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RAPPORT
INTRODUCTION
L’Association parlementaire canadienne de l’OTAN a l’honneur de présenter son rapport sur le 95e séminaire Rose-Roth qui s’est tenu du 3 au 5 juillet 2017. Le Parlement du Canada était représenté par la sénatrice Raynell Andreychuk.
Sujets abordés
• Mise à jour sur la situation en Crimée et dans la région de la Mer Noire
• Le soutien de l'OTAN à l'Ukraine : résultats et défis
• L'intégration euro-atlantique de l'Ukraine, et les priorités et les résultats du Programme annuel national
• Situation économique de l'Ukraine et perspectives
1. Le 95e séminaire Rose-Roth de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, intitulé « Vers une Ukraine et une région de la mer Noire sûres et stables », a eu lieu à Kiev du 3 au 5 juillet 2017. Les participants ont également pu, à cette occasion, commémorer le 20e anniversaire de la Charte OTAN-Ukraine. Ce séminaire a réuni plus de 170 personnes, dont 80 parlementaires des 29 États membres et des pays partenaires de l’OTAN. L’événement était organisé par l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (AP-OTAN), en collaboration avec le parlement ukrainien (Verkhovna Rada) et avec le soutien des autorités suisses.
2. « La région de la mer Noire est utilisée par la Russie pour étendre son influence et son champ d’action bien au-delà de ses frontières », a déclaré dans son discours liminaire l’éminent diplomate états-unien Alexander Vershbow, ancien secrétaire général adjoint de l’OTAN. Compte tenu des répercussions que les politiques de déstabilisation de la Russie ont sur les plans politique, économique et des droits humains, tous les membres de l’OTAN sont parties prenantes dans la sécurité de la région, a-t-il souligné. Face au renforcement considérable du dispositif militaire de la Russie, l’OTAN doit, selon lui, envisager de mettre en place une présence militaire plus durable dans la région, en particulier dans le domaine maritime.
3. Alexander Vershbow et Ivanna Klympush-Tsyntsadze, vice-Première ministre de l’Ukraine pour l’intégration européenne et euro-atlantique, ont également appelé chacun des États membres de l’Alliance à renforcer leur soutien en fournissant à l’Ukraine un plus large éventail d’armes défensives afin de l’aider à protéger son armée le long de la ligne de contact. Les deux intervenants ont également exhorté les Alliés à faire payer à la Russie l’agression quotidienne qu’elle fait subir à l’est de l’Ukraine, et qu’elle s’obstine à nier.
4. Andriy Parubiy, président de la Verkhovna Rada, a indiqué que le parlement ukrainien avait voté une loi établissant l’adhésion à l’OTAN comme l’un des objectifs stratégiques de l’Ukraine. Il a précisé que le soutien de la population à cette question s’était considérablement accru ces dernières années. Selon les sondages d’opinion, une claire majorité des citoyens en âge de voter sont aujourd’hui favorables à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Le président de l’AP-OTAN, Paolo Alli, a redit la détermination de l’Assemblée à soutenir les aspirations euro-atlantiques de l’Ukraine.
5. Les parlementaires des États membres et des pays partenaires de l’OTAN ont ensuite été informés de la situation dans les régions occupées de l’Ukraine. Les intervenants ont souligné que le Kremlin continuait d’entretenir un conflit dans l’est du pays, où des blessés et des violations du cessez-le-feu sont enregistrés quotidiennement. La Russie n’a pas tenu les engagements qu’elle avait pris en signant les accords de Minsk 2, notamment la fin de la violence et le retrait du Donbass des armes lourdes et des milliers de soldats russes qui y sont postés. Certains responsables occidentaux ont exhorté l’Ukraine à aller plus loin dans la mise en oeuvre de ses engagements au titre de Minsk II. Les interlocuteurs ukrainiens leur ont répondu que le fait d’accorder à ce stade un statut spécial à la région du Donbass fournirait au président Poutine un argument pour continuer à déstabiliser l’Ukraine.
