:
-
CONSIDÉRANT qu'une telle modification ne constitue en aucune façon
une reconnaissance par l'Assemblée nationale
... pas par le Parti québécois, le Parti libéral, ou le parti de M. Dumont, mais bien par l'Assemblée nationale, unanimement...
-
de la Loi constitutionnelle de 1982
... qui fut adoptée sans son consentement.
Je suis heureux de constater que l'article 23 vous suffit, mais devant une telle attitude je crains que ce ne soit pour vous qu'une façon de vous donner du courage.
[Français]
La coprésidente (la sénatrice Lucie Pépin): Commentaires?
[Traduction]
Mme Arabella Bowen: En réponse à votre question, je suis d'accord avec vous pour dire qu'il y a encore beaucoup de préoccupations auxquelles j'ai moi-même beaucoup réfléchi. Tout cela en fait tient à la confiance et à la bonne foi, et moi, je me dois de faire confiance à mon gouvernement. Je ne crois pas qu'on soit sur une pente dangereuse.
L'Assemblée nationale fait enfin ce que la communauté anglophone, entre autres, réclame depuis des dizaines d'années. Pourquoi devrions-nous remettre en question ses agissements, nous méfier de ses intentions ou des mesures qu'elle pourrait prendre à l'avenir? Moi, je ne peux pas. Je crois que le gouvernement agit en toute bonne foi et que j'ai toujours des recours judiciaires. Ce ne serait pas positif que de toujours prêter des intentions au gouvernement ou à l'Assemblée nationale.
M. Dermod Travis: Nous devons aussi être prudents et ne pas prendre en otages par inadvertance les enfants du Québec en amorçant un tout autre débat.
Je comprends vos remarques. Je comprends vos préoccupations sur la façon dont on réagit aux décisions de la Cour suprême. Nous tous qui sommes ici savons que nous ferons face à de graves problèmes sous peu. Toutefois, faisons la part des choses et restons-en à la question qui nous intéresse maintenant, à savoir ce que nous pouvons faire pour améliorer l'instruction.
Vous, monsieur, et le sénateur avez parlé d'Alliance Québec dans vos observations. J'attire votre attention sur un document rendu public par Alliance Québec dans le cadre des élections scolaires de 1994 où on parle d'élire des commissions scolaires temporaires dans l'attente de la création des commissions scolaires linguistiques. Les préoccupations soulevées par Alliance Québec ici même la semaine dernière ne figurent pas dans ce document.
Au cours de vos délibérations, vous entendrez bien des gens et bien des groupes aux opinions divergentes. Notre communauté n'a pas qu'un seul point de vue, et il importe que vous réfléchissiez à ces décisions et à la signification du mot «consensus», et que vous sachiez que certains dans notre communauté sont d'accord avec cette modification.
[Français]
La coprésidente (la sénatrice Lucie Pépin): Alors, nous entendrons M. Mauril Bélanger, Mme Sheila Finestone et le sénateur Beaudoin. Monsieur Bélanger.
M. Mauril Bélanger: Merci, madame la présidente.
[Traduction]
Merci, madame la présidente.
Je vous sais gré de vouloir éviter les affrontements et oublier le passé.
J'aimerais en savoir un peu plus sur votre organisation. Qui représentez-vous, combien de membres comptez-vous et comment votre organisation a-t-elle été créée? Vous avez parlé un peu de vos activités, mais j'aimerais que vous preniez quelques minutes pour nous décrire votre association.
M. Dermod Travis: En 1994, une poignée de jeunes anglophones, dont certains étaient associés à Alliance Québec, ont voulu amorcer au Québec un véritable dialogue faisant abstraction des affiliations politiques, des idéologies politiques, des affiliations aux syndicats ou au patronat.
• 1705
Un des défis que représente tout débat public au Québec à
l'heure actuelle, c'est que quiconque habite au Québec sait que
chaque mot doit être pesé, car tout est traduit en anglais et en
français et communiqué du Québec au reste du Canada et du reste du
Canada au Québec.
Une de nos premières initiatives a été d'amorcer une série de dîners-conférences—Arabella y a fait allusion tout à l'heure—dans le cadre desquels nous réunissons en moyenne 20 à 30 anglophones et francophones pour discuter avec des leaders d'opinion. Ce sont des conversations à bâtons rompus, ce qui permet un véritable dialogue. Cela a été l'occasion, surtout pour les anglophones, de se trouver face à face avec des souverainistes pour apprendre pourquoi les souverainistes estiment que l'indépendance est l'option de choix et, pour les anglophones fédéralistes, d'expliquer aux souverainistes pourquoi l'unité canadienne est préférable.
Ces conférences se déroulent dans un esprit d'harmonie et de dialogue véritable et ouvert en partie parce qu'il n'y a pas de caméras de télévision pour saisir chaque mot prononcé.
M. Mauril Bélanger: Voulez-vous dire que nous devrions nous débarrasser des caméras de télévision?
M. Dermod Travis: Des débats publics comme celui-ci sont aussi utiles.
M. Mauril Bélanger: Je suis d'accord.
Une voix: Combien de membres comptez-vous?
M. Dermod Travis: Plus de 300.
La coprésidente (la sénatrice Lucie Pépin): Sheila Finestone.
Mme Sheila Finestone: Je voudrais simplement faire une observation.
Vous représentez un grand nombre de jeunes au Québec qui sont tout à fait bilingues et qui ont fait leurs études au Québec. Je pense à mes enfants. Essayez de trouver un emploi. Ce n'est pas toujours facile, sauf si l'on change de nom et d'origine—soit dit en passant.
Mme Marlene Jennings: Et de couleur de peau.
Mme Sheila Finestone: Et de couleur de peau, me rappelle ma collègue. Tout à fait.
Je voudrais simplement vous rappeler que la Loi 101 limite dans un sens l'alinéa 23(1)a). L'article 23, en effet, serait parfait, mais cet article sans l'alinéa 23(1)a) est très limitatif et ne dit pas ce qu'il faut en fait d'égalité des droits pour les Canadiens d'expression anglaise au Canada, et en particulier au Québec.
Nous avons connu trop d'exemples pour prendre nos droits à la légère, droits que nous avons acquis et défendus. Le Québec devrait être très fier et est, je crois, très fier des réalisations de sa population d'expression anglaise.
Regardez le dernier numéro publié par McGill et voyez le nombre de boursiers Rhodes du Canada. C'est le Québec qui en a le plus au pays. Cela parce que nous avons un bon système d'enseignement, qu'il faut respecter et conserver. Il est évident qu'il ne faut pas en écarter ceux qui parlent anglais, quel que soit leur pays d'origine. C'est leur langue, et cela ne les empêche pas d'apprendre le français, de se donner une autre ouverture sur la culture et la langue.
La coprésidente (la sénatrice Lucie Pépin): Merci, madame.
Sénateur Beaudoin.
Le sénateur Gérald A. Beaudoin: Le sénateur Grafstein a parlé de la déclaration selon laquelle le Québec ne reconnaît pas la Constitution de 1982. Il s'agit évidemment d'une déclaration purement politique, parce que si une province se présente ici, en vertu de l'article 43, pour demander un amendement au Parlement canadien, c'est qu'elle reconnaît implicitement la Constitution; qu'elle en profite. Cela terminera le débat.
Je voulais simplement que cela soit précisé, au cas où cela devienne nécessaire.
[Français]
La coprésidente (la sénatrice Lucie Pépin): C'est terminé.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Au nom de tout le monde ici, je tiens à vous remercier beaucoup de votre participation cet après-midi.
M. Dermod Travis: Merci.
[Français]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Nous arrêterons nos délibérations pendant une minute de façon à permettre au prochain groupe de prendre place.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Nous poursuivons les audiences du Comité mixte spécial pour modifier l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 concernant le système scolaire au Québec, conformément à l'ordre de renvoi du 1er octobre 1997.
Il nous fait plaisir d'accueillir maintenant la Centrale de l'enseignement du Québec, représentée par sa présidente, Lorraine Pagé, par Luc Savard, président (FECS), et par Jean Marcel Lapierre, conseiller.
Madame et messieurs, bienvenue. Avons-nous la version anglaise du mémoire?
[Traduction]
La greffière m'a dit qu'on l'avait envoyé à la traduction. Ce n'est pas encore prêt.
[Français]
Madame Pagé.
Mme Lorraine Pagé (présidente, Centrale de l'enseignement du Québec): Je vous présenterai la CEQ en quelques mots.
La CEQ représente 130 000 membres, 240 syndicats affiliés et, il est important de le signaler, la totalité du personnel enseignant dans les commissions scolaires pour catholiques francophones et la totalité du personnel professionnel dans les commissions scolaires, autant pour catholiques que pour protestants. Nous avons donc une connaissance fine du système scolaire.
Je voudrais vous dire tout d'abord que la CEQ a réagi favorablement, en janvier 1997, à la décision du gouvernement du Québec de demander au Parlement d'Ottawa son accord pour une modification constitutionnelle afin de permettre le remplacement des commissions scolaires confessionnelles par des commissions scolaires linguistiques. Nous avons pris une part active à l'examen du projet de loi 109 à l'Assemblée nationale puisque, entre autres, nous avons mis de l'avant une proposition sur le droit de vote des anglophones qui, je crois, a contribué à établir le consensus à l'Assemblée nationale sur le projet de loi 109.
• 1715
Pour nous, la déconfessionnalisation des commissions
scolaires de Québec et de Montréal et l'élimination du
recours à la dissidence sur une base confessionnelle ne
pourront se réaliser aussi longtemps que subsistent les
contraintes constitutionnelles qui apparaissent à
l'article 93.
Ma présentation sera axée sur trois
idées principales: la modification de l'article 93 est
une mesure pertinente, une mesure nécessaire et
une mesure urgente.
Pourquoi disons-nous que la modification de l'article 93 est une mesure pertinente? C'est parce que nous voulons que le Québec se donne un système scolaire conforme aux exigences d'une société pluraliste, respectueux des droits et libertés de ses citoyennes et de ses citoyens, où la liberté de conscience ne peut pas se trancher à la majorité.
Deuxièmement, nous voulons que le Québec se donne un système d'éducation plus cohérent, moins émietté, qui respecte l'égalité des droits et qui en fasse la promotion. Nous souhaitons également un système d'éducation qui favorise l'intégration à une même société civique de tous les groupes culturels et confessionnels qui composent le Québec moderne, tout en assurant une gestion distincte du réseau des écoles qui dispense l'enseignement en anglais.
Nous croyons que la création de commissions scolaires qui ne seraient plus constituées sur la base de la religion est largement souhaitée au Québec depuis de nombreuses années. Il y a une volonté d'adapter le système scolaire au pluralisme religieux. Les structures actuelles traditionnelles sont dépassées, anachroniques et inadaptées à l'évolution du Québec moderne où la pluralité des croyances est une réalité.
Les commissions scolaires confessionnelles ont été mises sur pied à une autre époque, dans un contexte où les chartes des droits et libertés consacrant la liberté de conscience n'existaient pas, et où la population se divisait principalement entre catholiques et protestants, avec une minorité juive.
Je voudrais démontrer que les soi-disant garanties dont on nous parle ont joué de façon défavorable à l'égard des protestants et des anglophones. Par exemple, actuellement à la Commission des écoles protestantes du Grand Montréal, soi-disant une commission scolaire desservant les les anglophones, les protestants sont minoritaires et les anglophones aussi. Il suffirait qu'à la suite d'une élection, ce soient des francophones ou des non-protestants qui prennent le contrôle de cette commission scolaire, et les droits dont on nous parle pour les anglophones et les protestants seraient alors tout simplement encadrés du fait qu'ils sont présentement minoritaires comme anglophones et comme protestants au sein de cette commission scolaire.
Enfin, la dernière raison pour laquelle nous disons que c'est une mesure pertinente, c'est parce que la progression de la diversité religieuse, l'autonomie des personnes par rapport aux croyances et aux Églises, la reconnaissance de l'égalité des droits et la séparation entre l'Église et l'État sont des changements qui doivent nous pousser à moderniser les structures scolaires du Québec.
Maintenant, pourquoi l'amendement 93 est-il nécessaire? Je sais que plusieurs vous ont dit que nous serions capables de transformer nos structures scolaires sans toucher à l'article 93. Je voudrais rappeler que ça fait depuis le milieu des années 1980 que le Québec, par plusieurs mesures législatives, a tenté de moderniser son système scolaire. Je pense ici à la Loi 3 de 1984, qui a été jugée inconstitutionnelle, et à la Loi 107 de 1988, qui était à l'époque pilotée par le ministre Ryan, qui a été jugée constitutionnelle et qui n'a jamais pu être mise en application parce que le ministre lui-même s'est rendu compte que les contraintes imposées par l'article 93 et affirmées par la Cour suprême faisaient en sorte qu'il était impossible de procéder sans créer un fouillis de structures scolaires, particulièrement à Montréal.
Je voudrais également vous rappeler que la Cour suprême, en janvier 1993, confirmait la constitutionnalité de la Loi 107 et statuait que les catholiques et les protestants de Montréal et de Québec disposaient d'une structure confessionnelle protégée par la Constitution.
• 1720
Ainsi, à Montréal, nous aurions eu une commission scolaire
anglophone avec un secteur catholique, un secteur
protestant et un secteur pour les autres; une commission scolaire
catholique dans laquelle on aurait retrouvé des
francophones et des anglophones; et une commission
scolaire protestante dans laquelle on aurait retrouvé
des catholiques et des protestants. C'est vous montrer
l'empilage de structures; c'est tout à fait
incompatible avec un souci d'efficacité dans la gestion
de la chose scolaire.
Un autre élément qu'il m'apparaît important de signaler, que l'on reconnaisse ou non la légitimité de l'application au Québec de la Charte canadienne des droits et libertés, c'est-à-dire la Constitution de 1982, c'est que cette charte a force de loi. D'ailleurs, la Cour suprême a déclaré dans un renvoi relatif à la Loi sur l'instruction publique de 1988, la Loi 107, que le gouvernement québécois poursuivait un but en harmonie avec l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. C'était un jugement non pas d'une cour québécoise, mais bien de la Cour suprême.
Quand on voit cette saga de projets de loi qui se sont fracassés sur les récifs posés par les garanties constitutionnelles de l'article 93, on voit bien que la nécessaire modernisation de notre système scolaire doit passer par l'amendement de l'article 93. Non seulement cet amendement est nécessaire, non seulement le changement de nos structures scolaires est nécessaire, mais la modification à l'article 93 est tout à fait indispensable pour pouvoir le réaliser.
Je termine par la question de l'urgence d'agir. Si Ottawa n'allait pas de l'avant, nous nous trouverions à appliquer la Loi 109 telle qu'elle a été adoptée par l'Assemblée nationale, une loi qui prévoit des mesures transitoires si l'amendement constitutionnel n'est pas adopté. Ces mesures transitoires comportent de graves conséquences, tout d'abord parce qu'elles maintiendraient pour Montréal et Québec un régime distinct de celui du reste du Québec; il nous semble que cela n'a aucun bon sens quand on parle de cohérence du système public d'éducation.
Deuxièmement, cela rendrait la gestion des commissions scolaires linguistiques d'une grande complexité. À notre avis, ce régime provisoire pourrait être contesté devant les tribunaux au chapitre de sa constitutionnalité, ce qui fait que nous nous devrions vivre un fouillis épouvantable à la rentrée scolaire de septembre 1998.
C'est donc pour l'ensemble de ces raisons que nous venons aujourd'hui vous dire que nous jugeons que l'amendement de l'article 93 est pertinent, compte tenu de notre réalité sociologique; qu'il est nécessaire, si on veut être capable de procéder aux changements qui sont utiles; et enfin que c'est une décision qui doit être prise de façon diligente, parce que c'est une urgence quand on considère la rentrée scolaire de septembre 1998.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci beaucoup, madame Pagé. Le premier intervenant sera Jason Kenney.
Mr. Jason Kenney: Thank you, Madam. The central assertion of your submission appears to be that the amendment is necessary to modernize the Quebec school system. I take that to mean that it's necessary to establish linguistic school boards in place of the denominational school boards. Our committee has received a significant amount of testimony that suggests that the amendment is not necessary to establish linguistic school boards, a view that appears to have been confirmed by the Supreme Court in its 1993 decision, which upheld the establishment of linguistic school boards as not being contrary to the ongoing presence of section 93. Of course, this is evidently the case right now as there is a transition going on under Bill 109 toward linguistic school boards, notwithstanding the fact that section 93 is operative.
My question to you is, apart from your assertion that 93 must be removed to allow for the establishment of linguistic school boards, what is the basis of your view? Why is it necessary? Legally, why can Quebec not establish linguistic school boards while maintaining the confessional guarantees provided by 93?
Mme Lorraine Pagé: Ce n'est pas ce que j'ai dit. Ce que j'ai dit, c'est que si nous voulons avoir seulement des commissions scolaires linguistiques, il faut procéder à l'amendement constitutionnel. Si on ne le fait pas, nous allons superposer des conseils scolaires linguistiques et des conseils scolaires confessionnels. À Montréal, pour reprendre mon explication, nous aurions un conseil scolaire francophone dans lequel il y aurait un secteur catholique, un secteur protestant et un secteur autre; d'autre part, nous aurions un conseil scolaire anglophone dans lequel nous aurions un secteur catholique, un secteur protestant et un secteur autre. S'ajouteront à cela une commission scolaire pour catholiques—il y en a tellement qu'on se mêle—dans laquelle il faudra offrir des services aux francophones et aux anglophones, et un autre conseil scolaire pour protestants, dans lequel il faudra offrir des services aux francophones et aux anglophones. Imaginez-vous le nombre de conseils scolaires sur le territoire d'une même ville!
