SJCA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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SPECIAL JOINT COMMITTEE ON THE CHILD CUSTODY AND ACCESS
COMITÉ MIXTE SPÉCIAL SUR LA GARDE ET LE DROIT DE VISITE DES ENFANTS
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 19 mai 1998
[Traduction]
Le coprésident (M. Roger Gallaway (Sarnia—Lambton, Lib.)): Soyez les bienvenus à la 27e réunion du Comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants.
Comme je suis tenu de le faire au début des séances, je précise qu'il s'agit d'un comité constitué par la Chambre des communes et par le Sénat, chargé d'examiner les questions relatives à la garde et au droit de visite en vertu de la Loi sur le divorce, et de soumettre un rapport aux deux Chambres au plus tard, le 30 novembre prochain.
Nous sommes très heureux de nous retrouver à Vancouver. Il y a quelques semaines, nous avions été obligés d'écourter d'une journée nos audiences. Nous avions alors promis de revenir et voilà, c'est ce que nous avons fait. Nous sommes heureux de pouvoir achever ainsi les audiences prévues au départ.
J'ajouterai que comme il s'agit d'une audience d'un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes, il convient de respecter un certain décorum. Je vous demande donc de ne pas faire de remarques à haute voix et de vous abstenir de bavarder ou d'applaudir.
• 1145
Nous sommes heureux d'accueillir le premier groupe de témoins
constitué par MM. Christopher Cole, Charles Traynor et Jeffrey
Patterson.
Comme vous le savez, vous disposez de cinq minutes pour faire votre exposé. Je vous préviendrai lorsque ces cinq minutes seront écoulées, mais comme nous avons une journée très chargée aujourd'hui, je vous serais vraiment obligé de respecter cette règle. Commençons par monsieur Cole.
Vous avez la parole.
M. Christopher Cole (témoigne à titre personnel): Monsieur le président, membres du comité sur la garde et le droit de visite des enfants, je vous remercie de m'avoir invité à témoigner.
J'ai trois jeunes enfants, et tout ce que je vais vous dire est directement lié à mon expérience personnelle. Lorsqu'un parent est faussement accusé de violence sexuelle à l'égard de ses enfants, cela déclenche immédiatement l'intervention d'une foule de personnes appelées à apprécier la situation, parfois même celle de la police. Ces professionnels sont censés agir de bonne foi afin d'assurer la protection des enfants. Cependant, la nature de l'allégation les met sur leur garde et beaucoup d'entre eux se rangent immédiatement dans le camp de la personne qui a porté l'accusation. L'allégation a non seulement un effet préjudiciable sur la personne faussement accusée, mais aussi un effet désastreux sur les enfants, dans l'immédiat et par la suite.
Le parent qui a la garde des enfants peut exposer ceux-ci à autant de conseillers et thérapeutes qu'il le désire. Même lorsqu'il est prouvé qu'il n'y a pas eu de violence sexuelle, ce parent peut, comme cela s'est produit dans mon cas, faire examiner les enfants par des thérapeutes spécialisés dans le domaine de la violence sexuelle et continuer par la suite à leur faire subir des examens physiques. Il est arrivé que ces conseillers poursuivent l'interrogation des enfants pendant très longtemps jusqu'à ce que ceux-ci finissent par leur dire ce qu'ils veulent entendre. C'est précisément ce qui s'est passé dans mon cas. On en conclut alors qu'il y a eu violence et qu'on doit y mettre un terme.
Cette procédure a un effet très nocif sur l'esprit des enfants et crée parfois chez eux des souvenirs fictifs. Lorsqu'une personne porte sciemment de fausses accusations, on considère qu'il s'agit d'une infraction criminelle, aux termes du paragraphe 7(3) du Child and Family Services Act:
-
(3) La personne qui présente un rapport en vertu de cet article
n'est passible d'aucune poursuite à moins qu'elle ne le fasse de
façon calomnieuse ou sans motif valable.
C'est ce que confirme l'article 140 du Code criminel du Canada,
-
140.(1) Commet un méfait public quiconque, avec l'intention de
tromper, amène un agent de la paix à commencer ou à continuer une
enquête.
-
(a) soit en faisant une fausse déclaration qui accuse une autre
personne d'avoir commis une infraction;
-
(b) soit en accomplissant un acte destiné à rendre une autre
personne suspecte d'une infraction qu'elle n'a pas commise ou pour
éloigner de lui les soupçons;
-
(c) soit en rapportant qu'une infraction a été commise quand elle
ne l'a pas été;
En vertu de cet article le coupable est passible à un emprisonnement maximal de cinq ans ou d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Il est réfutable que cette mesure ne soit pas appliquée lorsqu'un parent vindicatif présente de fausses allégations de ce genre.
Lorsque les tribunaux font appel à un évaluateur, par exemple un conseiller du tribunal de la famille ou un psychologue, ce dernier doit se conformer à des lignes directrices et à des politiques rigoureuses afin de s'assurer que les rapports sont impartiaux et respectent la sécurité des enfants.
Dans mon cas personnel, un conseiller du tribunal de la famille de la Colombie-Britannique a rédigé un rapport partial, non corroboré et biaisé en faveur de la mère. Le chef de la direction des enquêtes à Saanich, qui relève du bureau du procureur général de la Colombie-Britannique, reconnaît que lorsqu'il a rédigé son rapport, ce conseiller a enfreint huit sections importantes du manuel de la direction des services correctionnels de la Colombie-Britannique. Pourtant, les chefs de ce département, jusqu'au niveau le plus élevé, refusent d'agir et m'ont fait savoir qu'il appartenait aux tribunaux de s'en occuper.
Ces professionnels devraient être tenus responsables de leurs actes, car leurs rapports signifient parfois pour une personne la perte de ses droits parentaux et ils peuvent créer des problèmes émotionnels et financiers chez les intéressés. Lorsqu'un parent a la garde des enfants, l'autre parent découvre qu'il ne peut plus exiger de recevoir des informations concernant ses enfants. Le fait d'être cotuteur ne signifie pas qu'il partage les responsabilités parentales.
Lorsque la parent qui n'a pas obtenu la garde fait part de ses préoccupations au ministère de l'Enfance et de la Famille de la Colombie-Britannique, l'expérience m'a appris que ses déclarations ne sont pas prises au sérieux. En revanche, le ministère apporte un soutien au parent qui a obtenu la garde des enfants, habituellement la mère.
Dans mon propre cas, lorsque j'ai eu des contacts avec ce ministère, un des employés m'a répondu que comme la mère avait la garde des enfants, elle était totalement libre de faire ce qu'elle voulait. Sa remarque a été confirmée par son superviseur.
• 1150
Une des méthodes les plus fréquemment utilisées par le parent
qui a la garde des enfants pour aliéner ceux-ci à l'égard de
l'autre parent, est de refuser le droit de visite quand bon lui
semble, quelle que soit l'ordonnance rendue par le tribunal. La
seule façon d'obtenir le droit de visite afin de continuer à avoir
des rapports positifs avec ses enfants, est de poursuivre la mère
pour outrage au tribunal. La procédure est très coûteuse, et les
résultats décevants. Par contre, lorsque le père est incapable de
verser la pension alimentaire, le programme d'exécution des
ordonnances alimentaires autorise légalement une saisie-arrêt sur
l'argent dont dispose le père, sans que cela coûte quoi que ce soit
à la mère. Si par hasard, elle est obligée de payer des honoraires
d'avocat, elle peut déduire cela de ses impôts.
Pour ce qui est de la pension alimentaire, aux termes des lignes directrices concernant le montant à payer par le parent qui n'a pas obtenu la garde, on ne tient aucun compte des gains de l'autre parent. Cela crée une charge financière excessive pour celui qui n'a pas la garde des enfants.
Enfin, une tactique facile pour s'assurer que la personne qui a la garde provisoire des enfants conserve celle-ci est de refuser de communiquer, car les tribunaux ne se prononceront pas en faveur de la garde partagée s'il n'y a pas de communication entre les parents.
J'ai apporté plusieurs documents à l'appui de mes dires. Je peux vous soumettre des copies de l'article 22, chapitre 61 des Statuts de la Colombie-Britannique, index 143, du Freedom of Information and Protection of Privacy Act, ainsi que le guide de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels du ministère de l'Enfance et de la Famille de la Colombie-Britannique. Je cite également une étude américaine de MM. Ceci et Huffman sur la suggestibilité des enfants d'âge préscolaire.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Excusez-moi, le temps dont vous disposiez est écoulé.
Nous allons maintenant passer à monsieur Patterson.
M. Jeffrey Patterson (témoigne à titre personnel): Merci, monsieur le président.
Je vais résumer mon mémoire de mon mieux. J'ai essayé de vous le faire parvenir par courrier électronique beaucoup plus tôt, mais apparemment sans succès. Lorsque j'ai appris qu'il n'était pas parvenu à Ottawa, je l'ai finalement expédié par télécopieur, jeudi dernier.
Premièrement, je dois dire qu'il s'agit aussi d'une expérience personnelle, et comme certains le savent, la plupart des événements que je vais décrire se sont déroulés en Ontario, et non en Colombie-Britannique.
Deuxièmement, certains diront que l'affaire s'est réglée au mieux de mes intérêts, puisque j'ai finalement obtenu la garde pleine et entière d'un enfant né de mon mariage. J'ai ensuite obtenu une décision du tribunal refusant le droit de visite à la mère. En ce sens, ce fut un résultat très heureux, bien qu'il ne le fut naturellement pas pour l'enfant, et c'est la raison pour laquelle je suis ici.
J'espère que le comité—et c'est l'objet de mon exposé—interviendra pour empêcher que les accusations de violence sexuelle à l'égard d'un enfant, dont nous venons d'entendre parler, demeurent l'arme favorite utilisée par les parents dans les affaires de divorce. Je dois dire que dans mon cas personnel, la conclusion n'aurait pas été si heureuse si je n'avais pas eu les ressources nécessaires pour faire appel aux services du meilleur avocat de la famille que Toronto, ou plutôt Bay Street, avait à offrir, avec tout ce que cela implique. Bien sûr, cela m'a coûté très cher.
Dans mon mémoire, je propose également ce que j'appellerais la règle de Patterson. Selon cette règle, le sexisme manifesté dans le système d'aide est inversement proportionnel au niveau du fonctionnaire concerné. Autrement dit, plus le fonctionnaire est subalterne, plus son attitude sexiste est marquée. Je crois que l'éducation des fonctionnaires et des agents publics est la tâche la plus importante à laquelle nous sommes confrontés.
Dans mon mémoire, je donne l'exemple d'un incident—cela se produit très fréquemment—dans laquelle mon ex-épouse est entrée par effraction chez moi et a dû être expulsée avec l'aide de trois agents de police, deux lui tenant les bras et le troisième, les jambes. Aucune accusation n'a été déposée en dépit du fait que l'Ontario déclare, comme il le faisait déjà à l'époque, qu'il pratique une tolérance zéro à l'égard de la violence en milieu familial.
Une autre fois, mon ancienne épouse a téléphoné à ma secrétaire et lui a dit que si je ne prenais pas le téléphone, elle viendrait sur place me descendre. Nous n'avons eu d'autre choix que d'évacuer le bureau pour le reste de la journée.
Une autre fois encore, je me suis présenté à un poste de police dans le centre-ville de Toronto, le visage ensanglanté. J'ai déclaré que j'avais été agressé par mon ex-épouse, j'ai fourni le nom de témoins; pourtant, aucune suite n'a jamais été donnée. Autrement dit, la tolérance zéro n'existe pas lorsque c'est une femme qui attaque un homme; habituellement, c'est l'inverse qui se produit.
• 1155
Dans le cas de la Société d'aide à l'enfance—encore une fois,
je parle de l'Ontario et cela ne vaut peut-être pas pour la
Colombie-Britannique—j'ai découvert que malgré les doutes au sujet
de la capacité parentale de la mère qui, dans ce cas particulier,
avait eu la garde exclusive pendant les quatre années ayant suivi
notre séparation, rien n'avait été fait. Je n'avais de nouvelles
que si des accusations avaient été portées contre moi.
Lorsque j'ai dit que le sexisme est inversement proportionnel au niveau du fonctionnaire... De façon générale, les juges ontariens m'ont bien traité. J'ai trouvé que les juges fédéraux—l'affaire avait été portée devant une cour fédérale—en Ontario étaient parfaitement au courant de ces questions, notamment du fait que l'arme favorite des femmes est l'accusation de violence à l'égard des enfants. En Ontario, ces juges ne toléreraient pas ce genre de situation.
La seule chose que je peux leur reprocher c'est que lorsque leurs ordonnances n'étaient pas respectées, ils hésitaient toujours beaucoup à donner suite aux accusations d'outrage au tribunal à l'égard de mon ex-épouse. En fait, les choses ne se sont améliorées que lorsque le juge Labrosse de l'Ontario, qui s'est, je crois, acquis une certaine réputation dans d'autres affaires de ce genre, a déclaré que si mon ex-épouse ne respectait pas les ordonnances du tribunal, il ferait le nécessaire pour qu'elle soit incarcérée. Ce n'est qu'alors que j'ai pu obtenir un peu de coopération, c'est-à-dire après que l'affaire eut traîné pendant quatre ans devant les tribunaux. Les limites de la tolérance avaient été atteintes chez plusieurs juges.
Comme il me reste très peu de temps, je tiens simplement à mentionner que dans les conflits portant sur la garde des enfants, la tradition veut que les hommes soient toujours coupables et les femmes, jamais.
Une ancienne journaliste du Globe and Mail de Toronto, June Callwood, a cité mon affaire à de nombreuses reprises. Un jour, au tribunal, nous avons constaté que l'Association canadienne des libertés civiles intervenait en tant qu'amicus curiae. Or, Mme Callwood était membre du conseil d'administration de cette association.
Dans une autre affaire, des membres d'une maison d'hébergement appelée Nellie's à Toronto, sont venus faire de l'esclandre là où je travaillais. La même Mme Callwood était directrice fondatrice de Nellie's. Ce genre d'ingérence de la part d'une féministe très en vue a été constant pendant toute la durée de l'affaire et cela a joué contre moi. C'est cela que j'ai trouvé très difficile à accepter.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Je crains de devoir vous demander de conclure.
Nous allons maintenant passer à monsieur Traynor, qui dispose de cinq minutes.
M. Charles Traynor (témoigne à titre personnel): Merci beaucoup, mesdames et messieurs.
Au cours de certaines des discussions qui se déroulent ici, la situation est parfois présentée à l'envers. Je ne suis pas venu ici pour réclamer une augmentation du droit de visite des parents, qu'ils aient la garde de l'enfant ou non; je suis venu pour défendre le droit de visite des enfants à leurs parents.
Hier soir, j'ai tenu dans mes bras un homme qui pleurait; autant dire qu'il s'agissait d'un mourant, car c'est bien ce qui lui arrive. Quelque chose est en train de mourir en lui, et chez son enfant aussi. Sa situation n'a rien d'unique. Le tissu social de notre pays est de plus en plus complexe. Pour que l'équité devienne une des normes de notre société, il faudra régler les questions relatives à la garde et au droit de visite dont nous parlons aujourd'hui et peut-être même envisager de remanier totalement la Loi sur le divorce.
Je ne vous envie certainement pas votre tâche. J'ai suivi les audiences sur la CPAC, lorsque j'étais à Toronto. J'étais présent la dernière fois que vous avez siégé à Vancouver. Cette discussion est extrêmement complexe et explosive sur le plan politique, mais je vous demande instamment de ne pas reculer devant les difficultés.
Il y a longtemps que des changements auraient dû être apportés; je suis sûr que vous l'entendez dire dans tout le pays. Il faut agir maintenant pour éviter que le tissu social soit irrémédiablement endommagé. En fait, il est peut-être déjà trop tard pour certains enfants.
• 1200
Beaucoup de questions et d'inquiétudes vous sont exposées tout
au long du voyage du comité à travers le pays. J'espère que vous ne
vous laisserez pas distraire par les demandes en vue de traiter de
la violence physique au foyer, car même s'il s'agit là d'un
problème très grave, il y a de nombreuses autres formes de mauvais
traitements lors des séparations et ils doivent faire l'objet d'un
examen. Se concentrer sur le plus évident d'entre eux relèverait
véritablement de la parodie.
Je demande instamment aux coprésidents de ne pas laisser le comité dévier de sa voie. Ne vous laissez pas distraire par les discussions sur le droit pénal. Ce qui compte c'est la garde et le droit de visite des enfants.
Pour créer le contexte, je précise que je suis un homme d'affaires de 47 ans, deux fois divorcé. Je dirige une petite société de Vancouver qui emploie actuellement une centaine de personnes. J'habite à Victoria pour être plus près de mes enfants, et je fais la navette entre l'île et Vancouver pour me rendre à mon travail.
J'ai trois enfants, deux de mon premier mariage et un de mon second. Cela vous donnera une petite idée de la complexité de mon existence. Mon cas est loin d'être unique. Dans mon mémoire, j'ai décrit la situation de plusieurs hommes qui ont eu des problèmes similaires aux miens. Je vous laisse le soin de le lire.
Cela m'amène aux deux questions que je voulais évoquer. J'ai également quatre recommandations sur la manière de régler ces problèmes.
Je suis intimement convaincu, en tant que parent divorcé, que tout nouveau texte de loi ou toute modification des dispositions actuelles en vertu de la Loi sur le divorce devront être rédigées de façon à faire passer l'intérêt des enfants avant celui des parents. Je considère en effet que tous les enfants ont besoin de beaucoup d'autres choses que du simple soutien financier des deux parents. Ils ont besoin des soins et de l'attention des deux parents, sur une base d'égalité, et cela dans un environnement stable et chaud.
J'ajouterai que j'élève mes enfants depuis environ 20 ans, et que je l'ai fait dans à peu près toutes les conditions imaginables. J'ai été parent seul. J'ai partagé les responsabilités parentales. J'ai eu la garde de mes enfants et je leur ai fait faire la navette entre deux foyers. Après mon second divorce, c'est entre trois foyers qu'ils ont fait la navette.
J'ai certainement commis des erreurs au cours de ce processus d'apprentissage, et je souhaiterais vous faire part d'une partie de mon expérience. Je crois, et j'insiste là-dessus, que les enfants ont besoin de vivre dans un milieu familial stable. En ce moment, mes deux aînés vivent pratiquement seuls. Ma fille cadette a dix ans. Je vais lui rendre visite régulièrement et je reste chez elle de manière à ce qu'elle ait la stabilité et le soutien émotionnel dont une petite fille de dix ans a besoin.
Je voudrais souligner les deux problèmes suivants. Le premier est celui du déni du droit de visite et le second, celui de la mobilité des parents.
Comme on vous l'a maintes fois répété, le premier problème se pose lorsque le parent qui a obtenu la garde en vertu des règlements actuels, peut refuser de respecter le droit de visite avec impunité et sans possibilité de recours de la part de l'autre parent. L'homme à qui je donnais des conseils hier soir n'a pas vu son fils depuis l'an dernier. Il a obtenu trois ordonnances de droit de visite, mais son ex-épouse n'en a tenu aucun compte. L'arriéré est tel dans les tribunaux sont si encombrés qu'il ne pourra pas voir le juge avant août ou septembre. À mon avis, c'est une forme de violence à l'endroit de l'enfant.
Quant à la mobilité parentale, en ce moment, le parent qui a la garde de l'enfant peut aller où il veut en toute impunité et sans possibilité de recours de la part de l'autre parent. L'inverse n'est pas vrai. En fait, ne jouissant pas du droit de garde, si j'allais m'installer ailleurs avec un de mes enfants, je serais inculpé pour enlèvement et traîné devant le tribunal.
Je vais décrire brièvement les quatre solutions que je propose. Elles sont exposées plus en détail dans le mémoire que je vous ai remis.
La première solution est celle de la médiation obligatoire. Lorsqu'il est impossible de parvenir à une entente amicale sur la garde, le droit de visite, et (ou) la pension alimentaire, la médiation devrait être obligatoire.
Deuxièmement, il faut créer le plus de stabilité possible pour l'enfant. Il faudrait pour cela que la garde conjointe soit obligatoire à partir du moment où la séparation est décidée et qu'elle soit imposée dans les cas où les deux parties ne parviennent pas à s'entendre sur d'autres solutions plus acceptables. Quand je dis les «deux parties», j'entends les parents et les enfants. En cas de séparation, trois parties peuvent être en cause.
Il faudrait que le caractère obligatoire de cet arrangement joue pendant au moins les deux premières années suivant la séparation. Je crois que cela éviterait le risque de conflit entre les parents qui se séparent et leur permettrait de se concentrer sur les questions qui requièrent toute leur attention.
• 1205
Au cours de cette période de réflexion, il faudrait établir un
fonds en fiducie pour les enfants afin de couvrir leurs besoins
immédiats, puis fixer leur lieu de résidence, décider qui se
chargerait de les amener à leur entraînement de base-ball, à leurs
leçons de musique, etc.
En résumé, lorsqu'une entente n'est pas possible, un plan de partage des responsabilités parentales devra être établi.
La troisième solution concerne le droit de visite égal pour les deux parents.
La quatrième solution consiste à définir comme un crime tout déménagement effectué sans consentement. C'est une situation qui, à mon avis, est largement préméditée et la moindre des choses serait d'avertir de manière à ce que l'on puisse rechercher une solution.
Solution numéro cinq—la notion d'arriérés devrait avoir également trait aux contributions financières et au droit de visite. Si un parent a des «arriérés» parce que le droit de visite n'a pu être exercé, il risque de perdre son droit de garde ou de résidence.
Comme pour toute entente entre les actionnaires d'une nouvelle société, il importe que les parents d'aujourd'hui réfléchissent à leurs rôles et à leurs responsabilités avant de se marier et de décider d'avoir des enfants. Il faut aussi qu'ils soient bien informés des conséquences du non-respect de ces obligations. En fait, il faut prévoir des remèdes qui soient également utilisés pour les deux parties, dans le souci premier des besoins des enfants.
Je vous remercie de m'avoir permis de témoigner.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci beaucoup.
Mes chers collègues, nous allons maintenant passer aux questions. Je dois cependant dire qu'à cause de notre emploi du temps très chargé aujourd'hui, nous serons peut-être obligés de consacrer moins de cinq minutes aux questions.
La sénatrice Anne C. Cools (Toronto-Centre, Lib.): J'en appelle au Règlement, monsieur le président. Pourriez-vous demander à ces témoins de fournir l'intitulé de leur cause, car ils...
[Note de la rédaction: Difficultés techniques]... détails de leur cause. Il serait bon de les avoir, car cela nous permettrait de les étudier.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): C'est possible à condition qu'ils connaissent les détails.
Monsieur Traynor, vous n'avez pas mentionné d'affaire, mais vous, monsieur Patterson, vous l'avez fait. Pourriez-vous nous donner l'intitulé de la cause? Si vous ne savez pas ce que c'est, il s'agit de la date de votre divorce, de l'endroit où il a été prononcé, avec le numéro de dossier, si vous le connaissez.
M. Jeffrey Patterson: C'est ce que j'ai indiqué dans l'appendice au mémoire que j'ai déposé. Il s'agit de la cause CL-646/84 de la Cour suprême de l'Ontario, comté de York.
M. Christopher Cole: Mon dossier est conservé au greffe de Victoria, tribunal 5939, et sous le numéro de dossier 28810 de la Cour suprême de la Colombie-Britannique.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci.
Monsieur Forseth.
M. Paul Forseth (New Westminster—Coquitlam—Burnaby, Réf.): Monsieur Cole, vous avez dit qu'à un moment de l'instruction de l'affaire, une évaluation a été faite. Je crois que vous avez dit qu'elle avait été effectuée par un conseiller du tribunal de la famille.
M. Christopher Cole: C'est exact.
M. Paul Forseth: Qui était ce conseiller?
M. Christopher Cole: Il s'appelait Neil McKinnon, et il travaillait pour les services de probation et du tribunal de la famille d'Esquimalt.
M. Paul Forseth: Après la présentation de ce rapport, avez-vous pu soumettre son auteur à un contre-interrogatoire afin d'examiner certaines questions de plus près, et le tribunal a-t-il pu évaluer le bien-fondé de la recommandation?
M. Christopher Cole: Je ne suis pas encore allé au tribunal. Je suis toujours séparé. Le divorce n'a pas fait l'objet d'une contre-interrogation. Le conseiller n'a pas encore été contre-interrogé parce que l'ancienne épouse a constamment créé des retards le déroulement de l'affaire.
M. Paul Forseth: Quelles sont les questions qui se posent? Manifestement, vous allez tous deux obtenir un divorce. Est-ce la question de la garde qui est contestée?
M. Christopher Cole: Oui.
M. Paul Forseth: Donc, vous voulez la garde, et c'est la mère qui a la garde provisoire?
M. Christopher Cole: C'est exact.
M. Paul Forseth: Jouissez-vous du droit de visite?
M. Christopher Cole: De façon très limitée. Au début, on m'a refusé ce droit à de multiples reprises mais depuis peu de temps, j'ai le droit de les voir environ huit heures toutes les deux semaines.
M. Paul Forseth: Votre situation a-t-elle donné lieu à la prise d'une ordonnance provisoire?
M. Christopher Cole: Oui. Au début, le droit de visite était de trois heures tous les 15 jours, après quoi, on me l'a refusé.
M. Paul Forseth: Qu'avez-vous fait lorsque l'ordonnance provisoire n'a pas été respectée? Avez-vous essayé d'obtenir du tribunal qu'il la révise?
M. Christopher Cole: Oui. Comme l'ordonnance n'était pas respectée, j'ai attaqué la mère pour outrage au tribunal. Le juge a déclaré qu'il n'y avait pas outrage au tribunal. Trois semaines plus tard, on m'a de nouveau refusé le droit de visite. J'ai voulu entreprendre les mêmes démarches auprès du tribunal, mais la mère était allée se cacher quelque part. Son avocat a refusé de lui signifier le document pour outrage au tribunal, si bien que je n'ai rien pu faire. Je n'ai pas vu mes enfants pendant 14 mois. La même situation s'est continuellement répétée.
M. Paul Forseth: Comment s'est terminée cette période de 14 mois? Avez-vous obtenu à nouveau le droit de visite?
M. Christopher Cole: Mon ancienne épouse a menti à la police et a été arrêtée pour fausse déclaration. Dix jours plus tard, j'ai pu voir à nouveau mes enfants.
M. Paul Forseth: La raison pour laquelle je vous demande tous ces détails c'est parce que ce que vous dites confirme de nombreux témoignages entendus par nous. Même si les juristes et les universitaires disent qu'il existe des recours, on peut se demander si les ordonnances valent le papier sur lequel elles sont écrites à cause de la difficulté du mécanisme. C'est ce qui ressort des conversations que l'on peut avoir avec ceux qui sont obligés d'examiner les rôles d'audience et de signifier les documents et vous constatez alors que sur le plan pratique le système judiciaire est d'accès difficile.
Étiez-vous représenté par un avocat ou avez-vous pu engager une demande d'exécution ou de modification de l'ordonnance provisoire?
M. Christopher Cole: J'ai essayé de le faire à l'époque, mais c'est devenu très coûteux. Comme j'étais en chômage, je n'ai pu faire appel au tribunal que lorsque j'ai finalement obtenu un avocat grâce à l'aide juridique.
M. Paul Forseth: Vous pouvez faire appliquer une ordonnance provisoire de la Cour suprême au niveau du tribunal de la famille et vous n'avez pas besoin d'être représenté... Ne vous a-t-on même pas aidé à remplir une demande pour vous faire inscrire sur le rôle?
M. Christopher Cole: Tout ce que j'ai pu faire, c'est grâce à l'aide d'autres pères. Quand au système judiciaire, il ne m'a fourni aucune ressource.
L'affaire n'a jamais été portée devant le tribunal de la famille. Elle avait été immédiatement portée devant la Cour suprême qui a des pouvoirs supérieurs au tribunal de la famille.
M. Paul Forseth: Le tribunal de la famille peut faire exécuter les ordonnances de la Cour suprême, même s'il ne peut pas les changer. Vous auriez peut-être pu approcher le tribunal de la famille pour obtenir... Mais vous n'êtes jamais intervenu auprès de lui pour obtenir l'exécution de l'ordonnance attributive de droit de visite?
M. Christopher Cole: Non.
M. Paul Forseth: Bon. Votre témoignage apporte des éléments intéressants sur le côté pratique de cette question.
Vous voudriez, je crois, ajouter quelque chose avant que je termine.
M. Charles Traynor: Je vous suis reconnaissant d'avoir soulevé ces points car, dans la pratique, on n'a jamais accès à ce genre d'information. J'ai eu affaire à des conseillers du tribunal de la famille à de nombreuses reprises. On m'a refusé le droit de visite de manière répétée depuis mon second divorce.
Quand j'ai demandé que mon droit de visite soit étendu—la situation était à peu près la même: on ne m'avait accordé que quelques heures tous les 15 jours—mon ex-épouse a quitté la ville en emmenant l'enfant. Elle n'a prévenu personne, ni moi ni le tribunal, et lorsque nous nous sommes retrouvés devant le juge, celui-ci a levé les bras au ciel en disant, de toute façon, on n'y peut rien maintenant, puisqu'elle vit dans une autre ville. À quoi bon continuer de réclamer un partage à égalité des responsabilités parentales, même si c'est mon droit. Ma petite fille a le droit que je sois là pour lui servir son petit-déjeuner, pour l'amener à l'école, etc.
Pendant les deux années qui ont suivi, j'ai pris une journée de congé hebdomadaire pour me rendre dans la ville où vivait maintenant mon enfant, pour l'amener à l'école et pour passer la journée avec elle.
M. Paul Forseth: De quelles villes parlez-vous?
M. Charles Traynor: De Victoria et de Chemainus.
M. Paul Forseth: Bien.
M. Charles Traynor: Il y a une heure et demie de route entre les deux; ce n'est pas énorme, mais dans le cas similaire que j'ai évoqué tout à l'heure, l'épouse était allée s'installer à Campbell River, à quatre heures de route.
J'ai un autre ami dont l'ex-épouse a emmené les enfants en Floride. Il y a ici des personnes qui connaissent également bien cette affaire.
J'ai un autre ami dont l'ex-épouse a quitté Mississauga sans aucune provocation et sans prévenir personne et qui a emmené les enfants à Calgary.
M. Paul Forseth: Je vais vous poser une dernière question.
Nous entendons parler de toutes ces situations, mais avez-vous des recommandations à faire sur les moyens de les empêcher? Le système judiciaire est-il totalement incompétent...
M. Charles Traynor: Le système judiciaire est incapable d'agir en vertu de la législation actuelle, et je crois que l'on devrait traiter comme une infraction criminelle le fait d'emmener ces enfants dans une autre ville, lorsqu'on est en instance de divorce ou de séparation, sans avertissement et sans accord écrit entre les deux parties, les deux parents et les enfants.
Il est indispensable que les enfants aient aussi leur mot à dire. Pourquoi est-ce que leur vie sociale devrait être perturbée? Pourquoi devraient-ils en souffrir à cause du manque de maturité de l'un des parents ou des deux? Car après tout, ce sont les enfants qui sont les victimes.
M. Paul Forseth: Bien, merci.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Il nous reste à entendre les questions de la sénatrice Chalifoux, puis de Mme Bennett.
La sénatrice Thelma Chalifoux (Alberta, Lib.): Ma question s'adresse à vous deux. Dans ces affaires, a-t-on jamais tenu compte des droits des grands-parents?
M. Christopher Cole: On a refusé de façon répétée à mes parents le droit de rendre visite à leurs petits-enfants. Comme ils ne bénéficiaient pas des conseils d'un avocat, n'en ayant pas les moyens, ils ne savaient pas vers qui se tourner. Ils continuent encore à avoir des difficultés à les voir.
M. Jeffrey Patterson: La question n'a jamais été réglée de manière officielle. J'ajouterai cependant que j'ai autorisé les parents de mon ancienne épouse à rendre visite à mon enfant.
La sénatrice Thelma Chalifoux: C'est très important.
M. Charles Traynor: Dans mon cas, la question n'a jamais été réglée officiellement, mais mes parents ont essayé de prendre contact avec ma première femme à maintes reprises afin de pouvoir parler aux enfants, de les rencontrer, mais on leur a refusé tout contact avec eux. Il y a donc eu une rupture des rapports et ce n'est que lorsque les enfants sont devenus adolescents qu'ils ont eux-mêmes pris l'initiative de reprendre contact avec leurs grands-parents.
La sénatrice Thelma Chalifoux: Avez-vous des recommandations à faire au sujet de la famille élargie de chacun de vos enfants? Quelle importance a-t-elle pour le bien-être de vos enfants?
M. Charles Traynor: Il est absolument indispensable qu'ils aient des contacts avec leurs grands-parents. C'est ce que j'encourage vigoureusement depuis dix ans, et aujourd'hui mes enfants voient leurs grands-parents.
M. Christopher Cole: Moi aussi, j'estime que les grands-parents devraient avoir le droit de visite.
M. Charles Traynor: Vous imaginez combien cela peut devenir compliqué lorsqu'il y a huit grands-parents d'impliqués dans la discussion.
La sénatrice Thelma Chalifoux: Vous savez, lorsque vous êtes arrière-grand-parent... Je connais la situation.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Nous n'allons pas discuter d'âge ce matin!
Madame Bennett.
Mme Carolyn Bennett (St. Paul's, Lib.): Monsieur Traynor, votre première solution consiste à rendre la médiation obligatoire mais je crois qu'au cours de nos audiences, nous avons pu constater que le terme «médiation» pose un problème pour certains des groupes qui estiment que lorsqu'il y a un déséquilibre des pouvoirs ou une situation où le risque de mauvais traitements existe, la médiation n'est pas la bonne solution.
Que penseriez-vous si l'on remplaçait «médiation» par solution de rechange pour le «règlement des différends» ou par une définition encore plus large permettant une sorte de navette diplomatique ou d'interprétation plus générale convenant à la situation. Ou parlez-vous de médiation dans tous les cas où il n'y a pas de problème de violence?
M. Charles Traynor: Non. Lorsqu'il y a violence—et encore une fois je ne veux pas me laisser détourner de l'essentiel. Après tout, si vous songez aux syndicats du siècle dernier, les situations sont très similaires. Vous avez toujours besoin d'un arbitre. Le médiateur effectue une évaluation et le tribunal intervient ensuite. Cela devient alors une affaire criminelle, mais il ne s'agit là que de la minorité des cas traités par le médiateur.
Il faut qu'il y ait quelqu'un—un conseiller pour les enfants—qui est présent et parle aux enfants ainsi qu'aux deux parents. S'il y a conflit entre les deux parents, il faudra que tout soit réglé sur place, avec l'aide du médiateur. Si l'on ne parvient pas à une solution, le médiateur devra rédiger un rapport qu'il soumettra à un tribunal et cela devient alors une affaire au criminel.
La sénatrice Thelma Chalifoux: La médiation ferait donc appel à la participation des enfants.
M. Charles Traynor: Absolument. Il est impossible d'agir sans eux, puisqu'il s'agit de leur avenir.
Mme Carolyn Bennett: Le comité entend constamment dire qu'il est probable que 10 p. 100 seulement des divorces aboutissent à ce genre de situation hautement conflictuelle. La question que je voudrais poser à tout le monde est la suivante: Dans de tels cas, les enfants devraient-ils automatiquement avoir quelqu'un d'indépendant qui les représente?
M. Jeffrey Patterson: Une brève remarque. Je crois qu'il serait bon que le comité sache que ce système existe depuis longtemps en Ontario. Le tuteur officiel, dans mon cas, participait à...
Mme Carolyn Bennett: Le tuteur officiel que nous avons entendu ne nous a-t-il pas dit qu'il ne pouvait s'occuper que de 60 p. 100 des cas qui lui étaient soumis? Il y a donc ici aussi un problème de ressources.
M. Jeffrey Patterson: Cela n'a pas été un problème dans mon cas.
Je crois qu'en cas de médiation, il s'agit de savoir si un recours peut effectivement être appliqué. En ce qui me concerne, il y a eu au moins une tentative de médiation chacune des quatre années de cette période, mais la décision n'a jamais pu être appliquée. Le problème de l'exécution des ordonnances et de la mise en oeuvre des recommandations des médiateurs demeure entier.
M. Charles Traynor: Dans mon cas, je me suis adressé à un conseiller du tribunal, et lorsque mon ex-épouse a refusé de répondre à ses appels téléphoniques, il a tout simplement abandonné l'affaire.
M. Christopher Cole: Dans mon cas, lorsque le conflit est devenu intense, j'ai immédiatement demandé au bureau du solliciteur général d'assigner un conseiller auprès de mes enfants, car j'avais signalé que leur mère les soumettait à de mauvais traitements physiques et psychologiques. Trois ans et demi plus tard, cela continue, et le conseiller refuse de faire quoi que ce soit, sous prétexte que la mère a la garde provisoire des enfants. Il m'est en fait arrivé de venir observer ce qui se passait à la Cour suprême et de constater que l'avocat chargé de la protection de l'enfant, qui représentait un des parents, changeait immédiatement de camp dès que le juge confiait la garde provisoire de l'enfant à l'autre parent.
Mme Carolyn Bennett: Il y a aussi toute la question du bien-être de l'enfance. Un des problèmes de notre pays est que le système et trop occupé et incapable de s'occuper de ce dont il est déjà chargé. On nous répète constamment qu'il faudrait qu'il existe un groupe distinct s'occupant des enfants, qu'il y ait un endroit auquel ils puissent téléphoner à minuit si un parent est ivre ou si un endroit... Si le système de bien-être de l'enfance fonctionnait bien, aurait-il réussi à aider vos enfants dans votre cas, monsieur?
M. Christopher Cole: J'ai signalé mes préoccupations au ministère de l'Enfance et de la Famille. Autant prêcher dans le désert, à en juger d'après les résultats. En ce qui les concerne, comme la mère a la garde des enfants, je n'ai absolument aucun droit et on n'écoute pas mes plaintes. Après avoir montré des photos qui prouvaient que mes enfants étaient soumis à des violences physiques, des rapports du thérapeute de la mère faisant état de mauvais traitements et signalant que les enfants ne voulaient pas revenir chez elle, tout cela confirmé devant moi, tout ce qu'on me répond c'est «laissez donc le soin au tribunal de s'en occuper.» Les enfants ont en fait déclaré au conseiller qu'ils voudraient vivre avec leur père.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci beaucoup. Je regrette de devoir mettre fin à cette partie de l'audience, mais le temps passe.
Je tiens à vous remercier M. Cole, M. Patterson et M. Traynor, d'avoir engagé la discussion ce matin. Nous nous excusons du début tardif de l'audience, mais les choses sont maintenant en route. Merci beaucoup d'avoir participé au processus.
Notre témoin suivant est M. David Campbell qui représente Fathers for Equality. Nous entendrons également M. Hodgson et M. Grieg qui représentent Parents of Broken Families. Commençons par M. Campbell, le représentant de Fathers for Equality.
M. David A. Campbell (Fathers for Equality): Merci beaucoup, monsieur le président d'avoir accepté de m'entendre. À mon avis, si je considère mes dix années d'expérience du mouvement masculin, c'est la première fois de toute notre histoire que le gouvernement demande officiellement aux hommes de dire ce qu'ils attendent de la société.
Je tiens tout d'abord à déclarer que nous reconnaissons que les femmes ont des problèmes, mais les hommes, eux aussi, en ont. C'est la première fois que je parle de façon officielle; comme beaucoup de ceux qui ont témoigné avant moi, je suis une sorte de paratonnerre qui a été bien souvent frappé par la foudre. Il y a dix ans que j'agis totalement à mes frais. J'ai consacré des centaines d'heures à essayer d'aider d'autres hommes, sachant bien qu'ils ne peuvent compter sur aucune ressource. Je vais m'expliquer.
Nous parlons essentiellement d'équilibre, et non de supériorité. Nous sommes partisans d'une approche axée sur les besoins des enfants.
• 1225
L'exposé des Fathers for Equality est en trois parties. La
première est présentée par Avi Tal, qui porte essentiellement sur
une déclaration des droits de l'enfant et sur le plan de partage
des responsabilités parentales. Dans la seconde partie, je parlerai
moi-même des partis pris actuels et historiques—ce que j'appelle
le parti pris par omission, le parti pris par déni et les partis
pris qui se manifestent dans la médiation. Dans la troisième
partie, Keith Harris, discutera des normes professionnelles, de la
liberté d'information et du réexamen souhaitable du projet de loi
C-41.
Je parle uniquement au nom de Fathers for Equality. Cette organisation regroupe plus de 200 pères, et j'essayerai de présenter des arguments qui confirment mon point de vue. J'ai remis quatre exemplaires de mon exposé à M. Forseth, et je crois comprendre que ces documents seront distribués entre les membres du comité. Je vous remercie.
Que signifie donc «parti pris par omission»? Ce problème d'omission—et je parle de l'omission dont sont victimes les hommes, les pères... Le premier exemple d'omission est celui de l'inégalité de représentation des deux sexes. Prenez l'exemple de votre propre comité d'étude du projet de loi C-41.
Beaucoup d'organisations féminines sont représentées par des avocats et bénéficient d'une aide financière du gouvernement. Beaucoup de nos groupes n'ont aucun soutien de ce genre. J'estime qu'il serait juste que les deux sexes disposent des moyens nécessaires pour défendre leur cause.
J'ai témoigné devant le Comité du Barreau de la Colombie-Britannique chargé d'étudier le parti pris contre l'autre sexe. Si vous considérez les études qui ont été présentées à ce comité, la prédominance presque totale des témoins féminins, et l'aide financière fournie par le ministère de la Condition féminine, il est clair qu'un seul sexe était écouté. C'est ce que j'appelle la première forme de parti pris d'omission.
Deuxième exemple d'omission: Il n'y a pas de faculté d'études masculines chargée d'étudier l'environnement masculin dans lequel les jeunes garçons doivent grandir, les taux de suicide, les taux d'incarcération, et les taux d'espérance de vie. Nous avons un ministère de la Condition féminine; il n'y a pas de ministère de l'égalité des sexes. Or, c'est précisément cet équilibre que nous recherchons.
Le troisième type d'omission a trait au fait qu'en Colombie-Britannique, il existe actuellement un programme d'exécution des ordonnances alimentaires, mais il n'y a pas de programme relatif au droit de visite. Bon nombre des pères qui ont témoigné de manière informelle hier et, je l'espère, beaucoup de ceux qui ont témoigné devant ce comité insistent sur les problèmes du droit de visite. Nous avons besoin d'un programme d'exécution des ordonnances de droit de visite comme il y en a un pour l'exécution des ordonnances alimentaires.
Il y a plus de 80 centres d'hébergement des femmes en Colombie-Britannique et de 20 à 30 centres de counselling. Il n'y en a pas un seul pour les hommes. Comme ce monsieur l'a montré, il y a aussi des hommes qui sont soumis à des mauvais traitements sur le plan physique et émotionnel et qui sont souvent menacés. Vous dites que cela représente 10 p. 100 des cas; 10 p. 100 font l'objet d'un rapport. Mais en fait, comme ils craignent qu'on leur reproche de porter de fausses accusations, beaucoup de pères n'interviennent même pas, sachant qu'ils n'ont aucune chance de gagner dans un système inéquitable.
Je voudrais également parler de la possibilité d'avoir un hospice pour hommes. À une certaine époque, nous avions un centre d'accueil où les hommes pouvaient faire laver leurs voitures, organiser des ventes-débarras et des ventes de chocolat pour recueillir un peu d'argent, et un infirmier m'avait alors dit que lorsque les hommes sortent de l'hôpital, ils n'ont nulle part où aller lorsqu'ils ont besoin qu'on les aide à surmonter les chagrins du divorce ou de la perte d'un membre de leur famille.
La seconde forme de parti pris est celle du déni. Cela se produit lorsque quelqu'un vous dit: «Il n'y a pas de problème», comme l'ont déclaré certains témoins devant le comité et à Radio-Canada. «Il n'y a pas de problème de droit de visite; il faut maintenir le statu quo.» Eh bien, j'estime que le maintien de ce statu quo cause un préjudice irréversible à nos enfants.
Il n'existe aucun mécanisme pour dissuader les gens de porter de fausses accusations. La proposition de la sénatrice Anne Cools—je crois que c'est le projet de loi S-12—devrait être mise en oeuvre. Une fausse accusation entraîne un homme sur la voie de la faillite financière et émotionnelle, même lorsqu'il est innocent. Dans notre groupe, nous avons des hommes qui songent à se déclarer coupables pour mettre un terme à l'épreuve parce qu'ils savent qu'au bout de trois à cinq ans, il ne leur restera plus un sou. Les conditions sont déjà réunies pour cela car leurs enfants vivent avec leurs amis, etc. Ils n'ont aucune chance de gagner. Ce qui est grave, c'est que certaines de ces personnes, accusées de violence à l'égard de leurs enfants, ont passé des tests polygraphiques administrés par les meilleurs spécialistes de la SCSI, et pourtant, ce sont ces pères qui envisagent de reconnaître leur culpabilité en dépit de leur innocence.
• 1230
La troisième forme de déni a trait à la politique de la police
qui a tendance à lier la violence à l'égard des femmes à la
violence à l'endroit des enfants. Dans mon mémoire, je donne de
nombreux exemples. Je pourrais en donner des centaines d'autres.
Une étude porte sur un échantillon de 58 000 personnes. Nous savons
que les femmes sont parfois violentes. Nous savons qu'elles sont
parfois violentes à l'égard de leurs propres enfants. Pourtant, les
médias relient constamment la violence à l'égard des femmes et à
l'égard des enfants comme si le problème était endémique dans notre
pays.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Vous avez épuisé le temps dont vous disposiez. Nous avons le texte de votre exposé.
M. David Campbell: Pourriez-vous m'accorder une minute afin que je lise les noms des...
La sénatrice Anne Cools: Je suis prête à sacrifier une partie du temps qui m'est réservé.
M. David Campbell: Plus tard?
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Nous pourrions le faire plus tard.
Nous allons maintenant entendre les représentants de Parents of Broken Families. Prenez-vous tous les deux la parole?
M. Dave Hodgson (président, Parents of Broken Families): Oui. Pourriez-vous nous dire quand deux minutes et demie seront écoulées?
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Certainement.
M. Dave Hodgson: À propos, je m'appelle Dave.
Beaucoup de ceux qui m'ont précédé m'ont déjà volé ce que j'avais à dire.
Nous venons de Kamloops, dans l'intérieur de la Colombie-Britannique. L'été dernier, on m'a signifié une augmentation de la pension alimentaire que j'avais à verser. On a révisé mon droit de visite. Mon ex-épouse vit à Edmonton et je suis obligé de me rendre là-bas pour passer prendre mes enfants.
J'en ai finalement eu assez. J'ai mis une annonce dans le journal, et à partir de cela, nous avons constitué un groupe à Kamloops et présenté une pétition de plus de 800 signatures.
Apparemment, le système nous a trahis. Notre groupe de Kamloops comprend un soudeur et un fabricant de petit outillage. Nous avons des gens qui viennent de tous les horizons—il y a des médecins, des avocats, etc.—parce que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour obtenir de l'aide.
Il faut rendre responsables de leurs actes les personnes qui refusent de respecter le droit de visite. C'est une question extrêmement importante. Elle touche non seulement le parent qui n'a pas le droit de visite, mais aussi les enfants. Chaque cas mérite d'être étudié séparément. Il faut que les juges exercent leurs responsabilités. Je ne veux pas être mis dans le même sac que tous ces pères qui sont de mauvais payeurs. Nous vivons à une époque d'égalité des droits, de liberté d'expression, mais tous ces droits sont lettre morte lorsque quelqu'un a la garde exclusive des enfants. C'est un véritable combat dans lequel ce sont nos enfants qui sont les victimes.
Les témoins qui m'ont précédé ont vraiment tout dit. Je cède le micro à Brian.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Allez-y.
M. Brian Grieg (vice-président, Parents of Broken Families): Je suppose que je fais partie des heureux puisque j'ai obtenu la garde de mes enfants. En fait, je n'ai même pas eu à aller au tribunal.
En ce qui me concerne, je ne veux pas de pension alimentaire. Je suis capable d'élever mes enfants. Je veux que mon ex-épouse soit une bonne maman. Ce n'est pas avec de l'argent que l'on achète l'amour de ses enfants; c'est en passant du temps avec eux. Tout ce que je demande à cette femme c'est de les emmener acheter des vêtements lorsqu'elle a un peu d'argent, de les amener au cirque, au McDonald ou ailleurs. Le temps qu'elle passe avec ses enfants devrait être de qualité. Je regrette qu'il n'y ait pas beaucoup plus de personnes, dans d'autres régions de notre pays, à agir ainsi. Si elles le faisaient, nous ne nous trouverions sans doute pas dans la triste situation actuelle.
Ce qui m'a amené à défendre cette cause c'est que j'ai été témoin des difficultés que vivent tous mes amis. La question de la garde et du droit de visite est certes très importante, mais ce n'est pas la seule. Il faudrait aussi revoir l'ensemble du système et les lignes directrices qui l'accompagnent.
Je vois des gens qui essaient de fonder une nouvelle famille. Le parent qui a la garde des enfants traîne ces gens-là devant le tribunal pour qu'ils respectent les conditions de l'ordonnance. Je vois dans quelle situation ils se trouvent placés lorsque le juge décrète qu'ils devront continuer à payer le même montant. Voilà des personnes qui sont obligées de vendre leur maison et se retrouvent plongées dans la pauvreté et leur nouvelle famille aussi.
• 1235
La question de la pauvreté, lorsque des enfants sont en cause,
me paraît très importante. En dépit de tout ce qu'on dit, rien n'a
été fait pour régler le problème de la pauvreté chez les enfants.
Le parent qui n'a pas la garde des enfants paie une pension alimentaire qui est déduite du bien-être social, ce qui ne laisse qu'une centaine de dollars. Nous commençons à nous rendre compte que le parent qui n'a pas la garde est obligé de payer des sommes si importantes qu'il se retrouve pratiquement réduit à la misère. Quoi qu'il en soit, ce n'est plus une seule personne qui est placée dans cette situation mais deux. En général, le parent qui n'a pas la garde de ses enfants ne peut pas fonder une nouvelle famille car il n'en a pas les moyens financiers.
Le système judiciaire et la clause de «contrainte excessive» dans la Loi sur le divorce sont une plaisanterie. Toute personne qui décide d'invoquer le préjudice indu est obligée d'attendre une huitaine de mois. Arrivée là, si elle est en chômage ou a été licenciée à cause de la situation de l'emploi dans notre pays, l'accumulation des arriérés est telle qu'elle n'a plus les moyens de faire appel à un avocat. Elle se retrouve alors devant un juge conformément aux dispositions relatives à l'exécution des ordonnances alimentaires. Un avocat vient mettre quelques documents sous le nez du juge. Dans la plupart des cas, le parent n'est même pas entendu. On se contente de lui dire «C'est vraiment dommage. Voilà l'ordonnance. Débrouillez-vous pour payer.»
Il ne s'agit pas uniquement de garde et de droit de visite des enfants, bien que ce soit une question très importante; c'est le système tout entier qui déchire notre pays. Nous commençons seulement à distinguer la pointe de l'iceberg à cause des nouvelles lois qui ont été promulguées. Le temps est venu de les examiner sérieusement.
Que vais-je dire à mes deux jeunes garçons? Si vous vous mariez et que le mariage échoue, vous vivrez probablement dans la pauvreté le reste de votre existence parce que le système vous dépouillera de tout ce que vous avez. Ce n'est pas très agréable à dire à vos enfants. Vous ne trouvez pas?
C'est ce qui se produit constamment, et c'est écoeurant. Ça l'est vraiment. C'est une véritable épidémie.
Je vous remercie.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci, monsieur Grieg.
Nous allons maintenant passer aux questions. Monsieur Forseth est prêt.
La sénatrice Anne Cools: Nous vous cédons tous la parole, monsieur Forseth, puisque vous êtes de la Colombie-Britannique.
M. Paul Forseth: Merci beaucoup d'être venus aujourd'hui.
Peut-être pourrais-je vous demander de répondre à une question de caractère plus général. Aujourd'hui, les mères ont leur mot à dire dans notre société et peuvent s'appuyer sur tous les programmes dont on a parlé, mais je crois que dans le passé, leurs difficultés étaient réelles. L'activisme des femmes est né des profonds problèmes de notre collectivité et de la vie familiale. Mais voici maintenant que les hommes commencent, eux aussi à s'exprimer, et ce que vous dites, par exemple, repose également sur la réalité.
Quoi qu'il en soit, au fur et à mesure que des groupes de pères commencent à se former et à se développer, je me demande s'ils pourraient mener une action sociale en créant des services de traitement pour les pères qui sont violents ou qui négligent leur famille, et en trouvant les ressources nécessaires pour s'occuper de ceux qui maltraitent leurs enfants.
On a dit tout à l'heure que les femmes et les mères pouvaient compter sur des ressources gouvernementales et des ressources professionnelles, alors que rien n'est prévu pour les pères. Je voudrais savoir si, du côté des pères, on fait vraiment quelque chose pour trouver les ressources nécessaires pour s'occuper des pères qui créent vraiment des problèmes. Je me demande s'ils n'accordent pas trop d'attention aux mères qui en créent aussi, au lieu de s'occuper des responsabilités paternelles.
M. David Campbell: Monsieur Forseth, lorsque nous avons formé le centre de Victoria pour les hommes, nous avons fourni des services de counselling et de renvoi afin de répondre précisément à ce problème. Bien sûr, il y a des pères qui sont coupables de tels actes. Nous n'approuvons aucun acte de violence ou de mauvais traitements à l'égard des enfants. Donc, il est bien évident que nous serions partisans de la création de centres auxquels les pères n'hésiteraient pas à s'adresser pour être aiguillés vers des conseillers. Nous serions ravis de pouvoir le faire. Mais pour cela, il faut que ces hommes soient en confiance, qu'ils aient le sentiment qu'on va les écouter.
Le problème, dans le cas de beaucoup de centres d'aide aux personnes en instance de divorce de Victoria, est que quand les hommes s'y présentent, ils ont l'impression d'être mis sur le gril. C'est pourquoi dans une de mes recommandations, je recommande le recours à des psychologues professionnels. Je suis un professionnel, et si je ne respecte pas la loi—je ne parle pas des politiques ou des lignes directrices—je suis responsable devant mon groupe professionnel. Nous serions très heureux qu'il y ait des centres offrant des services également applicables aux hommes et aux femmes.
