L’Association parlementaire canadienne
de l’OTAN a l’honneur de présenter son rapport sur la Visite à Paris et à
Nancy, France de la Commission de la défense et de la sécurité, Sous-commission
sur la coopération transatlantique en matière de défense et de sécurité tenue
du 27 au 29 avril 2009. La visite était conduite par le sénateur canadien
Joseph Day.
APERÇU GÉNÉRAL
La délégation, composée de 25
parlementaires venant de 15 pays de l'OTAN et de pays partenaires, a rencontré
des hauts responsables et des parlementaires français, et visité plusieurs
installations militaires. Les entretiens ont porté en particulier sur les plans
de défense et les déploiements de la France, son approche de l'Alliance
atlantique, le développement de la politique européenne de sécurité et de
défense (PESD), et les défis que présente l'évolution de la situation de
sécurité dans la région Afghanistan/Pakistan. La délégation a également abordé
le thème des efforts menés par la France et par l'OTAN dans le domaine du cyber
défense.
La délégation a notamment tiré de sa
visite les conclusions suivantes:
* la France poursuit actuellement une
vaste réforme de la défense, suivant les lignes directrices contenues dans le
Livre blanc sur la défense de 2008 et dans la Loi de programmation militaire
2009-2014, qui reflètent des évolutions significatives de la perspective
stratégique française et comportent d'importantes modifications de ses
installations, de ses matériels et de ses effectifs;
* le plein retour de la France au sein
de la structure militaire intégrée de l'OTAN, bien qu'ayant fait l'objet de
vifs débats dans le pays avant son approbation par le Parlement, s'inscrit dans
le droit fil de l'évolution de la réflexion stratégique française au cours des
15 dernières années, et permet à la France de tenir toute sa place dans la
planification des opérations Alliées dont elle est l'un des principaux
contributeurs;
* la France déploie à l'heure actuelle
environ 36 000 hommes à l'étranger, dont 13 000 dans le cadre d'opérations se
déroulant sur cinq théâtres, parmi lesquels 37% servent sous le drapeau de
l'OTAN;
* en dépit de la crise financière, les
dépenses de défense de la France sont en augmentation et conserveront un volume
substantiel jusqu'en 2020; elles sont même décrites comme une contribution à
l'action de stimulation entreprise par le gouvernement en réponse à la crise.
LA PLANIFICATION ET LES REFORMES DE
LA DEFENSE EN FRANCE
La visite de la délégation a été
inaugurée par une rencontre avec le ministre français de la Défense, M. Hervé
MORIN, qui a décrit à cette occasion les réformes en cours de la politique et
des institutions de défense françaises. La publication en 2008 du Livre blanc
sur la défense et la sécurité nationale a constitué une étape clé de ce
processus. Selon M. Morin, le Livre blanc redéfinit le contexte stratégique
dans lequel s'inscrit la planification de la défense et présente une nouvelle
stratégie de sécurité nationale pour la France.
Le Livre blanc formalise l'évolution du
point de vue français, qui peut se résumer comme suit: la menace de conflit
territorial sur le continent européen a reculé, mais la France doit demeurer
prête à faire face à une large gamme de défis dans un monde instable et une
situation stratégique générale incertaine. Le document décrit un arc
d'instabilité potentielle, s'étendant de la Mauritanie à l'Afghanistan, et
recense des menaces potentielles liées à des défis non traditionnels comme le
réchauffement climatique et la prolifération des armes de destruction massive.
Face à un monde qui a connu de tels changements, la défense française se devait
aussi d'évoluer, a déclaré M. Morin.
Des responsables de la défense ont
rappelé que le Livre blanc met l'accent sur cinq domaines principaux:
1) La connaissance et l’anticipation,
grâce à des capacités garantissant l'autonomie de décision et d'appréciation;
2) La dissuasion, en s'appuyant sur la
force nucléaire française, qui demeure la garantie ultime de la sécurité
nationale et contribue à la sécurité de l'Europe;
3) La prévention des conflits et des
crises, en utilisant une approche globale et en s'appuyant sur un système
international équilibré et légitime;
4) La protection du pays contre une
crise de grande ampleur et le renforcement de la résilience de la nation face,
par exemple, à des attaques contre des infrastructures essentielles;
5) et l’intervention lorsque c'est
nécessaire, dans le cadre de la gamme complète des opérations, de la
stabilisation au combat de forte intensité.
En application des nouvelles priorités
énoncées dans le Livre blanc, M. Morin a annoncé au mois de juillet une vaste
restructuration des forces armées françaises, laquelle a été par la suite
approuvée par le Parlement dans le cadre de la Loi de programmation militaire
pour les années 2009 à 2014. Cette restructuration avait deux objectifs
principaux: mettre davantage l'accent sur les forces opérationnelles
déployables, grâce à une rationalisation des dépenses, et éliminer les
structures de soutien redondantes.