C'est ce qui nous amène à dire qu'il faut faire disparaître les garanties confessionnelles pour permettre l'implantation de commissions scolaires linguistiques à l'étendue du territoire du Québec, que l'on soit à Montréal, à Québec ou n'importe où dans les régions du Québec.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, madame Pagé. Sénateur Beaudoin.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Je vous remercie d'avoir accepté de venir ici aujourd'hui et d'avoir exposé très clairement votre point de vue. L'argument concernant les superstructures est très clair.
J'ai posé la question à ceux qui sont venus avant vous et je pense que vous invoquez le même argument. Nous sommes dans un pays où il y a une séparation de l'Église et de l'État. Nous sommes dans un pays où on a la plus complète liberté de religion, ce qui inclut, selon la Cour suprême, le droit de ne pas en avoir. En 1867, dans le contexte de l'époque, on a adopté un système basé sur des structures confessionnelles; si je vous comprends bien, vous dites que la logique veut que l'on change ce système en un système adapté à une société moderne et pluraliste. C'est votre argument.
Je suis plus impressionné par cet argument que par le premier, quoique le premier m'impressionne aussi. Il y a des limites à avoir des structures et des superstructures. On peut comprendre, mais enfin, il y a des limites.
Alors, si j'ai bien compris, vous dites que le système actuel, qui est parfaitement légal, parfaitement constitutionnel, ne suit pas la logique d'un pays où il y a séparation de l'Église et de l'État et où deux groupes religieux ne doivent pas être privilégiés, alors que les autres ne le sont pas. C'est bien votre thèse du début à la fin?
Mme Lorraine Pagé: Oui, si on veut vraiment fonder un système sur des droits confessionnels, je crois que très rapidement, on n'échappera pas à un débat. En effet, en garantissant des droits confessionnels à seulement deux groupes confessionnels, ce qu'on fait dans les faits, on établit des privilèges pour certaines confessionnalités au détriment d'autres.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Là-dessus, vous me convainquez. Écoutez, si on prend la thèse des gens qui veulent des écoles confessionnelles, il faut étendre ces droits à tous les groupes religieux. Ça n'a pas de sens que deux soient protégés et non pas les autres. Si on prend l'autre thèse, à ce moment-là, il faut s'en remettre à la protection législative de l'enseignement religieux. Je pense que c'est très clair dans votre mémoire.
Mme Lorraine Pagé: Il est important de signaler d'abord, à cet égard, que toutes les lois qui ont été déposées au gouvernement du Québec, que ce soit la Loi 3, la Loi 107 du temps de M. Ryan, la Loi 109 actuelle de Mme Marois ou même l'actuel énoncé sur le curriculum scolaire, ont toujours consacré une place à l'enseignement religieux. Mais on y parlait d'enseignement religieux pour les catholiques et les protestants. D'ailleurs, le Québec invoque la clause nonobstant pour faire en sorte que ce soit balisé. On voit bien là qu'il y a une tendance qui, à un moment donné, sera questionnée. On sait déjà que des groupes religieux au Québec contestent ce fondement qui fait en sorte que certaines religions ont des garanties et d'autres pas. D'ailleurs, il faut aussi constater qu'actuellement, au Québec, les protestants sont moins nombreux que les gens d'autres religions ou sans religion. On ne peut même plus parler de groupes confessionnels majoritaires, à tout le moins dans le cas des protestants.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, madame Pagé.
Madame Christiane Gagnon.
Mme Christiane Gagnon: Puis-je céder la parole à ma collègue Francine?
Le coprésident (M. Denis Paradis): Certainement.
Francine Lalonde.
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Merci beaucoup, madame Pagé, monsieur Savard et monsieur Lapierre, d'être venus expliquer avec beaucoup de clarté la pertinence, la nécessité et l'urgence de procéder à cet amendement constitutionnel.
Ma question est dans la même veine. J'aimerais que vous décriviez davantage cette pluralité de religions, de même que l'évolution, notamment à Montréal, des mentalités qui font que revenir à des divisions comme celles qu'exigerait la Loi 109 n'équivaudrait pas à avancer vers une société plus pluraliste, mais au contraire à revenir à des divisions qui dans la réalité, que ce soit dans les écoles protestantes ou dans les écoles catholiques, ne coïncident pas avec l'enseignement qui est actuellement donné.
Je crois comprendre que l'Assemblée des évêques du Québec viendra comparaître. Nous connaissons déjà leur position, laquelle vise à assurer certaines garanties, bien qu'ils sachent par ailleurs quelle est la nature de l'enseignement qui est donné dans les commissions scolaires catholiques. J'aimerais vous entendre parler de cette pluralité qui force le changement.
Mme Lorraine Pagé: Actuellement, dans les commissions scolaires pour protestants, c'est encore plus évident, puisque les protestants sont maintenant minoritaires. Ils accueillent une bonne partie de la clientèle immigrante, entre autres dans leur secteur francophone, et par le fait même, les protestants ne sont pas majoritaires dans les structures protestantes.
Dans les commissions scolaires pour catholiques, pendant très longtemps, la CECM a eu une approche très restrictive. Elle ne voulait recevoir que des catholiques, ce qui explique d'ailleurs qu'à certaines époques, les Italiens et les Portugais entre autres sont allés massivement du côté protestant. Mais aujourd'hui, de plus en plus, même des enfants qui ne sont pas de foi religieuse catholique sont admis dans les écoles de la commission scolaire catholique, justement pour tenir compte de cette réalité que tout le monde connaît bien mais sur laquelle certains préfèrent fermer les yeux.
Je voudrais insister sur un élément qui m'apparaît important. Je ne voudrais pas que vous compreniez que c'est seulement la question des superstructures ou de l'enfilade des structures qui nous préoccupe. Nous croyons qu'un système public ne gagne pas à séparer les gens sur la base des confessions religieuses et que ce n'est pas le fondement d'une société véritablement démocratique où on fait participer les jeunes à une même société civique que de faire de la ségrégation sur la base de la religion.
Je crois qu'une société véritablement marquée au sceau du pluralisme, c'est une société où les gens de confessions religieuses différentes apprennent à coexister, à se respecter et à se comprendre. Cela passe beaucoup par la fréquentation d'une école commune, quelle que soit la religion, mais avec des gestions distinctes pour la minorité anglophone et la majorité francophone.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, madame Pagé.
Sénateur Grafstein.
[Traduction]
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Je tiens à remercier Mme Pagé et son groupe de nous avoir présenté cet excellent mémoire.
J'aimerais vous poser une question précise, parce que j'ai beaucoup apprécié votre argumentation. Je suppose que vos propos reflètent le point de vue très répandu au Québec de votre groupe. Vous avez dit très fermement que vous croyez à une société pluraliste, à la liberté et à la nécessité d'agir selon sa conscience. Vous avez reconnu que la Charte canadienne des droits est suprême et que le gouvernement du Québec, dans ses différentes lois sur l'éducation, a apporté des modifications dans le respect de la Charte canadienne, et en particulier de l'article 23.
• 1735
Je suppose ainsi que votre groupe n'aurait pas d'objection à
demander au gouvernement québécois de proclamer l'alinéa 23(1)a),
puisque, comme nous l'ont dit Alliance Québec et d'autres, cela
permettrait aux groupes minoritaires—qui ne doivent pas se sentir
menacés, avez-vous dit—d'être rassurés en ce qui concerne leurs
droits. Je suppose ainsi que la conclusion logique serait que votre
groupe n'aurait pas d'objection à ce que le gouvernement québécois
proclame un tel alinéa pour donner ce sentiment de sécurité et
rassurer ces divers groupes minoritaires.
[Français]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Madame Pagé.
Mme Lorraine Pagé: Je vais donner une partie de réponse à la blague, et l'autre de façon un peu plus sérieuse. S'il fallait appliquer l'alinéa 23(1)a), il faudrait appliquer l'alinéa 23(1)b), «là où le nombre le justifie», ce que le Québec n'a jamais fait. Nous avons toujours garanti un système scolaire garantissant l'enseignement en anglais à la minorité linguistique, même là où le nombre était très peu élevé, par exemple dans l'est du Québec. Dans cette région, il serait possible d'invoquer le critère «là où le nombre le justifie» étant donné la dispersion de la population anglophone sur le territoire. Il y a des endroits où on pourrait invoquer ce critère pour ne pas offrir le service en anglais, mais nous ne l'avons jamais fait et la société québécoise, à mon avis, ne veut pas le faire. Elle veut garantir à la communauté anglophone la gestion de ses écoles et le droit à un service d'enseignement en anglais.
Il faut bien comprendre que les gens qui veulent que le premier alinéa de l'article 23 soit proclamé au Québec souhaitent dans les faits un débat sur les critères d'admissibilité à l'école anglaise. Le Québec a déterminé que la première langue connue et apprise pour les anglophones, c'est celle de l'école anglaise qu'ils ont fréquentée au primaire. Nécessairement, cela fait en sorte que les immigrants fréquentent l'école française. Quand on veut susciter ce débat, ce qu'on veut dans les faits, ce n'est pas garantir les droits des anglophones, mais faire en sorte que les immigrants puissent choisir entre le système francophone et le système anglophone. Il n'y a peut-être pas unanimité au Québec sur cette question, mais il y a un très fort consensus pour ne pas remettre en jeu les critères d'admissibilité à l'école anglaise.
[Traduction]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Une question complémentaire, madame.
[Français]
Mme Lorraine Pagé: M. Lapierre aimerait peut-être compléter mon intervention.
M. Jean Marcel Lapierre (conseiller, Centrale de l'enseignement du Québec): Il faudrait peut-être signaler aussi que le niveau qui est accordé aux écoles de la minorité anglophone est le niveau le plus élevé qui est déterminé par l'arrêt Mahé pour l'application de l'article 23; c'est-à-dire que c'est un contrôle des écoles dans des conseils scolaires indépendants à la grandeur de la province. L'arrêt Mahé précisait différents niveaux dans l'application de l'article 23. Le niveau le plus élevé était le contrôle dans des conseils scolaires indépendants. Pour un nombre moindre d'élèves, on prévoyait une représentation au sein d'un conseil scolaire où la minorité se retrouvait avec la majorité. L'arrêt prévoyait même d'autres niveaux moindres. Partout au Québec, vous avez le niveau le plus élevé de droits.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Une courte question supplémentaire, sénateur Grafstein.
M. Jean Marcel Lapierre: L'arrêt Mahé, Mahé c. Alberta, portait sur les droits scolaires en Alberta et précisait les effets de l'article 23.
[Traduction]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Sénateur Grafstein, rapidement.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Je comprends ce que vous dites, mais permettez-moi de vous donner un autre exemple de la difficulté que nous rencontrons.
Un peu plus tard, nous allons entendre les groupes autochtones du Québec. Dans leur mémoire, ils déclarent, et je cite:
-
Nombre de nos membres mohawks, algonquins et micmacs ont fait leurs
études aux États-Unis, et non pas au Canada. Étant donné que le
Québec refuse de faire appliquer l'alinéa 23a) de la Charte, ces
parents et leurs enfants sont maintenant traités comme des
immigrants.
Donc, je le répète, il ne s'agit pas simplement de la minorité d'expression anglaise face à la minorité d'expression française qui veulent voir leurs droits préservés; ce sont les Autochtones qui veulent que l'on respecte leurs droits. Ils craignent—c'est une crainte—que, si cet amendement est adopté, ne soit menacé leur droit de décider si leurs enfants feront leurs études en langue autochtone, en anglais ou en français.
• 1740
Comment les rassurer en leur disant qu'ils peuvent exercer
leur droit en vertu de l'alinéa 23(1)a)?
[Français]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Madame Pagé.
Mme Lorraine Pagé: D'abord, je voudrais vous dire que les autochtones du Québec ont leur propre commission scolaire, la Commission scolaire Kativik.
La coprésidente (la sénatrice Lucie Pépin): Sur leur réserve, vous voulez dire?
Mme Lorraine Pagé: Non, ils ont une commission scolaire dont le siège social est à Dorval, en banlieue de Montréal, une commission scolaire pour les Inuits, une commission scolaire pour les autochtones et les Cris, la commission scolaire crie, qui gère directement son système scolaire. Ils ont une entente selon laquelle, bien sûr, ils ont de l'enseignement en français, puisque c'est la langue officielle au Québec, mais aussi l'enseignement de l'anglais langue seconde et, dès la deuxième ou la troisième année du primaire, ils ont aussi l'enseignement dans leur langue d'origine, soit le cri ou l'inuit. C'est même, à mon avis, une des rares provinces où les autochtones ont obtenu de telles garanties dans la gestion de leur système scolaire.
Bien sûr, dans d'autres régions, la situation peut être différente. Dans la région du Saguenay, par exemple, les élèves autochtones peuvent fréquenter les écoles de la commission scolaire, mais pour les Cris et les Inuits, il y a vraiment des commissions scolaires distinctes, gérées par les autochtones, avec lesquelles nous négocions directement d'ailleurs. Nous ne négocions pas avec le gouvernement du Québec, mais avec les représentants de la communauté pour l'ensemble des dispositions de la convention collective. Il y a là des dispositions très importantes pour eux à l'égard de l'enseignement dans leur langue d'origine à partir du milieu du primaire ou de l'équivalent.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci.
Mme Lorraine Pagé: Il y a déjà au Québec des encadrements qui répondent de façon très satisfaisante à des préoccupations par ailleurs très légitimes des Premières Nations.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, madame Pagé. Madame Sheila Finestone.
[Traduction]
Mme Sheila Finestone: Je suis très heureuse de pouvoir intervenir après le sénateur Grafstein, parce que je viens juste d'examiner les questions cruciales de droit et de procédure constitutionnels dont nous ont saisis les Autochtones, et en particulier le grand chef Fernand Chalifoux.
Il dit dans son mémoire:
-
[...] il y a environ 60 000 Indiens et Métis au Québec qui vivent
en dehors des réserves, en dehors des territoires cris et inuits du
Nord. L'Alliance autochtone du Québec représente environ les deux
tiers d'entre eux—quelque 7 500 personnes qui sont des Indiens
inscrits aux termes des dispositions de la Loi sur les Indiens et
qui n'ont pas de représentation démographique dans le contexte des
bandes prévues dans la Loi sur les Indiens[...]
Cela pose de gros problèmes. Ils vivent dans des régions isolées et rurales.
J'aimerais vraiment que vous me disiez si l'on a vraiment pu consulter suffisamment les Autochtones, sachant comment évoluent les dossiers autochtones, sachant qu'ils ont le droit, d'après moi, du fait de cette relation fiduciaire avec le Canada, de choisir soit l'anglais, soit le français.
Si je vivais au Québec, je choisirais de faire mes études en français et évidemment d'apprendre l'anglais. Mais c'est un droit qu'ils ont; du moins c'est comme cela que je vois les choses.
J'aimerais savoir jusqu'où vous êtes allés à ce propos. Ils semblent estimer qu'en supprimant les paragraphes (1) à (4) de l'article 93, vous les empêchez aussi d'avoir recours aux tribunaux dans le contexte d'une relation fiduciaire avec le gouvernement fédéral.
[Français]
Mme Lorraine Pagé: Je comprends bien la question de Mme Finestone. Peut-être y a-t-il certains éléments qui mériteraient d'être approfondis, mais je comprends difficilement comment une discussion sur les garanties confessionnelles doit nous mener à aborder la question des garanties pour les autochtones. Je m'y perds un peu.
Mme Sheila Finestone: Mais peut-être que c'est...
Mme Lorraine Pagé: Il me semble qu'on est là pour parler des garanties confessionnelles.
Mme Sheila Finestone: Madame Pagé, peut-être que c'est...
Le coprésident (M. Denis Paradis): Madame Finestone, s'il vous plaît, laissez terminer Mme Pagé.
[Traduction]
Mme Sheila Finestone: Si Mme Pagé ne suit pas ce que je dis, cela ne sert pas à grand-chose. J'aimerais préciser ce que j'ai dit.
[Français]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Vous reviendrez en supplémentaire. Veuillez permettre à Mme Pagé de répondre, s'il vous plaît.
Mme Lorraine Pagé: Je disais, madame Finestone, qu'il y a des questions très pertinentes qui mériteraient un examen plus poussé. Il faudrait probablement que je me reporte au mémoire que nous avions présenté à la commission d'enquête Erasmus-Dussault sur toute la question des autochtones pour approfondir un peu plus cette question.
• 1745
Malheureusement, je ne me suis pas préparée
aujourd'hui à aborder la question des autochtones.
Je venais réagir à des amendements à l'article 93, qui
touche les garanties confessionnelles. C'est donc
cette question que nous avons approfondie, mais il
me fera plaisir de revenir à Ottawa pour aborder la
question des autochtones avec des parlementaires. On
l'a déjà fait avec la commission d'enquête
Erasmus-Dussault et ça me fera plaisir de revenir sur
le sujet à une autre occasion.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Une question supplémentaire, madame Finestone.
Mme Sheila Finestone: Madame Pagé, Ottawa, c'est très joli et très beau, mais quand il a neigé comme il l'a fait, ce n'est pas exactement le meilleur voyage qu'on peut entreprendre. Ma question est très pertinente. La crainte qu'ils expriment dans leur dossier, c'est qu'en abrogeant l'article 93, on leur enlève leur accès pour défendre leur position et leurs besoins. Cependant, je n'ai pas dit qu'il fallait ou que je m'attendais à ce que vous abordiez la question.
Je connais très bien la raison pour laquelle nous sommes ici: c'est pour nous assurer qu'on a des écoles linguistiques, et non confessionnelles, et je suis d'accord. Mais ce n'est pas là ma question. Nous sommes ici parce que le Québec nous a demandé de nous pencher sur ce dossier, ce qui comprend aussi les questions que je vous ai posées.