Croyez bien que nous avons des objectifs à long terme. Si les pères sont traités de manière équitable, c'est également à l'avantage des filles, ainsi que des femmes soumises à de mauvais traitements physiques. Nous avons souvent essayé d'expliquer aux groupes de femmes que nous tentons d'agir dans leur intérêt à long terme, afin de créer une société plus humaine et plus paisible, par amour pour nos enfants. Ce n'est pas uniquement de l'avenir de nos fils que nous nous préoccupons; l'avenir de nos filles est tout aussi important pour nous.
Ce que je tiens cependant à dire au comité c'est qu'il est effectivement important d'agir dans l'intérêt supérieur des enfants, mais il ne faut pas non plus oublier que ces enfants voient la manière dont leurs pères sont traités et qu'ils en tireront des conclusions. Les enfants ne sont pas stupides; ce sont parfois de jeunes adultes, et lorsqu'ils voient comment on traite leurs pères et l'effet d'aliénation de ce traitement, ils concluent que c'est à cela que se réduit le rôle des hommes et des pères de notre société; ils savent que leur estime de soi est menacée. On parle souvent des gangs de garçons à Los Angeles, et de la fascination que la violence à la télévision exerce sur eux, etc. La cause profonde de tout cela est l'absence de leadership et de pères qui assument leurs responsabilités.
M. Paul Forseth: Merci, monsieur Campbell.
Monsieur Hodgson ou monsieur Grieg, vous savez à quoi je voudrais en venir. Avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Brian Grieg: Je peux vous dire que j'ai été soumis à des violences physiques dans mon mariage. J'ai été giflé, griffé jusqu'au sang, et j'ai été traîné de force hors de chez moi par la police, sans aucune raison. C'est moi qu'on accusait de frapper mon épouse, alors que c'était totalement faux.
Lorsque je me suis trouvé dans cette situation, je n'avais qu'une chose en tête, savoir où je pouvais aller, à qui je pouvais parler, et qui m'écouterait. Personne n'écoute les hommes. Dès que des accusations sont portées contre vous, dès qu'on vous regarde, c'est vous l'agresseur et c'est la femme qui est la personne battue. Dans mon cas, cela ne s'est jamais passé ainsi. J'ai retiré de tout cela un sentiment de perte et d'abandon, car il n'y avait personne à qui parler. Comme on vient de le dire, il devrait y avoir un centre d'accueil pour les hommes où ceux-ci pourraient venir exprimer leurs frustrations.
Le pire pour moi dans tout cela, c'est que si je m'absente quelques jours pour avoir un peu de paix, on considère que j'ai abandonné les enfants. Faire appel au tribunal signifie que je perdrais mes enfants, même si je suis celui qui est obligé de s'en aller, sous prétexte qu'il est plus facile pour un homme de le faire.
Où peuvent aller les hommes qui ont des enfants lorsqu'ils doivent aller travailler le lendemain? Je n'avais nulle part où aller et personne à qui parler et c'est pourquoi j'ai tout supporté pendant dix ans. J'en suis finalement arrivé au point où j'ai dit à ma femme, «Il faut que tu t'en ailles.» Et elle est finalement partie.
Voilà la situation. Nous ne savons pas de quel côté nous tourner. Nous n'avons aucun recours.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Sénatrice Cools, vouliez-vous poser une question?
La sénatrice Anne Cools: Oui, une ou deux remarques, puisqu'il s'agit d'un groupe de Kamloops, c'est-à-dire de l'intérieur... J'ai une question. Dans les familles avec lesquelles vous travaillez, avez-vous rencontré des cas d'enfants qui se sont suicidés à cause des tensions ainsi créées?
• 1245
Si je le dis, monsieur le président, c'est parce que beaucoup
d'enfants de notre pays qui se trouvent dans ce genre de situation,
se suicident, et c'est là un sujet sur lequel le comité ne s'est
pas encore penché. Je voudrais savoir si, parmi les personnes qui
se trouvent actuellement à la table, il y en a qui ont déjà vu
cela.
M. Brian Grieg: Pas encore. Notre groupe est tout nouveau. Pour le moment, nous sommes encore submergés par une masse d'information, mais c'est une question à laquelle nous n'avons pas encore eu affaire.
M. David Campbell: Je connais un cas dans la vallée du Fraser.
La sénatrice Anne Cools: Connaissez-vous l'âge de l'enfant?
M. David Campbell: Je ne m'en souviens pas exactement—huit à dix ans, je crois.
La sénatrice Anne Cools: L'âge moyen des jeunes qui se suicident semble être de huit à 12 ans.
M. David Campbell: Bien entendu, je connais de nombreux cas d'hommes qui se sont suicidés à cause de la situation dont on vient de parler. Nous leur téléphonons pour qu'ils reviennent nous voir... Lorsqu'ils se retrouvent dans une maison vidée de tous leurs meubles et de tous leurs biens, ils se passent une corde au cou. Les enfants adultes ont tendance à faire cela, mais je sais que le taux de suicide comparé entre les sexes a tendance à diverger très tôt. C'est un des problèmes auxquels beaucoup d'hommes et de garçons sont confrontés. Cela tient certainement à l'effet de déchirement social et à la baisse de leur estime de soi.
La sénatrice Anne Cools: Je connais assez bien le problème des suicides masculins dans ce genre de situation, mais ce dont je voulais parler, c'était des suicides d'enfants, autrement dit, d'enfants de moins de 18 ans, en particulier les garçons.
Ce que je voudrais également dire, c'est que nous parlons actuellement beaucoup de la question de l'aide et du counselling à l'intention des hommes.
Un mot aussi, pour défendre les nombreux foyers d'hébergement de femmes—j'ai travaillé de longues années dans ce secteur—et je crois qu'il serait bon que le comité sache que beaucoup de personnes de ces foyers ont aidé les hommes de leurs conseils. Le phénomène de la haine n'est apparu que plus tard, et à partir de ce moment-là, aucun homme, pas même un agent de police, ne pouvait plus mettre le pied dans un de ces établissements. Jusque là, beaucoup de ces organismes avaient pour politique d'aider tout le monde, hommes et femmes qui leur demandaient de l'aide.
Comme nous vivons à une époque de révision constante du passé, certains d'entre nous éprouvent le besoin de décrire ce qui s'est vraiment passé. À bien des égards, certains des problèmes que vous évoquez sont profondément enracinés, et je tenais à le dire pour vous rassurer. J'ai donné des conseils à beaucoup d'hommes.
M. Brian Grieg: Dommage que je n'aie pas su cela.
La sénatrice Anne Cools: Cela ne se produit plus aujourd'hui.
M. David Campbell: On a toujours l'impression, aujourd'hui, qu'il s'agit de «nous contre eux». Nous comprenons très bien qu'il ait eu un mouvement féminin dont l'objectif était de régler ces problèmes, et nous acceptons parfaitement la notion d'égalité. Lorsque j'étais étudiant, j'assistais aux réunions de groupes féminins et je leur apportais mon aide. C'est ce que je fais maintenant en tant que délégué syndical. Je suis très sensible à ces sentiments, mais dire que seules les femmes ont des problèmes et que les hommes ne méritent aucune aide pour régler les leurs, est un véritable crime contre l'humanité dans notre pays.
La sénatrice Anne Cools: Monsieur le président, permettez-moi de faire une remarque supplémentaire, car notre comité a eu d'énormes difficultés à obtenir des données élémentaires de certains organismes de service. Lorsque je travaillais dans un foyer, j'ai constaté que la plupart des femmes qui venaient chez nous souhaitaient vraiment qu'on les aide à résoudre leurs problèmes conjugaux. Croyez-moi, elles voulaient que leurs rapports avec leurs conjoints soient bons et elles étaient prêtes à accepter tous nos conseils. La situation actuelle, dans laquelle il n'y a ni médiation ni counselling en cas de violence, est un phénomène tout à fait nouveau. Je peux vous assurer que c'est vrai car j'ai participé à des séances de counselling où étaient présents beaucoup d'hommes et de femmes. Je tenais à le dire car il s'agit vraiment de problèmes d'équilibre et d'humanité.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Sénatrice Chalifoux.
La sénatrice Thelma Chalifoux: Étant donné que la sénatrice Cools a épuisé le temps dont elle disposait, je voudrais demander à ce témoin de faire inscrire au compte rendu ce qu'il désire.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): J'allais le faire tout à l'heure.
La sénatrice Thelma Chalifoux: Bien.
M. David Campbell: Puis-je faire inscrire le nom du jeune garçon qui s'est suicidé?
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Oui.
M. David Campbell: Il s'appelait Sean Pelletier; il avait neuf ans. Il s'est suicidé à Abbotsford, il y a un an.
La sénatrice Anne Cools: Je pensais bien que c'était à Abbotsford.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Certains membres du comité savent peut-être qu'hier, la sénatrice Cools et moi-même—comme nous n'avions pas quorum—avons assisté à ce que j'appellerais une table ronde à Victoria, dans la salle du James Bay Community Project, en présence d'environ 70 personnes. Vingt et un individus et groupes ont fait des exposés.
Si le comité le veut bien, je voudrais demander—je ne pense pas que la liste des noms devrait être inscrite au compte rendu—que les mémoires soumis hier soient considérés comme ayant été inscrits aujourd'hui et qu'on considère également que la liste des personnes présentes a été inscrite au compte rendu.
Ai-je votre assentiment?
La sénatrice Anne Cools: Vous avez notre accord.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci.
Nous avons réglé le problème, monsieur Campbell.
La sénatrice Anne Cools: J'en appelle au règlement. Je vous prie, monsieur le président, de demander aux agents de recherche de faire le tri et de lire avec soin tous ces mémoires pour préparer un très bref résumé à l'intention des autres membres du comité.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Très bien. Merci.
La sénatrice Thelma Chalifoux: Avant de s'entendre là-dessus, est-ce que nous pourrions voir certains de ces mémoires?
La sénatrice Anne Cools: Oui. Lorsqu'ils commenceront à cheminer dans le système, vous les verrez.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Est-ce que j'ai votre accord?
Des voix: Oui.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci.
M. David Campbell: Monsieur le président, j'aimerais aussi signaler que l'organisation est principalement due à Fathers for Equality, notre groupe, mais que nous vous fournirons en annexe à mon mémoire une version vidéo non montée des témoignages de ces hommes, de ces femmes et de ces grands-parents qui se sont présentés devant le comité. Il s'agit souvent de secondes épouses, et certaines d'entre elles ont assisté à la séance. Vous pourrez examiner cette bande à loisir.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci.
Je tiens à vous remercier d'être venu, monsieur Campbell, de Victoria et de Kamloops. Nous sommes heureux que vous ayez fait le voyage et que vous ayez pu participer à nos délibérations. Je vous remercie infiniment d'être venu.
Nous allons maintenant demander à notre témoin suivant de s'avancer. Il s'agit de Mme Browning, qui est directrice exécutive du programme Bon départ pour les Autochtones.
Mme Murline Browning (directrice exécutive, Bon départ pour les Autochtones (aide préscolaire)): Je dois d'abord vous présenter des excuses. Je n'ai pas préparé de mémoire écrit. J'ai entendu parler de la table ronde quelques jours avant le long week-end, et j'étais fort occupée. Je vous promets de rentrer à Prince George, d'où je viens, et de préparer un mémoire que je ferai parvenir au comité.
J'ai eu très peu de préavis, mais je pense que je suis ici parce que j'ai travaillé pendant de nombreuses années pour mon peuple, un des peuples autochtones du Canada. Je suis Métisse.
Je voulais vous parler des problèmes que nous constatons au sujet de la garde et du droit de visite. Je vous transmets les opinions de nombreuses organisations et de nombreuses personnes à qui j'ai eu affaire, sans doute des gens de la région d'Edmonton, en Alberta, où je suis née et où j'ai grandi, ainsi que de la région de Prince George, en Colombie-Britannique, où j'habite depuis 25 ans.
Je suis présidente d'une organisation féminine, la Central Metis Women's Organization. Je suis aussi directrice exécutive du programme Bon départ pour les Autochtones à Prince George. Nous avons 40 enfants à qui nous espérons donner un bon départ. C'est un excellent programme, financé par Santé Canada.
• 1255
J'écoutais les témoins qui m'ont précédée et je sentais qu'ils
parlaient avec une grande sincérité, qu'ils disaient la vérité.
J'ai compris que les problèmes des Métis sont quatre fois plus
graves.
Je parle souvent du fait que nous sommes des Autochtones. Je n'ai vraiment aucune animosité contre mes soeurs et mes frères non autochtones et mes soeurs et mes frères des Premières nations, puisque je viens de ces deux mondes. Je dois préciser que les Métis sont tout au bas du mât totémique des Autochtones.
J'ai entendu des hommes parler du manque de ressources. Je pense qu'il n'y a pas de ressource non plus pour les Métis. Cette situation est aggravée par la séparation ou le divorce et quand une ordonnance de garde et de droit de visite est négociée par un membre de la famille. À ce qu'il me semble—et je crois que je vais rassembler des preuves et les présenter ultérieurement—les Métis sont toujours floués.
J'ai eu connaissance qu'à Prince George, un certain nombre de femmes n'étaient pas conscientes du fait qu'elles devaient demander la garde. Elles ne savaient pas que leur famille élargie pourrait la demander. Je connais aussi des hommes qui ne savaient pas qu'ils devaient le faire et qui ont perdu le droit de voir leurs enfants. Leurs enfants ont été placés dans la collectivité. On ne leur a pas dit qu'ils étaient Métis. Le parent ne voulait pas du contexte autochtone de l'enfant. C'est l'un des problèmes qui m'inquiètent beaucoup.
Essentiellement, c'est l'estime de soi de ces enfants qui est en jeu, et vous pouvez avoir de l'estime pour vous-même seulement si vous savez d'où vous venez. Il est très facile pour la plupart des personnes ici présentes—et peut-être que la sénatrice Chalifoux et moi-même en sommes conscientes—si quelqu'un dans la rue vous demande qui vous êtes et quelle est votre nationalité, de dire que vous êtes Allemand, Anglais, tout ce que vous voulez. Si je dis que je suis Métisse, la majorité des gens me demanderont ce que c'est et d'où je viens et à quelle bande j'appartiens. C'est le genre de choses sur lesquelles nous travaillons au sein de notre collectivité, pour renforcer l'estime de soi afin que les Métis puissent être fiers de ce qu'ils sont et de ce qu'ils ont apporté au Canada.
Lorsqu'il s'agit de divorce ou de séparation, je constate qu'on ne reconnaît pas notre culture chez ces enfants. Je suis toujours inquiète. Je connais une femme qui s'est présentée devant le tribunal, et la décision revenait entièrement à la personne qui trône dans la salle d'audience, le juge. C'était un juge très savant, respecté de tous, que moi-même je respecte, mais la décision qui touchait ces petits enfants lui revenait entièrement. Dans cette affaire, le père avait commis des infractions criminelles quand il était jeune. Toutes ces questions avaient sans doute été prises en considération. Je dis «sans doute», parce que je ne veux pas porter d'accusations, mais je vois toute cette affaire de mon point de vue.
Le père n'a pas eu le droit de voir ses enfants, et la famille n'a eu aucun droit de visite non plus. Je connaissais les grands-parents, ils pleuraient tous les jours la perte de leur petit-enfant. C'était déchirant. L'enfant a été envoyé en Ontario, et il ne saura jamais qu'il est Métis, il ne sera jamais conscient de rien.
Ce sont des malheurs dont j'ai été témoin. Pendant le week-end, tandis que je me promenais et que je réfléchissais à ce que je vous dirais, j'ai pensé que j'aimerais vraiment que l'on restructure la façon dont les questions de garde et de droit de visite sont traitées, en particulier dans le contexte des cercles autochtones. Je dis toujours que vous ne pouvez pas comprendre une situation si vous ne vous mettez pas à la place des intéressés, et c'est vrai. J'en suis consciente, et je le sais parce que j'ai perdu un enfant et que des gens m'ont abordée et m'ont dit «Je sais ce que tu éprouves, je viens de perdre mon père.» Ils ne savent pas ce que j'éprouve. Ils ne le sauront pas tant qu'ils n'auront pas perdu un enfant.
La plupart des gens ne peuvent pas savoir ce que ressent un Métis ou un Autochtone dans un cas comme celui-là, quand il est confronté à une autorité toute puissante et qu'il n'a aucune représentation juridique réelle, aucun accès à un avocat qui défendrait son intérêt. Je parle aussi des hommes.
• 1300
J'aimerais vraiment que le processus commence. J'aimerais
qu'une table ronde constituée d'Autochtones parle au nom de ces
enfants, au nom des oncles et des tantes, au nom des frères et des
soeurs, des cousins, des grands-mères et des grands-pères, quelle
que soit la situation qui a mené au divorce.
J'ai certainement utilisé mes cinq minutes. Je pourrais poursuivre ainsi pendant une heure, mais je suis prête à répondre à vos questions.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci beaucoup, madame Browning.
Nous allons commencer la période de questions. Sénatrice Chalifoux.
La sénatrice Thelma Chalifoux: Merci, Murline. Votre exposé était fort intéressant et je l'ai écouté avec plaisir.
Quelle est d'après vous l'importance de la famille élargie dans ces conflits relatifs à la garde?
Mme Murline Browning: D'après moi, la famille élargie est ce qui compte le plus. La mère et le père sont si habités par leur peine et leur colère qu'ils ne peuvent pas communiquer avec leurs enfants comme si la vie continuait. Ceux qui peuvent le faire, ce sont les grands-parents, les oncles et les tantes. Toute l'animosité, tout ce qui entoure le conflit disparaît. Les enfants se retrouvent dans une situation semblable à celle dans laquelle ils ont grandi, ils visitent leurs tantes, leurs oncles, leurs grands-parents. Je pense que cela donne une base bien solide aux enfants.
La sénatrice Thelma Chalifoux: Vous avez beaucoup d'expérience dans le cadre du programme Bon départ pour les Autochtones et vous connaissez les enfants qui le fréquentent. Que pensez-vous des enfants. Je suis certaine que de nombreuses familles monoparentales sont inscrites à ce programme. De quelle façon est-ce que les enfants réagissent? Qu'avez-vous pu constater à ce sujet lorsqu'une telle situation se présente au foyer.
Mme Murline Browning: Les enfants inscrits à notre programme ont de zéro à six ans, et les enfants d'âge préscolaire ont entre trois et cinq ans. Un de nos enfants est dans un centre spécialisé, et la mère le visite périodiquement. L'enfant est dans une garderie. Nous allons le chercher là—c'est un service gratuit—et nous l'amenons au centre préscolaire. Le travailleur social qui en est responsable, qui lui accordait une attention supplémentaire parce que l'enfant éprouvait de la difficulté à s'intégrer aux activités sociales ou à ce qui se passait à la garderie, a remarqué qu'Anthony était très agité à la garderie. Il ne s'entendait pas bien avec les enfants. Mais je l'ai observé dans le cadre du programme Bon départ pour les Autochtones. C'est un garçon bien différent—tout à fait différent.
J'en ai été très heureuse, parce que cela me confirmait que nous pouvons faire quelque chose de nos enfants. J'ai été émerveillée des résultats. Dès la semaine suivante, le travailleur social n'avait plus à intervenir parce que l'enfant faisait de réels progrès au centre préscolaire. Il avait encore des difficultés à la garderie, et il recevait toujours des soins. Je me suis demandée ce qui n'allait pas dans notre système? Je ne pouvais pas le croire. Mais je l'ai vu de mes yeux, dans leur propre cadre, avec des Autochtones, avec des enfants autochtones, nos enfants sont très heureux.
La sénatrice Thelma Chalifoux: Est-ce que vous vous occupez d'enfants qui vivent avec des grands-parents, une tante ou un oncle? De quelle façon est-ce que ces enfants réagissent à leur mère et à leur père.
Mme Murline Browning: Nous avons une enfant dont je peux vous parler. Elle vit chez sa grand-mère. Elle s'épanouit. Elle a quatre ans—en fait, elle a cinq ans maintenant. Elle va quitter notre programme en juin. Nous espérons que lorsqu'elle arrivera au jardin d'enfance, nous pourrons la voir deux après-midi par semaine pour qu'elle puisse poursuivre son développement.
La mère et le père vivent des situations très pénibles. Ils n'ont pas le droit de voir l'enfant, mais entre notre programme et la grand-mère, l'enfant semble s'en tirer très bien.
Je ne connais pas très bien ce cas, mais je suis au courant d'autres situations où lorsque l'affaire n'est pas renvoyée au tribunal, si le couple se sépare simplement et s'en va... Il règne une confiance entre Autochtones; vous seriez prêt à vous occuper de vos petits-enfants si vos enfants avaient des problèmes. Vous feriez tout ce que vous pouvez pour accueillir ces enfants et les élever, pour ne pas les laisser souffrir en raison d'un divorce ou d'une séparation. Dans certains cas, ce sont trois ou quatre enfants qui vivent chez leurs grands-parents, et les grands-parents les amènent au programme Bon départ pour les Autochtones.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci beaucoup.
Sénateur Perrault.
Le sénateur Raymond J. Perrault (North Shore—Burnaby Lib.): Madame la présidente, Mme Browning nous a présenté aujourd'hui un témoignage fort éloquent.
Vous affirmez que, de tous les groupes minoritaires qu'il y a au pays, les Métis connaissent la situation la plus difficile en ce qui concerne la garde et les autres conflits. Vous dites qu'il faudrait faire quelque chose à ce sujet. Quelle mesure permettrait d'établir des règles du jeu équitables pour les deux parties à un conflit, les mères comme les pères? Qu'est-ce que vous aimeriez voir adopter?
C'est une question difficile, mais nous sommes émus par les faits que vous avez exposés au comité, alors même si vous devez nous écrire ultérieurement pour nous donner des détails au sujet des mesures qui vous semblent nécessaires...
Si votre affirmation est exacte, cette situation est tout à fait intolérable. Les Métis ont eu assez de difficultés à survivre dans ce pays au fil des ans, ils n'ont pas besoin de fardeaux supplémentaires.
Mme Murline Browning: Eh bien, pour dire vrai, ce que j'aimerais voir et je sais que cela n'est pas possible pour l'instant, c'est la fin de la discrimination à l'endroit des Autochtones.
Le sénateur Raymond Perrault: Vous nous laissez entendre qu'il existe un système judiciaire de deuxième classe.
Mme Murline Browning: En effet.
Deuxièmement, j'aimerais préciser que les Métis peuvent être blonds et avoir les yeux bleus, ou avoir le teint foncé et les cheveux noirs...
Le sénateur Raymond Perrault: C'est vrai.
Mme Murline Browning: ...alors on déclare que vous êtes soit Blanc soit Indien.
Je pense que le ministère devrait être conscient de ces questions. Nous travaillons très fort dans notre domaine actuellement. Nous essayons d'obtenir des fonds maintenant auprès du ministère de l'Enfance et de la Famille pour représenter nos enfants dans les nouveaux plans stratégiques autochtones que le ministère élabore actuellement.
Je pense que ce que j'aimerais vraiment voir, c'est plus de publicité, plus de diffusion d'information au sein de la collectivité, à l'intention des hommes et des femmes.
Le sénateur Raymond Perrault: Est-ce que vous nous dites que l'on manque d'information au sujet de la façon de s'inscrire à ces programmes?
Mme Murline Browning: Tout à fait. Il y a une véritable carence en ce qui concerne les droits des personnes, en particulier ceux des Autochtones.
C'est toute une mentalité qu'il faut changer, la conviction que vous ne pouvez pas gagner parce que vous êtes Autochtone, et aussi le fait d'avoir été témoin d'autres cas. Les Autochtones ne luttent pas.
J'ai entendu des gens qui s'étaient adressés à l'aide juridique pour ces affaires, et à qui l'avocat avait dit «Très bien, vous faites simplement ceci, et cela va se produire». Ensuite, ils vont au tribunal et c'est ce qu'ils font. J'aimerais trouver une façon de créer un conseil pour appuyer tous ces Métis qui se présentent au tribunal.
Je dois dire que les Premières nations reçoivent beaucoup de financement. Le gouvernement fédéral s'occupe d'eux de bien des façons. Les Métis n'ont pas les mêmes avantages.
Le sénateur Raymond Perrault: C'est exact.
Mme Murline Browning: Ils ne sont reconnus d'aucune façon, sauf comme Autochtones.
Pour obtenir un financement quelconque, nous devons vraiment nous démener. Ce sont en général des bénévoles qui font ce que j'ai fait pendant de très nombreuses années—essayer de rejoindre et d'aider les gens.
Nous défendons la cause des femmes, mais nous constatons que lorsque nous réussissons à franchir la porte d'un fonctionnaire, il y a en a une autre derrière... Je dois dire, et j'en suis désolée, qu'on ne nous accorde pas beaucoup d'attention. La discrimination est encore monnaie courante dans notre pays.
Le sénateur Raymond Perrault: Vous aimeriez donc qu'une table ronde soit créée, en un sens pour faire connaître les programmes qui sont offerts et présenter des recommandations?
Mme Murline Browning: Certainement, et j'aimerais aussi aller encore plus loin. Je n'aime pas l'idée que quelqu'un puisse exercer un contrôle absolu, une autorité suprême, sur la vie d'un enfant, d'un homme ou d'une femme, d'un grand-parent. J'aimerais que l'on crée un cercle de personnes qui participeraient à une discussion sur l'avenir de l'enfant. Cela serait ma principale recommandation—que la table ronde soit composée surtout d'Autochtones lorsqu'on discute de la situation d'un enfant autochtone.
Le sénateur Raymond Perrault: Ce sont des idées fort utiles, madame la présidente. Merci beaucoup.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci.
Madame Bennett.
Mme Carolyn Bennett: Merci beaucoup.
Ma question porte sur le cercle. Nous avons entendu auparavant des témoignages selon lesquels il faudrait rassembler une plus grande diversité d'opinions lorsque l'on cherche à déterminer ce qui vaut le mieux pour l'enfant. Les enseignants, les maîtres de l'école du dimanche—les personnes qui observent cet enfant quotidiennement devraient participer à la discussion pour décider ce qui convient vraiment à l'enfant.
Si vous deviez créer votre cercle, est-ce que vous engloberiez ces personnes ou est-ce que vous pensez surtout aux anciens de la collectivité? Qui ferait partie de ce cercle?
Mme Murline Browning: J'inviterais la famille élargie et, comme vous l'avez dit, les enseignants, les prêtres, tous ceux qui ont eu un contact visuel ou qui ont parlé avec l'enfant. Les membres de la collectivité qui ont vu cet enfant grandir—ce sont eux que j'aimerais appeler.
Si je devais intervenir, j'aimerais pouvoir présenter à la table ronde ou au juge exactement ce que je pense que je sais de cet enfant, parce qu'il est si difficile d'être jugé en fonction des canons de la société au sujet de ce qui convient le mieux à l'enfant. Il est pénible d'entendre quelqu'un dire qu'il leur faut une petite chambre à coucher de rêve, et ceci et cela. Bien souvent, j'ai assisté à des forums et à des conférences et j'ai entendu les gens demander «Et à votre avis, quelles sont les caractéristiques de la pauvreté? Nous voulons aider votre peuple; qu'est-ce qui caractérise la pauvreté à votre avis?» C'était fort intéressant, parce qu'une femme qui était assise à côté de moi a dit «Mais pas ce que vous faites.»
J'ai été élevée en Saskatchewan, dans une petite collectivité. Je n'avais qu'une robe et qu'une paire de chaussures, pour l'école. Nous allions cueillir des baies, nous mangions de l'orignal et nous écoutions des histoires. Nous habitions une petite cabane en rondins, et je dormais dans une chambre avec deux de mes frères et soeurs. J'étais heureuse. Je mangeais à ma faim et je pensais que tout allait bien, jusqu'à ce qu'un Blanc vienne s'installer dans le voisinage et qu'il pointe le doigt vers moi et déclare «Tu es pauvre. Tu vis dans la pauvreté.» Cette petite fille ne croyait pas qu'elle était pauvre.
C'est l'essentiel du message que je veux transmettre. Si les grands-parents ou les enfants habitent une petite maison de deux chambres à coucher, qu'importe! Quand il y a tant d'amour dans la maison, qui a besoin d'objets matériels?
J'ai entendu ces hommes parler et ils sont pauvres eux aussi. Ils me brisent le coeur, car pourquoi faut-il qu'un enfant ait une belle maison? Ils ont de la difficulté à fonder une autre famille. Pourquoi faut-il toujours tenir compte de ce qui, d'après la société, convient le mieux aux enfants? Je n'en suis pas convaincue. Je pense que nous nous écartons de la réalité, du fait que nous parlons d'estime de soi et d'amour pour l'enfant, parce que l'amour c'est...
[Note de la rédaction: Difficultés techniques]... le jeu.
Mme Carolyn Bennett: J'aimerais poser une dernière question.
Nous étudions les grossesses chez les adolescentes, et les choses de ce genre. Est-ce que vous pensez qu'un préjudice occidental, en quelque sorte, s'est glissé dans le système judiciaire, alors qu'il peut être tout à fait normal dans certaines cultures, en particulier les cultures autochtones, que le grand-parent, la grand-mère, élève l'enfant, et que nous n'en tenons pas compte pour déterminer ce qui convient le mieux à l'enfant? Notre vision de ce qu'il faut à l'enfant, comme vous l'avez dit, se rapproche de la «petite maison entourée d'une clôture blanche».
Mme Murline Browning: C'est un fait qu'on ne tient vraiment pas compte de cela. Je suis aussi au courant d'une situation où les grands-parents ont élevé l'enfant pendant trois ans, puis le père est venu avec ses avocats bien payés et tout le reste, il a obtenu la garde de l'enfant et il l'a emmené. C'est tout à fait injuste.
Mme Carolyn Bennett: Merci.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Sénatrice Cools.
La sénatrice Anne Cools: Merci beaucoup, madame la présidente
J'aimerais remercier le témoin qui nous a présenté, à mon avis, un exposé extrêmement censé. Je la remercie aussi de nous avoir fait part de son ensemble personnel de préoccupations morales et philosophiques ainsi que du sort du peuple métis.
• 1315
Madame la présidente, si vous me le permettez, j'aimerais
proposer que nos agents de recherche nous préparent un document, en
particulier à l'intention de ceux d'entre nous qui connaissent mal
les questions métisses, au sujet de la situation des Métis
relativement aux aspects que nous examinons actuellement, afin que
nous puissions préciser la suite de nos travaux.
Je fais partie de la vaste majorité des gens qui savent très peu de choses au sujet des Métis. Vous avez raison de dire que certaines Premières nations ont créé des groupes de pression très puissants qui exercent un grand pouvoir économique, mais que les Métis semblent accuser du retard. Si le comité pouvait se pencher en particulier sur cet ensemble de questions, je pense que cela nous serait à tous très utile.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci beaucoup, et je crois que la sénatrice Chalifoux sera ravie de diriger cette initiative.
Merci beaucoup, madame Browning. Vous nous avez présenté un témoignage des plus enrichissants. Merci.
Nos témoins suivants sont M. Donald Moir et Mme Katherine McNeil. S'il vous plaît, avancez-vous.
Monsieur Moir, voulez-vous commencer? Comme vous le savez, nous espérons que votre exposé ne durera pas plus de cinq minutes, afin que nous puissions vous poser des questions.
M. Donald Moir (avocat en droit de la famille, Moir Associates): Oui, merci, madame la présidente. Je vous remercie de bien vouloir m'entendre.
Il faut féliciter le Sénat et la Chambre des communes d'avoir créé votre comité. J'oserais même dire que les travaux du comité sont plus importants pour le bien-être de la nation et de l'économie que ceux de tout autre comité du Parlement à l'heure actuelle. Je pense notamment au comité des banques, qui semble faire souvent la manchette et être bien financé. Je crois savoir que c'est en particulier à l'initiative de la sénatrice Cools que le comité a été créé.
Comme je n'ai que cinq minutes de gloire pour m'exprimer devant le comité, je ne peux que soulever, sans explication, trois thèmes. Le premier de ces thèmes est que les enfants doivent être notre seule et unique préoccupation. On pourrait aussi dire que toute société qui veut se perpétuer doit élever ses enfants du mieux possible. Ce sont là des truismes et, j'en suis certain, vous les acceptez, mais les Canadiens ne semblent pas en tenir compte. Le programme politique n'accorde pas beaucoup d'importance aux enfants. Nous n'élevons pas nos enfants aussi bien que nous le pourrions. Notre principal échec est la grande fréquence du divorce, facilité par la loi actuelle.
Mon deuxième thème peut être présenté ainsi: en raison de la grande fréquence du divorce, nous avons adopté une succession de recettes pour déterminer le régime de garde et de droit de visite, et chacune a eu ses partisans. Je vous mets en garde contre les modes dans ce domaine. Le problème, comme les données le montrent à l'évidence, c'est que quelle que soit la loi relative à la garde et au droit de visite, dans la plupart des cas le divorce condamne l'enfant à la perte de l'un de ses parents, sinon à court terme, du moins à moyen et à long terme. Les conséquences pour les enfants et la société, comme les données l'indiquent, sont inquiétantes. Tant que la loi facilitera le divorce, je ne crois pas qu'une loi sur l'accès et le droit de visite puisse offrir beaucoup plus que des mesures cosmétiques.
• 1320
Je ne suis pas heureux de venir témoigner devant un comité qui
s'efforce de trouver une solution au problème, mais je manquerais
à mon devoir en ce qui concerne les données si je ne vous disais
pas qu'aucune solution ne se présente dans le contexte de la loi
actuelle, qu'on ne trouvera pas de solution miracle.
Je crois que vous pouvez prendre certaines décisions, compte tenu du fait que le droit relève de la compétence fédérale. On s'inquiète à juste titre du processus, qui a donné lieu à un témoignage éloquent et touchant ce matin, mais il s'agit là essentiellement d'une question de compétence provinciale.
Vous pouvez prendre certaines mesures. Premièrement, à mon avis, vous pouvez examiner toute cette foutaise que l'on appelle la doctrine de l'intérêt de l'enfant. Cela demeure de la foutaise. Je n'ai pas le temps d'entrer dans les détails, mais en l'occurrence la combinaison d'un divorce facile et de la doctrine de l'intérêt de l'enfant a pour résultat qu'un parent peut priver un enfant de son autre parent, essentiellement sans motif et à toute fin pratique. Je considère cela tout à fait scandaleux.
L'hypocrisie de la doctrine est manifeste dans la jurisprudence. La sénatrice Cools a eu la bonté d'attirer mon attention—je ne l'avais jamais lu auparavant—sur un jugement de la Cour de l'Ontario, la décision Oldfield, qui expose cette hypocrisie. La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Goertz c. Gordon, expose elle aussi l'hypocrisie de la doctrine. Il y a d'autres cas dans d'autres compétences qui vont dans le même sens.
Je n'ai aucune opinion à vous présenter aujourd'hui en ce qui concerne l'opportunité de la garde partagée, mais c'est peut-être une solution positive. Elle a ses lacunes, mais elle peut avoir d'assez bons résultats.
Vous pourriez examiner les termes que nous utilisons. Après tout, la garde et le droit de visite signifient un gagnant et un perdant. Il se peut que les plans de partage des responsabilités parentales constituent une meilleure approche. Mais je vous demande de ne pas oublier—et je pense que vous l'avez entendu de la part d'un témoin de Washington—que les plans de partage des responsabilités parentales ne se rapportent pas aux problèmes que nous avons en matière de garde et de droit de visite. Ce sont des solutions à court terme qui satisfont les juges et les avocats, mais personne n'a demandé l'avis des enfants.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Je suis désolée de vous le rappeler, mais vous avez déjà utilisé vos cinq minutes. S'il vous plaît, poursuivez rapidement afin que nous ayons le temps de poser quelques questions.
M. Donald Moir: Très bien.
La sénatrice Anne Cools: Madame la présidente, je suis disposée à renoncer à mes questions pour donner plus de temps à M. Moir.
M. Donald Moir: Je suis désolé; je n'ai pas fait attention à ma montre. Je ne veux pas prendre plus de temps que ce qui m'est alloué.
Je vais énoncer très rapidement mon troisième thème. Il s'agit essentiellement de la nature du plaidoyer. Un plaidoyer que, je le sais, vous ignorez. Mon plaidoyer c'est que les recommandations du comité ne soient pas diluées. D'après ce que je sais, on vous suggère trop d'options attrayantes mais peu valables.
Ma deuxième requête, c'est que les recommandations du comité ne viennent pas alimenter une industrie du divorce déjà énorme. Ne nous donnez pas plus de travail—du travail pour lequel nous sommes payés, parfois.
Ma dernière requête est la suivante. Je vous en prie, n'accordez pas, dans vos recommandations, plus de place à l'intervention de l'État dans les questions familiales et les questions liées à l'éducation des enfants. Cet aspect m'inquiète.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci beaucoup.
Madame McNeil.
Mme Katherine McNeil (consultante au sujet des questions de garde d'enfants, Mom's House-Dad's House): Bonjour. Je vous remercie de m'avoir invitée à venir témoigner devant votre comité.
Je suis consultante pour les questions de garde d'enfants et, en autant que je le sache, je suis peut-être la seule au Canada. Je travaille dans le secteur privé et je rencontre les enfants du divorce. J'effectue des évaluations en vue de déterminer le régime de garde qui convient à l'enfant, et il m'arrive de voir uniquement l'enfant, sans rencontrer ses parents.
J'aimerais d'abord vous raconter l'histoire de deux petits garçons qui rentrent tranquillement chez eux en parlant de leurs familles. Le premier raconte à l'autre le divorce de ses parents. Le second répond que ses parents sont encore mariés. «Comment ça?» dit le premier petit garçon. Le deuxième répond «Ils m'ont dit qu'ils détestent plus les avocats qu'ils ne se détestent l'un l'autre».
Des voix: Oh, oh!
Mme Katherine McNeil: Les blagues au sujet des avocats et au sujet du divorce sont nombreuses, mais pour les enfants du divorce il n'y a pas matière à rire. Le comité a entendu des mères, des pères, des parents qui ont la garde, des parents qui ne l'ont pas, des avocats, des juges, des psychologues, une foule de spécialistes, mais je n'ai pas l'impression qu'il a entendu le témoignage de ceux qui sont au coeur du problème, les enfants. J'y vois un exemple notable de ce qui ne va pas dans notre système à l'heure actuelle. Lorsque l'on prend le temps d'écouter les enfants et que l'on se soucie vraiment de leur intérêt, on voit très différemment ce qu'il faut faire pour chaque famille.
Certains enfants vous diront qu'ils veulent vivre avec un parent parce que c'est celui qui a le plus d'argent ou n'impose pas de discipline ou parce que l'enfant croit qu'il est de son devoir de rendre maman ou papa heureux. La plupart des enfants, cependant, connaissent leurs propres sentiments et ils savent ce qu'ils veulent et ce dont ils ont besoin de la part de leurs parents. Tous les enfants ont besoin que leurs parents cessent de se quereller. Le système juridique, sous sa forme actuelle, encourage et alimente souvent l'animosité.
La plupart des enfants veulent que leur mère et leur père figurent tous deux le plus possible dans leur vie. Les enfants ne peuvent pas comprendre que quelqu'un qu'on ne voit pas, quelqu'un qu'on appelle le juge, a déclaré qu'à partir de maintenant ils allaient visiter un de leurs parents, en général le père, et encore, pas très souvent. Vous ne verrez plus un de vos parents tous les jours comme auparavant.
Est-ce que vous avez fait quelque chose pour provoquer cela? Est-ce le parent qui est méchant? Les enfants ont tendance à ressentir de la culpabilité, et souvent ils essaient de rétablir les choses. La frustration, la colère et la perte d'estime de soi découlent de l'échec inévitable de l'enfant. Les enfants nous disent constamment que personne ne leur a jamais demandé ce qu'ils voulaient, et ils réclament avec indignation que les juges les écoutent. Certaines de leurs requêtes pour être entendus étaient désespérées, car ils étaient coincés et maintenus par des ordonnances du tribunal dans le foyer d'un parent violent.
J'ai déjà entendu, par le passé, des gens ricaner quand des pères se présentent devant le juge en disant «Elle monte les enfants contre moi.» Personne ne croit que quelqu'un ferait une telle chose. Si les enfants sont en colère contre le père, alors cela doit être la faute du père. Il doit les battre, ou c'est un ivrogne.
La dure réalité, c'est qu'il y a bel et bien de l'aliénation parentale, et cela nuit terriblement aux enfants. Certains nient cette réalité. Je vous le dis, peu importe l'étiquette qu'on y appose, ce qui importe ce sont les comportements du parent qui cherche à écarter l'autre, et de déterminer si oui ou non on peut y remédier.
À mon avis, la chose est beaucoup plus courante qu'on ne le croit généralement, et dans la plupart des cas le système juridique ne protège pas les enfants contre ces manoeuvres. Les comportements aliénants sont très divers. Ils vont du simple fait de mettre les enfants devant la porte quand le parent vient les chercher plutôt que de les accompagner, ce qui indique aux enfants que «cette personne qui vient les chercher n'est pas digne d'entrer dans la maison», à la violation à répétition des ordonnances attributives de droit de visite.
• 1330
Quand il y a déni de droit de visite, dans tous les cas
auxquels j'ai été mêlée, quand le juge menace de retirer la garde
au parent délinquant—et croyez-moi, cela ne se produit pas
souvent—tout rentre instantanément dans l'ordre. Il faut que cela
devienne la norme, et il faut le faire dès le début, pas après que
la relation entre le parent bafoué et ses enfants a été
irrémédiablement perturbée.
Le parent bafoué ne devrait pas devoir se présenter devant un juge, parfois pendant des années, pour obtenir réparation. Les enfants savent généralement qu'une ordonnance n'est pas respectée, pourtant le parent délinquant n'est pas puni. Comme ils ne connaissent pas la différence entre les ordonnances prononcées par un tribunal civil et les ordonnances au criminel, les enfants grandissent en pensant qu'il n'est pas nécessaire de respecter les ordonnances. Ajoutez-y la frustration et le sentiment d'impuissance créés par le divorce, et la société continuera de contribuer à la production de jeunes contrevenants. Il y a un lien très direct entre les deux.
En règle générale, d'après ce que j'ai pu observer, les tribunaux récompensent les comportements intransigeants de la mère et reprochent la moindre vétille au père. Quand on présente au système juridique ces accusations de parti pris contre l'un des deux sexes en matière familiale, les dénégations sont véhémentes et rapides. C'est là une attitude tout à fait irréaliste.
D'après ce que je sais, le mandat de votre comité est de modifier la Loi sur le divorce pour mieux tenir compte de l'intérêt des enfants. Alors faites-le. Allez dans les écoles et parlez aux enfants avant de terminer vos travaux. Invitez des enfants de diverses organisations à venir vous parler. Ne retenez pas seulement les opinions des adultes sur le divorce. Ils ont souvent des vues bien différentes de celles des enfants, et en concurrence. Si vous écoutez les enfants, si vous les écoutez bien, vous saurez mieux ce que vous devez faire.
Quand vous rédigerez vos recommandations, j'aimerais que vous gardiez cette idée à l'esprit: aucun tribunal de notre pays ne permet aux parents, aux avocats ni au juge lui-même de mettre le droit de l'enfant à un soutien financier dans les négociations, si maigre que soit ce soutien. Pourquoi alors croit-on qu'il est tout à fait normal d'écarter un parent de la vie d'un enfant? Même le parent qui est à peine compétent a encore quelque chose à offrir à son enfant.
Merci.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci beaucoup.
Monsieur Forseth.
M. Paul Forseth: Merci. Merci à tous deux d'être venus.
Monsieur Moir, votre expérience et votre réputation vous précèdent. Je suis très heureux de voir que vous êtes ici aujourd'hui. Je connais certainement votre autorité et votre réputation, et je dis que nous devons vous écouter car vous vous appuyez sur des années d'expérience.
Dans la lettre que vous avez adressée au comité, je voulais citer un paragraphe qui, à mon avis, contient une idée à laquelle nous devons nous arrêter. Vous dites:
-
Durant mes années de pratique, j'ai vu se succéder plusieurs modes,
chacune avec ses adeptes: préférence accordée à la mère,
pourvoyeurs de soins primaires, garde partagée, coéducation (quoi
que séparée), etc.
-
Il faut prendre garde de ne pas voir dans ces modes des «solutions»
et ne pas céder aux demandes de leurs adeptes. Une solution qui
semble parfaite en principe échoue dans la réalité de la
séparation. Une mode fait actuellement des adeptes: les programmes
d'apprentissage du rôle parental. À ma connaissance, on n'a pas
démontré que les programmes de ce genre qui ont été adoptés dans
certains États américains améliorent à moyenne ou longue échéance
le sort des enfants du divorce. Un des problèmes, c'est que
personne, pas même les «experts», ne peut prévoir quel sera le
meilleur arrangement pour les enfants après le divorce.
-
En résumé, les enfants risquent d'avoir meilleur sort si leurs
parents restent ensemble.
Vous abordez ici, j'imagine, les questions sous-jacentes de la séparation et de la désintégration des familles, qui peuvent être considérées comme la solution à court terme à une pathologie familiale plus grave. Puis la loi intervient et essaie de régler le problème.
L'une des recommandations que le comité pourrait envisager est d'offrir des services aux familles, et l'option que représente l'industrie de la séparation et du divorce, contre laquelle vous nous avez aussi mis en garde, ne nous intéresse pas nécessairement; nous ne devons pas assurer une retraite dorée aux avocats en ajoutant des questions de droit qui alimenteront de nouvelles querelles.
La pathologie familiale sous-jacente dans la société canadienne est la tendance à se séparer et à divorcer peut-être trop facilement. Vous avez parlé du divorce facile dans votre mémoire. Vous avez dit que d'une façon quelconque nous devions parvenir à modifier le concept même de la valeur de la famille, pas nécessairement des valeurs familiales, mais de la valeur de la famille en elle-même, au sein de la société canadienne, que ce soit au moyen de notre structure fiscale ou en offrant des services de counselling et des ressources, par exemple; il peut s'agir du climat de travail, de modifier le code du travail ou les conventions collectives, faire tout ce qu'il faut pour permettre aux parents de mieux s'acquitter de leurs obligations familiales.
• 1335
Vous avez fait valoir des questions plus fondamentales que
nous oublions peut-être parfois, lorsque nous examinons des aspects
techniques de la Loi sur le divorce susceptibles de faciliter les
choses à l'industrie. Nous devons aussi examiner les questions
fondamentales. Vous avez soulevé ce point avec éloquence dans votre
mémoire.
Je ne sais pas si vous avez des commentaires à ajouter. Je n'ai pas beaucoup de temps et je voulais dire quelque chose à notre autre témoin, Mme Katherine McNeil.
Madame McNeil, vous avez affirmé avec beaucoup de conviction que nous devrions écouter les enfants. En quelques mots, pouvez-vous nous dire ce que nous entendrons de la part des enfants si nous agissons ainsi.
Mme Katherine McNeil: Ce que vous entendrez est fort probablement ce que j'entends lorsque je rencontre les enfants. Ce que les enfants me disent le plus souvent, c'est qu'ils veulent que leur mère et leur père cessent de se quereller. Évidemment, vous ne pouvez pas l'imposer par la loi.
La deuxième observation que l'on vous fera est «Je veux passer plus de temps avec mon père ou je veux aller vivre avec mon père». Les enfants se plaignent de ce qu'on ne les écoute pas, de ce qu'ils ne sont pas entendus. À mon avis, cette plainte est fondée.
Je vais illustrer ce que cela signifie. Deux jours avant la dernière séance que le comité a tenue à Vancouver—le parent qui a actuellement la garde m'a autorisée à vous communiquer cette information—j'ai rencontré une fillette de dix ans, un samedi matin. À la fin de l'entrevue, j'ai découvert qu'elle était victime de violence émotive, physique et sexuelle aux mains de sa mère. Cette enfant suivait depuis deux ans les instructions que nous donnons à tous les enfants, soit de dire et de répéter quelque chose jusqu'à ce que quelqu'un vous écoute et vous aide. C'est chez moi que cet enfant a trouvé de l'aide. Neuf jours plus tard, à la suite d'un rapport que j'avais rédigé à l'intention de la Cour suprême, ici à Vancouver, le juge a confié la garde au père et c'est avec lui que l'enfant vit maintenant.
Ils avaient espéré pouvoir venir ici ce matin, mais cela leur a été impossible. Ce n'est pas la première fois que j'ai connaissance d'une telle situation. C'est déchirant. Cela me brise le coeur de voir ces enfants. Mais l'hypothèse veut que les mères ne fassent jamais rien de tel. Si vous écoutez les enfants et que vous ne les intimidez pas, ils vous le diront.
M. Paul Forseth: Alors vous croyez que si nous pouvons créer un système qui écoute plus attentivement les enfants eux-mêmes, les préjugés politiques des adultes et tous les autres groupes de pression de notre société cesseront de jouer et nous pourrons vraiment veiller à ce que les besoins des enfants soient satisfaits.
Mme Katherine McNeil: Il faut écouter les enfants. Les intérêts des parents sont souvent en concurrence avec ceux des enfants. Très souvent, quand je parle à un enfant et, surtout, quand j'écoute un enfant, je me fais au sujet de ce dont cet enfant a besoin dans sa vie une opinion toute autre que celle que j'aurais eue si j'avais simplement écouté la mère ou le père ou même les deux parents.
M. Paul Forseth: Je vois que M. Moir veut intervenir.
M. Donald Moir: Je veux ajouter un très bref commentaire. Je suis reconnaissant à Mme McNeil et j'ai eu le privilège de lire son mémoire.
Ce que les enfants veulent le plus, c'est que leurs parents restent ensemble. Il existe une foule de données qui prouvent que leur voeu le plus cher est d'avoir deux parents adéquats.
M. Paul Forseth: Adéquats.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Sénateur Perrault.
Le sénateur Raymond Perrault: Merci, madame la présidente.
Je suis heureux de voir, monsieur Moir, que vous comparaissez aujourd'hui devant notre comité. Vous êtes certainement l'un des conseillers juridiques les plus réputés de notre collectivité et vous jouissez d'un très grand respect; on vous connaît pour vos prises de position franches et directes dans ce domaine.
J'ai jeté sur le papier une phrase que M. Moir a utilisée. Il a dit «L'intérêt de l'enfant; c'est de la foutaise». J'aimerais que vous nous précisiez un peu votre pensée.
M. Donald Moir: Sénateur Perrault, je suis heureux de vous revoir. Nous nous connaissons depuis un bon bout de temps.
En effet, la doctrine veut que la décision relative à la garde soit prise en fonction de ce que l'on appelle l'intérêt de l'enfant. Le problème, c'est que personne ne peut définir l'intérêt de l'enfant. Les plus grands spécialistes eux-mêmes n'y parviennent pas quand ils sont en présence de deux parents compétents.
• 1340
La deuxième raison qui me pousse à m'inquiéter de la doctrine
c'est, évidemment, qu'elle n'est pas équitable à l'égard des sexes
dans notre société. Nous sommes encore imprégnés du principe—et il
n'est pas sans valeur—que c'est à la femme qu'incombe l'éducation
des enfants.
Je pourrais continuer ainsi. De plus en plus d'études indiquent que la doctrine elle-même est futile et nuit à une détermination appropriée du régime de garde quand les parents se séparent.
Voulez-vous que je poursuive?
Le sénateur Raymond Perrault: Non, cela va très bien ainsi. Cette précision nous est très utile.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Sénatrice Cools.
La sénatrice Anne Cools: Merci, madame la présidente.
Je veux soulever un point très technique. Est-ce que Mme McNeil peut nous donner la référence, l'intitulé de la cause, pour que cela soit consigné dans le procès-verbal.
Mme Katherine McNeil: Oui, je le peux. Il s'agit de l'affaire Latta v. Latta. Je n'ai pas sous la main le numéro de dossier—je ne le transporte pas avec moi—mais je pourrais vous le fournir si vous en avez besoin.
Nous n'avons pas encore l'ordonnance écrite ni les motifs de la décision dans ce dossier, mais nous prévoyons les recevoir prochainement.
M. Paul Forseth: De quel tribunal s'agit-il?
Mme Katherine McNeil: De la Cour suprême de la Colombie-Britannique, à Vancouver.
La sénatrice Anne Cools: Merci.
Ma question suivante s'adresse à notre grand spécialiste, M. Moir. Vous avez fait mention de la jurisprudence. Vous avez cité l'affaire Oldfield c. Oldfield et l'arrêt Goertz c. Gordon. Vous avez parlé d'exposer... Je pense que vous avez dit très précisément «exposer l'hypocrisie». Est-ce que vous pouvez nous expliquer un peu cela, s'il vous plaît.
M. Donald Moir: Certainement, madame la sénatrice.
Ces deux affaires portaient sur des questions de mobilité. Un père qui n'a pas la garde, ou même un père qui a la garde partagée, participe très activement à la vie de ses enfants. La mère décide qu'elle veut quitter la région. Dans le cas de Goertz et Gordon, la mère voulait aller en Australie. Même si le père était très présent dans la vie de l'enfant et lui apportait beaucoup, le tribunal a décidé que le besoin de la mère de se rendre en Australie pour suivre un cours avait préséance sur le besoin de l'enfant de voir son père. On a affirmé qu'il pouvait aller les visiter. C'était un homme en moyens. On a dit qu'il pourrait téléphoner.
L'affaire Oldfield est peut-être encore plus étonnante. Il s'agit d'une décision de première instance prise en Ontario. Dans l'affaire Oldfield, le père, qui avait été très présent dans la vie de l'enfant après la séparation... La mère avait la garde et voulait aller à Paris pour épouser son ami de coeur. Le tribunal a décidé que même si les enfants allaient, en l'occurrence, être privés de toute relation véritable avec leur père, il était plus important que la mère puisse avoir la satisfaction d'épouser son ami.
Madame la sénatrice Cools m'a dit que depuis, l'ami parisien avait décidé qu'il ne voulait plus épouser la mère.
La sénatrice Anne Cools: Après que la famille a déménagé.
