SJQS Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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SPECIAL JOINT COMMITTEE TO AMEND SECTION 93 OF THE CONSTITUTION ACT, 1867 CONCERNING THE QUEBEC SCHOOL SYSTEM
COMITÉ MIXTE SPÉCIAL POUR MODIFIER L'ARTICLE 93 DE LA LOI CONSTITUTIONNELLE DE 1867 CONCERNANT LE SYSTÈME SCOLAIRE AU QUÉBEC
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 30 octobre 1997
La coprésidente (la sénatrice Lucie Pépin (Shawinegan, Lib.): Bonjour. Nous sommes heureux d'accueillir ce matin les membres du Mouvement du Grand Québec, MM. Richard Smith, Deepak Awasti et Giuliano D'Andrea. Nous vous souhaitons la bienvenue.
Nous vous donnons une dizaine de minutes pour faire votre présentation et, par la suite, les membres du comité vous poseront des questions.
Vous pouvez vous partager la présentation comme vous le voulez, mais vous vous identifiez, s'il vous plaît, la première fois que vous parlez.
[Traduction]
M. Giuliano D'Andrea (président intérimaire, Mouvement du Grand Québec): Merci. Je vais présenter l'exposé, et avec un peu de chance nous allons avoir amplement de temps pour une discussion intéressante.
En réalité, si nous sommes venus ici, c'est pour échanger des idées et essayer de voir avec vous ce qui au juste inquiète la communauté anglophone, du moins de notre point de vue.
Je tiens d'abord à vous remercier tous d'être ici à une heure aussi matinale. Puisqu'il est tôt, je me permets de commencer par une petite anecdote qui nous aidera à bien nous situer. Elle m'a été racontée dans une école catholique québécoise par un missionnaire. Je l'ai adaptée un peu, de manière à ce qu'elle illustre bien le contexte dans lequel s'inscrit le projet d'article 93A.
[Français]
Il y avait une fois un Québécois anglophone du nom de Jean qui voulait monter dans les Rocheuses pour voir le paysage. Donc, il montait et, tout à coup, il a eu un accident. Jean est tombé. Une chance qu'il avait sa corde. Il tomba de 200 mètres, mais la corde tenait le coup. Au-dessus de lui, il y avait 200 mètres; il ne voyait pas très bien parce qu'il avait même perdu ses lunettes. En regardant, il voyait qu'il était à au moins une centaine de mètres de la terre ferme. Il était suspendu dans le vide.
Comme tout bon Anglo-Québécois catholique, il décida de prier son Dieu. Il commença par dire:
[Traduction]
Y a-t-il quelqu'un là-haut?
[Français]
Comme il n'y avait pas de réponse, il dit encore une fois, désespéré:
[Traduction]
Y a-t-il quelqu'un là-haut?
[Français]
Tout à coup, les nuages se dispersèrent et une voix lui répondit:
[Traduction]
Jean, si tu as la foi, je peux te sauver.
[Français]
Imaginez-vous comme John était content:
[Traduction]
Oui, oui, j'ai la foi, j'ai la foi. Dites-moi ce que je dois faire - n'importe quoi.
[Français]
Et la voix lui répondit:
[Traduction]
Si tu as vraiment la foi, je peux te sauver.
[Français]
Encore une fois, il dit: Oui,
[Traduction]
Oui, dites-moi quoi faire.
[Français]
Et la voix lui répondit:
[Traduction]
Lâche la corde.
[Français]
Donc, John regarda en bas, puis en haut, pensa un peu, et répondit:
[Traduction]
Y a-t-il quelqu'un d'autre là-haut?
[Français]
C'est un peu le dilemme que les communautés anglophone et allophone du Québec vivent avec l'amendement à l'article 93 qu'on veut apporter à la Constitution.
[Traduction]
Beaucoup d'anglophones se retrouvent exactement devant le même dilemme. D'une part, ils ont le sentiment de devoir s'agripper à cette corde et de devoir éviter à tout prix de lâcher prise. Quand ils regardent vers le bas, privés qu'ils sont de leurs lunettes, ils ne sont pas sûrs d'être tout à fait en mesure de bien cerner la réalité et ils prennent peur. Quand ils regardent vers le haut, ils appréhendent que la remontée ne soit malheureusement très difficile.
La voix, c'est la voix du gouvernement qui leur dit de lâcher la corde. Ce n'est pas facile pour eux. Que bien des membres de la communauté anglophone trouvent le risque très grand est aisément compréhensible.
Quand j'étais d'âge scolaire, l'article 93 représentait plus qu'un simple texte qu'on trouvait dans les livres. Il ne protégeait pas que les droits religieux. Pour bien des anglophones, il préservait leur droit à l'instruction dans leur langue. Avant 1982, cet article, quelle qu'en soit la portée réelle, apparaissait à une foule d'anglophones comme la garantie constitutionnelle qu'ils pourraient conserver leurs écoles.
Ce qui vous étonnera peut-être, c'est d'apprendre que le Mouvement du Grand Québec, que nous représentons ici aujourd'hui, est en faveur de la mesure législative proposée.
Nous voyons cette mesure d'un tout autre oeil que la plupart des autres groupes anglophones. Nous avons rédigé un mémoire à ce sujet. J'ignore si vous l'avez tous en main. Nous nous sommes pris tard pour en faire faire des copies, mais nous nous ferons un plaisir de vous en distribuer après la séance.
Nous allons examiner ensemble trois volets de la question qui nous préoccupent particulièrement. Le premier concerne l'emploi dans le projet d'amendement de l'expression «communauté québécoise d'expression anglaise». Au Québec, la définition de «communauté québécoise d'expression anglaise» semble varier selon les interlocuteurs. C'est un aspect de la question qui nous apparaît très important.
Nous aimerions également vous démontrer qu'à notre avis le problème de la communauté anglophone tient en partie à ce que ses institutions scolaires ne se sont pas adaptées au Québec moderne.
Nous allons discuter ensuite de l'article 93. Je sais que vous avez entendu de nombreux groupes anglophones soutenir que l'article 23 de la Charte devrait peut-être être renforcé sous une forme ou sous une autre. Ils n'accepteraient de renoncer à l'article 93 que si l'article 23 de la Charte était plus contraignant.
Nous sommes d'avis qu'une telle précaution serait superflue. En fait, d'après notre analyse, l'article 93 a servi de béquille à notre communauté et lui a peut-être davantage nui qu'il ne l'a aidée.
Enfin, compte tenu de la nature des changements qu'entraînerait l'adoption de cette mesure législative, il nous apparaît que le mode de consultation en comité n'est peut-être pas suffisant pour bien jauger l'opinion publique québécoise à cet égard. Peut-être y aurait-il lieu de tenir une commission royale d'enquête, qui se pencherait non seulement sur la question de l'enseignement, mais aussi sur celle de l'exode des anglophones du Québec, qui est proprement alarmant. Quand on voit chaque année des milliers des nôtres quitter le Québec et un nombre plus important encore songer à le faire, il y là sans conteste un problème dont le gouvernement fédéral aurait tout intérêt à essayer de cerner les causes.
Vous serez peut-être étonnés d'apprendre que notre mouvement ne souscrit pas nécessairement à la thèse voulant que ce soit la peur du nationalisme québécois qui fasse fuir les anglophones, bien que ce soit là un facteur qui y contribue. Ce qui semble inquiéter les participants à nos réunions, notamment ceux qui sont de ma génération, c'est qu'un si grand nombre de nos jeunes anglophones aujourd'hui dans la trentaine ou frais émoulus de nos établissements scolaires n'ont du français langue seconde qu'une connaissance fonctionnelle, généralement nettement insuffisante pour leur permettre de postuler à chances égales un emploi. Nombre de nos compatriotes, quand ils font leur entrée sur le marché du travail, optent pour l'Ontario, l'Ouest canadien ou les États-Unis, où leurs possibilités sont meilleures. Ils jugent leur niveau de compétence linguistique inférieur à ce qu'exige le marché du travail québécois.
C'est essentiellement de ces questions que nous aimerions discuter avec vous aujourd'hui. Il est fondamental que nous nous demandions dès le départ si nous avons réellement besoin pour nos institutions scolaires de langue anglaise au Québec du genre de protection que réclament certains de nos amis anglophones qui vous présentent une vision différente de la nôtre.
Le Mouvement du Grand Québec est intégrationniste. Il croit que les Anglo-Québécois qui se tireront le mieux d'affaire dans le Québec de demain sont ceux qui seront pleinement à l'aise dans les deux langues et qui pourront vivre et travailler en français, et non ceux qui pourront au mieux tenir une conversation de cinq minutes en français au dépanneur du coin.
Nous sommes véritablement en présence de visions qui s'opposent. Le plus regrettable dans tout cela, en particulier pour les gens de ma génération, c'est de voir qu'on n'a pas encore réussi à faire passer ce message. Il est tellement rare qu'on voit quelqu'un exprimer clairement l'opinion que nos établissements scolaires anglophones devraient considérer l'enseignement du français langue seconde comme une priorité, et une priorité très importante, que souvent on a l'impression qu'on n'y croit tout simplement pas.
Pour conclure, je tiens à vous faire remarquer qu'au Québec il y a les anglophones qui ont droit à l'école anglaise et ceux qui, bien qu'ayant l'anglais comme langue maternelle, n'y ont pas accès. Ironiquement, ces derniers passeront probablement toute leur vie au Québec, tandis que ceux d'entre nous qui fréquentent l'école anglaise iront plutôt gagner leur vie en Ontario, dans l'Ouest canadien ou à l'étranger.
Le Mouvement du Grand Québec part du principe qu'il existe un Québec plus grand que celui des partis politiques ou de certaines élites québécoises. Il y a le Québec du petit commerçant, du travailleur de la construction, de l'étudiant et du résidant typique de Montréal ou de Québec et de leurs banlieues. Ce message, malheureusement, ne passe que rarement la rampe. Il s'impose qu'il soit entendu.
Ce dont j'aimerais que nous discutions enfin, si le temps nous le permet, c'est, naturellement, du prétendu consensus qui existerait au Québec sur cette question. D'après ce que j'ai lu dans les journaux, vous allez probablement entendre cet après-midi de très prestigieux témoins qui essaieront de vous convaincre qu'il y a un consensus; nous ne voyons, quant à nous, rien qui prouve vraiment l'existence d'un tel consensus.
De nombreux groupes minoritaires au sein de notre communauté n'ont même pas la possibilité d'exprimer leurs points de vue et leurs craintes et d'en discuter, en grande partie parce qu'ils se sentent exclus du débat. Par conséquent, quand des gens viennent dire qu'il y a un consensus au Québec, peut-être ce consensus existe-t-il dans certaines régions, mais pas dans mon milieu, certainement pas non plus dans celui de Deepak, et je suis sûr que Richard Smith peut en dire autant de son côté.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur D'Andrea.
Le premier intervenant sera Mme Val Meredith.
Mme Val Meredith (South Surrey—White Rock—Langley, Réf.): Je trouve votre propos très intéressant, car j'en déduis d'après votre mémoire que vous êtes en faveur de la proposition du gouvernement de soustraire le Québec à l'article 93, mais vous dites aussi qu'il n'existe pas de consensus à cet égard chez la minorité qui est le plus touchée par ce changement. Vous ai-je bien interprété?
M. Giuliano D'Andrea: Tout à fait.
Mme Val Meredith: Est-ce à dire que votre organisme demeure favorable à cette proposition même sans ce consensus chez le groupe le plus touché par cette modification?
M. Giuliano D'Andrea: À mon avis, le groupe qui sera le plus touché par cette modification tirera probablement avantage des changements qui s'ensuivront. Ce qu'il faut surtout comprendre pour en juger, c'est que le Québec anglophone est une communauté qui émigre, qui quitte le Québec, et qui est en voie de perdre tous ses jeunes.
Ce qu'il importe de garder à l'esprit ici, c'est qu'une fois qu'on aura soustrait le Québec à l'application de l'article 93, le processus de changement ne s'arrêtera pas là. En effet, nous aurons alors la possibilité de nous adresser à l'Assemblée nationale pour lui demander d'apporter les changements qui nous apparaissent souhaitables. Les négociations qui vont se tenir par la suite entre notre communauté et le reste du Québec devront se dérouler entre Québécois.
M. Deepak Awasti (directeur, Mouvement du Grand Québec): Ce qui caractérise la situation au Québec, c'est que la communauté anglophone réclame de plus en plus d'enseignement en français. L'ordre établi vous dira bien que notre communauté a besoin de plus de contrôle, de plus d'autonomie de gestion et de plus de droits que ceux garantis par l'article 23, mais les gens de la base, quant à eux, délaissent ces valeurs reçues, qui ne comptent plus à leurs yeux.
Étant commissaire d'école à la commission scolaire de Lakeshore, je suis à même de constater que notre communauté exige désormais davantage de programmes d'immersion française. Autrement dit, il nous importe peu d'avoir ou non la main haute sur l'école anglaise; ce que nous voulons, c'est que nos enfants aient accès à des cours d'immersion française et puissent être vraiment bilingues au terme de leurs études. Voilà ce qui nous importe, de plus en plus d'ailleurs.
En réalité, ces souhaits ou ces opinions qui ne concordent pas forcément avec les vues des gens de la base au sein de notre communauté, ce sont plutôt Alliance Québec ou le Parti Egalité, autrement dit l'ordre établi, qui les expriment.
Mme Val Meredith: Je demeure inquiète de ce que vous jugiez, même sans l'appui de la communauté qui en sera le plus touchée... On nous a maintes fois répété que ce ne sont pas les droits linguistiques ni les droits de la minorité qui sont en cause ici, mais bien le droit à des écoles confessionnelles, la possibilité de pouvoir maintenir au Québec des écoles où l'on dispense un enseignement religieux. Ce que je vous demande encore une fois, c'est si vous êtes vraiment en faveur qu'un gouvernement traite ainsi une population, lui enlève ses droits sans qu'il existe un consensus en ce sens au sein de la communauté concernée. C'est comme si on disait à ces gens: «Nous savons ce qui vous convient» sans leur permettre d'exprimer démocratiquement leur accord ou leur désaccord. Je suis un peu perplexe à l'idée que vous n'y voyiez pas de problème.
M. Deepak Awasti: La situation à cet égard est différente dans l'île de Montréal de celle qu'on observe ailleurs. La ville de Montréal proprement dite étant beaucoup plus cosmopolite que le reste du Québec, la question des garanties concernant l'enseignement confessionnel n'y suscite pas autant de controverse, quoique, par exemple, la communauté juive de Montréal ait réclamé, par la voix du Congrès juif canadien, l'extension du droit à l'école confessionnelle à des groupes autres que les protestants et les catholiques.
Effectivement, le débat porte maintenant sur le fait que si les protestants et les catholiques ont le droit de décider qu'une école sera d'orientation protestante ou catholique, les gens des autres confessions religieuses devraient jouir de ce même droit. Le débat est maintenant plus vaste. Ce n'est plus comme il y a 30 ou 130 ans.
[Français]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Le prochain intervenant sera M. Réal Ménard.
M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): C'est à mon tour?
Le coprésident (M. Denis Paradis): Oui.
M. Réal Ménard: Habituellement, vous allez du côté des conservateurs, monsieur le président.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Vous avez raison. Madame Lavoie-Roux.
[Traduction]
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux (Québec, PC): C'est la première fois que j'entends parler de votre mouvement. Qui représentez-vous?
M. Giuliano D'Andrea: Ironiquement, notre mouvement a pris forme au sein du Parti Égalité. Ce parti a, en 1992, perdu son aile jeunesse, qui comptait 300 membres. J'étais président de ce mouvement. Richard Smith était aussi des nôtres. Plusieurs autres membres nous ont suivis en 1992—d'autres l'ont fait un peu plus tard.
Par la suite, nous avons étendu nos activités et, avec d'autres personnes de notre génération, nous nous sommes employés à nous demander si le débat politique et social au Québec ne tournait pas depuis des générations autour d'idées dépassées que nous ne partagions pas.
Nous sommes donc actifs de diverses manières depuis au moins 1992. Nous avons pris le nom de Mouvement du Grand Québec en 1995, à l'occasion de la tournée des commissions régionales sur l'avenir du Québec organisées par l'Assemblée nationale. Nous y avions présenté des mémoires. Notre groupe se distingue de la plupart des autres groupes que vous entendrez et qui représentent l'ordre établi. Notre mouvement est jeune. Nous sommes d'une autre génération. Nous sommes les enfants de la Révolution tranquille.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Combien de membres compte votre groupe?
M. Giuliano D'Andrea: Environ 300 membres.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Ce n'est pas beaucoup.
M. Giuliano D'Andrea: Les révolutions débutent généralement avec beaucoup moins de membres que cela.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Quoi qu'il en soit, cette question est en dehors du sujet. Je n'ai jamais entendu parler de votre mouvement, et je vois qu'il recrute surtout des jeunes.
M. Giuliano D'Andrea: C'est exact.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Vous estimez que les représentants de l'ordre établi devraient céder leur place.
M. Giuliano D'Andrea: Non, ce serait mal interpréter ce qui nous anime. Nous avons tout respect pour l'ordre établi, mais nous aimerions avoir également voix au chapitre.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Vous dites que...
[Français]
Vous parlez français, j'imagine.
M. Giuliano D'Andrea: Je l'espère, oui.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Donc, je vais vous parler en français. Vous semblez dire qu'il devrait y avoir un seul type de commission scolaire, que tout serait français et que tout le monde finirait sa vie bilingue.
Cependant, je dois vous dire que ceux qui ont fait les plus grands efforts pour l'immersion française... J'en ai vu plusieurs, près de moi ou ailleurs. Cela a commencé sur la rive sud, je pense, à la Commission protestante du Grand Montréal, qui a eu beaucoup de succès avec ses classes d'immersion.
Les parents ont-ils voulu mettre les enfants dans des classes d'immersion? Cela, c'est une autre question. Mais reprocher au secteur de l'éducation anglophone de ne pas avoir fait d'efforts pour enseigner... L'autre jour, c'était la première fois que j'entendais des parents francophones me dire que ce dont ils auraient besoin pour que leurs enfants apprennent l'anglais, ce serait des classes d'immersion anglaise. Je n'avais jamais entendu cela.
Permettez-moi de vous dire que vous êtes un peu sévère dans vos jugements, avec tout le respect que je dois aux témoins, mais je trouve qu'il faut être juste quant à ce qui a été fait.
Le coprésident (M. Denis Paradis): C'est une question ou un commentaire, madame Lavoie-Roux?
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Je veux une réaction.
M. Giuliano D'Andrea: En 1966, 1967 et 1968, à Saint-Léonard, il y avait un modèle de ce dont on est en train de parler aujourd'hui, c'est-à-dire une école bilingue. C'était peut-être avant-gardiste pour l'époque, mais dans cette école, on essayait d'apprendre aux Québécois à maîtriser les deux langues. Les plupart étaient des Italiens, mais il y avait aussi des Canadiens français et des Irlandais.
En 1969, vous vous en souvenez peut-être, il y avait eu la fameuse crise de Saint-Léonard.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Si je m'en souviens!
M. Giuliano D'Andrea: Moi, j'étais l'un de ces 300 basement children, et cela a été dur. Ce qu'on a perdu, depuis ces années-là, c'est le concept d'une école intégrée. Vous dites qu'on est un peu sévères. C'est vrai qu'on est sévères avec nos institutions anglophones. La vérité, c'est que si je vous parle aujourd'hui en français, c'est parce que je suis allé à l'école, mais surtout parce que je me suis jeté dans un marché francophone, que j'ai travaillé en français. J'ai dû, comme Richard Smith, faire des classes en plus.
Vous savez, il y a une chose ironique au Québec.
[Traduction]
Au «high school», nous devons réussir le cours de français 422—c'est peut-être 522 de nos jours—pour avoir un certificat de bilinguisme.
[Français]
C'est un certificat qui nous dit qu'on est bilingue. Si on ne réussit pas l'examen du ministère, on n'obtient pas notre
[Traduction]
certificat de 5e secondaire en lecture.
[Français]
Le jour où l'enfant quitte cette classe et veut postuler un emploi dans la fonction publique du Québec, et même dans la fonction publique canadienne, on lui fait subir à nouveau un examen pour voir s'il est compétent dans la langue française. Il y a un problème quelque part.
Si le ministère de l'Éducation au Québec dit que vous êtes bilingue, comment se fait-il qu'on doive refaire le même examen lorsqu'on cherche du travail?
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Êtes-vous un fonctionnaire?
M. Giuliano D'Andrea: Non, mais je l'étais.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Madame Lavoie-Roux, un instant, s'il vous plaît.
Nous allons passer au prochain intervenant. Beaucoup de personnes ont déjà demandé la parole. Réal Ménard.
M. Réal Ménard: Je veux vous dire, d'entrée de jeu, que j'ai beaucoup apprécié votre exposé. En fait, j'ai trouvé cela très, très rafraîchissant. Cela m'a un peu rappelé un groupe de jeunes de la communauté anglophone qui, je crois, a senti comme vous, à un moment donné, le besoin d'avoir un discours alternatif par rapport au discours établi de la majorité anglophone. Je pense aux jeunes de Forum Québec, qui sont venus nous voir.
Je comprends, de votre exposé, qu'il y a trois éléments importants pour vous. D'abord, vous dites être d'accord sur l'amendement. Donc, vous souhaitez que le comité donne une suite positive à la résolution de l'Assemblée nationale. Je comprends que vous êtes d'accord, parce que vous avez la conviction que cela va consolider le réseau scolaire anglo-québécois et permettre qu'il y ait des liens plus fluides entre nos deux communautés.