[Traduction]
J'ajouterais un élément. Très franchement, je commence à en avoir assez d'entendre des statistiques sur le pourcentage de non- protestants dans les commissions scolaires protestantes d'expression anglaise. J'estime que cet argument est tout à fait déplacé. C'est comme de dire que un, c'est déjà trop; que c'est la même chose de tuer une personne ou dix mille.
C'est ridicule. La question, c'est que les écoles du secteur catholique n'étaient pas ouvertes aux non-catholiques, et c'est la raison pour laquelle les commissions scolaires protestantes l'ont été.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Madame Finestone...
Mme Sheila Finestone: J'estime que c'est une idée très importante qu'il ne faut pas oublier—et c'est un très bon exemple qui montre pourquoi on manque d'ouverture d'esprit.
Pour ce qui est des Autochtones, a-t-on jamais discuté de la question avec eux, étant donné qu'il n'y a jamais eu de discussions avec le reste de la population du Québec? A-t-on jamais discuté avec eux de leurs droits? Vous ont-ils parlé de leurs préoccupations à ce sujet?
[Français]
Mme Lorraine Pagé: Je voudrais que Mme Finestone comprenne bien que je n'ai pas dit que sa question n'était pas pertinente; j'ai dit que je ne m'étais pas préparée pour parler de la question autochtone aujourd'hui. J'ai même dit que j'étais disponible pour venir en parler à un autre moment, que ça nous fera plaisir. On avait présenté un avis qui avait été très bien reçu par la commission Erasmus-Dussault. Je suis très ouverte à discuter de la chose avec les parlementaires. À notre avis, les amendements à l'article 93, qui touche les garanties confessionnelles, ne viennent pas toucher les droits des autochtones; M. Lapierre pourra le préciser.
En terminant, je voudrais, parce que vous avez dit que vous étiez tannée de vous faire parler des non-protestants dans le secteur protestant, vous dire deux choses. Tout d'abord, il est vrai que pendant un temps, le secteur catholique n'a pas été ouvert. Les personnes que vous avez reçues cet après-midi, M. Pallascio en tête, étaient des tenants de cette thèse selon laquelle il ne fallait pas recevoir les non-catholiques. Ce sont ces mêmes personnes qui demandent le maintien des droits confessionnels.
Deuxièmement, aujourd'hui encore, même si le secteur catholique est plus ouvert, la pluralité fait que maintenant, dans le secteur protestant—-et ce n'est pas un reproche que je leur fais—, la garantie constitutionnelle qu'on donnait aux protestants n'est pas opérante. Comme ils gèrent leur système scolaire de façon ouverte—et c'est un hommage qu'on leur rend—, ils sont minoritaires dans les commissions scolaires qui devaient garantir leurs droits comme protestants.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, madame Pagé.
Mme Lorraine Pagé: Monsieur Lapierre, sur la question autochtone.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Brièvement, monsieur Lapierre. Plusieurs membres du comité désirent prendre la parole.
M. Jean Marcel Lapierre: Je voudrais simplement souligner qu'on ne voit pas en quoi l'article 93 pourrait être un moyen pour les autochtones de réclamer leurs droits. C'est ce lien qu'on a vraiment beaucoup de difficulté à faire.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci.
Madame Val Meredith.
Mme Val Meredith: N'est-ce pas justement là une des choses que la minorité protestante d'expression anglaise craint si l'on supprime l'article 93? Ne craint-elle pas justement de perdre ses fonds publics pour l'éducation, que des changements ultérieurs ne puissent lui refuser accès aux fonds publics pour l'éducation tel que cela lui est garanti dans l'article 93?
[Français]
Mme Lorraine Pagé: Je sais que c'est une crainte qui a été exprimée, d'ailleurs davantage par les franco-protestants que par les anglo-protestants, et là non plus je ne comprends pas. Tout d'abord, ce que nous disons, c'est que les écoles feront partie de commissions scolaires linguistiques, francophones ou anglophones, et deuxièmement que les dispositions actuelles de la Loi 109, tout comme l'énoncé ministériel sur le curriculum, prévoient du temps pour l'enseignement religieux ou moral, selon le choix des parents. Dans ce contexte, je ne vois pas quelles sont les craintes des parents franco-protestants ou anglo-catholiques.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, madame Pagé. Madame Marlene Jennings.
Mme Marlene Jennings: Non, ça va.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Ça va? Madame Gagnon.
Mme Christiane Gagnon: Je vous remercie, madame Pagé et monsieur Savard, de vos propos et de l'éclairage que vous avez donné quant à la superposition de commissions scolaires linguistiques et confessionnelles et à ce que ça pourrait donner en réalité.
Mais il y a un autre aspect qu'on a abordé. On a dit que ce sera une atteinte aux droits des minorités, protestantes ou catholiques, selon l'endroit où elles vivent. Quelques-uns des groupes nous ont proposé—et on a eu des questions à ce sujet—d'étendre des droits confessionnels à d'autres groupes religieux. Comme vous l'avez fait pour les commissions scolaires linguistiques et confessionnelles, j'aimerais que vous nous expliquiez ce que cela donnerait en pratique si on donnait à l'article 93 une plus grande ouverture. Les groupes qui tenaient à ce qu'on garde le statut confessionnel dans les commissions scolaires nous ont dit que ce n'était pas parce qu'ils ne voulaient pas que les autres aient ces droits, mais suggéraient qu'on les étende. Sur le plan pratique, qu'est-ce que ça donnerait?
Mme Lorraine Pagé: Je vous donnerai l'exemple de l'école Saint-Luc à Montréal, où on retrouve 62 confessions religieuses reconnues.
Mme Christiane Gagnon: Alors, si on étendait les droits...
Mme Lorraine Pagé: Si on étendait les droits, on pourrait à la limite avoir 62 sortes d'école sur une base confessionnelle.
Mme Christiane Gagnon: Différentes?
Mme Lorraine Pagé: Oui, 62 confessions religieuses différentes. Bien sûr, à ce moment-là, on tient compte que chez les protestants, on a autant l'Église Unie que les adventistes et les pentecôtistes, bien que je doive vous dire que ces deux derniers n'aiment pas du tout être noyés dans le bloc protestant, s'estimant très différents. On peut aussi ajouter à la liste les témoins de Jéhovah. En tout cas, on a identifié 62 confessions religieuses différentes lorsque les élèves ont indiqué leur langue d'origine et leur confession religieuse sur le formulaire d'inscription à l'école. Cela vous montre bien jusqu'où cela peut conduire. Cela amènerait nécessairement des gens à vouloir invoquer la dimension d'un nombre suffisant, mais assez rapidement aussi, on dira que la liberté de croyance ne doit pas se fonder sur un critère mathématique. Vous voyez très bien la boîte de Pandore qu'on ouvre à ce moment-là, d'où cette notion de commissions scolaires linguistiques.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Madame Pagé, je voudrais vous remercier, ainsi que ceux qui vous accompagnent, MM. Savard et M. Lapierre. Je vous félicite pour la clarté de votre exposé. Au nom de tous les membres du comité, merci pour cette présentation cet après-midi.
Avant d'ajourner, j'aimerais inviter tous ceux qui veulent partager avec nous des sandwichs à nous rejoindre dans la pièce voisine. Nous ajournons pour une demi-heure et nous accueillerons ensuite deux autres groupes.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Veuillez prendre vos places, s'il vous plaît. Nous reprenons les audiences
[Traduction]
de notre comité mixte spécial pour modifier l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 concernant le système scolaire au Québec, conformément à l'ordre de renvoi du 1er octobre 1997.
Nous avons le plaisir d'accueillir ce soir, de la Ligue catholique des droits de l'homme, M. David Brown.
Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Brown.
M. David Brown (premier vice-président, Ligue catholique des droits de l'homme): Merci beaucoup, monsieur le président.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Voici les règles du jeu: vous disposez d'environ huit à dix minutes pour nous faire un bref exposé, et ensuite les membres du comité vous interrogeront.
Vous avez la parole.
M. David Brown: Merci beaucoup.
Tout d'abord, au nom de la Ligue catholique des droits de l'homme, j'aimerais remercier le comité de nous avoir invités à comparaître devant vous.
La résolution dont sont saisis la Chambre, le Sénat et ce comité revêt une importance nationale profonde, et l'examen de la question en comité a permis de préciser certaines des préoccupations qui existent au sujet de cette résolution.
Je suis avocat de profession. C'est-à-dire que je pratique...
Une voix: Nous ne vous en tiendrons pas rigueur.
M. David Brown: Parfait.
Une voix: Une prise.
M. David Brown: ... ce dont vous m'excuserez, j'espère, mais n'empêche que mes remarques seront d'ordre juridique.
Vous avez sous les yeux le mémoire que j'ai préparé sur quelques-unes des préoccupations de la ligue quant à cette résolution.
Dans mon exposé de ce soir, j'aimerais m'arrêter tout particulièrement sur trois points: d'abord, les critères en fonction desquels ce comité doit analyser cette résolution; ensuite, l'incidence de l'adoption de cette résolution sur le Québec; et enfin, une proposition de solution que la Ligue catholique des droits de l'homme souhaite recommander au comité.
D'abord en ce qui concerne les critères dont devrait tenir compte ce comité, la résolution à l'étude constitue la première fois dans l'histoire canadienne où l'on demande au Parlement de modifier la Constitution afin d'éliminer un droit expressément protégé dans la Constitution. Voilà pourquoi nous pensons qu'il est très important que le Parlement formule des critères très clairs à appliquer afin de déterminer s'il y a lieu ou non d'accepter la résolution dont il est saisi.
Parce qu'il s'agit de droits confessionnels, le Parlement, à cause du libellé actuel de la Constitution, a un rôle encore plus important à jouer. Les paragraphes 93(3) et 93(4) confient en fait au Parlement le rôle de protecteur des droits confessionnels des minorités.
J'aimerais donc vous proposer ce soir un critère à trois volets que le comité pourrait utiliser dans son analyse de la résolution. J'aimerais dire que la première chose à exiger, c'est que la province qui présente la demande démontre clairement qu'il existe un objectif législatif urgent et important, irréalisable sans amendement constitutionnel.
Or, nous considérons que cela ne s'est pas produit dans ce cas-ci. Pendant que j'étais assis ici à écouter les témoins précédents, j'ai entendu de nombreuses références à la Loi 107, qui constitue une démonstration très claire que le plus haut tribunal a trouvé une façon qui permet à une province de mettre en place des commissions linguistiques tout en protégeant les droits confessionnels.
J'aimerais vous donner également l'exemple de ce qui se produit actuellement en Ontario. Nous sommes tout particulièrement conscients aujourd'hui du débat qui fait rage en Ontario sur la réforme de l'éducation.
En avril dernier, la province a adopté un projet de loi qui modifiait profondément la structure de l'éducation en Ontario. On a ainsi créé quatre sortes différentes de conseils scolaires. On a créé les conseils publics et les conseils séparés, qui se subdivisent en deux conseils linguistiques. En Ontario, donc, à l'heure actuelle, vous avez le conseil public, vous avez le conseil séparé public, vous avez le conseil public français et vous avez le conseil séparé français.
• 1835
Je pense que vous devez tenir compte de cela en déterminant
s'il est vraiment nécessaire pour le Québec d'apporter un
amendement constitutionnel afin de mettre en place un régime
essentiellement linguistique, comme l'a fait remarquer un des
témoins précédents, si cette multiplicité de commissions ne crée
pas des problèmes plutôt que des solutions. En Ontario, on tient
absolument à rationaliser et à réduire les coûts de l'éducation. Le
fait qu'on y a adopté un régime qui comprend quatre conseils
scolaires distincts porte à réflexion.
Dans un deuxième temps, le comité doit se demander si l'amendement a reçu le consentement informé, ou le consensus, de ceux dont les droits constitutionnels seront touchés si l'amendement est adopté. Dans ce cas-ci, le gouvernement fédéral a en partie reconnu cette nécessité. Lorsqu'on a déposé la résolution, le ministre intéressé a déclaré qu'il devait y avoir consensus avant que le Parlement n'accepte la résolution.
De notre point de vue, il est très important d'obtenir de ceux dont les droits seront touchés ce consentement ou ce consensus. Or, au Québec, les personnes dont les droits sont touchés par le paragraphe 93(1), ce sont les parents qui font partie de la catégorie de personnes protégées auxquelles la Constitution actuelle assure la possibilité d'obtenir une éducation confessionnelle pour leurs enfants. J'estime que c'est ce groupe que le comité doit consulter afin de déterminer s'il y a ou non consensus. Bien qu'il y ait d'autres intervenants dans le système d'éducation—syndicats, commissions scolaires, que sais-je—ils ne détiennent pas ce droit. Ce sont les parents qui ont ce droit.
Troisièmement, je recommande aux membres du comité d'accepter que tout amendement constitutionnel proposé n'empiète sur les droits constitutionnels garantis que dans la mesure minimum nécessaire pour réaliser l'objectif législatif. Ce n'est pas là un critère nouveau. J'ai simplement pris le critère préconisé et utilisé par la Cour suprême du Canada—celui de la dérogation minimale—pour déterminer si une loi empiète ou non sur les droits protégés par la Charte. À notre avis, le comité doit exiger qu'on lui démontre de la même façon qu'il y a dérogation minimale lorsqu'une résolution visant à modifier la Constitution empiète sur des droits protégés par celle-ci. Voilà donc mon premier point.
Ensuite, quelle sera l'incidence de l'adoption de cette résolution sur les écoles confessionnelles ou religieuses au Québec? En me préparant pour aujourd'hui, j'ai lu que certains prétendent que les écoles religieuses peuvent exister légalement sans être protégées aux termes du paragraphe 93(1). J'aimerais faire respectueusement remarquer à ceux qui ont avancé cette idée qu'à mon avis elle est sans fondement juridique pour trois raisons.
Premièrement, notre Cour suprême du Canada, dans l'affaire du projet de loi 30 de l'Ontario, qui remonte à 1988, a clairement indiqué que les droits confessionnels ou religieux découlent uniquement du paragraphe 93(1) de la Constitution. Nulle autre disposition de la Constitution ne les protège.
Deuxièmement, si les écoles confessionnelles ne sont pas protégées dans la Constitution et sont ensuite contestées aux termes de la Charte, elles seront éliminées. Elles seront éliminées le lendemain. Je peux l'affirmer avec une certaine assurance, car j'ai représenté un conseil scolaire public en Ontario qui offrait un programme d'éducation religieuse qui a été contesté aux termes de la Charte. Dans l'affaire du comté d'Elgin, une affaire importante dans ce domaine, ce programme d'éducation religieuse a été aboli parce qu'il contrevenait à la disposition de la Charte sur la liberté religieuse. La même chose se produira si les écoles confessionnelles du Québec sont exposées aux dispositions de la Charte.
Enfin, ces écoles disparaîtront parce que l'article 41 de la Charte du Québec n'offre pas la même protection à l'enseignement confessionnel que le paragraphe 93(1) de la Constitution. La Charte québécoise assure une protection législative, et non pas une protection constitutionnelle. Bien qu'il s'agisse d'un document extrêmement important, une loi modificatrice à l'Assemblée nationale suffit pour la modifier. En outre, les termes de l'article 41 de la Charte du Québec sont beaucoup plus limitatifs que les droits assurés aux termes du paragraphe 93(1).
J'aimerais maintenant passer au dernier point de mon exposé oral, les mesures que la Ligue catholique des droits de l'homme propose au comité.
• 1840
Lorsqu'une province présente une demande de résolution
constitutionnelle ou d'amendement constitutionnel, c'est très
sérieux, et cette demande doit être dûment prise en considération,
mais rien n'oblige le Parlement à accepter ou à rejeter
immédiatement la résolution. À notre avis, les présentes séances de
comité ont permis de déterminer que plusieurs groupes au Québec ont
des réserves très réelles face à la perte de leurs droits et face
à la situation de leurs droits ou de leurs écoles confessionnelles
si l'on abroge le paragraphe 93(1).
Vu ces préoccupations, nous proposons que votre comité recommande au Parlement de ne pas donner suite à la résolution pour l'instant. Nous recommandons plutôt que le Parlement renvoie la résolution à l'Assemblée nationale du Québec afin qu'on y étudie les préoccupations qui sont ressorties au cours de vos délibérations. Si la province de Québec reste d'avis qu'elle souhaite un amendement constitutionnel, alors elle devrait représenter la résolution et montrer clairement—en présentant des preuves devant votre comité et devant le Parlement—que sa demande répond au critère en trois volets que j'ai présentés au début de mon exposé.
Voilà, monsieur le président, mon exposé. Je suis tout à fait disposé à répondre aux questions.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci beaucoup, monsieur Brown.
Nous allons commencer par Jason Kenney.
M. Jason Kenney: Merci, monsieur Brown, de cet exposé des plus lucides.
Au cours de son témoignage devant ce comité, j'ai soumis au ministre Dion l'argument que vous présentez dans votre mémoire au sujet de la menace que représente la Charte pour le droit aux écoles confessionnelles si l'article 93 est modifié. Il m'a répondu essentiellement que pour que la Charte constitue une menace il faudrait une suite d'événements extrêmement hypothétiques, c'est-à-dire qu'il faudrait que l'Assemblée nationale du Québec choisisse de ne pas réinvoquer pour la Loi 109 la protection de la disposition dérogatoire, qu'un plaignant se présente pour contester la validité du financement public pour les écoles confessionnelles, etc.
Le ministre a donc rejeté cet argument. Il semble reconnaître cependant que c'est une menace possible, mais il ne la considère pas comme une menace réelle. À la lumière de votre expérience dans des affaires semblables en Ontario, qu'en pensez-vous? Quelle tournure pourraient prendre les événements au Québec, selon vous, si l'article 93 est modifié relativement à la protection du droit aux écoles confessionnelles aux termes de la Loi 109?
M. David Brown: Si les écoles confessionnelles ou religieuses du Québec étaient examinées à la lumière de la Charte, il suffirait qu'une seule personne intente des poursuites, aux termes de la Charte, pour que les tribunaux soient obligés d'examiner la question.