6. Les délégués ont par ailleurs appris que la situation de la population en Crimée s’était détériorée depuis l’annexion illégale de la péninsule par la Russie. La communauté autochtone des Tatars et les minorités ukrainiennes, en particulier, font l’objet d’actes graves d’intimidation et de persécution, et de nombreux enlèvements ont été signalés. La liberté d’expression est bâillonnée et les organisations culturelles sont frappées d’interdiction. Les responsables politiques occidentaux ont reçu le conseil de ne pas tomber « dans le piège du Kremlin », à savoir reconnaître l’annexion illégale de la Crimée pour obtenir le retrait de la Russie du Donbass.
7. Les délégués ont ensuite eu des discussions concernant le programme de réformes de l’Ukraine. Ivan Miklos, conseiller économique en chef auprès du Premier ministre ukrainien, ancien vice Premier ministre et ministre des finances de Slovaquie, et l’ambassadeur Hugues Mingarelli, chef de la délégation de l’UE auprès de l’Ukraine, ont fait observer que l’Ukraine avait accompli plus de réformes au cours des trois années écoulées que pendant toutes les autres années de son indépendance. Bien que la corruption demeure un problème majeur, son ampleur a été réduite. Les deux intervenants ont néanmoins souligné que l’opposition entre les réformateurs et ceux qui essaient de préserver leurs intérêts personnels était loin d’être terminée. Les parlementaires ont appris que le Programme pour le développement de l’intégrité de l’OTAN était un outil très important pour éradiquer la corruption dans le secteur de la défense et de la sécurité.
8. Les participants ont également abordé d’autres questions régionales, notamment la situation en République de Moldova. Ruslan Piontkivsky, économiste principal pour la République de Moldova à la Banque mondiale, a affirmé que depuis la crise économique de 2015, le pays a réussi à renouer avec la croissance. En revanche, Cristina Gherasimov, experte à l’institut Chatham House, a fait remarquer que l’incertitude politique était grande en Moldova, et que le pays courait le risque d’abandonner ses ambitions stratégiques pro-occidentales.
9. Ce séminaire Rose-Roth était le sixième organisé en Ukraine depuis le début du programme en 1991. Le premier avait eu lieu en 1993.
I. L’INTÉGRATION EUROPÉENNE ET EURO-ATLANTIQUE DE L’UKRAINE
10. Andriy Parubiy, président de la Verkhovna Rada, a indiqué que la relation entre l’OTAN et l’Ukraine avait connu des hauts et des bas depuis la signature de la Charte OTAN-Ukraine, mais que le pays avait toujours été un partenaire actif de l’Alliance et qu’il participait de façon non négligeable aux opérations dirigées par l’OTAN. L’intervenant a fait savoir que le parlement ukrainien avait voté une loi établissant l’adhésion à l’OTAN comme l’un des objectifs stratégiques de l’Ukraine. Il a précisé que le soutien de la population à cette question s’était considérablement accru ces dernières années. Selon les sondages d’opinion, une claire majorité des citoyens en âge de voter – quelque 60 % selon ses estimations – sont aujourd’hui favorables à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. L’agression du pays par la Russie a fait prendre conscience à la population ukrainienne qu’elle se trouvait à la frontière avec le monde libre, a indiqué M. Parubiy. L’OTAN est la seule force qui puisse mettre fin à l’agression russe, a-t-il souligné. Au cours des trois années écoulées, l’Ukraine a dû rapidement réformer, moderniser et dynamiser ses forces armées, qui avaient quasiment perdu toute leur capacité d’action sous le régime Ianoukovitch, a précisé l’intervenant.
11. Paolo Alli, président de l’AP-OTAN, a redit le soutien de l’Assemblée à l’intégration euro-atlantique de l’Ukraine et a réitéré les appels aux gouvernements occidentaux pour qu’ils accroissent leur soutien matériel au pays, à la fois sous les formats bilatéral et multilatéral.