M. Donald Moir: Après le déménagement.
• 1345
Vous voyez, le principe de l'intérêt de l'enfant, qui
normalement serait de maintenir la relation la plus étroite
possible avec le parent qui n'a pas la garde, et le voeu tout à
fait légitime de la mère de ne pas être attachée à l'endroit où le
père se trouve sont tout à fait opposés dans ces cas.
Des cours supérieures de même nature—j'entends par là les tribunaux d'appel du niveau le plus élevé aux États Unis—dans l'État de New York et en Californie, en même temps et pour des motifs entièrement différents, sont parvenues exactement à la même décision, c'est-à-dire que la mère qui avait la garde a été autorisée à déménager, même si cette décision privait entièrement les enfants de la présence de leur père.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci beaucoup. J'aurais une question à poser.
Mais je vais d'abord donner la parole à Mme Bennett.
Mme Carolyn Bennett: Je voulais simplement remercier Mme McNeil de son excellent exposé. Je viens de feuilleter rapidement son mémoire et il me tarde de pouvoir le lire avec attention. Je crois que vous vous êtes faite la porte-parole des enfants devant notre comité. Merci.
Mme Katherine McNeil: Merci.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Monsieur Forseth.
M. Paul Forseth: Pour ce qui est du fondement philosophique de la science qui s'intéresse au développement de l'enfant plutôt qu'aux aspects politiques, je peux mentionner quelques noms, notamment Mussen, Conger, Kagan et Piaget. Bien des auteurs d'études sur le développement de l'enfant ont tenté de définir ce qui convient vraiment aux enfants et ce qui ne leur convient pas du tout dans le cadre des relations familiales. Vous pouvez peut-être nous donner le titre de quelques ouvrages dont vous vous inspirez.
Mme Katherine McNeil: Cela me serait très difficile. Je connais certains des noms que vous avez mentionnés, mais pas les autres. Franchement, je m'inspire surtout des enfants eux-mêmes, et c'est ce que j'ai toujours fait.
Je me suis rendu compte il y a de nombreuses années, quand j'ai commencé à travailler dans ce domaine, qu'il semblait y avoir un écart entre la façon dont les questions de désintégration familiale étaient traitées au nom des enfants, et j'en suis venue à cette conclusion, comme bien d'autres, d'après mon expérience personnelle. J'ai constaté que même chez ceux qui semblaient parler au nom des enfants l'accent semblait toujours porter plus nettement sur l'un ou sur l'autre des parents, en général la mère, et les voeux et les besoins de l'enfant, qui étaient parfois exprimés, étaient présentés en fonction des perceptions de la mère. C'est encore le cas aujourd'hui.
Les enfants ont tous une personnalité bien définie. Ce ne sont pas encore des adultes. Ils se développent à leur propre rythme. Certains souffrent de difficultés d'apprentissage; ils ont des problèmes émotifs, tout comme les adultes. Chaque enfant qui vient me voir peut avoir besoin d'un programme très différent quant à la façon dont ses parents continueront à exercer leurs responsabilités.
M. Paul Forseth: Lors de vos délibérations, est-ce que vous utilisez des tests psychométriques précis, des procédures standard dont on peut vérifier les résultats?
Mme Katherine McNeil: Non, je ne le fais pas. Parce que je ne suis pas psychologue, il ne serait pas indiqué que je procède à des tests. Si au cours d'une évaluation ou en parlant avec un enfant j'ai l'impression qu'il se passe des choses qui ne sont pas de mon ressort, je n'hésite pas à faire appel à un spécialiste.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Pour poursuivre un peu dans la même voie, vous avez dit au début de votre exposé être la seule consultante en matière de garde d'enfants. Je pense que c'est là une nouvelle possibilité fort intéressante que nous pourrions explorer.
• 1350
J'ai deux ou trois questions techniques. Quelles qualités ou
compétences un consultant en matière de garde d'enfants devrait-il
posséder? Qui sont vos clients—donnez-nous une idée générale? Est-ce que
vous conseillez un parent ou est-ce que vous offrez vos
services aux familles? Et enfin, qui vous paie? C'est une question
élémentaire et très directe.
Mme Katherine McNeil: Je vais commencer par la dernière question. Parfois, je ne touche rien du tout.
Mes clients, en premier lieu, sont les enfants eux-mêmes. Pour moi, c'est toujours l'enfant qui est le client; les autres intervenants sont en périphérie dans ma conception du monde et de son fonctionnement.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Mais ce ne serait pas l'enfant qui s'adresserait directement à vous, n'est-ce pas?
Mme Katherine McNeil: Les enfants et leurs parents me consultent. Ils sont envoyés par des avocats, parfois par les tribunaux, par divers travailleurs sociaux, des organisations indépendantes, c'est surtout du bouche-à-oreille.
Il m'arrive de travailler avec des familles entières. Je suis assez exigeante envers les parents, et ma philosophie essentiellement est que si quelqu'un fait la vie dure à un enfant, il va avoir affaire à moi. Il m'arrive de dire à des parents des choses que je ne pourrais pas leur dire si je relevais d'un organisme qui régit ce que je peux faire et dire, et parfois je leur dis tout simplement «Je comprends ce que vous ressentez. Vous êtes en colère, vous éprouvez ceci, vous éprouvez cela; toutefois, vous ne pouvez pas vous comporter ainsi à l'égard de votre enfant.»
Pour ce qui est des compétences, je ne sais vraiment pas quoi vous répondre. Je ne pourrais sans doute pas reproduire mon cheminement pour quelqu'un d'autre, et je ne le voudrais pas. Je me suis toujours fondée à la fois sur le droit et sur la psychologie pour aider les enfants.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci beaucoup. Je vous remercie tous deux d'être venus.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Nous allons maintenant entendre M. Laurie Payne et M. John Barson, qui est directeur exécutif d'un groupe appelé Family Forum. Vous constaterez que ces deux personnes figurent séparément sur notre liste, mais de fait, elles auraient dû être ensemble. Nous allons commencer par M. Payne.
M. Laurie Payne (témoigne à titre personnel): Merci, monsieur. Bonjour, mesdames et messieurs.
J'ai résumé le plus possible ce que j'ai à vous dire. J'en ai pour une minute ou une minute et demie de mes cinq minutes; j'espère que vous ferez preuve d'indulgence.
Avant de commencer, j'aimerais dire, que contrairement à Mme Katherine McNeil qui a témoigné avant nous, dans mon univers ce ne sont pas seulement les enfants qui sont innocents, mais nous tous, les hommes, les femmes et les enfants, et nous sommes tous profondément blessés et chagrinés par ces questions.
Je suis un écrivain et un artiste. J'ai élevé seul trois enfants et j'ai perdu le quatrième par la faute des tribunaux.
Nous avons été séparés pendant six ans. Je ne vais pas vous raconter ce que j'ai souffert par la faute du système, et mon enfant a souffert encore plus que moi. Nous avons entendu un millier d'histoires comme la nôtre, l'histoire d'enfants drogués et emprisonnés pour avoir commis le crime de vouloir un père.
Je vais essayer de vous dire ce que je pense qu'il nous est arrivé à nous tous, hommes et femmes. Les hommes et les femmes sont entrés dans ce siècle au début de la révolution industrielle, ils se sont trouvés moins tributaires l'un de l'autre et plus attirés par les encouragements de l'industrie qui a fait des hommes les esclaves du système et des femmes les servantes de l'État.
Le mouvement féminin a contesté à juste titre ce rapport, qu'il considérait comme du déterminisme biologique; c'est-à-dire la théorie qui veut que, parce que les femmes ont un utérus, la nature les destinait à la reproduction et au désir sexuel. Les hommes justes ont appuyé cette opinion et aidé les femmes à refuser ce rôle. Aucune femme n'est née, d'après le mouvement féministe, pour être un jouet sexuel, une machine à faire des enfants ou l'instrument des visées procréatrices de l'homme. Nous avons reconnu ce droit, comme il se devait.
• 1355
Malheureusement, la notion de complémentarité des sexes a
persisté—c'est-à-dire que parce qu'un homme a la force physique,
l'énergie, l'endurance et l'ingéniosité, il doit servir de chair à
canon à l'État et de pourvoyeur aux femmes et aux enfants.
L'État et les valeurs commerciales ont érodé l'ancienne efficacité de la relation établie par le mariage, et le rôle des hommes est devenu aussi oppressif que celui des femmes. Il est temps maintenant que les hommes affirment, comme les femmes l'ont fait, que l'homme n'est pas né pour être le pourvoyeur ni le protecteur des femmes, des enfants ni de quiconque.
Tout comme dans le cas des femmes, cela ne signifie pas que les hommes ne vont pas faire ces choses, comme ils les ont faites pendant au moins six millions d'années, pendant qu'ils évoluaient sans gouvernement, de façon coopérative. Cela signifie simplement que les pressions du gouvernement pour les forcer à le faire sont injustes et inacceptables dans une société libre et démocratique. Il s'agit ici de gestes accomplis volontairement par des hommes libres et non pas des fonctions obligées de vassaux de l'État. C'est une question de liberté et d'égalité.
Aucun gouvernement n'oserait forcer les femmes à procréer, mais il force les hommes à subvenir aux besoins des autres. Cette coercition fait de la notion que les hommes sont des êtres inhumains, incapables d'amour et indifférents à leurs enfants le pivot du droit de la famille, et l'on considère qu'il faut les forcer à assurer le bien-être de leur progéniture.
Ce problème est dans une large mesure le résultat des actions d'un gouvernement qui est devenu l'outil du mercantilisme industriel, qui a divisé les hommes et les femmes quand il les a tous forcés à s'intégrer à la population active, sans considération pour les souffrances ainsi causées aux enfants.
En l'an 2000, le taux de divorce devrait atteindre 64 p. 100, ce qui signifie qu'environ 56 p. 100 des hommes mariés vivront sous le joug d'injustice, de douleur et de discrimination établi par le tribunal du divorce, dont le principe directeur est la croyance fausse et sexiste que les hommes sont des parents de second ordre. Dans 87 p. 100 des cas, ce mythe justifie le transfert aux femmes des enfants, de la maison et de la pension alimentaire.
Cette pratique infantilise les hommes au sein de leur mariage et, en conséquence, les hommes ont beaucoup plus à perdre que leurs conjointes, ils ne peuvent jamais avoir le dernier mot ni même se défendre adéquatement eux-mêmes. Cela entraîne de la violence des deux côtés. Il est maintenant difficile de trouver un homme de plus de 40 ans qui n'a pas perdu une résidence.
Voici une blague féministe. Combien d'hommes faut-il pour remplacer une ampoule au Canada? Réponse: Aucun. Les hommes au Canada n'obtiennent jamais la maison. Est-ce vraiment amusant?
La femme déclare: «Mon corps m'appartient, c'est à moi que revient la décision unilatérale en matière de reproduction», puis elle dit à l'homme de se tenir prêt dans l'éventualité où elle déciderait d'avoir un enfant, auquel cas il devra fournir un soutien pendant les 19 années qui suivront. Cela fait de l'homme un citoyen de troisième classe, un esclave du désir de reproduction féminin. Le contrôle absolu a pour corollaire l'irresponsabilité absolue.
Cela indique aussi aux pauvres mâles qu'il y a un prix d'entrée fixé par l'État pour être parent, et qu'il vaudrait mieux que les pauvres mâles s'abstiennent de copuler sinon—autrement dit, c'est le règne de l'eugénisme. Hitler aurait été content.
Un sexisme profond, issu du féminisme, entoure les questions de reproduction et d'éducation des enfants. Lorsqu'une jeune femme ne peut faire face à ses responsabilités parentales et souhaite se décharger de l'enfant, on ne la traite pas de mère indigne. Son permis de conduire n'est pas révoqué; elle n'est pas poursuivie par l'État. Au contraire, une société sympathique lui apporte aide et soutien. On parle d'adoption, de confier l'enfant à un foyer d'accueil.
Si un jeune homme se trouve dans la même situation, il est persécuté par l'État et rejeté par la société. On lui applique l'étiquette féministe de «mauvais payeur». Pourquoi ne condamnons-nous pas les mères négligentes?
Venons-en à quelques conclusions.
1) Compte tenu du passage des relations familiales aux valeurs commerciales, aucun gouvernement ne devrait intervenir dans le processus de reproduction humain ni dans le mariage.
2) Les lois sur le divorce et la garde devraient immédiatement être abrogées et remplacées provisoirement par:
(a) garde partagée obligatoire, moitié-moitié, en cas de divorce, à moins de motifs extrêmes qui justifient un autre arrangement. De la sorte, le divorce sera plus difficile à obtenir puisque les deux parties perdront autant l'une que l'autre. Cette mesure fera réfléchir les gens au sujet de la séparation.
• 1400
(b) Aucun soutien. Les conjoints paient les dépenses des
enfants quand ils sont avec eux et seulement quand ils sont avec
eux.
(c) Aucune paternité sans contrat. La paternité contractuelle est la paternité et uniquement la paternité, comme cela a été discuté, planifié, convenu et ratifié par acte notarié.
(d) Ces questions relèvent de la common law et non pas des lois sur le divorce.
3) Les injonctions ex parte et les injonctions restrictives permettent à des conjoints sans scrupule de changer de partenaires et d'expulser leur conjoint du domicile conjugal, en son absence et sans qu'il puisse se défendre. Cela équivaut à l'autorisation de voler et de kidnapper et, dans certains cas, mène à une violence sociale coûteuse et inacceptable. Si une femme n'est pas certaine de l'opportunité d'un tel changement, laissez-la s'imaginer qu'au retour d'une affectation de six mois, qu'elle a acceptée pour payer l'hypothèque et les biens essentiels, elle trouve une autre femme qui s'occupe de son foyer et de ses enfants, et qu'elle-même se voit interdire l'entrée de son domicile par la police sous prétexte d'allégations de violence.
4) Interdiction de vol «historique». De nombreux grands-parents hésitent à léguer leurs économies et leur domicile à leurs enfants en raison de mariages chancelants qui font que la moitié de tels héritages risque d'être accordée à un conjoint dans le cadre d'un divorce. Personne n'a le droit de réclamer une part des biens produits avant le début de l'union.
Bref, ces grands changements sont rendus nécessaires par l'importante évolution sociétale qui cause un préjudice aux hommes, aux femmes et aux enfants. J'ai assisté à de nombreuses réunions d'hommes. Il me serait impossible de vous relater toute la souffrance dont j'ai été témoin. Les hommes vivent actuellement une période extrêmement difficile, comme le prouve l'augmentation scandaleuse des taux de suicides chez les jeunes hommes. Avant la fin de la séance d'aujourd'hui, trois jeunes Canadiens de plus se seront suicidés.
Je suis vieux maintenant et je suis très malheureux de devoir présenter au comité un si triste bilan de la situation, mais une grande partie de ce que nous avons érigé dans notre culture ancienne et merveilleuse était erroné. Vous pouvez le constater sur nos visages, vous pouvez le constater en examinant les taux de divorce. Vous pouvez le constater dans les rapports entre les hommes et les femmes. Vous pouvez le constater dans la délinquance juvénile. Vous pouvez le constater dans les taux de suicide. Il est temps de corriger ces erreurs.
J'implore le comité de ne pas oublier que les hommes et les femmes forment une précieuse équipe. Ils ont encore besoin l'un de l'autre pour s'élever au-dessus du modèle compétitif de désunion des sexes que nous leur avons donné et pour le remplacer par un modèle de bienveillance, de justice, d'humanité et d'amour. Au bout du compte, il n'y a pas de questions féminines ni de questions masculines, il n'y a que des questions humaines.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci, monsieur Payne.
Nous passons maintenant à M. Barson, de Family Forum. Monsieur Barson, je me demande si vous pouvez nous dire un peu ce qu'est le Family Forum.
M. John Barson (directeur exécutif, Family Forum): Avec plaisir. Premièrement, je vous remercie infiniment de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui.
Family Forum est une petite organisation qui a été créée à la suite d'une émission radiophonique de tribune libre lancée en 1986. L'émission s'est d'abord appelée «Single parenting», puis «The Changing Family», et elle a finalement abouti à la publication de cahiers à colorier destinés à accroître l'estime de soi des enfants d'âge préscolaire. Nous avons ensuite diffusé au sein de la population les résultats d'études et les questions en matière familiale—nous avons créé un réseau, pour tout dire.
L'idée de l'émission m'est venue quand je suis devenu père. Quand j'ai fait la connaissance de mon fils, il avait 17 mois. Il vit à Bellingham, dans le Washington. Avant ce moment, je ne savais même pas que j'étais père. Cette journée a marqué ma vie. J'étais jeune à l'époque, j'étais présentateur de disques et je n'avais aucun souci. Je suis devenu père en un instant, et c'est ce qui pouvait m'arriver de mieux. Mon monde en a été transformé. Mon fils a maintenant 14 ans. Sa mère et moi sommes de très bons amis.
La moitié des études que j'ai apportées aujourd'hui sont le fruit du travail de la mère de mon fils au programme Head Start à Bellingham.
Je crois que le comité est sur la bonne voie et qu'il finira par trouver quelque chose d'utile dans toute la documentation qu'il rassemble actuellement—je sais que quelque chose de bon sortira de tout cela.
Essentiellement, mon travail a consisté à aider les parents à mieux comprendre leur importance mutuelle. Je n'avais aucune expérience avant de lancer mon émission radiophonique. Je suis tout simplement un père célibataire qui ne peut s'empêcher de réunir le plus d'information possible pour mieux faire son travail. Heureusement, je suis en mesure d'aider les autres à prendre aussi connaissance de cette information.
• 1405
J'ai apporté aujourd'hui un rapport. Est-ce que l'on a attiré
votre attention sur ce rapport intitulé «How Men and Children
Affect Each Other's Development»? C'est le produit des travaux du
Dr Kile Pruett, au Yale Child Study Centre.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Quelle est la maison d'édition?
M. John Barson: C'est un extrait d'une revue spécialisée aux États-Unis.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Laquelle? Pouvez-vous nous en donner le titre s'il vous plaît?
M. John Barson: Je savais que vous alliez me poser cette question.
Des voix: Oh, oh!
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Une question piège.
M. John Barson: J'ai essayé d'obtenir un exemplaire du rapport original pour le porter à la connaissance du comité. J'espérais que vos agents de recherche, les personnes qui effectuent ce genre de travail pour vous, seraient en mesure de communiquer avec le Yale Child Study Centre et d'en apprendre plus au sujet de ce merveilleux document. C'est une étude longitudinale qui compile les résultats de nombreuses études portant surtout sur le rôle des hommes dans l'éducation des enfants. L'auteur y traite au début de l'importance des enfants, de l'influence du père et de l'image affective que les enfants attribuent concrètement au père.
À l'époque où j'apprenais mon rôle de père, j'aimais mon fils plus que la vie elle-même. Un jour, il avait alors environ deux ans et demi, je me suis demandé pourquoi j'intervenais même dans sa vie. J'ai remis en question mon propre rôle dans sa vie. Comme bien des hommes à qui j'ai parlé au fil des ans, je suis tombé dans ce piège et j'ai pensé que, peut-être, je devrais disparaître, que peut-être je lui infligeais un stress inutile, de la douleur inutile.
Je le voyais deux heures par semaine. J'alternais constamment entre le chagrin de le quitter et, vers le milieu de la semaine, la joie de le revoir bientôt. Alors chaque semaine était un tourbillon d'émotions. J'étais aussi animateur d'une émission de tribune téléphonique à la radio, une fois par semaine, et je discutais de ces questions. C'était donc une époque très émotive pour moi.
Un jour, je suis allé chercher mon fils pour l'amener à Lynden, au Washington, afin de lui acheter une paire de baskets Nike. Je m'interrogeais à nouveau sur les raisons qui me poussaient à venir le rencontrer et à l'enlever à son cadre merveilleux, car sa mère est une personne extraordinaire. C'est une mère attentionnée. Elle étudiait à l'université à l'époque. Elle est travailleuse des services à l'enfance, comme je l'ai dit précédemment. À l'époque, elle faisait sa troisième année d'université, elle vivait dans une jolie maison, et mon fils ne manquait de rien. Il était entouré d'amour et d'attention et il avait à Bellingham tout un réseau familial. Et moi, un étranger, je venais et je l'arrachais à tout cela. Je commençais à remettre en question mon intervention, parce que j'étais moi-même si rempli d'émotions que je pensais que cela devait avoir un effet négatif.
Sur la route de Lynden, au Washington, il y a un grand cimetière juste à l'entrée de la ville. Mon fils, qui avait deux ans et demi, m'a dit «Papa, un cimetière». J'ai répondu «Oui, un grand cimetière». Il m'a dit «Grand-mère Charlotte est dans le cimetière.» Il parlait de son arrière-grand-mère, qui était morte l'année précédente. Il m'a dit «Grand-maman est au ciel». Et c'est là que j'ai dû répondre à ma première question de parent: Mon fils m'a demandé «Papa, qu'est-ce que c'est le ciel?»
Je ne suis pas très religieux. Je m'intéresse à la spiritualité, mais je ne suis pas religieux. Je ne m'étais jamais arrêté à définir le ciel auparavant. J'ai réfléchi un instant et j'ai répondu «Eh bien, je ne le sais pas, mais je pense que je sais comment on s'y sent. Je pense que c'est un peu comme—tu sais comment tu te sens lorsque tu es heureux et bien au chaud et que tout le monde t'aime?» Il m'a répondu, oui. Alors j'ai dit, «Je pense que c'est comme ça au ciel tous les jours.» Et il a rétorqué «Et on te donne du sucre?» J'ai répondu «Autant que tu en veux.»
Des voix: Oh, oh!
M. John Barson: Et nous avons poursuivi notre route. Nous avons acheté ses chaussures, puis nous nous sommes arrêtés comme d'habitude à une friterie non loin de l'aéroport avant que je le ramène à la maison. Nous avions notre poisson et nos frites et je l'installais dans son petit siège-d'auto. Je commençais ma routine de séparation, je me demandais «Pourquoi est-ce que je fais cela? Quel est mon rôle dans la vie de mon fils? Est-ce que je devrais continuer?»
Nous approchions de l'autoroute, et mon fils était très silencieux. Mon fils me ressemble un peu; il est plutôt extroverti. Il était si calme que j'ai jeté un oeil derrière moi et je l'ai vu qui reposait simplement dans son siège-d'auto, les sourcils un peu froncés. Alors que nous quittions l'autoroute, il m'a dit «Papa, je ne veux pas aller au ciel quand je serai mort. Je veux rester avec toi.»
Cette remarque a changé ma vie. Mon fils m'a fait prendre conscience que malgré tout l'amour de sa mère, malgré tout le soutien que sa famille élargie lui donnait, il avait besoin de ce que j'avais à lui offrir. C'est ce qu'il voulait de moi, il avait besoin de ce que j'avais à offrir—rien de mieux, rien de moins bien que ce que sa mère lui offrait, simplement ce que moi j'avais à offrir. C'est un équilibre. C'est vraiment ce que nous cherchons dans l'existence de nos enfants; nous cherchons un équilibre.
• 1410
À l'âge de six ans, mon fils sautait sur mon lit un jour quand
il a vu le livre de Bill Cosby sur la paternité. Il m'a dit «Papa,
regarde, c'est Bill Cosby.» J'ai répondu «Oui, c'est son livre sur
les pères.» Il s'est arrêté de sauter et il m'a regardé: «Un jour
je vais avoir un père.» J'ai eu l'impression qu'on m'enfonçait un
poignard dans le coeur. Je l'ai regardé. J'ai dit «Attends un peu,
c'est moi ton père.» Il m'a répondu «Papa, un jour maman va se
marier, n'est-ce pas?» J'ai répondu «Oui, cela se peut.» «Et si
elle se marie, alors son mari va venir vivre avec nous.» «Sans
doute.» «Alors s'il vit dans notre maison, il sera mon père.» Je
l'ai regardé et je lui ai dit «Et moi, alors?» Il m'a jeté ce
regard qui signifie que je n'ai rien compris et a rétorqué «Tu es
mon père.» Et c'était tout. «Tu es mon père.» Personne ne pouvait
remplacer son père.
J'espère que lorsque le comité déposera son rapport, les enfants du Canada auront l'occasion de dire «Tu es mon père.» C'est là tout ce que je souhaite.
Je crois que lorsqu'un enfant naît, il devrait avoir également accès à ses deux parents. Je crois qu'à la naissance, le nom des deux parents doit figurer sur le certificat de naissance. Je pense que cela devrait être prévu dans la loi que le nom des deux parents figure sur le certificat de naissance. Si la mère ne dit pas qui est le père, mais qu'un homme se présente n'importe quand, même si c'est dix ans plus tard, et affirme «Je suis le père de cet enfant», il faut prendre des mesures. Il est très facile de vérifier la paternité. Un simple test prouvera si cet homme est ou non le père de l'enfant, puis cet homme pourra prendre sa place dans la vie de l'enfant de façon enrichissante.
J'ai mentionné que j'avais un fils de 14 ans. J'ai aussi un fils de quatre mois que je n'ai jamais rencontré, et j'ai vraiment de la difficulté à accepter cela. Je n'avais jamais pensé que cela m'arriverait un jour. Je suis de ces gens qui déclarent que cela ne leur arrivera jamais. J'ai publié des cahiers à colorier pour les enfants. J'ai rédigé un livre que tous les conseillers en préparation au mariage utilisent aux États-Unis, et pourtant je me présente devant vous parce que je n'ai jamais rencontré mon fils. Je vous le demande, est-ce que c'est équitable? J'ai beaucoup à offrir à cet enfant, mais je dois me tourner vers les tribunaux pour pouvoir le faire. Je dois prouver que je suis le père. Je dois aller devant le juge et je dois espérer que le tribunal décidera que je suis un être responsable et que je peux voir mon enfant. Pourquoi me faut-il faire cela? Pourquoi dois-je enrichir un avocat pour pouvoir voir un enfant qui mérite de faire partie de ma vie? La raison en est que c'est la façon dont notre système fonctionne.
Merci.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci beaucoup.
Nous allons maintenant passer à la période de questions.
M. Paul Forseth: Vous êtes passé sans transition d'un concept à un autre quand vous avez dit que c'était la façon dont notre système fonctionnait. Permettez-moi de contester un peu cette affirmation, parce que ce sont des adultes qui ont décidé—peut-être—de faire un enfant. Il s'agit de la relation ou de l'absence de relation entre deux adultes. Cela n'a rien à voir avec le système, à cette étape. Nous avons créé certains systèmes pour aider les gens à régler les conflits ou les différends de façon plus ordonnée plutôt que de se taper dessus ou de se trucider avec des pistolets ou des sabres.
Au Parlement, l'allée fait la largeur de deux épées et demie, c'est un principe historique et cela un symbole. Notre système judiciaire est voué au règlement des différends, à l'administration de la justice, à la protection des victimes, etc.
Vous pouvez peut-être nous expliquer ce qui s'est passé avant que le système n'intervienne, comment vous vous êtes retrouvé dans une situation où vous avez maintenant un fils qu'on vous interdit de voir.
M. John Barson: Vous avez raison. Il faut être deux, et les deux personnes sont également responsables de la grossesse et de la naissance. Je suis d'accord. J'ai participé pleinement à la grossesse jusqu'à la veille de l'accouchement, et je n'avais aucune idée de ce qui se passait dans l'esprit de la mère de mon fils. Elle avait connu un autre homme avant moi—je ne veux pas entrer dans les détails de cette relation, mais je n'étais pas conscient, je n'étais pas attentif aux signaux d'alarme, si je pense à la façon dont notre relation a évolué et à la façon dont notre couple s'est défait. Tous mes amis m'ont dit qu'ils avaient vu les symptômes. L'amour est aveugle: je n'ai pas vu les symptômes, alors je ne m'y attendais pas.
• 1415
Quand je me suis rendu compte que quelque chose n'allait pas,
que je risquais de ne pas pouvoir voir mon fils, je me suis d'abord
adressé au médecin de famille et je lui ai demandé de me dire si
l'enfant était né. Il a fallu 45 minutes à ce médecin pour
finalement m'avouer qu'en effet, un enfant était né, et que c'était
un beau garçon en santé.
Le lendemain, après m'être un peu remis du choc, j'ai communiqué avec la famille de la mère. J'ai tenté de parler à la mère, à sa soeur et à sa cousine. J'ai parlé à tout le monde. Ils m'ont tous dit qu'ils allaient lui parler et faire leur possible.
Je me suis adressé aux services sociaux, parce que, quand elle m'a laissé, elle s'est tournée vers l'aide sociale. J'ai demandé si on pouvait faire quelque chose. Je me demandais si je pouvais fournir un soutien aux services sociaux, car je voulais commencer à connaître mon enfant. On m'a répondu que non, qu'on ne pouvait rien faire. On m'a dit que je devais m'adresser au tribunal de la famille.
Alors je me suis présenté au tribunal de la famille et j'ai rencontré un médiateur de ce tribunal. Le médiateur a adressé une lettre à la mère, qui n'a jamais répondu. Pendant l'entrevue, le médiateur m'a demandé si j'avais un fils. J'ai répondu que oui. Le médiateur m'a demandé si la mère voulait que je voie son fils. Je lui ai dit que non. Le médiateur m'a déclaré que si j'avais déjà un fils, je n'avais pas de raison de me donner tout ce mal.
Il s'agissait d'un médiateur du tribunal de la famille. Je vous le demande: Qu'est-ce qu'on peut répondre à cela? J'étais sous le choc. Je ne savais pas quoi dire. J'ai affirmé que je voulais voir mon fils simplement parce que c'était mon fils. Qu'est-ce que j'aurais pu dire? La médiation judiciaire n'a donc pas donné de résultat.
De fait, la mère est en thérapie. J'ai écrit une lettre à sa thérapeute, et sa thérapeute n'a jamais répondu. J'ai écrit une autre lettre à la thérapeute.
Entre-temps, sans que je le sache, la mère de mon fils à Bellingham avait écrit une merveilleuse lettre de soutien. Les enseignants de mon fils avaient écrit des lettres pour appuyer ma cause parce que j'avais beaucoup travaillé avec les enfants dans la classe de mon fils. J'avais toutes ces lettres de soutien, parce que la thérapeute de la mère de mon deuxième fils ne me connaissait pas, mais d'autres personnes me connaissaient. Ce sont donc ces personnes qui m'ont rédigé des lettres d'appui.
J'ai présenté ces lettres, avec la mienne, à la thérapeute, une psychologue de renom, je peux le dire, et une spécialiste bien connue de la psychologie de l'enfance. La thérapeute ne m'a pas appelé, alors j'ai écrit une troisième lettre et j'ai menacé de réclamer la garde, etc., si on ne me donnait pas signe de vie, parce que je ne savais pas ce qui se passait.
Elle m'a téléphoné, ou du moins elle a tenté de me téléphoner et elle a laissé un message sur mon répondeur, mais elle n'a pas donné de numéro pour que je la rappelle. Évidemment, je connaissais son adresse puisque je lui avais écrit. Alors je me suis présenté chez elle et j'ai frappé à sa porte. Il me répugnait d'agir ainsi, mais elle ne répondait pas.
Nous avons discuté pendant une heure. Elle m'a offert d'intervenir comme médiatrice au nom de l'enfant. Elle m'a dit de ne pas me faire de souci parce qu'elle veillerait au bien-être de l'enfant. Elle m'a déclaré qu'elle croyait vraiment que je devrais être présent dans la vie de l'enfant, etc. Elle a dit qu'elle communiquerait avec moi sous peu.
Cela se passait il y a deux mois. Je n'ai toujours pas eu de nouvelles.
Je suis donc ici devant vous et je cherche à tout prix à éviter les procédures judiciaires. Je ne veux pas me tourner vers le système. Je ne veux pas faire intervenir la justice. C'est la raison pour laquelle j'affirme: Je ne pense pas que cela devrait se produire. Je pense que l'autre parent devrait être tenu de se présenter en médiation ou, du moins, de répondre de telle sorte que les deux parents puissent se parler et commencer à régler le problème de façon non accusatoire.
M. Paul Forseth: Je me posais une petite question. Vous connaissez le système: Il est peut-être difficile de répondre à quelqu'un qui avait des plans il y a deux ans. Le plan était peut-être déjà dressé quand on vous a rencontré.
M. John Barson: Le médecin m'a demandé si je croyais que j'avais été utilisé comme donneur de sperme et, dans cette éventualité, ce que j'en pensais.
M. Paul Forseth: On semble de plus en plus croire que la société peut accepter cette façon de faire. Il s'agit peut-être d'un moyen très légitime de fonder une famille, simplement de trouver un donneur de sperme et le tour est joué.
M. John Barson: Eh bien, monsieur Forseth, personnellement, j'essaie de décider... La mère a une fille adoptive et, apparemment, elle cherche à rétablir sa relation avec son ancien mari, qui est stérile. Ce que vous proposez, je n'en ai aucune preuve, mais j'ai maintenant un enfant dans une famille complète, dans une autre relation.
Sur le plan émotif, je suis déchiré. Sur le plan émotif, je veux faire partie de la vie de cet enfant, mais je pense à l'enfant et à ce qui lui convient. Je regarde les études que j'ai rassemblées et je me dis que si l'enfant est dans une famille extraordinaire, avec deux parents, c'est une chance, mais est-ce que cette relation est vraiment stable s'il a fallu procéder ainsi pour faire cet enfant?
M. Paul Forseth: Merci.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Sénatrice Cools.
La sénatrice Anne Cools: Merci, monsieur le président. J'aimerais remercier nos deux témoins et souligner certains des faits nouveaux qu'ils nous ont présentés.
Avant de le faire, j'aimerais demander à monsieur Barson s'il a apporté d'autres études au sujet... Je pense que le thème est l'absence de père. Il faut cesser d'utiliser des euphémismes et examiner ce qu'est l'absence de père, un des grands problèmes de l'Amérique du Nord. Alors si vous pouvez nous laisser un exemplaire de ce document...
M. John Barson: Merci.
La sénatrice Anne Cools: Est-ce que vous pouvez nous donner d'autres titres d'ouvrages que vous avez apportés. Si vous pouviez nous lire les noms des auteurs et les titres des documents pour que nous les inscrivions dans le procès-verbal, cela nous faciliterait un peu la tâche.
M. John Barson: J'ai apporté ce premier document produit par Kile Pruett, au Yale Child Study Centre. Une partie de son étude porte sur l'influence des pères chez les enfants en très bas âge.
Pour appuyer ces travaux, j'ai aussi apporté un exemplaire de—je l'ai reçu la semaine dernière de Baltimore—la dernière analyse consacrée au programme Head Start dans cette ville. L'auteur montre le taux de mortalité infantile et la très forte diminution de ce taux lorsque l'on fait participer les hommes des quartiers pauvres à la vie de leurs enfants.
La sénatrice Anne Cools: Très bien.
M. John Barson: Je pense que ces travaux sont remarquables. Je sais bien que les quartiers pauvres de Baltimore ne sont pas les quartiers pauvres de Vancouver, mais le fait demeure, les hommes sont les hommes; les pères sont encore des pères. J'ai donc apporté le document intitulé Head Start, y compris les données les plus récentes.
Le rapport du Dr Kile Pruett porte sur une douzaine d'études distinctes qui ont été réalisées au cours des 20 dernières années. C'est la compilation de travaux, y compris l'étude longitudinale qu'il a lui-même réalisée sur une période de dix ans, au sujet des pères, de la transition entre l'homme et le père, de ce que nous savons actuellement sur les soins dispensés par le père, sur l'importance des soins dispensés par le père aux bébés—on trouve dans ces travaux que cela est effectivement important—et sur les effets positifs de la participation des hommes au développement des enfants.
Les chercheurs examinent les stéréotypes, les attentes, les rôles et les divers modes de paternité. Mais ce qui compte vraiment, c'est la discussion au sujet des pères comme principaux fournisseurs de soins, par opposition aux pères chefs de famille monoparentale et aux beaux-pères.
En outre, si je peux ajouter un mot, parce que je reconnais que divers groupes ont signalé ou ont fait valoir le concept que bien des hommes sont violents et que les femmes en ont peur, ce rapport contient des études de cas au sujet d'hommes qui viennent de familles où il y a eu de la violence sexuelle. Les auteurs prouvent que ces hommes, s'ils participent dès la naissance, dès le début de la vie de l'enfant, sont beaucoup moins susceptibles de récidiver. Je pense donc que l'information est viable.
La sénatrice Anne Cools: Très bien. Nos agents de recherche pourront peut-être commencer à compiler des listes de bibliographie. Je connais le domaine; je connais ces études dont vous parlez.
Le plus important indicateur du bien-être de l'enfant est la participation des pères à l'existence des enfants.
M. John Barson: En effet.
La sénatrice Anne Cools: Je m'intéresse à la question depuis bien des années.
• 1425
Vous avez soulevé quelques nouvelles questions aujourd'hui, et
je pense que M. Payne a aussi fait une allusion en ce sens au sujet
du contrat de reproduction. Nombre d'entre nous travaillons depuis
des années à libérer le domaine de la reproduction et à des projets
de ce genre, et je ne suis pas certaine que cela soit ce dont
M. Payne parlait. Souvent, cependant, quand les mariages
s'écroulent, il arrive que certaines personnes décident de faire un
enfant pour consolider leur pouvoir. De toute façon, cette question
a déjà été soulevée.
Un autre point a été mentionné hier, et j'aimerais simplement le rappeler. Lors de notre rencontre officieuse à Victoria, trois personnes nous ont fait part de cas où des avortements ont été effectués pendant le mariage sans que le partenaire n'ait été consulté, ce que je considère comme une décision fort grave.
Je tenais à signaler ces deux questions nouvelles qui se dégagent.
Outre cela, je veux simplement remercier les témoins d'être venus aujourd'hui et de mener des recherches de ce type et de cette qualité.
Je veux aussi ajouter qu'il n'y a pas de familles monoparentales. Il y a peut-être des ménages où il n'y a qu'un seul parent, mais tous les enfants ont deux parents.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci, madame la sénatrice.
Je vous remercie tous deux d'être venus aujourd'hui. La discussion a été fort intéressante.
Je vais maintenant lever la séance cinq minutes pour donner à notre personnel un bref répit. Nous allons reprendre dans environ cinq minutes.
Merci beaucoup.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Nous reprenons la séance et nous allons entendre M. Dutton, professeur au Département de psychologie de l'Université de la Colombie-Britannique.
M. Donald Dutton (professeur au département de psychologie, Université de la Colombie-Britannique): Merci. Je vais être assez bref, car nous étions tous deux sous l'impression que nous avions droit à une demi-heure chacun, alors nous allons nous partager le temps alloué.
Madame la sénatrice Cools m'a demandé de venir témoigner devant le comité, et elle voulait que je mentionne deux ou trois points. Je suis psychologue de recherche. Je m'intéresse aux causes de la violence dans les relations intimes. Comme je suis psychologue, j'interprète évidemment les faits suivant une grille psychologique.
J'ai rédigé, en 1994, un document intitulé «Patriarchy and Wife Assault: The Ecological Fallacy». Dans ce document, je critique surtout les points de vue sociologiques et féministes sur la violence à l'égard de l'épouse et la violence familiale. J'ai écrit ce document pour les raisons suivantes.
J'ai soutenu, en premier lieu, que les données d'un certain nombre d'enquêtes réalisées aux États-Unis et au Canada—notamment l'enquête de Statistique Canada, qui cite des taux d'incidence quelque peu supérieurs à ceux de toutes les autres études qui ont recueilli des données sur la violence familiale et qui porte en outre uniquement sur la violence à l'égard des femmes—indiquent toutes que la majorité des hommes, environ 75 p. 100 des hommes, de fait, ne sont jamais violents pendant toute la durée du mariage, d'après leurs conjointes, interrogées par des intervieweurs féminins dans le cadre de ces travaux, qu'un sous-groupe se livre une fois à la violence et qu'un sous-groupe plus petit s'y livre de façon répétée.
Puisque tous ces hommes ont grandi au sein de la même culture de socialisation, il est difficile d'expliquer d'un point de vue sociologique de telles différentes. Pourquoi est-ce que certains hommes ne sont jamais violents alors que d'autres le sont fréquemment?
Cette question me paraissait l'un des problèmes que pose le point de vue féministe, parce que, comme vous le savez, ce point de vue repose essentiellement sur la socialisation et considère que la violence à l'égard de l'épouse est une conséquence de la socialisation.
J'ai aussi attiré l'attention sur le fait que dans les études consacrées aux relations homosexuelles, en particulier des relations entre femmes, les taux de violence physique, sexuelle et psychologique sont tous plus élevés que ceux signalés dans les relations hétérosexuelles, et que cette conclusion est difficile à concilier avec le point de vue féministe puisque nous avons évidemment affaire ici à des relations entre deux femmes.
L'étude à laquelle je fais allusion, réalisée par Lie, Schilit, Bush, Montague et Reyes, portait sur un échantillon de 350 lesbiennes qui avaient vécu des relations antérieures aussi bien avec des hommes qu'avec des femmes, et qui pouvaient donc aussi répondre à des questions de contrôle. Les auteurs de l'étude ont signalé des taux de violence plus élevés dans les relations antérieures avec des femmes que dans les relations antérieures avec des hommes.
L'explication facile de ce phénomène est que d'une certaine façon la femme adopte un rôle «masculin» et représente l'élément dominant, mais les données n'appuient pas cette explication parce que dans des études consacrées aux rapports de force dans les familles nord-américaines, seulement environ 9 p. 100 des familles signalent que l'homme est l'élément dominant de la famille. Environ 7 p. 100 mentionnent que la femme est l'élément dominant. Dans toutes les autres familles, soit que le pouvoir est également réparti, soit que chaque partenaire l'exerce unilatéralement dans des «sphères distinctes».
Pour ces diverses raisons, j'ai soutenu que nous avions vraiment besoin de nous pencher plus attentivement sur le fait que la violence intime touchait les relations intimes et que, par conséquent, l'intimité présentait des caractéristiques que la sociologie n'avait pas relevées.
• 1445
Certaines personnes grandissent dans des familles qui sont
peut-être violentes sur le plan physique mais en outre
dysfonctionnelles de diverses façons. Les deux grands types de
violence qui accompagnent la violence physique dans la famille
d'origine sont, en premier lieu, l'humiliation des enfants par un
des parents. On dit aux enfants qu'ils sont des bons à rien, qu'ils
n'arriveront jamais à rien dans la vie. Ce type de violence émotive
a, d'après nos travaux, autant d'incidence que le fait d'être
concrètement témoin ou victime de violence physique. Deuxièmement,
dans les familles de ce genre, l'enfant ne peut pas établir un lien
sûr avec la mère. La mère elle-même est confrontée à la violence,
dans la plupart des cas la violence de l'époux.
Par conséquent, les enfants vivent une expérience à trois volets: ils sont victimes de violence physique, ils sont humiliés et convaincus de leur ineptie et ils souffrent de la fragilité du lien avec leur mère. On produit ainsi un adulte qui éprouve une grande excitation et d'énormes problèmes émotifs dans les relations intimes, se méfie énormément du partenaire au sein de la relation, transforme ces sentiments en colère au sein de la relation et constitue ce que, dans mes travaux, j'appelle une personnalité violente. C'est le genre de personne qui se livre à la violence à répétition.
Je devrais préciser que mes travaux portent sur la violence chez les hommes parce que les seuls sujets que l'on pouvait trouver pour ces études pendant les années 70 et 80 au Canada étaient des hommes reconnus coupables de voies de fait contre leur épouse. Par conséquent, ils nous étaient envoyés.
Je sais maintenant que des travaux de ce type sont consacrés à la violence chez les femmes, surtout aux États-Unis. De fait, il y a à Salem, en Oregon, un groupe qui étudie la violence chez les femmes et auquel nous élargissons actuellement nos modèles psychologiques.
Pour ce qui est du lien avec les questions de garde et de divorce, j'ai de temps à autre été appelé comme expert dans des procédures de garde ou de divorce, lorsqu'il y avait allégation de violence. À mon avis, ces cas doivent vraiment être étudiés chacun séparément.
Si l'on examine le produit de nos travaux de recherche, le modèle le mieux adapté est évidemment celui de la famille intacte, mais cela suppose deux parents non violents. Si vous n'avez pas cette base, si l'un des parents est violent, alors il me semble que l'enfant devrait habiter avec le parent non violent. La question se ramène alors à déterminer si la violence du parent violent sera dirigée vers l'enfant ou se limite à la relation avec le conjoint. Les études semblent indiquer que les deux peuvent se produire. Pour cette raison, à nouveau, je pense qu'il faut examiner chaque cas isolément dans de telles affaires. On ne peut pas régler ces situations en termes de différence entre les sexes, etc., cela ne donne pas de bons résultats.
Je viens de vous exposer très rapidement le fruit de 12 années de recherche, mais je comprends qu'il nous faut procéder assez rapidement, alors je vais maintenant laisser la parole à mon collègue, puis nous répondrons tous deux à vos questions.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): M. Kruk est membre de la Faculté de travail social à l'Université de la Colombie-Britannique. Monsieur Kruk, nous vous écoutons.
M. Edward Kruk (professeur à la Faculté de travail social, Université de la Colombie-Britannique): Merci. Premièrement, je suis heureux d'avoir l'occasion de m'adresser au comité ce matin. J'ai essayé de ramener à cinq ou dix minutes un exposé d'une vingtaine de minutes. J'ai appris ce matin que je n'aurais droit qu'à cinq minutes. Quelque chose m'a vraisemblablement échappé.
Je suis en outre conscient qu'à ce moment de la journée, les gens commencent à penser au déjeuner, et je ne veux pas vous retenir.
Je voulais résumer certains travaux de recherche dans mon domaine de spécialisation et vous présenter quelques recommandations.
Vous avez certainement un immense défi à relever. Vous avez entendu des témoins de tous les horizons, des gens qui ont des points de vue politiques divergents, et vous devez trier une énorme quantité d'information irréconciliable. Il me semble toutefois y avoir un certain consensus entre tous les groupes—la plupart des groupes—qui sont venus témoigner devant vous. Je veux parler de la considération primordiale dans le domaine de la garde, qui doit être les besoins et le bien-être de l'enfant.
• 1450
Nous reconnaissons tous que nous avons des obligations morales
face à nos enfants. C'est la définition de ce qui constitue
«l'intérêt supérieur de l'enfant» qui nous cause des difficultés et
où le désaccord est le plus marqué. J'aimerais vous proposer de
fonder vos délibérations finales sur cette question sur le fait que
les besoins des enfants du divorce sont particuliers et distincts
de ceux de leurs parents. Nous causons un grave préjudice à nos
enfants lorsque nous les traitons comme s'ils avaient les mêmes
besoins, c'est pourtant ce que nous faisons aujourd'hui.
Je travaille auprès des enfants et de leurs familles depuis plus de 20 ans. Au cours des 12 dernières années, je me suis spécialisé dans le domaine du divorce et de la garde d'enfants. J'ai pu constater qu'en matière de divorce, pour la majorité des enfants du divorce, nous possédons maintenant un important corpus de données de recherche d'où se dégagent les trois principaux facteurs de l'adaptation des enfants au divorce. Dans le document que je vous ai distribué—j'espérais pouvoir utiliser un rétroprojecteur—je les mentionne: une relation constante et significative entre les enfants et leurs deux parents; le bien-être économique; la collaboration entre les parents, qui évitent d'utiliser les enfants pour alimenter le conflit.
On ne s'entend guère au sujet de l'importance relative de chacun de ces facteurs. Vous avez entendu des témoignages qui favorisent l'un ou l'autre. Pourtant, une approche plus logique, à mon avis, serait de reconnaître que tous trois sont essentiels à l'adaptation des enfants au divorce.
Le plus important, à mon avis, c'est qu'il est possible et réaliste dans la majorité des familles canadiennes de satisfaire à ces trois conditions pour les enfants du divorce. Nous devons chercher des solutions qui intègrent ces trois facteurs.
En ce qui concerne la pension alimentaire pour enfants, nous avons maintenant dans notre pays une loi beaucoup plus progressiste qui reflète plus fidèlement le coût de l'éducation des enfants pour les familles divorcées dans une situation où une baisse du niveau de vie est inévitable, puisqu'il y a maintenant deux ménages à faire vivre. Je vais donc mettre l'accent sur les deux autres facteurs.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Monsieur Kruk, le sénateur Perrault a accepté de vous céder le temps qui lui est alloué. Vous avez donc cinq minutes de plus pour nous présenter votre exposé.
M. Edward Kruk: Merveilleux, merci beaucoup. Je peux donc ralentir un peu.
La grande tragédie du divorce au Canada aujourd'hui c'est, en premier lieu, le fait que les enfants sont beaucoup trop souvent au centre du conflit de leurs parents et, deuxièmement, la rupture des rapports entre les parents et l'enfant. Certains d'entre vous savent peut-être que j'ai effectué des travaux sur le phénomène de l'absence de père après le divorce, je vais donc parler d'abord de cet aspect.
Ceux qui travaillent dans le domaine de l'affliction et de la perte disent qu'il n'y a vraiment rien de pire que de perdre un enfant, quelle que soit la façon dont cela se produit, mais en fait il y a bien pire encore: pour un enfant, la perte d'un parent qui a toujours été une présence aimante dans sa vie, la perte d'un parent qui fait partie de l'identité même de l'enfant, qui est un élément intégral de sa personnalité.
Je ne veux pas dire que tous les parents qui cessent de voir leurs enfants sont des parents aimants et engagés, mais quand il y a divorce, c'est la grande majorité des cas. C'est une réalité que nous avons oubliée.
Pour vous donner une idée des proportions épidémiques de l'absence des pères, une étude américaine bien connue, réalisée à partir des données du recensement national, une très importante base de données, et d'un échantillon représentatif a conclu que plus de 50 p. 100 des enfants finissent par perdre tout contact avec les pères qui n'ont pas la garde. Les taux canadiens sont similaires. J'ai glissé une citation de Frank Furstenberg dans la documentation que je vous ai remise.
Pensez-y bien. La moitié des enfants dont la mère a la garde exclusive perdent tout contact avec leurs pères.
Dans le troisième document, je cite certaines des données récentes de Statistique Canada, qui nous dit que dans environ 70 p. 100 des divorces au Canada les mères obtiennent la garde exclusive et les pères deviennent des parents qui n'ont pas la garde. Alors dans 35 p. 100 de tous les divorces qui touchent les enfants au Canada, les enfants perdront contact avec leurs pères.
Mon quatrième document révèle qu'en 1994 au Canada, d'après Statistique Canada, il y avait 47 667 enfants à charge pour qui le tribunal du divorce a pris une décision relative à la garde. 33 164 de ces enfants ont été confiés à la garde exclusive de leur mère et les pères sont devenus des parents visiteurs. Il y a donc chaque année, au Canada, 16 582 enfants du divorce qui perdent contact avec leur père—16 582.
• 1455
Mais cela ne donne pas une juste idée de la situation, et
c'est bien là le drame. Il ne s'agissait pas de pères qui
négligeaient leurs enfants—tout au contraire. La constatation la
plus remarquable que j'ai faite pendant les 12 années que j'ai
consacrées à la recherche sur le divorce—et je peux vous dire que
mes travaux sur l'absence des pères ont été repris par un certain
nombre de spécialistes du divorce au Canada, aux États-Unis et au
Royaume-Uni—est que les pères qui participent le plus à la vie de
leurs enfants, ceux qui sont le plus attachés aux enfants et ceux
qui exercent sur eux le plus d'influence pendant le mariage sont
ceux qui sont le plus susceptibles de perdre tout contact avec les
enfants après un divorce. J'ai consacré un de mes ouvrages, Divorce
and Disengagement, à l'examen de cette constatation surprenante.
Par ailleurs, alors que les pères qui n'ont pas la garde sont privés du droit de participer à la vie de leurs enfants, les études consacrées à l'exercice de la garde exclusive par les mères concluent que les mères sont surchargées de travail, épuisées par cette responsabilité sur les plans physique et émotif, et souvent isolées sur le plan social.
Le deuxième facteur de détresse chez les enfants après un divorce est le fait que les enfants sont au coeur du conflit entre leurs parents. Les divorces au Canada aujourd'hui se font par l'entremise de ce que nombre d'entre nous appellent l'industrie du divorce. L'expression «industrie du divorce» est tout à fait opportune—il s'agit d'une bureaucratie démesurée qui ne cesse de croître, qui a pris énormément d'envergure depuis une dizaine d'années et qui continue de grandir. Les avocats, les juges, les greffiers des tribunaux, les sténographes judiciaires, le personnel de soutien, les médiateurs, les psychologues, les évaluateurs spécialistes des questions de garde—la liste n'en finit plus. Toutes ces personnes, plusieurs milliers au pays, doivent leur subsistance à un système accusatoire qui, dans les faits, prolonge, exacerbe et alimente le conflit parental et maintient les enfants au centre de ce conflit.
Dans le système actuel, les affaires liées à la garde d'enfants représentent, pour emprunter les mots d'un chercheur juridique de renom, l'une des transactions les plus explosives, les plus hostiles et les plus destructives qui se fasse devant les tribunaux. La conséquence directe du divorce accusatoire prend la forme de phénomènes comme l'absence d'enfant et l'aliénation parentale d'une part, la violence conjugale de l'autre. Les pères font face à la menace de perdre leurs enfants; les mères, dans le cadre d'un divorce accusatoire, font face à la menace de violence au sein d'un système qui ne les protège guère.
J'ai apporté quelques statistiques. Dans le système accusatoire, c'est au cours de la transition liée au divorce que les femmes sont le plus à risque d'être blessées ou assassinées: 46 p. 100 des voies de fait se produisent après la séparation, et 73 p. 100 des femmes battues qui requièrent des soins médicaux d'urgence sont blessées après une séparation. Et cela s'inscrit dans le cadre accusatoire actuel.
Si votre objectif, en tant que comité, est de protéger les intérêts des professionnels du divorce, je vous le dis, ne faites rien; ne changez rien au statu quo. Je vous préviens que de rendre le divorce moins accusatoire n'est pas une bonne idée pour diverses raisons: les gens ont besoin d'une soupape de sécurité; l'intérêt supérieur de l'enfant est essentiellement la même chose que celui des parents; bien des gens tirent leur subsistance du régime de divorce accusatoire.