Ce que je trouve également intéressant et extrêmement positif dans votre discours, c'est que vous dites qu'il faut engager le dialogue. On n'a pas le choix d'engager le dialogue, étant entendu que nous sommes appelés à coexister. Si vous aviez à indiquer au comité ce qu'on pourrait faire de plus pour la communauté anglophone pour qu'existe le dialogue que vous souhaitez entre la majorité et la minorité, qu'est-ce que ce serait? Je le dis parce que je suis à une période de ma vie où je me pose beaucoup de questions sur la façon dont on peut être encore plus près les uns des autres, mais sans tenir un discours aussi ultime que certains.
[Traduction]
M. Giuliano D'Andrea: C'est la question d'un million de dollars. J'aimerais bien en connaître la réponse. J'imagine qu'il faut procéder par étapes.
Il faut avant tout que le dialogue s'établisse. Depuis le référendum de 1995, depuis un peu avant et certainement après, les relations entre nos deux groupes se sont, à mon avis, dégradées à un tel point que ce sont maintenant les extrémistes qui, de part et d'autre, dictent le ton du discours. Du moment qu'on s'entend pour établir le dialogue, il y a de l'espoir, je pense.
Je souscris à la plupart de vos observations. Il y a deux ou trois choses dans nos systèmes scolaires qui pourraient nous poser problème. Quant à l'hypothèse que cette mesure puisse favoriser la consolidation du réseau scolaire anglophone, ce n'est pas précisément le modèle que nous préconisons.
Mais il est clair que ce dont nous avons besoin d'abord et avant tout au sein de la communauté anglophone, c'est d'un dialogue, ainsi que de mécanismes propres à en favoriser l'établissement. À l'heure actuelle, notre problème—comme nous l'avons déjà fait remarquer, nous sommes un groupe restreint—c'est que depuis toujours ce sont de gros groupes bien établis qui dictent le ton, et ils vous donnent l'impression que la teneur de leur message reflète l'opinion publique.
M. Awasti a mentionné que son rôle de commissaire d'école lui avait permis de constater que les opinions des gens de la base sont tout autres et qu'elles ne sont pas connues.
Richard, vouliez-vous ajouter quelque chose?
[Français]
M. Réal Ménard: Ai-je bien compris que vous demandez une commission royale d'enquête?
M. Giuliano D'Andrea: Oui.
M. Réal Ménard: Je pourrais être d'accord si c'était la sénatrice Pépin qui la présidait, mais j'avoue qu'on a le sentiment que les commissions royales d'enquête, c'est quelque chose de long, d'intense. Pourquoi faites-vous une telle recommandation?
[Traduction]
M. Giuliano D'Andrea: Parce qu'étant donné l'ampleur et l'importance de la question, il faudrait consulter bien davantage la population.
Je sais, d'après une question qui nous a été posée tout à l'heure, que nous avons pu donner l'impression que nous faisions peu de cas de ce que la communauté anglophone pensait et que tout ce qui nous importait, c'était d'expédier cette question. Ce n'est pas exactement ce que nous disons. Ce que nous voulons dire, c'est qu'il n'existe pas de consensus actuellement et que les gens sont inquiets. Bien que nous soyons en faveur de cette mesure législative, il y a selon nous certaines autres choses qui s'imposent également, notamment l'institution d'une commission royale d'enquête.
Il pourrait s'agir d'une commission législative. Après tout, il y a eu, dans les années 60 ou au début des années 70, la Commission Parent qui a produit une étude remarquable sur le système d'éducation de l'époque. On ne crée plus de telles commissions de nos jours. La société a changé radicalement au cours des 30 dernières années, et c'est pourquoi nous demandons qu'on mette sur pied une commission de ce genre.
M. Deepak Awasti: J'ajouterais qu'à mon sens la Commission Parent était en réalité 40 ou 50 ans en avance sur son époque en recommandant l'établissement de commissions scolaires régionales unifiées. Le gouvernement du Québec a appuyé l'idée des commissions scolaires régionales jusqu'en 1984, puis, il a proposé de créer des commissions scolaires linguistiques. Il était question d'instituer des commissions scolaires régionales ou des commissions scolaires linguistiques dans l'île de Montréal, et des commissions scolaires régionales dans le reste de la province. Nous en sommes à l'heure des choix. Nous pouvons influencer le cours de choses. Ce ne sont que les divergences de vues et l'ordre établi qui nous empêchent d'aller plus loin. Tout cela ne fait qu'isoler davantage ce qu'on appelle la communauté anglophone.
Il nous faut en outre définir ce qu'on entend par communauté anglophone, répondre à la question que posait Giuliano. Suis-je un anglophone? Du seul fait qu'il parle anglais, M. Paradis est-il un anglophone? Certains diraient que oui, il est anglophone, puisqu'il parle anglais.
Il est malheureux qu'en raison de la façon dont le débat a évolué nous en soyons au point de ne plus trop savoir qui fait partie de notre communauté. Il y a toute une variété de groupes qui sont intégrés à ce qu'on appelle la communauté anglophone et dont le point de vue n'est pas connu parce que les médias jugent qu'ils ont intérêt à véhiculer davantage celui d'un petit nombre de groupes influents.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Discepola.
M. Nick Discepola (Vaudreuil—Soulanges, Lib.): J'ai personnellement horreur de ces deux étiquettes parce qu'elles nous catégorisent, et j'espère qu'un jour nous pourrons revenir au bon vieux temps où nous étions tous des Canadiens—d'origines diverses, certes, mais d'abord et avant tout des Canadiens.
Je trouve parfois décourageant d'entendre des jeunes intelligents et brillants comme vous formuler de tels commentaires, car je partage un nombre incroyable de ces inquiétudes. Dans ma circonscription, on m'en parle quotidiennement. Par ailleurs, je deviens très optimiste quand je vois avec quelle détermination et avec quelle énergie vous tenez absolument à rester au Québec, à faire progresser le Québec au sein du Canada, et je vous en félicite. C'est à mon avis grâce à des gens comme vous que nous pouvons espérer avoir un avenir au Canada et au Québec.
Un de vos commentaires m'inquiète, à savoir qu'il n'existerait pas de consensus, car selon moi il doit y avoir un consensus au sein de la communauté qui est la plus touchée par ce changement.
Je me demande si je puis vous rassurer en vous disant que l'article 23 de la Charte offre une protection suffisante en ce qui concerne l'accès à l'instruction dans sa propre langue au sein des commissions scolaires linguistiques. Il semble y avoir au Québec un consensus quasi unanime en faveur de l'établissement de commissions scolaires linguistiques.
Si vous estimez qu'il n'existe pas de tel consensus, vous ne devriez pas être en faveur de cet amendement. Chaque fois que quelqu'un se présente ici en disant qu'il appuie cet amendement tout en exprimant certaines réserves... c'est l'idée qu'il se montre favorable à l'amendement que retient l'assemblée provinciale.
Ne croyez-vous pas que les lois 107 et 109 ainsi que la Charte canadienne protègent suffisamment la communauté anglophone? Cela ne suffit-il pas à vous convaincre qu'il puisse y avoir sur cette question un consensus plus large que vous ne le pensez?
M. Giuliano D'Andrea: Nous estimons que la protection est amplement suffisante. Je ne voudrais pas qu'on interprète mal notre mémoire ou notre position. Nous n'avons nullement le sentiment que le projet d'amendement ne nous protège pas assez. Tout ce que nous croyons, c'est qu'il n'existe pas un consensus suffisamment large sur cette question.
Je partage par ailleurs votre idée là-dessus, tout comme notre mouvement d'ailleurs, puisque nous appuyons le projet d'amendement, mais il nous excède un peu d'entendre qu'il existe un consensus à cet égard et que cela devrait suffire à nous convaincre d'appuyer l'amendement.
M. Nick Discepola: C'est très important.
M. Giuliano D'Andrea: Peut-être. Je ne le mets pas en doute. Tout ce que je conteste, c'est qu'on prétende qu'il existe un consensus. Si vous ne pouvez pas voter en faveur de l'amendement en l'absence d'un tel consensus, et si pour vous cet aspect est déterminant, peut-être devriez-vous voter contre.
Ce que je dis, c'est que ce consensus n'existe pas. Cela ne veut pas dire qu'il serait impossible à atteindre, mais à l'heure actuelle, il n'existe pas.
M. Richard Smith (président, Mouvement du Grand Québec): Je résumerais la question en disant que, bien que nous soyons favorables à ce que le Québec soit soustrait à l'application de l'article 93, nous ne souscrivons pas à l'objectif global que poursuit le gouvernement du Québec. Autrement dit, nous sommes en faveur de la déconfessionnalisation du système, mais non de l'établissement de commissions scolaires linguistiques. Voilà l'idée maîtresse de notre message.
M. Nick Discepola: Croyez-vous que le gouvernement du Québec a des intentions inavouées?
M. Richard Smith: En fait, il suffit de jeter un coup d'oeil à l'histoire canadienne française pour constater que, ironiquement, si le Canada français a survécu au XVIIIe siècle et au début du IXXe, c'est de toute évidence en grande partie grâce à ses établissements scolaires. Je pense donc qu'à bien des égards il y a une volonté chez les francophones québécois de ne considérer que juste d'accorder aux anglophones ce qu'historiquement ces derniers leur ont eux-mêmes accordé et qui leur a été profitable. C'est pourquoi il semble bien que rares sont ceux qui contestent vraiment le droit des anglophones à des écoles anglaises, même chez les adeptes du Parti québécois. Ce que nous disons, c'est que c'est carrément l'inverse qui est souhaitable dans notre cas.
En effet, tandis que l'existence de réseaux scolaires francophones a pu profiter historiquement au Canada français, nous croyons que le maintien d'écoles et de commissions scolaires anglophones séparées serait en réalité la pire des solutions pour nous. Il ne pourrait qu'accentuer l'exode. Comme nous l'avons fait remarquer, le système n'enseigne pas ce qu'il devrait enseigner.
C'est pour notre communauté une question de survie. Nous sommes quotidiennement en contact avec plus de francophones, qu'il s'agisse d'amis, de collègues de travail ou d'autres, que probablement la génération de nos parents ne l'a jamais été. Pourquoi alors, si nous vivons et travaillons ensemble, devrions-nous envoyer nos enfants dans des écoles séparées? C'est vraiment cette fragmentation sociale du Québec qui est à l'origine d'un bon nombre des autres problèmes politiques que nous connaissons.
Nous appuyons donc ce projet d'amendement, sans toutefois souscrire à l'objectif global que poursuit le gouvernement provincial.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur Smith.
Nous allons maintenant céder la parole à Mme Sheila Finestone.
L'hon. Sheila Finestone (Mont-Royal, Lib.): Merci beaucoup.
Bonjour. Je trouve qu'il y a toute une différence entre votre perception et la mienne. Permettez-moi d'en faire la démonstration d'entrée de jeu.
Je suis d'avis que dans un pays comme le Canada, qui a été édifié non seulement par ses peuples autochtones mais par ses deux nations fondatrices, la langue et la culture anglaises, dont l'importance et le prestige sont reconnus à l'échelle mondiale, véhiculent et continueront de véhiculer un message et des valeurs culturelles dont nous pouvons être très fiers. Bien que je sois capable de m'exprimer en français—ce qui me permet de m'ouvrir à la culture française, à la langue française, au théâtre français et à l'art français—cela ne signifie nullement, et je ne voudrais pour rien au monde en arriver là, que je doive pour cela renier ma culture et mes origines anglaises, ni mon identité juive.
Selon moi, ce qui est le plus merveilleux au Canada et au Québec, c'est qu'il nous soit permis d'y promouvoir notre diversité et notre pluralisme. D'ailleurs, à cet égard, nous reconnaissons maintenant que notre pays n'est plus uniquement biculturel et bilingue, mais multiculturel.
J'aimerais bien comprendre ce qui vous amène à penser que vous devez renoncer à vos origines et à votre histoire pour joindre tout bonnement la communauté francophone, le réseau scolaire francophone et le groupe culturel francophone. C'est ce que j'ai compris de vos propos, que je trouve tout à fait déconnectés de la réalité. C'était mon premier point.
Deuxièmement, je vous reconnais à tous trois le mérite d'avoir pris la peine de rédiger un mémoire et de venir témoigner devant notre comité. Je vous admire et vous félicite d'avoir fait cet effort, mais le message que vous véhiculez n'est pas celui des jeunes. Vous êtes du même âge que mes enfants, qui sont d'ailleurs tout à fait à l'aise dans les deux langues officielles. En fait, ils parlent respectivement quatre et cinq langues. Ce qui motive quelqu'un à apprendre d'autres langues que sa langue maternelle, et c'est d'ailleurs ce qui est merveilleux dans tout cela, c'est que ces langues lui permettent d'avoir une ouverture sur le monde. Ne souhaitez-vous pas vous aussi avoir une ouverture sur le monde? Voilà ma question. Voulez-vous que vos enfants s'en tiennent à la culture et à la langue françaises. N'est-il pas préférable d'élargir ses horizons?
M. Giuliano D'Andrea: J'ignore où vous êtes allée chercher cette perception.
L'hon. Sheila Finestone: Dans vos propos.
M. Giuliano D'Andrea: Non, je pense que vous les avez mal interprétés, et je vais essayer de clarifier les choses.
Nous ne disons pas que nous voulons tourner le dos à notre culture et à notre héritage. Prenons mon cas: je m'appelle D'Andrea et je suis italien; j'ai fréquenté l'école anglaise, et j'adore la langue anglaise, probablement autant que Sir Wilfrid Laurier l'aimait lorsqu'il fréquentait une école protestante de New Glasgow; je respecte la communauté anglophone et dans la mesure où l'on me considère anglophone, et c'est souvent le cas, j'en suis très fier.
Nous ne souhaitons pas l'assimilation. Nulle part dans nos documents vous ne trouverez des arguments qui militent en faveur de l'assimilation. Nous sommes des intégrationnistes. C'est très différent.
Permettez-moi de vous citer juste un exemple. J'habitais dans ma jeunesse sur la rue Filion à Ville-Saint-Laurent. Il y a trois semaines, j'ai rencontré par hasard une demoiselle, que nous appellerons Lucie, qui demeurait à l'époque sur la même rue que moi. Nous avons été estomaqués, elle et moi, de nous rendre compte que nous y avions grandi tous les deux. J'ai maintenant 34 ans. Je fréquentais l'école catholique anglaise, et elle, l'école catholique française. J'allais à l'église de la paroisse de la Transfiguration du Christ située à un bout de la rue, et elle, à l'église de la paroisse Sainte-Odile à l'autre bout de la rue. Nous avons constaté que tout ce que nous avions pu avoir en commun dans notre voisinage d'alors, c'était le dépanneur Bisaillon. Rien d'autre. Nous vivions deux existences bien séparées, et c'est là que réside le problème.
Si comme Québécois nous devons de toute façon en venir à nous intégrer dans nos quartiers et dans nos lieux de travail, pourquoi faudrait-il que nos enfants attendent d'avoir 25 ou 26 ans avant de le faire? Pourquoi ne s'y mettraient-ils pas dès l'âge de 6 ou 7 ans? Voilà mon point.
L'hon. Sheila Finestone: Le parc du quartier est fait pour cela.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur D'Andrea.
Monsieur Bélanger.
M. Mauril Bélanger (Ottawa—Vanier, Lib.): J'avance en grade, monsieur le président. Merci.
J'aurais deux ou trois questions.
Premièrement, vous avez mentionné dans votre exposé qu'on n'avait pas de preuve de l'existence d'un consensus. Je reconnais que ce n'est pas à votre communauté mais à ceux qui ont proposé cet amendement de prouver qu'un tel consensus existe, mais auriez-vous la gentillesse de nous dire si, de votre côté, vous avez des preuves tangibles de l'inexistence d'un tel consensus? Ce pourrait être utile.
Deuxièmement, j'aimerais revenir sur l'organisation que vous représentez aujourd'hui. Vous dites qu'au départ vous aviez 300 membres, mais que vous avez ultérieurement accueilli un groupe qui s'était dissocié d'un autre mouvement. Combien de membres compte votre organisation à l'heure actuelle? En avez-vous toujours 300?
M. Giuliano D'Andrea: Notre nombre fluctue. Nous ne sommes pas comme Alliance Québec ou d'autres groupes qui obtiennent une aide financière ou autre des gouvernements fédéral ou provincial. Nous sommes davantage un groupe de réflexion. N'importe qui peut assister à nos réunions. Quelque 400 personnes figurent sur nos listes. Sont-elles toujours présentes? Certainement pas. Aucune organisation ne voit tous ses membres participer à toutes ses activités.
M. Mauril Bélanger: Sauf le Parti libéral, bien sûr.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur Bélanger.
Nous allons maintenant passer au sénateur Grafstein.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (Grand Toronto, Lib): ...[Note de la rédaction: propos inaudibles] ...absence de consensus.
M. Giuliano D'Andrea: J'ai été aide-enseignant à l'Université d'Ottawa. Quand je m'assoyais pour examiner des travaux qu'on me remettait, en ma qualité d'assistant, je regardais si l'argumentation se tenait, si elle était accompagnée de notes et s'il elle s'appuyait sur des recherches.
Il en va de même pour le Mouvement du Grand Québec. Nous n'avons pas les fonds requis pour faire des sondages. Mais je puis vous dire qu'à ma connaissance aucun sondage n'a révélé l'existence au sein de la communauté allophone d'un consensus ou d'appuis nombreux concernant cette modification.
Je devrai vous renvoyer la balle et vous dire que notre mouvement n'a pas les fonds nécessaires pour effectuer lui-même de telles recherches, à moins évidemment que quelqu'un n'accepte de nous aider financièrement. Nous n'y verrions pas d'objection, mais nous n'en sommes malheureusement pas encore là.
En tant que chercheurs et universitaires couramment appelés à juger de la valeur d'argumentations qu'on nous présente, nous demandons qu'on nous prouve l'existence d'un consensus. Je crois personnellement que pour pouvoir en conclure que ce consensus existe effectivement, il ne suffit pas qu'un petit nombre de groupes aient déclaré que tel est le cas; encore faudrait-il que cette prétention soit corroborée, à tout le moins par voie de sondage, et, que je sache, on n'a encore jamais pris soin de le faire.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Je trouve votre mémoire intéressant, mais il me laisse perplexe. Vous mentionnez qu'il n'est pas nécessaire d'améliorer l'article 23, plus précisément l'alinéa 23(1)a). Vous croyez que la protection est déjà amplement suffisante. Je tiens à m'éloigner et à éloigner mes questions de l'aspect religieux ou confessionnel pour m'en tenir à l'aspect linguistique.
En principe, selon moi, nous sommes ici pour traiter de l'aspect strictement confessionnel de l'article 93. Mais en réalité, notre mandat consiste aussi à vérifier quelles pourraient être les conséquences de cette modification ou, plus précisément, ce que perdraient certains groupes si l'on soustrayait le Québec à l'application de l'article 93.
Quant à l'amendement à l'article 93, il ne me pose en lui-même aucun problème. Mais il faut voir ce qui restera une fois que cette modification aura été apportée. Il y a bien l'article 23 et les autres garanties, mais quand je scrute tout particulièrement les lois 107, 101 et 109, j'y trouve la clause de dérogation.
Si je comprends bien ce que vous essayez d'expliquer, c'est que vous voulez qu'il n'y ait pas de catégories au sein de la population québécoise, que les gens soient tous traités sur le même pied. Votre mouvement a essentiellement pour objectif de prôner l'égalité des individus, que ce soit sur le marché du travail ou ailleurs, sans égard à leur origine ou à leur langue.
Ma question est la suivante: Pourquoi prétendez-vous que la protection est amplement suffisante, alors que le projet de loi sur l'instruction publique, dans son libellé actuel, comporte la possibilité de recourir à une clause de dérogation qui, par essence, pourrait priver tout groupe qui n'adhérerait pas au consensus de son droit, en vertu du principe d'égalité, de pouvoir au moins s'opposer au gouvernement du Québec?
La thèse que vous défendez dans votre mémoire me laisse perplexe.
M. Giuliano D'Andrea: Vous soulevez là une foule de questions. Je vais essayer de répondre à la première que vous avez posée.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Eh bien, tenez-vous-en simplement à ce que vous avez dit concernant la protection, à savoir qu'elle serait amplement suffisante et qu'il ne serait donc pas nécessaire d'améliorer l'alinéa 23(1)a). En pratique, l'article 23 ne s'applique pas vraiment au Québec, ni en vertu de la Charte québécoise ni en vertu de la Charte canadienne, à cause de la présence de la clause de dérogation dans la législation. Tenez-vous-en à ce point.
M. Giuliano D'Andrea: Je vais effectivement m'en tenir à cela, car votre question comporte une foule de sous-questions.
L'article 93 traite des commissions scolaires confessionnelles. Je suis moi-même catholique, très fervent d'ailleurs. J'ai fréquenté l'école catholique. Si mes cousins d'Italie, qui là-bas allaient eux aussi à l'école catholique, avaient vu le genre d'école catholique que nous avions ici, ils auraient été proprement scandalisés par le climat de tolérance excessive qui y régnait. Quand des syndicats réussissent à obtenir qu'on permette à des athées d'enseigner dans nos écoles, je me demande bien où est le fondement catholique dans tout cela. Quand dans une école secondaire de 2 000 élèves il n'y a que deux ou trois personnes, dont une préposée au nettoyage, qui assistent à la messe du matin, il y a certes un problème quelque part.
Quelle est donc notre position, alors? L'article 93 date de 1866, d'une époque où on prenait la religion très au sérieux. Les choses ont bien changé depuis, du moins c'est ainsi que le voient la majorité des gens qui oeuvrent dans le système. Allez visiter une école catholique aux États-Unis et vous verrez ce qu'est une véritable école catholique. Dans ce pays, les écoles confessionnelles sont privées, ce qui n'est pas le cas ici.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur D'Andrea.
Je vais laisser M. Peter Goldring poser une question pourvu qu'elle soit très brève.