12. Ivanna Klympush-Tsyntsadze, vice-Première ministre de l’Ukraine pour l’intégration européenne et euro-atlantique, a affirmé que son pays appréciait au plus haut point le soutien indéfectible de l’OTAN et de l’Assemblée. Elle a précisé que la volonté de l’Ukraine de remplir les critères d’adhésion à l’OTAN était à la base de tous ses efforts de réforme. Cela inclut notamment le renforcement de la démocratie, de l’État de droit, de la liberté d’expression et de la lutte anticorruption. Les autorités ukrainiennes sont conscientes de la masse de travail à fournir, a indiqué l’intervenante. Elle a exprimé son regret que certains Alliés mettent publiquement en doute les chances d’adhésion de son pays. Son espoir est que la visite prochaine du Conseil de l’Atlantique Nord en Ukraine donnera un nouvel élan à l’intégration euro-atlantique du pays, et constituera une occasion de réaffirmer la politique de la porte ouverte de l’Alliance. Enfin, Mme Klympush-Tsyntsadze a indiqué que le temps était venu de réviser la Charte OTAN-Ukraine afin de l’adapter aux réalités de l’agression commise par la Russie, et d’offrir à l’Ukraine une perspective claire d’adhésion.
II. LE RENFORCEMENT DU DISPOSITIF MILITAIRE DE LA RUSSIE DANS LA RÉGION DE LA MER NOIRE
13. La vice-première ministre, Ivanna Klympush-Tsyntsadze, a indiqué que la Russie a pour objectif de saper l’ordre mondial parce qu’elle n’a pas les moyens de rivaliser dans un monde régi par des règles. L’agression commise par les Russes en Ukraine est un exemple de cette volonté de s’attaquer à un monde où règne le droit ; elle représente à ce titre une menace pour la sécurité mondiale et le droit international. L’intervenante a également souligné que l’agression russe n’était pas seulement militaire mais qu’elle se manifestait aussi dans les domaines de l’énergie, du commerce, du cyberespace et de la propagande. Kiev observe avec inquiétude les préparatifs de l’exercice Zapad, réunissant les forces russes et biélorusses, et espère que ces manoeuvres n’aboutiront pas à des actes d’agression contre l’Ukraine depuis le territoire du Bélarus.
14. Mme Klympush-Tsyntsadze a précisé que l’Ukraine n’était pas en train de demander à l’OTAN d’envoyer des troupes pour contrer l’agression commise par la Russie. Les forces armées ukrainiennes sont les principales responsables de la protection de leur pays. En revanche, c’est d’un soutien plus concret dont l’Ukraine a besoin de la part de l’Occident, et la vice-première ministre a saisi cette occasion pour appeler les gouvernements occidentaux à fournir à son pays des armes létales afin de l’aider à réduire ses pertes civiles et militaires.
15. Ce message a été repris par l’intervenant principal, M. Vershbow, ancien secrétaire général adjoint de l’OTAN. Ce dernier a relevé que la région de la mer Noire était, à de nombreux égards, le point central de la stratégie de la Russie – dont le but est de rétablir son hégémonie sur ses pays voisins du Sud, une stratégie reposant davantage sur la rupture et la déstabilisation que sur une coopération bénéfique pour tous. Compte tenu des répercussions que les politiques de déstabilisation de la Russie ont sur les plans politique, économique et des droits humains, tous les membres de l’OTAN sont parties prenantes dans la sécurité de la mer Noire, a souligné l’intervenant.
16. Depuis l’occupation et l’annexion illégales de la Crimée, la Russie a entrepris une militarisation massive de la péninsule, a indiqué M. Vershbow. La Russie a considérablement modernisé et agrandi sa flotte présente en mer Noire en y ajoutant de nouveaux sous-marins et navires de guerre équipés de missiles de croisière longue portée. Elle a également déployé des défenses aériennes avancées (dont le système S-400) et des défenses côtières antinavires, et serait en train de préparer la réintroduction d’armes nucléaires et de systèmes de largage à capacité duale comme le système de missile Iskander, qui est capable d’atteindre le territoire de l’OTAN. La Crimée occupée est devenue un bastion pour les capacités russes A2/AD (déni d’accès/interdiction de zone), qui permettent à la Russie d’empêcher le mouvement des forces régionales et de perturber les tentatives de renforcement des défenses alliées de la part de l’OTAN, a expliqué l’ambassadeur.