Si, par contre, vos délibérations sont axées essentiellement sur les besoins des enfants, je vous présente trois recommandations. Je n'en ai que trois. Mais je vous les présente avec une très grande conviction. Chacune de ces recommandations, à mon avis, correspond à un domaine où une réforme s'impose de toute urgence.
Premièrement, parce qu'il y a tant d'écarts dans notre société dans la façon dont les hommes et les femmes s'acquittent de leurs rôles parentaux, toute solution à «taille unique» en matière de garde d'enfants, qu'il s'agisse de la garde partagée ou du principal fournisseur de soins, crée des difficultés. Les travaux de recherche nous révèlent que les enfants s'en tirent mieux lorsque l'entente cherche à reproduire le plus exactement possible les relations qui s'établissaient entre les parents et l'enfant avant le divorce, dans un climat de coopération optimale entre les parents.
La voie à suivre, selon un nombre croissant d'observateurs, est l'approche du plan d'éducation en matière de garde d'enfants, une formule qui a déjà été utilisée dans certains États américains, au Royaume-Uni et en Australie. Dans cette approche, la loi prévoit que les parents en cours de divorce doivent dresser un plan d'éducation détaillé, qui assure le maintien des rapports préexistants entre parents et enfants et une approche coopérative de l'éducation des enfants, avant que le juge ne prononce le divorce.
Le plan d'éducation, comme vous le savez, est une entente détaillée sur le partage des responsabilités parentales, y compris les accords précis qui concernent le temps passé par l'enfant dans chaque ménage, le calendrier de vacances, les modalités de prise de décisions et la répartition des coûts. Cela nécessite une négociation et le règlement du conflit de façon non accusatoire. Lorsque cette approche est utilisée, le rôle du tribunal ainsi que les rôles des avocats, des médiateurs et des autres intervenants sont modifiés. Chacun conserve néanmoins une fonction essentielle dans le processus de transition familiale.
Ce qui compte surtout, c'est que la gestion du processus de transition familiale incombe non plus aux professionnels du divorce mais plutôt aux deux intéressés. Cette approche reconnaît la capacité des parents d'élaborer leurs propres ententes, leur capacité de collaborer plutôt que de se faire concurrence auprès des enfants, et prévoit une sanction sociale et un encouragement à participer au processus et à obtenir des résultats. Elle reconnaît que les parents sont les personnes les plus compétentes dans ce contexte. Il s'agit d'une approche mitoyenne entre la garde partagée et la garde exclusive.
• 1500
Ma deuxième recommandation est la suivante. Il nous faut
contester l'approche prudente que le gouvernement adopte pour
faciliter le recours à la médiation. Il nous faut promouvoir
activement cette option. Il y a suffisamment de données qui
prouvent l'efficacité de la médiation dans les compétences où la
médiation est obligatoire en vertu de la loi. Les gens ont besoin
d'un encouragement pour recourir à la médiation. Si l'une ou
l'autre des parties à un divorce croit qu'elle peut obtenir plus
dans le cadre d'une procédure judiciaire, elle ne recourra pas à la
médiation ou n'y participera pas honnêtement.
La médiation doit être préconisée pour pouvoir s'imposer. Il faut que la loi prévoie la médiation obligatoire dans les cas de divorce qui touchent des enfants, sauf dans les situations où elle est contre-indiquée.
Finalement, cessons de faire des reproches aux parents et d'adopter une attitude fataliste en ce qui concerne leur capacité de mettre de côté leurs conflits conjugaux quand il s'agit des enfants. Nous avons besoin d'admettre honnêtement que notre industrie a fait du tort aux enfants de notre société. Il existe bien sûr des spécialistes du divorce qui se conforment à des principes très stricts, mais la plupart de ceux qui oeuvrent dans le domaine acceptent d'emblée le cadre accusatoire dans lequel ils travaillent et tirent profit d'un mal nécessaire.
Je crois qu'il nous faut rejeter carrément ce cadre. Il nous faut transformer radicalement la culture et la procédure du divorce, adopter des concepts entièrement différents en ce qui concerne les rôles assumés par les professionnels du divorce, qui devraient se considérer comme des partenaires et non pas comme des opposants, pour créer une nouvelle approche de l'exercice des responsabilités parentales après un divorce.
En tant que médiateur, j'ai pu constater que lorsque l'on parvient à établir un certain niveau de confiance et de respect entre les parties, les autres questions se règlent facilement. Ce n'est pas le cas lorsque le divorce est accusatoire, car les questions simples deviennent rapidement des problèmes insurmontables. Faut-il le préciser, vous pouvez vous attendre à une forte opposition si vous commencez à modifier le cadre accusatoire dans le domaine de la garde d'enfants. Vous ferez face à des groupes très puissants qui ont tout intérêt à maintenir le statu quo, en particulier quand il s'agit de l'exercice de leur profession d'un point de vue accusatoire.
Mais posez-vous cette question: Où en sommes-nous arrivés? Dans le processus accusatoire, la violence conjugale, le refus de droit de visite, l'aliénation parentale et l'absence de père sont des maux répandus. Les hommes se tournent contre les femmes battues et refusent de reconnaître leurs épreuves, les femmes accusent des hommes qui pleurent la perte de leurs enfants et elles nient la douleur qui en découle.
Pire encore, nous voyons des parents qui refusent de voir la douleur de leurs enfants. Nous voyons des enfants pris au coeur des conflits parentaux et nous voyons de nombreux enfants qui perdent un de leurs parents. Lorsqu'il s'agit d'enfants, une seule attitude s'impose, et c'est la compassion. L'absence de compassion est vraiment, à mon avis, ce qu'il nous faut déplorer.
Nous aurions tort de reprocher aux parents la situation dans laquelle nous nous trouvons maintenant. Nous avons tort d'adresser des reproches à des personnes qui traversent ce qui est généralement la pire crise de leur vie, qui entament une procédure de divorce dans un tourbillon d'émotions et qui ont effectivement besoin d'accuser, de montrer du doigt le partenaire et de réciter une litanie de fautes. Si nous reconnaissons à quel point les parents en cours de divorce sont vulnérables et si nous faisons tout en notre pouvoir pour donner un résultat positif à l'expression de leurs émotions, alors je pense que nous allons dans la bonne direction. Ce n'est qu'alors que nous pourrons commencer à affirmer que nous nous acquittons de nos obligations morales à l'égard de nos enfants.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci infiniment.
Nous allons commencer la période de questions. Sénatrice Chalifoux.
La sénatrice Thelma Chalifoux: Merci beaucoup à tous deux. Vous nous avez présenté un exposé extrêmement intéressant au sujet des études qui ont été réalisées, mais j'aimerais vous poser à tous deux une question au sujet des collectivités autochtones, en particulier dans le Canada central—et j'espère que vous savez de quoi je parle. Il s'agit de la région qui va des Territoires du Nord-Ouest jusqu'aux environs du lac des Esclaves, en Alberta, puis tout droit. On l'appelle le Canada central parce que c'est là que... Les gens qui vivent dans cette région ont très peu de communications avec les autres et la culture accuse un sérieux retard... Les habitants ont subi la révolution industrielle sans aucun soutien social. J'aimerais savoir si vous avez effectué des recherches au sujet de ces collectivités autochtones. J'en ai fait un peu dans le cadre de mes fonctions, et la situation me paraît scandaleuse.
En outre, en ce qui concerne les nouveaux immigrants qui arrivent dans notre pays et les différences culturelles, est-ce qu'il existe des études? Je pense qu'il est très important que nous tenions compte de ces aspects pour examiner la loi.
Par ailleurs, est-ce que vous avez mené des études sur la famille étendue et sur son importance comme refuge pour les enfants? De quelle façon utiliseriez-vous ces trois études—si elles existent—pour en intégrer les conclusions à la loi?
M. Edward Kruk: J'aimerais faire quelques commentaires au sujet du processus de médiation, parce que je crois que c'est tout à fait pertinent dans ce contexte.
Ce que nous savons, c'est que les collectivités autochtones—y compris celles du Canada central—ont généralement une merveilleuse tradition de pacification et de règlement des différends qui comprend déjà des modèles de médiation.
Malheureusement, les médiateurs de la culture dominante interviennent et essaient d'imposer, du haut vers le bas, un modèle de médiation axé sur le règlement qui met l'accent seulement sur la nécessité d'aider les gens à régler leur conflit plutôt que d'examiner véritablement d'autres objectifs valables qui sont peut-être plus importants dans le contexte des collectivités autochtones, par exemple le rétablissement de l'harmonie, une orientation collectiviste plutôt qu'individualiste du règlement des conflits familiaux, y compris le divorce, afin que toute la collectivité participe au règlement du conflit.
Les milieux de la médiation commencent à examiner cette question et à reconnaître les limites de l'approche générique de la médiation, l'approche axée sur le règlement et le préjudice que cela peut causer dans certains contextes, tant chez les Premières nations qu'en règle générale dans un contexte interculturel. On commence à vraiment examiner les collectivités elles-mêmes pour proposer... Il faut maintenant s'inspirer des modèles des Premières nations en matière de pacification, par exemple, et appliquer leurs principes à un contexte familial. Le besoin de former des médiateurs au sein de ces collectivités est vraiment considéré comme une priorité.
Pour ce qui est de la famille élargie, j'ai effectué certaines recherches sur l'effet du divorce sur les grands-parents. J'ai publié un certain nombre d'articles dans ce domaine. Je pense avoir produit la première étude canadienne consacrée à ce phénomène des grands-parents qui perdent tout contact avec leurs petits-enfants. C'est un problème généralisé. Je suis convaincu que vous avez entendu des groupes de défense des droits des grands-parents dans tout le pays. Les grands-parents que j'ai rencontrés sont de chauds partisans de la médiation comme mécanisme de rechange pour le règlement des différends. Ils aiment pouvoir y participer et ils aimeraient certainement que l'ensemble du système leur fasse une place. Il y a des modèles de médiation multigénérationnelle en cas de divorce qui englobent les grands-parents; il y en a qui sont déjà au point et d'autres en cours d'élaboration.
M. Donald Dutton: Notre recherche a porté sur des questions d'immigration. Évidemment, nous avons vu le stress supplémentaire que les familles vivent quand elles arrivent dans une nouvelle culture. Là encore, la diversité des réactions à ce stress est phénoménale. Certaines familles se rapprochent et leurs liens se resserrent, mais dans d'autres cas le contraire se produit, et ces familles traversent la double épreuve du divorce et de l'immigration, si je peux m'exprimer ainsi, et vivent d'énormes tensions. Je suis dans une très large mesure d'accord avec mon collègue. Tout ce qui donne à la personne un certain sentiment d'appartenance à une communauté est alors un atout. Il peut s'agir de la famille élargie ou de certaines relations avec d'autres membres de la communauté néo-canadienne.
Dans le territoire dont vous parlez, est-ce que les cercles de justice sont utilisés?
La sénatrice Thelma Chalifoux: Dans le corridor que j'ai décrit, on ne pratique rien, parce que toute la culture s'est désintégrée à la suite de la révolution industrielle et que le style de vie traditionnel a disparu... Ce que nous constatons là-bas, ce sont des taux de violence et de suicide très élevés—tous les problèmes. C'est pourquoi je vous pose cette question. Est-ce que vous avez réalisé des études à ce sujet? Et de quelle façon est-ce que vous pourriez présenter des recommandations au comité pour régler les problèmes propres à cette région?
C'est la même chose dans le cas des nouveaux immigrants. Ils apportent une culture qui leur est propre, et nombre des cultures qui viennent en contact avec la nôtre entérinent la violence contre les femmes. Cela fait partie du problème et de la culture. Quelles solutions recommandez-vous au comité pour régler ces deux problèmes très graves?
M. Donald Dutton: J'ai été pendant 15 ans thérapeute à Vancouver; j'ai travaillé avec des hommes qui venaient suivre un traitement ordonné par la cour pour cesser d'être violents à l'égard de leur épouse. Je suis certain que vous vous en doutez, un fort pourcentage des hommes qui fréquentaient nos groupes de thérapie venaient de milieux immigrants et affichaient des attitudes qui ne correspondaient pas vraiment à ce que nous pensons au Canada de la violence contre les femmes. Ils considéraient en quelque sorte que la violence contre la conjointe était normale, et que les Canadiens ne respectaient pas la norme. Ils ne pouvaient pas comprendre pourquoi on en faisait tout un plat.
• 1510
Nous avions essentiellement à leur expliquer clairement qu'ils
vivaient maintenant dans une culture où la violence contre la
conjointe est illégale et que s'ils voulaient vivre dans notre
culture ils allaient devoir renoncer à la violence. Et nous
essayions de les aider à assimiler ce concept. Nous avions adopté
cette approche avec les hommes de... J'ai de la difficulté à
trouver une culture qui n'est pas représentée ici. Nous en sommes
au point où nous subdivisons les cultures pour parler de culture
indo-antillo-canadiennes, par exemple. Les étiquettes foisonnent.
J'aimerais pouvoir en dire plus au sujet des gens qui vivent dans cette région. Nous n'avons pas effectué de recherches. Nous ne savons pas. Je vous entends décrire une collectivité où tous les soutiens communautaires se sont désintégrés. Apparemment, il faudra reconstruire, peut-être en fonction de ce qui donne de bons résultats au sein des collectivités autochtones, par exemple, les cercles de justice, qui me semblent porter fruit et qui sont axés sur la médiation. Ce serait là ma première réaction.
La sénatrice Thelma Chalifoux: Alors vous recommanderiez cela au comité?
M. Donald Dutton: Oui.
La sénatrice Thelma Chalifoux: Très bien. Merci beaucoup.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci.
Monsieur Forseth.
M. Paul Forseth: Merci, monsieur le président.
Monsieur Dutton, je pense que vous avez mentionné des points très intéressants. Ils se rapportent cependant à ce dont je parlais ce matin, la science par opposition aux politiques sexistes, les gens qui tiennent plus à leurs mythes et à leurs caprices qu'à la recherche de la vérité, l'importance de la recherche scientifique qui est la vérité et, par conséquent, la possibilité d'aider véritablement les enfants. Mon but consiste à aider les enfants.
Vous avez fait allusion à des études de la population générale et à des enquêtes qui révèlent une plus grande symétrie et une réciprocité dans la pathologie et la déviance. Je lis dans le journal local des articles que je classe parfois dans la catégorie «la guerre des sexes», appelez cela comme vous voulez, et qui ont souvent trait à des récits présentés avec l'intention d'obtenir plus d'argent, de reconnaissance, de pouvoir, etc. Une bonne partie de ces manoeuvres est fondée sur un désir tout à fait légitime, mais parfois on dépasse les bornes simplement parce que cela porte fruit.
Il faut éviter ces excès et chercher à rassembler des données scientifiques aussi exactes que possible, parce qu'il y a aussi des soi-disant études qui circulent, qu'il s'agisse de recherche environnementale ou d'autres domaines, des travaux que je qualifie de «fausse science». Nous rencontrons des universitaires et des professeurs d'une compétence incontestable mais qui défendent des points de vue opposés sur une question particulière. J'ai posé la question précédemment au sujet des hypothèses scientifiques sous-jacentes qu'adoptent les intervenants en matière de développement de l'enfant. Vous pouvez peut-être me dire, à votre avis, quelles sont les recherches les plus valables, celles que nous devrions examiner.
M. Donald Dutton: Je pense qu'il existe un domaine relativement nouveau appelé la psychopathologie développementale. Ce domaine s'intéresse à l'effet des milieux dysfonctionnels sur le développement. Les chercheurs constatent que les milieux familiaux dysfonctionnels n'ont pas que des répercussions sur les émotions et le comportement des enfants, ils influent concrètement sur la structure cérébrale de l'enfant. Les enfants se développent différemment. Certaines possibilités de développement neural peuvent être perdues si un enfant est placé dans une famille dysfonctionnelle.
Je songe en particulier aux travaux de Dante Cicchetti, à l'Université de Rochester, de Patricia Crittenden, qui s'est penchée sur la question de l'attachement, de Chris Perry, en matière de développement neurologique, et à l'oeuvre d'un homme appelé Allan Schore, qui a rédigé un ouvrage intitulé Affect Regulation and the Origin of the Self. Il a appliqué la théorie de l'attachement, qui examine l'ensemble des micro-relations entre la mère et l'enfant, au développement neuronal et aux dysfonctions du développement neural et de la structure neurale qui découlent d'un attachement anormal.
Ces travaux me paraissent extrêmement importants et je pense que nous devons les examiner. L'utilité immédiate de ces travaux pour le comité, je ne pourrais pas vous l'expliquer en quelques minutes. Je me contente de vous orienter un peu vers ce que vous pourriez examiner pour en arriver à vos propres conclusions.
M. Paul Forseth: Nous avons entendu bien des témoignages diversifiés et des commentaires parfois excessifs, si j'ose dire. Alors je me dis, un instant, quel est le fondement scientifique, qu'est-ce qui sous-tend toutes ces affirmations? Parfois, quand vous commencez à vous poser des questions de ce genre, vous vous rendez compte que les déclarations et les opinions que l'on vous présente ne tiennent pas debout parce qu'elles ne sont vraiment basées sur rien de concret.
M. Donald Dutton: Vous avez tout à fait raison. Je me suis toujours fait un devoir de respecter deux principes. Le premier est que je dois tenter d'accorder beaucoup d'attention aux données, ne pas me laisser entraîner par les idéologies et ne pas ignorer les données. L'examen des données m'a amené à modifier mon opinion à deux ou trois occasions. Lorsque vous avez affaire à des gens qui sont incapables de changer d'idée, qui s'y refusent, c'est à cela que je pense. C'est un signal d'alarme.
Si je relis ce que j'ai écrit il y a 24 ans, je constate qu'à au moins deux occasions j'ai modifié ma théorie au sujet de principes moteurs. Je l'ai fait parce que les données m'ont forcé à adopter une nouvelle position et à revoir mes théories. Si vous faites face à des gens qui ne peuvent pas modifier leur position, vous devez être prudent.
M. Paul Forseth: C'est donc un élément. J'imagine que l'hypothèse plus vaste que pose le comité est que le gouvernement répugne un peu à changer d'opinion, mais il y a eu un processus à la base, un souhait politique de la collectivité, suffisamment de mécontents qui affirment que tout le domaine du droit de la famille doit être assujetti à une surveillance constante.
Évidemment, cela s'est produit dans d'autres compétences. On a fait, dans l'État du Washington ou en Angleterre ou ailleurs, un examen de conscience similaire à ce que ce que nous cherchons à faire maintenant avec ce nouvel ensemble d'hypothèses. Je suis convaincu qu'il y a encore beaucoup à faire. Nous allons poursuivre notre examen des systèmes institutionnels de règlement des différends.
L'un des aspects que nos témoins ont souvent mentionnés est que notre processus accusatoire, consacré par la loi, n'est pas particulièrement adapté au règlement des problèmes parentaux qui touchent les soins des enfants et les besoins des enfants. L'une des suggestions que nous avons souvent entendues, sous diverses formes, est qu'il faut se tourner vers les mécanismes de rechange en matière de règlement des différends, qu'il s'agisse de la tradition autochtone, du modèle d'arbitrage appliqué dans le monde du travail ou de domaines comme le droit international. On peut procéder autrement que dans le cadre judiciaire, devant un juge, dans un système accusatoire.
M. Donald Dutton: En effet, je comprends ce que vous dites et je pense que c'est très important. Je suis plutôt d'avis que les systèmes de médiation donnent de bons résultats dans la majorité des cas. Cependant, pour certaines personnes, la médiation ne donnera rien parce que leur personnalité les porte à saboter le système. En raison de cette personnalité, elles cherchent un adversaire, elles cherchent la querelle.
C'est peut-être une forme de psychopathologie, appelez cela comme vous le voudrez, mais certaines personnes commencent à se définir en entretenant un conflit au sujet de la garde. L'enfant devient l'enjeu de cette guerre émotionnelle entre les parents. Il est difficile d'obtenir d'une telle personne qu'elle se prête à la médiation et y réagisse de façon normale. Je ne veux pas dire que la médiation n'est pas importante, car je pense que dans la majorité des cas c'est une première étape tout à fait valable.
M. Edward Kruk: Je pense qu'il est très important que le comité examine avec soin le corpus de recherche existant, parce que des conclusions de toutes sortes vous ont été présentées.
Il faut entre autres demander systématiquement à chaque auteur dans quelle mesure son échantillon est représentatif. Est-ce que nous parlons d'un ou deux cas? Quelle est la représentativité de l'échantillon? Cela a des conséquences énormes sur vos délibérations, pour déterminer ce qui constitue la norme et ce qui constitue l'exception dans les familles canadiennes.
J'aimerais vous proposer que la norme, dans les familles canadiennes, est que les deux parents sont compétents et aimants. C'est la vaste majorité des cas. Vous devez élaborer des politiques pour la majorité et prévoir les exceptions.
C'est ce que je dirais pour ce qui est...
M. Paul Forseth: C'est peut-être en raison de la nature du règlement des différends si la loi et le système sont là pour vraiment régler les cas exceptionnels.
Un de nos témoins a fait cette généralisation et il a affirmé qu'il fallait former trois groupes. Un tiers des familles qui sont en cours de désintégration n'ont pas besoin de la loi. Elles vont régler elles-mêmes les problèmes et trouver des solutions. Leur divorce est simple et il n'y aura peut-être même pas d'ordonnance de garde. Nous n'avons pas besoin de nous préoccuper de ces cas. Il y a le second tiers, à l'autre extrémité du continuum, qui malgré toutes les lois et tous les systèmes va continuer à se quereller, à livrer bataille, à maltraiter les enfants; ces familles continueront la lutte indéfiniment. Aucun système ne peut régler leurs problèmes. Et il y a le troisième tiers, au centre, celui qui pourrait profiter des améliorations que nous arriverons peut-être à apporter à la loi, les familles que nous pouvons aider à reprendre pied et à s'occuper de leurs enfants.
M. Edward Kruk: D'après certaines études, on ne peut pas diviser cette population en trois tiers égaux. Il faut plutôt considérer que dans 10 p. 100 des cas le conflit se règle par la négociation, sans aucune forme de soutien externe, dans un tiers des cas l'hostilité est si forte que l'on a besoin du système accusatoire, mais dans plus de 80 p. 100 des cas, si l'on fournit des services adéquats, les parties sont capables de séparer leurs conflits conjugaux et leurs responsabilités parentales, elles peuvent recourir efficacement à la médiation si on les encourage à le faire et, effectivement, elles peuvent dresser des plans d'éducation pour le bien de leurs enfants.
M. Paul Forseth: Merci.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Madame Bennett.
Mme Carolyn Bennett: Dans ce dix ou 20 p. 100 des cas que représentent les divorces particulièrement conflictuels, vous avez dit qu'en raison de leur personnalité... J'ai l'impression en tant que médecin de famille que vous seriez presque disposé à dire que ces personnes souffrent de troubles de la personnalité, en particulier celles qui refusent le droit de visite, des personnes qui ne peuvent tout simplement pas composer avec la situation de façon saine parce qu'elles veulent gagner et que le pouvoir devient plus important que les enfants. Est-ce que vous pourriez nous dire si tout ce groupe, ces dix ou 20 p. 100, est composé de personnes souffrant de troubles de la personnalité? Est-ce que vous pouvez poser un diagnostic? Y a-t-il une façon dont nous pourrions—non pas qu'il faille absolument trouver des étiquettes—mais en quelque sorte déterminer quelles sont les situations absolument anormales, distinguer ces cas du reste des Canadiens qui sont capables de régler ce genre de situation? Est-ce que cela ne serait pas utile de pouvoir évaluer ces personnes et décider que non, elles ne peuvent pas procéder logiquement et par conséquent nous avons besoin de mesures extraordinaires pour veiller à ce que les enfants reçoivent des soins adéquats?
M. Donald Dutton: J'aimerais bien trouver une étude qui permettrait de prédire les troubles de la personnalité et la façon dont ces personnes vont réagir à la médiation. Je n'ai aucune donnée à ce sujet, mais je suis prêt à parier que les personnes qui refusent de participer à un programme de médiation souffrent de troubles de la personnalité. Je parierais que dans la majorité de ces cas, au moins une des parents souffre de troubles de la personnalité. Il est possible de diagnostiquer cela. Il existe un certain nombre de barèmes d'auto-évaluation qui sont assez précis. Je ne sais cependant pas si des études ont déjà été réalisées à ce sujet.
M. Edward Kruk: Ce que nous avons, à l'heure actuelle, c'est un système qui récompense le comportement très conflictuel, en particulier dans les domaines dont vous avez parlé. Il nous faut renverser cette tendance et fournir des encouragements pour que beaucoup plus de personnes se tournent vers des méthodes non accusatoires pour régler leurs conflits. Je pense que, dans les cas où il y a effectivement trouble de la personnalité ayant fait l'objet d'un diagnostic, quand il y a une bonne raison de ne pas pouvoir efficacement recourir à la médiation ou dresser un plan d'éducation pour déterminer le régime de garde... Alors nous revenons au rôle traditionnel du tribunal. Je pense que dans ces cas, il faudrait retenir celui des deux parents qui facilitera le plus le maintien d'une relation valable entre l'autre parent et l'enfant. Il faudrait se baser sur ce critère pour déterminer le régime de garde dans de tels cas, quand malgré tous les services fournis, malgré l'ordonnance d'un tribunal qui avant de prononcer le divorce demande que les parents formulent un plan d'éducation, soit grâce à des négociations par l'entremise des avocats ou simplement en discutant eux-mêmes... S'ils ne peuvent pas agir ainsi, alors je crois que nous avons besoin de critères comme celui-là.
Mme Carolyn Bennett: À l'heure actuelle, il existe la règle du parent amical. D'après votre expérience, est-ce qu'elle n'est tout simplement pas appliquée ou est-ce que les gens ne la comprennent pas?
M. Edward Kruk: Elle n'est pas appliquée. Elle ne semble pas être appliquée par les tribunaux. En premier lieu, les avocats sont censés informer leurs clients des possibilités de médiation et de règlement non accusatoire du conflit. Nous avons des données, y compris une évaluation de la Loi sur le divorce réalisée il y a quelques années, qui nous révèlent que la majorité des avocats n'en font pas mention mais cherchent plutôt à décourager leurs clients d'envisager une telle option. Nous n'avons pas de système où les juges peuvent imposer la médiation. La loi ne le prévoit pas.
• 1525
Les gens savent qu'ils peuvent obtenir plus s'ils recourent à
d'autres moyens que la médiation et ils ne sont vraiment pas
encouragés à recourir à la médiation. La médiation doit être
volontaire et elle ne constitue certainement pas une panacée. Elle
ne convient pas à tous, mais beaucoup plus de gens, à mon avis,
pourraient l'utiliser si on les y encourageait, si la loi le
prévoyait.
Mme Carolyn Bennett: Je crois que c'est là le problème. Si vous deviez choisir des personnes d'expérience, capables de cerner le problème et de déterminer qu'il s'agit d'un trouble de la personnalité qui pousse à toujours chercher à détruire l'équilibre... Quel est le rôle des avocats pour ces personnes?
M. Donald Dutton: C'est une très bonne question. D'une part, si quelqu'un souffre de troubles de la personnalité, vous savez que cette personne va tenter de saboter la médiation. Elle va utiliser le système d'une façon ou d'une autre pour arriver à ses propres fins, et ses propres fins sont de perpétuer le malheur de la personne avec qui elle a établi une relation. Même si elle en est séparée, elle veut perpétuer cette forme de violence. À l'heure actuelle, elle peut y parvenir grâce au système juridique et, pour ce faire, elle retient les services d'un avocat. L'avocat devient complice, si je peux m'exprimer ainsi, il aide cette personne à exprimer sa pathologie.
Là encore, je ne dis pas que cela signifie que nous devrions rejeter tous les systèmes de médiation. Je ne veux pas être mal compris, parce que cela ne s'applique pas à la majorité des gens. Nous parlons ici d'environ 17 p. 100 de la population, qui pourraient manifester le type de troubles de la personnalité qui les pousserait à un comportement destructeur dans le cadre d'un mécanisme de règlement des différends de type médiation.
Mme Carolyn Bennett: Encore un mot. Dans ces conflits de haute intensité, ce qui me préoccupe le plus, c'est que les enfants ne sont pas toujours adéquatement représentés, que leurs besoins ne sont pas vraiment bien définis puisqu'une personne souffrant d'un trouble de la personnalité peut toujours déformer les choses et convaincre les enfants que c'est dans leur intérêt... ou que la manipulation soit toujours possible. Est-ce que vous recommanderiez que dans les conflits de haute intensité on désigne toujours un représentant de l'enfant et on demande une évaluation de l'enfant?
M. Edward Kruk: Je pense que cela serait utile dans certains cas, mais là encore je vous répète qu'à mon avis, il s'agit d'une minorité. Les gens se comportent de la façon dont on les encourage à se comporter. Si nous attendons d'eux qu'ils se comportent comme des adversaires, c'est ce qu'ils feront. Si nous avons un système dans lequel ils sont récompensés parce qu'ils se sont montrés conciliants, alors ils seront beaucoup plus nombreux à agir de cette façon, et nous verrons moins de ces soi-disant troubles de la personnalité. J'aimerais dire que ce sous-groupe de parents en cours de divorce est en fait beaucoup plus petit que ce que nous supposons.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Sénatrice Pearson.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Oui. Quel plaisir que d'avoir affaire à un sociologue. Nous n'en avons jamais accueilli comme témoin auparavant, du moins pas dans la même mesure.
J'ai une question à vous poser. Est-ce que vous savez si des travaux de recherche ont été réalisés. Je sais que les gens parlent de la culture du divorce, mais je veux parler de la sorte de culture nord-américaine qui a fait du divorce un choix acceptable alors que cela ne l'était pas il y a bien des années. Je me demande simplement quelles sont les forces à l'oeuvre au sein de la société qui poussent de plus en plus de gens à choisir le divorce plutôt que d'autres façons d'essayer de régler les tensions conjugales.
M. Edward Kruk: Une précision, je ne suis pas sociologue mais je fais de la recherche à la School of social work, ce qui veut dire que j'ai surtout une expérience de travail avec les enfants et les familles dans le cadre de divers systèmes.
Je suis assez d'accord avec Donald Moir, lorsqu'il parle de la facilité avec laquelle on peut obtenir un divorce au Canada. Il y a un certain nombre de pays, notamment le Royaume-Uni, qui ont aménagé une période de réflexion pour les parents dès le début, avant même que ne commencent les séances de médiation reliées au divorce; ils ont mis en place des services, un réseau national de centres de soutien à la famille, je crois, qui peuvent aider les parents à examiner les avantages que peuvent offrir la poursuite de la vie commune et la réconciliation avant de se lancer dans le divorce, ce qui donne aux parents une image plus claire de ce qu'un divorce veut dire, parce que cela n'est pas une panacée. Les gens ne découvrent que beaucoup plus tard que le divorce n'est pas une panacée.
• 1530
J'ai également entendu tout à l'heure des commentaires sur la
nécessité de changer les valeurs familiales, c'est le terme qu'a
utilisé M. Forseth, dans la société canadienne. Je suis assez
d'accord avec cela. Je constate que, dans certains autres pays, la
Loi sur le divorce prévoit des services de soutien destinés aux
parents pour les amener à sérieusement envisager les possibilités
de réconciliation. Nous leur offrons uniquement le divorce et nous
ne leur proposons pas d'autres possibilités.
Que nous soyons avocats, médiateurs ou conseillers en divorce, nous tenons pour acquis que le divorce est la seule solution. Nous avons tendance à écouter un des membres du couple qui divorce et très rapidement, nous décidons que notre client est une victime. La cliente est la victime et l'autre partie l'agresseur, le maltraitant. Nous renforçons les attitudes conflictuelles au lieu d'aider nos clients à examiner soigneusement les choix et les solutions qui s'offrent à eux.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci.
M. Donald Dutton: J'aimerais tout d'abord ajouter quelques commentaires pour compléter la réponse qui a été donnée à votre question. Il faut tenir compte du fait que nous vivons dans une situation économique très difficile où les deux parents sont pratiquement obligés de travailler. Ce n'était pas le cas, il y a 25 ou 30 ans. Cela constitue une forme de stress supplémentaire.
Parallèlement, nous vivons dans une société beaucoup plus mobile, ce qui veut dire que les gens sont plus fréquemment déracinés, et qu'ils perdent le soutien que pouvait leur offrir leur famille. Il est maintenant très rare de voir trois générations d'une même famille vivant sous le même toit. Le stress est aggravé, les liens sociaux sont relâchés et il y a aussi la facilité du divorce dont a parlé mon collègue. Lorsque l'on combine tous ces facteurs, on comprend que le nombre des divorces augmente.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Je voulais poser quelques questions pour préciser certaines choses et consigner cela au procès-verbal. Monsieur Dutton, vous avez parlé des parents maltraitants. Je me demande si vous pourriez définir la «maltraitance», parce qu'on a présenté toute une série de définitions de ce terme au comité.
M. Donald Dutton: On peut dire qu'un parent est maltraitant lorsque son comportement habituel a pour effet de blesser les sentiments d'un autre membre de la famille. Cela peut être le conjoint ou les enfants.
La forme de maltraitance la plus courante est la maltraitance affective. Une des formes les plus destructrices de la maltraitance affective est ce que j'appelle l'humiliation. Pour être bien sûr que nous nous entendons bien là-dessus, je dirais que l'humiliation est une forme de maltraitance qui porte atteinte au sens d'identité de l'enfant.
J'ai fait une tournée pour faire la promotion d'un livre en 1995 et je participais à une discussion sur les ondes de la radio à Los Angeles. Un homme m'a appelé pour me dire que lorsqu'il était petit, sa mère lui disait qu'il n'arriverait jamais à rien. Je crois que ça illustre bien ce dont nous parlons ici.
Il y a le fait d'humilier et de punir publiquement un enfant sans raison. Il y a beaucoup d'hommes qui participent à mes groupes de traitement et qui décrivent la façon dont se comportaient leurs parents. Enfants, ils étaient assis en train de regarder la télévision et tout d'un coup, un parent les frappait. Dans ce genre de cas, l'enfant ne peut relier la punition à un acte précis de sorte qu'il en arrive à sentir qu'il est puni à cause de sa personnalité et non pas à cause de ce qu'il a fait. C'est une forme de maltraitance particulièrement destructrice.
Je dirais donc que, par maltraitance, il faut entendre tout ce qui a pour but de blesser les sentiments d'autrui. La forme de maltraitance qui vient au deuxième rang, pour la fréquence, est l'agression physique. La moins fréquente est l'agression sexuelle.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci.
J'aurais une question qui s'adresse à M. Kruk. Dans les documents que vous avez apportés, vous parlez d'affaires de garde contestée qui donnent lieu devant le tribunal à des échanges particulièrement agressifs et destructeurs. J'ai retenu un chiffre, je ne sais pas qui l'a utilisé, celui de 17 p. 100, 17 p. 100 des affaires sont des affaires extrêmement conflictuelles.
Un des aspects qui nous intéressent, ou du moins qui m'intéresse moi, est que nous savons que, lorsque les gens décident de demander le divorce, ils ont en train de vivre une situation très conflictuelle avec l'autre conjoint. Il y a environ 20 p. 100 des affaires qui sont vivement contestées. C'est une véritable guerre judiciaire.
Que pensez-vous des affaires qui en arrivent à cette étape mais qui prennent la forme d'une guerre judiciaire parce que la Loi sur le divorce s'applique à cette période, ainsi qu'à la période postérieure au divorce, en particulier, lorsqu'elle définit les rapports entre les parents et les enfants.
M. Edward Kruk: C'est un aspect sur lequel j'ai fait de la recherche, avec des mères et des pères, pour savoir ce qui se passait pendant la période allant de la séparation au règlement définitif du divorce. Les études, y compris la mienne, démontrent clairement que les conflits s'aggravent.
Dans certains cas, il semblait tout à fait possible que les parties puissent s'entendre à l'amiable sur les questions de garde en particulier, mais lorsque les parents en instance de divorce reçoivent l'ordre de la part de leur avocat de ne plus communiquer avec l'autre partie, ils se considèrent comme des victimes, ils voient les autres comme des agresseurs, et très vite, arrivent le soupçon et la peur, qui sont à l'opposé de la confiance qu'il faudrait avoir, de la confiance qui était peut-être là au début.
La confiance était déjà touchée au moment où le mariage battait de l'aile mais c'est après la séparation qu'elle est vraiment compromise. Les parties ont presque toujours tendance à reprocher des choses à l'autre, et il y a presque toujours de l'hostilité mais cette hostilité est beaucoup moins vive qu'elle ne l'est pendant et après le processus de divorce.
J'ai interrogé des pères et des mères pour savoir dans quelle mesure ils avaient accepté les ententes relatives au partage des responsabilités parentales conclues après le divorce. Jusqu'au moment de la séparation, les parents estimaient qu'ils étaient tous les deux des personnes importantes pour leurs enfants et prévoyaient que cela ne changerait pas.
Cette perception se modifie rapidement lorsqu'il n'y a plus de communication et que la confiance se tarit. On commence à s'envoyer des affidavits, contenant toutes sortes d'accusations et d'allégations, et c'est la guerre. Cela est très clair. Les mères et les pères interrogés pour cette étude confirment cet aspect.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Avez-vous publié cette étude?
M. Edward Kruk: Oui, j'ai publié plusieurs articles et quelques livres sur ce sujet.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci beaucoup.
Je vous remercie tous les deux d'être venus ici. Cette séance a été très stimulante et très intéressante.
La sénatrice Anne Cools: Si je puis ajouter quelque chose, pour que nos agents de recherche puissent approfondir ce qu'ont déclaré les témoins, et les points essentiels qui ont été mentionnés, et je ne pense pas qu'il soit nécessaire que je contre-interroge ces témoins parce que j'ai déjà beaucoup étudié leurs travaux, je crois que M. Dutton a parlé d'études et de sondages sur la population générale. Je crois que vous les avez versés au procès-verbal. Nous les avons déjà mentionnés: Strauss, Steinmetz, Reena Sommer, Brinkerhoff, Lupri. Notre recherchiste pourrait peut-être préparer un bref résumé d'une page des conclusions des études sur la population générale.
En outre, j'ai été particulièrement frappé par ce qu'a dit M. Dutton au sujet de la triple expérience que vivent les enfants qui sont élevés par des personnes agressives, leur expérience de la violence, la fragilité des liens établis avec les parents et l'humiliation ressentie. J'invite le comité à examiner le rapport d'un comité sénatorial intitulé Enfant en péril, qui a été présenté par les sénateurs Beaudoin et Bonnell. C'est un rapport déjà ancien mais il est intéressant de noter que préparé dans un contexte tout à fait différent, il en arrive aux mêmes conclusions mais sous des noms différents: instabilité des liens avec les parents, humiliation et les conclusions relatives au sexe. J'invite mes collègues à examiner cette étude.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci, madame Cools, et merci d'être ici.
Je précise aux membres qu'il est 12 h 38 d'après notre horloge officielle. Compte tenu de l'heure tardive et du fait qu'il n'y a pas de service à l'auto dans les hôtels, nous allons reprendre à 13 h 15.
Merci.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Reprenons.
Je suis désolée de vous avoir fait attendre et comme vous le savez peut-être, la séance de ce matin s'est prolongée et il fallait bien manger.
Nous allons entendre MM. Cottingham et Ostrowski.
Monsieur Cottingham, voulez-vous commencer? Étiez-vous ici ce matin?
M. Robert Alan Cottingham (témoigne à titre personnel): Non.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Très bien. Essayez de vous limiter à cinq minutes pour que nous puissions poser des questions.
M. Robert Alan Cottingham: D'accord.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Parfait.
M. Robert Alan Cottingham: Je vais faire des commentaires très brefs pour pouvoir ensuite poursuivre s'il y a des questions.
Je m'appelle Bob Cottingham et j'habite en Colombie-Britannique. J'ai donné le document que je vais vous lire au greffier et j'espère donc que vous avez ce document. Je vais parler des fausses allégations d'agression sexuelle. Je remercie les membres du comité de me donner l'occasion de vous communiquer mes réflexions et de relater l'essentiel de mon histoire.
Il y a 12 ans, j'ai été faussement accusé d'avoir agressé sexuellement ma fille qui avait deux ans à l'époque, dans le cadre d'une bataille judiciaire relative à la garde et à l'accès. J'ai finalement obtenu la garde exclusive de ma fille, Charlene, en avril 1987. Charlene a près de 15 ans aujourd'hui et elle vit avec moi. Sa mère habite Vancouver et a décidé de n'avoir qu'un minimum de contacts avec elle.
Je me suis remarié plusieurs années après et j'ai maintenant un fils et une deuxième fille. Ce deuxième mariage a fini par un divorce en 1995. C'est ma femme qui a demandé le divorce. Elle avait rencontré quelqu'un d'autre et elle a choisi de poursuivre cette relation. Je ne veux pas que vous pensiez que je ne suis pas objectif mais je pense que la meilleure façon est de dire ce qui s'est passé.
C'est lorsque la garde a été contestée que j'ai tout à coup dû faire face encore une fois à des allégations d'agression sexuelle non prouvées. On peut donc être frappé deux fois par la foudre. C'est ce qui m'est arrivé.
Deux amis de ma femme sont volontairement venus me trouver pour me dire que ma femme leur avait dit qu'elle avait formé le projet de porter de fausses allégations contre moi pour obtenir la garde de nos enfants. J'ai également joint les affidavits préparés par ces personnes.
Par la suite, ma première femme, la femme qui avait fait ces allégations contre moi il y a 10 ans, a écrit une lettre, portant l'attestation de la GRC, dans laquelle elle reconnaissait que les allégations qu'elle avait faites il y a 10 ans étaient entièrement fausses. Il a fallu que je me remarie et que l'on formule des allégations d'agression sexuelle dans une instance de garde et d'accès pour que ma première femme se décide à rétablir la vérité.
• 1635
Après cela, ma femme et son avocat n'ont plus insisté sur les
allégations d'agression sexuelle. Nous avons divorcé, même si les
questions de garde et d'accès n'ont jamais été officiellement
réglées. La bataille judiciaire commençait à devenir très vive et
très coûteuse mais lorsque ces témoins ont accepté de déposer, ils
sont revenus sur leurs affirmations et ont renoncé à ce moyen. J'ai
tout de même été obligé de démontrer une deuxième fois que j'étais
innocent de ce dont on m'accusait.
Aujourd'hui, je passe un dimanche sur deux avec ma fille de six ans et j'essaie de reconstruire progressivement une relation avec mon fils de 10 ans, qui a été manipulé par sa mère pour qu'il porte des allégations d'agression sexuelle et qui ne sait pas très bien ce qu'il ressent envers moi à cause de tout cela. Bien entendu, des psychologues sont intervenus dans cette affaire. M. Elterman a préparé un rapport qui exposait clairement ce qui s'était passé et comment on avait utilisé ces allégations.
J'ai ressenti le coup brutal que peuvent causer des allégations fausses et malicieuses et ce que cela peut faire dans une instance de garde et d'accès. J'estime que cela a causé à mes enfants des souffrances incommensurables. Je continue à payer. Tout cela me coûte personnellement près de 150 000 $.
Je pense, et j'espère que le comité va se pencher sur cette question, que les fausses accusations faites dans un but détourné ne devraient pas être tolérées. Il est tout simplement mal et irresponsable de tolérer ce genre d'utilisation abusive du système.
Je terminerai en disant que cette question revêt une importance considérable. J'espère que le fait d'avoir pu m'adresser à votre comité et les renseignements que je vous ai transmis vont peut-être aider à réintroduire une certaine équité et un certain équilibre dans le droit familial.
Je suis certain que je ne suis pas le seul à qui cela est arrivé, même si mon cas est un peu particulier, parce que j'ai vécu cela deux fois. Ce qui m'inquiète beaucoup, et je ne sais pas si cette pratique est très répandue, parce que cela fait maintenant quelques années que j'ai eu à vivre cela, c'est qu'il ne semble pas que le fait de formuler des fausses allégations d'agression sexuelle soit sanctionné. Je sais que j'ai obtenu la garde de ma fille et que l'on peut dire que c'est là la conséquence mais cela laisse entendre que si les allégations ne sont pas retenues, si elles sont fausses, on se contente simplement de les oublier et on continue comme si de rien n'était. Je suis fermement convaincu qu'il faut faire quelque chose pour changer les lois et pour que l'on sanctionne ce genre d'allégations.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci beaucoup.
Monsieur Ostrowski.
M. Peter J. Ostrowski (témoigne à titre personnel): Merci. Je m'appelle Peter Ostrowski. À l'heure actuelle, je suis inscrit à l'Université de la Colombie-Britannique et je viens de terminer un contrat d'enseignement à Prince George, en Colombie-Britannique.
J'aimerais recommander ce qui suit au sujet de la liberté d'établissement des parents.
Premièrement, les enfants ne doivent pas être retirés du milieu où ils ont de solides attaches.
Deuxièmement, les enfants ne devraient déménager qu'après qu'on ait procédé à une évaluation économique, à un partage des responsabilités parentales et qu'on ait démontré que leur situation financière sera meilleure une fois installés dans leur nouvel endroit. Cette recommandation est encore plus importante lorsque l'unité familiale comprend plusieurs enfants.
Troisièmement, les frais de déplacement, de visite et d'hébergement sont des frais engagés pour élever les enfants et ils devraient être déductibles d'impôt, tout comme le sont les frais d'exécution des ordonnances alimentaires.
Quatrièmement, le parent qui déménage pour pouvoir continuer à jouer son rôle de parent devrait pouvoir obtenir le remboursement de ses frais. En outre, ces parents devraient pouvoir se prévaloir d'une priorité d'emploi.
Voilà mon histoire. Je me suis marié en 1976 et en 1993, j'ai signé un accord de séparation avec mon ex-femme. Cet accord prévoyait que nous aurions la garde partagée des quatre enfants issus de notre mariage, que je verserais une pension alimentaire et qu'ils habiteraient dans la résidence familiale où ils sont nés, située à Oakville, en Ontario. Nous vivions une vie très confortable, notre maison était payée et il y avait deux voitures dans l'entrée. Nos enfants ne manquaient de rien et jouissaient d'une très grande qualité de vie. Ils réussissaient très bien à l'école et dans les sports et devaient normalement aller à l'université.
• 1640
Un peu plus tard cette même année, mon ex-femme a quitté
l'Ontario avec trois de nos enfants pour visiter Victoria, en
Colombie-Britannique et elle a par la suite décidé de s'y
installer. Après son déménagement, elle a réussi à faire annuler
l'accord de séparation, y compris les dispositions prévoyant la
garde partagée. J'ai offert un règlement selon lequel je restais en
Ontario et les enfants à Victoria, mais il n'a pas été accepté. Mon
ex-femme n'a présenté au tribunal aucun élément de preuve indiquant
que les enfants seraient mieux à Victoria, en Colombie-Britannique,
un lieu qu'ils ne connaissaient pas et où celle-ci n'avait pas de
travail.
En 1994 et 1995, je me suis forcé d'assumer mon rôle de père alors que j'habitais l'Ontario et que mes enfants vivaient en Colombie-Britannique. Mes déplacements et les visites prescrites par le tribunal ont entraîné des coûts de près de 80 000 $ pendant ces deux années et lorsqu'Ontario Hydro a licencié un grand nombre de ses employés en 1995, j'ai été, tout comme mes enfants, très heureux de pouvoir déménager en Colombie-Britannique.
J'ai appris qu'on m'empêchait de jouer mon rôle de parent quelle que soit la distance qui me sépare de mes enfants et le stress causé par la séparation et les escarmouches judiciaires a porté un dur coup à ma vie professionnelle. J'ai également appris que la situation d'un père qui entretient des enfants qui vivent avec leur mère devient progressivement intenable à mesure que le nombre des enfants et la distance augmentent. Petit à petit, les frais de déplacement et de visite ont pris la priorité sur toutes mes autres dépenses.
Lorsque je suis arrivé ici, tous les biens qui me restaient ont été saisis et la Cour suprême de la Colombie-Britannique m'a menacé, en septembre 1995, de me refuser toute visite à mes enfants.
Situation actuelle: depuis 1993, j'ai comparu en justice près de 24 fois pour tenter de régler les questions relatives à la garde et aux aliments. Aucune ordonnance permanente n'a été rendue et j'ai comparu jeudi dernier devant la Cour suprême à Victoria pour me représenter pour la 24e fois. J'ai appris à me représenter moi-même et c'est ce que je fais depuis trois ans, parce que je n'ai pas les moyens de faire autrement.
J'ai été obligé à un moment donné d'intenter un procès à l'avocat de mon ex-femme parce qu'il avait fait de fausses déclarations au tribunal et n'avait pas respecté son code de déontologie, ni les règles de pratique. J'ai appris qu'un profane comme moi n'avait aucune chance face à ces pratiques déloyales et le barreau de la Colombie-Britannique n'a absolument rien fait pour corriger la situation.
Mes trois fils sont maintenant âgés de 18, 16 et 13 ans et ma fille a 11 ans. Ils ont connu des difficultés considérables pour me rejoindre et pour communiquer avec moi, aspect dont je vous fais grâce. J'ai adopté comme principe de ne pas me disputer pour ne pas nuire aux enfants. L'hiver dernier, j'ai conduit plus de 1 000 milles par semaine pour traverser les montagnes pour rencontrer mes enfants au terminus du ferry de Tsawassen et les amener à Vancouver pour la fin de semaine. Cela est quand même beaucoup plus proche que les 3 000 milles qui me séparaient d'eux lorsque je vivais à Toronto.
Que ce soit en Ontario ou en Colombie-Britannique, selon l'ancienne ou la nouvelle Loi sur le divorce, les tribunaux ne m'ont jamais accordé un centime pour mes frais de déplacement. J'ai déposé plusieurs demandes pour obtenir une modification et après trois ans, j'ai finalement obtenu gain de cause jeudi dernier. Malheureusement, cela arrive trop tard. Je vais rencontrer demain un conseiller fiscal qui va s'occuper de ma faillite personnelle que je demande à l'âge de 48 ans.
La division générale de la Cour de l'Ontario et la Cour suprême de la Colombie-Britannique ont pris de mauvaises décisions parce qu'elles n'ont pas tenu compte du danger qu'allaient courir les enfants en déménageant loin de leur milieu habituel. La décision arbitraire de déménager mes enfants à Victoria il y a trois ans a eu des effets dévastateurs. Mon fils aîné, qui s'attendait d'aller à l'Université comme ses amis d'Oakville, occupe maintenant des emplois occasionnels. Il leur sera pratiquement impossible de se trouver du travail à Victoria s'ils ne font pas d'études postsecondaires.
Je m'inquiète beaucoup de leur avenir et je me demande si je pourrai jamais y faire quelque chose. Il semble qu'ils passent le plus clair de leur temps seuls à regarder la télévision ou à jouer à des jeux vidéo, outre qu'ils se prêtent à des activités plutôt douteuses. Je crains qu'ils ne constituent par la suite un lourd poids pour la société à Victoria, compte tenu de la façon dont cette collectivité s'occupe de sa jeunesse.
Il y a huit semaines, Revenu Canada m'a informé que je n'avais pas le droit de déduire les versements alimentaires effectués en 1995 et 1996 et que je devais plus de 40 000 $ d'impôts. De plus, la déduction des dépenses relatives au contrat que j'ai exécuté à Prince George, en Colombie-Britannique m'a été refusée; ces dépenses étaient supérieures à la valeur du contrat.
Enfin, une ordonnance alimentaire périmée a été enregistrée auprès du programme d'exécution des obligations familiales ici en Colombie-Britannique et je risque maintenant de faire l'objet de mesures judiciaires sans préavis, de voir mes biens saisis, de perdre toute possibilité d'obtenir du crédit et de voir saisir mon passeport et mon permis de conduire. Je sais que ces deux organismes ne peuvent être poursuivis et lorsque j'ai téléphoné, je n'ai obtenu qu'un répondeur.
Cela a eu un effet immédiat sur mes chances d'obtenir du travail à Prince George. Je n'ai pas été réembauché après le 30 avril.
J'ai appris qu'il m'était désormais impossible d'atteindre la sécurité économique ou de remplir mon rôle de parent si je résidais dans un lieu trop éloigné géographiquement de mes enfants. Mon fils de 13 ans, par exemple, m'appelle au téléphone ou m'envoie du courrier électronique pratiquement tous les jours pour parler de nos projets et de nos activités.
En tant qu'ancien ingénieur nucléaire, je n'ai aucune possibilité d'obtenir un emploi à Victoria, en Colombie-Britannique. Je vais maintenant être obligé d'accepter du travail contractuel dans un endroit éloigné ou de recevoir de l'aide sociale. J'étais auparavant un professionnel de la classe moyenne et mes enfants avaient un bel avenir devant eux. Je dois aujourd'hui plus de 50 000 $, j'ai peu de possibilités d'emploi, je n'ai pas d'économies, pas de biens, et je dois lutter contre les ressources combinées de Revenu Canada et des services qui appliquent de la Loi sur l'exécution des ordonnances familiales.
• 1645
L'industrie du droit de la famille a, d'après moi, pris une
très mauvaise décision lorsqu'elle a laissé mes enfants déménager
à plus de 3 000 milles de chez eux et ne s'est pas sentie obligée
de faciliter mon déménagement pour que je puisse, en tant que
parent, m'occuper le mieux possible de mes enfants.
Je tiens à mentionner que cet exposé faisait partie de l'affidavit que j'ai présenté jeudi dernier devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique à Victoria et que le juge l'a lu. Je ne sais pas si cela a influencé le jugement qui a été rendu ce jour-là. J'ai finalement obtenu, après trois ans, une modification de l'ordonnance qui m'obligeait à verser 3 800 $ d'aliments par mois, ordonnance qui m'a acculé à la faillite. Pour la première fois, l'ordonnance du tribunal contient les mots «frais de déplacement», ce qui indique que tous ces efforts n'ont peut-être pas été vains.
Le juge m'a demandé à l'audience si j'avais des recommandations à faire et comment elles pourraient être mises en oeuvre. Je trouve plutôt intéressant qu'un juge de la Cour suprême m'ait posé ces questions au sujet de cet exposé et que je sois ici aujourd'hui.
Tout cela est peut-être un peu confus; c'est parce que j'avais initialement rédigé cela il y a six semaines et qu'aujourd'hui, cela a peut-être déjà eu un effet positif.