Permettez-moi de vous donner l'exemple concret de l'affaire du comté d'Elgin. Le comté d'Elgin fait partie de l'Ontario, au sud de London; il s'agit d'une région à prédominance chrétienne, à forte présence mennonite. Environ le tiers de la population est mennonite. Il y avait un programme d'enseignement religieux dans les écoles publiques. L'Association canadienne des libertés civiles a appuyé un parent du comté d'Elgin qui a intenté des poursuites afin de contester ce programme parce que contraire à la Charte.
Il suffit d'un seul groupe d'intérêt public—l'Association canadienne des libertés civiles est un groupe très important et reconnu—pour intenter ce genre de poursuites. La même chose pourrait se produire au Québec dans l'éventualité d'une contestation aux termes de la Charte.
L'affaire du comté d'Elgin, en Ontario, a eu pour résultat l'interdiction de l'enseignement religieux dans les écoles publiques, même si la participation à ces cours était purement volontaire. Le système en place au moment de la contestation devant les tribunaux était obligatoire, mais prévoyait une exemption automatique. La Cour d'appel de l'Ontario a déclaré que cela allait à l'encontre de la Constitution.
Depuis, des groupes se sont adressés à la Cour d'appel de l'Ontario pour demander si un système volontaire de participation à l'enseignement religieux de leur choix pouvait être offert dans les écoles publiques, à la demande des parents. La Cour d'appel a considéré que cela aussi contreviendrait à la Charte.
En pratique, voilà ce qui arrivera si l'on abroge cette disposition de la Constitution.
M. Jason Kenney: Toutefois, les partisans de cet amendement, au Québec, font valoir que le droit aux écoles confessionnelles prévu dans la Loi 109 n'est pas assujetti à la Charte grâce à la disposition dérogatoire. Ils maintiennent que c'est l'intention de l'assemblée législative du Québec de continuer à soustraire ces écoles à toute poursuite intentée en vertu de la Charte. Pourquoi cette protection n'est-elle pas adéquate?
M. David Brown: Ce serait inadéquat pour une autre raison. Tout d'abord, si les droits de quelqu'un dépendent de la dérogation à la Constitution invoquée par le gouvernement, ces droits ne valent pas grand-chose. En réalité, ces droits dépendent du bon vouloir de la majorité, à tout moment, et si la majorité change d'avis, les droits de la minorité disparaîtront.
• 1845
Au Québec, il faut également tenir compte du fait qu'il y a la
Charte des droits du Québec et que l'une de ses dispositions—je
m'excuse, j'oublie le numéro précis de l'article—protège
l'égalité, comme le fait l'article 15 de la Charte canadienne.
C'est l'article 18?
Une voix: L'article 16.
M. David Brown: D'accord. Ainsi, un groupe de parents juifs pourraient décider, à juste titre, qu'ils souhaitent avoir des écoles financées par les deniers publics pour l'éducation de leurs enfants. Ces parents pourraient alors contester les systèmes catholique et protestant aux termes de la disposition sur l'égalité de la Charte québécoise, et probablement avec un certain succès, si ces écoles confessionnelles n'étaient pas protégées aux termes de l'article 93 de la Constitution.
Je dois dire que nous appuyons fermement la possibilité pour tout parent, de quelque religion qu'il soit, d'obtenir pour ses enfants un enseignement conforme à ses convictions religieuses. En fait, l'an dernier, devant la Cour suprême du Canada, j'ai représenté un groupe de parents protestants associés à un groupe de parents juifs pour plaider que le gouvernement de l'Ontario devrait financer les écoles protestantes, les écoles juives, les écoles musulmanes, etc. La Cour suprême du Canada ne nous a pas réservé un très bon accueil, disant: «Retournez et parlez à vos politiciens. Il ne s'agit pas d'un droit protégé par la Constitution, mais essayez de l'obtenir en faisant des pressions.»
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur Brown.
Sénateur Grafstein.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Monsieur Brown, merci de ce mémoire. J'ai deux questions typiques à poser; je vais traiter de l'aspect juridique d'abord, et ensuite de l'aspect politique.
Tout d'abord, le ministre et d'autres nous ont dit, pour justifier cet amendement, que, bien que les droits ou privilèges limités que confère l'article 93 allaient disparaître, nous disposons maintenant d'un filet de sécurité constitutionnel beaucoup plus grand pour protéger les droits confessionnels et la liberté de religion.
Le ministre nous a rappelé l'existence de l'article 23 de la Charte. On pourrait également invoquer l'article 2 ou l'article 15 de la Charte. Vous avez déjà mentionné le fait que la Charte du Québec est générale. En outre, il y a le droit des parents d'élever leurs enfants selon leurs convictions religieuses, comme le précisent les Nations Unies.
Donc, en 1997, nous avons un filet constitutionnel beaucoup plus grand, si on veut, ou de plus nombreux droits pour ces personnes. En réduisant la portée de l'article 93 ou en l'abrogeant, nous ne l'abrogeons pas vraiment; nous y substituons un ensemble différent de droits. Ce n'est pas vraiment un ensemble de droits qui disparaît; c'est un ensemble de droits qui s'envole, parce que ces droits étaient limités à deux groupes, les catholiques et les protestants, en faveur d'un choix beaucoup plus vaste.
Voilà l'argument invoqué essentiellement par des groupes tels qu'Alliance Québec, les enseignants catholiques et les syndicats que nous venons d'entendre aujourd'hui.
Nous avons également abordé avec certains la question du droit du gouvernement fédéral de désavouer une loi provinciale. On peut faire valoir que ce mécanisme est tombé en désuétude, mais il existe toujours. Qu'en pensez-vous?
Autrement dit, ce n'est pas comme s'il y avait une absence de droits; il y a un ensemble de différents droits à la disposition de ceux qui jugent qu'il y a eu élimination flagrante de leurs droits. Ce n'est pas comme si c'était une absence de droits. Je ne suis pas certain que ce soit tout à fait nouveau, cette disparition de droits. Cela signifie que certains droits qui étaient limités sont éliminés, mais aujourd'hui il y a un ensemble de droits beaucoup plus vaste.
M. David Brown: Sénateur, il y a une différence entre la théorie et la réalité. Au bas de la page 6 de mon mémoire, je cite moi-même certaines des conventions internationales auxquelles vous venez de faire allusion.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Oui.
M. David Brown: On constate à la lecture que les garanties qu'on y trouve sont très vastes. Chaque parent est censé avoir le droit de faire instruire son enfant en conformité avec ses convictions religieuses. Mais la réalité, toutefois, de l'application de la disposition sur la liberté de culte à l'article 2 de la Charte ne soutient pas le choix des parents dans l'enseignement; elle a eu pour résultat de supprimer la moindre présence de la religion dans les systèmes scolaires financés par les fonds publics.
• 1850
Peu importe que ce soit bon ou mauvais en théorie, telle est
la réalité des décisions de la Cour suprême du Canada, qui ont
abouti l'an dernier à l'arrêt Adler, dans lequel il est stipulé
qu'au Canada les parents n'ont pas selon la Constitution le droit
à l'instruction publique de leurs enfants dans un cadre qui
concorde avec leurs convictions religieuses, qu'ils soient juifs,
musulmans, etc. Cela n'existe pas. Il s'agit de la décision la plus
récente de la Cour suprême du Canada.
Pour ma part, je ne comprends pas pourquoi le tribunal adopte cette position si l'on considère les conventions internationales très claires auxquelles nous sommes partis, y compris la Convention relative aux droits de l'enfant ainsi que d'autres pactes très convaincants en Europe. Mais c'est ce qui est arrivé. Le paradoxe, c'est donc que la disposition sur la liberté de culte dans la Charte a servi à faire disparaître le culte dans l'enseignement public au pays, et le tribunal a abondé en ce sens. Quant à savoir si cela changera dans l'avenir, je l'ignore.
La réponse à votre question, c'est que les deux droits paraissent bien sur le papier, mais dans la pratique ils vont disparaître, et le paragraphe 93(1) est notre dernier rempart.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Une partie du problème, c'est qu'il faut faire ici une analyse de texte et la comparer à la réalité politique. C'est pourquoi il faut examiner les textes.
Je vais aborder rapidement le deuxième point. Il s'agit de l'autre critère que vous appliquez, et que j'accepte—son application, c'est autre chose—et c'est la question du consensus. Nous pouvons dire à juste titre, je crois, que le comité, qui a pour but d'écouter les Québécois, essaie du mieux qu'il peut de mesurer le degré de consensus au Québec, vu qu'il n'y a pas eu d'audiences à l'Assemblée nationale...
M. David Brown: Précisément.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Nous essayons donc de répondre à votre critère.
À ce jour, il y a les enseignants catholiques, qui appuient l'amendement, et Alliance Québec, un groupe aux larges assises, qui appuie l'amendement. Il s'agit donc d'un groupe catholique, d'un côté, et de l'alliance, à la composition plus vaste, des catholiques et des protestants, qui englobe peut-être des droits minoritaires et des religions aussi. Il y a les syndicats, évidemment, qui eux aussi sont diversifiés. Et puis il y a les groupes plus petits.
Le groupe qui semble être contre, à part vous et certains autres, ce sont les commissions scolaires. Autrement dit, les particuliers sont d'accord, mais les commissions scolaires disent non. Je peux en conclure deux choses, et je voudrais que vous m'aidiez. D'abord, c'est que les droits sont touchés; l'autre, c'est qu'il y a une lutte de pouvoir, les commissions scolaires essayant de conserver le pouvoir au moment où l'on essaie de se doter d'un système d'enseignement plus progressiste.
Ce n'est donc pas qu'il n'y ait pas de consensus, mais il s'agit de voir comment, vu les faits que l'on nous a communiqués, l'on interprète ce consensus.
M. David Brown: Je n'irai pas par quatre chemins. Comme je l'ai dit dans ma déclaration, les droits dont nous jouissons en vertu de l'article 93(1) de la Constitution sont les droits de faire instruire nos enfants dans un certain type d'école. Ceux qui exercent ces droits sont les parents. Ce ne sont pas les enseignants, ni les syndicats, ni les commissions scolaires. Les enseignants, les syndicats et les commissions scolaires sont bien sûr là pour aider à l'instruction des enfants, mais avec les années ils acquièrent des droits et des intérêts privilégiés.
Si vous cherchez un consensus, il faut que vous le cherchiez parmi ceux qui détiennent ces droits, et ce sont les parents, parce que ce sont eux qui au premier chef sont chargés de l'instruction des enfants et ce sont eux qui sont désignés à l'article 93, la catégorie de personnes qui jouissent du droit confessionnel de faire instruire leurs enfants.
C'est donc eux, à mon avis, que le comité devrait écouter pour voir s'il y a consensus entre eux. S'il n'y en a pas ou s'il y a un nombre important de parents qui appuient la création de commissions linguistiques et qui veulent néanmoins conserver la possibilité de faire instruire leurs enfants dans un milieu confessionnel, alors le comité devrait en tenir compte, à mon avis.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Monsieur le président, je veux revenir là-dessus.
J'accepte ce que vous dites, mais encore une fois il faut examiner ce que nous avons sous les yeux.
M. David Brown: Fort bien.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Et ce que nous avons devant nous, ce sont des indications très claires venant de l'Association des enseignants catholiques... Je leur ai demandé si oui ou non ils représentaient la position des parents, et de façon implicite et explicite ils ont dit—je ne veux pas les citer hors contexte—qu'il y a effectivement beaucoup de liens entre eux. Et ils représentent 3 000 enseignants catholiques dans la province.
De plus—et je suis conscient de la distinction—il faut, et c'est difficile, essayer de comprendre en la nuançant la position des évêques catholiques, qui en fait ne sont pas contre. Ils ne sont pas pour, mais ils ne sont pas contre.
• 1855
Il est donc difficile pour nous d'accepter qu'on nous dise
qu'il y a un fort consensus contre. Ce n'est pas ce que j'ai
entendu jusqu'à présent. Cela viendra peut-être, mais ce n'est pas
encore le cas.
M. David Brown: J'ai deux réponses courtes. Tout d'abord, cela crée un précédent, comme je l'ai dit. C'est la première fois que l'on vous demande de faire ce genre de chose. Au-delà des particularités du cas québécois, il vous faut formuler un critère général qui s'appliquera à d'autres situations. Une autre résolution attend en coulisses, et comme il s'agit de quelque chose de nouveau vous devez adopter un critère général qui pourra être appliqué par la suite de façon juste et uniforme.
Quand vous parlez d'abroger des droits garantis par la Constitution, je trouve que vous devriez d'abord voir qui détient ces droits et qui en bénéficie. Cela fait, c'est à eux que vous devrez vous adresser pour voir s'il y a un consensus. Dans le domaine des droits à l'enseignement, il s'agit des parents.
Vous parlez ensuite des évêques. Si j'ai bien compris ce que les évêques n'ont pas dit—ce qui est une façon alambiquée de parler des évêques—c'est... Les évêques du Québec ont été très clairs: ils disent depuis les années 80 qu'ils sont en faveur des commissions scolaires linguistiques, mais assorties de garanties confessionnelles. C'est la position qu'ils ont prise en public. Que je sache, ils ne se sont pas prononcés sur la question de savoir si le paragraphe 93(1) devrait ou non être abrogé, parce que ce n'est pas de la compétence des évêques. Ils n'ont pas les connaissances techniques voulues pour savoir comment l'on s'y prend dans ce domaine. Mais ils...
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Monsieur Brown, une seule observation. Le cardinal Carter en Ontario n'est pas aussi délicat lorsqu'il aborde ces questions. Je comprends ce que vous dites, mais je viens d'une province où Son Éminence parle avec une clarté absolue de ces questions—une clarté absolue, sans la moindre ambiguïté. Quand je constate qu'il y a de l'ambiguïté au Québec, je me pose des questions.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur le sénateur. La parole est maintenant donnée à M. Peter Goldring.
M. Peter Goldring (Edmonton-Est, Réf.): Merci, monsieur Brown.
Je veux soulever un point ici—cela a peut-être déjà été fait. Je cite:
-
Dans l'histoire du Canada, jamais une modification
constitutionnelle qui n'a eu pour effet d'abolir des droits
garantis aux minorités. Au contraire, on a cru que la Charte
promulguée en 1982 annonçait une époque où les droits des minorités
seraient mieux protégés.
Dois-je comprendre qu'à votre avis l'actuel article 93 pourrait être amélioré, plutôt qu'éliminé, dans le but de réformer l'enseignement au Québec?
M. David Brown: C'est ce que je pense parce que comme le sénateur l'a dit dans son intervention, il existe un grand nombre de conventions internationales auxquelles le Canada a adhéré qui stipulent expressément que les parents ont le droit de faire instruire leurs enfants dans la religion de leur choix. Le Canada ne le permet pas. À mon avis, la meilleure façon de le faire est d'élargir les garanties constitutionnelles de manière à aligner la réalité des droits de l'homme en matière de confessionnalité sur les conventions internationales actuelles.
La solution est donc d'étendre les droits parce que de nombreux groupes peuvent en toute légitimité dire que ces droits ne devraient pas être l'apanage exclusif des catholiques et des protestants. Je suis d'accord. Les parents de toute confession religieuse au pays aujourd'hui devraient avoir ce droit. Et on n'arrivera pas à ce résultat en abrogeant la seule garantie constitutionnelle qui existe. Vous utilisez la seule qui existe comme un tremplin pour mettre ces droits à la disposition d'autres parents.
M. Peter Goldring: Une question supplémentaire, monsieur Brown. Combien de membres compte votre organisation? Avez-vous été consultés à propos de l'abrogation de l'article 93 en échange de droits à l'instruction? Votre organisation a-t-elle été consultée?
M. David Brown: Nous n'avons pas été consultés, mais je ne m'attendais pas à ce que nous le soyons. Nous sommes en fait une organisation nationale de laïcs et nous comptons des membres dans toutes les provinces. Dans un cas comme celui-ci, ce sont les parents catholiques du Québec qui devraient être consultés. Mais nous sommes heureux que le comité nous ait invités pour que nous puissions représenter des vues plus larges.
Pour ce qui est du nombre de membres que nous comptons, si l'on combine particuliers et organismes, la dernière fois, le chiffre variait entre 4 000 et 6 000.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci beaucoup. Je donne maintenant la parole à Marlene Jennings.
Mme Marlene Jennings: Merci.
Je suis très sensible à ce que vous avez dit à propos du fait que le comité devrait d'abord consulter ceux qui jouissent du droit aux commissions scolaires confessionnelles garanti par l'article 93 et vous avez bien rappelé qu'il s'agit des parents. Un des groupes qui a comparu est la Fédération québécoise des comités de parents. Elle représente les comités de parents de toute la province et a affirmé très clairement devant nous qu'elle appuie la résolution de l'Assemblée nationale du Québec en faveur de l'abrogation des paragraphes (1) à (4) de l'article 93.
Que répondez-vous à cela? J'ai aussi une question supplémentaire.
M. David Brown: Je vais donc répondre brièvement pour pouvoir répondre à votre question suivante.
Le rôle du comité est d'entendre autant de gens que possible. Je suis sûr que vous allez trouver des parents qui ont un point de vue différent. C'est à vous de voir combien de parents ces groupes représentent. Je crois savoir qu'il y a eu des associations de parents ou des groupes de parents qui représentent plusieurs centaines de milliers de parents qui s'opposent à ce projet.