M. Peter Goldring (Edmonton-Est, Réf.): Merci de votre exposé.
Il est mentionné dans votre mémoire que:
-
[...] ce ne sont pas les enfants des anglophones ayant statut légal
qui contribueront à construire le Québec anglophone de demain, mais
ceux des anglophones sans statut légal, qui auront été forcés
d'étudier dans des écoles francophones [...]
Ayant cela à l'esprit, et compte tenu de vos autres assertions, il semble évident qu'on n'a pas vérifié s'il y avait chez les groupes minoritaires un consensus en faveur de l'adoption de cette mesure législative. Ne croyez-vous pas qu'il faudrait vérifier dans quelle mesure ce consensus y existe? Si oui, comment devrait-on procéder pour le faire? Pourrait-on tenir un référendum sur cette question? Comment, selon vous, faudrait-il nous y prendre pour vérifier l'étendue de ce consensus?
M. Giuliano D'Andrea: Il faudrait, dans un premier temps, établir le niveau d'appuis dont bénéficie la mesure proposée. À cette fin, un sondage serait à mon avis indiqué. Ensuite, vous avez raison, l'idée de tenir un référendum ne serait pas mauvaise. En fait, je crois en avoir fait la proposition dans notre mémoire. Je ne me souviens plus à quelle page.
Mais une fois qu'on a établi comment on pourrait vérifier s'il y a consensus ou non, il reste à répondre à votre première question qui, dites-vous, vous laisse un peu perplexe, à savoir comment il se fait que les anglophones du Québec de demain ce sont non pas ceux qui ont actuellement droit à l'école anglaise, mais plutôt ceux qui n'y ont pas droit. La réponse est simple. À l'heure actuelle, que cela vous plaise ou non, qu'il faille en blâmer les institutions de la communauté anglophone ou non, il reste que les jeunes anglophones quittent le Québec. C'est un fait indéniable. Quand vous faites un sondage auprès de gens de mon groupe d'âge et que vous leur demandez combien d'entre eux pensent qu'ils auront quitté le Québec d'ici cinq ans, ou songent à le faire, vous obtenez des résultats étonnants: 70, 80 ou 90 p. 100, selon la façon dont vous posez la question. Il y a là manifestement un problème. Et ceux qui entendent carrément quitter le Québec sont ceux qui fréquentent actuellement nos écoles anglaises ou qui viennent d'en sortir.
Quelle est la solution? Je l'ignore. Mais il y a là un problème, et nous n'avons pas avantage à le méconnaître.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur D'Andrea, au nom du comité, je tiens à vous exprimer mes remerciements.
Merci également à vous, messieurs Smith et Awasti, de votre participation.
Nous allons faire une pause de quelques minutes pour permettre aux témoins suivants de se préparer à prendre place.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Nous poursuivons les audiences du Comité mixte spécial pour modifier l'article 93 de la Loi constitutionnelle. Ce matin, de la District of Bedford Schoolboard, qui est devenue l'English Language Schoolboard 50-03, nous avons le plaisir de recevoir M. M. James Bissell, son directeur général.
Bienvenue, monsieur Bissell. À vous la parole.
M. James Bissell (directeur général, District of Bedford Schoolboard, English Language Schoolboard 50-03): Merci beaucoup de votre invitation.
Je m'appelle James Bissell. J'ai passé les trente dernières années comme éducateur dans le sud du Québec—les vingt dernières au poste de directeur général de la commission scolaire du district de Bedford.
Nous avons, en fait, au cours de toute cette période, fonctionné comme une commission scolaire linguistique. Nous l'avons fait en vertu d'une entente que nous avons conclue avec de 6 à 14 commissions scolaires catholiques de la région, mais toujours, depuis 1967, comme commission scolaire anglophone.
Tout en fonctionnant de la sorte, avec une population scolaire d'environ 3 000 élèves, nous avons pu offrir à chacun le choix entre l'enseignement religieux et l'enseignement moral, c'est-à-dire la possibilité d'opter soit pour l'enseignement moral et religieux catholique, soit pour l'enseignement moral et religieux protestant, soit pour l'enseignement moral. Cela vaut aussi bien dans une école de 25 élèves que dans d'autres qui en comptent 500 ou 1 000.
Le fait d'administrer notre commission scolaire sur une base linguistique nous a permis de nous sentir à l'aise et confiants et de progresser probablement plus vite que la plupart des réseaux scolaires, car nous partageons des immeubles, des services et des administrateurs avec les commissions scolaires catholiques, qui, bien sûr—parce que nous fonctionnons comme une commission scolaire anglophone—peuvent fonctionner comme des commissions scolaires francophones. Loin d'éloigner nos deux communautés, cette division nous a plutôt amenés à collaborer très constructivement ensemble.
Avec l'instauration de commissions scolaires anglophones officielles—la nôtre comprendra la commission scolaire du district de Bedford et une autre commission scolaire, plus quelques autres segments de population que le ministère et le ministre nous ont autorisés à annexer—nous gérerons une population scolaire d'environ 7 000 élèves répartis sur un territoire de près de 15 000 milles carrés, et ce, il va sans dire, sur une base linguistique.
C'est pourquoi la question du consensus à propos des commissions scolaires linguistiques ne se pose même pas dans notre région. En réalité, nous en sommes arrivés à un tel consensus en nous écartant de la loi peut-être, il y a de cela fort longtemps déjà.
Par exemple, avec la nouvelle commission scolaire anglophone, dont j'ai le bonheur d'avoir été nommé directeur général, nous envisageons sérieusement d'ouvrir une nouvelle école. Je vous avouerai franchement qu'en trente ans je ne me souviens pas d'avoir ouvert une nouvelle école.
Compte tenu du nombre d'élèves que nous avons maintenant, nous disposons d'une marge de manoeuvre qui nous permet de prendre des décisions que nous pouvions plus difficilement prendre lorsque les deux commissions scolaires étaient séparées. D'ici un mois ou deux, je prévois pouvoir annoncer l'ouverture d'une nouvelle école anglaise à Drummondville. Je le répète, l'ouverture d'une nouvelle école anglaise sera pour moi un grand plaisir, voire un des événements les plus marquants de toute ma carrière dans le sud du Québec.
J'espère que ces renseignements généraux auront suscité chez vous quelques questions. Chose certaine, ma contribution ne peut être que d'ordre pratique, compte tenu des 30 ans que j'ai passés à oeuvrer dans le système scolaire.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci beaucoup, monsieur Bissell.
Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité.
Madame Val Meredith.
Mme Val Meredith: Je vous remercie de votre présence parmi nous. J'aimerais que vous puissiez nous dire si à votre avis il est nécessaire de soustraire le Québec à l'application de l'article 93, qui offre une certaine protection en matière d'accès à l'école confessionnelle, pour lui permettre de réaliser ce que vous avez réussi à accomplir sans modification législative. Est-il nécessaire de libérer le Québec de la contrainte de l'article 93 pour lui permettre de créer des commissions scolaires linguistiques?
M. James Bissell: En théorie, non. En principe, évidemment, les droits de tous les citoyens du Canada devraient être pleinement protégés.
En pratique, toutefois, une des choses qui nous a préoccupés durant ces 30 années où nous avons fonctionné comme commission scolaire linguistique, c'était la fragilité de notre situation. Nous risquions à tout moment de voir notre clientèle se fragmenter. Le cas échéant, il nous aurait fallu, avouons-le franchement, fermer de petites écoles, car il est impossible de morceler des groupes restreints de 25, 50 ou 75 élèves.
Par contre, nous avons réussi, je pense, à démontrer pendant trente ans que la question de l'enseignement confessionnel ne se tranche pas tant au niveau de la commission scolaire ou de la direction de l'école qu'au niveau de l'élève lui-même. Nous avons prouvé, je crois, que nous pouvions à cet égard répondre aux besoins de chaque élève sans qu'on nous impose de nouvelles structures.
Mme Val Meredith: Vous avez mentionné que le consensus ne pose pas problème chez vous parce que vous fonctionnez déjà sur une base linguistique, et je le conçois bien. Mais le consensus qu'il nous faut obtenir ne porte pas sur l'existence d'écoles linguistiques, mais sur le retrait de la protection constitutionnelle du droit à l'école confessionnelle ou religieuse. Y aurait-il consensus parmi votre clientèle concernant le retrait de la protection du droit à l'enseignement religieux dans le système scolaire?
M. James Bissell: Je ne sais si je comprends bien le sens de votre question, mais je ne crois pas qu'on tente d'enlever le droit de recevoir un enseignement religieux dans les écoles, et je tiens à ce que cela soit bien clair. Notre population, malgré l'existence de l'article 93, a décidé en 1969 de fonctionner sur une base linguistique. Je dirais donc que oui, il y a consensus.
Mme Val Meredith: Mais certains témoins nous ont dit que si on supprimait la protection que confère l'article 93, il pourrait arriver qu'on interdise l'enseignement religieux dans les écoles sous prétexte que cet enseignement contrevient à l'article 2 de la Charte.
M. James Bissell: Ne connaissant pas l'avenir, tout ce que je puis vous répondre, c'est que le régime pédagogique de la province de Québec nous oblige indiscutablement à offrir comme option l'enseignement religieux. Les autorités ne sont pas libres d'offrir ou non cet enseignement. Ce n'est que sous l'angle de la conscience personnelle qu'on peut parler ici de choix.
Mme Val Meredith: Merci.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, madame Meredith.
Ce sera maintenant au tour de la sénatrice Lavoie-Roux.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Je sais que vous venez des Cantons de l'Est et que, comme il existait dans la province, ailleurs qu'à Montréal et à Québec, des commissions scolaires communes vu que les populations n'y étaient pas trop numériquement importantes, vous en êtes lentement venus à décider de vous doter d'une commission scolaire linguistique. Vous avez, de concert avec la commission scolaire francophone, mis en commun vos ressources, non sur le plan administratif mais sur celui du partage des locaux et probablement aussi, j'imagine, en matière de transport scolaire, ce qui est une bonne façon de faire de l'immersion, française ou anglaise.
Vous dites que la proposition du gouvernement du Québec vous convient et qu'elle ne pose pas problème au sein de la communauté anglophone de votre région. Elle ne vous inquiète pas du tout. Mais si vous considérez la question en songeant à l'ensemble de la communauté anglophone du Québec, n'estimez-vous pas normal qu'une telle proposition suscite de l'appréhension chez certains de ses membres, pas tellement en ce qui concerne l'enseignement religieux donné dans les écoles—puisque, comme vous dites, cette décision incombe avant tout aux parents des élèves qui fréquentent l'école—mais relativement à l'avenir de l'anglais au Québec?
[Français]
M. James Bissell: Il est difficile de répondre dans un sens global. Par contre, je pense pouvoir dire que, pour toute la section rurale de la province de Québec... [Note de la rédaction: Inaudible]. C'est peut-être vrai pour l'île de Montréal, parce qu'il n'y a pas le même danger à cause du nombre d'élèves, ce qui donne plus de choix.
Il faut être réaliste. L'île de Montréal peut peut-être permettre des choix sans qu'il y ait d'impact négatif sur les écoles. Je ne vois pas cette possibilité ailleurs dans la province de Québec.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Vous parlez bien français. J'aurais dû m'adresser à vous en français. Je vous remercie.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Christiane Gagnon.
Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ): Je ne sais pas si mes questions seront pertinentes. Vous semblez satisfaits des structures qui sont déjà mises en place par les commissions scolaires linguistiques, parce que vous êtes en région. Quels privilèges les anglophones tireront-ils du fait d'avoir des commissions scolaires linguistiques plutôt que confessionnelles? Il y a certains avantages pour les anglophones et il serait bon que vous nous en fassiez part.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Bissell, vous avez la parole.
M. James Bissell: En réalité, je ne suis pas sûr que la création officielle de commissions scolaires linguistiques puisse changer notre vie. Il y aura toujours des discussions au sujet des services en anglais.
Par contre, je pense que cela nous assurera un avenir plus stable. On saura alors que ce sera reconnu dans la loi comme un fait et on pourra planifier en fonction de quelque chose qui est défini dans la loi. Comme je le disais, même si, pendant 30 ans, on a agi comme une scolaire linguistique, il y avait toujours une possibilité de fragmentation des populations, même si on n'a jamais fait une telle demande. Je pense que cela va amener une certaine stabilité.
Mme Christiane Gagnon: Plusieurs témoins nous ont dit craindre que l'enseignement religieux ne soit plus respecté et que l'enseignement religieux ne soit plus dispensé au sein des commissions scolaires linguistiques. Comme vous êtes déjà une commission scolaire linguistique, est-ce facile pour les parents d'avoir accès à l'enseignement religieux au sein des écoles? Avez-vous des écoles qui ont voulu demeurer confessionnelles?
M. James Bissell: Au cours de mes 20 années à titre de directeur général d'une commission scolaire, je n'ai jamais eu l'occasion d'entendre un parent qui pensait que son choix n'était pas respecté. Donc, il est possible de respecter le désir des parents quant à l'enseignement religieux, malgré les circonstances entourant les petites écoles. Donc, je dois dire que c'est possible, car on l'a fait.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Le prochain intervenant sera le sénateur Beaudoin.
Le sénateur Gérald Beaudoin (Rigaud, PC): Je voudrais vous interroger dans la même ligne de pensée que madame. Si on déconfessionnalise les structures, et c'est ce que le Québec demande, on s'en remet aux lois provinciales du Québec, à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et à la Charte canadienne des droits et libertés.
Je suis porté à penser que l'enseignement religieux peut continuer, mais seulement si des fonds publics sont dépensés pour assurer cet enseignement religieux. Il ne doit alors y avoir aucune discrimination entre les religions et les groupes religieux. Je suis d'accord sur cela. Je trouve que c'est correct. Cela vous satisfait-il?
M. James Bissell: Ma réponse est clairement oui. Au cours des années, nous avons toujours été capables de trouver des façons de respecter les désirs des parents au niveau des écoles.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Les grandes divisions de base seraient le français et l'anglais, et les structures confessionnelles de 1867 seraient écartées. Par contre, l'enseignement religieux pourrait continuer d'être dispensé avec les fonds publics s'il n'y a aucune discrimination, s'il y a égalité et si c'est selon les dispositions applicables de la loi du Québec et de la Charte du Québec. Cela ferait un système nouveau. Je pense bien qu'ici, personne ne s'oppose aux commissions scolaires linguistiques. Tout le monde est d'accord là-dessus. La préoccupation de certains demeure la question de l'enseignement dans les écoles.
M. James Bissell: C'est sûr qu'en agissant comme commission scolaire linguistique, nous n'avons jamais eu de subventions additionnelles à cause de notre style d'organisation. Malgré cela, on a toujours été capables, avec les fonds publics normaux, de dispenser ce service et de respecter les souhaits des gens.
[Traduction]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci beaucoup, monsieur Bissell.
Le prochain intervenant sera le sénateur Grafstein.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Merci, monsieur Bissell.
J'essaie de comprendre l'alinéa 23(1)a) et son incidence sur les droits confessionnels.
Si je vous interprète bien, vous seriez en faveur de la résolution d'amendement à l'article 93 si ce n'était que les droits de ces 10 000 élèves ne sont pas protégés par l'alinéa 23(1)a). L'article 23 s'applique à tous, sauf à un certain groupe qui ne répond pas à la condition énoncée à l'alinéa 23(1)a). Si ce n'était de cela vous seriez en faveur de la modification de l'article 93.
M. James Bissell: En faveur de sa modification, oui.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Donc, ce que vous dites essentiellement, c'est que vous seriez en faveur de la résolution du Québec qui mentionne: «Considérant qu'en ce faisant,... Québec réaffirme les droits consacrés de la communauté québécoise d'expression anglaise» si ce n'était de l'exclusion découlant de l'alinéa 23(1)a), qui touche ces 10 000 élèves. Il s'agit vraiment d'une question d'accessibilité.
M. James Bissell: N'ayant pas le texte de la résolution devant moi et n'étant pas expert en matière constitutionnelle, j'ai bien peur de ne pouvoir répondre à une question aussi particulière. Je regrette, monsieur.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Très bien. Merci, monsieur le président.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Au tour maintenant de M. Goldring.
M. Peter Goldring: Merci beaucoup.
Merci beaucoup, monsieur Bissell, de votre exposé.
J'aimerais clarifier une chose. Seriez-vous toujours en faveur qu'on soustraie le Québec à l'application des paragraphes 93(1) à (4) de la Loi constitutionnelle si cela devait avoir pour effet de réduire la protection des droits et s'il en pouvait en résulter des contestations judiciaires fondées sur la Charte qui risqueraient de mener à l'abolition de toute forme d'enseignement religieux dans toutes les écoles publiques du Québec, au même titre que menace de le faire en ce sens une décision des tribunaux en Ontario?
On nous a déjà laissé entendre que cette possibilité suscite des inquiétudes en Ontario parce que les écoles publiques de cette province se sont retrouvées avec des contestations judiciaires dont les auteurs se réclament de la Charte et qui pourraient apparemment déboucher sur l'abolition complète de l'enseignement religieux dans cette province. On dit craindre que la même chose ne se produise au Québec si on soustrait cette province à l'application des paragraphes 93(1) à (4).
M. James Bissell: Connaissant la population que je sers, j'imagine mal qu'on puisse réunir les appuis nécessaires pour obtenir un tel renversement de la situation.
M. Peter Goldring: Pourriez-vous répéter?
M. James Bissell: Je crois que la pression des parents serait énorme—et il y aurait un véritable consensus là encore - et que, même si les tribunaux, en réponse à une contestation, statuaient que nous ne sommes pas tenus d'offrir ces services d'enseignement religieux, les parents exigeraient que les écoles les maintiennent.
M. Peter Goldring: Mais le cas de l'Ontario semble indiquer que l'enseignement religieux pourrait être aboli dans les écoles publiques. Seriez-vous prêt à accepter le retrait de l'article 93 s'il avait pour conséquence de priver de financement les écoles publiques qui offriraient l'enseignement religieux?
M. James Bissell: C'est une question très hypothétique. Je vois mal comment je pourrais y répondre.
M. Peter Goldring: Une question analogue est pourtant devant les tribunaux en Ontario.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur Bissell.
Pourriez-vous nous expliquer très brièvement où il y a eu
[Français]
une fusion entre la District of Bedford Schoolboard et la Eastern Townwships Schoolboard. Peut-être pourriez-vous expliquer sommairement où en est rendue la fusion et vers quoi on se dirige.
[Traduction]
M. James Bissell: La nouvelle commission scolaire, qui porte le nom facile à retenir de 50-03 jusqu'à ce que nous puissions suggérer au ministre un vrai nom, a été créée le 29 septembre dernier. J'en ai été nommé directeur général le 6 octobre, et nous sommes en train de nous préparer pour l'année scolaire 1998-1999.
Comme gestionnaire, je trouve certes ennuyeuses les tracasseries administratives que comporte une telle transition, de même que certaines tâches techniques, comme effectuer le transfert des actes aux bureaux de la publicité des droits. Par contre, alors que certains disaient que nous avions hérité d'une mission impossible et que notre fonctionnement s'en trouverait quasi paralysé, nous prévoyons être fin prêts pour la prochaine année scolaire et nous envisageons même l'ouverture d'une nouvelle école. Nous sommes à renégocier toutes nos ententes avec les diverses commissions scolaires francophones pour nous assurer que nous pourrons continuer de partager certains services et en mettre en commun de nouveaux. C'est nous qui offrirons ces services à la clientèle anglophone, et la commission scolaire francophone les offrira aux francophones.
Tout cela nous impose énormément de travail, mais nous n'en entendons pas moins être prêts à offrir nos nouveaux services le 1er septembre prochain.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur Bissell.
La sénatrice Lavoie-Roux posera une question courte.
[Français]
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Les gens vous ont parlé.
[Traduction]
Il n'y a jamais eu de problème concernant, par exemple, l'enseignement religieux, mais comme c'est la première fois que les anglophones catholiques et protestants—je ne parle pas de vous, mais des autres, particulièrement de ceux de Montréal—seront réunis sous un même régime, n'y a-t-il pas lieu de craindre qu'il soit difficile de satisfaire à la fois les clientèles catholique et protestante en ce qui concerne l'enseignement religieux? Ou peut-être que les protestants n'ont pas demandé à recevoir l'enseignement religieux, qui sait?
M. James Bissell: Nous avons certains problèmes d'organisation. Je vais vous en citer un exemple. Je reviens toujours à notre plus petite école, ce qui est un peu injuste, mais de ses 25 élèves—et je ne connais malheureusement pas les chiffres exacts—je crois que 10 ont demandé à recevoir l'enseignement religieux catholique, 10 autres, l'enseignement religieux protestant et 5 autres encore, l'enseignement moral. C'est tout un défi sur le plan de l'organisation, mais, chose certaine, si on a réussi à le faire dans un tel microcosme, offrir ces services dans des unités de grande envergure ne devrait pas constituer une entreprise administrative écrasante.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Et il n'y a jamais eu de frictions entre les deux groupes?
M. James Bissell: Non.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, madame Lavoie-Roux. Je vous avais laissé poser une question courte. Je vais devoir...
[Français]
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: L'autre est encore plus courte.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Allez-y.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Combien reste-t-il d'étudiants anglophones dans les Cantons de l'Est?
M. James Bissell: Combien d'élèves?
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Oui.
M. James Bissell: Nous aurons une clientèle d'à peu près 7 000 élèves sur un territoire d'à peu près 15 milles carrés.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Il reste donc encore des enfants anglophones dans les Cantons de l'Est.
M. James Bissell: Quelques-uns.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, madame Lavoie-Roux. Sénateur Beaudoin.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Non, ça va.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Très bien.
[Traduction]
Monsieur Bissell, au nom des membres du comité, je vous remercie beaucoup de votre contribution.
[Français]
Merci beaucoup d'être venu à Ottawa pour faire cette présentation.