17. Selon Pavel Felgenhauer, un analyste indépendant du secteur de la défense installé à Moscou, le processus décisionnel russe est très influencé par les responsables militaires et de la sécurité (appelés siloviki), dont la volonté est de perpétuer les tensions avec l’Occident. La politique russe à l’égard de la mer Noire est plus facile à comprendre à travers le prisme militaire : s’estimant attaquée par l’OTAN, Moscou a besoin de rétablir l’équilibre et de contrebalancer le contrôle exercé sur le détroit du Bosphore par la Turquie – alliée de l’OTAN – ainsi que les défenses antimissile otaniennes installées en Roumanie par l’occupation de la Crimée et le déploiement de capacités telles que les systèmes Iskander, capables d’atteindre les moyens de l’OTAN en Roumanie, a expliqué l’intervenant. M. Felgenhauer a indiqué que la militarisation de la région de la mer Noire s’inscrivait dans une stratégie plus globale de la Russie consistant à mettre en place un ensemble de bases tout le long de ses frontières. Selon l’intervenant, l’objectif des dirigeants russes est de protéger les ressources naturelles du pays contre les soi-disant ennemis de la Russie qui tentaient de s’en emparer dans le contexte de la prochaine crise mondiale des ressources. Comme l’a expliqué M. Felgenhauer, bien que cette philosophie soit erronée, elle est très répandue chez les stratèges de l’armée russe.
18. James Sherr, assistant-chercheur à l’institut Chatham House, a confirmé les dires de M. Felgenhauer sur le fait que les tensions dans la région de la mer Noire étaient appelées à durer. La stratégie de déstabilisation de la Russie est le reflet de sa vision darwinienne du monde, ainsi que de ses perceptions déformées de l’Occident et de sa propre base technico-militaire. L’intervenant a suggéré que les Alliés occidentaux cessent de se focaliser sur la Russie pour se concentrer sur leurs propres atouts et capacités.
19. Andrew Budd, chef de la section des capacités de défense à la Direction des politiques et capacités de défense de l’OTAN, a abordé la question de l’approche de l’OTAN dans la région de la mer Noire. Il a indiqué que la Russie était en train d’y déployer des armes et des plateformes militaires modernes, créant ainsi une bulle A2/AD très efficace et faisant obstacle à la liberté de mouvement dans le secteur. L’OTAN a réagi en accroissant sa présence maritime dans la région, en installant une base de défense antimissile en Roumanie, en renforçant ses bases aériennes en Bulgarie et en Roumanie, et en apportant plus d’aide à ses partenaires (Ukraine, Géorgie, Azerbaïdjan et Moldova). Contrairement à la situation dans la région Baltique et en Pologne, a noté M. Budd, la stratégie de l’OTAN dans la mer Noire n’est pas une présence avancée mais un renforcement rapide.
20. M. Vershbow a noté que malgré ces points positifs, la posture de dissuasion mise en oeuvre par l’OTAN en Europe présente toujours d’importantes lacunes, notamment une présence maritime imparfaite et une défense aérienne et antimissile de théâtre insuffisante. Selon lui, l’OTAN devrait mettre en place une présence militaire plus durable dans la région de la mer Noire, en particulier concernant les capacités maritimes, dans le respect de la Convention de Montreux. Il faut aussi que les Alliés permettent aux voisins de la Russie menacés par Moscou – comme l’Ukraine et la Géorgie – de renforcer leurs capacités. Plusieurs intervenants ont également insisté sur la nécessité de maintenir les sanctions à l’égard de la Russie tant que cette dernière continuera de porter atteinte à la souveraineté de ses voisins. Même si les sanctions n’ont pas entraîné de changement fondamental des politiques de la Russie, elles ont porté leurs fruits dans le sens où la Russie a réduit ses ambitions. À titre d’exemple, le projet de « Nouvelle Russie » (Novorossiya) semble avoir été abandonné.
III. LA VIOLATION PAR LA RUSSIE DE LA SOUVERAINETÉ DE L’UKRAINE : LE DONBASS ET LA CRIMÉE
21. S’agissant de la poursuite des violences dans le Donbass, le Kremlin continue d’orchestrer et de soutenir le conflit dans l’est de l’Ukraine, où des blessés et des violations du cessez-le-feu – causés principalement par les forces conduites par la Russie – sont enregistrés quotidiennement, a-t-on indiqué aux participants. M. Vershbow et les représentants ukrainiens ont souligné que la Russie n’avait pas respecté ses obligations en tant que signataire des accords de Minsk, notamment la fin de la violence, le retrait des armes lourdes et le départ de milliers de soldats russes qui sont toujours postés dans le Donbass pour le commandement d’opérations militaires. Du fait de l’intransigeance des Russes, le processus diplomatique est au point mort, malgré les efforts consentis par l’Ukraine, l’Allemagne et la France dans le cadre de ce que l’on appelle le « format Normandie ».