Ce sera une décision difficile à prendre pour le comité au bout du compte. Croyez bien que je n'affirme pas que s'il y a 99,9 p. 100 de gens pour, le dixième de pourcentage qui reste devrait faire obstacle au projet. Ce n'est pas le cas. Mais si entre 25 et 40 p. 100 de ceux qui jouissent de ce droit disent non, ne devrais-je pas pouvoir conserver ce droit? C'est un nombre très important. C'est suffisant, à mon avis, pour amener le comité à dire au Québec qu'il comprend ce que le gouvernement veut faire, mais qu'il doit y avoir moyen de s'y prendre pour entamer le moins possible les droits des parents qui restent parce que même s'ils sont minoritaires, leur nombre est important.
Chaque fois que l'on parle des droits de la minorité, forcément, ils seront minoritaires.
Mme Marlene Jennings: Merci.
L'autre chose que je voulais soulever—et je ne suis pas certaine si la question a été posée ou non, et pour cette raison, j'espère que les coprésidents seront indulgents—c'est la position des évêques du Québec. Une lettre de l'Assemblée des évêques du Québec a été envoyée à M. Dion et a été déposée ici. Les extraits en ont été lus ici et en fonction de celui qui la lit, la citation s'arrête là où cela sert mieux ses intérêts. Je voudrais donc lire pour les besoins du compte rendu le passage où l'évêque, qui est le président de l'Assemblée, discute justement de la question de l'amendement. Je lis:
-
Nous ne nous sommes pas prononcés, cependant, sur le ou les moyens
à prendre pour opérer ce changement. Les discussions actuelles
portent sur des modifications à l'article 93 de la Loi
constitutionnelle de 1867. Il nous faut ici préciser que notre
Assemblée n'a jamais milité en faveur de l'abrogation de
l'article 93. Nous savons que d'autres moyens que ceux que vise
l'article 93 auraient pu rendre possible le changement souhaité.
Notre Assemblée ne s'est pas opposée toutefois au choix menant à
modifier l'article 93. Notre conviction a toujours été que le choix
des moyens était la responsabilité des instances politiques.
-
Notre acceptation du changement du statut des commissions scolaires
a toujours été accompagnée d'une condition: que les garanties
confessionnelles que la loi 107 a établies soient maintenues. Les
droits que cette loi a clairement reconnus sont au coeur de
l'héritage que l'histoire nous a légué.
Il apparaît clairement à la lecture de cette lettre que les évêques ne s'opposent pas à l'abrogation de l'article 93 et que c'est aux instances politiques de choisir les moyens de réformer le système scolaire québécois. Ils réclament toutefois que les garanties de la loi 107 soient reconnues. Ces garanties, à mon avis, pourraient résister à des contestations judiciaires fondées sur la Charte, parce que ces garanties ne sont pas l'apanage des protestants et des catholiques. Il est tout à fait clair que les parents québécois auront le droit de choisir la désignation confessionnelle de chaque école et qu'il y aura des cas où dans certaines écoles la majorité des parents choisira une affiliation confessionnelle qui n'est ni protestante ni catholique, ce qui semble être très différent de ce qui existe en Ontario.
• 1905
Pourriez-vous me dire si j'ai bien décrit et interprété les
faits?
Des voix: Oh, oh!
Mme Marlene Jennings: Êtes-vous contents?
Des voix: Oh, oh!
Le coprésident (M. Denis Paradis): Allez-y, monsieur Brown.
M. David Brown: Il y a effectivement eu beaucoup de débats autour de la lettre des évêques. C'est leur lettre à eux. Ils sont très clairs sur la question des garanties confessionnelles.
Vous me demandez si ces garanties, si elles n'existent que dans la loi 107—ou ce qui a été mis en oeuvre sous le nom de Loi 107—résisteront à l'examen de la Charte. La réponse est non. Pour deux raisons.
D'abord, les garanties de la Loi 107 sont expressément à l'intention des protestants au Québec. J'oublie l'article—c'est l'article 218 ou à peu près—où il est possible de désigner une école, mais on ne peut choisir qu'entre protestante ou catholique. Ce sont les deux seuls choix qu'offre la Loi 107.
Deuxièmement, elle sera attaquée en vertu des dispositions 2a) et 15 de la Charte et subira sans doute le même sort que la loi ontarienne. Faute d'une garantie dans la Constitution canadienne, je ne crois pas que toute autre protection des lois confessionnelles résistera à une contestation en vertu de la Charte.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci. La prochaine intervenante est Mme Sheila Finestone.
Mme Sheila Finestone: Monsieur Brown, j'ai lu un certain nombre de vos documents. Ils sont tous très intéressants et vous êtes très convaincant.
Si j'avais ma propre baguette magique, je dirais à propos des coûts par habitant que chaque enfant et chaque famille devraient recevoir une quote-part de cet argent et ensuite avoir le droit de choisir ou bien l'anglais ou le français et aller de l'avant. Toutefois, comme ce n'est pas le cas...
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Sheila comme premier ministre!
Des voix: Oh, oh!
Mme Sheila Finestone: Je pense que ce serait une solution fantastique. Quoi qu'il en soit, j'ai écouté vos arguments très convaincants et je pense—comme d'après moi l'article 93 pourrait disparaître sans qu'on y perde quoi que ce soit—que les droits de la minorité de régir ou de gérer les écoles ou les commissions scolaires ne sont pas protégés par l'article 93. J'aimerais savoir si vous êtes du même avis que moi. Est-ce que j'ai raison?
M. David Brown: Au Québec?
Mme Sheila Finestone: Au Québec et ailleurs en vertu de l'article 93.
M. David Brown: Oh, non. En Ontario... vous plongez dans les arcanes d'un siècle de jurisprudence et je sais que je vais pénétrer dans un champ de mines et me tromper dans ma réponse. C'est comme un examen de droit de première année.
En Ontario, la gestion et le contrôle sont expressément garantis. Au Québec, la situation est plus nuancée. Le juge Betz a dit que sont garantis les droits confessionnels ainsi que les moyens de les exercer même si l'endroit où ils peuvent l'être peut changer dans le temps et même si dans un autre cas vous avez accès à votre quote-part proportionnelle des impôts.
Au bout du compte, il faudra trouver un endroit. Que ce soit une commission scolaire ou quelque chose d'autre, cela ne sera peut-être pas précisé dans la Constitution.
Mme Sheila Finestone: En vertu de l'article 23, vous jouissez de tout cela, parce que les choses qui à mon avis ne semblent—et qui nous ont été présentées par l'Association provinciale des enseignantes et enseignants protestants du Québec dans son analyse—ne sont pas protégées par l'article 93. Ce sont les suivantes: les commissions scolaires comme telles ne sont pas protégées; les droits linguistiques ne sont pas protégés; les droits de la minorité linguistique ne sont pas protégés; le droit de la minorité de régir et de gérer des écoles ou des commissions scolaires n'est pas protégé; l'enseignement de la religion dans les écoles n'est pas protégé; la désignation des écoles comme catholiques ou protestantes n'est pas protégée; le droit de lever des impôts n'est pas protégé; et le droit de définir le programme n'est pas protégé.
J'en conclus que vous ne souscrivez pas à cette analyse.
M. David Brown: Sauf votre respect, ils n'ont pas bien compris la décision de la Cour suprême du Canada et le renvoi à la Loi 107. J'invite le comité à prendre connaissance de cet arrêt. Il est intéressant parce qu'il crée la distinction entre le contrôle, la gestion et le programme au sein du système scolaire.
Le juge Betz a été très clair. Et sauf tout le respect que je dois à ces personnes, elles ont mal compris l'analyse du juge Betz.
[Français]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Mauril Bélanger.
[Traduction]
M. Mauril Bélanger: Monsieur Brown, pour commencer, au point 2 de la page 3, vous dites ceci:
-
Deuxièmement, dans l'histoire du Canada, jamais une modification
constitutionnelle n'a eu pour effet d'abolir des droits garantis
aux minorités.
Parlez-vous de droits confessionnels?
M. David Brown: Non. Corrigez-moi si je me trompe, mais à ma connaissance on n'a jamais modifié la Constitution pour éliminer un droit garanti à la minorité.
M. Mauril Bélanger: Mais les droits dont vous parlez ici, est-ce que ce sont des droits confessionnels?
M. David Brown: Ce sont les droits que le comité est en train d'étudier.
M. Mauril Bélanger: Pas forcément les droits de la minorité, même si les droits confessionnels peuvent être exercés par un groupe minoritaire. Faites-vous une distinction entre les deux?
M. David Brown: Dans le contexte confessionnel en Ontario, il est clair que ce sont des droits de la minorité. Au Québec, ce sera à la fois les droits de la minorité...
M. Mauril Bélanger: Et de la majorité.
M. David Brown: ... et des droits dont jouissent d'autres, en fonction de l'endroit où l'on habite.
M. Mauril Bélanger: Entendu.
Deuxièmement, vous dites que le Parlement du Canada devrait respecter les précédents dans la façon dont il amende la Constitution. Que nous devrions demander l'avis des parties touchées. L'exemple que vous donnez est celui de la tentative de rapatrier la Constitution où la Cour suprême a dit que c'était possible mais qu'elle voudrait bien ne pas le faire; qu'il faudrait obtenir le consensus des parties touchées, c'est-à-dire des provinces. Ce passé va nous hanter... Je ne veux pas me lancer dans ce débat, mais vous y voyez là un précédent. Pourtant, dans ce cas précis, l'Assemblée nationale a appuyé la résolution presque à l'unanimité. Je pense qu'un ou deux députés n'étaient pas à la Chambre lorsque le vote a été tenu. Vous n'êtes peut-être pas d'accord, mais je voudrais que vous m'expliquiez comment vous écartez le fait que l'Assemblée nationale a appuyé cette résolution à la quasi-unanimité.
M. David Brown: Je vais commencer par le rapatriement dont je parle dans le document. Ce que j'essayais de dire c'est que lorsque la Constitution a été rapatriée au Canada, le groupe dont les pouvoirs allaient être touchés par cette décision unilatérale était le groupe des provinces. Ce que la cour a dit c'est que la convention veut que vous consultiez les provinces, c'est-à-dire le groupe touché par cette décision. C'est donc l'analogie que j'ai établie.
Il n'y a pas de précédent que je peux invoquer directement. Simplement pour faciliter la tâche du comité, j'ai parlé du rapatriement, qui est peut-être le seul cas où un problème de ce genre a été abordé par le passé.
Le principe, c'est qu'il faut s'adresser à ceux qui vont être touchés par l'amendement constitutionnel et chercher à obtenir d'eux un consensus. Quoique lorsque vous consultez l'article 43 ou les autres dispositions qui règlent la modification de la Constitution, le texte ne vous y oblige pas. Cela dit, tous les intéressés reconnaissent—l'existence du comité le montre bien—qu'on ne peut pas s'en tenir uniquement au texte de la Loi constitutionnelle; il faut en respecter l'esprit. De là l'interrogation sur la question de savoir s'il faut un consensus et s'il y en a un.
Il est très important—et cela me ramène au début de ma déclaration—qu'à l'issue de ce processus, quel que soit le résultat, vous puissiez définir un critère qui guidera les comités ultérieurs, pas seulement l'an prochain mais dans 10, 20 ou 30 ans sur la forme et le fond de l'examen à effectuer lorsqu'une demande plutôt singulière d'une province est faite pour amender la Constitution de manière à éliminer les droits de la minorité. C'est une tâche capitale pour le comité et à mon humble avis, vous devrez aborder la question dans votre rapport.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Madame Lalonde.
[Français]
Mme Francine Lalonde: N'êtes-vous pas plus catholique que les évêques?
[Traduction]
Un témoin: Je n'ai pas eu besoin d'un microphone pour entendre ça.
[Français]
Mme Francine Lalonde: C'est une question qui a l'air d'une boutade, mais la société québécoise, depuis plusieurs années, cherche à s'ajuster à la modernité qui s'exprime par le pluralisme. Dans la région de Montréal, il y a une très forte immigration et plusieurs dénominations religieuses dans les mêmes écoles.
Je vais vite, mais il est clair que s'il n'y avait pas eu la grande région de Montréal, la pression sur le gouvernement du Québec n'aurait pas été la même.
Donc, le consensus, même s'il y a des poches de population où il y a plus de difficultés, est qu'il faut avoir un système en langue française et un système en langue anglaise à l'intérieur desquels les droits à une éducation religieuse soient reconnus avec des moyens qui ont été garantis, même à la satisfaction des évêques.
• 1915
Autrement, et c'est la question que je vous renvoie,
on serait obligés de faire une société où les enfants
seraient placés dans des compartiments nombreux
qui ne coïncideraient pas avec l'évolution de la
société.
Donc, voulez-vous que l'Ontario ou la Ligue catholique des Droits de l'homme empêche l'évolution de la société québécoise?
[Traduction]
M. David Brown: Je pense que vous soulevez la question de la fragmentation. C'est une question qui est souvent soulevée lorsque l'on parle de religion dans les écoles. Il ne fait pas de doute...
[Français]
Mme Francine Lalonde: L'égalité entre nous.
[Traduction]
M. David Brown: Oui, l'égalité.
C'est une question très vaste et c'est pourquoi je vais répondre de la façon suivante. Beaucoup de gens pensent que la religion n'a aucun rôle à jouer dans l'éducation des enfants. Beaucoup de gens ne veulent pas que leurs enfants aient de contact avec la religion. D'accord. C'est le choix du parent. C'est au parent de choisir ce qui sert mieux les intérêts de l'enfant. Ce n'est pas à l'État de décider.
Je répondrai à cela, si on me le permet, qu'il y a encore beaucoup de parents au Canada qui croient que la religion a un rôle très important à jouer dans l'éducation des enfants. Ces parents sont chrétiens, ils sont juifs, ils sont musulmans, ils sont sikhs. Vous en avez de toutes sortes à Toronto, qui est probablement la ville la plus multiculturelle de notre continent.
La Ligue croit que le système scolaire public doit permettre à ces parents d'élever leurs enfants d'une façon qui est vraiment compatible avec leurs convictions religieuses, qui sont surtout morales de manière générale. En même temps, bien sûr, cette éducation doit être conforme aux normes générales qu'on impose à tous nos étudiants pour ce qui est du savoir dans des domaines particuliers, pour ce qui est de leur foi dans leur système démocratique, de leur foi dans une société pluraliste.
Ce qu'on fait, si l'on abroge l'article 93, cependant, c'est qu'on laïcise tout simplement les écoles. C'est très bien pour les parents qui veulent que leurs enfants soient éduqués dans un système laïcisé, mais il y a nécessairement conflit avec les parents qui ont des convictions morales et qui ne sont pas d'accord avec ça—et il s'agit des parents qu'il faut écouter pour ce qui est de l'éducation des enfants.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur Brown.
[Français]
Dernière intervention, sénateur Beaudoin.
[Traduction]
Le sénateur Gérald Beaudoin: Vous parlez des droits confessionnels et des droits minoritaires, et j'aimerais en savoir un peu plus à ce sujet. Selon la jurisprudence, qui est très claire à ce sujet, il n'y a pas vraiment de rapport entre ces droits. Comment sont-ils liés?
M. David Brown: Les droits confessionnels et les...?
Le sénateur Gérald Beaudoin: Les droits minoritaires.
Par exemple, dans le cas du Québec, la majorité est nettement catholique et elle est protégée par les paragraphes 93(1) et (2). Et les protestants qui, bien sûr, ne forment pas la majorité au Québec, sont nettement protégés au chapitre des droits confessionnels. Cette modification qu'on nous propose, cette résolution, traite des droits confessionnels. Ou bien on les garde ou bien on change le système, mais il n'y a pas de rapport direct avec les droits des minorités. J'aimerais savoir pourquoi vous employez ces deux expressions.
M. David Brown: Un collègue à nous qui est bien connu et qui est versé en common law, le professeur Hogg, dans son traité sur le droit constitutionnel, a dit que l'article 93 était une déclaration des droits en miniature.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Il a parfaitement raison.
M. David Brown: Oui, il a parfaitement raison, et il s'agit d'un droit minoritaire. Quand on considère l'évolution des droits confessionnels au Canada, on constate qu'en Ontario on a garanti de manière absolue les droits d'une minorité religieuse, les catholiques romains. On a vu la même chose se produire lorsque le Manitoba, la Saskatchewan et l'Alberta, et plus tard Terre-Neuve, se sont joints à la Confédération.
Le Québec se retrouve dans une situation quelque peu inhabituelle parce qu'au Québec, étant donné le système scolaire qui existait à l'époque, les droits confessionnels désignaient en partie les droits minoritaires des protestants. Mais on accorde aussi une signification élargie aux résidents catholiques du Québec, qui ont aussi des droits garantis par la Constitution.
Je suis d'avis, monsieur le sénateur, s'agissant des droits garantis par le paragraphe 93(1) de manière générale, qu'ils constituent essentiellement des droits qui protègent les groupes religieux minoritaires, ou du moins les groupes religieux minoritaires qui existaient à l'époque où ces parties du pays se sont jointes à la Confédération.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Il est vrai que le professeur Hogg a dit de l'article 93 qu'il constituait une déclaration des droits en miniature à l'intérieur du système canadien. J'admets cela tout à fait. Mais les droits scolaires des catholiques du Québec sont protégés et ils ont toujours constitué la majorité. Ils n'ont jamais constitué une minorité.
M. David Brown: Cela résulte de la situation géographique et historique qui existait en 1867. Mais il y a une chose que nous vous pressons de faire dans notre mémoire, et c'est que vous devez songer à l'effet que cette mesure aura aussi sur le reste du Canada où les droits confessionnels sont très souvent des droits minoritaires. En raison du contexte historique du Québec, ces droits confessionnels sont aussi des droits minoritaires et, pour ce qui est des catholiques, ce sont aussi des droits majoritaires. Mais je dirais qu'ils sont perçus dans l'ensemble, partout au Canada, comme des droits minoritaires, et la décision que votre comité prendra aura un effet sur ces droits minoritaires dans les autres régions du pays.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Oui, je sais. La plupart de nos témoins ont parlé de droits minoritaires, mais dans d'autres provinces, les protestants forment la majorité et ils sont protégés. Vous voyez, la protection qu'offre l'article 93—et le Conseil privé l'a confirmé très nettement—est de nature confessionnelle. Il n'y est pas du tout question de langue.