M. James Bissell: Je l'ai fait avec plaisir. Merci beaucoup.
Le coprésident (M. Denis Paradis): On suspend la séance pendant une minute pour permettre à l'autre groupe de prendre place.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Nous poursuivons les audiences du Comité mixte spécial pour modifier l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 concernant le système scolaire au Québec, conformément à l'ordre de renvoi du 1er octobre 1997.
[Traduction]
Nous sommes heureux d'accueillir ce matin l'organisme Parents Support Group, dont le porte-parole est Steven Potter,
[Français]
son président.
Bienvenue, monsieur Potter.
[Traduction]
Nous allons procéder de la façon suivante: Vous aurez environ sept ou huit minutes pour faire votre exposé, et, ensuite, les membres du comité vous poseront quelques questions.
Vous avez la parole, monsieur Potter.
M. Steven Potter (président, Parents Support Group): Merci.
Monsieur le président, distingués membres du comité, mesdames et messieurs, on semble généralement s'entendre sur le principe des commissions scolaires linguistiques au Québec. Beaucoup s'inquiètent de ce qu'au Québec les droits à l'instruction dans la langue de la minorité soient davantage compromis par une modification constitutionnelle touchant le système d'enseignement provincial.
La Cour suprême du Canada a reconnu que les droits à l'instruction dans la langue de la minorité, garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, avaient précisément pour but d'éliminer les restrictions contenues dans la Charte de la langue française du Québec (loi 101). Voici un extrait de cet arrêt:
-
Il n'est donc pas étonnant que le législateur constituant ait eu à
l'esprit la loi 101 lorsqu'il a rédigé l'article 23 de la Charte,
qui garantit aux minorités linguistiques le droit à l'instruction
dans leur propre langue. Cette référence est manifeste lorsqu'on
compare le libellé de cet article avec les articles 72 et 73 de la
loi 101 ainsi qu'avec d'autres lois portant sur la langue
d'enseignement.
Le Québec est la seule province au Canada où les droits à l'instruction dans la langue de la minorité, garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, sont assujettis à l'approbation de l'assemblée législative ou du gouvernement du Québec.
Certains des droits à l'instruction dans la langue de la minorité garantis dans la Loi constitutionnelle de 1982 ne sont pas encore en vigueur au Québec en raison d'une disposition de temporisation contenue dans cette loi. La mesure stipule que les droits non encore accordés n'entreront en vigueur, pour ce qui est du Québec, qu'après autorisation de l'assemblée législative ou du gouvernement du Québec.
Le premier ministre Jean Chrétien a admis, dans son livre intitulé Dans la fosse aux lions, qu'il avait lui-même modifié le principe de l'instruction dans la langue de la minorité, pour ce qui est de la province de Québec, dans un futile effort pour que René Lévesque appose sa signature à l'entente constitutionnelle de 1982. Il a ajouté qu'il lui arrivait parfois de plaisanter en disant que ça aura été la première fois dans l'histoire que des modifications constitutionnelles sont négociées par téléphone. Les milliers d'enfants et de familles qui ont été lésées par cette disposition au cours des 15 années qui se sont écoulées depuis lors ne trouvent pas très drôle qu'on puisse plaisanter ainsi à propos de la suspension de leurs droits.
Des études effectuées pour le compte du commissaire aux langues officielles à Ottawa, ainsi que du
[Français]
Conseil de la langue française, le Secrétariat à la politique linguistique, l'Office de la langue française et la Commission de protection de la langue française
[Traduction]
au Québec, montrent qu'il y a dans la province environ 13 000 enfants de langue maternelle anglaise auxquels on refuse l'accès aux écoles anglophones. Ce nombre correspond à quelque 12 p. 100 des membres de la population anglophone d'âge scolaire et à moins de 1 p. 100 de la population scolaire totale au Québec.
D'après ces mêmes études, à peu près 12 000 enfants sont admissibles à l'instruction en anglais au Québec, mais ils fréquentent en fait des écoles françaises. Les inscriptions dans les écoles anglophones du Québec ont connu une diminution supérieure à 53 p. 100 depuis 1977, entraînant la fermeture de plus du tiers des écoles anglaises sur la même période.
Le Groupe de travail Chambers sur l'enseignement dans le réseau scolaire anglophone, constitué par le gouvernement du Québec en 1991, précise dans son rapport que l'accès élargi à l'école anglaise profiterait au Québec, au réseau scolaire anglophone et à tous les Québécois d'expression anglaise qui tiennent à ce que leurs enfants soient éduqués en anglais et au Québec. Cela prouverait de plus que le Québec est heureux d'accueillir des immigrants des régions du monde où l'anglais est la langue commune.
La première recommandation du Groupe de travail Chambers mentionne que le ministre de l'Éducation devrait recommander au gouvernement du Québec que l'accès au réseau scolaire anglophone soit élargi au moins à tous les enfants qui faisaient leurs études en anglais ou dont l'un des parents est originaire d'un pays anglophone.
La politique d'Alliance Québec sur l'éducation prévoit l'élimination totale des restrictions concernant l'accès à tout réseau scolaire. Les parents devraient être libres de choisir le genre d'école qu'ils souhaitent voir fréquentée par leurs enfants sans que l'État ne s'interpose dans leur décision. Aucune restriction ne devrait limiter l'accès aux écoles publiques financées par l'État. De telles restrictions sont incompatibles avec les principes de la démocratie et de la liberté humaine qui constituent l'assise même d'un pays aussi civilisé que prétend l'être le Canada.
Le paragraphe 26(3) de la Déclaration universelle des droits de l'homme, reconnue à l'échelle internationale, proclame que les parents ont par priorité le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants.
En tant que membre de l'UNESCO, le Canada doit se soumettre aux recommandations de cet organisme, y compris à la recommandation contre la discrimination en matière d'éducation adoptée en 1960. Or, le Canada ne s'y est pas encore conformé et continue d'être l'objet de critiques de la part des autres pays pour sa persistance à aller à l'encontre des accords internationaux visant l'élimination de la discrimination en matière d'éducation et la protection des droits de l'enfant qu'il a signés. En fait, le Canada n'a pas cessé de mentir au sujet de ses progrès dans l'application de tels accords.
Les restrictions contenues dans la loi 101 du Québec et appuyées par les restrictions énoncées dans la Charte canadienne des droits et libertés, particulièrement telles que modifiées pour le Québec, viennent contredire le Code civil du Québec selon lequel les décisions concernant l'enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits. Le Code civil dit également que tous les enfants dont la filiation est établie ont les mêmes droits et les mêmes obligations, quelles que soient les circonstances de leur naissance, et que les père et mère ont, à l'égard de leur enfant, le droit et le devoir de garde, de surveillance et d'éducation.
Mon fils a été déclaré
[Français]
non admissible à l'enseignement en anglais au Québec.
[Traduction]
L'an prochain, il commence son secondaire et il ne pourra fréquenter une école anglophone au Québec que si je prends les économies que j'ai accumulées en vue de ma retraite pour l'inscrire dans une école anglaise totalement privée, non subventionnée par le gouvernement québécois. Presque toutes les écoles privées de langue anglaise au Québec reçoivent des subventions du gouvernement du Québec, qui tient à ce que les restrictions à l'accès aux écoles anglaises prévues dans la loi 101 s'appliquent à ces écoles.
Lorsque j'ai obtenu ma citoyenneté canadienne en 1984, j'ai reçu du secrétaire d'État Serge Joyal une lettre qui disait à peu près ceci:
-
C'est un grand jour pour vous et le Canada. À partir de maintenant,
en tant que citoyen canadien, vous pourrez partager pleinement les
droits et les privilèges dont jouissent tous les Canadiens.
Parallèlement, vous devez assumer la responsabilité spéciale de
protéger et de préserver les principes de la démocratie et des
libertés humaines, pierres angulaires de notre nation.
Ces responsabilités, je les ai prises au sérieux. J'ai fait de mon mieux pour protéger les principes de la démocratie et des libertés humaines qui semblent tenir si à coeur à notre pays, mais je ne vois pas encore le jour où mes enfants et moi-même pourrons partager pleinement les droits et les privilèges dont jouissent tous les Canadiens. J'ai respecté ma partie du contrat. Le Canada, par contre, aurait dû, et depuis longtemps, remplir les promesses qu'il a formulées à mon égard et à l'égard de mes enfants.
Toute modification à la Constitution qui permettrait au gouvernement du Québec d'apporter des changements au système d'éducation provincial doit être soumise au même processus de temporisation dont fait actuellement l'objet dans la province l'application des droits à l'instruction dans la langue de la minorité. Une telle modification ne doit pas entrer en vigueur au Québec tant que le gouvernement provincial n'aura pas pleinement appliqué les droits à l'instruction dans la langue de la minorité, comme le prévoit la Charte canadienne des droits et libertés.
Il importe que nous soyons bien conscients que l'amendement proposé a été ingénieusement rédigé de manière à donner faussement l'impression que la communauté anglophone du Québec a pleinement accès à l'instruction dans sa langue et qu'elle exerce sur ses écoles un contrôle absolu.
Deux articles du préambule de la résolution contiennent des affirmations fausses ou délibérément trompeuses. On y dit:
-
ATTENDU que l'Assemblée nationale du Québec a réaffirmé les droits
consacrés de la communauté québécoise d'expression anglaise,
notamment le droit, exercé conformément aux lois du Québec, des
membres de cette communauté de faire instruire leurs enfants dans
des établissements de langue anglaise...
La loi 101, appuyée par l'application différée d'une partie de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, prive quelque 13 000 enfants québécois de langue maternelle anglaise de l'accès aux écoles anglaises du Québec.
La résolution mentionne également:
-
et attendu que l'article 23 de la Charte canadienne des droits et
libertés garantit aux citoyens partout au Canada des droits à
l'instruction dans la langue de la minorité et à des établissements
d'enseignement que la minorité linguistique...
L'article 23 n'est pas pleinement appliqué au Québec. L'application de l'alinéa 23(1)a) a été différée en vertu de l'article 59 de la Loi constitutionnelle de 1982. Cet état de fait prive de l'accès à l'éducation et à l'école anglaises quelque 13 000 enfants québécois de langue maternelle anglaise. Le Québec est la seule province où l'alinéa 23(1)a) n'est pas en vigueur.
Le bureau de recherche du caucus du Parti libéral mentionnait dans un document qu'il a publié en 1991:
-
Le 4 décembre 1990, la ministre de l'Immigration du Québec, Monique
Gagnon-Tremblay, a demandé que le Québec puisse accueillir deux
fois plus d'immigrants francophones au plus tard en 1995.
-
Au fur et à mesure que le Québec progressera vers l'atteinte de cet
objectif, il devrait normalement se sentir de plus en plus disposé
à accepter l'alinéa 23(1)a); il nous sera alors plus facile de
négocier et l'application de cet alinéa et l'abrogation de
l'article 59 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Parents Support Group demande donc que le projet d'amendement soit modifié de la façon suivante...
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Potter, vous devez laisser aux membres du comité la chance de vous poser quelques questions.
M. Steven Potter: Il incomberait alors à l'assemblée législative ou au gouvernement du Québec de décréter l'entrée en vigueur simultanée de ces deux dispositions. Vous noterez que l'adoption de cet amendement serait encore loin d'amener le Canada à respecter ses engagements internationaux en matière d'instruction de ses enfants, mais elle constituerait un pas dans la bonne voie qui se fait attendre depuis longtemps.
Je termine par une citation de M. Claude Ryan:
-
Or, l'expérience nous a enseigné que ce pays, pour prospérer et
survivre, doit faire une place égale aux droits des deux grandes
communautés linguistiques qui l'habitent. L'acceptation lucide de
cette dualité est l'une des assises du pays canadien.
Je saute immédiatement à ma conclusion.
Vingt ans se sont écoulés depuis l'adoption de la loi 101 au Québec, vingt ans au cours desquels une génération entière d'enfants sont passés par le système scolaire. Votre responsabilité, mesdames et messieurs, n'est pas ambiguë. Vous ne devez pas permettre que cet amendement soit adopté et ait force de loi tant que le Québec n'aura pas accepté de respecter pleinement les droits à l'instruction dans la langue de la minorité, droits qui sont censés être déjà garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. C'est un minimum.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci beaucoup, monsieur Potter. Nous allons maintenant passer à la période de questions. Le premier intervenant sera Mme Val Meredith.
Mme Val Meredith: Merci, monsieur le président.
Merci d'avoir accepté de venir témoigner devant notre comité ce matin. Manifestement, d'après vos commentaires, vous refusez que l'article 93 soit modifié tant que le Canada n'aura pas abrogé l'article 59 et que la province de Québec n'aura pas adopté l'alinéa 23(1)a) de la Charte. Vous ai-je bien interprété?
M. Steven Potter: Oui. À l'heure actuelle, l'article 59 suspend l'application de l'alinéa 23(1)a). Nous proposons simplement qu'on modifie l'article 59 de manière à assujettir l'application de l'éventuel article 93A à l'entrée en vigueur simultanée des deux dispositions. Nous troquerions la protection des droits confessionnels contre celle des droits linguistiques.
Mme Val Meredith: Ce serait votre condition pour appuyer cet amendement. À votre connaissance, y a-t-il un consensus au sein de la minorité qui serait touchée par le fait de soustraire le Québec à l'application de l'article 93? Savez-vous s'il y a eu des sondages à ce sujet auprès de la minorité touchée?
M. Steven Potter: Je ne sais pas s'il y a eu des sondages expressément sur l'article 93, mais je sais qu'un sondage réalisé il y un certain nombre d'années par la maison Sorecom pour le compte d'Alliance Québec avait révélé que 70 p. 100 des membres de la communauté anglophone étaient alors favorables à ce qu'on fasse appliquer l'alinéa 23(1)a).
Le coprésident (M. Denis Paradis): Nous allons maintenant passer au sénateur Beaudoin.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Je crois comprendre que vous ne voulez pas que cet amendement soit voté tant qu'on n'aura pas statué sur le paragraphe 59(1) et sur l'alinéa 23(1)a). Il est vrai que le Québec jouit d'un statut spécial à cet égard. Je vous donne tout à fait raison sur ce point. Mais la question à l'étude ici concerne les droits confessionnels, alors que l'article 23 porte sur les droits à l'instruction dans la langue de la minorité.
En soi, je n'ai aucun mal à comprendre votre point de vue. Mais quoi qu'il arrive, il vous faudra obtenir le consentement du Québec. D'ailleurs, vous n'avez même pas besoin de proposer un amendement pour nous défaire de ce statut spécial accordé au Québec, car le Québec pourrait tout simplement proclamer qu'il accepte l'alinéa 23(1)a) et, dès lors, cet article s'appliquerait dans cette province. Nous n'avons même pas besoin d'amendement spécial pour cela; une proclamation du Québec suffirait. Mais le Québec doit être consentant. Une telle éventualité est peu probable, car l'obligation d'obtenir son consentement est inscrite dans la Constitution.
Je ne vois donc pas pourquoi vous voulez combiner ces deux questions dans la même résolution. Je comprends votre point de vue. Vous voudriez que le Québec accepte de renoncer à son statut spécial. Mais nous n'avons pas besoin d'amendement pour cela. D'ailleurs, il serait difficile de regrouper ces deux questions dans la résolution dont nous sommes saisis.
M. Steven Potter: J'admets que nous discutons à la fois de pommes et d'oranges, mais elles sont dans le même plateau. Nous débattons des droits de la minorité à l'instruction, de ses droits tant linguistiques que religieux. Ce que nous voulons dire, bien simplement, c'est que, puisque le Québec vient solliciter d'Ottawa une modification constitutionnelle qui lui permettrait de toucher aux droits de la minorité à l'instruction dans sa langue, nous devrions en profiter pour troquer avec lui les garanties confessionnelles contre les garanties linguistiques.
En principe, selon nous, il ne devrait pas y avoir de restriction à l'accès à l'école anglaise, mais au Canada, la vie est ainsi faite que nous avons une Charte et une loi 101 qui nous donnent effectivement le droit de limiter cet accès.
Cela fait 12 ans qu'on me répète que ce n'est pas le moment de remettre en question l'alinéa 23(1)a). Puisque le Québec demande au gouvernement fédéral d'apporter une modification constitutionnelle concernant les droits à l'instruction, qu'il s'agisse des droits religieux ou linguistiques, c'est le moment idéal pour soulever la question et renégocier tout cela.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Oui, mais je vous répète que vous n'avez nullement besoin de proposer un amendement pour cela. Vous n'avez qu'à convaincre le Québec d'émettre une proclamation, et le tour est joué. En matière de droits à l'instruction dans la langue de la minorité, le Québec serait alors exactement sur le même pied que toutes les autres provinces.
M. Steven Potter: Je suis d'accord avec vous. C'est là que se situe notre problème.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Je crois que la loi est on ne peut plus claire, mais, de toute évidence, c'est justement ce qui pose problème.
[Français]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Réal Ménard.
M. Réal Ménard: Merci de comparaître devant nous ce matin. Je voudrais faire trois mises au point, si vous me le permettez.
Je ne peux qu'être d'accord avec le sénateur Beaudoin. On parle ici ce matin et depuis le début de nos travaux de droits confessionnels. Donc, il n'est pas question de discuter du droit à l'enseignement dans la langue de la minorité. Mais puisque vous amenez ce débat-là, vous savez que, depuis l'adoption de la Loi 101, en 1977, et l'introduction de la clause Canada... Je trouve votre jugement pour le moins sévère quand vous parlez du droit à l'enseignement dans la langue de la minorité pour les anglophones. Vous allez constater, si vous lisez les statistiques, que la combinaison de la clause Canada, qui a remplacé la clause Québec, sans le consentement de l'Assemblée nationale, et de la loi linguistique qu'est la Loi 101 a permis, et je dois insister sur mes chiffres, à un demi-million d'enfants anglophones de fréquenter des établissements scolaires.
Donc, il n'y a pas de volonté au Québec pour la minorité historique, ceux dont les parents ont fait leur cours primaire dans l'une ou l'autre des provinces du Canada. On reconnaît que c'est la clause Canada qui s'applique et on leur reconnaît le droit à une fréquentation scolaire dans la langue de la minorité.
Cela étant dit, ce que vous nous demandez, à mon point de vue, ne peut être respectueux des communautés en présence et de l'équilibre qu'il faut atteindre avec les communautés. Vous dites que, d'où qu'on vienne à travers le monde, si la langue maternelle ou la première langue encore comprise d'un enfant est l'anglais, il devrait avoir le droit de s'inscrire à une école anglaise. C'est cela que vous demandez et j'aimerais que vous nous donniez l'exemple d'un autre pays du monde où il y a une ouverture aussi grande, compte tenu de la responsabilité qu'a l'Assemblée nationale de protéger et de promouvoir le fait français en Amérique du Nord.
Plus tôt, vous avez donné à penser que vous étiez dans une situation de spoliation et de victime. Si vous trouvez un avocat qui est capable de vous représenter devant les instances internationales et qui va dire, dans sa plaidoirie, que la communauté anglophone au Québec a le droit à deux quotidiens, 17 journaux hebdomadaires, 16 journaux...
Le coprésident (M. Denis Paradis): Posez votre question, monsieur Ménard.
M. Réal Ménard: ...cinq cégeps, trois universités et 26 établissements scolaires... Vous allez convenir avec moi que, comme mauvais traitement d'une minorité, on a déjà vu pire.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Potter.
M. Réal Ménard: Calmez-vous, madame la sénatrice.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Vous commencez à nous fatiguer, vous aussi.
[Traduction]
M. Steven Potter: Les statistiques que vous citez n'aident en rien les 13 000 enfants qui n'ont pas droit à l'école anglaise. Il y en a par ailleurs environ 12 000 qui y ont accès et qui fréquentent une école française. Les groupes se neutralisent donc.
Cette limitation d'accès est en réalité symbolique, et je trouve plutôt mesquin de la part du gouvernement du Québec de prétendre avoir besoin de cette restriction pour protéger la langue française. C'est absurde.
Les enfants anglophones peuvent apprendre le français à l'école anglaise, et il n'y a rien de mal à cela. Cependant, tout argument que vous pourriez invoquer en faveur de la protection de la langue et de la culture françaises au Québec devrait valoir au même titre pour les parents qui voudraient que leurs enfants fréquentent une école anglaise puisque les écoles sont financées par l'État ici. La même logique devrait s'appliquer.
Vous m'avez demandé de vous citer des exemples de pays. Il n'en manque pas qui ont plusieurs réseaux scolaires linguistiques. La Suisse en est un, et on n'y a pas imposé de telles restrictions.
Quant à l'hypothèse d'aller plaider sa cause devant les instances internationales, les parents qui ont ainsi 10 000 $ à dépenser en frais d'avocat ont généralement plutôt tendance à envoyer leurs enfants à l'école privée.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Madame Finestone.
L'hon. Sheila Finestone: Je suis ravie que vous soyez venu, surtout compte tenu de la documentation que vous avez apportée.
Monsieur Potter, vous avez déjà reconnu que ce n'est pas la question de l'alinéa 23(1)a) qui est en jeu dans le cas qui nous occupe. Nous nous penchons ici sur les droits confessionnels de la minorité, sur le traitement préférentiel accordé uniquement aux catholiques et aux protestants en vertu de l'AANB, sur la réalité de la société multiculturelle et pluraliste dans laquelle nous vivons dans le Québec d'aujourd'hui.
Je partage votre point de vue, et permettez-moi de vous expliquer très clairement dans quel sens. Bien que j'appuie la mesure législative à l'étude et que j'estime que nous devrions soustraire le Québec à l'application de l'article 93, je reconnais qu'il est heureux que nous ayons rapatrié la Constitution du Canada, sinon cette procédure n'aurait pas été possible. Le Québec peut être partie prenante dans l'évolution de notre fédération. C'est formidable, à mon avis. Il est malheureux que nous ne puissions pas discuter des conséquences du passage de la protection de droits religieux à celle des droits à l'instruction dans la langue de la minorité.