Merci.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci beaucoup.
La sénatrice Anne Cools: Qui était le juge et quel était l'intitulé de l'affaire?
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Oui, pourriez-vous indiquer pour le procès-verbal qui était le juge qui siégeait jeudi dernier?
M. Peter Ostrowski: C'était le juge Melvin et l'affaire s'intitule Ostrowski v. Ostrowski, greffe de Victoria, 14 mai 1998.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci beaucoup.
La sénatrice Anne Cools: Et l'autre affaire aussi, madame la présidente?
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Et votre affaire alors? Pouvez-vous nous donner un numéro?
M. Robert Alan Cottingham: La première affaire de garde a été entendue à New Westminster. Elle a ensuite été transférée à la Cour suprême de Vancouver. J'ai un numéro de dossier pour cela.
Pour ce qui est de l'affaire à laquelle je suis partie actuellement, elle a été entendue à New Westminster et je ne pense pas avoir ce renseignement avec moi.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Pouvez-vous nous le communiquer?
M. Robert Alan Cottingham: Oui, je peux le faire.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci beaucoup.
Y a-t-il des questions? Monsieur Forseth.
M. Paul Forseth: Merci d'être venus aujourd'hui.
Pour revenir à la question des fausses allégations, avec le recul, et avec ce que vous avez connu, quels sont, d'après vous, les aspects du système qui expliquent que l'on fasse ce genre d'allégations? Pourquoi est-ce qu'un parent porte de fausses accusations? Ce parent estime certainement qu'il aime beaucoup ses enfants et qu'il est un bon parent alors que nous savons que le fait de formuler de fausses allégations est finalement très préjudiciable pour les enfants. Pourquoi un parent choisit-il de s'engager sur la voie des fausses allégations?
M. Robert Alan Cottingham: Dans la première affaire, avec ma première femme, il s'agissait simplement de me faire disparaître. Après la séparation, j'avais même du mal à voir les enfants.
M. Paul Forseth: Très bien, je vais peut-être vous interrompre pour dire que manifestement, quelqu'un a dû penser ou entendre dire qu'en faisant ce genre de choses, on obtenait de bons résultats et que cela permettait d'écarter complètement le mari.
M. Robert Alan Cottingham: Oui.
M. Paul Forseth: C'est là où je veux en venir, la récompense que donne le système à la personne qui est prête à finalement agresser ses propres enfants dans un but détourné, parce qu'elle pense que cela va lui permettre d'obtenir ce qu'elle veut.
M. Robert Alan Cottingham: C'est exact et comme je l'ai mentionné, il n'y a aucune sanction. Autrement dit, il suffit de faire des allégations et même si on ne va pas jusqu'au bout, cela est efficace parce que cela a un effet dévastateur sur le plan financier pour la raison que cela complique énormément la situation de la partie qui doit se défendre contre ces allégations.
Dans la deuxième affaire à laquelle j'ai été partie, c'était bien là manifestement le motif. On voulait me détruire financièrement. On m'a dit, vous savez, «très bien, si la garde est contestée, je vais alors faire ce genre d'allégations.» Mon ex-femme connaissait ma situation financière et elle s'est dit «Eh bien, s'il faut que je le fasse», et c'est cela qu'elle recherchait.
M. Paul Forseth: Le tribunal n'a donc jamais envisagé que quelqu'un puisse décider de se parjurer et de nuire ainsi aux enfants, et il n'a pas évalué la capacité de ce parent de respecter l'intérêt des enfants et d'être un bon parent. Ce lien n'a jamais été fait.
M. Robert Alan Cottingham: La seule fois où je l'ai ressenti, et j'ai passé de nombreuses heures dans des salles d'audience devant des juges qui examinaient ces questions, c'était dans la première affaire, le juge Proudfoot a indiqué très clairement à l'audience au moment où il faisait référence à ces allégations que si elles étaient fausses, il y avait des têtes qui allaient tomber.
À part cette fois-là, ces allégations ont joué un rôle presque subliminal et n'ont été introduites que lorsque cela était nécessaire. Lorsqu'il s'est agi d'examiner le droit de visite, les allégations sont réapparues pour être ensuite mises de côté. C'était principalement un outil pour... Bien entendu, lorsque le juge doit examiner des dossiers aussi épais, il n'a pas le temps de prendre connaissance de toutes les données au cours d'une seule séance, et c'est donc un moyen très efficace qui permet de noyer le poisson.
Il a finalement fallu aller en procès, et c'est là qu'il est apparu clairement, au beau milieu de l'instruction, que selon les faits et les témoignages présentés, les allégations étaient futiles. Autrement dit, il a fallu aller jusque-là, aller jusqu'au procès. C'était la seule façon de faire examiner ces allégations.
M. Paul Forseth: Avec les coûts financiers qu'entraîne un procès.
M. Robert Alan Cottingham: Exactement.
M. Paul Forseth: Alors que cet argent aurait pu être dépensé pour les enfants, pour leur éducation et leur développement social.
M. Robert Alan Cottingham: Tout à fait. Aujourd'hui, je n'ai pas de retraite. J'ai 50 ans. À cause de ces litiges, je n'ai pas de retraite et j'ai des dettes qui découlent des frais qu'a entraînés la deuxième affaire, au cours de laquelle on avait formulé contre moi des allégations d'agression sexuelle.
M. Paul Forseth: Je dois avoir épuisé mon temps de parole. Je vais attendre la prochaine ronde, parce que j'aimerais poser d'autres questions.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Madame Bennett.
Mme Carolyn Bennett: Manifestement, il semble que, lorsque l'on démontre que des fausses allégations sont effectivement fausses, il n'y ait aucune conséquence; cela n'est suivi d'aucune sanction. Pouvez-vous dire au comité quelle devrait être, d'après vous, la sanction en cas de fausses allégations, quelles devraient être les conséquences de ce genre d'allégations? Que feriez-vous si vous étiez à notre place?
M. Robert Alan Cottingham: Je n'ai pas de proposition à vous faire au sujet de la façon dont ces fausses allégations pourraient être sanctionnées mais je pense qu'il devrait être très clair qu'il y aura des conséquences. S'il faut formuler des allégations d'agression sexuelle, faites-le si elles sont vraies et s'il faut les faire. Mais s'il s'agit en fait d'une tactique qui vise à faciliter la réalisation de certains objectifs, s'il y a des conséquences, si l'on sait que l'on va payer quelque chose si l'on se fait attraper, si l'on démontre que ces allégations sont fausses, alors je crois que c'est ce qu'il faudrait faire.
Là encore, je ne peux vous dire quelles devraient être les conséquences mais je pense qu'il faudrait certainement qu'il y en ait. Il faut prévoir quelque chose pour qu'une partie ne puisse se dire: «Je vais le faire, cela va certainement m'avantager.»
Je crois que vous pouvez certainement comprendre le genre de sentiment qu'on peut ressentir lorsqu'on vit quelque chose de ce genre. Très franchement, à un moment je dois dire, et cela n'est peut-être pas très objectif, si l'on peut aller... Très franchement, les allégations de ce genre peuvent vous faire envoyer en prison. On pourrait peut-être envisager la même conséquence... Si quelqu'un fait cela dans le seul but de compliquer une situation matrimoniale, il faudrait peut-être que cela ait des conséquences.
Il est intéressant de mentionner que j'ai en fait discuté de cette question avec le ministère parce que son projet de loi contenait une disposition qui voulait dire, d'après moi, que l'auteur de fausses allégations était passible d'une peine d'emprisonnement ou d'une amende de 10 000 $. Lorsque j'ai poursuivi l'affaire, j'ai écrit une lettre, j'ai remis une copie de cette lettre au ministère, la réponse que j'ai reçue par l'intermédiaire de mon avocat est qu'il ne leur appartenait pas d'aller plus loin. Autrement dit, il faut se débrouiller tout seul: on peut faire des allégations contre vous, vous mettre dans une situation impossible et le ministère s'en occupe mais si vous dites «ces allégations sont fausses et je ne vais pas en rester là, je veux que l'on fasse quelque chose», le ministère vous répond «Désolé, on vous reverra plus tard.» Cela vous place dans une situation très frustrante. Il faudrait effectivement que cela entraîne des conséquences. Cela pourrait avoir à tout le moins un effet dissuasif ou inciter la personne qui envisage d'utiliser cette tactique à y penser à deux fois avant de le faire.
• 1655
Je ne vais pas poursuivre ce sujet mais dans mon cas
particulier, cela ressemble beaucoup à un scénario qu'on aurait
écrit pour un film destiné à la télévision, parce que, six mois
après notre séparation, on s'est introduit chez moi et on a volé
tous les dossiers concernant mon premier procès pour les remettre
à l'avocat de ma femme. J'ai saisi le barreau de l'affaire et je
dois dire qu'à la différence de ce qui s'est passé dans votre cas,
j'ai obtenu satisfaction. On a reconnu que cela était contraire aux
règles et que ces dossiers... Lorsque j'ai vécu tout cela, c'était
avec l'avocat qui me représentait il y a dix ans, ce qui m'a amené
à me demander qui avait suggéré de formuler des allégations
d'agression sexuelle: était-ce l'avocat de ma femme ou son idée à
elle?
De toute façon, cela n'a eu aucune conséquence. Dès que l'on commence à mentionner ce genre de chose, on suscite de l'intérêt mais ensuite les allégations ne sont plus mentionnées. Entre-temps, cela a obligé ma fille à subir des expertises, des tests psychologiques et tout le tralala. J'estime effectivement que cela devrait entraîner des conséquences.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Monsieur Perrault.
Le sénateur Raymond Perrault: Pour ce qui est de vos frais judiciaires, combien cela vous a-t-il coûté de participer à toutes ces demandes?
M. Robert Alan Cottingham: Cela m'a coûté 150 000 $.
Le sénateur Raymond Perrault: Et les documents qui ont mystérieusement disparu d'un bureau...
M. Robert Alan Cottingham: Ils sont passés de chez moi au bureau de l'avocat de ma femme.
Le sénateur Raymond Perrault: Cet incident a-t-il été soumis au...
M. Robert Alan Cottingham: Au barreau? Oui, et je vais l'expliquer. J'ai presque obtenu que l'on fasse des copies de ces documents et qu'on me les remette. Peu m'importait qu'elle possède des copies des documents. Je pensais simplement qu'ils m'appartenaient. C'étaient des choses qui concernaient mon avocat et moi à l'époque et je voulais les récupérer...
Le sénateur Raymond Perrault: Et il fallait en faire la demande selon les règles et le reste.
M. Robert Alan Cottingham: Oui, mais mon ex-femme me menaçait en me disant que, si j'allais trop loin, j'aurais du mal à exercer mon droit de visite alors j'ai tout arrêté. J'ai communiqué avec mon avocat et il m'a dit qu'il avait tous les dossiers, alors je me suis dit «Très bien, si vraiment j'en ai besoin, je pourrais les avoir.» J'ai adopté comme principe de ne pas me disputer parce que si je le fais, cela est mauvais pour mon équilibre mental et aggrave la situation des enfants. Tout cela a été très frustrant, c'est le moins que je puisse dire.
Le sénateur Raymond Perrault: Merci, madame la présidente.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci. Je vais redonner la parole à M. Forseth.
M. Paul Forseth: Je voulais revenir à l'autre question qui avait été soulevée, celle de la liberté d'établissement. Il y a un certain nombre de témoins qui nous ont parlé de cet aspect ces mois derniers, de la question de la liberté d'établissement et des règles applicables dans ce domaine; nous avons reçu d'excellents mémoires juridiques qui présentent la jurisprudence et qui mentionnent l'imprécision de ces règles et le fait que les cours supérieures ont le pouvoir de régler cette question en appel.
Je me demande si, d'après votre expérience, vous pourriez nous donner quelques recommandations qui nous permettraient d'utiliser la Loi sur le divorce pour changer le droit, pour modifier la situation actuelle dans laquelle les droits et le désir des parents semblent l'emporter sur la responsabilité des parents de pourvoir aux besoins des enfants, en particulier lorsque la décision d'aller s'établir ailleurs est prise sans raison valable.
M. Robert Alan Cottingham: Je suggère un certain nombre de choses au début de mon mémoire. Dans la version originale, je recommandais de procéder à une évaluation commerciale du lieu où l'on envisageait de déménager avec les enfants en vue de déterminer si cela était dans leur avantage ou non. J'ai fait beaucoup de travail dans le domaine financier et il me semble que lorsqu'on prend une décision qui met en jeu des centaines de milliers de dollars et l'avenir des enfants, il faudrait au moins qu'il y ait un document qui en parle officiellement. Ce document devrait démontrer que si les enfants vont dans le nord de la Colombie-Britannique, dans le nord des Prairies ou dans des régions rurales du Québec ou dans un endroit semblable, l'environnement des enfants s'en trouvera amélioré et cela comprend les soins dentaires, les écoles, les frais d'université et ce genre de chose.
• 1700
C'est pourquoi j'ai suggéré, et je crois que c'était mon
deuxième point, qu'il fallait commencer par une évaluation
économique: le parent qui propose un déménagement doit produire des
documents démontrant que cela aura pour effet d'améliorer la
situation des enfants.
Dans mon propre cas, on en est arrivé à un point où l'avocat de Victoria et l'avocat d'Oakville soutenaient tous deux que leur ville était l'endroit qui convenait le mieux aux enfants. Il y a eu beaucoup de choses stupides de ce genre.
M. Paul Forseth: Sans parler du sens d'appartenance de l'enfant, du sentiment de connaître le lieu où il est né, où sont ses amis et peut-être les membres de la famille élargie? Je peux comprendre qu'un jeune garçon ressente un certain attachement pour la patinoire où il a appris très jeune à jouer au hockey et, où, par la suite, il s'est rendu... Cela donne un sentiment d'appartenance. Et lorsqu'on est déraciné... Lorsque plus tard dans leur vie ces gens disent, par exemple, qu'ils se souviennent des vastes espaces des Prairies où ils ont grandi. Personnellement, lorsque je suis à Ottawa, les montagnes de la Colombie-Britannique me manquent. Cela fait partie de notre identité et de nos racines.
Lorsqu'un enfant de 11 ou 12 ans, disons, est déraciné... On ne peut nier que les enfants de cet âge ont établi des liens avec leur environnement, leur collectivité, leurs amis et la tradition de leur école. C'est une question beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît et qui ne peut s'apprécier uniquement en fonction des possibilités économiques et de carrière qui s'offrent à un des parents. C'est là où je voulais en venir: les besoins de l'enfant contre les désirs des parents.
M. Robert Alan Cottingham: C'est exactement la question que m'a posée le juge Melvin jeudi dernier. Il m'a demandé si la sécurité économique était mon seul critère. J'ai répondu: «Non, il faut prendre l'ensemble» et vous remarquerez que dans le mémoire que je vous ai lu aujourd'hui je parle de «l'ensemble». Il faut examiner l'ensemble de tous les facteurs, des facteurs comme la famille élargie, l'appui qu'elle peut fournir et le reste.
Je peux vous raconter une histoire tragique. Lorsque les choses se sont un peu calmées, j'ai fait venir mon plus jeune fils et ma fille l'année dernière et je les ai conduits à Oakville pour qu'ils revoient leur ancien quartier et leurs anciens amis. Ma fille avait 10 ans à l'époque, elle a passé quelques nuits chez des amies. Elle n'avait pas eu la possibilité de faire le deuil du milieu qu'elle avait connu depuis sa naissance. Lorsque je l'ai amené au parc où elle jouait quand elle était petite, je n'ai rien dit. Elle est descendue de la voiture, elle s'est agenouillée et elle a embrassé le sol.
M. Paul Forseth: Oui.
M. Robert Alan Cottingham: C'est ce que cela donne.
C'est pourquoi je dis qu'il faut tenir compte de l'ensemble de la situation. Il est possible que le milieu où vivaient les enfants ait été très mauvais et qu'il faille l'améliorer. Il arrive qu'il y ait une famille élargie. Dans mon propre cas, ma famille élargie vivait dans la région de Toronto et mon ex-femme avait une famille élargie très nombreuse à Victoria, en Colombie-Britannique, que nos enfants ne connaissaient pas très bien.
Mon fils aîné revient à Toronto deux fois par an et ses amis d'Oakville réussissent à aller le voir là-bas. Il m'a souvent dit qu'il avait été très heureux de passer cette année-là avec moi. Cela lui a permis de rétablir des liens avec le milieu où il était né et de les renforcer.
Cela est tragique, c'est indiscutable, et les effets de ces changements se feront sentir plus tard quand ils seront grands.
M. Paul Forseth: Vous pensez donc qu'il est peut-être difficile de faire quelque chose de précis en modifiant la Loi sur le divorce, à part de dire que chaque situation doit s'apprécier en fonction de ses circonstances particulières. Mais vous dites qu'il faudrait l'évaluer et...
M. Robert Alan Cottingham: Il faudrait l'évaluer, et je tiens à souligner les frais de déplacement et les aliments en particulier, parce que, si j'étais resté à Toronto, j'aurais été acculé à la faillite bien plus rapidement, parce que j'aurais essayé de prendre l'avion pour aller voir mes enfants. Il fallait que j'obtienne une ordonnance judiciaire chaque fois que je voulais que mes enfants rentrent chez eux par Air Canada.
Je modifierais certainement cette règle. C'est une question qui devrait être abordée dans la Loi sur le divorce. Il faudrait rédiger un document qui précise comment ces frais vont être payés et le parent qui en bénéficie devrait assumer ces frais.
M. Paul Forseth: Et tout cela, bien sûr, ne sert à rien parce que le document ne vaut absolument rien s'il n'y a pas de mécanisme qui prévoit des sanctions lorsqu'une des parties choisit de ne pas respecter ce qu'ordonne le document.
M. Robert Alan Cottingham: Je suis d'accord.
M. Paul Forseth: Très bien. Merci.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci.
Je vous remercie tous les deux. Cela était très intéressant.
La sénatrice Anne Cools: J'ai une question, madame la présidente, une question de procédure: M. Cottingham a parlé d'un document que sa première femme avait préparé sous serment et dans lequel elle affirmait avoir porté de fausses accusations. Est-ce bien exact?
M. Robert Alan Cottingham: C'est exact.
La sénatrice Anne Cools: Je me demande si, avec l'accord du comité, vous pourriez nous laisser une copie de ce document pour que nous puissions le présenter. Si nous pouvions l'obtenir, je demanderais que l'on considère qu'il a été versé au procès-verbal.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Lorsqu'il s'agit de verser un document au procès-verbal, je ne suis pas très sûre de ce que cela veut dire. Je sais que les documents apportés par les témoins font partie du procès-verbal général mais la question, comme Mme Chalifoux...
La sénatrice Thelma Chalifoux: Madame la présidente, je crois que, lorsqu'un document est présenté au comité, le procès-verbal mentionne ce fait et je ne pense pas qu'il soit nécessaire de le lire intégralement. J'aimerais savoir en quoi cela a un rapport avec la décision du comité.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Nous allons l'accepter et nous déterminerons ensuite la place exacte qu'il convient de lui attribuer. Nous l'acceptons à titre d'élément faisant partie de votre mémoire et de votre exposé.
Merci beaucoup.
Je vais demander aux témoins suivants de prendre place à la table: Ajax Quinby de la Vancouver Custody and Access Support and Advocacy Association; Susan Boyd du Comité spécial sur la réforme de la garde et du droit de visite des enfants; et M. Mark Stevens du Programme du YWCA intitulé Children Who Witness Abuse Program.
Madame Boyd, voulez-vous commencer?
Mme Susan Boyd (Comité spécial sur la réforme de la garde et du droit de visite des enfants): Je suis heureuse de prendre la parole devant le comité mixte au nom du Comité spécial sur la réforme de la garde et du droit de visite des enfants. Je suis membre de ce comité spécial et je suis aussi professeure de droit à l'UBC, l'Université de la Colombie-Britannique.
Je trouve très inquiétant que les règles en matière de garde des enfants ne reflètent pas suffisamment les voix des femmes et des enfants, et que, dans le débat qui entoure la réforme de la garde et du droit de visite des enfants, ces voix ne se fassent pas suffisamment entendre. Nous essayons de remédier à ce problème dans le mémoire que nous vous avons déjà remis.
Notre principal argument est que le comité, les lois et les politiques en matière de garde devraient principalement s'attacher à protéger les enfants. Nous soutenons toutefois que l'on ne peut aborder la question de la protection des enfants sans se demander quelles sont les personnes qui les élèvent. Dans notre société, ce sont encore les femmes qui s'occupent principalement d'élever les enfants dans la plupart des familles, tant avant qu'après un divorce. Il est donc impossible de parler de l'intérêt de l'enfant sans également parler de l'intérêt des femmes et de leur bien-être mais aussi du fait que la société canadienne ne leur accorde toujours pas un traitement égal.
Nous recommandons que les règles relatives au divorce tiennent mieux compte des intérêts des femmes et des enfants en s'attachant à déterminer qui s'occupe véritablement d'élever les enfants au lieu de se baser sur des notions théoriques sur ce que peut être la structure familiale idéale lorsque les conjoints ont décidé de se séparer.
Nous exposons dans notre mémoire de nombreux aspects importants dont devraient, d'après nous, tenir compte les règles en matière de divorce. Nous présentons plus de 30 recommandations. Je ne pourrai qu'aborder les points essentiels de la question de la protection des enfants et des soins à leur donner.
Tout d'abord, j'aimerais faire remarquer que les études démontrent clairement que, dans l'immense majorité des familles intactes et des familles où il y a eu un divorce, ce sont encore les mères qui sont le parent prioritaire. Même lorsque les mères travaillent à l'extérieur, elles consacrent environ deux fois plus de temps à leurs enfants que les pères qui travaillent. Je vous réfère à un rapport publié par Statistique Canada, Les femmes au Canada, troisième édition. La Colombie-Britannique a également récemment publié un document intitulé Women Count, en 1998. Ces études démontrent que la majorité des pères ne s'occupent pas de leurs enfants autant que les mères.
Le deuxième aspect que j'aimerais signaler est que bien sûr tout le monde voudrait que les pères s'occupent davantage de leurs enfants. La difficulté à laquelle fait face le comité et la société dans son ensemble est de trouver les moyens d'y parvenir. Les principaux obstacles qui empêchent les hommes de s'occuper de leurs enfants sont en réalité de nature économique, sociale et culturelle et non pas juridique. Il est extrêmement difficile de faire disparaître des obstacles aussi profondément enracinés, comme l'ont démontré les études faites en sciences sociales. Autrement dit, le droit ne peut à lui seul y parvenir.
• 1710
Troisièmement, ce n'est pas au moment du divorce qu'il faut
inviter les hommes à s'occuper davantage de leurs enfants. Cela
empêcherait en effet les femmes de réorganiser leur vie après
l'éclatement de la famille et de s'occuper de leurs enfants du
mieux qu'elles peuvent.
Les lois sur le divorce qui cherchent à favoriser le partage des responsabilités parentales après le divorce soulèvent de graves problèmes. C'est ce qu'ont commencé à démontrer les études effectuées dans certains pays comme l'Angleterre et l'État de Washington qui ont procédé à ce genre de réforme.
Tout d'abord, les tribunaux et les conseillers juridiques ont tendance à exagérer et à prévoir des visites, même en présence de facteurs comme de la violence grave. Je vous réfère à une étude de Carol Smart et Bren Neale à ce sujet. Il y a trop d'enfants que l'on oblige à voir leur père, au cours de visites qui peuvent leur nuire, voire être dangereuses pour eux.
Deuxièmement, les recherches effectuées dans le domaine des sciences sociales ne confirment pas l'hypothèse selon laquelle il est toujours dans l'intérêt de l'enfant d'avoir des contacts fréquents et permanents avec ses deux parents. Je vous réfère à un article récent de Judith Wallerstein et de Tony Tanke qui est, je crois, cité dans le mémoire de l'Association nationale de la femme et du droit.
Ces études démontrent qu'il n'existe pas de corrélation constante entre les contacts avec le parent non gardien et l'adaptation de l'enfant. Elles démontrent en fait que l'adaptation de l'enfant à la nouvelle situation est reliée à l'adaptation psychologique du parent gardien, habituellement le parent prioritaire, la mère.
Ces études indiquent que les dispositions législatives devraient avoir pour but de protéger la stabilité et l'intégrité de la nouvelle unité familiale issue du divorce. Autrement dit, les dispositions relatives au divorce devraient aider le parent prioritaire à assurer la continuité des soins donnés aux enfants et leur sécurité du mieux qu'ils le peuvent en s'attaquant aux problèmes auxquels ils font parfois face comme, par exemple, les difficultés économiques, le manque d'accès à des conseils juridiques, la maltraitance et ainsi de suite. Tous ces problèmes sont décrits en détail dans notre mémoire.
Nos recommandations demandent que toutes les lois, les politiques et les pratiques aient pour objectif principal d'assurer la protection des enfants. Par exemple, nous proposons d'adopter des présomptions en matière de garde fondées sur les soins donnés dans le passé aux enfants. Nous proposons également des présomptions applicables dans les cas regrettables de violence sexiste contre les femmes et les enfants dans la société canadienne de façon à ce que l'on ne confie pas la garde ou même la garde temporaire des enfants à des maltraitants. Nous recommandons également de ne pas adopter de principe juridique voulant que l'intérêt de l'enfant soit toujours mieux servi lorsque les responsabilités parentales sont partagées.
Les enfants ont besoin que le parent prioritaire, habituellement leur mère, soit en sécurité et bénéficie de l'appui d'un réseau d'aide. Il faut que la Loi sur le divorce tienne compte de faits regrettables mais réels comme le sexisme, la discrimination systémique et la violence faite aux femmes dans la société canadienne.
Nous craignons également qu'en se contentant de tenir compte de ces facteurs par le biais d'exceptions à des règles générales énoncées par la Loi sur le divorce au lieu d'en faire des préoccupations centrales pour notre société, il y ait des femmes et des enfants qui en souffrent. Notre travail nous a permis de constater que les lois, les politiques et les pratiques peuvent échouer même lorsqu'elles ont été adoptées avec les meilleures intentions. Et elles échouent parce qu'elles sont interprétées en fonction de conceptions fausses et de préjugés.
Nous soutenons que la Loi sur le divorce doit donc avoir pour objectif d'informer et de sensibiliser les juges, les médiateurs, les évaluateurs, les avocats et les parents au sujet du sexisme et des difficultés que rencontrent les personnes qui élèvent les enfants.
Merci beaucoup.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci beaucoup.
Le témoin suivant est madame Quinby.
Mme Ajax Quinby (Vancouver Custody and Access Support and Advocacy Association): Mesdames et messieurs les membres du comité, je suis venue représenter les centaines de femmes qui m'ont parlé des souffrances et des tragédies qu'elles ont vécues avec leurs enfants à cause des décisions prises par les tribunaux.
Je suis depuis 1989 coanimatrice d'un groupe de soutien des femmes qui connaissent des problèmes en matière de garde et d'accès. J'ai commencé à travailler avec les femmes battues en 1974 dans une maison de transition de première étape et je suis passée en 1981 à la Monroe House de l'YWCA, la première maison de deuxième étape au Canada.
J'avais commencé depuis peu à travailler à la Monroe House lorsque les enfants de la famille avec laquelle j'avais travaillé dans la première maison ont été assassinés par leur père. Cette famille avait subi une maltraitance horrible. J'avais appelé l'équipe de maltraitance des enfants pour veiller à ce qu'on aide les enfants à passer à travers les épreuves qu'ils avaient vécues. Comment un tel père, qui souffrait manifestement de troubles mentaux et qui était extrêmement violent, a-t-il pu avoir accès à ces enfants?
Lorsque j'ai parlé à la mère par la suite, j'ai appris que les fonctionnaires judiciaires n'avaient tenu aucun compte de la peur que lui inspirait son comportement antérieur, qu'ils n'avaient tenu aucun compte des craintes des enfants qui avaient déclaré que leur mère ne devait pas s'inquiéter parce qu'ils savaient comment échapper à la colère du père et ils n'avaient tenu aucun compte du fait qu'il s'était déjà introduit par effraction dans la maison familiale.
• 1715
Ils s'étaient en fait moqués d'elle et lui avaient dit qu'elle
aurait tout simplement à s'habituer à ce genre de comportement.
J'ai appelé le coroner par la suite mais aucun des fonctionnaires
judiciaires qui ont accordé au père le droit de visiter ces enfants
n'ont été appelés à justifier leur décision. On n'a même pas
demandé à la mère de témoigner.
J'ai déclaré au coroner que c'était là un exemple extrême de la maltraitance que subissaient les enfants et les femmes lorsque des hommes violents avaient accès à leurs enfants.
Ce fait divers a concrétisé pour moi les graves craintes que j'avais depuis que je travaillais à la Monroe House avec des familles depuis plusieurs années. Des hommes maltraitants comparaissaient devant les tribunaux pour continuer à agresser des femmes des années après que leur mariage se soit terminé par un divorce.
Il est important de rappeler comment notre société a été sensibilisée à la violence contre les femmes. Avant 1980, ni les services sociaux ni les tribunaux ne reconnaissaient le fait qu'il y avait un nombre considérable de femmes qui étaient agressées chez elles. Pour les professionnels des services sociaux, cela ne constituait même pas un problème; cela ne faisait pas partie de la formation qu'on leur donnait.
Ici, à Vancouver, il y avait un centre d'information pour les femmes où se rendaient des femmes et des enfants qui avaient été battus et qui avaient peur. Le personnel qui travaillait dans ce centre a vu que ces femmes et enfants avaient besoin d'un endroit où se loger pour commencer une nouvelle vie et échapper à la violence des pères. Nous avons pris conscience du problème à cause de ce que nous ont dit les femmes, de ce que nous avons vu et de ce que nous avons senti chez les enfants.
Des défenseures des droits des femmes ont créé des maisons de transition. Il est très important de ne pas oublier cela lorsque vous entendrez des femmes prendre la parole ici. Nous ne sommes pas un groupe qui défend des intérêts particuliers. C'est nous qui les premières avons vu la violence faite aux femmes et qui avons lutté pour la faire disparaître. Nous sommes les femmes qui ont fait du lobbying pour que l'on modifie les lois et les politiques pour protéger les femmes. Nous sommes encore ici sur le terrain comme nous l'étions il y a 30 ans et nous attirons l'attention des autorités sur les situations, les politiques ou les structures qui rendent les femmes vulnérables à la maltraitance.
Nous savons par expérience que la plupart des fonctionnaires judiciaires et des soi-disant spécialistes connaissent très mal le phénomène de la violence faite aux femmes et le comportement des hommes violents. Ils s'en remettent à des théories dépassées qui viennent d'une époque où l'on ne voyait pas la violence et élaborées par des spécialistes qui connaissaient très mal la violence. Je me demande si ces soi-disant spécialistes ou fonctionnaires judiciaires seraient prêts à mettre en pratique leurs théories et à demander à leurs enfants d'aller voir des personnes qui ont des antécédents violents et agressifs.
Y a-t-il d'autres tribunaux que les tribunaux civils qui condamneraient les victimes d'agression et de maltraitance à passer du temps avec la personne qui les a agressées? Depuis 30 ans, on connaît toute l'ampleur de la violence faite aux femmes mais il y a eu un ressac de la part des pères violents. Ne les croyez pas. Ils font tout pour continuer à agresser et à contrôler leur femme. Ne leur donnez pas d'autres moyens de le faire. Nous savons qu'un bon père favorise et renforce la relation qui existe entre la mère et l'enfant. Un bon père respecte le rôle que joue la mère auprès des enfants. Une bonne loi respecte également le rôle que jouent les mères dans une société où les femmes et les enfants sont encore victime de violence et de maltraitance.
Notre société a montré aux femmes qu'elles devaient fuir les situations de maltraitance parce qu'elle et leurs enfants allaient en souffrir. C'est bien souvent la raison pour laquelle les femmes quittent leur foyer; ce n'est pas pour elles-mêmes mais pour leurs enfants. Et lorsqu'elles viennent me voir et les autres membres de mon groupe, elles n'arrivent pas à croire que le système qui leur a dit de quitter leur foyer pour protéger leurs enfants ne tient aucun compte de la maltraitance qu'elles ont subie et laisse le père faire ce qu'il veut.
Elles se sentent trahies. Elles sont trahies. J'invite le comité à agir, à ne pas oublier la violence dont font l'objet les femmes, sous des formes très variées. Ne trahissez pas les femmes et les enfants.
Merci.
Des voix: Bravo, bravo!
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Nous sommes en audience parlementaire et je demanderais aux membres de l'auditoire de s'abstenir d'applaudir ou de faire des commentaires.
Monsieur Stevens.
M. Mark Stevens (coordonnateur, Children Who Witness Abuse Program): Merci.
Je m'appelle Mark Stevens. Je suis heureux d'être ici aujourd'hui pour représenter le YWCA de Vancouver, et en particulier, le Children Who Witness Abuse Program. Ce service offre de la consultation individuelle dans le cadre d'un programme de groupe structuré, destiné aux enfants de 4 à 19 ans, qui viennent tous de foyers où le père est maltraitant.
Nous avons le sentiment que l'orientation choisie par le système judiciaire dans les affaires de garde et de droit de visite où il y a de la violence familiale fait courir des risques aux enfants et les expose systématiquement à des situations potentiellement dangereuses.
• 1720
La loi est explicitement axée ou centrée sur «l'intérêt de
l'enfant», mais nous craignons que les décisions des tribunaux qui
s'appuieront sur ce principe ne fassent en réalité plus de mal que
de biens aux enfants. Notre priorité absolue doit être de placer
ces enfants en sécurité et d'éviter qu'ils ne subissent d'autre
violence. Je dois souligner ici que les préoccupations du YWCA
s'inspirent de l'expérience que nous avons acquise auprès de ces
familles. Beaucoup de pères s'occupent admirablement de leurs
enfants et tiennent soigneusement compte de l'intérêt de leurs
enfants. Mais nous nous intéressons aux besoins de notre clientèle:
les enfants élevés par des hommes qui ont choisi la violence.
En exerçant une violence physique et psychologique sur leurs partenaires, ces hommes provoquent des troubles psychologiques et des traumatismes catastrophiques chez leurs enfants. Au moment de la séparation des parents, lorsque les ententes relatives à la garde et au droit de visite deviennent problématiques, on demande souvent si le père qui a battu sa femme a également brutalisé les enfants. S'il ne l'a pas fait et que l'on décide qu'il est quand même un père compétent et mérite de voir ses enfants souvent et sans surveillance, on passe à côté du fait qu'en agressant leur mère, il a, délibérément ou autrement, fait violence à ses enfants. Le fait d'être le témoin de la violence faite à leur mère et de vivre dans un foyer où ce genre d'agression se produit a des effets nuisibles profonds sur le bien-être des enfants. Le développement psychologique et cognitif de l'enfant, son image de lui-même et son comportement sont autant d'aspects qui sont compromis par la violence exercée contre leur mère.
Les enfants de notre programme peuvent généralement être répartis dans deux catégories: non pas ceux qui ont été agressés directement et ceux qui ne l'ont pas été mais ceux qui voient régulièrement leur père violent et ceux qui n'ont aucun contact avec lui.
Les premiers ont généralement plus de difficulté en groupe. Ils ont tendance à minimiser la violence dont ils ont été témoin ou à éviter les discussions à ce sujet. Ils semblent plus mal à l'aise pour parler de leurs émotions, sauf lorsqu'il est question de la colère, et ils sont alors parfois agités et loquaces, exprimant souvent des fantasmes détaillés et lucides de violence et de vengeance. Ils ont tendance à déranger les autres et à se montrer sceptiques à l'égard du contenu des interventions; ils découragent souvent les autres de parler ouvertement ou de se concentrer sur la question à l'ordre du jour. Il leur est trop difficile de parler de la réalité de la violence pendant qu'ils la vivent encore.
Les enfants qui n'ont pas de contact avec le parent violent sont généralement plus enclins à discuter de leurs expériences, de leurs craintes et de leurs émotions autres que la colère. Ils manifestent plus d'intérêt et d'enthousiasme à explorer des façons positives d'exprimer leurs sentiments et de résoudre les conflits. Ils ont tendance à soutenir et à respecter davantage les autres membres du groupe, et ils ont généralement un point de vue plus optimiste sur leur avenir.
Il y a bien sûr un troisième groupe d'enfants dont la situation nous inquiète beaucoup. Il s'agit des enfants dont les pères sont maltraitants et dont les parents ont maintenant la garde partagée. Dans ce genre de situation, le père peut interdire que ses enfants reçoivent des services généraux ou de counselling. J'ai eu l'occasion de voir l'angoisse de ces mères qui, en même temps que les enseignants, les amis, voire le médecin de famille, s'inquiètent du comportement et de l'état psychologique de leurs enfants et sont convaincus que le père est violent avec eux lorsqu'il les voit mais qui ne peuvent rien faire pour les aider.
Notre société suppose qu'il faut signaler ces cas à l'agence de protection de l'enfance (le ministère de l'Enfance et de la Famille en Colombie-Britannique) dans l'espoir d'assurer ainsi la sécurité de l'enfant.
Dans le cadre de mes fonctions au YWCA, j'ai vu que ce n'était pas toujours le cas. Nous avons eu l'occasion de voir une famille où les enfants répétaient qu'ils étaient brutalisés physiquement et psychologiquement par leur père lorsqu'ils étaient chez lui; allégations qui étaient parfois confirmées par des preuves physiques comme des bleus, par exemple. Ces révélations ont été portées à l'attention du ministère de l'Enfance et de la Famille et de la GRC. Ils ont réagi en manifestant beaucoup d'intérêt et d'attention jusqu'au moment où ils ont appris qu'il y avait un litige concernant la garde des enfants.
À ce moment-là, leur réaction a semblé changer de façon radicale. Lorsqu'une ordonnance de garde précise que le père a le droit de voir les enfants régulièrement et sans surveillance, on hésite à aller contre ou à faire sérieusement enquête sur les allégations de violence. Outre cette hésitation, on semble croire que, s'il y avait vraiment violence, le juge n'aurait pas accordé la garde, les droits de visite ou les visites non surveillées. L'ordonnance du tribunal accordant le droit de visite sert automatiquement de sceau d'approbation pour la compétence parentale du père. Les allégations de violence et l'inquiétude de la mère semblent alors suspectes puisqu'elles ne sont désormais perçues comme une stratégie ou une manipulation dans le contexte du conflit sur la garde des enfants. Cela confirme à quel point les toutes premières décisions sur la garde et le droit de visite sont cruciales pour la sécurité ultérieure des enfants.
• 1725
L'ampleur du phénomène que constitue la violence conjugale et
familiale dans notre société doit être prise en compte dans toutes
les décisions, et les dénonciations de violence doivent être
attentivement évaluées. La difficulté vient du fait que la Loi sur
le divorce actuelle ne traduit pas la réalité de la violence faite
aux femmes et aux enfants. En fait, la préférence accordée à la
garde conjointe et au maximum de contact et la clause du parent
«prêt à coopérer» risquent d'amener les juges à prendre la
direction opposée et à guider les enfants vers leur agresseur
présumé.
Le YWCA de Vancouver appuie les recommandations présentées par le Comité spécial sur la garde et le droit de visite des enfants, ici à Vancouver. Ces recommandations exhaustives et réfléchies sont un exemple de la manière dont des modifications à la loi pourraient nous aider à protéger les familles que nous aidons et refléteraient vraiment l'intérêt des enfants.
Merci.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Y a-t-il des questions? Madame Chalifoux.
La sénatrice Thelma Chalifoux: Merci de nous avoir présenté un exposé très intéressant.
J'aimerais savoir si vous avez des pourcentages concernant la proportion que représentent les enfants et les femmes que vous aidez par rapport à la population générale des parents séparés?
Une voix: Je ne m'occupe pas des pourcentages. Je crois qu'on vous a cité tout à l'heure beaucoup de pourcentages. Quelqu'un a déclaré que 17 p. 100 de toutes les affaires...
La sénatrice Thelma Chalifoux: Quel est le nombre de cas dont vous vous occupez en un mois?
Une voix: Nous sommes une maison de deuxième étape, les femmes y restent donc longtemps. À l'heure actuelle, nous avons neuf résidentes. Je dirais qu'il y a des problèmes de garde et d'accès dans au moins sept de ces neuf cas-là.
La sénatrice Thelma Chalifoux: Dans le cadre du travail que vous effectuez dans cette maison de deuxième étape, avez-vous rencontré des pères qui s'intéressent vraiment à leurs enfants et à leur bien-être ou voyez-vous uniquement des cas où il y a de la violence?
Une voix: Je ne vois pas les pères qui s'intéressent vraiment à leurs enfants. Ils s'intéressent à leurs enfants pour diverses raisons que je considère malsaines. Par exemple, disons que vous avez une femme et qu'elle vous quitte. Elle va dans une maison de transition. Comment pouvez-vous la retrouver pour continuer à l'agresser? Maintenant il est de plus en plus facile et de plus en plus rapide pour un père d'obtenir l'accès à ses enfants en le demandant aux tribunaux. Lorsqu'il va voir les enfants, il peut la suivre. Il peut la battre. Il peut lui crier après. Il peut faire tout ce qu'il faisait avant.
En plus, ce qu'il peut faire lorsqu'il ne peut critiquer sa femme, et c'est une pratique comme nous l'a dit M. Dutton qui est très fréquente, il le fait par l'intermédiaire des enfants. Il pose aux enfants des questions du genre: Avec qui est-ce que votre mère couche? Que fait-elle? Comment est-ce qu'elle dépense votre argent? Il va dire qu'il hait leur mère.
C'est aussi le genre de pères qui se servent de leurs enfants comme des béquilles affectives et ils sont très dangereux. Ce sont des hommes qui étaient obsédés par leurs femmes et qui contrôlaient leur vie. Bien souvent, par la suite, ils deviennent obsédés par l'enfant. Ils paraissent être d'excellents pères qui s'occupent beaucoup de leurs enfants mais en fait, ils utilisent ces enfants, ils en font leur unique réseau social et cela peut déboucher sur des agressions sexuelles. Ils présentent très bien et ils ont l'air de bons pères.
La sénatrice Thelma Chalifoux: Ne pensez-vous pas qu'il y a des femmes qui font exactement la même chose? Je suis une mère célibataire. J'ai été une mère célibataire lorsqu'il n'était pas à la mode d'être une mère célibataire et j'ai élevé mes enfants. J'ai bien connu moi aussi les situations violentes et les choses de ce genre mais vous semblez mettre tout le monde dans la même catégorie. C'est ce que je vous demande.
Nous sommes un comité parlementaire. Notre tâche consiste à présenter des recommandations concernant les questions de garde et de droit de visite mais devons-nous ne montrer qu'un seul côté? Qu'en pensez-vous? Devons-nous condamner tous les hommes et toutes les femmes à cause de ce que font un certain nombre d'entre eux? Pensez-vous que nous devrions généraliser de cette façon ou non?
Une voix: Je crois que nous savons que la violence contre les femmes est très répandue dans notre société et que les agressions sont principalement commises par des hommes. Il faudra donc tenir compte de la violence qui est exercée contre les femmes et les enfants dans notre société, lorsqu'il s'agira de modifier cette loi. On en entend parler tous les jours aux nouvelles. On entend tous les jours parler de matériel pornographique qui utilise les enfants.
Ce n'est pas quelque chose que nous ne connaissons pas ou qui n'est pas répandu.
La sénatrice Thelma Chalifoux: Vous pensez alors que notre comité devrait uniquement tenir compte de la violence faite aux femmes et pas de la situation du parent non gardien. Vous dites que nous devrions tenir uniquement compte de la violence faite aux femmes et non de l'intérêt de l'ensemble de la famille.
Une voix: L'intérêt de toute la famille est que la femme soit protégée et que les enfants soient protégés. Il est dans l'intérêt de l'enfant que la mère soit protégée.
La sénatrice Thelma Chalifoux: Très bien.
Que se passe-t-il dans le cas où la mère est bien protégée mais où elle souhaite retourner dans sa famille et il y a une tragédie? Ne devrions pas tenir compte de ces cas-là lorsque nous allons examiner cette loi?
Une voix: Je n'ai pas bien compris la question.
On dit souvent que les femmes essaient de quitter leur foyer lorsqu'il y a violence mais nous savons, d'après notre expérience, que cela leur est très difficile. Il y a la famille, la sienne ou celle de leur mari, qui leur dit: «Ah! Il faut essayer encore.» Il y a les institutions; il n'est pas facile de vivre de l'aide sociale lorsqu'on a vécu autrement. Il y a parfois toutes sortes de choses de ce genre.
Il y a ensuite le système judiciaire. Il y a des femmes qui m'ont dit qu'elles auraient peut-être dû rester avec leur mari parce qu'il a le droit de visiter les enfants et qu'elles ne sont plus là pour les protéger. Il est arrivé à ces femmes de défendre leurs enfants au péril de leur vie. Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles les femmes retournent vivre dans ce genre de milieu familial.
Je vous invite également à vous mettre à leur place et à imaginer que vous dormez la nuit sachant qu'à n'importe quel moment quelqu'un peu forcer votre porte et venir vous tuer. Il est bien souvent préférable de réintégrer le foyer. Il est au moins possible d'y exercer un certain contrôle.
Nous ne protégeons donc pas vraiment les femmes.
La sénatrice Thelma Chalifoux: Vous nous recommandez donc de ne tenir compte que de cet aspect lorsque nous allons examiner cette loi.
Une voix: J'appuierais la recommandation du comité spécial qui propose un préambule qui sensibiliserait le personnel judiciaire à la violence exercée contre les femmes et les enfants. Je constate souvent, lorsque je vais devant les tribunaux, que le personnel judiciaire, les juges et les soi-disant spécialistes n'ont aucune formation dans ce domaine et ne savent pas tout ce que ces hommes sont prêts à faire pour contrôler la vie de leur femme et de leurs enfants et y avoir accès.
La sénatrice Thelma Chalifoux: Ce matin, un intervenant a proposé un service de médiation auquel participeraient des représentants de la collectivité et des membres de la famille. Seriez-vous également en faveur d'une telle recommandation?
Une voix: Absolument pas. Je crois que la médiation est un processus très dangereux. Les médiateurs ne reçoivent aucune formation concernant la violence faite aux femmes.
La médiation est axée sur la conclusion d'une entente; il ne s'agit pas de protéger les femmes et les enfants. Les femmes ont bien souvent tendance à être d'accord parce que c'est la façon dont elles ont fait leur apprentissage social; elles sont donc désavantagées lorsqu'il y a médiation.
Je ne pense pas que les médiateurs aient reçu une formation qui leur permette de saisir les signaux qui montrent qu'une personne en a agressé une autre pendant des années.
La sénatrice Thelma Chalifoux: Très bien, merci beaucoup.
Une voix: Bienvenue.
Une voix: J'aimerais compléter la réponse qui a été donnée à votre question? On a mentionné les recommandations du comité spécial.
Je me disais, au moment où vous posiez votre question, qu'en fin de compte, les décisions relatives à la garde et au droit de visite sont de toute façon influencées par les faits de l'affaire. Il sera donc toujours possible d'évaluer les caractéristiques particulières des situations familiales.
Ce que nous demandons en fait, et c'est ce qui est demandé dans le mémoire que j'ai présenté, c'est qu'il faudrait expliciter certains principes, par exemple, dans un préambule à la Loi sur le divorce qui pourrait guider les juges, les médiateurs, les évaluateurs et les autres, pour leur rappeler les tendances générales dont Ajax a parlé dans son exposé.
Je ne crois pas qu'il soit absolument nécessaire de partir de l'idée que la situation est blanche ou noire, mais il me paraît important de tenir compte des tendances sociales qui ont été constatées.
La sénatrice Thelma Chalifoux: Très bien, merci beaucoup.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Monsieur Forseth.
M. Paul Forseth: Merci beaucoup.
On a fait certains commentaires aujourd'hui et à d'autres moments lorsque nous avons entendu des témoignages à Ottawa et ailleurs; des commentaires qui concernent le comité et selon lesquels notre comité est insensible aux souffrances des mères victimes. Je trouve cela tout à fait incroyable et absolument inacceptable. C'est une opinion complètement dénuée de fondement.
• 1735
Notre comité examine une loi au sujet de laquelle de nombreux
pères et mères nous ont dit qu'elle est inefficace et qu'elle est
à l'origine de nombreux problèmes. Je tenais à vous donner
l'occasion de présenter des recommandations précises et de nous
suggérer comment nous pourrions éviter que le système judiciaire
soit utilisé par les agresseurs pour continuer à commettre leurs
méfaits. C'est vous-même, je crois, qui avez mentionné cela.
Nous avons entendu ce matin des pères dire que le système les avait maltraités. Que dire des mères qui sont maltraitées par le système? Que pouvons-nous faire pour l'améliorer, pour mieux défendre les victimes et par conséquent, les enfants? C'est ce que disent tous les témoins qui ont comparu devant le comité. Nous avons tenu près de 30 séances et tous les intervenants ont déclaré vouloir aider les enfants.
Je vous donne l'occasion de nous proposer, de votre point de vue particulier, des façons de modifier la loi et le système juridique pour éviter que le système ne favorise la maltraitance.
M. Mark Stevens: Je vais répondre là encore en faisant référence au mémoire du comité spécial et à ses recommandations. Je suis profondément convaincu qu'il faut nuancer certaines choses que l'on retrouve dans la Loi sur le divorce actuelle, comme le principe voulant que l'on maximise les contacts lorsque cela est possible. Il faut un préambule qui reconnaisse que le fait de maximiser les contacts avec un homme dont le comportement est notoirement violent n'est pas dans l'intérêt de l'enfant. De la même façon, la garde partagée n'est pas...
M. Paul Forseth: Et vous agiriez de la même façon si c'était la mère qui était violente?
M. Mark Stevens: En théorie, oui, mais monsieur, je n'en ai encore jamais rencontré.
Je pourrais parler des enfants qui ont fait partie de mon groupe et des révélations qu'ils m'ont faites en plus de mon travail avec les enfants qui, dans ce programme pour les enfants agressés...
J'ai travaillé pendant des années comme travailleur des services spéciaux à Vancouver, ce qui me mettait en contact avec les travailleurs sociaux. Une partie de ce travail consistait à se faire les yeux et les oreilles du travailleur social, à travailler avec les familles à risque et là où les enfants risquent d'être pris en charge. Dans ce genre de cas, il y a bien souvent des possibilités de violence. Les enfants m'ont souvent révélé avoir été maltraités mais aucun ne m'a encore parlé d'avoir été agressé physiquement par sa mère.
Dans nos groupes, nous consacrons plusieurs séances à parler des différentes formes de violence et depuis tout ce temps, j'ai eu un seul enfant qui m'a dit: «Ma mère me frappe. Pouvez-vous l'en empêcher?» Lorsque je l'ai interrogé à ce sujet, je lui ai demandé: «Y a-t-il une autre forme de violence?» Je lui ai demandé de me décrire ce qui s'était passé de façon très précise et très détaillée. Il m'a dit que sa mère, lorsqu'elle était vraiment en colère, le plaçait sur ses genoux et lui tapait sur les fesses, à travers ses vêtements, avec la paume de sa main. Je ne sais pas comment vous définissez les punitions corporelles mais dans notre société, cela n'est pas considéré comme de la violence contre un enfant. C'est tout ce que j'ai entendu.
M. Paul Forseth: Cela concerne le système de protection de l'enfance et l'évaluation des enfants en danger et c'est un sujet complètement différent. Il y a eu, je crois, un juge qui a présidé une commission royale ici dans la province et qui était chargé d'examiner la façon dont notre système provincial protégeait l'enfant, d'examiner les décès qui étaient survenus.
Revenons-en à la Loi sur le divorce et à ce que font les tribunaux de la famille lorsqu'ils prononcent des divorces. Nous venons d'entendre des pères qui ont déclaré avoir été malmenés par le système. Il y a sans doute des mères qui ont également été malmenées par le système. Cela étant dit, comment peut-on modifier le système? Nous pourrions peut-être examiner le contexte juridique. Vous avez peut-être des commentaires à ce sujet.
Une voix: Permettez-moi de répondre en premier. Comme je l'ai dit, nous avons présenté un certain nombre de recommandations très détaillées que je ne vais reprendre ici. L'une de ces recommandations propose d'écarter le principe selon lequel il est souhaitable de maximiser les contacts entre les enfants et les parents, dans le cas où le parent est violent. Ce genre de recommandation figure dans un certain nombre de rapports, tant canadiens qu'étrangers, et je crois que c'est devenu une sorte de recommandation standard.
Outre les recommandations portant sur des aspects précis qui pourraient être insérées dans la Loi sur le divorce, nous constatons qu'il est nécessaire de sensibiliser davantage la population, mais également les spécialistes du domaine comme les conseillers, les juges, les avocats, les médiateurs, et les autres, à la complexité de la violence et à la façon dont elle touche les questions de garde et de droit de visite. En effet, nous en avons tous beaucoup à apprendre sur les implications de cette question et les façons dont les agresseurs réussissent bien trop souvent à utiliser le système juridique pour leurs propres fins.
• 1740
Ce n'est peut-être pas une recommandation très juridique mais
étant donné que le système n'est efficace que dans la mesure où les
gens qui prennent ces décisions et qui facilitent l'éclatement des
familles le sont, nous recommandons vivement que tous ces
professionnels reçoivent une formation poussée dans ce domaine.
M. Paul Forseth: Merci.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci, M. Forseth.
Madame Cools.
La sénatrice Anne Cools: Merci, madame la présidente.
Je remercie les témoins d'être venus nous parler. J'aimerais poser quelques questions et je vous invite tous à y répondre si vous le souhaitez.
La première question s'adresse peut-être au monsieur qui nous a dit s'inquiéter de l'orientation qu'avaient choisie les tribunaux et qui avait pour effet d'exposer les enfants à la violence. Premièrement, je me demande s'il pourrait nous définir cette orientation. Deuxièmement, il a déclaré que les services de protection de l'enfance ne prenaient pas très au sérieux les signalements de cas concernant des enfants maltraités. C'est-à-dire que premièrement, les tribunaux favorisent la maltraitance et deuxièmement, que les responsables de la protection de l'enfance ne protègent pas les enfants. Je me demande si vous pourriez commenter ces points-là.