M. David Brown: Oui, mais le compromis national repose sur la protection des droits minoritaires qui est, comme l'a dit le juge Wilson, la pierre angulaire de la Confédération. On protège les protestants au Québec; on protège les catholiques en Ontario. Tel est le marché politique qui a été conclu en 1867. C'est plus complexe que ça, mais c'est l'essence de la garantie.
[Français]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci beaucoup, sénateur Beaudoin.
[Traduction]
Monsieur Brown, au nom de tous les membres du Comité mixte spécial de la Chambre et du Sénat, je tiens à vous remercier pour votre exposé.
M. David Brown: Je vous remercie de m'avoir invité.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Nous allons faire une petite pause pour permettre à l'autre groupe de prendre place. Merci.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Veuillez prendre vos places, s'il vous plaît.
[Traduction]
Nous avons maintenant le plaisir de recevoir l'Alliance autochtone du Québec qui est représentée par Robert Groves, président du Groupe des affaires autochtones, et le grand chef Fernand Chalifoux. Bienvenue.
[Français]
On vous écoute, grand chef.
Le grand chef Fernand Chalifoux (Alliance autochtone du Québec): Honorable présidente,
[Traduction]
Sénateurs et députés, je tiens à remercier le comité d'avoir reporté notre audition à ce soir et de m'avoir permis d'être ici en personne aussi bien qu'en esprit.
Vous avez tous eu l'occasion de lire le mémoire que nous vous avons remis la semaine dernière et je ne vous en donnerai donc pas lecture, mais j'aimerais qu'on m'accorde quelques minutes pour résumer l'argumentation qu'on y trouve.
• 1925
Les peuples autochtones ont très peu d'alliés, mais s'il y a
un allié sur lequel nous sommes censés compter, c'est le Parlement
et la Couronne. Pour ce qui est de cette réforme constitutionnelle,
l'honneur de la Couronne et du Parlement est en jeu.
Mon conseiller, Robert Groves, parlera des aspects techniques et juridiques des grandes questions constitutionnelles dont nous faisons état dans notre mémoire, ainsi que de la solution que nous proposons.
J'aimerais attirer votre attention sur la réalité avec laquelle je vis en ma qualité de dirigeant autochtone au Québec et de chef du peuple autochtone du Québec qui a souffert le plus de discrimination, dont les droits ont été niés, qui a été oublié et qui ne reçoit aucun service, soit la communauté indienne et métisse qui vit à l'extérieur du système de réserves fédéral.
Tout d'abord, quelques chiffres. Environ 60 000 Indiens et Métis au Québec vivent à l'extérieur des réserves et à l'extérieur des implantations cries et inuites du Nord. Nous représentons environ les deux tiers de ces personnes. Environ 7 500 personnes ont le statut d'Indiens inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens. Nous n'avons aucune représentation démocratique à l'intérieur des bandes constituées en vertu de la Loi sur les Indiens. Il y a environ 25 000 Indiens non inscrits et près de 10 000 Métis.
Nos gens sont éparpillés au Québec dans des localités rurales, éloignées et urbaines. Ils constituent la population hors-réserve des 10 Premières nations ainsi que la 11e Première nation au grand complet du Québec—les Métis.
Nos gens sont également dispersés dans des localités rurales entre les réserves et les villes non autochtones. La majorité de nos gens vivent sur leurs territoires traditionnels—qu'il s'agisse du territoire micmac de la péninsule gaspésienne, ou de la côte Nord, dans les territoires Innu et Attikamekw, et les territoires algonquins de l'Outaouais québécois.
Nous avons tous quelques éléments en commun. Nous avons tous subi la pression écrasante de l'assimilation exercée par la culture colonisatrice dominante du Québec. On force les cultures autochtones à s'assimiler, exception faite de quelques programmes de sensibilisation dans les écoles qui s'adressent autant aux non-Autochtones qu'à nos propres enfants. Nous n'avons à peu près pas de moyens pour contrer la vague d'effacement culturel.
L'éducation, qui est le sujet de l'article 93, n'est pas un instrument bienfaisant ou neutre entre les mains de la société. Celui qui détient le pouvoir en matière d'éducation a la faculté de libérer le potentiel humain, mais il a aussi le pouvoir de soumettre la société humaine et les individus, particulièrement lorsque cette éducation s'incarne dans une majorité agressive, ethnocentrique.
Nous n'avons pas été bien servis par le système d'éducation du Québec jusqu'à ce jour. C'est pourquoi nous voulons essentiellement reprendre le contrôle de l'éducation et de l'avenir de nos jeunes, contrôle qui est entre les mains des commissions scolaires confessionnelles aussi bien que de la bureaucratie provinciale. Nous voulons un contrôle communautaire, et ni le système scolaire confessionnel d'autrefois ni le système de commissions linguistiques proposé ne nous offrent l'espoir de réaliser cette ambition.
L'assimilation au niveau de la culture et de l'éducation est une forme de génocide culturel. Le mot est dur, mais il est vrai et décrit parfaitement l'effet du système existant. Chose tragique, la modification qu'on propose à l'article 93 ne fera qu'accélérer ce processus génocide chez les premiers peuples hors-réserve du Québec qui constituent la majorité de tous les Autochtones vivant dans la province. Cette mesure diminuera encore plus les chances que nous avons de vraiment contrôler notre propre avenir.
Avant de répondre aux questions, je tiens à rappeler les cinq grandes objections que nous avons à la modification constitutionnelle proposée.
Premièrement, non seulement la procédure de modification bilatérale ne convient pas pour modifier l'article 93, mais elle est aussi dangereuse. Elle ne convient pas parce que les droits à l'éducation religieuse s'appliquent aujourd'hui à toutes les provinces, qu'il s'agisse de l'article 93 ou des conditions de l'union pour les Prairies et Terre-Neuve.
Si le Québec se retire comme il le demande, elle sera la seule province où la protection confessionnelle ou le droit d'appel au Parlement ne s'appliqueront d'aucune manière. Il s'agit d'une modification générale, quel que soit le critère employé.
• 1930
C'est dangereux. Les Autochtones qui vivent hors-réserve n'ont
aucune protection, sauf celle de l'article 93, pour ce qui est de
leur droit de contrôler l'éducation de leurs propres enfants. Le
Parlement perdrait ainsi le pouvoir qu'il a d'adopter des lois
réparatrices, que ce soit en vertu de l'article 93 ou même en vertu
de la Loi sur les Indiens.
Nombre d'entre vous ne savent peut-être pas que la Loi fédérale sur les Indiens comporte des dispositions pour l'éducation partout dans la province, pas seulement sur les réserves. Ces articles s'appliquaient également aux Inuits à un moment donné, et on pourrait aisément en étendre l'application aux Métis ainsi qu'aux Indiens non inscrits, comme on l'a fait avant 1951, lorsque le système de l'inscription a été introduit.
Cependant, parce que son budget est limité, le ministère des Affaires indiennes a refusé de créer des écoles sous contrôle autochtone hors-réserve. Si l'on abroge l'article 93, il se peut fort bien aussi que la capacité du Parlement du Québec de le faire change pour toujours. Nous vous demandons aussi sérieusement de songer au fait que le recours à la procédure bilatérale pourrait établir un précédent qui permettrait au Québec de se soustraire à d'autres dispositions générales concernant les droits en recourant à la même procédure. Même si vous pensez que cela ne se fera pas ou ne pourra pas se faire, ce que vous devez faire à tout le moins, c'est ajouter une disposition générale sans effet ou de non-dérogation, comme nous le proposons.
Deuxièmement, la résolution ne tient aucun compte du besoin qu'ont les Autochtones du Québec, où qu'ils vivent, sur les réserves ou hors-réserves, de contrôler leur éducation. La fusion qui découlera de la création des commissions scolaires linguistiques ne fera qu'accélérer le rythme de l'assimilation forcée dont est l'objet notre peuple.
Troisièmement, le fait que le fédéral ne pourra plus adopter de lois réparatrices, comme le veut l'article 93, empêchera les Autochtones de contrôler leurs propres écoles. Un grand nombre des écoles qui ont été créées au Québec pour les Autochtones étaient strictement de caractère confessionnel; il s'agissait d'écoles créées par des missionnaires et qui étaient financées par le gouvernement fédéral sur les réserves et hors-réserves.
Le système actuel, avec les promesses qu'il comporte pour l'avenir, sera aboli, si l'on adopte la résolution telle quelle, à moins que le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale que nous avons ne soit mis en oeuvre en matière d'éducation ou à moins que le Parlement ne crée son propre système comme le lui permet l'article 91.24. Le seul espoir que nous avons de contrôler notre éducation nous est donné par le système confessionnel, qu'il s'agisse des lois provinciales ou des lois réparatrices du gouvernement fédéral. La création du système de commissions scolaires linguistiques nous privera à jamais de cette possibilité, si mince soit-elle.
Quatrièmement, si l'on adopte cette résolution, on pourra forcer les enfants autochtones à fréquenter l'école française, même si leurs parents ont reçu une éducation en langue anglaise ou autochtone. Étant donné que le Québec refuse d'appliquer l'article 23 de la Charte, l'article 93 demeure le seul moyen pour nos nombreux membres d'origine mohawk, algonquine et micmaque qui ont été éduqués aux États-Unis de faire éduquer leurs enfants en anglais ou dans leur propre langue.
Enfin, l'adoption de cette résolution aura pour effet de déséquilibrer le cadre constitutionnel. Le Québec a refusé carrément de reconnaître les droits ancestraux constitutionnels. C'est peut-être facile pour certains d'entre vous d'oublier cet affront inqualifiable et de présenter l'autre joue; mais ce n'est pas vous qu'on gifle, c'est nous.
Ce qui aggrave les choses, c'est que le Canada refuse de mettre en oeuvre ce qu'on appelle les droits inhérents et garantis par la Constitution sous prétexte qu'en pratique, à un moment donné, il faudra peut-être que le Québec participe aux négociations pour des raisons d'ordre pratique. Très bien, nous sommes d'accord, mais qu'est-ce qui empêche Ottawa dans la pratique d'entreprendre des pourparlers, tout comme il le fait pour les Autochtones vivant sur les réserves et les groupes inuits? Pourquoi les raisons d'ordre pratique dans la conduite des négociations donnent-elles au Québec un droit de veto sur l'amorce même des négociations et même sur le calendrier et les priorités de tous les pourparlers entre la Couronne et les peuples autochtones? Il faut appliquer et respecter la Constitution dans son ensemble car le système ne fonctionne pas quand on la morcelle.
• 1935
Que peut donc faire le Parlement? Nous pensons que le
gouvernement s'est trompé de procédure ici. Étant donné la portée
de l'article 93, il faut à tout le moins adopter une modification
générale. Il faut demander aux six provinces auxquelles s'applique
aujourd'hui l'article 93 d'adopter une résolution.
Si vous tenez à aller de l'avant en invoquant l'article 43, nous vous recommandons de dire très clairement que l'éducation dans la province doit respecter nos droits constitutionnels. Cette intention doit s'appuyer sur une garantie. On nous a fait des promesses auparavant, et nous ne comptons plus les déclarations de bonne volonté qui sont restées sans lendemain. On ne tient pas du tout compte de nos besoins, et personne ne nous offre l'autonomie institutionnelle, qu'il s'agisse de cette autoritaire Assemblée nationale ou d'une autre autorité. On ne nous offre rien.
C'est pour cette raison que vous, les parlementaires, avez l'obligation d'agir. C'est une obligation juridique; il ne s'agit pas d'user d'un pouvoir discrétionnaire ou d'équilibrer des intérêts. La Constitution oblige le Parlement à offrir sa protection ou des mesures réparatrices chaque fois que l'on peut s'attendre raisonnablement à ce qu'une proposition de modification législative ait un effet négatif sur les peuples autochtones ou ait pour effet de les priver de leurs droits.
C'est le cas de cette modification constitutionnelle. Nous vous invitons si nécessaire, à recommander un renvoi à la Cour sur cette question et à solliciter un avis juridique indépendant. Nous recommandons l'adoption d'une disposition générale de protection qui dira clairement que l'on ne peut abroger les droits des Autochtones ou y déroger. À tout le moins, cela nous donnerait un certain levier pour négocier un plan visant à mettre en oeuvre les droits existants qui sont aujourd'hui oubliés, niés et supprimés.
Nous avons proposé au comité l'ébauche d'une disposition qui contient à la fois une modification directe et une modification complémentaire. La modification directe est plus simple, mais il se peut que ce soit plus compliqué sur le plan politique. Pour cette raison, nous avons également proposé une modification complémentaire. Cette approche complémentaire ne ferait qu'énoncer en termes législatifs ce que le gouvernement fédéral dit déjà être dans la loi. On pourrait ainsi forcer le Québec à modifier sa résolution, mais le Québec devrait agir. Ce serait une façon respectable et honorable d'obliger le Québec à refaire ses devoirs.
Nous vous remercions.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci beaucoup.
Nous allons maintenant passer aux questions. Nous allons commencer par M. Peter Goldring.
M. Peter Goldring: Merci, monsieur Chalifoux. J'ai quelques observations, et j'ai aussi une question.
La Loi sur l'extension des frontières du Québec de 1912 stipule que lorsque la Terre de Rupert a été cédée au Québec, la terre a été cédée, mais
-
que la tutelle des sauvages dans ledit territoire et
l'administration de toutes terres maintenant ou ci-après réservées
pour leur usage, restera à la charge du Gouvernement du Canada,
subordonnément au contrôle du Parlement.
L'article 25 de la Charte garantit ceci:
-
Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés
ne porte pas atteinte aux droits ou libertés—ancestraux, issus de
traités ou autres—des peuples autochtones du Canada, notamment
-
a) aux droits ou libertés reconnus par la Proclamation royale
Maintenant, dans l'article 35 de la Loi de 1982, il est dit que si l'on modifie des droits, il faut alors tenir une conférence constitutionnelle.
Voici ma question. Étant donné que l'on compte abroger l'article 93, vos droits semblent compromis. Pensez-vous aussi que cette question devra faire l'objet d'une conférence constitutionnelle?
M. Robert Groves (président, Groupe des affaires autochtones, Alliance autochtone du Québec): Le chef Chalifoux me demande de répondre à cette question technique, monsieur Goldring.
L'AAQ est d'avis qu'il conviendrait de proposer une modification aux termes de l'article 38. Étant donné qu'on ne touche ici qu'aux droits autochtones du Québec, il faut évidemment, à tout le moins, que les représentants des peuples autochtones du Québec participent. Mais en vertu de la formule normale de l'article 35.1, le Premier ministre aurait l'obligation d'inviter à cette conférence les représentants de tous les peuples autochtones du Canada.
• 1940
La question que vous posez au sujet de la Loi sur l'extension
des frontières de 1912, qui fait intervenir aussi la Loi qui a été
adoptée dans le même sens en 1898, sans oublier le rapport complexe
qu'il y a entre les articles 25 et 35 et l'autorité parlementaire
prévue à l'article 91.24, met en lumière un problème particulier,
à savoir la contradiction flagrante de la position que prend le
gouvernement fédéral devant votre comité et selon laquelle les
droits autochtones ne seront pas du tout touchés par cette
résolution, d'une part, et ses déclarations devant le public et les
tribunaux selon lesquelles l'article 91.24 ne s'applique pas à tous
les peuples autochtones, d'autre part. Le seul autre gouvernement
qui a fait une chose pareille par le passé a été celui de l'Alberta
pour certains intérêts pétroliers qui se trouvaient en territoire
métis. Mais le gouvernement fédéral est d'avis que les Métis et les
Indiens non inscrits ne sont pas visés par l'article 91.24,
l'autorité parlementaire concernant les Indiens et les terres
réservées aux Indiens.
Si tel est le cas, on ne peut pas alors mentionner les obligations fiduciaires, l'appel au Parlement et l'autorité du Parlement. Si tel est le cas, le Parlement ne peut intervenir pour ces personnes que dans les cas où il y a compétence partagée, comme c'est le cas à l'article 93. L'article 93 fait clairement état d'un pouvoir partagé ou concurrent. On changerait donc un pouvoir concurrent qui s'applique aujourd'hui aux Métis et aux Indiens non inscrits et il ne serait pas remplacé par un rôle que pourrait jouer le Parlement pour les Métis et les Indiens non inscrits, du moins en matière d'éducation. Il s'agit clairement d'une modification au pouvoir qu'a le Parlement concernant les Métis et les Indiens non inscrits.
De même, le gouvernement fédéral se trompe. L'article 91.24 s'applique à tous les peuples autochtones. On ne peut pas jouer sur les deux tableaux. C'est l'un ou l'autre. Je voulais seulement répondre à cette question précise.
M. Peter Goldring: Votre organisation est-elle inquiète parce que le gouvernement du Québec, dans sa demande même, refuse de reconnaître la Constitution de 1982? Est-ce qu'il ne serait pas mieux que le gouvernement du Québec demande à réformer son système d'éducation en améliorant l'article 93 de la Constitution? Autrement dit, qu'il améliore l'article 93 compte tenu de ses préoccupations actuelles.
Le grand chef Fernand Chalifoux: Si je laisse à M. Groves le soin de répondre, c'est parce que les questions sont techniques, et c'est aussi parce que je suis très dur d'oreille. Je vais prendre ça parce que je suis très dur d'oreille.
M. Robert Groves: Une simple observation, je pense que c'est une suggestion intéressante. On pourrait évidemment partir de l'article 93. Bien sûr, c'est exactement ce qu'ont fait toutes les autres provinces du pays. Toutes les autres provinces ont un article 93 élargi si elles ne sont pas visées directement par l'article 93. Il n'y a pas une seule province qui ne l'applique pas d'une manière ou d'une autre.