L'article 23 nous confère une protection relativement bonne, mais néanmoins insuffisante, et c'est exactement comme vous dites: il est un peu mesquin de la part du Québec d'appliquer la restriction que cet article permet. Cette restriction touche de 10 000 à 12 000 jeunes qui ne pourront se faire aider par leurs parents dans leur travail scolaire, qui ne pourront apprendre aucune des deux langues correctement parce qu'ils n'auront pas une bonne base et que personne dans leur famille ne pourra leur venir en aide. Il y a donc une foule de raisons d'ordre psychologique et psychosocial qui justifieraient qu'on fasse montre de bonne volonté, car n'oublions pas que ce n'est qu'un pour cent de la population scolaire totale du Québec qui est en cause. Notre comité n'est malheureusement pas actuellement habilité à souscrire à votre thèse et à induire les changements que vous souhaitez. Ce serait l'objet d'un autre débat.
Nous avons demandé à la Ligue des droits et libertés et à de nombreux autres groupes québécois de bien vouloir se reprendre pour soulever ce problème une fois que nous aurons statué sur l'amendement à l'article 93. Je tiens à vous signaler que c'est en partie grâce à vous que nous avons pris cette initiative, mais il demeure que ce n'est pas la place ici pour soulever ce débat. Comprenez-vous cela et l'acceptez-vous?
M. Steven Potter: Je comprends ce que vous dites, mais je ne suis pas d'accord avec vous. Chaque jour qu'on tarde à légiférer en ce sens est un jour perdu pour les enfants qui sont inscrits dans le mauvais réseau scolaire et pour leurs familles. Cela fait 12 ans qu'on me répète que ce n'est pas le temps de soulever cette question. J'aimerais qu'on me dise quelles circonstances pourraient être plus propices que celle-ci pour remettre en cause cette question, compte tenu que le Québec demande une modification constitutionnelle.
L'hon. Sheila Finestone: Ça aurait été le moment rêvé, j'en conviens. Mais ce n'est toutefois pas ainsi que fonctionnent nos structures politiques. Ce dont le gouvernement fédéral est saisi en ce moment, c'est de la demande de modification constitutionnelle que le Québec lui a présentée. Il est tenu d'étudier ce qui est sur la table. Tout au plus avons-nous pu apporter certaines modifications aux attendus et faire référence à l'application de l'article 23 pour montrer notre bonne volonté.
Le gouvernement du Québec a lui aussi prouvé sa bonne volonté en réaffirmant les droits consacrés de la communauté québécoise d'expression anglaise. Il y a donc des progrès sur le plan de la bonne volonté. N'admettez-vous pas qu'il y a eu une réelle évolution?
Le coprésident (M. Denis Paradis): Pouvez-vous donner la réplique, monsieur Potter?
M. Steven Potter: Les paragraphes du préambule auxquels vous faites référence ne sont là que pour jeter de la poudre aux yeux. Rien n'est plus faux que de dire que ces droits s'appliquent à la minorité anglophone du Québec, puisque je suis moi-même un anglophone qui vit au Québec et que je ne jouis pas de ces droits. Je ne fais pas partie de la bonne catégorie.
[Français]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Le prochain intervenant sera Mauril Bélanger.
[Traduction]
M. Mauril Bélanger: Monsieur Potter, j'aimerais poursuivre sur le même sujet, mais auparavant, je tiens à vous exprimer toute ma profonde sympathie, car, étant moi-même Franco-Ontarien, je suis bien placé pour savoir de quoi vous parlez.
Ce qui est toutefois regrettable dans tout cela, c'est que la tâche qui a été confiée à notre comité consiste à examiner une demande bilatérale de modification constitutionnelle concernant l'article 93 et à dire si nous l'approuvons ou non. Nous ne sommes pas ici pour marchander, pour lier notre approbation à des concessions quelconques de la part du demandeur. Au mieux pouvons-nous essayer d'apporter quelques retouches au préambule de la résolution, en y ajoutant des attendus, par exemple.
Je vais vous poser la question que j'ai posée à un autre groupe qui a comparu devant nous hier et qui nous a présenté le même genre d'arguments. Il appuyait l'amendement, mais avec des réserves. Mais il n'est pas possible d'exprimer des réserves. Nous ne pouvons donner suite à vos souhaits, faire appliquer par le Québec l'alinéa 23(1)a). Cette question ne relève que du Québec. Il ne nous appartient pas de dicter au gouvernement du Québec comment et quand le faire.
Voici donc ma question, monsieur, si vous êtes prêt à accepter cette façon de procéder—et vous devez le faire parce que les règles sont ce qu'elles sont—sans «mais» toutefois. Souscrivez-vous à l'idée de modifier l'article 93 de la Constitution?
M. Steven Potter: Non.
M. Mauril Bélanger: Merci.
M. Steven Potter: La réponse est simple: c'est non. Nous croyons qu'en principe il ne devrait y avoir aucune restriction à l'accès à l'école. Si vous entendez enlever aux groupes linguistiques leur protection sans obtenir de concessions en retour, il n'y a pas d'entente possible. Nous ne pouvons appuyer une telle mesure.
M. Mauril Bélanger: Cette mesure n'enlève pas forcément quelque chose au groupe linguistique auquel on appartient.
M. Steven Potter: Et le groupe religieux, alors?
M. Mauril Bélanger: Il est question dans ce cas-ci des confessions religieuses.
Vous n'appuieriez pas cette mesure si les restrictions que vous proposez d'inclure n'y sont pas?
M. Steven Potter: Non.
Je constate que vous me parlez de procédure, et j'admets que j'ignore tout de la procédure que vous devez suivre ici.
M. Mauril Bélanger: Ce n'est pas grave. Il ne faudrait pas trop vous en faire, car d'autres nous ont déjà qualifiés d'ignorants, nous aussi.
M. Steven Potter: Je crois vraiment que l'occasion est on ne peut meilleure pour négocier ce genre de chose.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur Bélanger.
Nous allons maintenant passer au sénateur Grafstein.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Je tiens à vous signaler, monsieur Potter, que j'ai beaucoup de sympathie et d'empathie pour votre position. Je trouve votre présentation très utile pour nous rappeler comment l'article 23, que nous pensions devoir être garant d'égalité, sert au fond à légitimer la discrimination. En fait, il institue l'égalité «sauf exceptions», ce qui ne reflète pas l'idée que nous nous en faisions. Nous vous sommes donc reconnaissants d'avoir porté de nouveau à notre attention dans votre mémoire si convaincant le fait qu'à cet égard notre Constitution présentait une faille. Je puis vous assurer que, de l'avis de certains d'entre nous, il faudra en venir d'une manière ou d'une autre à corriger cette anomalie.
Notre problème, cependant, c'est que nous ne disposons ici que d'une marge de manoeuvre très étroite dans le traitement de cette question. Alors que beaucoup d'entre nous serions bien prêts à élargir la portée de notre examen et à nous lancer dans un mini-débat constitutionnel, nos règles de procédure dans ce cas-ci et l'article 43 nous l'interdisent. Mais rien n'empêche que nous devons nous dire, et nous répéter, à nous-mêmes, aux médias et les uns aux autres au sein de notre parti, que l'article 23 n'est pas celui que nous avions imaginé, car il comporte certaines exceptions.
C'est à mon avis une leçon d'histoire très utile, car plus j'y pense, plus je trouve que nous sommes témoins d'une distorsion de l'histoire. Je vous remercie de vous être évertué à nous rappeler constamment cette faille—à nous, à notre parti et à nos dirigeants.
Cela dit, j'ai du mal à comprendre comment vous pouvez concilier votre position avec le fait que vous souscriviez aux objectifs d'Alliance Québec, un mouvement qui prône essentiellement l'égalité. Nous examinons ici l'article 93 qui, aux dires de tous, confère un droit à des privilèges et non à l'égalité. En effet, l'article 93 privilégie deux groupes confessionnels, dans une certaine mesure aux dépens des autres groupes. J'ai saisi le sens de votre réponse à la question que vous a posée mon collègue Mauril, mais je me demande si oui ou non, en votre qualité de représentant de Parents Support Group, vous êtes en faveur, en matière confessionnelle, de l'inégalité qu'engendre au Québec l'application de l'article 93.
M. Steven Potter: Je ne suis pas en faveur de l'inégalité, absolument pas.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Dans ce cas, vous seriez favorable à ce qu'on élimine cette inégalité, mais vous aimeriez qu'on en profite pour négocier certaines concessions relatives aux garanties constitutionnelles.
M. Steven Potter: Exactement.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Notre problème, c'est que, malheureusement et fort regrettablement, nous ne voyons pas comment, en raison de l'article 43, nous pourrions procéder à la tenue de telles négociations.
M. Steven Potter: J'ai trouvé passablement irritant de me faire constamment dire au fil des ans que l'article 23 confère une protection raisonnable. Il est rarement mentionné que l'alinéa 23(1)a) est restrictif, ce qui a le don de m'excéder.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Nous partageons vos émotions.
M. Steven Potter: Cette disposition est en vigueur depuis 1977. Cela fait donc vingt ans que nous la subissons, et nous ratons le coche encore une fois. C'est vraiment pénible et décevant.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Tout ce que je puis vous dire, c'est que cet état de choses nous déçoit nous aussi. Certains d'entre nous se proposent bien de faire l'impossible, dans les limites de nos pouvoirs, pour essayer de remédier à ce point faible de l'article 23. Nous considérons qu'il y a là un manque qui brime des citoyens dans leurs droits.
Nous espérons que la province de Québec, comme le sénateur Beaudoin l'a fait remarquer... tout ce que le gouvernement du Québec a à faire, c'est simple, c'est d'émettre une proclamation. Voilà tout. Nul besoin de troquer encore une chose contre une autre, ni de proposer un amendement spécial à cette fin. Nous espérons pouvoir discuter de cette possibilité avec les ministres québécois qui comparaîtront devant nous aujourd'hui. Peut-être leur demanderons-nous de nous fournir une réponse.
Il est à espérer, disons-le franchement, qu'ils feront mieux que notre ami du Bloc, qui semble croire qu'on peut parler d'égalité tout en privant de leurs droits 13 000 élèves québécois, leurs parents et leurs familles. À mon sens, ce n'est pas ça l'égalité.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, sénateur Grafstein.
Peter Goldring, une question courte.
M. Peter Goldring: Merci beaucoup de votre exposé, monsieur Potter.
Vos objectifs seraient-ils atteints si, en même temps que la résolution que nous examinons et qui a pour effet de soustraire le Québec à l'application des paragraphes 93(1) à (4), l'on proposait—pourvu que ce soit possible—une résolution complémentaire qui homologuerait l'alinéa 23(1)a), qui abrogerait les paragraphes 59(1), (2) et (3), lesquels seraient alors redondants, et qui demanderait du même coup au gouvernement du Québec d'émettre une proclamation?
Cette proposition serait-elle conforme à vos souhaits s'il y avait une telle résolution complémentaire?
M. Steven Potter: Nous estimons qu'il s'agit là d'un élément concret qui pourrait être négocié à ce moment-ci. Nous soutenons qu'en principe il ne devrait y avoir aucune restriction à l'égalité, même dans la Charte canadienne. Un amendement ayant une portée plus large et qui aurait pour effet de faire concorder notre Loi constitutionnelle avec les engagements internationaux qu'a contractés notre pays correspondrait davantage à ce que nous visons à long terme.
Pour le moment, nous croyons toutefois que l'alinéa 23(1)a) serait peut-être négociable.
M. Peter Goldring: J'aurais une question supplémentaire. Vous avez été président d'Alliance Québec. Pouvons-nous considérer que vous-même et Alliance Québec êtes de part et d'autre en faveur du principe des commissions scolaires linguistiques, mais que vous ne vous entendez pas sur la question d'assujettir l'extinction des paragraphes 93(1) à (4) à l'obtention de certaines concessions?
M. Steven Potter: J'ai été président de la section de la région de Montréal pendant un certain nombre d'années et j'y ai été pour beaucoup dans le fait qu'Alliance Québec en soit venu à modifier sa position de manière à préconiser la totale liberté de choix en matière d'accès à l'école. Je ne puis parler au nom d'Alliance Québec, mais je pense que si cet organisme a durci sa position concernant l'accès à l'école et les droits linguistiques de la minorité dans ce domaine, c'est en partie à cause des efforts que nous avons déployés il y a quelques années. Mais je ne suis plus habilité à parler au nom d'Alliance Québec.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur Potter.
[Français]
Une dernière courte intervention, madame la sénatrice Lavoie-Roux.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: C'est à moi que vous avez dit «courte»?
Le coprésident (M. Denis Paradis): Oui, c'est bien à vous.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: C'est la première fois que je parle. C'est parce que vous m'aimez particulièrement.
Monsieur Potter, vous n'êtes pas né au Québec. Quelle est votre origine? Êtes-vous américain?
[Traduction]
M. Steven Potter: Non, je suis né en Angleterre.
[Français]
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: C'est pour cela qu'on ne permet pas à vos enfants d'aller à l'école anglaise?
[Traduction]
Je vais m'exprimer en anglais. Je ne sais pas pourquoi, mais j'avais l'impression que vous parliez français.
[Français]
M. Steven Potter: J'ai appris le français à l'école en Angleterre, mais seulement pendant quelques années.
[Traduction]
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Les Britanniques sont donc plus habiles que nous à enseigner une langue seconde.
[Français]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Revenons à l'article 93, s'il vous plaît.
[Traduction]
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Merci d'être venu. Je tiens à vous dire que je partage votre...
M. Steven Potter: Ma déception?
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: ... votre réticence à propos de certains aspects de la loi 101. Tout n'est pas mauvais dans la loi 101...
M. Steven Potter: Non.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: ... mais l'extrême restriction que nous imposons concernant l'accès à l'école anglaise a eu pour conséquence de dépeupler progressivement la communauté anglophone. La situation est très difficile pour ces gens... J'étais d'accord pour que les enfants étrangers qui ne parlent pas du tout anglais soient tenus de fréquenter l'école française. Quoi qu'il en soit, les appréhensions que ressent la communauté anglophone par rapport à son avenir ont été éloquemment décrites par quelqu'un dont je vous ai déjà mentionné le nom et qu'on ne peut pas soupçonner d'être libéral, Pierre Carignan, lorsqu'il a dit que la meilleure façon d'asphyxier une communauté, c'était de l'empêcher de se renouveler. Je pense que c'est ce qui arrive à la communauté anglophone du Québec, et j'espère que nous aurons d'autres occasions de redresser la situation.
Je suis d'accord avec le sénateur Grafstein quand il dit que nous devons nous en tenir à la question de la confessionnalité et que c'est sur cela que nous devons nous prononcer.
M. Steven Potter: J'aurais un bref commentaire. Les parents du groupe que j'ai rencontré ne tiennent pas à donner l'impression qu'ils ne veulent pas que leurs enfants apprennent le français. Ce n'est pas pour cette raison qu'ils souhaitent que leurs enfants aillent à l'école anglaise. Le problème, c'est que dans les écoles françaises on ne donne pas aux enfants les cours d'anglais qui pourraient être utiles aux élèves anglophones. Certains élèves de 6e année, par exemple, n'ont pour travail à la maison que quelques mots de vocabulaire à apprendre pour passer l'épreuve d'épellation à la fin de la semaine, rien d'autre. C'est absurde.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Potter, au nom de tous les membres du comité, je vous remercie de votre présentation de ce matin.
M. Steven Potter: Merci.
[Français]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Nous suspendons pendant quelques minutes pour permettre au prochain groupe de prendre place.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Nous reprenons les audiences du Comité mixte spécial pour modifier l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 concernant le système scolaire au Québec, conformément à l'ordre de renvoi du 1er octobre 1997.
Nous avons le plaisir de recevoir ce matin, de la Coalition pour la déconfessionnalisation du système scolaire, les personnes suivantes: Mme Louise Laurin, coordonnatrice; M. Jowad Skalli, d'Alternatives, réseau de solidarité internationale; M. Henri Laberge, conseiller de la Coalition; et M. Michel Couture, de la Fédération québécoise des directeurs et directrices d'établissements scolaires. Bienvenue à vous tous.
Madame Laurin, on vous écoute.
Mme Louise Laurin (coordinatrice, Coalition pour la déconfessionnalisation du système scolaire): Notre Coalition comporte 43 organismes qui représentent près de 2 millions de personnes, soit des étudiants, des enseignants de la maternelle à l'université, des cadres et des directions d'école, du personnel administratif, des associations de citoyens nationalistes et populaires et des coopératives communautaires.
M'accompagnent aujourd'hui M. Jowad Skalli du groupe Alternatives, un groupe de coopération internationale; M. Michel Couture de la Fédération québécoise des directeurs et directrices d'établissements scolaires; et M. Henri Laberge, conseiller.
Il y a avec nous aujourd'hui quelques membres de la Coalition. Ce sont Jean-Guy Fournier, de la Confédération des syndicats nationaux; Pierre Demers, de la Fédération autonome du collégial; Bara MBengue, du Conseil central du Montréal métropolitain; Diane Fortier de l'Alliance des professeurs; Juan José Henandez, du Mouvement des Québécois d'origine latino-américaine; Guillaume Vaillancourt, de la Fédération étudiante universitaire du Québec; Marie Marsolais, du Syndicat des enseignantes et enseignants de Le Royer; Micheline Bouchard, de la Fédération des enseignantes et enseignants des commissions scolaires; Denise Longtin, présidente de l'Association du personnel administratif de la CECM; et Monique Richard de la CEQ. Ce ne sont que quelques membres de notre coalition qui sont aujourd'hui présents pour vous faire part de leur réflexion.
J'ai oublié de me présenter. Je suis porte-parole de la Coalition et j'ai une longue expérience dans l'enseignement. Je suis une ancienne directrice d'école à la CECM. J'ai travaillé dans plusieurs écoles de toutes les catégories, madame Lavoie-Roux, des plus pauvres aux plus importantes, de la section classique aux milieux défavorisés. Donc, j'ai une grande expérience.
La Coalition pour la déconfessionnalisation s'est constituée en 1993, lorsque le gouvernement de l'époque devait mettre en vigueur les dispositions de la Loi sur l'instruction publique telle que refondue en 1988, qui prévoyaient la création de deux réseaux de commissions scolaires linguistiques. Nous nous sommes alors formés comme regroupement pour nous opposer à cette loi.
La réponse de la Coalition, lors de toutes sortes de réformes, a toujours été la même: il faut que les contraintes de l'article 93 ne s'appliquent plus au Québec.
Nous sommes ici pour vous dire essentiellement trois choses. Premièrement, la modification constitutionnelle demandée par le Québec fait l'objet d'un très large consensus dans la société québécoise. L'ampleur des organismes, dont vous avez la liste à la fin de notre mémoire, témoigne de plus en plus de son importance pour la population québécoise en plus de l'unanimité exprimée à l'Assemblée nationale.
Notre demande vise à moderniser notre système scolaire, et cette modernisation fait primer le principe de l'égalité tel que précisé par les chartes canadienne et québécoise. La Coalition est d'avis que les dispositions des Chartes canadienne et québécoise, celles du projet de loi 109 au Québec, de même que la longue tradition québécoise de respect de la tradition éducative anglophone représentent des garanties suffisantes.
Si l'Assemblée nationale demande de modifier l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, c'est essentiellement pour avoir la possibilité de moderniser les structures scolaires du Québec, en mettant en place des commissions scolaires fondées non plus sur un critère confessionnel, mais sur un critère linguistique.
L'enjeu, pour le Québec, est d'avoir la pleine compétence de se donner un système scolaire conforme aux exigences d'une société pluraliste et respectueux des droits et libertés de ses citoyens. Nous voulons un système d'éducation plus cohérent, moins émietté, qui respecte l'égalité des droits et en fasse la promotion.
Ce système doit aussi favoriser l'intégration à une même société civique de tous les groupes culturels et confessionnels qui composent le Québec moderne. La composition de la société québécoise n'est plus la même qu'en 1867. Le pluralisme croissant de la société québécoise, particulièrement accentué dans la région montréalaise, illustre bien qu'il n'est plus approprié de justifier le maintien de privilèges au nom du droit de la minorité protestante. Les élèves protestants sont désormais minoritaires au sein de la clientèle des commissions scolaires protestantes, aussi bien sur l'île de Montréal, où ils ne représentent que 36 p. 100 de la clientèle de ces commissions scolaires, que dans l'ensemble de la province, où ils sont 37,7 p. 100.
Dans ces mêmes commissions scolaires protestantes, les élèves appartenant à des religions autres que catholique et protestante sont plus nombreux que les élèves protestants, à raison de 47 p. 100 sur l'île de Montréal et de 41 p. 100 dans l'ensemble du Québec.
Les élèves qui ne se réclament d'aucune religion y représentent aussi un pourcentage non négligeable, soit 15 p. 100 sur l'île de Montréal et 12 p. 100 dans l'ensemble du Québec.
Parmi les élèves de langue maternelle anglaise inscrits à l'enseignement primaire ou secondaire public, les catholiques sont les plus nombreux avec 34 p. 100 de la clientèle scolaire, suivis de la catégorie d'élèves qui sont d'une autre religion ou qui n'en déclarent aucune, 33 p. 100. Les protestants n'arrivent qu'en troisième place avec 32 p. 100 de la clientèle scolaire des réseaux anglophones.
Sur l'île de Montréal, les écarts sont plus importants: 43 p. 100 des élèves anglophones se disent catholiques contre seulement 10 p. 100 qui se reconnaissent protestants, et 46 p. 100 des autres ne déclarent aucune religion.
Le principe de la ségrégation sur la base de l'appartenance confessionnelle n'a plus sa place, parce qu'il ne correspond plus à la réalité sociale et démographique du Québec.