Troisièmement, il a parlé du fait que les tribunaux accordaient la préférence à la garde partagée. De quelle préférence s'agit-il? Toutes les données que nous avons indiquent que la situation est en fait fort différente.
Quatrièmement, il y a peut-être quelqu'un qui pourrait expliquer la différence entre ce que la plupart des spécialistes appellent la violence commune et la violence mortelle.
La question suivante vient du fait que les témoins ont prétendu que les tribunaux, les juges, les médiateurs, les policiers et les spécialistes ne connaissaient pas grand-chose à la violence familiale et n'avaient reçu aucune formation dans ce domaine. Les témoins pourraient peut-être nous dire quels sont ceux qui possèdent ces connaissances?
Enfin, pour ce qui est de la Loi sur le divorce qui, comme nous le savons, n'est pas une dépendance du code pénal, je me demande pourquoi les recommandations des avocats au sujet de la violence, en particulier de la violence pénale, visent à faire insérer des dispositions dans la Loi sur le divorce et non pas dans le Code criminel du Canada.
Vous pouvez aborder ces questions dans l'ordre qui vous plaira. J'en ai encore une mais je la poserai peut-être un peu plus tard.
Ce monsieur affirme n'avoir jamais rencontré d'enfants qui aient été battus par sa mère. Je dirais à ce monsieur que toutes les études effectuées depuis des générations démontrent le contraire. Qu'il s'agisse de Gelles, Zalba, David Gil, Ralph Weisheit, ou même de Cyril Greenland du Canada, toutes les études démontrent que dans la plupart des cas, ce sont les mères qui infligent des mauvais traitements à leurs enfants.
M. Mark Stevens: J'aimerais répondre à ce dernier commentaire, si vous le permettez madame, parce que je ne suis pas avocat.
La sénatrice Anne Cools: Je vous demande à tous de répondre. Une bonne partie de ces renseignements sont officiels mais vous pouvez y aller.
M. Mark Stevens: Très bien, je vais commencer par votre dernier commentaire, puisque c'est celui...
La sénatrice Anne Cools: Vous pouvez tous répondre mais vous pouvez commencer. J'ai posé une série de questions parce que j'aimerais beaucoup déclencher une discussion sur la violence familiale.
La violence familiale et la violence entre partenaires sont l'un des aspects les plus terribles des relations humaines. Cela est très douloureux pour nous et cela préoccupe gravement tous les membres du comité. Lorsque vous parlez d'enfants qui sont laissés de côté, abandonnés ou sacrifiés par le système, je tiens à ce que vous sachiez que cela touche une corde très sensible...
M. Mark Stevens: Eh bien, cela est normal.
La sénatrice Anne Cools: ...chez les membres du comité. Allez-y. Je suis tout à fait prête à entamer un dialogue sur ces questions.
M. Mark Stevens: Très bien. J'ai assisté à une partie de la séance du 27 avril et madame la sénatrice, je vous ai entendue dire que, dans l'immense majorité des cas, les personnes qui battaient les enfants étaient les mères. Je n'ai pas vu les statistiques que vous avez citées. Vous en avez cité une; je crois qu'il s'agissait de l'Ontario mais je n'en suis pas tout à fait sûr.
La sénatrice Anne Cools: Je vous dis que les grands spécialistes d'Amérique du Nord, aux États-Unis et au Canada... Connaissez-vous les spécialistes, les experts en matière de violence contre les enfants? Est-ce qu'un nom comme David Gil vous dit quelque chose? Des noms comme Pollock, et Bennie et Sclare vous disent quelque chose?
M. Mark Stevens: J'en connais quelques-uns, madame la sénatrice. Je connais très bien les travaux de Peter Jaffe. Connaissez-vous ses travaux?
La sénatrice Anne Cools: Très bien.
M. Mark Stevens: Parfait, je suis ravi de l'entendre.
La sénatrice Anne Cools: Mais ces travaux ne portent pas directement sur cette question. Ils portent sur le fait d'être témoin.
M. Mark Stevens: Madame la sénatrice, je dirais, à titre de réponse partielle, que je suis convaincu, tout comme l'est Peter Jaffe, que le fait de voir battre sa mère peut être aussi préjudiciable à l'enfant, voire davantage, que de subir lui-même une agression physique. Je travaille constamment avec ces enfants et je suis à même de constater les effets de ce genre de situation.
La sénatrice Anne Cools: Personne ne conteste que le fait d'être témoin de violence peut être une expérience terrible pour un enfant. C'est une expérience terrible pour un enfant. Mais la question que je vous ai posée concernait les victimes de la violence. Je vous ai posé cette question parce que vous dites n'en avoir jamais entendu parler.
La violence est une chose horrible. J'ai travaillé dans le domaine et j'ai moi-même retiré des enfants de leur famille.
M. Mark Stevens: Nous avons donc une chose en commun, madame la sénatrice.
La sénatrice Anne Cools: Exact.
M. Mark Stevens: J'insiste sur le fait que je ne vois pas une grande différence entre le fait d'obliger un enfant à voir sa mère se faire battre... Il y a des enfants avec qui j'ai travaillé qui ont été réveillés à deux heures du matin par leur père qui leur disait: «Venez ici, je veux que vous voyiez cela» et qui alors commençait à battre la mère devant les enfants. D'après moi, cela est beaucoup plus préjudiciable à l'enfant, à son bien-être et à son avenir que de recevoir des claques.
Je me souviens avoir reçu une claque au visage en première année; c'est une religieuse qui me l'avait donnée à l'école catholique que je fréquentais. Cela m'a fait mal mais je n'ai pas eu de séquelles. Voilà.
La sénatrice Anne Cools: Très bien. Vous avez donc rencontré cela une fois?
M. Mark Stevens: Oui, une fois dans ma vie, madame la sénatrice.
La sénatrice Anne Cools: Très bien.
M. Mark Stevens: Je ne pense pas avoir conservé de séquelles, du moins du genre que conservent les enfants avec qui je travaille.
La sénatrice Anne Cools: Très bien. Je vais vous dire quelque chose. Il ne faut rien laisser passer.
J'aimerais verser au procès-verbal la principale étude effectuée dans ce domaine. Madame la présidente, nous allons peut-être être obligées de faire assermenter les témoins pour qu'ils disent la vérité.
Des voix: Oh, oh!
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Silence, s'il vous plaît.
Madame Cools, vous avez posé des questions mais vous ne les avez pas laissé répondre.
La sénatrice Anne Cools: Madame la présidente, avec votre permission...
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Je vous demande respectueusement de faire cela sans bruit.
La sénatrice Anne Cools: ...j'avais une discussion, à laquelle j'avais droit, avec votre permission.
M. Mark Stevens: Madame la sénatrice, j'espère que votre remarque ne s'adressait pas à moi. Je n'aime pas du tout que vous laissiez entendre que je vous ai menti, si c'est bien ce que vous avez dit.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Pourrions-nous passer aux questions qu'a posées Mme Cools?
Une voix: Je vais essayer de répondre aux questions un et trois, la première concernant l'orientation que le système a adoptée face aux enfants à risque et la troisième, qui porte sur les éléments indiquant que les tribunaux accordent de plus en plus la préférence à la garde partagée.
La recherche que nous avons citée dans notre mémoire, qui comprend un article de Dawn Bourque, démontre que les tribunaux, tout comme la société dans son ensemble je crois, ont depuis une dizaine d'années ressenti le besoin de maximiser les contacts avec les deux parents après l'échec du mariage. Cela revient pratiquement à accorder la préférence à la garde partagée. Même si cela n'est pas une règle juridique officielle, au Canada nous n'avons pas de présomption favorisant la garde partagée. Je crois que les études indiquent que sur le plan de la théorie, on accorde une plus grande importance au nombre des contacts. Pour faire plus court, je crois que l'on peut parler ici de garde partagée. Cela s'est traduit par une érosion progressive des droits qui appartiennent au parent gardien. Cela a eu pour effet d'accorder au parent non gardien davantage de droits, mais pas nécessairement davantage de responsabilités. Cela dépend des circonstances particulières.
D'après la façon dont j'ai compris le commentaire qu'a fait Mark tout à l'heure, l'orientation choisie par le système consistant à maximiser les contacts entre les parents et les enfants, orientation qui paraît fort louable à première vue et qui l'est peut-être bien souvent, peut avoir comme effet regrettable d'empêcher les divers spécialistes du domaine, notamment les juges, les évaluateurs, les médiateurs, de reconnaître les éléments indiquant qu'il y a maltraitance et de mettre des systèmes en place pour protéger les enfants.
• 1750
C'est pourquoi je crois que ces deux tendances se recoupent.
Le souci de maximiser les contacts amène parfois des gens qui
travaillent dans le domaine de la garde et des droits de visite à
ne pas prendre suffisamment de précautions pour véritablement
veiller à la sécurité des enfants.
J'espère que je n'ai pas mal compris tes commentaires, Mark, mais c'est ce que me semble indiquer la recherche effectuée dans ce domaine.
Pour ce qui est des statistiques, vous avez parfaitement raison, les ordonnances attribuant la garde partagée ne constituent qu'une petite minorité des ordonnances de garde rendues au Canada mais elles sont en augmentation. À l'échelle nationale, je dirais que 20 p. 100 de ces affaires sont tranchées par les tribunaux, c'est-à-dire, qu'il y a une ordonnance judiciaire et une ordonnance attribuant la garde partagée. Ce chiffre a augmenté de façon exponentielle par rapport à celui que nous avions il y a une dizaine d'années.
La sénatrice Anne Cools: Madame la présidente, notre recherchiste pourrait peut-être préciser cela mais je crois que les ordonnances attribuant la garde partagée représentent environ 12 p. 100.
Madame la présidente, il pourrait peut-être...
Une voix: Ce sont les chiffres que...
La sénatrice Anne Cools: Ce n'est qu'un aspect mineur.
Une voix: J'enverrai une lettre au comité plus tard. Je crois que c'est un peu plus élevé.
La sénatrice Anne Cools: Les renseignements que nous...
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Madame Cools, il ne nous reste que 10 minutes à consacrer à ce groupe et il y a d'autres personnes qui veulent poser des questions. Voulez-vous poursuivre encore un moment ou intervenir plus tard?
La sénatrice Anne Cools: Très bien. Je disais simplement que les chiffres fournis par le ministère de la Justice nous indiquent que les ordonnances attribuant la garde partagée représentent 12 p. 100. Si ce pourcentage est plus élevé, j'aimerais beaucoup le savoir parce que cela me paraît important.
Je serais heureuse de laisser la parole à d'autres.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Très bien et nous pourrons y revenir.
Madame Bennett.
Mme Carolyn Bennett: Votre table des matières va jusqu'à la page 33 mais je crois que je n'ai que 15 pages.
Une voix: Oh, je suis désolée, il y en a 32. Je peux vous fournir...
Mme Carolyn Bennett: La note de synthèse mentionne que certains sujets sont abordés dans l'étude mais je ne les y retrouve pas. C'est peut-être simplement...
Une voix: Il devrait y avoir 32 pages. Je suis désolée que...
Mme Carolyn Bennett: Très bien.
Dans votre note de synthèse, vous dites que vous allez parler de la tendance à préconiser les mécanismes extrajudiciaires de résolution des litiges, des programmes d'éducation des parents et des coupures faites dans l'aide juridique. Je crois que nous avons parlé des mécanismes extrajudiciaires de résolution des conflits et des coupures apportées à l'aide juridique et de l'accès à ce service. Pourriez-vous me dire ce qu'il en est des programmes d'éducation des parents ou de la nouvelle approche adoptée en Ontario et au Québec où l'on présente une vidéo qui décrit les choix qui s'offrent aux parties avant qu'elles ne déposent leur demande de divorce?
Une voix: D'après ce que j'ai compris, la collectivité avec laquelle je travaille insiste pour que les mécanismes de résolution des conflits, la médiation, les actions judiciaires, les négociations ou autres, soient choisis volontairement par les parties. Cela est un aspect tout à fait essentiel pour la médiation, si l'on veut que l'objectif de la médiation puisse être réalisé.
Ce qui nous inquiète, c'est que ces programmes d'éducation des parents favorisent la plupart du temps les mécanismes extrajudiciaires de résolution des conflits. Ce qui nous inquiète, c'est que ces programmes d'éducation des parents font certes souvent ressortir les avantages de la médiation mais ils ne précisent pas toujours les problèmes ou les difficultés que la médiation peut poser dans certains cas. Je crois que...
Mme Carolyn Bennett: Ces préoccupations me paraissent fondées. Le film vidéo que nous avons vu nous a paru très utile parce qu'il montre aux parents le préjudice que causent aux enfants les remarques négatives et ce genre de choses; il fait ressortir la façon dont les gens parlent des autres. Il montre toute l'importance d'amener les parents à bien voir comment ils traitent l'autre parent dans la perspective de l'enfant; le parent qui regarde ce film a l'impression de se voir et de s'entendre lorsque les termes utilisés sont positifs. J'espère que les programmes d'éducation que l'on pourra mettre sur pied à l'avenir répondront à vos préoccupations et que vous n'aurez pas le sentiment qu'on envoie les gens dans une direction donnée.
• 1755
Je souscris au préambule et j'admets qu'il faudra prévoir un
mécanisme permettant d'identifier les cas où il y a violence. Si
l'on prend les autres cas... Je crains que si l'on pousse à leur
conclusion logique les réalités que vous décrivez, il soit plus
facile pour le parent gardien de ne pas avoir à se préoccuper de ce
genre de choses. Je tiens simplement à bien préciser qu'il faut
reconnaître qu'il est parfois bon pour les enfants de passer du
temps avec l'autre parent, si l'on fait exception des cas où il y
a de la violence.
Une voix: Je ne pense pas que nous disons que les enfants ne devraient jamais voir l'autre parent. Bien sûr que non. Dans la plupart des mariages, lorsqu'il y a échec du mariage, les parents essaient de s'entendre pour agir dans l'intérêt des enfants. Nous parlons des situations où il y a de la violence.
Mme Carolyn Bennett: Très bien.
J'ai retenu de l'exposé présenté par les groupes de défense des femmes qu'elles ont bien décrit la violence qu'elles subissent mais que l'échec des mariages sans qu'il y ait violence, le côté de l'histoire vu par la femme, n'est pas décrit du tout. Les obstacles à l'équité... nous avons entendu des histoires poignantes. Je crois que le refus de laisser le père exercer son droit de visite parce que l'on veut gagner et ne pas perdre et démontrer que l'on est un gagnant et non pas un perdant, toute cette dynamique; nous avons vraiment besoin de votre aide pour formuler des recommandations sur ce point.
Une voix: Lorsque les femmes vont devant les tribunaux et qu'elles viennent de quitter une situation violente, elles recherchent la protection.
Mme Carolyn Bennett: Non, non...
Une voix: Elles recherchent de la protection et elles sont souvent très surprises de voir ce qui leur arrive. Les tribunaux les traitent comme si elles étaient de redoutables harpies. Elles sont stupéfaites de cette réaction parce qu'elles s'attendaient à ce qu'on les protège. Je crois que cela est vraiment important. Dans mon groupe, les femmes disent souvent que leur mari dit toutes sortes de choses horribles à leur sujet et qu'il faut même leur dire de répliquer en affirmant: «je suis quelqu'un de bien, je suis un bon parent,» pour équilibrer les choses.
Dans notre mémoire, le mémoire du CASAA, je parle de ce que ferait un bon père parce que je crois que l'on n'en tient pas suffisamment compte. Au lieu d'essayer de trouver ce que font de bien les pères violents pour pouvoir leur accorder un large droit de visite, il faudrait commencer par voir ce que font les bons pères. Les bons pères ne critiquent pas leur ex-femme. Ils respectent la mère. Il y a beaucoup de relations qui prennent fin lorsque cela se produit.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci.
M. Mark Stevens: Pour répondre rapidement à cela, je dirais que tous les membres de l'auditoire, s'ils sont honnêtes, connaissent au moins un père dans leur famille élargie, dans leur cercle d'amis ou parmi leurs collègues qui n'a pas accès à ses enfants comme il devrait l'avoir, un bon père à qui l'on ne permet pas de jouer son rôle. Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que cela est mauvais et que s'il est prêt à prendre soin de ses enfants comme un bon parent le ferait, je crois qu'il faudrait lui permettre de continuer à jouer ce rôle. Je reconnais cela et le mentionne dans mon mémoire mais ce qui m'inquiète, non pas seulement ici aujourd'hui mais dans ce qui s'est passé pendant des années entre les mouvements de défense des féministes et de défense des droits des pères, c'est que je n'entends jamais les personnes qui défendent les droits des pères dire qu'il y a certains pères qui ne devraient pas avoir de contact avec leurs enfants, qu'il y a des pères qui sont de mauvais pères.
• 1800
Lorsque je suis venu assister à votre séance du 27 avril, j'ai
entendu parlé du syndrome de l'aliénation des pères. Je reconnais
que cela est tout à fait valide dans certains cas mais je n'ai pas
entendu parler des pères qui ont délibérément choisi d'adopter un
comportement qui les éloigne de leurs enfants et j'aimerais
beaucoup que les gens qui se trouvent de l'autre côté de cette
question le reconnaissent. Cela me permettrait de les prendre
beaucoup plus au sérieux.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Je crois que M. Perrault veut poser une question.
Une voix: Je voudrais brièvement ajouter quelque chose à ces commentaires. Je pense que le mémoire du comité spécial aborde des aspects qui ne sont pas reliés à la violence et à la maltraitance des femmes, même si nous avons également couvert ces aspects. Je vous rappellerai les commentaires que j'ai faits au sujet de la personne qui s'occupe principalement des enfants. Malheureusement, nous vivons encore dans une société qui est sexiste sur le plan de la famille et sur celui du rôle que les mères et les pères ont tendance à jouer.
Cela n'est pas toujours vrai mais dans l'ensemble, il est encore vrai que ce sont majoritairement les femmes qui élèvent les enfants. Les tribunaux sont presque réticents à reconnaître ce fait parce que nous sommes censés constituer une société égalitaire de nos jours; il est devenu aujourd'hui très difficile pour les juges de reconnaître d'un côté que les pères et les mères ont peut-être joué des rôles différents dans la famille et de l'autre, d'appliquer ces données aux ordonnances relatives à la garde ou au droit de visite lorsque la famille éclate. C'est donc une question qui n'englobe pas uniquement les situations de violence et de maltraitance.
L'autre chose que j'aimerais dire à propos du droit de visite est que les quelques études qui ont porté sur le droit de visite au Canada montrent que cet aspect ne constitue pas un problème grave. Je pense à certains travaux effectués pour le ministère de la Justice par le sociologue James Richardson à la fin des années 80. La plupart des mères gardiennes voudraient en fait que les pères exercent davantage leur droit de visite. Elles trouvent préoccupant que les pères n'exercent pas leurs droits de visite. Il y a effectivement un certain nombre de cas qui ont été mentionnés mais il semblerait que cela ne représente qu'une petite minorité et je crois qu'il faut replacer ces problèmes dans leur contexte.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): M. Perrault pour une dernière question.
Le sénateur Raymond Perrault: Madame la présidente, nous avons entendu des témoignages particulièrement intéressants et émouvants aujourd'hui. Il me semble que les problèmes liés au divorce, à la séparation et à la garde et à tout ce qui va avec touchent douloureusement un grand nombre de personnes. Il est incontestable que tout cela a des répercussions sur le plan des émotions, quel que soit le sexe des personnes concernées.
Nous avons entendu plus tôt un des grands spécialistes du droit matrimonial. Il déplore le nombre des divorces prononcés au Canada. Il ne pense pas que les tribunaux font du bon travail. Il a dit beaucoup de choses. Il a parlé de la nécessité d'améliorer les services de médiation et tout le reste.
Nous savons, après avoir siégé d'un bout à l'autre du Canada, que la violence inquiète de plus en plus la population et que les crimes violents qui sont commis s'expliquent parfois par la façon dont les adolescents ont été élevés, dans des maisons où régnaient la violence et les comportements extrêmes courants.
Si vous étiez ministre de la Justice pour une journée, par quoi commenceriez-vous pour lutter contre la violence dans la société? Quelle serait, d'après vous, la première chose à faire? Faudrait-il renforcer les services de médiation? La violence s'explique-t-elle au moins en partie par la frustration causée par un système judiciaire surchargé, par un manque de personnel capable de s'attaquer aux problèmes auxquels vous travaillez? Est-ce simplement un sentiment général de frustration qui amène les gens non seulement à adopter un comportement violent chez eux mais à conserver ce comportement après l'échec du mariage?
Une voix: Comme je l'ai dit dans mon exposé, les femmes quittent souvent un foyer où il y a de la violence parce qu'elles craignent pour leurs enfants. Elles sont souvent tellement dépréciées par leur mari qu'elles n'ont guère d'estime de soi; mais lorsqu'elles voient l'effet qu'a la violence sur les enfants, cela les pousse à quitter le foyer. Ces femmes essaient depuis des années de faire fonctionner leur mariage et elles ont essayé de changer certaines choses et puis elles décident de partir, et savez-vous ce que je vois? Je vois un système qui prend le rôle de la femme et qui dit: «Eh bien, nous allons lui donner une autre chance. Il faut s'occuper de lui. Oh il a...»
Le sénateur Raymond Perrault: Eh bien, que devrait-on faire?
Une voix: Il faudrait protéger les femmes et les enfants qui quittent leur foyer et veiller à ce qu'ils ne soient jamais plus exposés à la violence.
Le sénateur Raymond Perrault: Mais on ne peut pas se contenter de protéger les gens, il faut faire davantage. Ne pourrait-on pas intervenir plus tôt pour réduire la violence dès le début, pour que la situation ne s'aggrave pas au point où les femmes doivent quitter leur foyer et pour qu'elles conservent l'espoir d'arranger les choses?
Une voix: Lorsqu'elles quittent leur foyer, je ne pense pas qu'il y ait d'espoir. Je pense qu'elles ont essayé, essayé et essayé encore. Les femmes n'abandonnent pas leur foyer à la légère. Elles le font lorsqu'elles constatent les problèmes que cela cause à leurs enfants. Elles veulent offrir un foyer sain et tranquille à leurs enfants. Il est très important de respecter la décision des femmes qui quittent leur foyer.
Le sénateur Raymond Perrault: Et nous vivons maintenant dans une société où on vient de créer un regroupement d'hommes qui s'est donné pour mission de protéger les hommes contre la violence des femmes. On nous a parlé de toutes sortes de choses incroyables. Il est possible que les médias rapportent davantage ce genre de choses qu'auparavant mais il y a des hommes qui se sont regroupés parce qu'ils sont régulièrement victimes d'agression physique de la part de femmes.
Il y a des gens bien des deux côtés de la question; il n'y a pas de solution simpliste. Pouvez-vous nous suggérer des choses que nous pourrions faire au Parlement, pour modifier le droit ou améliorer les services de médiation en vue de protéger la société avant que ces choses n'arrivent?
M. Mark Stevens: Pour ce qui est de la médiation en particulier, bien avant que je fasse le travail que je fais en ce moment, j'ai travaillé dans une scierie, j'étais délégué du personnel, et je sais que la médiation bien utilisée est un outil de grande valeur et très utile. Mais pour que la médiation puisse fonctionner, du moins à ce que j'en sais, il faut que les deux parties soient sur un pied d'égalité. C'est là le problème essentiel lorsqu'on essaie d'utiliser la médiation dans une situation où il y a de la violence, parce que ces gens ne sont pas et n'ont jamais été sur un pied d'égalité. Ce n'est pas dans l'intérêt de l'agresseur.
Le sénateur Raymond Perrault: D'après vous, la médiation ne peut être d'aucune utilité? Mon Dieu, voilà qui ne laisse pas d'être inquiétant; c'est tout ce que je peux dire. Si l'on ne peut plus s'asseoir ensemble et essayer d'en arriver à une entente, c'est que la situation est grave, n'est-ce pas?
M. Mark Stevens: Oui.
Le sénateur Raymond Perrault: Il n'y a pas d'espoir.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci, monsieur Perrault.
L'heure vient de se terminer. Merci beaucoup de nous avoir présenté vos exposés. Nous allons prendre une minute pendant que M. Gallaway and moi échangeons nos casquettes et nous allons présenter ensuite le groupe suivant.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): J'aimerais rappeler aux personnes qui sont ici aujourd'hui qu'il s'agit d'une séance d'un comité parlementaire et que nous vous demandons de garder le silence. Je vous demande de vous abstenir de vous exclamer ou de manifester votre opinion, par des applaudissements ou autrement.
Le groupe de témoins comprend Sheryl Burns, conseillère auprès des femmes de la Yew Transition House, Mme Fatima Jaffer, coordinatrice de l'information auprès des Battered Women's Support Services et je crois qu'elle est accompagnée de Veenu Saini, coordinatrice du programme de défense des droits. Il y a également Sheila Smith, coordinatrice du Kamloops Women's Resource Centre, et à titre personnel, Georgina Taylor et Marie Abdelmalik.
• 1810
Nous allons commencer par Mme Burns de la Yew Transition
House.
Mme Sheila Smith (coordinatrice, Kamloops Women's Resource Centre): J'ai demandé de parler en premier, si vous le permettez.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Je l'ignorais. Très bien. Nous allons donc entendre Mme Smith.
Mme Sheila Smith: Je suis la coordinatrice du Kamloops Women's Resource Centre, poste que j'occupe depuis trois ans. Je suis une travailleuse sociale diplômée et je suis mariée et j'ai deux adolescents. Personnellement, je n'ai jamais vécu une relation violente, ni l'échec d'un mariage, ni de litige en matière de garde ou de droit de visite. J'ai par contre entendu de nombreuses femmes me parler de ces choses. Je suis de plus en plus préoccupée et consternée par ce que ces femmes ont vécu.
Kamloops est une collectivité d'un peu moins de 80 000 habitants qui est située au centre de la province. Les principales industries de la région sont l'exploitation forestière, l'agriculture, les mines, le tourisme et les services gouvernementaux. Les femmes se rendent au centre ou communiquent avec nous par téléphone pour obtenir les services et les renseignements que nous offrons. La plupart des femmes qui s'adressent au centre ont connu la violence dans leurs relations intimes. Les questions de garde et de droit de visite se posent souvent lorsque ces femmes tentent de créer un milieu de vie stable et sécuritaire pour elles-mêmes et leurs enfants.
Ces femmes font face à de nombreuses difficultés et les réponses qu'elles obtiennent du système judiciaire et des services gouvernementaux sont non seulement inadéquats mais bien souvent, elles victimisent davantage encore les femmes et leurs enfants.
En 1995, le gouvernement fédéral a adopté une politique obligeant tous les ministères et organismes fédéraux à examiner les projets de politiques et de lois dans l'optique d'éviter toute discrimination fondée sur le sexe. S'il y a bien un projet de loi qui doit faire l'objet d'une telle analyse, c'est bien la loi relative à la garde et au droit de visite. La loi et la façon dont cette question est abordée est théoriquement non sexiste, les pères et les mères sont traités de la même façon, mais l'expérience qu'ont vécue de nombreuses femmes démontre que tel n'est pas le cas. Pour elles, le résultat est trop souvent la perte du droit de ne pas être victime de violence de la part d'un agresseur; un manque de représentation juridique appropriée, la poursuite d'un harcèlement, direct ou indirect, par l'intermédiaire du système judiciaire, au sujet de la garde de leurs enfants, sans parler de la peur qu'elles éprouvent pour elles-mêmes et leurs enfants et des troubles que cela crée dans leur vie quotidienne.
J'aimerais revoir ce qu'il faut entendre par égalité. Nous avons pensé à un moment donné que l'égalité de traitement était synonyme d'égalité. On reconnaît maintenant que l'égalité de traitement ne donne pas toujours des résultats égaux. Aujourd'hui, la notion d'égalité reconnaît qu'il faut parfois traiter de façon différente les hommes et les femmes pour obtenir des résultats comparables, à cause des différences qui existent entre leurs situations respectives ou pour tenir compte de la discrimination antérieure.
La notion d'égalité est garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. L'article 15 de la charte énonce, comme vous le savez certainement tous, ceci:
-
La loi ne fait acception de personne et s'applique également à
tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de
la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment de la
discrimination fondée sur la race, l'origine nationale ou ethnique,
la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales
ou physiques.
Dans Andrews c. Law Society of British Columbia, la Cour suprême du Canada a affirmé que les dispositions de la Charte relatives à l'égalité avaient pour objectif de protéger contre toute discrimination les groupes qui subissent un désavantage social, politique et juridique dans notre société. Il peut y avoir discrimination si l'objectif ou l'effet d'une loi est d'imposer à un membre d'un tel groupe un désavantage par rapport aux autres citoyens. Le fait qu'il y ait une différence dans le traitement de certains groupes ou individus ne veut pas toujours dire qu'il y a discrimination; pour qu'il y ait discrimination, il faut qu'il y ait un désavantage.
Les politiques du gouvernement respectent la notion d'égalité lorsqu'elles tiennent compte de la situation particulière des Canadiens qui, à cause d'une caractéristique personnelle comme la race et le sexe, se trouvent dans une situation désavantagée sur le plan social, politique ou juridique.
Les analyses qui tiennent compte de la problématique homme-femme démontrent que l'hypothèse voulant que tous les Canadiens sont affectés de la même façon, quel que soit leur sexe, par les politiques, les programmes et les lois, ne tient pas. Selon ce genre d'analyse, la loi et les politiques actuelles appliquées en matière de garde et d'accès qui sont officiellement non sexistes ont trop souvent pour effet de nuire aux femmes en leur refusant le droit à une représentation juste et équitable.
• 1815
L'ignorance générale de la dynamique, des répercussions et de
l'effet à long terme de la violence que subissent les femmes et
leurs enfants de la part de leur mari n'est que trop bien connue
des femmes. Les femmes qui ont des preuves démontrant qu'elles sont
maltraitées n'arrivent pas à se faire représenter par un avocat
pour protéger leurs droits. Les femmes dont la situation de victime
n'a pas été reconnue dans un rapport officiel sont rarement
entendues ou crues.
Trop souvent, les femmes qui ont vécu une relation violente continuent à être harcelées et agressées par les pères qui contestent les ordonnances de garde et de visite pour continuer à contrôler la vie de leur ex-partenaire. Les femmes qui n'ont pas les moyens de poursuivre ce genre de bataille doivent s'en remettre aux caprices du système d'aide juridique pour obtenir la représentation dont elles ont besoin. Dans ma collectivité, on dit aux femmes qu'il n'est pas possible de mener à bien leur dossier avec les ressources que peut leur attribuer l'aide juridique. Les critères d'attribution de l'aide juridique sont de plus en plus stricts et ont tendance à écarter ces femmes.
Statistique Canada rapporte qu'en 1995, à Kamloops, les femmes qui travaillaient à temps plein gagnaient 65 p. 100 du salaire qu'obtenaient les hommes qui travaillaient à temps plein. Les familles monoparentales dirigées par des femmes avaient un revenu moyen de 27 929 $ contre un revenu moyen de 47 927 $ pour les familles monoparentales dirigées par des hommes. Le revenu des familles dirigées par des femmes ne représentait que 58 p. 100 de celui des familles dirigées par des hommes.
Les femmes qui n'ont pas droit à l'aide juridique disposent de moins de ressources que les hommes pour se défendre devant les tribunaux. Dans les deux cas, qu'il s'agisse des femmes qui ont droit à l'aide juridique ou de celles qui ne l'ont pas, les femmes sont désavantagées sur le plan économique lorsqu'il s'agit de se faire représenter pour protéger leurs intérêts et ceux de leurs enfants contre les hommes qui continuent à les harceler et à les agresser.
Le système judiciaire et les services gouvernementaux comprennent mal la dynamique du pouvoir et du contrôle. L'idée que la médiation et les mécanismes extrajudiciaires de règlement des litiges peuvent remédier à la discrimination que subissent les femmes en matière d'aide juridique ne tient pas compte de cette réalité. On connaît mal ou pas du tout la subtilité des moyens utilisés par les hommes pour exercer leur contrôle. Les femmes ne pensent pas être en mesure de choisir et se croient obligées d'accepter des conditions qui les placent dans une situation dangereuse tant pour elles que pour leurs enfants.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Avez-vous presque terminé?
Mme Sheila Smith: Oui.
Il est essentiel que les propositions relatives à la réforme de la garde et de l'accès tiennent compte de ce que vivent les femmes. Il faut prendre en considération l'ampleur du phénomène de la violence et de la maltraitance que connaissent les femmes de la part de leur partenaire. Il faut adopter des dispositions permettant d'améliorer la compréhension de l'importance de cet aspect lorsqu'il s'agit de prendre des décisions relatives à la garde et à l'accès et d'exécuter ces décisions. Les femmes devraient toujours avoir accès à une représentation juridique efficace pour veiller à ce que leurs droits et ceux de leurs enfants à vivre en sécurité soient respectés.
En conclusion, je recommande que des analyses axées sur la problématique homme-femme soient exigées pour tous les aspects des politiques, des lois et de l'exécution des mesures relatives à la garde et à l'accès, que le plan fédéral prônant l'égalité des sexes soit respecté, que la discrimination systémique auquel font face les femmes sur le plan social, économique, politique et juridique dans l'état actuel non sexiste des règles relatives au divorce soit corrigée en portant une attention particulière au phénomène de la violence et de la maltraitance des femmes par leur partenaire et aux questions liées à la sécurité pour les femmes et les enfants en cas d'échec d'un mariage.
Merci.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci.
Mme Burns de la Yew Transition House.
Mme Sheryl Burns (conseillère auprès des femmes, Yew Transition House): Je m'appelle Sheryl Burns et je suis conseillère auprès des femmes à la Yew Transition House. Je travaille également avec les enfants lorsque le personnel qui s'en occupe habituellement est débordé.
Je représente ici la Yew Transition House de la Sunshine Coast. Nous fournissons un abri ainsi qu'une ligne téléphonique d'urgence permanente aux femmes et aux enfants maltraités. L'année dernière, les appels d'urgence et les hébergements ont doublé, 58 p. 100 des appels d'urgence résultant directement de la maltraitance et 77 p. 100 des femmes logées dans l'abri ayant fui une situation violente.
Le personnel de la Yew Transition House est heureux de participer à un processus qui vise à évaluer la nécessité d'adopter une approche davantage axée sur l'enfant pour les politiques et les pratiques appliquées en droit familial. Nous pensons néanmoins que l'intérêt de l'enfant ne veut pas nécessairement dire le partage des responsabilités parentales.
• 1820
Historiquement, la notion d'intérêt de l'enfant a évolué et
elle continue à le faire. À la fin du XIXe siècle, on considérait
que les femmes adultères n'étaient pas aptes à élever des enfants.
Les femmes et les enfants étaient la propriété de l'homme; c'est
donc les hommes qui décidaient de l'avenir des enfants lorsque le
mariage était dissous.
Heureusement, le féminisme a contribué à changer cette situation. En 1929, les femmes se sont vu reconnaître la qualité de personne et ont obtenu le droit de vote. Au cours des années 60, l'adultère a cessé d'être un motif permettant de refuser d'accorder la garde à la mère. De nos jours, les juges refusent souvent la garde pour des motifs d'orientation sexuelle non conventionnelle tandis que les antécédents de maltraitance ne sont pas considérés comme étant pertinents aux litiges relatifs à la garde et au droit de visite.
Le principe voulant que le comportement antérieur ne soit pas pertinent à l'aptitude parentale ne tient pas compte de l'effet que peut avoir sur les enfants le fait d'être témoin d'actes de violence et s'explique par la croyance répandue selon laquelle il est préférable pour les enfants de voir un père violent que de ne pas voir leur père du tout. On pense que les ententes en matière de garde et de droit de visite doivent reproduire la structure familiale antérieure et que les pères qui demandent la garde ont uniquement en vue le bien-être de leurs enfants.
Avec de telles croyances sociales, lorsque la mère tente de réduire le droit de visite du père, on pense qu'elle veut se venger et lorsqu'elle soutient qu'il y a maltraitance, on ne la croit pas. Les responsabilités parentales qu'exerce la mère sur une base quotidienne ne sont guère reconnues alors que l'on glorifie la contribution du père. On considère que les parents sont interchangeables malgré le rôle qu'ils ont joué avant la séparation et le divorce.
Il faut ajouter à tout cela une approche non sexiste aux questions de garde et d'accès qui se présentent sous le couvert d'une approche axée sur l'enfant. L'intention à la base de ce principe est louable mais en réalité, cela empêche de protéger les enfants. On favorise la capacité économique des hommes au détriment des soins que la mère offre aux enfants, ce qui déprécie le statut économique et social des femmes, tout en garantissant aux pères violents un accès élargi à leurs enfants. Nous recommandons que la Loi sur le divorce abandonne les principes non sexistes pour mieux refléter les réalités des femmes et des enfants.
Les litiges en matière de garde et d'accès qui doivent être soumis aux tribunaux représentent un faible pourcentage. Les parents qui saisissent les tribunaux avaient souvent des relations violentes ou très conflictuelles. Le système de justice familiale ne doit pas se faire le complice de la maltraitance que subissent les femmes et les enfants. C'est pourquoi nous recommandons que tout le personnel des tribunaux familiaux soit tenu de recevoir une formation qui lui permette de déceler et de comprendre l'effet de la maltraitance sur les relations personnelles.
La médiation offre aux partenaires violents un forum dans lequel ils peuvent continuer à intimider l'autre. La médiation ne devrait pas être autorisée dans le cas des femmes maltraitées. Les tribunaux devraient tenir compte des comportements violents antérieurs dans les litiges en matière de garde et d'accès. La Loi sur le divorce devrait créer une présomption voulant que le fait pour des enfants de voir leur mère agressée constitue un acte d'agression contre eux et que les hommes qui battent leur femme ne sont pas aptes à élever des enfants. Nous proposons également d'adopter un préambule qui traite des effets qu'entraîne le fait d'assister à des actes de violence.
La disposition relative au parent «prêt à coopérer», qui énonce que la garde doit être attribuée au parent qui est disposé à faciliter le droit de visite de l'autre parent doit être supprimée. Le paragraphe 16(10) pénalise les femmes qui essaient de se protéger et de protéger leurs enfants.
Les changements que l'on souhaitera apporter à la Loi sur le divorce doivent tenir compte de la perspective des enfants. Le fait de voir sa mère battue a un effet dévastateur. Les enfants manifestent des symptômes qui ressemblent beaucoup à ceux que l'on retrouve chez les enfants qui ont directement vécu une agression physique. Compte tenu du fait que la maltraitance se poursuit ou s'aggrave après la séparation dans environ la moitié des relations violentes et qu'il y a un chevauchement de 30 p. 100 entre la maltraitance des femmes et celle des enfants, nous recommandons d'interdire aux parents violents tout contact avec leurs enfants. Lorsque l'accès est autorisé, les visites doivent s'effectuer dans un centre de surveillance spécialement conçu pour garantir la sécurité des femmes et des enfants.
Les femmes ne quitteront les relations violentes qu'elles vivent que si la société remplit sa promesse de protéger les femmes et les enfants. Nous invitons le système de justice pénale et le système de justice familiale de collaborer pour assurer, tant dans l'immédiat que pour l'avenir, la sécurité des femmes et de leurs enfants.
Merci.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci.
Maintenant, madame Taylor.
Une voix: Non, je pense que c'est le BWSS qui est le suivant.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Je suis désolé. Je ne savais pas que vous alliez prendre la parole.
Mme Fatima Jaffer (coordinatrice à l'information, Battered Women's Support Services): Nous sommes heureuses d'avoir l'occasion de prendre la parole devant le comité mixte. Nous estimons que les changements que vous proposerez d'apporter à la Loi sur le divorce sont d'une importance extrême pour les femmes et les enfants des Battered Women's Support Services.
• 1825
Veenu et moi sommes des conseillères de terrain et défenseures
des femmes qui ont vécu ou vivent des relations violentes. Nous
offrons des services d'information, de référence, de défense des
droits et de soutien aux femmes battues et à ceux qui travaillent
pour et avec elles. Les Battered Women's Support Services offrent
également un programme de défense des droits, qui fournit un appui
juridique aux femmes qui sont parties à des instances civiles ou
pénales.
Notre organisme féministe effectue ce genre de travail dans le Lower Mainland depuis près de 20 ans et son personnel connaît bien les questions de garde et d'accès, en particulier lorsqu'elles sont associées à de la violence exercée contre les femmes et les enfants.
Chaque année, 2 000 femmes battues en moyenne s'adressent à nous pour une première fois. Chaque année, nous sommes en contact avec environ 10 000 femmes battues, dont la majorité ont des enfants. Le gros de notre travail juridique consiste à offrir un soutien aux femmes et à leurs enfants pour les questions de sécurité et de protection reliées à la garde et au droit de visite.
Nous allons partager cet exposé et je vais donc donner la parole à quelqu'un d'autre.
Mme Veenu Saini (Battered Women's Support Services): Compte tenu de l'expérience et des connaissances que nous possédons, nous sommes gravement préoccupés par ce qui semble être le mandat du comité et les principes sous-jacents aux travaux du comité et à ces audiences et nous estimons qu'il est important de commencer par vous faire part de ces préoccupations.
Nous avons assisté à la première journée d'audience le mois dernier à Vancouver. Nous avons lu les rapports publiés dans les médias, pris connaissance du mandat du comité, et revu une partie de la transcription des audiences qui ont été tenues dans l'Est.
L'orientation que semble s'être donnée le comité nous inquiète. Par exemple, il semble qu'on applique deux normes différentes pour ce qui est de la crédibilité des témoins, de la fiabilité et de l'intérêt des statistiques fournies, et de l'acceptation d'anecdotes à titre d'élément de preuve.
Nous avons entendu des hommes témoigner sans qu'on les contredise alors que les femmes...
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Vous n'avez pas le droit de faire des commentaires sur la façon dont le comité fonctionne. Ce sont les membres qui décident eux-mêmes de poser des questions ou de ne pas le faire.
Vous êtes ici pour témoigner au sujet du mandat du comité, à savoir les questions de garde et de droit de visite que soulève la Loi sur le divorce. Je vous demanderais de vous en tenir là.
Mme Veenu Saini: Nous avons des appréhensions quant à la façon dont votre comité défini «axé sur l'enfant».
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Notre comité ne cherche pas à définir «axé sur l'enfant».
Mme Veenu Saini: Je reformulerai ce que je viens de dire.
Nous semblons débattre d'une hypothèse d'approche axée sur l'enfant—de fait, cela fait partie du mandat du comité—qui suppose des responsabilités parentales conjointes et un maximum d'interaction. C'est ce que j'aborderai ici sans tenir compte de tous les facteurs connexes comme l'historique de la relation entre les parents et l'enfant, les inégalités entre les sexes, y compris les moyens financiers, et le besoin de protection et de sécurité de l'enfant et, par conséquent, de la mère.
Par exemple, notre expérience nous enseigne que des pressions s'exercent sur les femmes pour qu'elles abandonnent les relations de violence. Quand elles le font, pour protéger les enfants, elles sont trahies par le système de justice civile, qui les force souvent à reprendre contact avec l'auteur de violence dans le cadre d'une médiation, d'un partage des responsabilités parentales et d'arrangements de visite qui ne sont pas sûrs pour elles. Même lorsque la relation n'est pas considérée comme violente, en général, les gens se séparent parce qu'ils sont incapables de s'entendre. Ainsi, un projet de loi qui les forcerait à prendre des décisions conjointes et à se revoir après une séparation, serait probablement futile, impossible à faire respecter et pourrait léser les enfants qui seraient pris entre les deux personnes.
Mme Fatima Jaffer: Par conséquent, la clé pour aborder ces questions et pour en arriver à une approche véritablement axée sur l'enfant est de reconnaître les iniquités sociales, économiques et politiques qui existent au sein de la société canadienne entre les femmes et les hommes. Nous savons qu'en raison de la division des tâches dans notre société, la mère est la première fournisseuse de soins aux enfants, avant comme après une séparation. Cela signifie qu'il est impossible de séparer les meilleurs intérêts et le bien-être des enfants de ceux de leur mère.
Nous prions votre comité de s'assurer que le débat sur les changements à apporter à la Loi sur le divorce ne fasse pas abstraction des sexes, mais plutôt que les iniquités en la matière soient un élément central de toute discussion sur la garde et le droit de visite.
Les approches axées sur l'enfant qui ne tiennent pas compte des sexes augmenteraient le contrôle que les hommes exercent sur les femmes et sur les enfants en leur donnant davantage de droits et d'autorité sans les responsabilités parentales quotidiennes.
Nous prions aussi votre comité de porter une grande attention au fait que la société canadienne et son système de justice doivent composer avec une discrimination systémique à l'endroit des femmes, non seulement parce que nous sommes des femmes, mais aussi parce que nous sommes des femmes autochtones, des femmes de couleur, des femmes de culture ou d'ethnicité particulière, des femmes de religion ou de classe sociale particulière, des immigrantes ou des réfugiées, des personnes handicapées, des lesbiennes et des pauvres.
• 1830
Ces facteurs ont une grande influence sur le type
d'arrangements de garde et de droit d'accès que nous obtenons. Par
exemple, à l'heure actuelle les meilleurs intérêts de l'enfant sont
fonctions des valeurs des Blancs, des gens de classe sociale
moyenne, des mâles, des hétérosexuels et du capacitisme.
Mme Veenu Saini: Pour terminer, j'aimerais signifier notre appui le plus complet à la recommandation mise de l'avant par le Comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants, particulièrement en ce qui a trait aux besoins d'un préambule sur l'analyse des rapports entre les sexes, la discrimination systémique et la violence faite aux femmes dans leurs relations afin d'éclairer ceux qui prennent les décisions en matière de garde et de droit de visite des enfants.
Nous recommandons aussi de redéfinir l'expression «axé sur l'enfant» afin de mettre l'accent sur la sécurité et la protection des enfants et de leur mère plutôt que sur le droit de visite des parents, en tenant compte du fait que la violence faite aux femmes dans les relations est un facteur qui affecte la capacité et l'aptitude de l'auteur de violence d'être un parent.
Nous recommandons que les décisions en matière de garde et de droit de visite soient basées sur les soins réellement fournis et non sur une représentation fantaisiste de ce que la famille devrait être. À moins de faire l'objet d'une demande par les deux parties en cause, le partage des responsabilités parentales ou les plans de partage ne devraient pas être une norme incorporée à la Loi sur le divorce. De tels plans ne fonctionnent que dans les rares cas où les deux parties conviennent de l'appliquer.
Nous recommandons de donner aux juges, aux avocats, aux travailleurs sociaux, aux médiateurs, aux évaluateurs désignés par la cour et aux conseillers du tribunal de la famille une formation sur les questions de violence faite aux femmes dans leurs relations et sur les répercussions pour les femmes et les enfants.
Finalement, nous recommandons à votre comité d'insister sur une aide juridique appropriée pour les causes de droit familial afin que les parties puissent avoir une représentation juridique.
Mme Fatima Jaffer: Nous sommes à préparer un mémoire plus étoffé—le présent mémoire n'est pas le dernier—qui traitera de ces recommandations et qui fournira davantage de preuves. Notre mémoire abordera également une observation entendue aujourd'hui à l'effet que la culture des personnes de couleur comporte plus de violence que celle des Canadiens, ou qu'elle fait la promotion de la violence, ou que les lesbiennes sont plus violentes que les hommes, ou qu'il y a plus de violence dans les relations entre lesbiennes que dans les relations avec des hommes. Les données de notre organisme indiquent que cela est sans aucun fondement, et nous en ferons état dans notre exposé plus tard.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci.
J'essaie de donner la parole à la personne devant le microphone numéro 10 depuis un certain temps. Madame Taylor.
Mme Georgina Taylor (témoigne à titre personnel): Je m'appelle Georgina Taylor, et voici Mme Marie Abdelmalik. Nous défendons les intérêts des femmes qui sont engagées dans des litiges portant sur la garde et le droit de visite des enfants.
Je travaille depuis dix ans dans des maisons pour femmes battues et auprès de groupes qui se préoccupent de questions de garde et de droit de visite des enfants. J'ai moi-même été engagée dans un litige portant sur la garde et le droit de visite d'enfants. Pendant dix ans, j'ai partagé la garde de mon fils avec mon ex-conjoint, qui a été reconnu coupable de violence, jusqu'à ce que mon fils de 18 ans décide l'an dernier qu'il ne voulait plus retourner chez mon ex après avoir été assailli par lui.
Quand nous demandons aux femmes battues dans nos refuges et un peu partout au pays quel était leur plus gros problème il y a dix ans, elles disent qu'il s'agissait d'un problème économique. Quand nous leur demandons aujourd'hui quel est leur plus gros problème, elles nous disent que c'est leur incapacité de protéger leurs enfants contre l'auteur de violence, lorsqu'elles quittent le refuge.
Partout au pays, des femmes battues perdent la garde de leurs enfants au profit d'auteurs de violence. Croyez-moi, cela se produit. Les enfants sont obligés d'avoir des contacts avec les auteurs de violence à cause du droit de visite imposé par le tribunal et par la médiation. Des enfants sont obligés par les tribunaux de passer des week-ends avec un père qui abuse d'eux.
Il y a dix ans, quand je travaillais dans des refuges pour femmes battues, il n'était pas question d'envoyer les enfants chez leur père à tous les week-ends. Aujourd'hui, cela se fait constamment. Nous hébergeons des femmes qui n'ont pas la garde de leurs enfants, des femmes qui sont sous supervision dans un refuge, des femmes qui ont la garde partagée de leurs enfants et qui sont dans un refuge pour femmes battues, et des femmes qui envoient leurs enfants en visite durant le week-end. Nous conduisons ces enfants au lieu où ils doivent se rendre.
Les femmes ont lutté ferme pour que le système de justice criminelle réagisse mieux à la violence faite aux femmes. Plusieurs changements que nous avons obtenus de haute lutte, comme les politiques sur l'arrestation obligatoire, sont menacés lorsque les femmes entrent dans le système du tribunal familial. Ce système favorise la violence alors que le système de justice criminelle est censé l'arrêter.
Nous avons tort de croire que la violence cesse lorsque la femme quitte le foyer. Elle ne cesse pas. De fait, elle augmente parce que les auteurs de violence se servent du droit de visite des enfants pour étendre la violence et leur contrôle bien après le départ de la femme. Contrairement à la croyance populaire, on ne croit pas les femmes battues qui disent au tribunal et à l'évaluateur qu'elles craignent pour la sécurité de leurs enfants. On les accuse même d'être inamicales, de manquer d'esprit de coopération et même d'outrage au tribunal. On les accuse de faire de fausses allégations à leur avantage et d'empoisonner la relation père-enfant.
Il faut plusieurs années avant qu'une femme battue trouve le courage de quitter le foyer. Les médias et la société leur disent de quitter. Elles sont renversées lorsqu'elles se présentent dans des refuges pour femmes battues et que les professionnels de la cour leur demandent si l'homme a frappé les enfants. Ou elles disent qu'un père a le droit de voir ses enfants. Nous connaissons un travailleur du tribunal familial qui a dit à une femme que même Clifford Olson a le droit de recevoir la visite de ses enfants.
• 1835
Il semble que certains professionnels des tribunaux se
préoccupent davantage du fait que le père puisse disparaître que de
reconnaître qu'un père qui use de violence à l'endroit de la mère
est inapte et qu'il ne devrait pas être récompensé par des visites
sans supervision. À moins que le tribunal de la famille ne cesse de
donner aux auteurs de violence un accès aux femmes, nous mentons
aux femmes et nous les trahissons en leur faisant de fausses
promesses, en leur disant que si elles quittent, leurs enfants
seront en sécurité.
Je travaille tous les jours dans une maison de transition avec des femmes qui sont traumatisées parce qu'elles doivent envoyer leurs enfants chez un auteur de violence pour les visites. Je travaille tous les jours avec des enfants qui se renferment sur eux-mêmes et qui abandonnent parce qu'ils ont perdu confiance en leur mère, qui ne peut les protéger, et en un système qui ne veut pas le faire. Tous les jours, je travaille avec des femmes qui disent qu'elles auraient dû rester avec l'auteur de violence plutôt que d'avoir à lui envoyer les enfants sans supervision.
Aucune loi n'oblige le tribunal à refuser la garde ou le droit de visite aux hommes qui sont des auteurs de violence. Aucune loi n'oblige un tribunal à considérer les effets d'être témoin de cette violence. Un homme peut tuer sa femme et conserver son droit de visite des enfants. Combien d'autres femmes et enfants en Colombie-Britannique devront être tués pour avoir menacé de quitter le foyer? Pour l'année écoulée, les chiffres sont plutôt élevés dans la province de la Colombie-Britannique.
La réaction actuelle dans ce genre de situation, à l'échelle du pays, est d'imposer la médiation aux femmes et de leur refuser l'accès à l'aide juridique. Nos refuges comptent plusieurs femmes qui ne peuvent obtenir d'aide juridique. Ironiquement, ce sont les maris auteurs de violence qui reçoivent une plus grande aide juridique pour leur geste criminel que la mère violentée pour protéger ses enfants.
Il n'y a pas de plan de partage des responsabilités parentales ni de médiation qui puisse avoir raison du contrôle qu'un auteur de violence exerce sur une femme qu'il a rabaissée, battue et isolée pendant des années. La violence est une situation de confrontation. Elle exige une approche de type accusatoire et non une médiation. Nous n'avons aucun moyen de prouver nombre de cas de violence qui sont devant les tribunaux. Par contre, s'il y a violence, la cause ira devant un tribunal parce que l'auteur de violence se servira du système pour réaffirmer son contrôle.
Je crois que l'idée que nous nous faisons que les cas de violence constituent une minorité des causes du tribunal de la famille est non pertinente. S'il s'agit d'une minorité de cas, elle est importante et les lois protègent les minorités dans notre pays. Si la Loi sur le divorce ne traite pas de ces cas, c'est qu'elle ne traite pas de la réalité.
Une voix: C'est à cause de cette réalité que nous encourageons votre comité. Nous sommes heureux que votre comité explore une approche davantage axée sur l'enfant, du moins nous l'espérons, par rapport à ce qui a cours actuellement.