C'est une autre raison pour laquelle l'article 93, même dans son libellé actuel, est une disposition générale qui s'applique à toutes les provinces. On ne dit jamais à quelle province cette disposition s'applique. On parle de chaque province, de toutes les provinces. Ce n'est pas une disposition d'admissibilité limitée comme l'article 43. On dirait que c'est comme ça parce que Terre-Neuve est venue ici l'an dernier pour faire modifier son article 17, mais Terre-Neuve est de toute évidence distincte de toutes les autres provinces parce qu'elle s'est jointe au Canada en 1949, et ce, dans des circonstances tout à fait différentes. Terre-Neuve a une disposition identique à celle-ci sauf pour une clause, soit l'intervention du Parlement pour les matières dont il est question. C'est la seule province où cet article ne s'applique pas. On pourrait sûrement travailler à partir de votre suggestion, à savoir une version améliorée de l'article 93, comme l'a fait Terre-Neuve l'an dernier avec beaucoup de précisions.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Sénateur Beaudoin.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Dois-je comprendre que c'est parce que vous êtes d'avis que...? L'article 93 n'est pas aboli, soit dit en passant, ce sont les paragraphes 1, 2, 3 et 4 qui sont abolis, et non l'article 93, et l'article 93 va rester. Ce qu'on écarte, ce sont les droits confessionnels. Dois-je comprendre qu'à votre avis, étant donné le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, il faut tenir une conférence constitutionnelle à laquelle participeraient tous les peuples autochtones pour aller de l'avant ici? Ce n'était pas le cas avec Terre-Neuve.
M. Robert Groves: Il y a deux parties à la réponse à votre question.
D'abord, les groupes autochtones de Terre-Neuve ont témoigné devant le comité sénatorial...
Le sénateur Gérald Beaudoin: Ah oui.
M. Robert Groves: ... et ont même demandé que l'on ajoute cette disposition de protection. Le Sénat a dit qu'il fallait à tout le moins recommander que l'on fasse quelque chose pour Terre-Neuve étant donné l'application particulière de l'article 91.24 à cette province. Voilà la première partie de la réponse. Il me semble qu'il n'y a pas de précédent à cela.
En outre, la modification de l'article 17 pourrait fort bien être illégale étant donné qu'il s'agit d'une modification bilatérale en vertu de l'article 43—on ne sait pas—si ça a été le cas, si en fait on a compromis d'une manière quelconque les droits autochtones.
Je pense que dans ce cas-ci, c'est beaucoup plus précis, pour la raison que j'ai énoncée plus tôt, parce qu'au Québec, vous aviez à l'époque de la Confédération des systèmes scolaires très définis, partout dans la province, sur les réserves et hors-réserves, qui desservaient les peuples autochtones. Le statut d'Indiens inscrits n'existait pas à l'époque; on parlait de tous les Indiens, des peuples autochtones et des Inuits après 1939. Comme vous le savez, la question inuite a fait l'objet d'un débat jusqu'en 1939. Mais ceux qu'on appelait les Indiens ou les Indiens nomades—c'est-à-dire les Indiens qui vivaient sur les réserves ou hors-réserves—étaient tous visés par les dispositions scolaires des diverses Lois sur les Indiens, et toutes les écoles existaient dans le cadre des systèmes confessionnels des missions.
Oka est un bon exemple. Kanesatake, la communauté mohawk d'Oka aujourd'hui, a eu un système d'écoles confessionnelles. Ce n'était pas une réserve au sens strict du terme. C'est protégé à l'article 93, très nettement. Si vous supprimez les paragraphes 93(1) jusqu'à (4), vous modifiez l'appel au Parlement, la capacité de dérogation pour ce qui est du système scolaire des Indiens, et vous remplacez cela par une autorité provinciale exécutive et unilatérale.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Je suis d'accord avec ce que vous dites au sujet de l'article 35.1, qui dit clairement que si l'on modifie l'article 91.24 ou l'article 25 de la Charte des droits et libertés... Bien sûr, il faut une conférence constitutionnelle, et bien sûr les droits des peuples autochtones sont là, et ils sont protégés.
Je vais poursuivre ma réflexion à ce sujet, mais j'aurais tendance à penser que cette modification n'a aucun effet sur les droits autochtones, en ce sens qu'ils sont maintenus grâce à l'article 35. Cet article est en quelque sorte une charte des droits pour les peuples autochtones. Même si l'on modifie les paragraphes (1), (2), (3) et (4) de l'article 93, les droits autochtones resteront intacts.
M. Robert Groves: Et que se passe-t-il si l'article 35, comme le gouvernement fédéral l'a prétendu à maintes reprises devant les tribunaux, comporte des limites, comme l'article 91.24, et s'ils prétendent, puisqu'ils ont conservé le droit de le faire, malgré la formule du droit inhérent, que le droit de gérer l'éducation ne relève pas de l'article 35? Dans ce cas, l'article 93 reste la seule mesure de protection. Il s'agit d'un droit existant. Par contre, on ne trouve rien de tel à l'article 25. Du moins, on n'y trouve qu'une vague indication, mais il s'agit d'une déclaration relative à la charte. Il n'est pas dit, à l'article 35, que le droit de gérer l'éducation relève de cet article.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Oui, mais l'article 93 précise, d'une part, que l'éducation est de compétence provinciale. Il précise que le Parlement fédéral peut intervenir à titre exceptionnel. Troisièmement, l'article 93 reconnaît, consacre et protège les droits confessionnels des catholiques et des protestants, un point c'est tout. Voilà ce dont il est question à l'article 93. Il est certain que cela ne touche en rien les droits des nations autochtones.
M. Robert Groves: Alors, pourquoi ne pas le dire?
Le sénateur Gérald Beaudoin: Eh bien, parce que la Cour suprême va dire que l'article 93 se limite aux droits confessionnels et aux pouvoirs des provinces en matière d'éducation.
Tous les droits autochtones sont maintenus. C'est pourquoi vous demandez une clause d'exonération de responsabilité, une clause nonobstant, pour garantir la protection de vos droits. Je comprends votre démarche, mais je pense que vos droits sont protégés de toute façon, qu'une telle clause existe ou non.
M. Robert Groves: Il se peut que ces droits soient protégés, mais que se passe-t-il si le recoupement juridictionnel de ces droits avec les articles 91 et 92 en ce qui concerne les responsabilités de la Couronne font partie intégrante de l'ensemble des droits, comme l'ont dit les juges? La cour a parlé de «la Couronne», qui pourrait bien inclure la Couronne provinciale aussi bien que la Couronne fédérale. La relation qui l'unit aux peuples autochtones est de nature fiduciaire, et elle est protégée et consacrée par l'article 35. On a donc ici une interconnexion entre les articles 91 et 92, et l'article 35.
À ce titre, sénateur, je ne pense pas qu'on puisse si facilement escamoter l'article 93 et le pouvoir concurrent du Parlement envers une catégorie particulière qui, lors de l'union, était dotée d'un régime d'enseignement spécifique, sans obtenir préalablement le consentement des membres de cette catégorie.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Je vais réfléchir à cette question, car elle est très importante. Je pense que vous êtes protégés, mais je vais vérifier.
[Français]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Le prochain intervenant est M. Claude Bachand.
M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ): D'abord, j'aimerais saluer mes amis, MM. Chalifoux et Groves. J'ai été membre de l'Alliance autochtone du Québec pendant quelques années, jusqu'à ce que je m'aperçoive, après avoir fait ma généalogie, que je n'avais pas de sang autochtone. Donc, j'ai été obligé de me retirer de l'Alliance. J'avais peur d'être en conflit d'intérêts, mais j'ai quand même été là pendant trois ou quatre ans.
Je dois vous avouer, monsieur Chalifoux, que je suis un peu déçu de la force avec laquelle vous vous en prenez au gouvernement du Québec et au Québec. D'ailleurs, l'Alliance autochtone du Québec, selon ce que j'en sais, est composée à 95 p. 100 de francophones. J'ai devant moi un mémoire qui est uniquement en anglais et la présentation était uniquement en anglais. Je ne suis pas sûr que ce soit absolument représentatif de votre membership.
Deuxièmement, vous parlez de génocide.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Bachand, les deux langues officielles sont reconnues devant les comités parlementaires. Je voulais juste apporter cette précision-là. Continuez.
M. Claude Bachand: D'accord.
Je voudrais aussi attirer votre attention sur le fait qu'on parle là-dedans de génocide et de perte de contrôle sur l'éducation, alors que c'est tout le contraire qui se passe, selon moi. On peut penser à la Convention de la Baie James, qui est un modèle. On peut penser à toute la question du Nunavik et des Inuits du Nunavik qui ont le contrôle complet de leurs commissions scolaires. Donc, les Québécois respectent les nations autochtones. Je ne vois pas la réalité du Québec dans votre présentation.
J'aimerais obtenir plus de précisions. Ce n'est pas en ce qui a trait à l'article 93 ou sur l'article 35, parce qu'il y a un problème très spécifique pour les autochtones hors réserve. L'article 35 prévoit des choses pour les Indiens, les Métis et les Inuits. Là on se retrouve devant des autochtones hors réserve. Ce que je dis est tellement vrai que c'est un autre ministre qui est responsable des autochtones hors réserve. Ce n'est pas la ministre Stewart qui est responsable, mais le ministre Goodale.
Je constate tout simplement qu'au Québec, comme ailleurs au Canada, c'est la même dynamique. Il est difficile d'identifier les problèmes reliés aux autochtones hors réserve, parce que quand ils quittent la réserve, ils sont comme en flottement. Ils ne sont plus là. Les budgets ne sont pas équivalents.
Donc, c'est compliqué pour vous et c'est compliqué pour le Québec. Je trouve que ce que vous avancez n'est pas apte à ouvrir une discussion sérieuse. Se faire dire qu'on pratique un génocide et qu'on veut vous enlever le contrôle et éteindre la culture autochtone... Je suis là depuis trois ou quatre ans, et c'est tout le contraire qui se passe.
Je ne voulais pas attaquer l'anglais, monsieur le président.
La coprésidente (la sénatrice Lucie Pépin): Quelle est votre question?
M. Claude Bachand: Je voudrais qu'il commente ce que je viens de dire.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Chalifoux.
M. Claude Bachand: Faites votre possible.
Le grand chef Fernand Chalifoux: Avec plaisir.
Premièrement, monsieur Bachand, ce n'est pas la première fois que nous avons cette discussion à propos de ce qu'on considère être nos attaques contre le gouvernement du Québec. Je ne voudrais pas être perçu ici, madame la présidente, comme étant séparatiste ou fédéraliste. J'aimerais qu'on me considère comme ce que je suis: un représentant autochtone. Si on perçoit que certaines de nos paroles ou certains de nos écrits sont une attaque contre le gouvernement du Québec, c'est peut-être le cas, mais ce n'est pas contre la population du Québec. Nous faisons partie de cette population et nous vivons parmi cette population-là, étant un peuple hors réserve.
Je comprends, monsieur Bachand, qu'étant membre du Bloc québécois et partageant les options de l'actuel gouvernement, il vous soit difficile pour vous de comprendre. D'ailleurs, ce l'est quelquefois aussi pour nous.
• 1955
Cela est causé particulièrement par
l'absence de la fameuse autoroute de la communication
dont nous avons déjà parlé. D'ailleurs, par lettre, je me
suis déjà porté volontaire pour vous aider à construire
cette autoroute entre les
autochtones hors réserve au Québec et le gouvernement
du Québec. Malheureusement, je ne dois pas parler
au ministre des Transports du Québec, mais au
premier ministre du Québec, et les voies ne s'ouvrent
pas, comme vous le savez très bien. C'est pour cela
qu'en tant que représentants du
groupe majoritaire autochtone au Québec, nous devons
nous présenter dans des forums et devant des commissions
pour défendre nos droits au lieu de nous asseoir
pour discuter avec le gouvernement du Québec.
Personnellement, je préférerais de beaucoup, dans bien des cas, être assis face au gouvernement du Québec et avoir des interlocuteurs au Québec auxquels nous pourrions parler. Nous en avons au fédéral. Nous réussissons à discuter avec le fédéral. Malheureusement, on parle du veto que le gouvernement fédéral veut donner au Québec. C'est évident que nous avons fait des propositions au gouvernement du Québec en ce qui a trait à l'autonomie gouvernementale, à l'éducation, à l'habitation, à la santé et à tous les sujets d'intérêt pour les autochtones hors réserve.
Monsieur Bachand, le 25 novembre prochain sera le deuxième anniversaire de ces présentations-là et nous n'avons même pas eu de réponse. Nous n'avons reçu pour toute réponse du gouvernement du Québec qu'un simple accusé de réception. Non, monsieur Bachand, ce ne sont pas des attaques de notre part contre le peuple du Québec.
[Traduction]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Sénateur Grafstein.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Monsieur le président, pour répondre à nos collègues du Bloc, je signale que nous avons reçu un mémoire de la CEQ. J'ai posé la même question: pourquoi n'existe-t-il pas en anglais? La présidence m'a signalé qu'il était en cours de traduction. En toute justice, il faut donc signaler aux témoins qu'ils peuvent intervenir dans la langue de leur choix. C'est au comité qu'il appartient de faire traduire leur intervention dans l'autre langue officielle.
Au nom du comité, je voudrais dire aux témoins que leur usage est conforme au nôtre. Il n'y a pas de différence. Voilà une chose qui devait être dite clairement.
Tout d'abord, je tiens à vous souhaiter la bienvenue, monsieur Chalifoux et monsieur Groves, et à vous féliciter pour votre excellent mémoire, même s'il présente des difficultés pour nous. Je voudrais que l'on revienne au terrain miné du droit constitutionnel tel qu'il nous est présenté pour voir s'il est possible de le traverser sans se faire sauter la cervelle.
Tout d'abord, à notre avis—et je pense qu'il y a consensus sur ce point au sein du comité—le gouvernement du Québec reconnaît la Constitution de 1982, malgré ce qu'il affirme en termes précatifs, puisqu'il demande un amendement qui n'apparaît que dans celle de 1982.
Quoi qu'il en dise, le gouvernement du Québec se présente devant le Parlement fédéral pour demander une modification de la Constitution de 1867 par l'intermédiaire de celle de 1982. À moins qu'on ne parvienne à me convaincre du contraire, je considère que la Constitution de 1982 existe. La CEQ a dit aujourd'hui même que la charte constitue la loi suprême du pays, et que ce pays comprend le Québec. Cela nous a été affirmé.
Dans ce cas, je considère, malgré tous les arguments politiques a contrario, que la Constitution, que la Constitution de 1982 existe bel et bien. Elle existe aussi au Québec où elle est reconnue en ce qui concerne la législation sur l'éducation... puisque le Québec s'est adressé à la Cour suprême, etc.
Quand j'entends vos arguments, cette réalité reste dans mon esprit comme un phare qui me permet d'éviter les écueils que vous nous présentez. En ce qui concerne votre proposition d'amendement, compte tenu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle et des articles 25 ou 27 de la Charte des droits, si la Constitution de 1982 existe, il n'y a pas à en sortir. La modification proposée n'a rien à voir avec tout cela. Du côté fédéral, il n'est nullement question, à mon avis, de déroger aux articles 35, 25 ou 27 de la Constitution de 1982.
Voilà pour le contexte ou, si vous voulez, pour le premier niveau de votre proposition.
Vous m'excuserez, monsieur le président, mais les témoins invoquent une certaine protection et j'essaye de voir si nous pouvons les comprendre parfaitement.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Allez-y.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Je voudrais vous faire part du raisonnement que j'ai tenu jusqu'à maintenant. Je suis ouvert à tous les arguments, mais j'essaie avant tout de voir si les droits des minorités sont protégés partout où ils sont invoqués.
• 2000
Passons maintenant à l'autre élément, c'est-à-dire la
catégorie 24 de l'article 91 de l'Acte constitutionnel de 1867. À
mon avis, il ne peut subir aucun effet d'une modification de
l'article 93, sous réserve de l'argument de M. Groves, qui prétend
implicitement que les responsabilités judiciaires de la Couronne,
tant du chef du Canada que du chef de la province de Québec, se
trouvent altérées non pas par la suppression de l'article 93, comme
l'a indiqué le sénateur Beaudoin, mais par la limitation de
certaines dispositions de cet article 93. Je ne vois pas en quoi le
changement modifierait la responsabilité fiduciaire de la province
de Québec ou les responsabilités fiduciaires du gouvernement
fédéral du chef de la Couronne fédérale et provinciale.
Cela étant dit, vous formulez un argument que d'autres ont également invoqué: comment se prévaloir de la protection de l'alinéa 23(1)a) compte tenu du fait que le gouvernement du Québec refuse toujours de promulguer cet alinéa 23(1)a)?, Voilà le véritable problème.
J'ai posé à Alliance Québec la question suivante: quelle aide pouvons-nous fournir à cet égard, compte tenu des difficultés auxquelles nous sommes confrontés, puisqu'il s'agit d'une modification extrêmement étroite de la Constitution. Alliance Québec a proposé la formule d'une déclaration du Parlement indiquant que malgré l'attitude du Québec, ces droits doivent être affirmés et protégés. Je peux vous dire qu'il n'y a pas un seul parlementaire, à l'exception de ceux du Bloc, qui oseraient prétendre que l'alinéa 23(1)a) n'a pas à s'appliquer dans la province de Québec. Voilà notre opinion. Cela étant dit, que peut-on faire face à votre revendication?