En outre, le maintien d'une gestion confessionnelle heurte un autre principe fondamental, celui de l'égalité des citoyens devant la loi. Cette division confessionnelle ne peut qu'avoir des conséquences dramatiques, notamment en ce qu'elle maintiendra une division artificielle fondée sur un caractère religieux, où le personnel et la clientèle scolaires qui ne rencontrent pas ce critère ne pourraient avoir le sentiment d'être traités en toute égalité.
Une telle enclave confessionnelle ne peut que faire perdurer l'obstacle à l'intégration des immigrants. Le système scolaire doit veiller à socialiser les élèves, à les intégrer à une société civile et civique et à leur permettre de mieux se connaître entre eux.
Dans un sondage que la Coalition a fait récemment, 80 p. 100 de la population était d'avis que les croyances et les pratiques religieuses devaient être l'affaire des familles et des Églises, et non de l'école. En plus, 88 p. 100 désirent regrouper les enfants dans une même école de quartier.
Ceci ne vise pas à nier les réalités religieuses des gens, mais l'école ne peut être fondée sur un critère confessionnel.
C'est un consensus dans la société québécoise. La Commission Parent, il y a plus de 30 ans, recommandait notamment de mettre fin aux commissions scolaires fondées sur un critère religieux. Le Conseil supérieur de l'éducation, depuis plus de 20 ans, rappelle constamment la nécessité d'abolir les garanties confessionnelles de l'article 93. Le gouvernement du Québec, en 1995-1996, a fait les États généraux de l'éducation. Dans son rapport final, le comité conclut clairement que l'adaptation du système scolaire nécessite la déconfessionnalisation des commissions scolaires.
La Commission sur l'éducation a fait, le printemps dernier, une consultation sur l'avant-projet de loi 109 créant les commissions scolaires linguistiques. Toutefois, l'obligation, en vertu de l'article 93, de maintenir des commissions scolaires confessionnelles dans les villes de Québec et de Montréal s'est avérée un obstacle majeur à la réforme de l'éducation. Et, comme vous le savez, l'Assemblée nationale du Québec votait une motion demandant au gouvernement que les paragraphes (1) à (4) de l'article 93 ne s'appliquent plus au Québec.
La Coalition a toujours soutenu que l'adaptation des structures scolaires à la population qu'elles desservent nécessitait une modification constitutionnelle. Pour construire l'école québécoise dont nous avons besoin, pour en faire le foyer d'intégration sociale et culturelle qu'elle devrait être, il est urgent que nous ne soyons plus obligés de maintenir des privilèges accordés il y a 150 ans à deux confessions religieuses.
Je dirai un mot sur le droit des minorités. Le droit des minorités, c'est d'abord le droit de chacune d'elles d'être traitée équitablement, le droit de leurs membres de ne subir aucune discrimination sur la base de leurs différences spécifiques.
L'article 93 de la Loi constitutionnelle garantit des privilèges à deux confessions seulement. Il ne protège pas les droits de toutes les minorités religieuses ou des gens qui s'affichent sans religion. Il constitue un obstacle permanent à l'exercice du droit à l'égalité.
Le statut confessionnel des commissions scolaires crée une discrimination fondée sur la religion au profit de deux confessions particulières, la religion catholique et la religion protestante. Cette préférence basée sur la religion ne se justifie plus sur le plan social. Je crois que ces dispositions les plus fondamentales se retrouvent aux articles 3 et 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, et il y a des dispositions analogues dans la Charte canadienne.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci beaucoup, madame Laurin. Vous aurez certainement l'occasion de répondre aux questions.
Nous allons commencer immédiatement la période de questions. Val Meredith.
[Traduction]
Mme Val Meredith: Je vous ai entendu dire qu'à l'occasion d'un sondage, 80 p. 100 des répondants s'étaient dits d'avis que c'était aux églises et aux familles qu'il incombait d'enseigner les préceptes religieux, et que 80 p. 100 s'étaient montrés favorables à l'institution d'un système scolaire commun, ou d'une formule semblable. Pourriez-vous nous dire qui a réalisé ce sondage? Se limitait-il aux grandes villes ou s'étendait-il à toute la province? Pourriez-vous déposer une copie de ce sondage auprès de la greffière pour que nous puissions connaître la teneur des questions?
[Français]
Le coprésident (M. Denis Paradis): Madame Laurin.
Mme Louise Laurin: Il me ferait plaisir de déposer le résultat de ce sondage de la maison Sondagem, qui a été effectué en octobre 1996. Cela me ferait plaisir de le déposer pour que vous puissiez en prendre connaissance.
[Traduction]
Mme Val Meredith: Ce sondage a-t-il été mené en dehors des grandes villes, ou seulement à Montréal et à Québec?
[Français]
Mme Louise Laurin: L'échantillonnage s'est fait partout au Québec.
Mme Val Meredith: Merci.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Sénateur Beaudoin.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Ma question portera sur ce que vous avez appelé la réalité de l'enseignement religieux.
Je peux dire comme préambule que moi non plus je ne m'oppose pas du tout aux commissions scolaires linguistiques. Personne ne s'y oppose, je pense.
Les structures confessionnelles, c'était très bien en 1867. Aujourd'hui, c'est bien, mais cela ne répond pas aux besoins actuels parce que, comme vous le dites, il y a deux religions qui sont préférées aux autres. Les paragraphes (3) et (4) sont discutables dans notre système judiciaire parce que là, on en appelle au gouverneur en conseil, et cela n'a jamais rien donné. Donc, il faut changer cela, à mon avis.
Certains ici s'interrogent sur la question de l'enseignement. Je pense que les parents catholiques, protestants et autres, pourront demander un enseignement religieux catholique, protestant, etc., mais si jamais l'État québécois finance cet enseignement-là, et j'imagine qu'il doit le faire, il ne faudra pas qu'il y ait de discrimination entre les religions et les philosophies.
Jusque-là, tout va bien. Personnellement, je n'ai pas de difficulté devant cela. Cependant, vous avez fait allusion à cette réalité de la religion ou de l'enseignement religieux. Avez-vous des choses à suggérer là-dessus? Comment l'envisagez-vous dans une loi québécoise générale sur l'éducation? Si les paragraphes (1), (2), (3) et (4) de l'article 93 sont écartés, la Loi 109 et la Loi 107 devront être considérablement modifiées si le problème est changé.
M. Henri Laberge (conseiller, Coalition pour la déconfessionnalisation du système scolaire): Il y a plusieurs façons de répondre à cela. Je pense que ce débat-là va se faire entre Québécois, à l'Assemblée nationale notamment. Une des positions qu'on peut avoir est celle qui est rapportée dans le sondage Sondagem. Vous allez voir que les questions qui ont été posées dans ce sondage-là ne portent pas sur des étiquettes mais sur la réalité même des choses.
On donnait trois hypothèses aux gens et on leur demandait laquelle ils préféraient: premièrement, qu'on continue l'enseignement religieux, catholique et protestant seulement, comme actuellement; deuxièmement, qu'on enseigne toutes les religions qui sont présentes au Québec, mais aux groupes religieux concernés; troisièmement, qu'on donne un enseignement culturel sur l'ensemble des religions, mais qu'on offre cela à tout le monde. Une très forte majorité—je ne me souviens pas du chiffre mais Louise s'en souvient peut-être—a choisi la troisième option. Je pense que c'est une des avenues qui peuvent être adoptées.
Je ne peux parler au nom de l'Assemblée nationale, mais je pense que la ministre va vous dire qu'elle veut maintenir l'enseignement religieux catholique et protestant actuellement. Dans la société québécoise, il y a de plus en plus de gens qui pensent qu'il y a un danger à sectionner l'enseignement religieux. Ou bien on maintient l'enseignement religieux uniquement pour les catholiques et les protestants, et cela a un aspect discriminatoire, ou bien on enseigne à chaque groupe religieux la religion de son origine, et cela devient absolument ingérable, avec des effets pervers. C'est pour cela que, dans la société québécoise, il y a de plus en plus de gens qui disent: il doit y avoir une initiation culturelle au phénomène religieux et une initiation aux grandes religions du monde, en particulier à celles qui ont marqué l'histoire du Québec, mais cela doit être donné sous une forme générale. Mais cela n'est pas la conclusion d'un débat québécois.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Québécois, mais qui intéresse aussi le Canada, parce que c'est quelque chose d'important. À ce moment-là, la Charte québécoise demeure, tout comme la Charte canadienne. La première est quasi constitutionnelle et la deuxième est constitutionnelle. Je pense que si l'on veut éviter les problèmes, il va falloir donner l'égalité: l'égalité dans les subventions et l'égalité dans la reconnaissance. En ce sens-là, on ne pourra pas—et je ne suis pas favorable à cela non plus—favoriser une religion ou deux parmi d'autres. Donc, là-dessus, je pense qu'on est pas mal d'accord. Mais il faudrait au moins qu'il y ait un régime dans ce sens-là. C'est peut-être la deuxième hypothèse qui est la meilleure, mais cela, c'est un autre débat.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Madame Laurin.
Mme Louise Laurin: Je voulais compléter en disant que c'est réellement un autre débat, mais qu'il est quand même important de l'avoir en tête, vu qu'on fait face, surtout dans la région montréalaise, à un pluralisme autant sur le plan des origines que sur le plan religieux. Il sera important qu'on y réfléchisse pour déterminer la meilleure façon de procéder.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Ménard.
M. Réal Ménard: Vous êtes certainement un des témoins les plus importants à comparaître devant la commission puisque vous représentez près de 2 millions de personnes et êtes une coalition de 43 organismes. En fait, vous représentez à peu près tout ce qui bouge dans le domaine de l'éducation, en aval et en amont, et chacun d'entre vous a une vaste expérience dans le domaine de l'éducation. Je vous pose deux questions synthèses qui devraient permettre d'éclairer la lanterne du comité.
D'abord, j'aimerais que vous puissiez faire ressortir très clairement à quel point ce débat des commissions scolaires linguistiques a des racines profondes dans la société québécoise. Il ne faut pas que qui que ce soit pense qu'il est né au cours des deux dernières semaines. Donc, vous seriez aimable de faire ressortir cela.
Deuxièmement, je crois qu'il est important que vous, et particulièrement Mme Laurin qui connaît bien la réalité montréalaise, fassiez comprendre au comité qu'il y a un enjeu spécifique pour la ville de Montréal, particulièrement en raison de son caractère plus pluraliste et plus cosmopolite. Vous devriez faire ressortir les conséquences du non-établissement de commissions scolaires linguistiques pour la ville de Montréal.
Mme Louise Laurin: Je crois avoir assez bien démontré que ce débat a des racines profondes dans la société québécoise. La population du Québec est de plus en plus composée de citoyens d'origines diverses. On doit veiller à socialiser les élèves, à les intégrer à une société civique et à leur apprendre à vivre ensemble, sinon nous deviendrons une mosaïque de petites communautés et je ne vois pas comment on pourra refuser à d'autres communautés d'avoir leurs propres écoles. On préfère une école publique commune, où tous les enfants peuvent se retrouver et apprendre à se respecter les uns et les autres. Tel est l'objectif que nous poursuivons. Il est important que chacun sache que ses croyances et sa religion seront respectées et qu'il puisse aussi connaître les religions qui ont fait l'histoire du Québec. On ne veut pas d'une société athée: ce sont les religions qui ont réellement fait l'histoire du Québec. Pour Montréal, c'est réellement un enjeu primordial. La grande majorité de la population immigrante est concentrée à Montréal et on y retrouve des gens de toutes les origines.
J'ai été directrice d'une école où se retrouvaient quelque 60 personnes provenant de différents coins de pays. Il faut essayer de créer un climat où tout le monde se retrouve et apprenne à vivre ensemble. Autrement, tout ça est inutile parce qu'on créera de petits ghettos un peu partout et qu'on ne sera jamais capables de former une société cohérente. Montréal est un enjeu très spécifique. Je laisserai M. Skalli, un Québécois d'origine étrangère, vous parler de la problématique qui existe à Montréal.
M. Jowad Skalli (Alternatives, réseau de solidarité internationale): Je voudrais vous rappeler exactement le débat qui se déroule ici. Dans tous les cas, les commissions linguistiques vont être créées au Québec, quelle que soit la décision à laquelle on en viendra ici. Ce à quoi nous devons répondre, c'est ceci: est-ce que Montréal et Québec seront traitées comme le reste du Québec ou est-ce qu'elles resteront un cas à part?
En d'autres termes, l'article 93 nous met devant une drôle de situation. Là où le besoin de déconfessionnaliser le système scolaire est le plus urgent, c'est-à-dire à Montréal, où la diversité ethnique, culturelle et religieuse est très grande, les écoles vont demeurer confessionnelle si jamais l'article 93 n'est pas aboli ou modifié.
Je ne veux pas dire que pour le reste du Québec, la déconfessionnalisation n'est pas importante; elle est importante partout parce qu'il n'y a pas que les nouveaux immigrants qui ont cette préoccupation d'écoles communes, publiques, etc. Mais l'enjeu est encore plus important à Montréal, et c'est là que ça se passe.
Je vous dis très franchement que, comme Québécois issu de l'immigration et comme père de famille, je me sens victime de discrimination, d'une discrimination par l'école confessionnelle. Étant d'une autre confession et ayant eu à choisir, au moment de mon arrivée ici, si je devais inscrire mes enfants dans une école catholique ou protestante, je n'ai pas véritablement eu un choix. Très naïvement, j'ai demandé s'il n'existait pas une école publique tout simplement, ni catholique, ni protestante, ni rien du tout. On m'a répondu que l'école publique était catholique ou protestante. Je me trouve à être électeur dans une commission catholique avec des enfants dans ...
Avec tout le respect que j'ai pour la foi catholique, ce n'est tout simplement ni la mienne ni celle de mes enfants. Je ne vois pas pourquoi une institution financée par les fonds publics, une institution commune, devrait avoir une appartenance confessionnelle.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur Skalli.
Nous allons passer au prochain intervenant, Mauril Bélanger.
M. Mauril Bélanger: Je veux faire une petite remarque. Comme mon collègue de l'autre côté, je trouve qu'il est bien beau de vouloir allumer les lumières du comité, mais en l'absence de transparence, la lumière n'ira pas tellement loin. Alors, allons-y pour la transparence.
Madame Laurin, on commence à convenir ici, après avoir entendu une multitude de groupes, qu'il y a un consensus quelconque relativement à la modification de l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867. Ce consensus repose en partie—et c'est là que ce n'est peut-être pas clair—sur les aménagements de la Loi 107, c'est-à-dire la possibilité d'avoir des écoles confessionnelles. C'est l'impression qui se dégage. Il y a un autre consensus qui semble se dégager...
Mme Louise Laurin: Ce n'est pas un consensus.
M. Mauril Bélanger: Eh bien, ce qu'on a entendu ici, c'est que l'établissement d'écoles confessionnelles prévu par des lois québécoises sur l'éducation semble être très important.
Un autre consensus s'est dégagé depuis quelques jours; c'est qu'en l'absence des paragraphes 93(1) à 93(4), auxquels vous faisiez allusion vous-même dans votre présentation, ce seraient les articles de la Charte québécoise ou de la Charte canadienne qui l'emporteraient. Donc, si on cesse l'utilisation de la clause nonobstant que l'on retrouve dans la loi québécoise, la Loi 107, les écoles confessionnelles disparaissent. J'ai cru comprendre, et je vous demanderais de me confirmer si j'ai bien compris, que vous vous opposiez à l'utilisation de la clause nonobstant de la Charte canadienne. Est-ce que j'ai raison de croire cela?
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Laberge.
M. Henri Laberge: Oui. Il faut faire la distinction entre les divers groupes qui donnent leur consensus, la position du gouvernement du Québec et notre position à nous. Nous, nous sommes pour la déconfessionnalisation des commissions scolaires, mais aussi des écoles. Certains groupes sont en faveur de la déconfessionnalisation des commissions scolaires, tout en voulant maintenir la confessionnalité des écoles, mais ce n'est pas notre position.
M. Mauril Bélanger: D'accord.
M. Henri Laberge: Nous croyons que si on veut vraiment favoriser la compréhension interculturelle entre les groupes des diverses origines et des diverses religions, il faut que les gens fréquentent des écoles communes, des écoles de quartier et des écoles de village, sans distinction d'origine ou de religion.
M. Mauril Bélanger: Alors vous, vous n'êtes pas en faveur que l'on invoque la clause nonobstant de la Charte canadienne, si je comprends bien?
M. Henri Laberge: On ne l'appuierait pas si c'était pour maintenir des écoles qui seraient séparées selon la religion des élèves.
M. Mauril Bélanger: Protestantes ou catholiques.
M. Henri Laberge: Oui.
Mme Louise Laurin: Ce débat n'a pas encore été fait à l'échelle du Québec, bien que nous l'ayons tenu entre nous. Nous réfléchissons encore sur les différentes façons dont cela pourrait être fait. Ce débat n'a jamais été lancé à tout le monde. Les groupes que nous représentons ont fait cette réflexion. Nous souhaitons que cela se fasse au niveau de la population, mais encore faut-il qu'on commence d'abord par se retrouver dès maintenant dans une même école. C'est la première des conditions et je pense que cela est primordial.
Il y aura peut-être des phases transitoires et des études, mais cela n'empêchera pas les cours de se poursuivre. Ce n'est pas le cours de religion qui... Ce que nous préconisons, c'est justement qu'il y ait un enseignement culturel de ces religions pour nous assurer qu'on respecte tout le monde. Toutefois, les réflexions que nous avons faites n'ont pas été approfondies dans la société. La première chose, c'est de se retrouver quand même dans nos commissions scolaires.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, madame Laurin. J'aimerais demander la collaboration de tous ceux qui ont demandé la parole: la sénatrice Wood, Nick Discepola, la sénatrice Lavoie-Roux, le sénateur Grafstein, Sheila Finestone, Mme Gagnon et M. Goldring, afin que nous puissions examiner le plus de points de vue possibles, y compris de la part de nos témoins.
Sénatrice Dalia Wood.
[Traduction]
La sénatrice Dalia Wood (Montarville, Lib.): Merci, monsieur le président.
Madame Laurin, j'aimerais revenir sur le sondage dont vous parliez tout à l'heure. Je pense que les membres du comité ont constaté qu'il existait un consensus sur la nécessité de mettre en place des commissions scolaires linguistiques. Savez-vous toutefois si dans le sondage auquel vous faites référence les Québécois se disaient prêts à se départir de leur droit d'accès à des écoles confessionnelles? Était-ce une des questions qui étaient posées?
[Français]
Mme Louise Laurin: Oui, mais elle n'a pas été formulée de la même façon. Je n'ai plus le sondage devant moi et je ne me souviens pas exactement comment la question a été posée. Les gens préféraient avoir une école commune, que les enfants de toutes les origines et religions fréquentent cette même école et reçoivent un enseignement culturel des religions plutôt qu'un enseignement d'éducation à la foi. C'est un peu la tendance qui se dégageait. Notre coalition n'a pas pu approfondir ces questions. Pour le moment, l'important, c'est que les jeunes se retrouvent ensemble dans leur école commune, qu'ils fassent partie de la même école.
[Traduction]
La sénatrice Dalia Wood: J'en conclus donc qu'il n'existe pas de données qui nous renseignent à ce sujet.
J'aurais une autre petite question. Seriez-vous favorable à l'utilisation de la clause de dérogation pour maintenir les dispositions de la loi 109?
[Français]
La coprésidente (la sénatrice Lucie Pépin): Monsieur Laberge.
M. Henri Laberge: Comme nous l'avons bien dit, notre coalition appuie la déconfessionnalisation à la fois des commissions scolaires et des écoles. Ce n'est pas nécessairement la position du gouvernement du Québec. Si le gouvernement du Québec veut maintenir les dispositions de la Loi 109 qui maintiennent le caractère particulier confessionnel des écoles, il va devoir nécessairement recourir à la clause nonobstant, parce que ça va à l'encontre des dispositions de l'article 15 de la Charte canadienne. Ça va aussi à l'encontre d'une disposition analogue de la Charte québécoise. Mais ça, c'est le choix que l'Assemblée nationale fera. En tant que coalition, nous voulons que soit supprimé le plus tôt possible ce caractère confessionnel des écoles, de façon à ce que tous les enfants, quelles que soient leurs origines ou leurs croyances, puissent fréquenter les mêmes écoles de village et de quartier. Telle est notre position.
Lors du sondage, nous demandions aux gens s'ils désiraient que les enfants fréquentent la même école de village ou de quartier, quelle que soit la croyance religieuse des parents, ou s'ils préféraient que les enfants soient partagés dans des écoles différentes, selon la croyance des parents. Une très forte majorité...
Mme Louise Laurin: Oui, 88 p. 100 estimaient que les parents accordaient avant tout de l'importance à ce que l'école soit plus près de la maison, plutôt que d'être...
M. Henri Laberge: Une très forte majorité disait préférer que les enfants fréquentent l'école de quartier, quelle que soit la croyance des parents.
Mme Louise Laurin: Oui, c'est à peu près dans le même sens.
La coprésidente (la sénatrice Lucie Pépin): Merci, sénatrice Wood. Nick Discepola.
Mme Louise Laurin: C'est un débat à faire.
M. Nick Discepola: Mes questions portent également sur le sondage et l'article 93. Nous avons entendu d'autres témoignages répondant plus à la réalité, à savoir que les parents à qui on demande s'ils veulent donner un enseignement religieux à leurs enfants disent oui. C'est ce qui a été prouvé lors d'un sondage. Je pense qu'il y avait plus de 80 p. 100 de Québécois qui désiraient donner un enseignement religieux à leurs enfants.
Je trouve donc un peu inconsistant, de la part du gouvernement du Québec, de nous demander d'abroger l'article 93 pour sa province. Comme cela irait contre sa Charte et également contre la Charte canadienne, ne serait-il pas préférable que le gouvernement du Québec demande l'élargissement de l'article 93 à tous les groupes religieux plutôt que de l'abroger?