Nous vous prions cependant—et nous en revenons au problème d'ensemble sur la base de notre expérience assez large—de remettre en question le mandat de votre comité et de reconnaître que vous n'arriverez pas à une approche axée sur l'enfant si vous partez de l'hypothèse non fondée que l'imposition d'un partage des responsabilités parentales est synonyme d'une approche axée sur l'enfant. Vous n'arriverez pas à une telle approche si vous partez de l'hypothèse que le partage des responsabilités parentales, les responsabilités conjointes, ou les responsabilités parallèles sont dans le meilleur intérêt de l'enfant. Nous vous incitons fortement à reconnaître que vous ne pourrez créer d'approche axée sur l'enfant si vous partez de l'hypothèse non fondée que le bien-être des enfants tient à un maximum de contact entre les parents après la séparation.
Nous vous prions de reconnaître que vous ne créerez pas de véritable approche axée sur l'enfant si vous tentez de séparer les intérêts de l'enfant des intérêts de leur principal fournisseur de soins. En d'autres mots, pour établir une véritable approche axée sur l'enfant en matière de prise de décisions et de détermination de la garde et du droit de visite, nous vous prions instamment d'avoir une compréhension globale de la notion d'approche axée sur l'enfant et des meilleurs intérêts de l'enfant qui fasse en sorte que l'on respecte le bien-être et la sécurité des enfants.
À tout le moins, cela exige de reconnaître et d'aborder les iniquités systémiques auxquelles sont confrontés les enfants et leur principal fournisseur de soins, et de rejeter des fantaisies qui ne tiennent pas compte des rapports entre les sexes comme le partage des responsabilités parentales. Cette idée bien intentionnée ne fait qu'obscurcir la réalité des rapports entre les sexes comme le fait que la femme est le principal fournisseur de soins et donne au parent non gardien le contrôle et l'autorité sans les responsabilités qui s'y rattachent.
À tout le moins, une approche axée sur l'enfant signifie que l'on reconnaît et que l'on remet en question la violence faite aux femmes et aux enfants. Cela signifie qu'il faut assurer l'accès à un système de justice publique qui accepte les affirmations des femmes et des enfants et qui enquête à fond sur les allégations de violence. La réponse n'a rien à voir avec les processus privés comme la médiation et les plans de partage de responsabilités parentales.
• 1840
Pour terminer, je tiens à préciser que vous trouverez dans
notre mémoire et dans ceux que vous ont présentés les groupes
féministes, des recommandations particulières et concrètes sur la
façon d'amorcer le processus. Nous ne nous attendons pas à ce que
vous réussissiez, parce que vous avez une tâche considérable à
abattre. Ce que vous faites n'est qu'un début et nous espérons que
vous utiliserez ces recommandations concrètes pour commencer à
examiner ce que nous croyons être une situation honteuse.
Vous trouverez dans notre mémoire des recommandations qui sont fondées sur la réalité des femmes et des enfants, et nous espérons que vous aborderez nos préoccupations dans votre rapport final. Les femmes et les enfants du pays comptent sur vous pour faire la promotion d'une Loi sur le divorce forte et qui protège les droits à l'égalité fondamentaux de manière proactive. Il n'est plus question que nos enfants soient victimes d'expériences tentées dans le cadre du droit familial.
Je vous remercie.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Passons maintenant aux questions.
Madame Bennett.
Mme Carolyn Bennett: Premièrement, j'ai l'impression que les exposés étaient fondés sur l'hypothèse que notre comité s'est déjà fait une opinion sur tout, même sur le mandat du comité. La notion d'approche «axée sur l'enfant» n'est pas encore définie, et c'est une des tâches de notre comité de s'assurer que nous entendrons le témoignage du plus grand nombre possible de personnes pour nous aider. Selon moi, l'approche axée sur l'enfant commence par la sécurité et la protection. Ensuite, il est possible de passer à autre chose. J'espère que vous savez que notre point de départ est la sécurité des enfants.
Une partie du dernier exposé m'a aidée à répondre à ma première question, qui est la suivante. À la lumière des allégations de violence ou d'abus, que suggérez-vous au comité étant donné l'espèce de nuage noir que ces allégations jettent sur les véritables problèmes? Vous avez parlé d'enquêter à fond sur les allégations de violence, et peut-être que cela m'aide un peu, mais que faut-il faire ensuite?
Cela pose problème, parce qu'on a prouvé qu'au moins un cas d'allégation de violence était faux. Dix ans plus tard, comme nous l'avons entendu ce matin, quelqu'un a admis s'être servi d'allégations pour manipuler une situation. Comment pourriez-vous nous aider à traiter de ces questions? Faudrait-il qu'elles soient prévues dans la loi? Quelle approche adopteriez-vous?
Une voix: Je crois qu'il s'agit d'une question très intéressante à laquelle il faut donner une réponse complète. Auparavant, je crois qu'il faut revenir à certaines hypothèses de base. Vous avez raison, on estime en général que les fausses allégations constituent un problème considérable. Pour moi, il importe de remettre en question la légitimité de ces hypothèses.
C'est vrai qu'il y a une perception publique défavorable, c'est vrai que les médias font la promotion de cette idée, mais je crois qu'il est important, surtout pour vous qui devez faire des recommandations, de revenir à la recherche empirique, qui montre que cela n'est pas un problème.
Je crois qu'il est aussi important d'établir une distinction entre «faux» et «non fondé». Ce n'est pas parce qu'il est impossible de faire la preuve d'une situation que la situation est «fausse». Je crois que c'est là une importante distinction.
Quel était le reste de votre question?
Mme Carolyn Bennett: En tant que féministe, j'éprouve un peu de difficulté chaque fois que cela est soulevé et que les gens disent «Allez, allez, ne vous inquiétez pas trop. Il n'y en a pas tant que cela.» Nous avons des problèmes, parce que s'il y a un seul cas, les gens ont l'impression qu'il y en a plusieurs. Que faisons-nous des cas de fausses allégations et des cas non fondés afin de pouvoir mieux traiter des cas réels? Tant que nous n'abordons pas le problème des fausses allégations, les gens s'imaginent que les cas réels sont également faux.
Comment devons-nous faire? Que faut-il? Je sais que l'une des infirmières m'a fait part d'un très bon outil utilisé pour les travaux de recherche, un outil qui sert à déterminer le degré de violence. Je veux savoir si vous avez quelque expérience d'outils de cette sorte ou s'il y a quelque chose que le comité devrait savoir sur la façon dont vous faites le tri parmi les cas de violence, de façon pratique.
Une voix: Je ne répondrai pas directement à votre question, mais je crois que nous parlons d'allégations de violence qui sont fausses ou non fondées et des conséquences. Nous devons examiner les cas de violence, les cas de violence sexuelle, et les effets que cela peut avoir sur l'existence de la femme ou de l'enfant. Qui en porte la responsabilité, et où la protection est-elle le plus nécessaire?
Des femmes me disent—et elles le disent aussi à certains de mes collègues—qu'elles hésitent à exprimer leurs préoccupations parce qu'elles ont eu beaucoup de difficulté dans le cadre du système à obtenir des preuves fondées, particulièrement si l'enfant est très jeune, qui leur donnent la force nécessaire pour formuler l'allégation. C'est ce qui me préoccupe.
Une voix: Oui, je crois qu'il s'agit d'un très bon point. Selon notre expérience, cette ombre dont vous parliez affecte plus gravement les femmes et les enfants, qui ne sont plus en mesure de parler de ces questions ou à qui on conseille activement de ne pas en parler. On a fait des recherches très intéressantes sur l'analyse de cas de jurisprudence pour savoir ce qui arrive réellement lorsque les femmes soulèvent ces questions et pour connaître le nombre de questions qui sont tout simplement rejetées.
Je crois qu'il faut garder à l'esprit les victimes de ces conséquences. Ce sont les femmes et les enfants.
Mme Carolyn Bennett: Mais que faisons-nous de ces «Il a dit, elle a dit»?
Une voix: Je crois qu'on risque moins de se tromper si tout le monde reçoit une formation appropriée. Cela revient dans tous les mémoires. Il n'y a pas qu'un seul outil de changement. Les moyens législatifs en sont un, mais il y a aussi l'information et l'éducation sur l'omniprésence et sur les conséquences de la violence faite aux femmes, sur les répercussions pour les enfants. Il faut une formation générale pour tous les intervenants du système de justice de la famille et aussi du système de justice criminelle. À partir de là, il sera plus facile d'examiner attentivement chacune des préoccupations formulées.
Mme Carolyn Bennett: Je crois que la prochaine étape est la suivante. En tant que médecin de famille, j'ai pu observer une foule de ces problèmes, de sorte que je sais très bien de quoi vous traitez sur une base quotidienne. J'ai aussi un peu de difficulté à établir un lien entre le bien-être de l'enfant et l'hypothèse que le principal fournisseur de soins est toujours parfait. J'ai vu quelque part que cela n'est pas nécessairement le cas. Si le comité spécial établit un lien trop inextricable, ne risquons-nous pas d'avoir des problèmes en ce qui a trait au meilleur intérêt de l'enfant?
Une voix: Je pense que l'hypothèse du fournisseur de soins principal comporte deux volets. Nous voulons que l'existence de l'enfant soit aussi prévisible que possible après la séparation et le divorce. Nous ne voulons pas d'une série de changements qui risquent de traumatiser l'enfant davantage.
• 1850
Je crois que nous avons tous travaillé avec des femmes et des
enfants aux prises avec des problèmes de violence, et que nous
avons retenu de tout cela que se sont les mères en qui nous pouvons
avoir confiance et que ce sont les pères qui font du mal aux mères,
qui font en sorte que les enfants sont témoins de cette violence et
qui font aussi du mal aux enfants. Comme je l'ai dit dans mon
exposé, il y a un chevauchement d'environ 30 p. 100 entre la
violence faite aux femmes et la violence faite aux enfants. Dans le
cas de pères qui battent leurs conjointes, il y a un risque de 30
p. 100 qu'ils s'en prendront aussi à leurs propres enfants ou
qu'ils useront d'une forme de violence quelconque à leur endroit.
Je crois que nous sommes influencés aussi par le fait que si la société étudie le projet de loi sur le divorce sans tenir compte du rapport entre les sexes, elle accorde davantage d'égalité aux femmes et aux enfants. Si nous ignorons les inégalités auxquelles sont confrontés les femmes et les enfants dans notre société, nous ajoutons à l'inégalité avec laquelle elles doivent composer. En reconnaissant le fait que les femmes sont les principaux fournisseurs de soins des enfants, nous cherchons aussi à reconnaître le rôle que les femmes et les enfants jouent dans notre société.
Mme Carolyn Bennett: Ce type de violence comprend manifestement la violence sexuelle et la violence physique. Le plus pénible pour moi est la violence psychologique, le besoin de contrôler qui affecte plusieurs femmes aux prises avec le problème de pouvoir. Je crois que plusieurs femmes du pays le ressentent. Comment nous aideriez-vous à le définir?
Je suis toujours préoccupée aussi par les 10 p. 100 de femmes qui se rendent en cour. Il y a un sérieux écart de pouvoir dans le fait que 90 p. 100 des femmes ne rendent jamais au tribunal, parce qu'elles ont accepté des choses qu'elles n'auraient jamais dû accepter. C'est pourquoi je pense que les vidéos d'éducation sur les responsabilités parentales et ce genre d'outils sont utiles et permettent au groupe de fournir ce type de conseils ou de soutien, dans le meilleur intérêt des enfants. Comment pourriez-vous nous aider concernant la violence psychologique?
Une voix: Je veux revenir à votre référence à l'éducation en matière de responsabilités parentales. Je conviens avec vous qu'il est utile qu'elle fasse partie de l'éducation sur les responsabilités parentales, et je crois qu'il faut aussi inclure les conséquences que peuvent avoir, pour les enfants, les actes de violence commis à l'endroit des femmes. Il me semble y avoir une lacune à cet égard.
Une voix: De fait, la façon dont tout cela affecte la capacité d'être parent est également importante, et on a souvent ignoré cet aspect dans le passé.
Mme Carolyn Bennett: Merci.
Une voix: J'aimerais aussi répondre à cette question. Une partie de votre question est de savoir comment définir la violence psychologique et comment la traiter. Je crois qu'il y a avantage a retourner au point de départ et à penser à des façons—cela revient à votre question précédente concernant le lien entre l'enfant et le fournisseur de soins principal—d'élaborer des politiques qui, dès le départ, seront fondées sur des principes de soin et de protection.
Par exemple, si une recommandation posait la présomption du fournisseur de soins primaire, vous donneriez le pouvoir à la personne qui se charge des tâches quotidiennes, des soins et vous lui donneriez la responsabilité de prendre toutes sortes de décisions. Une telle approche permettrait de régler une foule de problèmes dès le départ, des choses au sujet desquelles il n'y aurait plus à discuter.
Cela vous éclaire-t-il davantage?
Mme Carolyn Bennett: Oui.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci.
Monsieur Forseth.
M. Paul Forseth: Je vous remercie beaucoup d'être venu et d'avoir préparé ces témoignages pour notre comité.
Dans d'autres forums, et d'un point de vue plus juridique, nous avons entendu des exposés à l'effet que la loi devrait peut-être être modifiée afin d'y ajouter une sorte de liste et de définition de ce qu'est vraiment le meilleur intérêt ou de choses à inscrire sur une courte liste dans la loi elle-même.
La définition de meilleurs intérêts a été soulevée par certains des intervenants d'aujourd'hui. Je crois que quelqu'un a tenté de caractériser ce qu'il estime être les meilleurs intérêts comme quelque chose d'assez limité, ou peut-être est-ce une définition trop étroite au sens historique, comme vous avez pu l'observer dans les tribunaux. J'aimerais que vous puissiez élaborer davantage sur cela. Quelle science du développement de l'enfant ou quelles études vous servent à établir votre point de vue—non pas des croyances politiques, mais une science du développement de l'enfant qui s'intéresse aux besoins de l'enfant? Dans quelle direction devrions-nous aller pour tenter d'élaborer une liste de définitions juridiques qui guideraient les tribunaux sur ce qui devrait être une définition plus appropriée des meilleurs intérêts de l'enfant?
Mme Marie Abdelmalik (témoigne à titre personnel): La nécessité d'un préambule se situe dans les recommandations auxquelles vous faites allusion: reconnaître l'analyse des rapports entre les sexes, reconnaître l'existence de la violence et reconnaître aussi les barrières multiples autres que le sexe et l'âge de l'enfant auxquelles femmes et enfants sont confrontés. C'est à ce niveau que le préambule s'impose, afin de donner un encadrement pour les décisions qui doivent être prises et pour examiner tous les aspects de la réalité de la vie des femmes et des enfants.
M. Paul Forseth: Là où la Loi sur le divorce aborde la question des meilleurs intérêts, serait-il utile d'avoir une courte liste d'autres éléments pour donner des directives aux tribunaux relativement à ce qui est fondamental aux meilleurs intérêts plutôt que de nous contenter de dire les «meilleurs intérêts» et de laisser la décision à divers mécanismes comme c'était le cas jusqu'à maintenant: la connaissance qu'a le juge des décisions qui ont été rendues et des points forts des avocats qui défendent l'une ou l'autre partie? Aimeriez-vous qu'il y ait une définition juridique plus poussée dans la loi? Cela serait-il utile?
Mme Marie Abdelmalik: Le caractère indéterminé des meilleurs intérêts pose un grave problème actuellement. On constate à l'examen de toutes sortes de cas de jurisprudence que la discrétion du système judiciaire a eu des conséquences terribles pour les femmes et pour les enfants, et je suis sûre que cela a aussi été le cas aussi pour certains hommes.
Je crois qu'il faut donner des directives plus claires non seulement au système judiciaire, mais aussi aux médiateurs, et à tous les autres intervenants qui risquent d'être visés par les nouvelles dispositions de la loi. Toutes sortes d'intervenants ont parlé de la nécessité d'éliminer toute hypothèse concernant le maximum de contact, qui fait maintenant partie du principe des meilleurs intérêts. Cela pose un certain type d'hypothèse dès le départ concernant le caractère de la famille après le divorce. C'est là une disposition importante à éliminer.
D'autres intervenants ont parlé de la nécessité d'inclure la présomption de principal fournisseur de soins. En soi, cela contribuerait certainement à lever une grande part d'imprécisions. D'autres intervenants aussi ont parlé de la nécessité d'un énoncé législatif explicite précisant que le comportement de violence en soi est une indication de l'impossibilité de s'acquitter de responsabilités parentales et que cela devrait, en soi, être une présomption contre la possibilité de garde ou de droit de visite sans supervision ou, dans certains cas, pour refuser tout droit de visite. Même ces quelques suggestions mineures permettraient de réduire l'élément de discrétion et d'en arriver à des résultats plus prévisibles, et possiblement à de meilleurs résultats.
Est-ce là des éléments particuliers que nous recherchons?
M. Paul Forseth: Fondez-vous ces opinions sur une science du développement? Par exemple, la personne qui veut obtenir un diplôme en médecine suivrait des cours sur le développement de l'enfant et pourrait citer divers ouvrages portant sur les travaux de recherche les plus récents concernant ce qui est utile pour le développement physique et social des enfants. Une bonne partie concerne ce qui est bon pour les responsabilités parentales et ce qui ne l'est pas. Je me demandais si vous pouviez faire référence à une partie de ces éléments, parce que j'aimerais que les recommandations soient ancrées dans une base solide.
Mme Marie Abdelmalik: Je crois qu'il est important de reconnaître qu'il y a eu deux courants de recherche. L'un a porté sur les enfants du divorce, surtout sur les effets du divorce sur les enfants.
• 1900
La seule chose que l'on puisse déduire de l'ensemble des
connaissances qui découlent de ce courant de recherche—nous
pourrions avoir un long débat sur les problèmes de méthodologie de
plusieurs de ces études—est que l'accent devrait être mis sur le
renforcement de l'adaptation du parent gardien et de l'enfant après
un divorce. On constate constamment que l'adaptation psychologique
du parent gardien est liée à l'adaptation de l'enfant; ce n'est pas
la fréquence ou le manque de contacts du parent non gardien.
Personnellement, je n'accorde pas une grande importance à cette recherche. J'ai plutôt tendance à m'appuyer sur l'autre courant de recherche, qui n'attire pas autant l'attention et qui porte sur les enfants qui vivent dans la violence familiale. C'est là où...
M. Paul Forseth: Par conséquent, vous n'endossez pas nécessairement une approche axée sur l'enfant comme une approche axée sur le parent gardien?
Mme Marie Abdelmalik: Non. Par exemple, une des citations est tirée de l'ouvrage de Wallerstein et Tony Tanke, intitulé To Move or Not to Move: Psychological and Legal Considerations in the Relocation of Children Following Divorce. Ces auteurs ont constaté que l'adaptation psychologique du parent gardien était presque toujours liée à celle de l'enfant.
Il y a un lien. C'est le seul lien que l'on semble relever de manière consistante, le seul facteur important.
Je dois cependant préciser que je ne m'appuie pas trop fermement sur ces travaux de recherche. Il y a trop de résultats qui manquent d'uniformité, et je ne saurais m'y fier pour faire des recommandations.
Je me sens plus à l'aise avec l'autre courant de recherche qui porte sur les enfants issus de la violence familiale et qui retient peu l'attention en matière de politique ou de prise de décisions. Peter Jaffe a fait un excellent travail et, selon moi, on devrait en tenir compte pour l'élaboration des meilleurs intérêts quand on prend des décisions pour les enfants.
M. Paul Forseth: Merci.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci. J'aimerais poser quelques questions.
Connaissez-vous le Dr Edward Kruk de UBC? Quelqu'un le connaît-il?
Une voix: J'ai entendu parler de lui.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Il était ici ce matin. De fait, il vient de partir.
Il nous a dit ce matin que le facteur clé numéro un dans l'adaptation des enfants à la suite d'un divorce est le maintien des rapports avec les deux parents. Cela semblerait contredire—désolé, c'est...
Mme Marie Abdelmalik: Je ne vous obligerai pas à dire mon nom de famille. Mon prénom est Marie.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Cela semble contredire l'étude à laquelle vous faisiez référence. Si vous pouviez nous donner le titre, nous pourrions vérifier.
Mme Marie Abdelmalik: Je vous recommanderais de lire l'une des critiques, comme celle des chercheurs juridiques Bala et Bailey en 1993. C'est probablement la critique la plus poussée de la recherche sur les enfants du divorce. Elle a été réalisée par Bala et Bailey en 1993. Je crois que l'ouvrage s'intitule Canada: Recognizing the Interests of Children.
Une partie de leur travail a consisté à examiner un large segment de la recherche sur les enfants du divorce. Les auteurs concluent qu'il y a très peu d'uniformité entre les diverses études. Néanmoins, on a formulé un paquet de recommandations qui sont fondées sur des résultats non concluants. Même des chercheurs juridiques qui ont fait des études plus poussées ont dit que les résultats manquaient d'uniformité et qu'il était prudent de ne pas sauter à des conclusions comme celles qui posent que le maintien des rapports entre les deux parents est le meilleur indicateur de l'adaptation des enfants à la suite d'un divorce.
Je vous demande de nouveau quelle était l'ampleur de l'étude. S'agissait-il d'une étude générale? Quels autres facteurs a-t-on considérés? Il y a tellement de questions que l'on pourrait poser pour vérifier la légitimité ou les généralisations de ces diverses études.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Avant de quitter, Mme Taylor a déclaré que la violence est une situation de confrontation et que c'est la raison pour laquelle il nous faut un processus accusatoire.
Madame Smith, vous dites croire les histoires de violence qui vous ont été racontées.
Madame Burns, vous dites que la violence est considérée comme non pertinente dans les litiges portant sur la garde ou qu'elle devrait être considérée comme pertinente. Vous avez également dit que les parents qui sont auteurs de violence ne devraient pas avoir de droit de visite.
Mme Bennett a parlé de ce que j'appellerais un phénomène dont il faut s'occuper, c'est-à-dire la question des allégations. On compte un certain nombre de décisions de la cour où les juges commencent à référer à l'arme de choix des femmes.
Récemment, nous avons entendu le témoignage d'un représentant de la Société d'aide à l'enfance d'Ottawa—Carleton qui disait que sur les 900 cas d'allégation de violence liés à un litige portant sur la garde et le droit de visite des enfants, 600 étaient non fondés ou non corroborés. Cela indique très certainement que le problème existe. Il est impossible de le quantifier à ce moment, mais c'est la première information que nous recevons que le problème existe.
S'il y a allégation de violence, selon la déclaration de Mme Taylor, nous avons besoin d'un système accusatoire pour la mettre à l'épreuve, pour qu'il y ait un fardeau de la preuve quelque part dans le système—que devrions-nous faire, où devrions-nous mettre l'accent, qui déterminera à quel moment s'est produit la violence? Faudra-t-il faire appel à un travailleur social? Ou au tribunal?
Deuxièmement, que feriez-vous dans le cas d'un parent, peu importe le sexe, qui fait une allégation de violence qui est manifestement fausse? Je ne parle pas d'un cas où quelqu'un dirait que le fait n'est pas corroboré. Nous obtenons des preuves judiciaires que la situation devient omniprésente, qu'elle s'immisce dans notre système de justice. Que feriez-vous de ces cas?
Mme Sheryl Burns: J'aimerais répondre en vous donnant certains chiffres et en revenant sur les données que vous venez de citer.
Au départ, les chiffres que vous venez de citer concernent la Société d'aide à l'enfance. Le fait que 600 des 900 cas étaient non fondés ou non corroborés ne signifie pas nécessairement qu'ils sont faux. Une accusation comme celle de violence sexuelle, par exemple, est très difficile à prouver. La violence physique peut aussi être très difficile à prouver à moins de pouvoir observer les blessures immédiatement après l'assaut. Je crois qu'il faut être très prudent quand on cite de tels chiffres et quand on dit que les deux tiers de toutes les allégations sont fausses. Je ne le crois pas.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Vous voulez dire non corroborées.
Mme Sheryl Burns: C'est cela, non corroborées. Je crois qu'il faut user de prudence pour interpréter ces chiffres.
Je sais aussi que 2 p. 100 de tous les litiges portant sur la garde et le droit de visite sont teintés d'allégation de violence. Sur ces 2 p. 100, on constante que 16,5 p. 100 sont faux ou non corroborés. Par conséquent, je vous mets en garde contre le fait que cela signifie absolument que les allégations sont fausses.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Pouvez-vous nous dire sur quoi ces chiffres sont fondés?
Mme Sheryl Burns: Ces chiffres sont tirés d'une étude de Susan Penfold, intitulée Questionable Beliefs About Child Sexual Abuse Allegations During Custody Disputes. De plus, parmi les 16.5 p. 100 de cas de 2 p. 100 des allégations, on constante qu'un nombre égal d'hommes et de femmes font de fausses allégations.
Je crois qu'il faut être très prudent quand on parle d'allégations de violence et du fait qu'elles sont omniprésentes dans le système de justice. Je ne crois pas que ce soit le cas. Selon ma propre expérience du travail avec les femmes qui soupçonnent souvent que leurs enfants sont victimes de violence, elles hésitent grandement à faire état de ces allégations parce que le message est clair: elles seront pénalisées et on ne les croira pas si elles s'expriment.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Ma question était la suivante: À qui donneriez-vous l'autorité d'établir s'il y a un cas d'abus ou non?
Mme Sheryl Burns: Selon moi, ceux et celles qui travaillent directement avec des femmes et des enfants victimes de violence sont souvent les mieux placés pour comprendre et reconnaître les signes de violence. En toute franchise, des gens que l'on appelle des professionnels m'ont très souvent déçue, dans des situations où je savais qu'il y avait de la violence mais où ils étaient incapables de la reconnaître.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Vous dites savoir qu'il y a eu violence, mais savez-vous qui en est l'auteur?
Mme Sheryl Burns: Oui.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Il y a aussi un autre ensemble de preuves qui laisseraient croire que certaines des personnes qui font des allégations de violence sont elles-mêmes les auteures de violence.
Mme Sheryl Burns: Les femmes et les enfants que je soutiens à la maison de transition font état de ces preuves.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): D'accord, parmi votre clientèle. Merci.
La sénatrice Cools a une dernière question à poser.
La sénatrice Anne Cools: Merci beaucoup.
Je tiens à remercier les témoins qui se sont présentés devant nous.
Je tiens à vous dire que pour moi le problème des fausses allégations est totalement différent et n'a même aucun lien avec les problèmes de violence domestique. J'ai étudié les deux questions de façon assez poussée. Je tiens à préciser que je n'ai rien demandé à ces personnes au sujet des fausses allégations, parce que selon moi, ce sont deux pathologies différentes. Comme il s'agit de deux pathologies différentes, j'estime qu'il faut les aborder de manière différente et y apporter des remèdes différents.
Vous travaillez directement avec des femmes qui ont grandement souffert. Parmi ces femmes—peut-être avez-vous fourni ce renseignement plus tôt et je ne les ai pas entendus parce que je suis entrée et sortie à plusieurs reprises de la salle—parmi les femmes avec lesquelles vous avez travaillé et auxquelles vous avez parlé, combien ont demandé le divorce et combien ont obtenu un jugement de divorce?
Mme Sheryl Burns: En toute franchise, je ne saurais répondre à cette question. Il me faudrait consulter une grande quantité de documents à la maison. Je dirais, grosso modo, 20 p. 100.
La sénatrice Anne Cools: C'est 20 p. 100. Quelqu'un d'autre a-t-il des chiffres concernant le nombre de personnes qui ont demandé le divorce et qui ont obtenu un jugement de divorce?
Mme Sheryl Burns: Je dois préciser que la maison de transition Yew en est une pour les séjours de courte durée, de telle sorte que nous ne connaissons pas toujours les résultats à long terme.
La sénatrice Anne Cools: Je comprends cela. Je comprends cette difficulté. S'agit-il de 20 p. 100 de divorces accordés ou de divorces demandés?
Mme Sheryl Burns: Demandés.
La sénatrice Anne Cools: Des demandes de divorce. Ainsi, 80 p. 100 des femmes battues que vous hébergez ne demandent pas le divorce.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): La question s'adresse à Mme Burns.
La sénatrice Anne Cools: Selon vos chiffres, c'est-à-dire 20 p. 100...
Mme Sheryl Burns: C'est un chiffre que j'avance comme ça...
La sénatrice Anne Cools: D'accord, donnez-moi un autre chiffre juste comme cela. Quel que soit le chiffre—si vous voulez revoir ce chiffre de 20 p. 100, allez-y. Je vous avais demandé quel nombre—20 p. 100. Maintenez-vous toujours ce chiffre de 20 p. 100?
Mme Sheryl Burns: Oui, a priori. J'aimerais cependant le vérifier.
La sénatrice Anne Cools: Par conséquent, 80 p. 100 des femmes ne demandent pas le divorce.
Une voix: Nous ne le savons pas.
Mme Sheryl Burns: Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une question totalement juste, parce que j'ai précisé que nous sommes une maison où les femmes font de courts séjours. Essentiellement, nous accueillons les femmes qui fuient un auteur de violence. De plus, nous savons que les femmes qui sont dans une relation où il y a de la violence ont besoin de quitter cette relation de neuf à 11 fois avant d'être prêtes à faire le saut final et à mettre un terme à la relation. C'est à cause de tous les obstacles qui se dressent face aux femmes qui cherchent à fuir un conjoint violent.
La sénatrice Anne Cools: Il est très difficile de se renseigner sur la violence familiale en ce qui a trait directement au divorce, et vous dites que les femmes doivent s'y reprendre à environ neuf reprises avant de quitter. Il y a quelques semaines, un témoin nous a dit qu'elle avait quitté le foyer à 35 reprises avant de demander le divorce.
Mme Sheryl Burns: Il se peut qu'il y ait eu une référence au fait que les femmes sont en général agressées 35 fois avant qu'elles s'adressent à la police. Il s'agit d'un chiffre très familier.
La sénatrice Anne Cools: D'accord, je vous l'accorde, je suis prête à l'accepter aux fins de la discussion.
Là où je veux en venir est que dans les cas les plus graves et les plus pathologiques de votre dynamique de la violence conjugale—parce qu'il s'agit d'une dynamique, d'une dynamique terrible—les plus récalcitrants sont réticents à laisser leur conjoint; il est très rarement question de divorce dans ces cas. Erin Pizzey parle de «danse de la mort», parce qu'il est question non seulement de violence familiale, mais aussi de violence familiale létale...
Mme Sheryl Burns: Au plan philosophique, je ne suis pas très à l'aise avec cela...
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Avez-vous terminé, madame la sénatrice?
Mme Sheryl Burns: Vous permettez que je réponde?
La sénatrice Anne Cools: Monsieur le président, je cherche surtout à obtenir l'information que je demande depuis un certain temps déjà, parce que les données et la preuve laissent supposer que certaines de ces pathologies sont si profondes que les gens demeurent emprisonnés dans ces relations jusqu'à perpétuité ou presque et que, dans la plupart de ces cas, il n'est même pas question de divorce.
Certains chercheurs parlent de violence conjugale commune. Tout est question de langue. Il serait bien d'obtenir certains profils sur la violence et sur les situations qui suscitent la violence et sur les conditions terribles qui affligent les individus. L'un des aspects demeure l'isolation. De toute façon, j'ai fait beaucoup de travail pour tenter d'établir la place réelle de la violence dans les causes de divorce, non pas dans les cas où il est question de conjoints de fait, mais dans les causes de divorce. Mais c'est d'accord, merci.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci d'être venus.
Mme Carolyn Bennett: Vous vouliez parler un peu de l'aspect multiculturel.
Lors d'un caucus de femmes il y a deux semaines, nous avons exprimé de fortes préoccupations concernant une chronique parue dans un journal portugais de Toronto; il était question de contrôle et du droit des hommes de contrôler les femmes. Je crois qu'il s'agissait presque de littérature haineuse, du moins en ce qui concerne les femmes au sein du caucus.
Je me demande si les groupes de femmes ont lu cet article ou si elles pourraient nous aider à y réagir? Il est très inquiétant de lire ce type de langage en 1998.
Une voix: Je ne me souviens pas de cet article, mais j'ai vu des articles dans le West End Times et dans le Vancouver Sun qui seraient comparables selon moi. Je crois qu'il y a beaucoup d'articles de ce genre et que toutes les cultures sont visées.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci beaucoup d'être venu. Nous apprécions votre visite.
Nous faisons une pause de dix minutes.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Nous reprenons nos travaux.
Nous avons parmi nous le Dr Jennifer Wade.
Docteur Wade, je constate que sur notre liste on a orthographié votre nom de manière plutôt originale, mais l'erreur a été corrigée.
Nous accueillons aussi Mme Colleen Murphy et Mme Nicole Deagan, conseillères en soins pour les enfants.
Nous commencerons par madame Wade.
Mme Jennifer Wade (témoigne à titre personnel): J'aimerais aborder la question de l'iniquité des décisions courantes en matière de garde et de droit de visite des enfants après un divorce à la lumière du fait que les valeurs traditionnelles sont complètement négligées.
Il semble que trop souvent aujourd'hui les humeurs et les préjudices des juges influent sur des décisions qui affectent la vie d'un grand nombre d'enfants et de parents, qui ne peuvent se permettre que l'on porte des jugements sur ce qui est permis d'appeler des motifs plutôt nébuleux.
Permettez-moi de vous dire que j'ai vécu un divorce en 1979, et que, heureusement, l'adultère, l'abandon du foyer et la cruauté mentale étaient des motifs légitimes pour obtenir le divorce et la garde des enfants dans les années 70. Bien que je n'aie pas eu de revenu à cette époque et que j'aie passé 18 ans de ma vie de femme mariée principalement à la maison, ce sont mes enfants qui m'ont donné une raison de continuer. Mes deux enfants sont devenus des adultes responsables et attentifs.
À cette époque, on n'accordait pas beaucoup de poids au droit de visite d'un parent qui avait commis l'adultère, et même si mon mari est parti avec une nouvelle conjointe, j'ai pris les enfants pour aller vivre près de mes parents et de mes beaux-parents, une décision sensée qui est toujours prise dans de telles circonstances. Par contre, j'ai fait en sorte que les enfants gardent le contact avec l'autre parent pendant leurs années de croissance, ce qu'ils ont fait, pour le plus grand bien de toutes les personnes concernées.
• 1940
Par conséquent, je ne parle pas de moi dans cet exposé. Je
parle plutôt au nom des personnes qui, aujourd'hui, souffrent de
l'absence de normes pour les décisions qui sont prises au sujet de
la garde des enfants et même au sujet du divorce.
L'adultère, qui semble être traité avec légèreté par les tribunaux, est tout aussi pénible pour l'autre partenaire qu'il l'était autrefois. L'adultère s'accompagne aussi de mensonges, de tromperies et de connivence qui en disent long sur le caractère de la personne. Plus souvent qu'autrement, le partenaire qui commet l'adultère a un degré de maturité moindre et il est plus égocentrique, il met ses propres désirs avant les préoccupations d'autrui. Souvent, ce sont des gens qui estiment nécessaire de rechercher une assurance sexuelle pour leur propre valeur.
Soyons cyniques et rappelons que les philosophes d'un autre âge ont dit qu'une famille est un groupe de personnes gravitant autour du membre le plus égoïste du groupe. S'il y a là une certaine vérité, il faut se dire que les enfants ne méritent jamais d'être condamnés à vivre avec le parent le plus égoïste et le plus irresponsable, celui qui a renié sa responsabilité ou qui, en langage d'aujourd'hui, a «flanché», peu importe que ce parent soit le plus charmant ou le plus enjoué.
À une époque où on accordait une plus grande valeur au bon sens, même dans le cas de personnes riches et célèbres—des personnes comme Happy Rockefeller et Ingrid Bergman—il n'était pas question de se demander où vivraient les enfants et avec qui ils resteraient. Le bon sens dictait qu'ils restent avec le parent le plus stable et le plus responsable, de préférence dans la maison familiale.
Aujourd'hui, cela ne tient plus. On entend toutes sortes d'histoires farfelues, par exemple que la mère est celle qui donne les meilleurs soins, que les jeunes enfants doivent demeurer avec la mère ou que le parent qui a les moyens financiers ait la garde des enfants, c'est ce qui dicte la conduite des tribunaux. Souvent, les querelles entre avocats et les jeux de coulisse finissent par appauvrir complètement une famille tout entière. Cela ne peut être dans le meilleur intérêt de l'enfant.
«Dans le meilleur intérêt de l'enfant», voilà une expression que j'ai beaucoup entendue aujourd'hui. À n'en pas douter, il faudrait qu'elle régisse les décisions rendues en matière de garde et de droit de visite.
La question a été posée lors de la dernière séance: comment établit-on les critères? Peut-être faut-il poser des questions simples et sensées? Quel parent, dans l'intérêt de l'enfant, donne le plus de lui-même, s'inquiète le plus au sujet de l'enfant, prend un peu plus au sérieux les questions de discipline de l'enfant, établit de meilleurs rapports avec l'enfant ou fixe des normes plus élevées pour cet enfant? Quel parent perçoit l'enfant moins comme une extension de soi, de son ego que comme une personne qui se développe, qui a beaucoup de besoins et à qui on doit montrer des choses, que l'on doit aimer? Il n'est certes pas si difficile de discerner quel parent est le plus apte à répondre à tous ces critères si l'on interroge les voisins, les responsables de l'école ou les amis.
En tant qu'ex-administrateur de la société Elizabeth Fry de Vancouver et de la société nationale, j'ai vu les conséquences de l'attribution de l'enfant au mauvais parent, les problèmes liés aux beaux-parents et la destruction incessante. Jusqu'à quand notre société pourra-t-elle tolérer une telle destruction?
Je me souviens plus particulièrement du témoignage d'une jeune femme qui disait qu'au moment de l'éclatement de sa famille, quand elle avait neuf ans, personne ne lui avait demandé où elle aimerait aller vivre. On l'a confié à son père et à la nouvelle amie de celui-ci plutôt qu'à sa mère auprès de laquelle sa vie s'était passée jusque-là. Elle a mentionné qu'elle se souvenait avoir demandé à son père s'il ne pouvait pas donner un peu d'argent à sa mère pour qu'elle-même puisse retourner chez sa mère. Ces demandes sont restées sans réponse.
Quand son père s'est installé chez une amie, cette jeune fille a fait une fugue, s'est attirée beaucoup de problèmes et de difficultés et elle a erré à New York et en Californie jusqu'à ce qu'elle retourne à la maison et qu'elle trouve une raison de se prendre en main avant qu'il ne soit trop tard. Les excellentes notes qu'elle avait eues à l'école et son amour de l'école ont semblé peu importants après qu'on l'eut enlevée au parent avec lequel elle voulait le plus être. Aujourd'hui, elle a 31 ans et elle vit avec sa mère.
• 1945
Je parle de cette fille, mais elle n'est qu'une des nombreuses
personnes qui souffrent à cause de l'insensibilité des tribunaux en
matière de garde des enfants. J'en parle parce qu'elle serait
disposée à témoigner devant votre comité.
Je me demande pourquoi on ne donne pas le choix aux enfants de tous les âges et pourquoi les adultes capables de discernement et ayant une expérience et une certaine sagesse ne les écoutent pas attentivement? Il faut que la voix de l'enfant soit entendue et que l'on tienne compte de son point de vue. L'article 12 de la Convention sur les droits de l'enfant aborde cette question très importante pour tous les enfants, le droit d'être entendu.
Parfois, je ne peux m'empêcher de penser que la justice tribale dont j'ai déjà été témoin, il y a quelques années, à l'époque où je vivais dans la partie nord-ouest reculée du sous-continent de l'Inde, était beaucoup plus exacte, faisait preuve d'un plus grand discernement et était un système plus juste encore que ce que nous avons en Amérique du Nord à l'heure actuelle, pour quiconque entre dans un tribunal. Le système était rude, mais il était plus censé pour la collectivité. Souvent, c'est la collectivité qui était juge. Peut-être faudrait-il nous inspirer de ce type de comportement et réduire les pouvoirs des juges, qui semblent de plus en plus porter des jugements arbitraires.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Madame Wade, je regrette d'intervenir, mais vous avez un peu dépassé le temps qui vous était alloué.
Mme Jennifer Wade: Pourrais-je passer rapidement trois paragraphes en lisant plus vite?
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Oui.
Mme Jennifer Wade: Plus récemment, j'ai assisté à un procès où la garde de trois jeunes enfants a été confiée à une femme qui avait commis l'adultère avec un homme de huit ans plus jeune qu'elle. De son propre aveu, ce jeune homme, avait admis avoir usé de violence envers sa soeur afin de la discipliner, parce qu'elle souffrait de problèmes mentaux. Cela a été dit devant le tribunal. C'était le partenaire de la femme à qui l'on a confié la garde de trois jeunes enfants.
Le père, un pêcheur commercial qui avait été à toute fin pratique le principal fournisseur de soins, n'a plus rien à dire dans l'éducation, les soins de santé, l'éducation scolaire ou religieuse des enfants, qui pour lui représentent plus que toute autre chose. Avec de tels jugements, qui gagne et qui perd?
Le juge aurait dit que le père était en colère contre sa femme. Peut-on comprendre qu'un homme soit en colère dans de telles circonstances? Entre-temps, la famille a englouti toutes ses économies dans le litige.
Il semble que les hommes, plus souvent qu'autrement, sont laissés pour compte quand il est question de garde et de droit de visite. Cela se produit souvent parce que notre société entretient un mythe tenace concernant le caractère sacré de la mère et des soins qu'elle prodigue. Ce mythe se perpétue et semble prévaloir malgré les rapports qui font état de la vérité, comme le rapport du juge Gove sur la violence contre les enfants en Colombie-Britannique.
Au fil des travaux, il devient assez évident que la violence et la méchanceté ne sont pas l'apanage d'un seul sexe. Il faut cesser de faire de l'angélisme et abandonner cette fausse adulation des femmes en tant que fournisseurs de soins et de douces madones, particulièrement lorsqu'il s'agit d'attribuer la garde des enfants.
Tout le monde a entendu les histoires au sujet de dénis de justice, particulièrement en ce qui a trait à des hommes attentionnés à qui l'on ne donne pas la garde des enfants. Je connais trois hommes qui seraient disposés à en parler.
Les gens ont aussi des histoires particulières au sujet de la crainte qu'ils ont que les juges soient au-dessus des lois et prennent des décisions sur la base de leurs propres opinions. La presse fait état de plus en plus de jugements ridicules mais tragiques. Comme M. Raoul Berger le dit dans son livre intitulé Government by Judiciary: The Transformation of the Fourteenth Amendment—il l'a très bien dit—«les juges, qui n'ont aucun compte à rendre, qui sont virtuellement inamovibles et dont les décisions sont irréversibles, ont enlevé aux gens tout contrôle sur leur propre destinée».
Peut-être le temps est-il venu de réduire les dépenses et les pouvoirs des juges et des avocats et de s'en remettre davantage à des tribunaux de citoyens ou à des conseils de sages pour des questions se rapportant au divorce et à la garde des enfants.
En résumé, je recommanderais, dans le meilleur intérêt de l'enfant, que l'on donne à l'homme les mêmes considérations qu'à la femme en ce qui a trait à l'attention et aux soins que donnent les parents, et je demanderais que tous les enfants, où qu'ils se trouvent, soient entendus, qu'on les écoute et qu'on les observe très attentivement afin de déterminer leurs meilleurs intérêts.
Enfin, je prie votre comité d'écouter les gens et de chercher à leur redonner un certain contrôle sur ce qui est juste, sain et raisonnable, particulièrement en ce qui a trait à la garde des enfants après un divorce.
Je vous remercie beaucoup.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci, madame Wade.
Madame Murphy.
Mme Colleen G. Murphy (témoigne à titre personnel): Merci.
Je suis une mère seule et j'ai quatre adolescents. J'ai obtenu la garde de mes quatre enfants à la suite d'un long procès litigieux.
Mon ex-mari, le père de mes enfants, m'a dit après le procès qu'il me traînerait s'il le fallait devant tous les tribunaux du pays pour me régler mon compte. Ce qui me préoccupe le plus est qu'il puisse le faire devant les tribunaux.
Depuis sept ans maintenant, je suis littéralement harcelée au plan juridique par mon ex-mari. Et ce n'est toujours pas terminé.
• 1950
J'ai rédigé une page contenant cinq niveaux de ce que
j'appellerai mes recommandations.
La première vise l'éducation. Les parents doivent savoir quelles sont les conséquences d'un divorce et d'une séparation, ce qu'ils peuvent ou pourraient faire concernant le coût des soins, le temps passé avec les enfants et les arrangements particuliers de la vie quotidienne avec les enfants. Il est essentiel qu'ils soient informés puisque cela détermine le niveau de coopération requis des deux parents pour s'occuper des enfants.
Après la séance d'information, il y aurait une séance de médiation au cours de laquelle les parents devraient, avec l'aide d'un médiateur, en arriver à une entente sur la façon de soutenir—c'est mon expression—les enfants. Les enfants ne doivent pas être au centre du litige ni servir à l'avantage de l'un ou l'autre parent. Le but est de s'occuper des enfants. Les enfants pourraient même être présents, selon les circonstances.
À ce niveau, la plupart des parents seraient en mesure de proposer leur propre plan personnel pour le soutien des enfants. Ces plans seraient source de suggestions et établiraient des précédents pour d'autres parents.
Si les parents étaient incapables d'en arriver à une entente par eux-mêmes, ils devraient aller en conciliation. Les parties rencontreraient un comité afin d'en arriver à une solution impartiale et équitable sans recourir à des rapports préparés par des personnes payées, comme c'est le cas pour l'une ou l'autre des parties à l'heure actuelle. Ce comité entendrait les deux parties, ferait des recommandations et suggérerait des arrangements.
J'insiste encore une fois sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un processus accusatoire. En cas de besoin et à la discrétion du comité, on pourrait s'inspirer de l'article 15. De plus, les solutions proposées et les ordonnances émises pourraient être citées en exemples. Le comité devrait avoir une bonne connaissance de chaque cas particulier, avoir reçu une bonne formation en matière de droit de la famille, n'avoir aucun préjugé en faveur des parents et être en mesure de reconnaître le but ultime et de le garder à l'esprit, c'est-à-dire de trouver un solide terrain d'entente pour permettre à chacun des parents de s'occuper de leurs enfants.
Si les parents étaient toujours dans l'impossibilité d'en arriver à une solution, ils iraient en arbitrage. Après avoir fait des recommandations et informé les parents, le comité émettrait une ordonnance de soutien à l'intention des deux parents. Dès qu'il y aurait entente sur l'ordonnance ou dès l'émission de l'ordonnance, celle-ci serait considérée comme une entente légale, qui lierait les parties et qui serait exécutable comme tout ordre juridique. Si l'une des parties ne s'y conformait pas, on passerait au niveau cinq.
Le niveau cinq est la dernière étape. Elle s'applique uniquement s'il y a lieu en cas d'abus par l'un des parents ou si on constate que le comité a été négligeant ou s'il y a d'autres aspects très litigieux. Tout se déroulerait au même niveau que pour un appel en Cour suprême.
Il importe de noter que ce processus vise, dans toute la mesure du possible, à maintenir les cas de garde et de droit de visite hors du tribunal. Les personnes engagées dans le processus de médiation jusqu'à la toute fin doivent être qualifiées, avoir reçu une formation appropriée et ne pas être en affaires pour elles-mêmes. Les entreprises profitent des conditions de contestation qui entourent les enfants. Je crois qu'il n'y aurait pas autant de cas devant les tribunaux si des situations comme la mienne n'avaient pas leur place en cour.
Les médiateurs et les spécialistes du droit de la famille qui participeraient au processus devraient tenir compte du fait que chaque cas est aussi particulier que les personnes visées et qu'il faut les traiter en conséquence. L'aspect financier est un autre problème. La question du soutien des enfants ne devrait pas être liée au droit de visite ni au temps consacré aux enfants par l'un ou l'autre parent. La question financière devrait être très claire et ne devrait pas être soumise aux tribunaux, sauf en cas de violation d'une ordonnance.
Les enfants ont une résidence principale, et cette résidence doit être maintenue par les deux parents. Il y a des frais considérables pour l'éducation et les activités des enfants, et le niveau de vie est déterminé par le revenu des parents, qu'ils soient ensemble ou non.
On fixerait des lignes directrices pour le maintien des enfants en prévoyant des variations au fur et à mesure où ils grandissent et où les coûts évoluent. Ces lignes directrices n'auraient rien à voir avec la fréquence à laquelle les parents voient les enfants; elles seraient plutôt fondées sur le niveau de vie que les parents sont en mesure de procurer à leurs enfants.
Les coûts directs du maintien des enfants seraient établis dans l'ordonnance de soutien. Tout serait assez clair dans les cas non contestés. Dans les autres cas, un des parents aurait la garde des enfants et serait responsable de toutes les dépenses encourues pour les enfants telles que déterminées par le montant de la pension payée.
• 1955
Le montant de cette pension serait déterminé en fonction de
lignes directrices qui tiendraient compte des revenus et du niveau
de vie des deux parents. Le non-paiement ou le non-respect de cette
ordonnance de pension serait traité par les tribunaux. Si les
besoins des enfants devaient changer, l'ordonnance devrait être
révisée.
Tout cet aspect monétaire devrait être distinct de la garde et du droit de visite. C'est parce que les deux sont si intimement liés à l'heure actuelle que chacun des aspects est utilisé afin d'obtenir l'autre.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Madame Murphy, je suis désolé de vous interrompre, mais vous avez un peu dépassé le temps qui vous était alloué.
Mme Colleen Murphy: J'ai terminé.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Oh! Je suis devin! Merci.
Nous passons maintenant à Mme Nicole Deagan. Veuillez procéder.
Mme Nicole Deagan (témoigne à titre personnel): Merci.
J'avais sept ans quand mon père est venu nous chercher, mes frères et moi, à l'école. Sur la route qui nous menait à l'extérieur de la ville où nous vivions, mon père nous a dit que nous ne reverrions jamais notre mère.
Nous sommes allés dans la maison de quelqu'un d'autre, d'où mon père a appelé ma mère pour lui dire que si elle n'avait pas quitté la maison le lendemain matin, il quitterait le pays avec nous.
Je ne comprenais pas ce qui se passait. Mes frères et moi étions très près de notre mère. Elle était restée à la maison et elle s'occupait de nous. Mon père enseignait dans une école secondaire locale.
Le lendemain, nous sommes retournés à la maison et mon père a appelé un avocat pour lui dire que sa femme l'avait abandonné de même que ses trois enfants pour un autre homme. C'est aussi ce qu'il nous a dit. Bien sûr, au début je savais qu'il en était tout autrement, mais après de nombreuses séances où il répétait ces histoires au sujet de notre mère, nous avons tous commencé à le croire.
Il avait l'habitude de m'amener dans sa chambre où il y avait un gros fauteuil appuyé contre le mur et dans lequel je m'assoyais quand il me disait des choses. Il me disait qu'il se suiciderait si jamais je le quittais, qu'il était si seul depuis que ma mère l'avait abandonné et qu'il avait besoin de nous, les enfants.
Il m'a dit qu'il se vengerait d'elle et qu'il faudrait que je pratique ce que j'aurais à dire au cas où quelqu'un me poserait des questions au sujet de ma famille.
Nous sommes allés voir un avocat spécialiste des enfants qui nous a interviewés tous les trois pendant que mon père attendait à l'extérieur de la pièce. Pendant le trajet pour aller au bureau, nous avons passé en revue toutes les questions et toutes les réponses possibles. Nous avons dit à l'avocat que nous haïssions notre mère et que nous voulions vivre avec notre père. Nous lui avons dit qu'elle nous avait quittés pour un autre homme.
Je me souviens aussi d'avoir été au tribunal avec le juge, les avocats et ma mère. Mon père attendait à l'extérieur de la pièce. Je savais ce que j'avais à dire. Je me suis levée et j'ai hurlé à ma mère. J'étais furieuse contre elle parce que j'étais si seule.
Mon père s'est servi de moi et de ma douleur et il m'a donné les mots pour exprimer sa haine. J'ai dit qu'elle était une mauvaise mère, qu'elle était une harpie, qu'elle nous avait abandonnés. Mon père a obtenu la garde unique à titre intérimaire.
Une fois ma mère partie, mon père s'est tourné vers moi et mes frères pour obtenir un soutien émotif et il a commencé à nous entraîner complètement dans son monde. Mon père avait battu, humilié, torturé et contrôlé ma mère pendant les 13 années de leur mariage. Jusqu'à ce qu'il nous enlève à notre mère, il ne m'avait jamais battue, ni moi ni mes frères. Après son départ, c'est nous qui avons reçu ses coups de poing et qui avons été victimes de ses jeux psychologiques.
Il m'a dit que j'étais maintenant sa femme. Il est devenu incestueux au plan psychologique et physique. Nous avions l'habitude de regarder des films pornographiques à la maison. J'avais moins de 10 ans.
Il avait l'habitude de planifier avec nous les tactiques pour effrayer et blesser ma mère quand nous lui rendions visite. Il disait que nous ferions la preuve qu'elle était inapte. Il nous récompensait si nous faisions une fugue pendant qu'elle était avec nous ou si nous la traitions de harpie et si nous lui disions de foutre le camp. Parfois, il nous donnait même des cadeaux ou de l'argent si nous lancions des choses à ma mère quand elle venait à la maison. Je me souviens d'avoir vu la douleur dans son regard quand nous lui faisions cela.
C'est parce que mon père avait l'argent pour embaucher des avocats qui coûtaient très cher et parce qu'il était motivé par la vengeance qu'il a obtenu la garde. Ces gens n'ont pas cru ma mère quand elle disait qu'il avait usé de violence à son endroit ni quand elle leur disait qu'elle avait peur qu'il use de violence à notre endroit également. Ils ne l'ont pas crue quand elle a dit qu'il la suivait et qu'il la harcelait. Mais tout cela était vrai. Nous avions l'habitude de faire des sorties, le soir, pour savoir où elle était et pour lacérer ses pneus ou mettre du sucre dans son réservoir d'essence.
Ce sont là certaines des façons qu'il a imaginées pour créer l'impression qu'elle était une mère inapte. Elle avait l'air d'une femme paranoïaque qui cherchait à l'accuser de choses outrageuses, mais ces accusations étaient vraies.
La violence dont il usait à son endroit se continuait. C'était une façon pour lui de la détruire en se servant de nous, les enfants, et du système judiciaire comme armes.