Plus précisément, M. Morin a tracé les
grandes lignes des projets de fermeture d'un certain nombre d'installations,
ainsi que la mutualisation, entre différents organismes de la Défense, de
moyens administratifs de base et d'autres systèmes de soutien (regroupement
dont l'achèvement est prévu pour 2014). Pris dans leur ensemble, ces projets
prévoient la suppression de 54 000 emplois. Contrairement aux autres
ministères, qui doivent reverser au budget général, pour redistribution, les
économies budgétaires réalisées, le ministère de la Défense pourra conserver
tous les crédits économisés grâce à la restructuration, crédits qui seront
principalement consacrés à des investissements dans le domaine de l'équipement.
M. Morin a également déclaré qu'outre
les projets ci-dessus, un montant de 3,7 milliards d'euros a été inscrit au
budget pour 2009-2010 pour faire face à des dépenses budgétaires essentielles
non financées, héritées du précédent gouvernement. Dans l'ensemble, la France a
prévu d'augmenter son budget de défense dans des proportions jamais vues depuis
1958.
M. Josselin de ROHAN, président de la
Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du
Sénat, et chef de la Délégation française auprès de l'AP-OTAN, a souligné
l'importance de ces mesures et exprimé l'opinion selon laquelle il est
impératif de ne pas baisser la garde dans un monde où le nombre et la
complexité des crises ne font qu'augmenter. La France continuera de soutenir
une défense solide tout en visant à une plus grande efficacité de ses dépenses
budgétaires, en accordant la priorité aux capacités opérationnelles.
Le domaine de la connaissance et du
renseignement sera particulièrement ciblé dans le cadre des nouveaux
investissements. Plusieurs orateurs ont évoqué les enseignements tirés du
conflit du Kosovo, au cours duquel la France a dû avoir recours à des images
satellitaires fournies par les États-Unis parce que les moyens français ne
disposaient pas d'une capacité tout temps. De nouveaux investissements sont en
cours pour remédier à ces insuffisances.
Le général Jean-Pierre MARTIN,
commandant des forces aériennes françaises, a expliqué que l'armée de l'air
était également entrée dans un processus de réforme, conformément aux grandes
lignes des réformes de la défense décrites ci-dessus. La fermeture d'au moins huit
bases aériennes est envisagée, de même que la réorganisation de la structure de
commandement. Dans le contexte de l'OTAN, les forces aériennes françaises ont
contribué aux opérations de police du ciel dans la région de la Baltique ainsi
que de l'Islande, délégant à deux reprises la conduite du tir aux autorités de
l'OTAN – une première pour les forces françaises. La France apporte aussi une
importante contribution aux efforts de l'OTAN en Afghanistan; près de 600
membres des forces aériennes sont déployés en Asie centrale, dont 400 sur le
territoire de l'Afghanistan, à l'appui de 11 à 15 avions de combat.
LA FRANCE ET L'OTAN
M. Axel PONIATOWSKI, président de la
Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale française, a
reconnu qu'il n'avait pas été immédiatement convaincu par les projets du
président Sarkozy concernant le retour de la France au sein de la structure de
commandement militaire de l'OTAN, mais qu'il avait compris, à la réflexion, que
le contexte stratégique mondial a changé et que la France s'est, depuis des
décennies, rapprochée de l'OTAN, puisqu'elle participe aux travaux de 38 de ses
40 comités, et à toutes ses opérations. Dans cette perspective, il n'est plus
justifié de demeurer à l'extérieur des structures qui planifient les opérations
auxquelles participent les forces françaises. Selon M. Poniatowski, l'influence
française au sein de l'OTAN serait accrue, et permettrait la poursuite du
développement de la PESD en dissipant, par exemple, les impressions erronées
selon lesquelles la France poursuit un "agenda caché". Il a également
exprimé l'opinion selon laquelle il est important que la France conserve, en
matière nucléaire, sa pleine indépendance par rapport à l'OTAN, position
établie par le président Sarkozy dès le début des discussions sur cette
question.
Plusieurs interlocuteurs, dont le
sénateur J. de Rohan, ont insisté sur l'indispensable complémentarité entre
l'OTAN et l'Union européenne (UE), qui doivent œuvrer de concert, chacun
agissant dans le domaine où il peut apporter une valeur ajoutée. M. de Rohan a
estimé que l'UE doit avoir des moyens d'action indépendants; dans cette
perspective, la France continue de chercher des solutions pour le développement
d'un QG militaire opérationnel de l'UE, démarche à laquelle le Royaume-Uni est
opposé.
S'agissant du rôle de la France dans
l'OTAN, le ministre de la Défense, M. Morin a estimé qu'il y aurait peu de
changements dans les opérations courantes des forces armées, hormis l'addition
de 800 à 900 officiers dans la structure de commandement de l'OTAN, dont
l'appui coûtera environ 90 millions d'euros.