J'en reviens à ma question. Est-ce qu'une déclaration fédérale avec des termes précatifs invoquant l'alinéa 23(1)a) et réaffirmant les droits établis des peuples autochtones du Québec aux termes de la Charte en matière d'éducation vous donnerait satisfaction? Ce n'est pas une réponse complète, mais seriez-vous satisfaits si la déclaration indiquait au moins que c'est là le point de vue de certains parlementaires quant à vos droits particuliers? Compte tenu de tous les arguments entendus depuis le début de nos travaux, je pense que vous êtes tout à fait fondés de revendiquer la protection de vos droits minoritaires, puisqu'en fait, on évite d'affirmer vos droits dans la province de Québec.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Votre question est posée.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Une petite question, avec un long préambule.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Chalifoux.
Le grand chef Fernand Chalifoux: Je vais essayer de vous donner mon opinion, car on me dit que je suis assez bon en tant que chef, mais très mauvais en tant que technicien. Pour les aspects techniques, je céderai la parole à Bob.
Il faut aller un peu plus loin, sénateur. Il faut en revenir à la protection prévue à l'article 91.24. Dans la situation qui prévaut actuellement au Québec, si vous regardez le projet de loi 1, déposé à l'Assemblée nationale à l'étape préréférendaire en 1995, il est tout à fait évident que l'offre du gouvernement du Québec aux peuples autochtones devait reconnaître tous les droits de tous les peuples autochtones vivant sur des terres de propriété exclusive.
Il est vrai, comme l'a dit tout à l'heure M. Bachand, qu'une fois que les Autochtones du Québec quittent les réserves, ils disparaissent et ne peuvent plus profiter de ces droits. Tout se passe comme si les Autochtones hors-réserve, les Métis et les Indiens non inscrits étaient instantanément transformés en Québécois dès qu'ils quittent leur réserve.
En fait, les choses ne se passent pas ainsi. Les Québécois devraient le comprendre. Ma mère était Québécoise et je suis très fier d'avoir une mère québécoise. Les Québécois devraient comprendre les sentiments des Autochtones. Puisqu'ils sont si fiers de leurs ancêtres français, ils devraient comprendre que nous sommes fiers d'avoir des ancêtres indiens et que nous sommes en droit de conserver notre identité, notre culture et nos langues. Les Québécois devraient le comprendre. Ils ne devraient pas refuser opiniâtrement, comme ils le font, de discuter avec les Autochtones hors-réserve des droits que leur reconnaît la Constitution, puisque vous dites que le Québec a reconnu la Constitution de 1982... vous me permettrez, d'ailleurs, de ne pas être d'accord avec vous. Si le Québec demande une modification, c'est parce que la Constitution représente pour lui un obstacle, et non pas parce qu'il la reconnaît.
• 2005
Mais pour nous, il en va différemment. Nous devons faire
respecter nos droits. Nous ne pouvons nous contenter de vagues
promesses et de vagues engagements.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur Chalifoux.
Je donne maintenant la parole à Marlene Jennings.
Mme Marlene Jennings: Monsieur Chalifoux, je tiens à vous remercier, ainsi que M. Groves, de votre exposé. Je tiens à vous dire que lorsque vous parlez de génocide des peuples autochtones dans votre mémoire, je n'y vois aucune offense, et je pense qu'il en va de même pour la plupart des Canadiens, car même si l'on m'enseignait autrefois une version révisionniste de l'histoire du Canada et du Québec, on connaît mieux la véritable histoire aujourd'hui et nos enfants apprennent exactement ce qui s'est passé au Canada et au Québec. On leur apprend que le territoire n'était pas inhabité lorsque les premiers colons et explorateurs européens sont arrivés ici. Voilà ce que je voulais dire tout d'abord.
Lorsqu'on parle de génocide, il n'est pas toujours uniquement question de génocide physique; on peut aussi parler de génocide culturel. C'est peut-être là un élément que l'honorable député du Bloc n'a pas tout à fait compris, ce dont je m'étonne, puisque le point de vue souverainiste a toujours été fondé sur le fait que les francophones constituent une petite minorité entourée par une mer d'anglophones sur le continent nord-américain, ce qui met en péril la culture et la langue des Canadiens français au Québec.
Ce qu'ils disent est peut-être vrai, et je suis tout à fait favorable aux mesures qui ont été prises pour assurer la préservation de la culture française au Québec, mais je suis aussi favorable—comme la plupart d'entre nous—aux efforts de nos frères et soeurs autochtones et métis pour assurer la pérennité de leur culture, de leurs langues et de leurs gouvernements.
Contrairement au Québec, vous n'avez jamais eu la chance d'avoir votre propre corps législatif. Contrairement au Québec, vous n'avez jamais eu la chance de bénéficier de votre propre système scolaire. Contrairement au Québec, vous n'avez jamais eu la chance de voir vos langues reconnues comme langues officielles du Canada.
Il est important d'affirmer que le Québec a été... et je suis d'origine canadienne-française, je suis aussi d'origine autochtone. J'ai dans ma famille des ancêtres montagnais, cris et atikameks. Je comprends donc la démarche des francophones aussi bien que celle des Autochtones. Mais il y en a d'autres, et je suis aussi d'origine africaine. Mes ancêtres étaient des esclaves qui ont été amenés en Amérique du Nord.
En tout cas, mon point de vue rejoint dans une certaine mesure celui du sénateur Grafstein à propos des Autochtones et Indiens assujettis aux traités. À ma connaissance, la plupart des traités font référence à l'éducation. Par conséquent, pour les Indiens assujettis à un traité, il est clair que le gouvernement fédéral a une responsabilité en matière d'éducation, nonobstant l'article 93 qui fait de l'éducation un domaine de compétence provinciale.
Cependant, pour les Indiens non inscrits et les Autochtones et les Métis qui ne vivent pas dans des réserves dotées d'écoles et de commissions scolaires gérées par les autorités fédérales et autochtones, il existe un problème... et on a reconnu que l'éducation est essentielle pour l'avenir des minorités.
• 2010
Dans la résolution fédérale, si l'on est d'accord pour appuyer
la résolution que l'Assemblée nationale du Québec nous demande
d'adopter, et s'il est bien établi que l'abrogation des
paragraphes 93(1), (2), (3) et (4) sera sans effet sur les droits
conférés par la Charte aux Autochtones, qu'ils soient inscrits, non
inscrits ou Métis, est-ce que vous vous en trouverez satisfaits?
Je sais que les négociations sur l'autonomie gouvernementale des Autochtones doivent se poursuivre avec le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. C'est un processus de longue haleine. Et je sais aussi que la Commission royale sur les peuples autochtones a bien indiqué que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ne font pas ce qu'ils devraient faire.
Le grand chef Fernand Chalifoux: Avant de répondre de façon positive ou négative à votre question, il faudrait que je voie la formulation de cette résolution. Ce que nous demandons essentiellement, c'est des garanties, c'est une protection. Mais il faudrait voir la formulation de la résolution avant de pouvoir dire si nous sommes d'accord ou non.
Mme Marlene Jennings: D'accord.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Groves.
M. Robert Groves: Je voudrais faire un autre commentaire.
Vous dites que vous êtes d'origine atikamek et montagnaise. Comme la plupart des groupes autochtones du Québec, ces deux-là ne sont pas régis par des traités. Pourtant, on leur reconnaît le titre autochtone. La plupart des membres de la bande de Fern Chalifoux vivent en dehors des réserves, mais à l'intérieur d'une réserve indienne au sens plus large, comme le prévoit l'article 91.24: «Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens».
Je ne doute pas que le sénateur Beaudoin puisse vous éblouir avec l'arrêt St. Catherine's Milling and Mining, où la Cour suprême affirme que jusqu'à la signature d'un traité ou d'une entente sur les revendications territoriales, tout le territoire concerné constitue des terres indiennes sous juridiction fédérale aux fins de leur gestion. En fait, cet arrêt habilite le Parlement à légiférer en matière de terres, de mines, de minéraux, d'éducation—pratiquement dans tous les domaines—au Québec, en dehors de Schefferville et des territoires cris, naskapis et inuits.
Mme Marlene Jennings: C'est exact.
M. Robert Groves: C'est un énoncé juridique intéressant et tout à fait fascinant, mais cela ne mène à rien.
Encore une fois, comme le dit le chef Chalifoux, nous aimerions voir le texte de la résolution.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur Groves.
[Français]
Une courte intervention, madame Lalonde.
Mme Francine Lalonde: J'ai écouté attentivement votre plaidoyer. Même si le lien entre l'article 35 et l'article 93 est ténu, vous avez demandé à M. Groves de l'établir, et le sénateur Beaudoin a dit qu'il regarderait cela, mais que de façon apparente, il n'y avait aucune protection de conférée aux autochtones hors réserve par l'article 93. Ai-je bien compris? Ce que vous nous dites, dans le fond, c'est que vous avez besoin de protection et que vous prenez toutes les tribunes pour affirmer ce besoin.
Je comprends bien cela. Plus tôt, mon collègue Claude a dit que c'était une question difficile que celle de la protection des droits des autochtones qui ne vivent pas dans les réserves. Ayant un peu étudié la question, je sais que c'est difficile. Personnellement, je serais portée à penser que ce qui se prépare comme nouvelle législation scolaire peut permettre une reconnaissance plus facile que ce qui existe actuellement.
Il ne faut pas oublier que si cette résolution sur l'article 93 n'est pas acceptée, on sera contraint de parcelliser encore davantage sur la base linguistique et religieuse, catholique et protestante, les écoles de la grande région de Montréal et de la région de Québec. Donc, loin de satisfaire davantage vos besoins, les commissions scolaires seront davantage morcelées, vos droits ne seront pas mieux protégés et les moyens de vous assurer une protection quelconque seront complètement enlevés.
• 2015
Je pense au contraire que pour vous, c'est une option
qui pourrait être intéressante. Encore une fois,
la proposition unanime de l'Assemblée nationale
du Québec, ce n'est pas une question de séparatisme par
rapport au fédéralisme.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Pourriez-vous poser votre question?
Mme Francine Lalonde: J'y arrive, mais je pense que je ne suis pas la première à avoir fait un long préambule.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Vous avez raison.
Mme Francine Lalonde: Merci. Donc, pour cette question de l'article 93, la demande unanime de l'Assemblée nationale du Québec n'enlève pas de droits aux autochtones hors réserve. Il me semble que c'est là l'important. Que vous profitiez de la tribune, j'en conviens, et je vous pose la question: est-ce cela, dans le fond, que vous voulez faire?
Le grand chef Fernand Chalifoux: Pas nécessairement. Nous prétendons que la résolution, sous sa forme actuelle, porte atteinte à nos droits. L'une des raisons en est que l'éducation, pour les autochtones, est directement la responsabilité de la politique d'autonomie gouvernementale du fédéral.
La formulation de la résolution du Québec va à l'encontre de cela. Jusqu'à un certain point, vous avez peut-être raison, madame Lalonde. Je n'ai pas eu l'occasion d'en discuter avec qui que ce soit du Québec, car on ne m'en a pas donné l'occasion.
Mme Francine Lalonde: Cela, je l'ai entendu. Merci.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Groves.
[Traduction]
M. Robert Groves: Je voudrais poser une courte question, et vous m'excuserez de vous répondre en anglais. C'est plus facile pour moi, compte tenu de ma formation.
Il est essentiel, pour tous les membres du comité, de bien comprendre que dans le domaine de l'application de l'article 93—pour revenir à un argument présenté tout à l'heure—on ne peut éviter d'établir un lien entre les articles 91, 92 et 93. Il s'agit de la répartition des pouvoirs dans la Constitution.
L'article 91 comporte une disposition qui s'applique aux Indiens et aux terres réservées pour les Indiens. Le gouvernement du Québec affirme que l'article 91.24 est applicable à tous les Autochtones; c'était du moins le cas la dernière fois que j'ai consulté ce dossier. Je ne sais pas. Les gens de Québec n'ont pas dit grand-chose sur cette question au cours des trois dernières années. Ottawa est pratiquement seul à affirmer un point de vue contraire. Dieu sait pourquoi. Si le point de vue fédéral est fondé, la modification de l'article 93 et de ses paragraphes (1) à (4) abroge les pouvoirs du Parlement envers les peuples autochtones lorsque ceux-ci avaient des écoles confessionnelles au moment de l'union, à cause du paragraphe (1).
Je voudrais vous donner la liste des différents types de réserves et de communautés indiennes au Québec. Nous parlons maintenant de la situation dans les réserves; laissons de côté les Indiens hors-réserve. Il existe des réserves qui ont été créées avant 1851 par la législation coloniale, sur lesquelles le Québec a un droit de propriété réversif; c'est ce à quoi le chef Chalifoux faisait référence en mentionnant la Loi 1.
Il existe une autre catégorie de réserves sur lesquelles le Québec a renoncé à son titre de propriété réversif. La seule bande concernée est la Bande Timiskaming.
On trouve encore une autre catégorie. Il s'agit des réserves religieuses créées à la demande de communautés religieuses et de leurs autorités enseignantes protestantes ou catholiques. Elles existaient au moment de la Confédération. Ces réserves ont donc des systèmes scolaires confessionnels qui sont protégés par l'article 93. Ce ne sont pas des réserves au sens traditionnel. Ce sont des réserves missionnaires considérées comme des tierces parties. En fait, la Loi sur les Indiens n'y fait même plus référence. C'est pourquoi les Indiens d'Oka éprouvent les difficultés que l'on connaît.
La liste continue. Je ne vais pas la lire au complet, mais on voit que l'application de l'article 93 est d'une complexité extrême. Ce serait beaucoup plus simple si l'article 91.24 englobait tous les peuples autochtones. Tout ce que je dis—et je crois que c'est aussi le point de vue de l'AAQ—c'est que le gouvernement fédéral ne peut pas jouer sur les deux tableaux. Si l'article 91.24 englobe tous les peuples autochtones, il faut le dire. Toutes les autres provinces l'ont reconnu, sauf l'Alberta, pour des raisons historiques, mais l'Alberta a donné son accord en 1992, de même que le gouvernement fédéral. Pourquoi ne serait-ce plus le cas aujourd'hui?
• 2020
Si vous ne voulez pas en convenir, c'est à vous de fournir...
L'obligation fiduciaire du Parlement vous oblige à ajouter dans le
texte de la modification ou dans une modification d'accompagnement
une clause de protection pour les peuples autochtones visés. Si
l'article 91.24 ne s'applique pas à tous les Autochtones, il n'y a
pas d'autre solution, sénateur.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Je voudrais faire un commentaire. Vous dites qu'en l'absence d'une telle déclaration, le gouvernement fédéral n'a pas pris position. Mais sauf erreur de ma part, le gouvernement fédéral n'a jamais dit le contraire; c'est simplement qu'il ne s'est pas prononcé.
M. Robert Groves: Non, il a affirmé spécifiquement que l'article 91.24 ne s'applique pas aux Métis ni aux Indiens non inscrits. Il l'a dit à propos... En fait, M. Stéphane Dion vient d'écrire au chef Chalifoux pour lui faire part de cette énigme juridictionnelle en expliquant pourquoi le Québec pouvait opposer un veto à l'amorce des négociations sur l'autonomie gouvernementale.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Voilà une question qu'il faudra tirer au clair.
M. Robert Groves: Je sais.
[Français]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Sénateur Beaudoin.
[Traduction]
Le sénateur Gérald Beaudoin: J'en reviens à mon argument principal. Le Parlement du Canada a pleine juridiction sur les Indiens et les terres des Indiens en vertu de l'article 91.24 et si les nations ou les peuples autochtones ne sont pas satisfaits du système d'enseignement d'une province, rien n'empêche le Parlement du Canada de légiférer en matière d'éducation des peuples autochtones.
M. Robert Groves: Quand les conservateurs étaient au pouvoir, et même avant, du temps des libéraux, le gouvernement fédéral... Je me souviens de l'époque où les avis juridiques ont été rédigés. J'étais au gouvernement fédéral et je les ai vus. Il y en a eu deux, sénateur, et cela remonte à 1983.
Le premier était une belle dissertation d'une centaine de pages, dont l'auteur est devenu magistrat par la suite et dont je tairai le nom, mais c'était un document extraordinaire, d'une grande érudition, qui débouchait sur une conclusion tout à fait convaincante.
L'autre était un document rédigé en toute hâte pendant une fin de semaine, avant une conférence ministérielle sur les questions autochtones, à un moment où le gouvernement fédéral avait besoin d'arguments à avancer au cours d'une séance de négociation. Depuis lors, cet avis juridique nous reste sur les bras. C'est le seul sur lequel on se fonde, car c'est un avis public.
Si cet avis est valide et si, comme l'affirme le gouvernement fédéral, les Métis et les Indiens non inscrits sont exclus de la portée de l'article 91.24, ce qui en fait un obstacle à l'amorce des négociations sur le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale avec le Québec, même si celui-ci n'exerce pas de veto absolu, dans ce cas, l'article 93 confère au Parlement un pouvoir fondamental concernant l'éducation de ces Autochtones qui subiraient un préjudice du fait de l'adoption de la modification.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Je suis certain qu'un tel pouvoir fondamental existe.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Le gouvernement fédéral—t je suis d'accord sur ce point avec le sénateur Beaudoin—ne peut pas renoncer aux droits du Parlement. Un gouvernement fédéral ou un ministre fédéral n'a pas le droit de renoncer unilatéralement à des droits que la Constitution confère au Parlement. Voilà ce que nous voulons affirmer.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Nous allons terminer cette discussion, messieurs.
Je voudrais vous remercier, monsieur Groves.
[Français]
Merci beaucoup, grand chef Chalifoux. Merci beaucoup aussi de votre compréhension. On avait dû reporter la réunion de la semaine dernière à ce soir. Donc, merci beaucoup de votre compréhension à cet égard.
Nous ajournons jusqu'à demain matin. Nous allons reprendre les audiences à 9 h 15. À 9 heures, demain matin, il y aura une rencontre d'organisation pour les membres du comité.
Merci beaucoup et bonsoir à tous.
La séance est levée.