Mon père a obtenu la garde permanente de ses enfants. Il a obtenu que des voisins de même que des membres de la famille de ma mère et des collègues de ma mère viennent témoigner en sa faveur au tribunal. Cette fausse perception que l'on avait de mon père était entretenue par la fixation qu'il avait pour nous. On supposait que parce qu'il luttait pour nous, parce qu'il entretenait une relation incestueuse et contrôlante avec nous et parce qu'il était un professionnel respecté, qu'il était un bon père et un père aimant.
• 2000
Mon frère n'a sûrement pas profité de ce bon père aimant. À
l'adolescence, il a commencé à battre ses amies à abuser de
l'alcool et des drogues et à commettre des actes criminels. En bout
de ligne, il s'est mis un fusil dans la bouche et il s'est tué; il
avait 24 ans.
Parfois, j'enviais sa capacité de s'échapper complètement. À 13 ans je me suis enfuie et j'ai déménagé loin de l'endroit où j'avais été élevée. J'ai dû changer mon nom et me cacher, comme une femme battue. Je ne peux imaginer de résultats pires que le passage de mes parents devant le tribunal. J'aurais préféré ne jamais revoir mon père. J'aurais préféré ne jamais le voir frapper et humilier mon frère jusqu'à la mort. J'avais absolument besoin de ma mère.
Pendant des années, j'ai pensé et j'ai espéré qu'il s'agissait là d'un incident isolé, que le cas de ma famille était une exception. Depuis que j'ai commencé à travailler dans ce domaine, j'ai découvert, à mon grand regret, que ce n'est pas le cas.
Je vous remercie. J'ai des recommandations à formuler, mais je ne sais pas si j'ai le temps de le faire. Puis-je prendre quelques minutes pour le faire?
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Oui, veuillez les lire si vous pouvez, rapidement.
Mme Nicole Deagan: Je n'ai pas la formation juridique nécessaire pour rédiger des recommandations particulières en ce qui a trait à la loi, mais j'ai lu le mémoire rédigé par le Comité mixte spécial sur la réforme de la garde et du droit de visite des enfants, à Vancouver, et j'appuie les recommandations qu'il contient.
J'ai aussi lu le code modèle relativement à la violence familiale préparé par le National Council of Juvenile and Family Court Judges des États-Unis, en 1994. Ce document contient une excellente section comprenant des politiques particulières relatives aux décisions en matière de garde et de droit de visite des enfants. J'ai annexé une copie de cette section à mon mémoire.
J'ai entendu un certain nombre de témoins au cours des deux jours d'audience à Vancouver et j'ai pu constater que la réalité des conflits concernant la garde et le droit de visite des enfants se reflétait bien dans les mémoires des groupes de femmes, des travailleurs des maisons de transition et des conseillers du programme Children Who Witness Abuse.
Je recommande que vous ayez des consultations continues avec les spécialistes sur les relations violentes qui savent comment cette violence se poursuit même devant les tribunaux. Ces spécialistes sont les travailleurs des maisons de transition qui constatent à chaque jour comment le système n'arrive pas à saisir cette violence.
Je vous recommande aussi de remettre en question sérieusement les théories non fondées qui veulent que des contacts maximums et des ententes de partage de responsabilités parentales sont avantageuses pour les enfants puisque même dans les cas où il n'y a pas de violence, c'est là une façon de grandir qui est incroyablement stressante et instable pour les enfants. Dans les cas où il y a de la violence, ces arrangements sont sources de tourments, dangereux et même mettent la vie des enfants en danger.
Je vous demande de vous assurer que les lois basées sur la violence en fonction du sexe ne compromettent pas les relations entre les pères honnêtes et aimants et leurs enfants. Si on comprenait bien ces aspects, les cours seraient en mesure d'assurer la protection efficace et le bien-être des enfants et ne seraient pas une menace pour les pères qui ne sont pas des auteurs de violence.
Merci.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci.
Nous passons maintenant aux questions. Monsieur Forseth.
M. Paul Forseth: Ma première question s'adresse à Mme Deagan. Vous avez dépeint une situation tout à fait tragique. Ce que vous avez décrit est également un cas classique dans la documentation, connu sous la désignation de syndrome de l'aliénation parentale (SAP).
Mme Nicole Deagan: Oui.
M. Paul Forseth: Rétrospectivement, qu'est-ce qui aurait pu être utile pour couper court à cette dynamique beaucoup plus tôt dans le processus? Je ne suis pas sûr qu'il y aurait pu y avoir des changements au plan juridique, mais très certainement au niveau des services de soutien social... Quelles recommandations pourraient faire une différence au tout début du processus?
Mme Nicole Deagan: Je pense qu'il est possible de trouver une partie du problème à l'intérieur même du système juridique. Si on avait cru ma mère, cela m'aurait aidée. Cela aurait pu se produire si le juge avait été capable de percevoir la dynamique des femmes battues, de la violence et du contrôle. C'est en partie la raison pour laquelle je suis favorable à l'adoption du préambule à la Loi sur le divorce...
M. Paul Forseth: Quel âge aviez-vous au moment de la séparation?
Mme Nicole Deagan: J'avais sept ans quand tout a commencé et cela a duré longtemps.
M. Paul Forseth: Je m'interroge au sujet des ressources qui auraient pu vous être utiles—s'il y avait eu des organismes ou des personnes auxquelles vous auriez pu vous adresser.
Mme Nicole Deagan: Je n'avais aucune possibilité de parler à quiconque tant que je vivais avec mon père. Des professeurs et d'autres personnes m'ont demandé si tout allait bien, mais je n'aurais jamais rien fait pour le trahir.
Je crois que la pression exercée sur les enfants dans les cas de garde et de droit de visite est considérable, et je suis sûre que vous en êtes tous conscients. Lorsqu'il y a violence et que les enfants sont avec un auteur de violence, cette violence touche également les enfants. Je le vois dans mon travail. L'horreur de tout cela est que j'ai vécu dans ces conditions. Mais je ne pense pas que les enfants...
M. Paul Forseth: Si nous cherchons à centrer nos efforts sur les enfants, vous dites que dans l'ensemble la dynamique du SAP est si profonde qu'il est très difficile de fournir aux enfants la possibilité de se confier.
Mme Nicole Deagan: Une des choses les plus traumatisantes pour moi, et je suppose aussi pour mon frère, bien que je ne sois pas sûre, est que nous avions notre mot à dire lorsque nous parlions aux avocats, aux juges et au représentant des enfants. Nous avons dit que nous voulions vivre avec notre père, ce qui est quelque chose de très difficile à supporter—la culpabilité vous fait sentir comme si vous aviez couru après cette situation. J'ai de sérieuses réserves concernant la possibilité que les enfants s'expriment dans ces contextes, bien que je sois consciente également qu'il y a des enfants qui font état de violence et que l'on n'écoute pas. C'est donc très compliqué.
M. Paul Forseth: Vous comprenez bien sûr que la gravité de la pathologie du SAP va dans les deux sens et qu'elle n'est pas limitée à un sexe en particulier.
Mme Nicole Deagan: Je ne sais rien du SAP ni de la façon dont il est corroboré. Je le remets en question d'une certaine façon... Je ne remets pas en question ce qui arrive aux enfants qui sont pris dans des litiges portant sur la garde et comment ils sont utilisés dans ces cas, mais je ne connais pas très bien toute la documentation sur le SAP. Je ne suis pas d'accord avec certaines des façons dont on l'a utilisé.
M. Paul Forseth: Madame Jennifer Wade, vous avez fait référence à un livre qui traite des juges. Pouvez-vous nous donner le titre et la référence de cet ouvrage?
Mme Jennifer Wade: Il s'intitule Government by Judiciary et il est de M. Raoul Berger.
M. Paul Forseth: Merci.
Madame Colleen Murphy, vous avez présenté une proposition structurelle très intéressante. Avez-vous vérifié la pertinence de cette structure auprès de spécialistes de l'extérieur ou de spécialistes juridiques? Il s'agit d'une solution de rechange très intéressante et novatrice.
Mme Colleen Murphy: Oui, j'ai parlé à plusieurs personnes au cours des sept années d'élaboration du processus avec divers conseillers. Certaines des personnes sont qualifiées, d'autres ne le sont pas. Une partie des recommandations découlent de choses qui m'avaient été dites à moi personnellement. À force de parler aux gens, je crois qu'une bonne partie de l'adversité qui entoure la garde et le droit de visite des enfants est créée par les tribunaux—le processus doit être accusatoire alors que dans bon nombre de situations ce n'est pas le cas. Au départ, les deux parents peuvent se quereller au sujet des meubles, mais ils veulent faire ce qu'il faut pour leurs enfants. Dès qu'il est question du chèque de paie d'une personne, le système devient accusatoire et à l'heure actuelle, les enfants sont la seule façon d'atteindre l'autre parent.
M. Paul Forseth: Cela corrobore une bonne partie des témoignages que nous avons entendus au sujet du caractère accusatoire intrinsèque de notre système juridique, c'est-à-dire que les incitatifs sont établis de telle manière qu'ils poussent parfois les gens à exagérer indûment.
C'est tout ce que j'ai à dire.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): La sénatrice Cools posera la dernière question.
La sénatrice Anne Cools: Merci, monsieur le président. J'ai quelques questions à poser.
Je tiens à remercier les témoins qui se sont présentés devant nous. Docteur Wade, je vous remercie de nous avoir fait part de vos réserves au sujet de l'intervention du gouvernement dans le processus judiciaire. Je profite de l'occasion pour vous dire que je suis une libérale et que, traditionnellement, le Parti libéral s'est opposé à toute forme de gouvernement par l'intermédiaire du système judiciaire. C'est du libéralisme classique. Traditionnellement, les libéraux ont soutenu la souveraineté du Parlement et des représentants élus; ainsi, je partage vos préoccupations à ce sujet.
Je reviendrai au Dr Wade, mais permettez-moi d'abord de m'adresser à Mme Deagan, qui nous a parlé des circonstances très pénibles de son existence et de difficultés terribles.
• 2010
J'ai quelques questions à vous poser, et j'espère qu'elles ne
seront pas trop pénibles. Si c'est le cas, je vous comprendrai,
parce que le sujet est très délicat.
Premièrement, quel type de rapports entretenez-vous actuellement avec votre mère? Deuxièmement, je ne me souviens pas si vous avez dit que votre père s'était suicidé ou s'il vivait toujours.
Mme Nicole Deagan: Mon frère s'est suicidé.
La sénatrice Anne Cools: C'est donc votre frère qui s'est suicidé. D'accord. C'est très dommage.
Quels sont vos rapports avec votre mère à l'heure actuelle? Quels types de rapports entretenez-vous avez votre père? S'il vous est trop difficile de répondre, je comprendrai.
Deuxièmement, comment avez-vous pu vous sortir de cette situation et vous libérer de cette douleur? Avez-vous bénéficié d'une forme de thérapie? Aviez-vous un parent coopératif? Avez-vous obtenu de l'aide pour faire face à ces circonstances plutôt malheureuses que vous avez décrites?
Mme Nicole Deagan: La relation que j'entretiens avec ma mère est très difficile. J'ai beaucoup de difficulté à rester dans une pièce avec elle. Elle fait de gros efforts pour établir une relation avec moi et je fais de gros efforts pour établir une relation avec elle. Toutefois, je n'ai pas été capable d'établir un rapprochement avec elle comme d'autres personnes le font avec leur mère.
Quand j'ai quitté le domicile de mon père, je me suis enfuie et il m'a désavouée. Il a dit que je l'avais abandonné, comme sa femme l'avait fait, et il ne m'a pas appelée depuis 13 ans.
La sénatrice Anne Cools: C'est donc la raison pour laquelle votre histoire semble s'arrêter à l'âge de 13 ans.
Mme Nicole Deagan: C'est l'âge auquel j'ai eu l'impression que ma vie de famille cessait. Ensuite, j'ai vu un conseiller à l'école, quand j'avais 15 ans, et je suis en thérapie depuis ce moment.
La sénatrice Anne Cools: Depuis ce moment?
Mme Nicole Deagan: Oui, et je suis toujours aux prises avec le problème.
La sénatrice Anne Cools: Depuis combien de temps?
Mme Nicole Deagan: Plus de dix ans.
La sénatrice Anne Cools: Vous avez répondu à la question. Je vous en remercie.
Monsieur le président, quelqu'un d'autre veut-il poser des questions? Je n'aurais pas de difficulté à mettre un terme à mes questions.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Non, vous êtes la dernière poser des questions, sénatrice Cools.
La sénatrice Anne Cools: Dans ce cas, puis-je poser des questions au Dr Wade?
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Vous disposez de trois minutes.
La sénatrice Anne Cools: Docteur Wade, vous avez soulevé des notions fort intéressantes. Comme vous le savez, j'ai plusieurs appréhensions quant à la façon de décrire l'affirmation de la supériorité morale des femmes. J'ai des réserves en ce qui a trait à la supériorité biologique, à celle des sexes ou à celle de la race. Cela est instinctif chez moi. Peut-être pourriez-vous vous imprégner d'une question très profonde.
Une jeune Sri-Lankaise m'a interpellée à l'extérieur de la salle, il y a quelques moments, pour me poser des questions sur la violence. Elle s'intéressait plus particulièrement à la violence faite aux enfants. Tous les écrits et toutes les études montrent sans l'ombre d'un doute que la plus grande partie de la violence envers les enfants vient des femmes, et pourtant cela paraît incroyable. L'infanticide est une affaire de femme. Un homme ne peut être accusé du crime d'infanticide.
Au plan intellectuel ou thérapeutique, êtes-vous parvenue à saisir le problème de la résistance de la part de plusieurs individus à traiter du fait que l'agression et la violence sont des problèmes humains et non des problèmes liés à un genre en particulier? C'est une question lourde de sens, mais vous semblez y avoir longuement réfléchi.
Mme Jennifer Wade: En effet. Je suis tout à fait d'accord avec vous et je crois que nous ne rendons pas un bon service à la race humaine en faisant des distinctions ou en portant des accusations. Je crois que certaines choses perpétuent ce problème. En Amérique du Nord, il y a le mythe de la tarte aux pommes et de la maternité, et ainsi de suite. Je me dis parfois que la journée de la Fête des mères doit être vraiment difficile pour les plus jeunes qui ont vécu avec un mère qui usait de violence à leur endroit. Je le crois vraiment parce que ces enfants ne semblent même pas avoir le droit de le dire. Je crois que la notion de fête des mères sert à perpétuer une bonne partie du problème. Le sentimental qui vend des cartes Hallmark ne nous aide absolument pas.
• 2015
Je crois qu'il y a, en Amérique du Nord, dans nos pièces de
théâtre, dans notre littérature et dans notre art, le mythe que la
mère est constamment celle qui fournit les soins. Je ne crois pas
que cela soit vrai, pas plus que je crois que le père est
constamment celui qui fournit les soins. Je crois cependant qu'il
faudrait user de plus de discernement. Les témoignages que nous
avons entendus posent la question suivante: Pourquoi les adultes ne
peuvent-ils faire preuve de discernement? Je me pose aussi la
question suivante: Que se passe-t-il dans les tribunaux? Qui était
témoin de ce qui se passait en cour? Pourquoi ne peut-on rien tirer
de tout cela? Où sont ces professionnels qui sont censés faire
preuve de discernement dans de pareilles situations?
Ce sont mes questions. Je suis parfaitement d'accord avec vous.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Une dernière question.
La sénatrice Anne Cools: Un des très bons points soulevés par le Dr Dutton ce matin est qu'il faudrait se méfier des gens qui refusent de revoir les renseignements nouveaux, de revoir leur position et ainsi de suite.
J'ai justement un article paru dans un journal au sujet d'une femme en particulier. Elle a tué six de ses propres bébés. Je suis toujours éberluée parce que la violence dans la famille est une chose terrible. Cela me dérange. J'aimerais que l'on puisse la rendre illégale. Il est impossible de la rendre illégale, mais j'aimerais pouvoir m'en défaire complètement.
Merci.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci, sénatrice Cools.
Je tiens à vous remercier tous d'avoir été parmi nous cet après-midi à ce que j'appellerai notre avant dernière session. Il nous reste une demi-heure. Je tiens à vous remercier d'être venus et d'avoir contribué aux travaux de notre comité. Merci.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Le Dr Beyerstein est le suivant.
M. Barry Beyerstein (professeur, psychologue, Université Simon Fraser): Merci.
Honorables membres du comité mixte, je vous remercie de m'offrir la possibilité d'aborder ces questions avec vous cet après-midi. Permettez-moi d'abord de vous souhaiter la bienvenue dans la magnifique province de la Colombie-Britannique et d'exprimer l'espoir que votre visite sera aussi agréable que profitable.
Comme on m'a demandé de me limiter à cinq minutes pour mes observations, une situation fort délicate pour un professeur prolixe, je vous prie de m'excuser de lire un texte.
• 2020
Le sujet que l'on m'a demandé d'aborder brièvement cet après-midi est, à
plusieurs égards, lié aux préoccupations principales de
votre comité. Toutefois, les questions que j'entends soulever au
sujet de la fiabilité de la mémoire humaine sont également
pertinentes à vos préoccupations primaires.
C'est parce que plusieurs des décisions concernant la garde et le droit de visite des enfants sont axées sur la crédibilité des souvenirs que l'on a des gens et des événements. Les souvenirs sont souvent ceux des parties au litige, mais chose plus importante, ils sont souvent ceux des enfants, souvent de très jeunes enfants, que nous souhaitons tous protéger et pour lesquels nous espérons un règlement en toute équité.
J'ai suivi avec intérêt le compte rendu d'exposés qui ont été faits plus tôt devant votre comité concernant les allégations de violence sexuelle par une partie ou l'autre dans un litige concernant un divorce et la garde des enfants. La question habituelle est de savoir dans quelle mesure ces allégations sont délibérément fausses. Dans quelle mesure s'agit-il simplement de mensonges concoctés pour avoir la main haute dans les litiges portant sur la garde et le droit de visite. Comme vous avez déjà entendu le point de vue de certains spécialistes à cet égard, je n'élaborerai pas davantage.
Bien qu'il soit indéniable que de fausses accusations soient intentionnellement formulées dans les litiges portant sur la garde des enfants—on vous a également donné des estimations variables quant à la prévalence de ces cas—mon rôle est de vous présenter une autre source d'injustice possible dans ces litiges chaudement débattus, c'est-à-dire le caractère faillible de la mémoire humaine.
J'aimerais aussi attirer votre attention sur certains problèmes particuliers qui pourraient surgir lorsqu'on demande à de très jeunes enfants de se souvenir de certains événements. Les enfants se retrouvent dans une position aussi difficile que celle dont nous avons entendu parler aujourd'hui éprouvent un stress considérable. Ils sont soumis à des influences sociales et psychologiques venant de plusieurs directions et ils sont souvent dans une position où ils risquent de gagner ou de perdre à plusieurs chapitres s'ils donnent les «bonnes» réponses.
La recherche en psychologie a très bien montré que les pressions de cette nature peuvent entraîner une distorsion de la mémoire d'adultes honnêtes et aptes. Quand il est question des plus jeunes, la possibilité de distorsions plus importantes s'accroît.
À une certaine époque, notre société acceptait comme truisme que les enfants mentent rarement sur des questions aussi graves que les allégations de violence sexuelle. Les psychologues et les psychiatres qui ont étudié ce problème conviennent généralement que les enfants, particulièrement s'ils sont obligés d'être des pions dans une bataille entre parents, sont capables de formuler des faussetés pour diverses raisons.
Bien qu'à l'occasion il puisse y avoir des mensonges intentionnels, le cas est plus fréquent lorsque de fausses accusations de violence sont portées par des enfants. En l'occurrence, c'est généralement le résultat d'une confusion découlant de suggestions ou de directives formulées par les parties au conflit. Parfois, il peut s'agir d'enquêteurs ou de thérapeutes mal formés qui amènent par inadvertance ces jeunes témoins à adopter de fausses croyances en leur suggérant des scénarios préférés, et non nécessairement en cherchant à les influencer. Assez souvent, ces suggestions sont plutôt subtiles et les résultats peuvent se manifester plus tard, au moment où l'enfant cherche à se souvenir d'événements; il peut être amené à y croire autant qu'à d'autres souvenirs.
Ces pseudo-souvenirs ont la vivacité, les détails et l'émotivité auxquels on s'attend normalement de véritables souvenirs. En d'autres mots, les accusations portées par les enfants peuvent être sincères, mais fausses. Malheureusement, il n'y a pas de façon fiable, en l'absence de preuves corroboratrices objectives, de déterminer quels souvenirs de violence seront délibérément faussés, lesquels sont des erreurs même s'ils sont sincères et lesquels sont malheureusement vrais.
C'est pourquoi il faut user d'une extrême prudence à tous les stades lorsque l'on traite avec des enfants et que l'on a pour tâche d'enquêter sur des accusations de violence sexuelle à l'endroit d'enfants. La bibliographie que j'ai préparée et que j'ai apportée—il y a des copies pour vous—est pleine d'exemples d'injustice perpétrée par ceux qui ont été amenés, en toute honnêteté, à croire qu'ils avaient été victimes de violence, mais à tort.
Les ouvrages énumérés contiennent aussi une certaine orientation, basée sur la recherche sur la mémoire de l'enfance, qui peut aider à réduire la probabilité d'implanter de faux souvenirs. Parce que les enfants qui portent des accusations ont été influencés par des pressions de ce type croient sincèrement qu'ils disent la vérité, il devient très facile pour les thérapeutes, les enquêtes et les membres du jury de les croire, surtout si les enfants disent ce que les adultes eux-mêmes veulent qu'ils disent.
Ces enfants affichent tous les signes usuels de confiance parce qu'eux-mêmes sont convaincus que leurs souvenirs sont véritables. C'est pourquoi ils les rendent avec autant de conviction par leur ton de voix, leur langage gestuel, les contacts visuels, la teneur émotive et la quantité de détails que leur narration peut contenir.
Je pourrais vous citer de nombreux exemples d'accusateurs sincères qui ont convaincu les tribunaux ou les organismes administratifs qu'ils avaient été maltraités et où il a été prouvé plus tard, à l'aide de preuves objectives et indépendantes, que les événements réels n'auraient pu se produire tels qu'ils ont été racontés.
• 2025
D'autre part, il ne faut pas commettre l'erreur parallèle et
tout aussi grave de supposer que tous les souvenirs des enfants ne
sont pas fiables.
Parfois, les jeunes enfants se souviennent d'événements avec une précision remarquable, et parfois ils sont les victimes malléables de suggestions et d'influences sociales subtiles. Les chercheurs ne font que commencer à démêler les facteurs qui contribuent, à divers moments, à la fois la grande précision et aux erreurs grossières chez toute personne qui cherche à se rappeler des souvenirs autobiographiques. Le problème est que la science actuelle ne peut offrir aucun test comme celui de Pinocchio pour nous permettre de décider, dans un cas donné, si les souvenirs sont précis ou s'il s'agit tout simplement de fabulations de bonne foi.
Par conséquent, il est impératif que les enquêteurs, les thérapeutes et les intervenants du système de justice criminelle soient tout à fait au courant de la facilité avec laquelle on peut provoquer de faux souvenirs. Il est essentiel qu'à tous les stades de l'enquête ou de la thérapie les praticiens usent d'une extrême prudence pour éviter les méthodes risquées que certains psychologues dans le vent ont favorisé pour «rafraîchir» la mémoire des enfants.
Les techniques comme les interrogations prolongées et l'exhortation à se souvenir, l'hypnose, le rêve éveillé dirigé, le jeu de rôles de la fantaisie, le jeu avec des poupées anatomiquement conformes et les soi-disant sérums de vérité se sont avérés, de façon consistante, capables de créer des pseudo-mémoires très crédibles, plutôt que de nous offrir une voie royale vers la vérité que nous recherchons tous.
Le débat sur l'existence d'un soi-disant syndrome de fausse mémoire suscite des échanges animés qui divisent souvent les chercheurs et les thérapeutes, qui doivent composer avec des clients adultes angoissés qui croient sincèrement qu'ils ont retrouvé des souvenirs longtemps réprimés de violence sexuelle durant leur enfance.
Malheureusement, de nombreux thérapeutes ne connaissent pas la science de la mémoire aussi bien qu'ils le devraient. Les clients qui présentent le plus de risques pour ce qui est de l'implantation de faux souvenir sont généralement des adultes jeunes et perturbés qui viennent en thérapie pour des raisons autres que pour traiter de souvenirs de violence, qui semblent émerger spontanément pendant les séances de thérapie.
Les chercheurs qui sont conscients que les souvenirs recouvrés de cette manière peuvent être le fruit de suggestions dans les médias, de livres de psychologie populaires ou du cadre lui-même de la thérapie pointent du doigt les travaux de recherche sur la mémoire. Ils affirment que la mémoire ne travaille tout simplement pas comme le prétendent certaines personnes.
Ce que les chercheurs ont appris de l'examen d'un grand nombre de cas de mémoires fictives devraient nous inciter à une très grande prudence avant d'accepter les accusations portées par des enfants, lorsqu'il n'y a pas de corroboration indépendante. Cela est particulièrement vrai si on a fait appel à l'une des techniques de recouvrement de mémoire douteuses comme l'hypnose, le rêve éveillé dirigé et les sérums.
La preuve scientifique que la mémoire traumatique peut être réprimée et, plus tard, recouvrée à l'aide de techniques spéciales d'exploration est très faible. D'autre part, on sait très bien que des survivants de traumatismes extrêmes sont beaucoup plus susceptibles d'être incapables d'oublier ces horreurs du passé que d'être incapables de s'en souvenir.
De plus, les psychologues qui étudient la cognition humaine savent très bien que la mémoire est beaucoup plus malléable que la plupart des profanes ne peuvent être portés à le croire. La mémoire ne fonctionne pas comme un magnétoscope, qui enregistre fidèlement et qui reproduit fidèlement ce qui s'est produit, sans ajouter ni retrancher quoi que ce soit dans le processus. La mémoire est beaucoup plus inférentielle et reconstructive que cela et elle est, par conséquent, plus sujette à la corruption, aux ajouts et à la suppression par des enquêteurs ou des thérapeutes bien pensants qui cherchent à savoir ce qui s'est vraiment produit.
Une bonne partie de la recherche qui est réunie dans l'ouvrage récent de M. Robert Baker, publié par l'Université du Kentucky et indiqué dans ma bibliographie, montre que les adultes et, probablement à un degré plus important encore, les enfants peuvent être influencés par des signaux subtils implicitement contenus dans les questions que leur posent les interrogateurs. Les enfants tout comme les adultes sont aptes à déduire quelle réponse est souhaitable, et la tendance habituelle que nous avons tous de chercher à plaire à des figures autoritaires peut être une forte motivation de se conformer. Certains interrogateurs mal formés suggèrent ouvertement des événements qui sont ensuite incorporés aux souvenirs théoriquement précis des enfants à une date ultérieure. Plus souvent qu'autrement, les suggestions sont subtiles et non intentionnelles, mais cela n'empêche pas qu'elles soient incorporées à des mémoires fictives qui ressemblent à des mémoires véritables.
Nous sommes tous susceptibles de modifier notre mémoire des événements passés lorsque nous sommes soumis à des pressions psychologiques, sociales et économiques. Cela est particulièrement vrai si les suggestions viennent de personnes en qui nous avons confiance ou que nous percevons comme des autorités légitimes ou si nous risquons de gagner de quelque façon avec les souvenirs que nous sommes à la veille de rappeler.
Il est vrai que l'incidence de violence sexuelle à l'endroit des enfants est plus importante que la plupart des professionnels ne le croyaient, mais dans notre hâte de corriger ce mal social pernicieux, il importe de nous assurer que le pendule n'ira pas trop loin dans la direction opposée. Il faut éviter d'exagérer le taux réel de cas de violence sexuelle ou d'accréditer automatiquement toutes les accusations sans user de sens critique, à cause d'une culpabilité collective.
• 2030
Depuis l'époque de la Grande Charte, les démocraties
émergentes ont été bien servies par l'évolution du recours et de la
notion que l'État doit voir des preuves au-delà de tout doute
raisonnable avant d'imposer des punitions sévères. Les accusés dans
le cas de violence sexuelle à l'endroit des enfants ont des droits
qui doivent être équilibrés avec soin par rapport à ceux des
victimes. Assurément, l'exercice n'est pas facile et nous devons
nous rappeler constamment que l'apparente sincérité des souvenirs
peut être fausse à l'occasion. Dans notre hâte de bien faire les
choses, nous devons prendre garde de ne pas abandonner notre
engagement vis-à-vis les libertés civiles gagnées de haute lutte et
qui nous protègent tous.
En cette période troublée, il fait bon se rappeler les paroles d'un éminent juriste, M. Oliver Wendell Holmes, qui disait que «les citoyens doivent être particulièrement sur leur garde lorsque les motifs sont d'un ordre supérieur».
Je vous remercie de votre attention. Il me fera plaisir de répondre à vos questions.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci.
Qui aimerait commencer?
M. Paul Forseth: Il semble que c'est toujours moi qui commence, alors je laisse ma place à quelqu'un d'autre.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Sénatrice Cools.
La sénatrice Anne Cools: Merci beaucoup, madame la présidente.
Je tiens à remercier le Dr Beyerstein qui a partagé le résultat de ses études avec nous.
Depuis un certain temps, je me pose beaucoup de questions au sujet de tout ce phénomène de la mémoire recouvrée. J'ai parlé avec des gens comme le Dr Merskey et j'ai bien sûr un intérêt naturel pour la race. Je suis simplement très curieuse. Comment se fait-il que ce phénomène n'affecte que les Blanches nord-américaines? Pourquoi?
M. Barry Beyerstein: J'aimerais vous donner une bonne réponse. Je ne crois pas que ce soit exclusivement les Blanches nord-américaines, mais je crois que vos impressions sont bonnes: il s'agit d'un phénomène qui touche surtout les blancs de la classe moyenne.
La sénatrice Anne Cools: Et nord-américains.
M. Barry Beyerstein: C'est exact, également. Ce phénomène ne touche pas encore le reste du monde au même degré.
Certaines des explications proposées sont de nature psychanalytique, ce qui ne me convient pas tellement, mais d'autres personnes parlent de l'évolution du rôle des sexes dans notre société et de la nécessité de développer son indépendance alors même que nous avons des besoins de dépendance et ainsi de suite.
En toute honnêteté, je dois vous dire que je ne le sais pas. C'est un phénomène qui a surgi brusquement, et nous cherchons désespérément à comprendre ce qui s'est produit.
La sénatrice Anne Cools: Plusieurs personnes parlent de charlatanisme et de fraude. Je ne dis pas que c'est ce que je crois. Je dis tout simplement que c'est très curieux parce que la nature de la douleur, de l'angoisse et du traumatisme est d'être évasive, envahissante. Les gens ne peuvent l'oublier. Historiquement, c'est ce qu'est un traumatisme—très, très importun.
M. Barry Beyerstein: De fait, c'est ainsi que je me suis intéressé à ce sujet. Comme vous le savez peut-être, je suis biologiste et psychologue et je m'intéresse principalement au cerveau et à la façon dont il traite de la perception et de la mémoire. Quand j'ai entendu parler pour la première fois du phénomène dont nous venons de commencer à débattre, il m'a paru curieux en tant que biologiste et psychologue parce qu'il me semble presque évident que le rôle de la mémoire est de se rappeler les choses qui vous ont blessé de manière à les éviter dans l'avenir. Il me semble que nous soyons biologiquement organisés—nous comprenons même certains de ces mécanismes du cerveau aujourd'hui—de telle manière que les événements traumatisants causent des changements hormonaux qui semblent fixer les souvenirs et les rendre plus susceptibles d'être rappelés.
Je suppose qu'une description condensée dirait que les traumatismes ont tendance à rendre les événements davantage inoubliables, bien qu'il soit alors plus difficile de se souvenir de détails périphériques. Par conséquent, il y aurait davantage de confusion quand une personne soumise à un stress important et à des menaces et même à la violence cherche à se souvenir exactement de ce qui s'est produit, dans quel ordre et des événements périphériques qui entourent l'incident. Comme vous le laissez entendre, il semble qu'il est plus vraisemblable que l'on se souvienne de l'événement.
La sénatrice Anne Cools: On me dit qu'au moins 1 400 familles—du moins il y a quelques années—ont été touchées, affligées ou affectés par ce phénomène. Y a-t-il quelque vérité à cela?
M. Barry Beyerstein: Je ne saurais commenter les chiffres que vous avancez, mais je sais que le nombre de cas est très important. Vous parlez du Canada, je présume.
La sénatrice Anne Cools: Au Canada, non pas aux États-Unis, mais au Canada.
M. Barry Beyerstein: Honnêtement, je ne sais pas, mais je suis porté à croire qu'il peut s'agir d'un chiffre conservateur. Il s'agit d'un phénomène qui nous a tous dépassés. Bien entendu, nous n'entendons pas parler de tous les cas, de telle sorte qu'on ne peut toujours en tenir compte à moins que des accusations soient portées publiquement ou qu'il y ait d'autres événements publics. Je serais porté à croire qu'il s'agit d'une estimation conservatrice.
La sénatrice Anne Cools: J'aimerais laisser la parole à M. Forseth.
M. Paul Forseth: J'aimerais savoir ce que vous pensez du SAP.
Vous avez entendu le témoignage de Mme Nicole Deagan, juste avant le vôtre. Elle s'est montrée quelque peu hésitante lorsque j'ai dit que la dynamique du SAP est sans discrimination sexuelle. Elle n'a pas été en mesure non plus de nous aider quant à toute technique qu'un organisme social ou qu'un intervenant aurait pu appliquer pour éviter que le scénario ne se matérialise. Elle a dit que plusieurs personnes bien pensantes avaient cherché à prendre les enfants à part et à les interroger avec plus d'insistance. Je suis sûr que plusieurs de ces conseillers sont des gens très professionnels et qu'ils ont recréé une atmosphère rassurante pour la divulgation, et pourtant les enfants ont résisté. Cela semble indiquer la puissance et la profondeur de la pathologie lorsque cette dynamique se déclenche.
Peut-être pourriez-vous commenter certaines des choses que je viens de dire. Elle a laissé entendre sans le dire directement que le suicide de son frère était directement relié au SAP. Je lui ai dit ce que je croyais qu'il se produisait. Ce n'était pas tout à fait clair.
Pourriez-vous commenter ce que je viens de vous dire jusqu'à maintenant?
M. Barry Beyerstein: Pour commencer, je ne voudrais pas m'ériger en spécialiste de la question, mais puisque vous me le demandez, je vous dirai que je suis d'accord avec ce que la sénatrice Cools a dit plus tôt. Je n'ai rien vu en psychologie qui indique que les gens de l'un ou l'autre sexe soient plus portés à dire la vérité, à être détournés, obscurs ou, je regrette de le dire, même plus violents que l'autre. Je crois que cela s'applique aux deux sexes. À cet égard, je crois qu'il faut scruter la société avec beaucoup plus d'attention afin de repérer ces éléments et éviter de supposer a priori que l'un des sexes a toutes les vertus et a tous les torts.
Quand à ce que nous pouvons y faire, je crois que nous avons bien accueilli le témoignage entendu plus tôt qui suggérait de faire preuve de bon sens. Je crois que nous devrions aborder ces questions sans préjugé et tenter d'aller au fond des choses.
À la lumière de ce que je disais un peu plus tôt, nous devrions, s'il est humainement possible de le faire, éviter d'instiller les choses par le biais de nos propres attitudes, de nos propres attentes et de nos récompenses implicites lorsque nous faisons enquête sur ces choses. Fondamentalement, je suis préoccupé par le fait qu'un trop grand nombre de personnes abordent cet aspect avec un plan ou des notions préconçues.
J'ai parlé de la mémoire et des influences qui peuvent s'exercer sur elle, particulièrement chez les personnes vulnérables qui vivent une situation difficile au plan psychologique... Tout cela est si fort que j'aimerais souligner la nécessité de faire preuve d'objectivité et la nécessité d'obtenir une corroboration. Nous ne pouvons simplement accorder foi à des déclarations qui paraissent sincères parce que, malgré toute cette sincérité, il pourrait bien s'agir d'une erreur. D'autre part, j'ai dit que nous n'avions pas de test de Pinocchio qui nous permettrait de dire que ces souvenirs sont sincères, mais erronés, et que ceux-là sont véritables ou que les autres sont des charlatans qui inventent toutes sortes de choses. J'aimerais bien que nous ayons ce test. Il nous simplifierait grandement l'existence.
Mme Carolyn Bennett: Compte tenu de ces allégations de violence, comme dans le témoignage de Nicole, croyez-vous que le problème soit une évaluation unique? Comment déterminez-vous la réalité de la mémoire fictive, ou pensez-vous que Nicole aurait pu continuer à mentir pour protéger son père en allant en thérapie? Pourrions-nous mettre en place un contexte sûr et une relation thérapeutique continue qui aideraient ces gens?
M. Barry Beyerstein: Il est très difficile de répondre à cette question. Cette recherche semble indiquer qu'il y a de grandes différences individuelles. On ne saurait appliquer une solution unique. Certaines personnes peuvent absorber de fausses allégations très rapidement avec un minimum d'aide et d'encadrement et ainsi de suite. D'autres personnes refusent systématiquement, même dans le cadre d'expériences conçues pour inculquer des souvenirs fictifs.
En laboratoire, par exemple, il est assez facile d'inciter la plupart des gens à adopter des mémoires fictives qu'ils défendront avec une certaine vigueur. Il y a des gens qui ne marcheront pas, peu importe les circonstances. Dans d'autres cas, il est plutôt étonnant et assez inquiétant de constater avec quelle facilité on peut influencer les gens.
Il est très difficile pour un cas donné de prédire ce qu'il en ressortira. C'est pourquoi ma seule recommandation est de procéder avec prudence et de chercher—et je sais combien cela peut être difficile—des preuves corroboratrices plutôt que les ouï-dire de personnes qui peuvent être tout à fait sincères mais qui peuvent aussi se tromper ou de personnes qui peuvent être sincères et avoir raison.
Mme Carolyn Bennett: Une fois que l'on sait que la mémoire fictive est en cause, existe-t-il une forme de thérapie qui permet de revenir à la réalité?
M. Barry Beyerstein: Il y a de plus en plus de gens qu'on appelle des rétracteurs ou des gens qui reviennent sur leur déclaration et qui par pure chance viennent en contact avec une personne en qui ils ont confiance et qui les aide à y voir clair, qui entendent des délibérations comme celles que nous menons aujourd'hui ou qui voient des choses à la télévision et qui commencent à douter de choses dont ils étaient tellement convaincus qu'ils étaient prêts littéralement à envoyer leurs parents en prison ou à détruire leur vie. Il peut s'agir d'incidents plutôt horrifiants. Certaines de ces personnes ont changé leur fusil d'épaule et se sont rétractées.
Actuellement, il se fait beaucoup de recherche pour tenter de savoir s'il s'agit d'une variable personnelle ou si certaines personnes sont plus enclines à ces situations—si véritablement il s'agit de fausses accusations. Je réitère que toutes les accusations ne sont pas fausses. Il faut être prudent avant de supposer qu'elles sont vraies ou fausses, parce que nous ne le savons pas.
Mme Carolyn Bennett: Je crois qu'il est terrible que les enfants puissent être mis dans une situation où ils doivent être si loyaux envers le parent qu'aucune batterie de professionnels ne serait une assurance pour eux tant et aussi longtemps qu'ils vivront avec l'auteur de violence. En tant que société, nous aimerions trouver un lieu rassurant où ils puissent dire la vérité.
M. Barry Beyerstein: Où ils pourraient laisser tomber les masques. Oui, c'est tragique et j'en conviens. Il faudrait bien entendu distinguer les enfants qui sont simplement les victimes d'une manipulation pure et simple et qui savent très bien ce qui se passe, ce qui s'est passé et comment on les a manipulés mais qui pour une raison quelconque sont obligés d'entrer dans le jeu, parfois à cause des menaces physiques.
Mme Carolyn Bennett: Je dois vous poser la question corollaire concernant la mémoire fictive. À la lumière de la recherche, est-il possible, dans une situation de véritable violence sexuelle, qu'une personne puisse revenir sur ses déclarations à la suite d'une manipulation thérapeutique habile.
M. Barry Beyerstein: Oui, je crois que cela est possible. Vous avez tout à fait raison. Je crois que le corollaire de ce que j'ai dit—si les pressions sociales sont bonnes, si la vulnérabilité psychologique de l'individu est appropriée et si tous ces fils en viennent à se rejoindre. Je dis que les gens peuvent commettre des erreurs profondes au sujet de ce qui leur est arrivé réellement et je crois qu'il est possible que des personnes puissent se convaincre elles-mêmes que des choses qui ne sont jamais arrivées se sont produites, comme le contraire est possible.
Mme Carolyn Bennett: Pensez-vous que nous pourrons un jour, grâce à la tomographie monophotonique d'émission et aux techniques de scrutigraphie cérébrale, observer à l'écran les manifestations de la violence?
M. Barry Beyerstein: M. Daniel Schachter, de l'Université Harvard, et anciennement de l'Université de Toronto, a publié quelques articles au sujet desquels il incite à la prudence. Il n'avance rien dont il ne soit pas sûr, et à ce chapitre, je dois dire qu'il est tout à fait responsable. La recherche commence à montrer qu'il peut y avoir un élément biologique, mais nous sommes encore très loin d'une conclusion.
Mme Carolyn Bennett: Ce serait très bien.
M. Barry Beyerstein: Assurément.
La sénatrice Anne Cools: Je me disais que la mémoire retrouvée est presque complètement discréditée aujourd'hui, presque.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Monsieur Forseth, avez-vous une autre question?
M. Paul Forseth: Pour mémoire, vous avez approuvé du chef en réponse à presque toutes les observations de la sénatrice.
Je serai très bref. En ce qui a trait à la mémoire fictive, on pourrait peut-être établir un parallèle avec les gens que l'on doit retirer des sectes, où ces gens croient qu'il y a un système qui sépare et désengage les individus de segments de leur famille ou de leur collectivité et qui essaient d'atteindre la vérité grâce à la mémoire ou à une croyance ou à quelque chose d'autre.
La thérapie ou les techniques utilisées dans ces cas sont assez semblables à celles que l'on applique à quelqu'un que l'on cherche à extraire d'une secte. Votre témoignage met aussi en lumière le fait que lorsque nous essayons d'évaluer les meilleurs intérêts des enfants, nous éprouvons beaucoup de problèmes et, dans certains cas, la situation est beaucoup plus complexe que nous ne pouvons l'imaginer.
Que pensez-vous de cette notion de parallèle avec le problème des sectes...?
M. Barry Beyerstein: Je serais d'accord. Je perçois le parallèle quand au type d'influence sociale auquel j'ai fait allusion plus tôt. Bien sûr, nous sommes tous engagés dans un jeu d'influence sociale en tout temps. Dans mon domaine et dans le vôtre, vous cherchez toujours à convaincre autrui, à convaincre des groupes plus importants de faire des choses et de croire des choses, et tout cela est parfaitement acceptable pourvu que ce soit dans un système ouvert.
Comme vous l'avez mentionné dans votre question, la caractéristique qui définit une secte est qu'elle n'est pas un système ouvert. Il s'agit d'un système fermé et d'un système hiérarchique où la communication est entièrement à sens unique. Je crois que c'est à ce chapitre que je serais le plus en accord avec vous. Là où il y a des parallèles entre le phénomène des sectes qui cherchent à modifier le fonctionnement des gens et, dans une certaine mesure, leur mémoire et leur comportement, et certains des cas de mémoire fictive, on constate différents rapports de puissance et des restrictions à la communication. Il ne s'agit pas d'un système ouvert où les idées peuvent être confrontées à un ensemble d'idées. Il s'agit d'un ensemble de communications limitées et orientées. Et lorsque cela se produit, il n'est pas nécessaire d'être crédule ni vulnérable pour se laisser prendre. Nous sommes tous susceptibles de tomber dans le panneau dans ce type de situations, et c'est ce que j'aimerais que nous cherchions à éviter dans tous les cas.
M. Paul Forseth: Il est étonnant de constater la résistance des personnes qui ont fait état d'une croyance et qui, à la lumière de preuves incontournables du contraire, s'en tiennent quand même à leurs croyances irrationnelles.
La sénatrice Anne Cools: C'est la société de la terre plate.
M. Paul Forseth: Ou le NPD!
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): J'aimerais poser une dernière question.
C'est là un témoignage très intéressant et je suis plutôt convaincue d'une bonne partie de ce que vous dites, mais je m'intéresse à la recherche qui a été faite sur la mémoire chez les jeunes enfants. Nous jouons tous le jeu de «Quel est votre premier souvenir»? Certaines personnes disent qu'il remonte à l'époque où ils avaient un an, bien que j'en doute.
• 2050
Pouvez-vous penser à des travaux de recherche en cours qui ne
sont pas un test de Pinocchio, mais qui permettraient de donner une
plus grande crédibilité à la distance qui peut exister entre
l'événement et l'âge auquel on se le remémore—par exemple, les
enfants de deux ou de cinq ans qui prétendent se souvenir de
quelque chose ou entre la mémoire à court et à long terme?
Je trouve que mes propres petits-enfants peuvent se souvenir de choses à court terme. L'enfant de trois ans se souvient de ce qui s'est passé quand il est venu à la maison la dernière fois, quand il avait deux ans et demi, et je suis sûre qu'à l'âge de dix ans il ne s'en souviendra pas. L'enfant pourra se souvenir vaguement d'être venu ici, mais il ne se souviendra pas quand.
M. Barry Beyerstein: Ce que montre la recherche relativement à la durée est que tous les souvenirs s'estompent avec le temps et que plus il s'est écoulé de temps, plus nous risquons de confondre les choses ou simplement de les oublier.
Un des aspects importants relativement à la question abordée aujourd'hui est qu'il y a un phénomène supplémentaire connu sous le nom d'amnésie infantile. On ne s'entend vraiment pas sur la ligne de démarcation à établir. Je ne crois pas que les spécialistes puissent s'entendre sur autre chose que l'existence du phénomène—qu'il est fort peu vraisemblable, même impossible qu'un enfant se souvienne, plus tard durant sa vie, de ce qu'il a vécu à un certain moment.
Une partie du problème est probablement le manque de maturité du cerveau, qui n'est pas entièrement développé à ce moment, et aussi, en partie, le fait que nous traversons un développement cognitif. Dès que nous commençons à apprendre le langage et d'autres éléments que nous utilisons pour incorporer nos souvenirs et ainsi de suite, nous avons des souvenirs qui diffèrent de ceux que nous avions auparavant. C'est ainsi que les événements qui se sont produits auparavant sont très difficiles, voire impossibles à extraire à l'aide des outils et des signaux que nous utilisons habituellement chez les adultes.
C'est pourquoi j'estime qu'il est très prudent d'être sceptique lorsque quiconque prétend se souvenir d'événements antérieurs à sa seconde année de vie. Certains spécialistes vont jusqu'à quatre ans et même cinq ans. Encore une fois, il peut y avoir des différences individuelles.
Pour rattacher tout cela à la question de la mémoire fictive, j'estime que les gens vous diront honnêtement—je connais des gens qui l'ont fait avec moi et je l'ai probablement fait moi-même—qu'ils croient se souvenir de choses qui remontent à une période qui correspondrait à celle de l'amnésie infantile. Je crois que ce qui se produit—et il en existe des preuves—est que les événements qui ont plus de signification ou qui sont des événements familiaux, ou les événements qui ont un aspect moral ou une connotation positive sont redits. La mémoire est comme un raconteur, elle cherche à comprendre la logique des choses.
Il est fort possible que les choses que ces personnes pensent se rappeler et pour lesquelles ils ont tous les détails psychologiques et tout—ils se voient même dans cette situation—soient un souvenir de quelque chose qui a été classé et qui peut maintenant être rappelé. Il s'agit plutôt d'un souvenir de quelque chose qui leur a été dit et qui semble être tout à fait semblable à tout autre type de souvenir, bien qu'il s'agisse probablement de choses qui leur ont été dites et non de choses qu'ils revivent.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci. Vous avez livré un témoignage très intéressant et je l'ai apprécié.
Qu'en est-il des rêves, des souvenirs de nos rêves? C'est une question tout à fait différente.
M. Barry Beyerstein: J'ai un excellent exposé sur cela, mais je pense que vous commencez à avoir faim.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): D'accord. Il y a encore une personne à qui nous avons promis une intervention de trois minutes. Je vous remercie d'être venu.
Une voix: J'ai du mal à me souvenir de ce que j'ai mangé au déjeuner.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Madame Lori Campbell, peut-être pourriez-vous vous limiter à une intervention de trois minutes.
Mme Lori Campbell (témoigne à titre personnel): Je me nomme Lori Campbell. J'ai une formation de base en psychologie génétique. J'ai un diplôme en éducation du Manawatu Polytechnic, en Nouvelle-Zélande. Je suis le fruit d'un divorce qui a échoué de manière extraordinaire: on m'a confiée à une mère qui usait de violence.
Depuis que je suis au Canada, mon ex-mari et moi avons accueilli un certain nombre d'enfants, à titre de famille d'accueil. Ma famille initiale était constituée de deux enfants naturels, de deux enfants adoptifs et de deux enfants en foyer d'accueil permanent. Depuis l'éclatement de notre mariage, j'ai accueilli 16 autres enfants en foyer d'accueil. Mon ex-mari a eu deux autres enfants naturels avec sa seconde femme, et aussi d'autres enfants d'accueil, de telle sorte qu'à nous deux nous en avons des milliers.
• 2055
En tant que mari, mon ex-conjoint était bien, mais un prince
exquis en tant qu'ex-conjoint. Face aux enfants qui arrivaient dans
la famille, il disait que s'ils étaient les frères et les soeurs de
ses enfants, ils faisaient partie de sa famille, un point c'est
tout. Il ne se demandait pas comment ils étaient arrivés là. Son
attitude à ce moment et aussi plus tard quand il a fait intervenir
une tierce partie—la belle-mère de mes enfants—fait en sorte que
nous avons un foyer élargi plutôt qu'un foyer brisé.
Malgré le fait que certains des enfants que nous avons accueillis étaient sérieusement amochés quand ils sont arrivés, et plusieurs étaient fortement traumatisés, nous avons réussi à en faire des adultes convenables. Nous n'avons pas élevé des enfants, nous avons tous les deux élevé des adultes capables de bien fonctionner.
En raison de mon expérience d'un divorce qui a échoué et d'un divorce qui a bien réussi, je crois que nous devons nous assurer que les pères ne sont plus des victimes ni des bourreaux; que les mères ne sont plus ni des victimes ni des procureures; et que les enfants ne sont plus ni des pions ni des prix.
L'utilisation des mots «parent inapte» peut avoir l'effet d'une bombe à retardement dans tout divorce où le parent qui a la garde des enfants craint d'être mis en accusation. Par conséquent, pour se protéger, il invente souvent des accusations fausses. Le parent qui n'a pas droit de visite doit donc inventer des façons de voir ses enfants.
Si nous pouvions passer de «parent inapte» à «parent le plus approprié», la formulation serait moins explosive. Un parent peut être plus approprié sans pour autant être inapte. Quand un enfant grandi, ses besoins et ses intérêts changent, et il est parfois mieux avec l'autre parent. Il ne devrait pas être nécessaire de lutter pour se déplacer d'un endroit à l'autre. L'enfant qui a vécu avec l'un de ses parents ne sera pas perturbé s'il a maintenu des contacts constants et naturels avec ce parent. L'enfant peut passer de l'un à l'autre tout naturellement.
Si nous voulons restructurer tout le système du divorce et changer la culture et la formulation du système de divorce, pourquoi ne peut-on donc pas déplacer les parents plutôt que les enfants, puisque le foyer familial est là où les enfants vivent?
Saviez-vous que quand mes enfants passaient de ma maison à celle de leur père, cela ne signifiait pas que j'étais inapte, et quand ils passaient de la maison de leur père à ma maison, cela ne signifiait pas qu'il était inapte. L'une de mes enfants a déménagé simplement parce qu'elle croyait être la seule à ne pas avoir vécu avec son père. Une autre a déménagé simplement parce que son père était plus près de l'école à laquelle elle voulait s'inscrire et elle pensait—à tort—qu'il l'autoriserait à conduire sa voiture.
L'autre expression sur laquelle nous devrions travailler est «la garde». S'il s'agit de responsabilités parentales, les enfants ne vont pas en prison. Ils n'ont pas besoin d'être «gardés». S'il s'agit de responsabilités parentales, il s'agit d'autre chose.
Il aurait été merveilleux que la médiation soit toujours obligatoire, surtout dans des situations difficiles comme celle de Nicole. Si seulement il y avait eu des médiateurs bien formés au tout début, avant que les enfants soient trop traumatisés pour le montrer.
Savez-vous que plusieurs personnes ont cherché à parler à mes frères et à moi-même au sujet de la situation dans laquelle nous étions. Aucun de nous n'a jamais voulu parler, jamais, jamais, jamais. Je me suis enfuie, je me suis cachée. Une fois, on m'a même recherchée comme enfant portée disparue, mais je n'avais pas disparu, je me cachais. Quand on m'a trouvée, j'ai refusé de dire le moindre mot au sujet de ce qui se passait à la maison, parce que malgré leur prudence et leur professionnalisme des personnes qui me questionnaient, je ne voulais absolument pas parler; je ne me sentais pas en sécurité.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Désolé, mais...
Mme Lori Campbell: Cela fait trois minutes?
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Non, cinq minutes.
Mme Lori Campbell: J'ai donc parlé trop longtemps?
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Vous avez terminé sur une note intéressante.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): C'était une belle façon de terminer votre intervention. Je vous remercie beaucoup.
La sénatrice Anne Cools: Monsieur le président, avant d'ajourner la séance, le comité pourrait-il accepter la lettre de M. Cottingham telle quelle?
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Cela dépend du comité. Êtes-vous d'accord? Quelle est la longueur...
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Je veux une indication de ce que cela signifie de l'accepter telle que lue.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Il faut simplement l'accord des membres. Êtes-vous d'accord? C'est tout ce que je demande.
Des voix: D'accord.
Le coprésident (M. Gallaway): Vous semblez être d'accord que le document soit versé au dossier tel que lu.
Les travaux du comité sont ajournés jusqu'à demain à 9 heures.