Le colonel Philippe MONTOCCHIO, du
ministère de la Défense, a exposé la vision française de l'Alliance dans le
contexte du prochain débat sur le nouveau Concept stratégique de l'OTAN.
Rappelant que l'élaboration d'un nouveau concept pourrait faire apparaître de
profondes divisions au sein de l'Alliance, le colonel Montocchio a estimé qu'un
tel exercice n'allait pas de soi. Selon lui, la France souhaite une OTAN
réaliste, raisonnable et équilibrée, au sein de laquelle les pays membres
assument toutes leurs responsabilités. L'Alliance, dont la mission principale
est la défense collective, doit aussi accepter d'autres fonctions sans pour
autant se présenter comme la solution à tous les problèmes de sécurité rencontrés
par l'un ou l'autre des Alliés. Elle doit aussi poursuivre son processus de
réforme et faire en sorte que les contributions budgétaires soient dépensées de
la façon la plus efficace possible. Enfin, il a exprimé l'opinion selon
laquelle l'acquisition de capacités collectives dans le contexte d'une
organisation ne permet pas la souplesse nécessaire pour faire face aux défis de
notre époque; la France accordera par conséquent la priorité à des programmes
d'acquisition nationaux ou multinationaux (groupes de plusieurs États).
AUTRES
QUESTIONS
Évoquant les opérations en Afghanistan
et la question, étroitement liée, de la situation politique au Pakistan, M.
Jean-Luc RACINE, du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), a
estimé que l'objectif fondamental du Pakistan est d'empêcher l'arrivée au
pouvoir à Kaboul d'un gouvernement favorable à l'Inde. La situation demeure
confuse au sein des structures de sécurité du Pakistan, certains éléments
demeurant en contact permanent avec des groupes militants qui ont été utilisés
comme supplétifs contre l'Inde au Cachemire et qui se sont retournés contre
l'État pakistanais. L'extension des groupes militants et des tactiques
radicales au-delà des zones tribales constitue un défi de grande ampleur. La
question reste ouverte de savoir si les talibans, qui ont à son avis gagné du
terrain, tant au Pakistan qu'en Afghanistan au cours des dernières années, et
ont en face d'eux un gouvernement Karzaï affaibli et un engagement
international déclinant, chercheront à parvenir à un accord mettant un terme au
conflit à des conditions acceptables pour les pays occidentaux.
La France est fortement impliquée dans
les opérations anti-piraterie, ont indiqué des responsables de la défense, qui
ont rappelé à la délégation l'intérêt précoce porté par la France à cette
question et le rôle clé qu'elle a joué dans la proposition de l'Opération
Atlanta de l'UE. La France continue à agir principalement dans le contexte de
l'UE, compte tenu de l'approche globale et cohérente, militaire et juridique,
du problème par cette organisation. L'idée a été émise selon laquelle une
approche à plus long terme devrait chercher à faire intervenir les acteurs
régionaux et à les encourager à prendre en charge le problème. La coopération
entre l'OTAN et l'UE sur cette question a été excellente.
Les cyber attaques dont l'Estonie a été
l'objet au printemps de 2007, ainsi que les éléments montrant que des
diplomates français avaient été, au cours de l'automne de la même année, la
cible d'actes de cyber espionnage, ont fait prendre conscience au Sénat
français de l'ampleur de cette nouvelle et croissante menace, a déclaré M.
Roger ROMANI, Vice-président du Sénat et auteur d'un rapport intitulé
"Cyber défense: un nouvel enjeu de sécurité nationale". Accompagné de
M. Patrick PAILLOUX, expert auprès du Secrétariat général de la Défense
nationale, il a présenté à la délégation un exposé sur les efforts déployés par
la France dans la lutte contre cette menace significative pour la sécurité
nationale.
La menace que constituent les cybers
attaques présente des facettes multiples, comprenant par exemple le vol
d'informations, des attaques visant à rendre impossible l'accès au service, des
actions dirigées contre des services physiques essentiels comme l'électricité
ou les transports, et des actions menées sur le champ de bataille pour
perturber les communications militaires. Les attaques ont pour auteurs des
groupes criminels, des services nationaux de renseignement, et peut-être des
groupes terroristes. M. Romani a plaidé pour une augmentation des ressources
consacrées aux efforts dans le domaine du cyber défense, en termes notamment de
crédits, d'expertise et d'équipement. Il a aussi préconisé une meilleure
organisation des activités entre les services gouvernementaux, le secteur privé
et les opérateurs de réseaux d'information, ainsi que les organisations
internationales. Il a enfin rendu hommage au travail accompli cette année par
l'Assemblée parlementaire de l'OTAN avec la préparation d'un rapport sur cette
question, et recommandé aux parlements nationaux de se pencher, s'ils ne l'ont
pas encore fait, sur cette question essentielle.
Respectueusement soumis,
M. Leon Benoit,
Président
Association parlementaire canadienne de l’OTAN (AP OTAN)