Mme Louise Laurin: Monsieur, vous devriez vous rendre compte que cela ferait un tas de petits ghettos. C'est impensable.
M. Nick Discepola: Ça existe dans d'autres provinces et ça fonctionne très bien, madame Laurin.
Mme Louise Laurin: Selon notre idée de la société au Québec, il faut que les gens s'intègrent au Québec dans son ensemble et pas à la religion. On respecte...
M. Nick Discepola: Vous avez dit, dans votre témoignage, que vous étiez pour la déconfessionnalisation totale des écoles. Mais ensuite vous voulez que toutes les religions soient enseignées pour que les enfants en aient une meilleure compréhension.
Mme Louise Laurin: Non, non, pas du tout.
M. Nick Discepola: Comment expliquez-vous ça?
M. Henri Laberge: Nous voulons un seul cours d'initiation culturelle aux religions, mais pas de cours séparés, comme un cours pour les musulmans, un autre pour les juifs, un autre pour les protestants et un autre pour les catholiques.
Mme Louise Laurin: Ça reste sur le plan didactique seulement.
M. Nick Discepola: Un cours qui va enseigner aux enfants toutes les religions qui existent au monde.
Mme Louise Laurin: Monsieur le président, je ne pense pas que ce soit le sujet du débat. Nous vous faisons part de cette réflexion, mais il n'y a pas encore eu de débat dans la société québécoise et il n'est pas certain que l'ensemble de la société québécoise soit d'accord là-dessus.
M. Nick Discepola: Je pose toutes ces questions parce que je crois sincèrement que le gouvernement du Québec a un programme caché pour éventuellement en arriver à des écoles déconfessionnalisées.
Mme Louise Laurin: On n'est pas dans le secret des dieux.
M. Henri Laberge: Quant à nous, ce n'est pas ce qu'on perçoit.
Mme Louise Laurin: Ce n'est pas ce qu'on perçoit actuellement.
La coprésidente (la sénatrice Lucie Pépin): Merci, monsieur Discepola. Sénatrice Lavoie-Roux.
Monsieur Skalli, vous voulez faire un commentaire?
M. Jowad Skalli: Je pense qu'il y a un grand danger. Récemment, je décrivais l'école confessionnelle comme un grand obstacle à l'intégration des immigrants. Mais il y a un autre grand danger dans les communautés immigrantes, et ce sont ceux qui s'identifient d'abord par leur caractère religieux, c'est-à-dire les intégristes qui luttent pour la même chose. Les intégristes musulmans veulent avoir des écoles musulmanes. Les intégristes hindouistes veulent avoir des écoles hindouistes, etc. Ce n'est pas du tout le projet de société que nous voulons.
La grande majorité des musulmans, des hindous et des gens d'autres religions veulent s'intégrer dans cette société, veulent être absolument comme les autres, veulent grandir avec les mêmes chances et fréquenter les gens de différentes communautés. L'un des éléments majeurs qui les attirent dans ce pays, c'est que c'est un pays où il y a de la diversité. S'ils arrivent dans un pays de diversité pour s'enfermer dans un ghetto, être mis dans la même école, vivre dans le même quartier et je ne sais quoi d'autre, je me demande vers quoi on s'en va. On ne peut pas accepter de pareilles propositions, d'enseigner toutes les religions ou d'avoir un éventail d'écoles confessionnelles ouvertes à tout le monde, des témoins de Jéhovah jusqu'aux hindous, etc. C'est impossible et inimaginable.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur Skalli.
Madame Lavoie-Roux.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Il y a ici un représentant de la fédération des directeurs d'écoles, n'est-ce pas? Est-ce que c'est seulement de Montréal ou de tout le Québec? Du Québec.
M. Michel Couture (Fédération québécoise des directeurs et directrices d'établissements d'enseignement): Ils font partie de la Coalition.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Est-ce que vous vous avez aussi fait un sondage? Ce qui m'étonne un peu, c'est que tous les directeurs d'école de la province de Québec sont pour l'abolition de l'enseignement religieux. Ça, ça m'étonne un peu.
M. Michel Couture: C'est qu'il faut se souvenir, historiquement, de la démarche au niveau des États généraux. Cette démarche a débouché sur des éléments nouveaux de la Loi sur l'instruction publique qui va décentraliser les pouvoirs vers l'école, en bonne partie, qui va laisser aux écoles une marge de manoeuvre plus importante et qui insiste sur un niveau de concertation et de collaboration avec les parents, qui sont quand même les premiers clients en termes d'aménagement et d'organisation de l'école. Les directeurs d'école sont prêts à travailler dans ce sens-là et à répondre aux besoins de la communauté, lesquels peuvent différer nettement d'une région à l'autre.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Mais le titre de votre association, c'est la Coalition pour la déconfessionnalisation du système scolaire. Vous dites que vous êtes prêts à travailler, d'accord, mais est-ce que tous les directeurs d'école sont pour la déconfessionnalisation?
M. Michel Couture: La position de la Fédération est qu'il faut déconfessionnaliser.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Est-ce qu'ultimement vous êtes pour la laïcisation de tout le système scolaire?
Mme Louise Laurin: Dans un sens, oui. Nous sommes pour la laïcisation, mais sans exclure le phénomène religieux.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, madame Laurin.
[Traduction]
Sénateur Grafstein.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein: Merci à vous et à votre groupe de votre mémoire, madame Laurin. Ce nouveau dialogue auquel il m'est donné de participer avec des Québécois est rafraîchissant. Il repose sur l'égalité de traitement et sur le respect du pluralisme. Selon moi, c'est une évolution bienvenue et rafraîchissante.
Il me semble que nous passons de positions extrêmes à un quasi-consensus au Canada, parce que c'est dans les mêmes mots qu'on exprime ces réalités au Québec et en Ontario. En ce sens, nos provinces évoluent ensemble, et non comme des entités séparées.
Cela dit, vous défendez dans votre mémoire le respect du droit à l'égalité et des principes inscrits dans les deux chartes, la Charte québécoise et la Charte canadienne, qui toutes deux prônent l'égalité. Pourtant, si l'on examine les conséquences de l'article 93, on constate qu'en supprimant les privilèges conférés par cette disposition, on se retrouve encore avec des lois comme les lois 101, 107 et 109 qui, de par leur recours à la clause de dérogation, dépouillent la loi sur l'instruction publique de toute notion d'égalité.
La situation demeurerait inchangée. Nous ne parlons pas d'une situation future; ce serait le statut quo. Donc, même si le Québec n'était plus assujetti à l'application de l'article 93, le gouvernement du Québec pourrait toujours accorder un traitement préférentiel à certains groupes puisqu'il a soustrait sa loi sur l'instruction publique à l'application de la Charte québécoise et de la Charte fédérale.
Compte tenu de cette situation—qu'actuellement on ne peut changer tant qu'on ne connaîtra pas les intentions du Québec—seriez-vous d'avis que s'il doit y avoir des écoles confessionnelles au Québec... Je présume que ce que vous préconisez, c'est que tout traitement, sur le plan du financement ou autre, qui serait accordé aux deux religions majoritaires le soit au même titre aux autres religions, pourvu que le nombre le justifie. Ai-je bien interprété votre position?
[Français]
Mme Louise Laurin: Si on veut être logique, ce serait juste, même si la religion majoritaire est la religion catholique. Je pense qu'il est préférable d'envisager un enseignement culturel des religions: l'histoire est là. Il y a d'autres religions au Québec, et je pense que cet enseignement général est préférable, en tenant compte de l'histoire et du passé du Québec et aussi des nouveaux arrivants. Pour que la foi et la pratique religieuse se situent plus au niveau de l'Église qu'au niveau de l'école, il serait préférable qu'il y ait un enseignement culturel des religions et que la foi soit davantage en relation avec l'Église.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, madame Laurin.
Sheila Finestone.
L'hon. Sheila Finestone: Je peux vous dire que le regroupement que vous représentez est assez impressionnant. Il semble qu'il y a un consensus du côté anglais, d'après le rapport Chambers, et il semble aussi, d'après ce que vous dites et d'après les statistiques que vous venez de déposer au nom des communautés francophones, qu'il y a un consensus au Québec.
Ma question suit celle du sénateur Grafstein. Monsieur Skalli, de la façon dont le projet de loi est rédigé, si on accepte la demande du Québec, on va avoir des écoles qui enseignent la foi catholique. En effet, de 80 à 90 p. 100 des parents, au Québec, veulent une éducation catholique, surtout dans les petits patelins, dans votre comté par exemple. Dans certains districts de Montréal, il y a plutôt des grecs orthodoxes, des juifs séfarades francophones ou des musulmans. Il y en a toute une gamme. De la façon dont la loi a été rédigée, et avec la clause nonobstant—qui est la clause 33—dans le projet de loi, il faut absolument que le nonobstant soit renouvelé tous les cinq ans pour s'assurer que les promesses faites par le gouvernement du Québec, à savoir que la religion peut être enseignée, soient tenues. Et vous arrivez avec votre sondage et votre énorme représentation et vous demandez la laïcisation.
Alors, seriez-vous prêts à examiner de plus près une proposition que le Congrès juif canadien nous a apportée et qu'appuient certains autres regroupements: c'est que le coût suive l'enfant. Le coût de l'éducation tel que le gouvernement du Québec l'a décrit, c'est-à-dire toute la formation scolaire donnée à l'enfant, serait pris en charge par le secteur public, tandis que le coût de l'éducation religieuse serait pris en charge par le secteur privé. Ainsi, 50 p. 100 de l'argent qui sert au fonctionnement des écoles viendrait du secteur public et 50 p. 100 viendrait du secteur privé, selon le choix des parents. Est-ce que vous aimeriez cette solution, monsieur Skalli ou madame Laurin?
Le coprésident (M. Denis Paradis): Des commentaires, madame Laurin?
Mme Louise Laurin: Je vais demander à M. Skalli de répondre.
M. Jowad Skalli: Tout d'abord, je vous remercie pour votre question. En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas naïfs au point de penser que l'abolition de l'article 93 va vraiment résoudre l'ensemble du problème de l'éducation au Québec. Mais nous pensons quand même que c'est un verrou important qui, jusqu'à présent, s'est dressé devant toute tentative d'améliorer ce système dans le sens d'une plus grande démocratie et d'une plus grande diversité.
L'abolition de l'article 93 est nécessaire mais pas suffisante pour véritablement parler des buts du futur de l'éducation. Nous sommes très conscients de cela et nous savons très bien qu'au lendemain de l'amendement constitutionnel—je suis sûr que vous allez le recommander et qu'il va passer—nous aurons encore un long travail à faire pour avoir une école à l'image de celle que nous souhaitons.
Quant à la proposition du Congrès juif canadien, je voudrais dire que nous sommes dans un pays de pluralisme et qu'on ne peut pas empêcher les gens d'envoyer leurs enfants à l'école privée. Les écoles privées, à ce que je sache, sont subventionnées dans une certaine proportion au Québec, en fonction de la pertinence de l'enseignement qu'elles donnent.
On ne peut pas s'opposer à ce que des parents qui pensent qu'il est vraiment très important pour eux que l'enseignement soit confessionnel décident de mettre leurs enfants dans un réseau d'écoles privées. Nous acceptons cette idée. Personnellement, je n'ai aucun problème à ce que le gouvernement assume une partie des frais de ces écoles qui correspond à l'enseignement de base que les enfants auraient reçu quelque part ailleurs, et que les parents paient de leur poche une école privée parce qu'ils l'ont choisie. Il y a un système d'éducation qui n'est pas le système public qu'on a actuellement.
L'hon. Sheila Finestone: Permettez-moi simplement de conclure.
Monsieur Skalli, j'ai écouté ce que vous aviez à dire. J'ai compris que vous vouliez vous intégrer à la société francophone. Vous vouliez vous y sentir à l'aise. Mais vous n'étiez pas à l'aise avec l'instruction religieuse que vos enfants recevaient. Cet enseignement ne correspondait pas à ce que vous souhaitiez pour eux.
Je vous demande donc de nous dire exactement quel système vous apparaîtrait souhaitable. Celui que propose le Congrès juif canadien vous conviendrait-il? Vous y seriez favorable, n'est-ce pas?
[Français]
M. Jowad Skalli: Très honnêtement, je ne suis pas d'accord sur le système proposé par le Congrès juif canadien pour une raison très simple: il y a un sérieux problème d'intégration des jeunes membres des communautés juives à l'intérieur de la communauté québécoise. Jusqu'à l'âge de 17 ans, ces gens ne se fréquentent pas dans le principal lieu où on se fréquente, c'est-à-dire l'école. Lorsque pendant les 17 premières années de votre vie, vous allez dans une école et votre voisin va dans une autre école complètement différente, il y a déjà un problème de communication qui se crée.
Je peux comprendre, par ailleurs, l'intérêt que le Congrès juif canadien porte à l'enseignement de la langue hébraïque en même temps que l'enseignement de l'anglais et du français. Je peux comprendre tous leurs trucs. Mais c'est loin d'être une situation idéale pour moi. Je pense que les membres des communautés juives, comme les membres des autres communautés, auraient tout intérêt à s'intégrer dans une école publique commune à tout le monde, quitte par la suite à compléter la formation de l'école publique par des cours privés couvrant tel ou tel besoin spécifique à une communauté. Ça, c'est valable pour toutes les communautés, à mon avis, et pas seulement pour les communautés juives.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur Skalli.
[Traduction]
Très brièvement, monsieur Peter Goldring.
M. Peter Goldring: Merci beaucoup de votre présentation. D'après ce que j'ai compris, si le Québec est soustrait à l'application des paragraphes 93(1) à (4), il utilisera, maintenant comme dans l'avenir, la clause de dérogation pour maintenir l'application des principes que renfermaient les paragraphes 93(1) à (4). En réalité, on n'y gagne absolument rien, ni à court ni à moyen terme.
Si je comprends bien, votre groupe, de son côté, penche plutôt en faveur d'un enseignement qui porterait sur les religions en général et qui comporterait des notions aussi bien religieuses que culturelles, si tant est qu'on puisse concevoir un tel programme. J'entrevois un problème. Pas vous? Les évêques ont-ils été consultés pour voir s'ils étaient favorables à ce type d'enseignement culturel sur l'ensemble des religions? Croyez-vous qu'ils seraient en faveur d'un tel enseignement?
[Français]
Mme Louise Laurin: Je ne saurais répondre au nom des évêques. C'est un débat qui n'a pas encore été fait ouvertement au Québec, sauf dans les organismes que nous représentons. Ce n'est pas un débat officiel et public actuellement. C'est une réflexion qui se mène entre autres dans nos regroupements. Mais, actuellement, ça n'a pas l'aspect d'un débat public.
M. Henri Laberge: Je veux ajouter une chose. Il y a quand même un profit très net. D'une part, les commissions scolaires vont cesser d'être confessionnelles; la question des écoles, c'est un autre débat. Mais dès que l'amendement constitutionnel aura été adopté, il n'y aura plus de commissions scolaires confessionnelles au Québec.
D'autre part, pour le reste, ça laisse la possibilité à la société québécoise de trouver elle-même les modalités d'organisation de son système scolaire qui lui conviennent. C'est important aussi. Si, à tous les cinq ans, on doit renouveler la clause nonobstant, on a chaque fois une occasion de relancer le débat et de se demander s'il est vraiment pertinent de maintenir cette clause nonobstant ou si on ne devrait pas se soumettre carrément à ce que prescrivent les deux chartes, québécoise et canadienne, en matière d'égalité entre tous les citoyens.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, monsieur Laberge.
Madame Lavoie-Roux, une dernière toute petite question.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Une question très courte: j'ai seulement droit à cela.
Vous parlez de l'enseignement religieux culturel. On ne sait pas encore ce que ce sera exactement, mais je n'aurais pas détesté le bouddhisme, le confucianisme, etc. Ne craignez-vous pas qu'en enseignant ces doctrines à des jeunes, on leur offre une voie ouverte sur un dérapage vers les sectes religieuses?
Mme Louise Laurin: Les religions, ce n'est pas des sectes, madame Lavoie-Roux.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Je sais bien que les religions ne sont pas des sectes, mais si les gens confondaient le bouddhisme, l'islamisme, le catholicisme, etc., est-ce que cela ne pourrait pas éventuellement déboucher vers les sectes religieuses? D'ailleurs, la question ne vient pas de moi, mais de parents qui me l'ont posée. C'est pourquoi je vous la pose à mon tour.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Skalli.
M. Jowad Skalli: Je pense qu'il y a une incompréhension à propos de l'enseignement culturel de la religion. Il ne s'agit pas d'enseigner toutes les religions ou de parler de toutes les religions. Il s'agit d'enseigner l'histoire de la pensée religieuse. Il s'agit de montrer aux jeunes comment des populations diverses, de divers endroits, ont des croyances qui leur font expliquer le monde de telle manière ou de telle autre. Il faut expliquer l'histoire de l'humanité à travers l'histoire de ces religions, toutes religions confondues, et leur sens.
On ne court pas les risques dont vous parlez ou dont parlait l'honorable sénateur tout à l'heure, quand il demandait s'il était possible d'enseigner d'un seul coup toutes les religions du monde. Évidemment, ce ne l'est pas. Mais on peut enseigner l'esprit religieux, l'histoire des religions, la pensée religieuse, d'une manière générale, sans faire référence à une religion particulière.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Mais il reste qu'il y a quand même un risque.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Je m'excuse de vous interrompre. Nous avions convenu qu'une question serait posée. Cela met donc fin à votre présentation. Madame Laurin, monsieur Skalli, monsieur Couture, monsieur Laberge, au nom de l'ensemble des membres du comité, je vous remercie énormément pour votre présentation de ce matin.
Nous faisons une pause de deux minutes, de façon à permettre à l'autre groupe de prendre place.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Nous reprenons les auditions du Comité mixte spécial pour modifier l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Les prochains témoins que nous entendrons sont du Mouvement national des Québécoises et des Québécois. Ce sont Jacqueline Hekpazo, secrétaire, et Chantale Turcot, trésorière. Bonjour, mesdames. Il nous fait plaisir de vous avoir avec nous aujourd'hui.
Est-ce Mme Turcot qui fait la présentation?
Mme Chantale Turcot (trésorière, Mouvement national des Québécoises et Québécois): Oui.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Madame Turcot, nous vous écoutons.
Mme Chantale Turcot: Je vous remercie, monsieur le président, mesdames et messieurs.
Le Mouvement national des Québécoises et Québécois, c'est-à-dire le MNQ, est une fédération de 16 sociétés nationales et Saint-Jean-Baptiste structurées sur une base régionale, lesquelles représentent au total quelque 180 000 membres individuels. Il a maintenant 50 ans, ayant été fondé en 1947 sous le nom de Fédération des sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec.
Le MNQ n'est pas un organisme spécialisé. Il s'adresse à des personnes de toutes les conditions sociales et de tous les âges. Son public de référence n'est ni un groupe professionnel, ni un groupe ethnique ou confessionnel: c'est la population québécoise tout entière, sans distinction d'origine, de langue maternelle ou de croyance religieuse.
Le MNQ favorise notamment, dans le respect des différences, l'intégration civique, économique et sociale des divers groupes ethniques, culturels, confessionnels et idéologiques qui composent le Québec moderne. Il attache une très grande importance à la participation de tous ces groupes, au développement et au rayonnement d'une culture publique qui leur soit commune, ainsi qu'à l'égalité des droits pour les citoyens. C'est dans cette perspective qu'il défend le statut du français comme langue nationale, bien commun de toute la société québécoise et de ses composantes par-delà la diversité des langues maternelles et des langues d'usage privé.
Le MNQ reconnaît que l'école publique est sans aucun doute le plus important des instruments collectifs dont s'est dotée la société québécoise pour se réaliser en tant que société inclusive. Avec la très grande majorité des Québécois de toutes allégeances politiques, il attache donc une importance primordiale à la défense et à la promotion de l'autonomie québécoise en matière d'éducation. Cette autonomie doit permettre au législateur québécois d'adapter la structure du système scolaire à l'évolution des contextes, des besoins et des mentalités. Elle doit surtout lui permettre de promouvoir en éducation les valeurs démocratiques que sont notamment la liberté de religion et le principe de l'égalité des citoyens entre eux.
Nous nous adressons à vous aujourd'hui pour soutenir le projet de modification constitutionnelle relatif à l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867. L'objet premier de cet article est bien de conférer aux provinces la compétence exclusive en matière d'éducation. Cette disposition de base doit évidemment être maintenue. L'article 93 comporte aussi toutefois de très importantes contraintes à l'exercice de cette compétence par le Québec et donc une limitation à l'autonomie québécoise en ce domaine vital. Cet article a, pour le Québec, une portée beaucoup plus contraignante que pour les autres provinces auxquelles il s'applique.
Le MNQ demande donc au Parlement du Canada de donner son accord à une modification constitutionnelle ayant pour effet de libérer le Québec des contraintes inacceptables que lui impose l'article 93 de 1867 en matière de structuration du système scolaire.
Les contraintes qu'impose l'article 93 à l'exercice de la compétence provinciale en éducation ne s'appliquent pas à toutes les provinces. Elles n'ont aucun effet dans les provinces qui n'accordaient aucun privilège particulier à des groupes confessionnels en matière d'organisation scolaire avant leur adhésion à la fédération canadienne. Seules les provinces qui avaient consenti de tels privilèges sont tenues de les maintenir et se voient interdire de les modifier. Cette situation juridique contredit la prétention de ceux qui affirment ou revendiquent l'égalité des provinces. Ainsi, l'inégalité dont il s'agit n'est pas en faveur du Québec, mais à son détriment.
Dans les provinces touchées, les contraintes de l'article 93 ne s'appliquent pas de la même manière. Ainsi, l'obligation faite au Québec de maintenir des structures scolaires catholiques et des structures scolaires protestantes dans les villes de Québec et de Montréal sans égard à l'évolution démographique qui s'est produite depuis 150 ans n'a d'équivalent nulle part ailleurs. Dans l'ensemble du Canada, le Québec et Terre-Neuve étant les deux remarquables exceptions, le système public de base est non confessionnel, y compris en Ontario auquel s'applique pourtant l'article 93. À notre connaissance, il n'y a à cet égard aucun statut particulier pour quelque ville ontarienne que ce soit.
Si l'article 93 n'impose pas les mêmes contraintes aux provinces auxquelles il s'applique, c'est qu'il ne décrit pas le régime scolaire qu'il oblige à maintenir. Il renvoie tout simplement à ce qui existait avant l'adhésion de chaque province à la fédération. Il enchâsse des privilèges préexistants qui étaient variables d'une province à l'autre. Selon la nature et l'étendue des privilèges établis en faveur de groupes confessionnels, la capacité de chaque province de faire évoluer son système scolaire sera plus ou moins limitée.
Les contraintes résultant de l'article 93 sont d'autant plus inacceptables qu'elles interdisent au législateur québécois une orientation qui serait beaucoup plus conforme aux principes démocratiques sur lesquels le Canada prétend être fondé. La Charte canadienne des droits et liberté proclame en effet, à son article 2, la liberté de conscience et de religion pour toutes les personnes sans exception. Et on retrouve l'équivalent à l'article 3 de la Charte québécoise. À l'article 15, la même Charte canadienne proclame l'égalité des citoyens et interdit toute discrimination fondée notamment sur la religion. C'est l'article 10 de la Charte québécoise. L'obligation de maintenir des privilèges particuliers pour deux groupes confessionnels est donc une dérogation flagrante à l'esprit de la Charte.
L'adoption des articles 2 et 15 de la Charte canadienne aurait dû normalement être interprétée comme abrogeant les dispositions incompatibles de l'article 93 de 1867. L'article 29 de ladite Charte était nécessaire pour maintenir les privilèges confessionnels protégés par l'article 93 de 1867. L'article 29 joue ainsi le rôle d'une clause nonobstant permanente. Contrairement à la clause nonobstant prévue à l'article 33, l'article 29 ne fait pas qu'autoriser une dérogation temporaire à une disposition des articles 2 et 7 à 15. Il oblige de façon permanente le législateur à déroger à la liberté de religion et au droit à l'égalité dans le sens indiqué par l'article 93.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Madame Turcot, je vous demanderais de vous préparer à conclure.
Mme Chantale Turcot: La formule retenue par le gouvernement du Québec comme régime provisoire au cas où la modification constitutionnelle retarderait n'est plus simple qu'en apparence. Elle morcelle tout autant la clientèle de l'école publique. Elle comporte par ailleurs des inconvénients qui lui sont propres, dont les possibilités de conflits insolubles entre les paliers de pouvoirs et le risque de ne pas survivre à une contestation judiciaire.
Nous estimons donc que les contraintes imposées au Québec en ce qui a trait à la structuration de son système scolaire sont déraisonnables. Alors, nous demandons donc de soustraire le Québec à l'article 93 de 1867. Je vous remercie.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci de votre présentation, madame Turcot.
Nous allons maintenant passer à la période de questions.
Je cède immédiatement la parole à Mme Val Meredith.
[Traduction]
Mme Val Meredith: J'ai écouté vos propos avec intérêt. J'en retiens que vous appuyez la demande de modification de l'article 93 qui soustrairait le Québec à l'application de cet article, supprimant ainsi la protection conférée à certains types d'enseignement confessionnel dans le système scolaire québécois. Vous estimez que l'adoption de cette modification permettrait au Québec—et je cite presque textuellement—de mieux respecter les principes démocratiques d'égalité et de non-discrimination des individus.
L'inquiétude qu'un certain nombre de personnes nous ont exprimée porte essentiellement sur le fait qu'en soustrayant le Québec à l'article 93 on risquerait de mettre un terme à tout enseignement religieux dans les classes, dans les écoles. Certaines causes portées devant les tribunaux en Ontario contribuent à renforcer cette appréhension.
Une autre crainte que certains disent éprouver, c'est que, sans la protection conférée par l'article 93 et l'alinéa 23(1)a), on risque d'être témoin d'autres situations discriminatoires; le Québec ne tient pas actuellement et ne tiendra peut-être pas non plus dans l'avenir à reconnaître à tout parent le droit d'exiger, en toute équité, que le système scolaire dispense un enseignement religieux. Croyez-vous qu'un parent a le droit de s'attendre à ce que le système scolaire offre des cours de religion?
[Français]
Mme Chantale Turcot: Je veux d'abord préciser que les garanties confessionnelles dont vous parlez sont devenues, 100 ans au moins après la signature de la Confédération, des privilèges et que nous les considérons comme tels. Il y a donc deux confessions qui jouissent de privilèges devenus inacceptables dans une société ouverte et pluraliste comme le Québec et le Canada modernes.
Pour ce qui est de l'inquiétude des parents vis-à-vis de l'enseignement de la religion dans les écoles, je pense qu'il faut faire une certaine confiance au gouvernement québécois. C'est sûr que soustraire le Québec à l'article 93 n'entraîne pas nécessairement la déconfessionnalisation complète des écoles pour demain matin. Il y a des écoles qui ont voté pour un projet éducatif, catholique ou protestant, et je pense que ce sera protégé ou respecté au cours des prochaines années.
Cependant, il est sûr que la société québécoise évolue. On sait que la clause nonobstant permet une révision aux cinq ans. Je pense que c'est dû à la sagesse des législateurs. De cinq ans en cinq ans, la société québécoise évolue. Est-ce que dans 50 ans, nous aurons assez de personnes qui réclameront l'enseignement religieux? Dans 25 ans? Dans 20 ans? On ne peut pas le dire. Mais je pense que soustraire le Québec à l'article 93 va accorder la souplesse nécessaire au gouvernement québécois pour adapter son système scolaire aux besoins des Québécois actuels, qu'ils soient Québécois de souche ou Québécois nouvellement reçus.
Mme Jacqueline Hekpazo (secrétaire, Mouvement national des Québécoises et Québécois): Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter quelque chose.
Il s'agit de dépoussiérer l'article 93 de 1867. Dans les sociétés modernes actuelles, ce qu'on voit, c'est la séparation de l'Église et de l'État. On ne peut pas aller plus vite que la société, que les gens, effectivement. Mais à long terme, il est certain qu'à un moment donné, l'enseignement des religions qui se donne dans les écoles restera du ressort des familles et des Églises. Si on veut une société moderne et ouverte, une école accessible à tous, quelles que soient les convictions religieuses ou politiques des uns ou quelle que soit leur origine, il faut que cela reste du domaine privé.
Afin de rassurer les minorités anglophones ou les parents quant à l'enseignement religieux, on peut rappeler qu'il y a quand même une longue tradition démocratique au Québec. Il existe des chartes, la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte du Québec, et les minorités sont bien organisées. Il y a des groupes de défense des droits. Donc, je pense qu'on n'a pas d'inquiétude à avoir de ce point de vue.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci beaucoup. Le prochain intervenant sera le sénateur Beaudoin.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Sur les structures confessionnelles, je n'ai pas de questions à poser. Vous voulez que les paragraphes (1), (2), (3) et (4) soient écartés et conserver la première partie de l'article 93, évidemment. C'est sûr.
Vous comptez vous replier sur les deux chartes, québécoise et canadienne. Est-ce totalement ou, si vous n'écartez pas la possibilité d'utiliser la clause nonobstant, au besoin?
Mme Chantale Turcot: Il faut, bien sûr, une clause nonobstant pour conserver les écoles confessionnelles. Le débat reste à faire au Québec. Je pense qu'on doit procéder par étape. De toute façon, la clause nonobstant doit être réexaminée à tous les cinq ans.
C'est une bonne façon de suivre l'évolution de la société québécoise, mais, bien sûr, la clause nonobstant est nécessaire pour garder les écoles confessionnelles.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Personnellement, je ne me fais pas l'avocat des clauses nonobstant parce que je n'aime pas trop cela. Évidemment, je peux concevoir qu'il puisse arriver un cas exceptionnel, mais enfin... À ce moment-là, on s'en remet à un système basé sur la non-discrimination, la liberté, etc., ce qui est exactement ce que vous voulez.
Mme Chantale Turcot: Oui, en espérant...
Le sénateur Gérald Beaudoin: Notez toutefois que je n'ai rien contre les chartes des droits; au contraire, je suis un apôtre de ces chartes des droits.
Mme Chantale Turcot: Oui, mais en espérant que la société évolue vers une séparation complète de l'Église et de l'État, comme Mme Hekpazo le mentionnait plus tôt.
Le sénateur Gérald Beaudoin: Mais cela est déjà acquis. La Cour suprême l'a dit très clairement: au Canada, il y a séparation de l'Église et de l'État; il n'y a pas de religion d'État. Par contre, deux groupes religieux sont privilégiés par l'article 93. Cela est autre chose. La cour l'a dit très clairement. Je voulais juste faire cette mise au point.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Ménard.
M. Réal Ménard: Il n'y a pas de religion d'État au Canada, mais il y a une discrimination positive en faveur de l'un et l'autre des groupes qui crée pour certains intervenants, et non pas pour tous, une situation de malaise. Ce que je comprends, c'est que vous nous dites qu'il y a eu un consensus au Québec et que le Mouvement national des Québécoises et Québécois porte ce débat et le suit depuis plusieurs années.
Je comprends évidemment que vous êtes favorables à l'amendement pour des raisons dont vous avez eu l'occasion de discuter.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Sans doute.
M. Réal Ménard: Sans doute, comme le dit Mme la sénatrice Lavoie-Roux.
Est-ce que vous pouvez faire ressortir en quoi toute cette question n'est pas une question partisane? Quand on y pense bien, plusieurs gouvernements, tant celui auquel a appartenu Mme Lavoie-Roux que le gouvernement actuel, ont essayé de contourner l'article 93 et ont rivalisé d'ingéniosité pour pouvoir s'y soustraire pour le plus grand bien du système scolaire québécois. Mais, en définitive, aujourd'hui, il faut bien voir, après trois décennies de débat—ce n'est pas rien—que tous ceux qui s'intéressent à cette question ont l'obligation d'arriver à la conclusion que sans l'abolition de l'article 93, il ne peut pas y avoir de modernisation du système scolaire québécois.
La sénatrice Thérèse Lavoie-Roux: Oui, mais cela, on pourrait en discuter longtemps.
Mme Jacqueline Hekpazo: Si on prend le cheminement de la société québécoise, comme vous le dites, on constate que depuis plusieurs décennies, on essaie de régler cette question. Moi, je dis qu'il faut achever ce qu'on appelle la révolution tranquille, mais au niveau du système scolaire, et donc arriver à quelque chose de moderne, d'actuel, et non plus de rétrograde. Je pense que c'est une démarche tout à fait logique et qui va dans le sens du développement de la société québécoise. C'est tard, mais mieux vaut tard que jamais.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci beaucoup. Mauril Bélanger.
M. Mauril Bélanger: Madame Hekpazo, tout à l'heure, vous répondiez à une question sur la Charte canadienne des droits et libertés et en particulier son article 23. Dois-je comprendre que vous acceptez effectivement que cette charte a force de loi dans la province de Québec?
Deuxièmement, quel est l'avis de votre organisation par rapport à l'alinéa 23(1)a)? Vous disiez que la communauté anglophone n'avait aucune raison de se sentir menacée. Par contre, nous avons eu plusieurs représentations ici de cette communauté anglophone, qui dit avoir besoin de l'application de la l'alinéa 23(1)a). J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.
Mme Jacqueline Hekpazo: L'article 23 renferme les garanties qui concernent les droits des minorités linguistiques dans le domaine de l'éducation. Je pense que cela, au niveau du Québec, c'est accepté. Je considère le fait qu'on ait créé un comité mixte chargé d'étudier cette question comme un exercice pédagogique, justement pour clarifier un peu les différents enjeux. Ici, il n'est pas question des droits linguistiques, mais de questions concernant la religion. Si jamais cela revenait encore aux questions linguistiques, je pense que la Loi 101 accepterait tout cela.
M. Mauril Bélanger: Mais c'est vous qui aviez soulevé cela.
Mme Jacqueline Hekpazo: Non, non.
M. Mauril Bélanger: Je reprends vos propos.
Mme Jacqueline Hekpazo: Non, non, c'est vous qui avez parlé des différents groupes anglophones qui sont venus ici et ont discuté de l'alinéa 23(1)a).
M. Mauril Bélanger: Lors de la réponse à une question d'un des députés du Parti réformiste, vous avez fait allusion à l'article 23, disant qu'il garantissait et donnait tous les droits et toutes les garanties linguistiques dont la communauté anglophone avait besoin.
Je voudrais vous dire qu'au cours des deux dernières semaines, il y a eu ici des représentations de divers groupes de cette communauté anglophone, dont la plupart réclament l'application intégrale de l'article 23, y compris l'alinéa 23(1)a). Vous savez certainement de quoi je parle.
Mme Jacqueline Hekpazo: Oui.
M. Mauril Bélanger: Et ils affirmaient, à tort ou à raison, que sans l'alinéa 23(1)a), ils seraient menacés à long terme. C'est ce que j'aimerais que vous commentiez.
Mme Jacqueline Hekpazo: Je réitère encore la question de la tradition démocratique au Québec. Si on regarde les différentes chartes qui existent, que ce soit au niveau canadien ou au niveau québécois, la réputation du Québec comme celle du Canada, les groupes minoritaires qui ont l'habitude de défendre leurs droits—j'appartiens à une communauté noire qui a l'habitude aussi de défendre ses droits—les groupes de défense des droits et libertés et la connaissance que chaque citoyen a de ses droits, je pense qu'on n'a pas d'inquiétude à avoir. Justement, il y a un effort à faire dans les résultats qui sortiront de ce comité mixte, un effort pour rassurer les gens qui sont encore inquiets quant à l'avenir.
M. Mauril Bélanger: Si je vous comprends bien, vous n'êtes pas favorable à l'application de l'alinéa 23(1)a).
Mme Jacqueline Hekpazo: Sorti de son contexte, je vais relire cet alinéa:
-
23. (1) Les citoyens canadiens:
-
a) dont la première langue apprise
et encore comprise est celle de la minorité francophone
ou anglophone de la province où ils résident,
Je vous renvoie la question: qu'est-ce qui chagrinait autant les différents représentants qui sont venus ici expliquer cela?
M. Mauril Bélanger: Je ne crois pas que ce soit à moi de le faire, mais je vous donnerai certainement copie de leur mémoire.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Monsieur Peter Goldring.
[Traduction]
M. Peter Goldring: Je remarque que vous signalez dans votre mémoire que vous représentez 180 000 membres. Vos membres ont-ils été appelés à indiquer leur préférence à propos des divers types d'enseignement religieux qui pourraient être offerts dans les écoles? Ont-ils eu l'occasion de dire s'ils aimeraient mieux que les écoles de l'avenir n'enseignent aucune religion, qu'elles enseignent une religion particulière ou qu'elles enseignent la culture religieuse? Cette question a-t-elle été posée à vos membres?
[Français]
Mme Jacqueline Hekpazo: Nous avons plus insisté sur l'éducation civique, c'est-à-dire l'éducation aux valeurs sociales. Il est sûr que ces valeurs sociales sont teintées par la culture et la religion. Nous insistons plus sur un enseignement qui favorise la cohésion sociale, donc davantage un apprentissage des valeurs qui sont portées par la religion, mais comme il y a différentes religions de par le monde et qu'elles ont certaines valeurs morales, il y a aussi des valeurs qui sont universelles, dont la justice et l'égalité, pour nommer que les deux plus essentielles ici, au Canada et au Québec.
Toutes ces valeurs devraient être enseignées et faire partie du curriculum dans les écoles, mais non pas la religion comme telle.
[Traduction]
M. Peter Goldring: Je m'excuse, mais ce que je vous demandais, c'est si vous aviez posé la question à vos membres? Avez-vous fait un sondage auprès de vos membres à ce sujet? Je constate, d'après les propos qu'a tenus l'intervenant précédent, que votre organisation fait partie de la coalition regroupant 2 millions de personnes dont cet intervenant était le porte-parole. J'essaie de vérifier si vous avez mené un sondage auprès de vos membres à ce sujet et si, à votre connaissance, les membres de cette coalition ont été invités à répondre à un sondage sur diverses formes d'enseignement de la religion dans les écoles, plus précisément, s'ils ont été appelés à se prononcer sur l'option que vous avez décrite comme étant un enseignement culturel sur l'ensemble des religions? Les avez-vous consultés à ce sujet?
[Français]
Mme Chantale Turcot: Nous n'avons pas de position officielle pour l'instant. C'est sûr que c'est une préoccupation. Nous souhaitons dans un premier temps la déconfessionnalisation des structures et nous observerons par la suite ce qui se passera dans les écoles. La religion n'est pas la préoccupation première de notre mouvement. C'est une préoccupation secondaire.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Madame Turcot, juste pour préciser la question de Peter Goldring, est-ce que vous avez fait un sondage auprès de vos membres?
Mme Chantale Turcot: Non. Nous en avons parlé, mais nous n'avons pas de position pour l'instant. Toutes sortes d'opinions ont été exprimées, mais il n'y a pas d'opinion concluante présentement. Je n'ai pas de position officielle à vous donner.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Sénateur Robichaud.
Le sénateur Fernand Robichaud (Nouveau-Brunswick, Lib.): Bonjour, mesdames.
Au début de nos audiences, nous avons entendu des témoins qui se disaient très inquiets du fait qu'on allait éliminer les paragraphes (1) à (4) de l'article 93. Pour eux, c'était la fin de l'éducation religieuse dans les écoles. D'autres gens ont essayé de les rassurer en disant qu'ils seraient protégés par les chartes et par la Loi sur l'instruction publique du Québec et que l'enseignement religieux pourrait continuer. On essayait de les rassurer.
D'autre part, on dit que l'article 93 est une clause nonobstant permanente. Mais on s'aperçoit qu'on ne pourra permettre l'instruction religieuse qu'en invoquant la clause nonobstant de la loi québécoise pour protéger ces groupes. Est-ce donc dire que vous n'êtes pas du tout d'accord sur ces clauses nonobstant qui favorisent un ou deux groupes en particulier? Est-ce rendre justice à ces gens que de dire que c'est vrai maintenant et que l'instruction religieuse dans les écoles, c'est du passé, c'est fini? Les assurances qu'on essayait de leur donner ne tiennent pas.
Mme Chantale Turcot: Comme je vous l'expliquais lors de ma première réponse, pour l'instant, nous devrons tolérer notre clause nonobstant qui protège l'enseignement de la religion dans les écoles. Mais on se rend bien compte qu'en privilégiant certains groupes religieux, on va à l'encontre de la Charte des droits et libertés. Ce que nous souhaitons, c'est que la société québécoise évolue assez pour que dans un avenir plus ou moins rapproché, on n'ait pas besoin de cette clause nonobstant et que la religion soit vraiment l'affaire de l'Église, et non pas affaire de l'État dans les écoles publiques. On veut qu'à long terme—je dis bien à long terme—la société québécoise soit prête à accepter des écoles qui soient publiques et non discriminatoires pour tous ses citoyens.
C'est un souhait. Je ne voudrais pas vous dire demain que je suis contre la clause nonobstant qui protège l'enseignement, ne voulant pas faire une révolution au Québec, non plus. Je ne peux pas avoir des souhaits qui aillent plus vite que l'évolution de la société. Mais je souhaite vraiment et sincèrement que la société québécoise évolue assez vite pour qu'on ait des écoles publiques qui ne soient pas confessionnelles. Je vous dis que cela ne se fera pas demain matin.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci, madame Turcot.
Le dernier intervenant sera Nick Discepola.
M. Nick Discepola: Madame Hekpazo, vous avez demandé pourquoi on éprouvait des inquiétudes face à l'alinéa 23(1)a). Je vais vous donner deux exemples, l'un qui me touche personnellement et l'autre qui a été cité à plusieurs reprises.
Près de 13 000 enfants de langue maternelle anglaise sont visés par cet article de la Charte. Venant de l'extérieur du Canada, ils ne pourront pas fréquenter une école anglaise au Québec.
Je vous donnerai également un exemple personnel. Je n'ai pas réussi à obtenir une réponse de chaque personne à qui j'ai posé la question. J'ai quatre enfants qui ont tous été élevés dans un système scolaire francophone. Est-ce que mes petits-enfants et mes arrière-petits-enfants pourront fréquenter une école anglaise?
Mme Jacqueline Hekpazo: Nul ne sait de quoi est fait l'avenir.
M. Nick Discepola: Selon la Charte actuelle, sans l'alinéa 23 (1)a), le choix que j'ai librement pris d'envoyer mes enfants à une école française, même si j'avais le droit de les envoyer à une école anglaise... Personne n'a été capable de répondre à cette question.
Mme Chantale Turcot: J'aurais le goût de dire que c'est hors d'ordre. Franchement, tout ce qui entoure et concerne les lois 101 et 86 au Québec, c'est un autre débat. Je serais bien heureuse d'en discuter en dehors de ce comité-ci, mais je considère vraiment que c'est un autre débat.
M. Nick Discepola: Mais, madame Turcot, vous voyez le sens de mon intervention. Vous pénalisez quelqu'un...
Mme Chantale Turcot: Oui, je le comprends tout à fait.
M. Nick Discepola: Vous pénalisez quelqu'un qui a librement fait le choix de s'intégrer à la communauté francophone. On le décourage avec cet article.
Mme Chantale Turcot: Monsieur, je ne souhaite pas entrer dans ce débat.
Le coprésident (M. Denis Paradis): Merci beaucoup. Au nom de l'ensemble des membres du comité, madame Turcot et madame Hekpazo, permettez-moi de vous remercier pour votre présentation ce matin.
La séance est levée jusqu'à 15 h 30.