22. Mme Klympush-Tsyntsadze a réaffirmé que ce conflit devait être résolu par la voie politique et diplomatique. Les accords de Minsk sont certes importants, mais ils ne sont pas la seule façon d’obtenir un cessez-le-feu durable, l’échange des prisonniers et d’autres aspects de la résolution du conflit. L’intervention d’autres parties prenantes comme les États-Unis est utile, a indiqué la vice-première ministre.
23. Le premier vice-ministre de la Défense, Ivan Rusnak, a rappelé aux participants le nombre de victimes du conflit : plus de 2 700 soldats ukrainiens tués et environ 9 900 blessés. Parmi les habitants du Donbass, 2,3 millions ont fui leurs foyers. La Russie aurait déployé quelque 60 000 militaires bien équipés et entraînés dans les territoires occupés du Donbass et de Crimée. Jusqu’ici en 2017, plus de 10 000 violations du cessez-le-feu ont eu lieu dans le Donbass, a précisé M. Rusnak. Les groupes armés illégaux présents dans la région continuent en outre d’utiliser des armes prohibées.
24. Ernst Reichel, ambassadeur d’Allemagne en Ukraine, a noté que des progrès avaient été accomplis en ce qui concerne la conclusion de nouveaux accords sur un cessez-le-feu durable et l’échange de prisonniers, mais que leur mise en oeuvre était insuffisante. L’intervenant a appelé l’attention sur le fait que des divisions croissantes éloignent les territoires occupés du Donbass du reste de l’Ukraine. Il a également indiqué que les accords de Minsk étaient de plus en plus impopulaires en Ukraine, mais s’est demandé quelle était l’alternative. Il a suggéré de privilégier la mise à jour des accords de Minsk II plutôt que leur remplacement.
25. S’exprimant sur la clause des accords de Minsk II traitant de l’attribution d’un statut spécial à certaines parties des régions de Donetsk et de Louhansk, Hanna Hopko, présidente de la commission des affaires étrangères de la Verkhovna Rada, a souligné que la tentative du parlement ukrainien de modifier la Constitution pour permettre l’octroi de ce « statut spécial » était une erreur. La Russie n’a rien fait en échange et n’a pas cessé de violer le cessez-le-feu. Le concept de « statut spécial » donnerait à Moscou les moyens de déstabiliser encore davantage l’Ukraine. L’intervenante a cependant précisé que le parlement ukrainien avait adopté des réformes profondes de décentralisation qui permettent aux municipalités locales de disposer de nouveaux pouvoirs et de beaucoup plus de ressources.
26. La situation dans le Donbass occupé est dramatique. Selon Mme Klympush-Tsyntsadze, la Russie et ses marionnettes sont en train de nationaliser des entreprises publiques de la région et d’y introduire le rouble, en violation du droit. Les observateurs de l’OSCE continuent de se voir refuser l’accès à la frontière entre la Russie et l’Ukraine située dans la zone occupée, et sont donc dans l’incapacité d’empêcher la Russie de fournir des armes à ses partisans dans le Donbass sous couvert de « convois humanitaires ».
27. Iryna Gerashchenko, première vice-présidente de la Verkhovna Rada d’Ukraine et envoyée du président pour le règlement du conflit dans les provinces de Donetsk et Louhansk, a précisé que le nombre réel de victimes civiles des deux côtés dépasse les 10 000 personnes recensées par l’ONU. L’intervenante a ajouté que l’on comptabilise 132 otages (civils et militaires) et 408 disparus du côté ukrainien. Elle a dit déplorer que les partisans de la Russie dans le Donbass compliquent l’accès de la Croix-Rouge aux territoires occupés, et que les prisons qui s’y trouvent soient totalement fermées aux observateurs internationaux. Mme Gerashchenko a remercié l’OTAN pour son aide au traitement des soldats ukrainiens blessés. Elle a lancé un appel à l’aide en matière de réinsertion psychologique. Les interlocuteurs ukrainiens ont cité toute une liste de problèmes humanitaires graves auxquels est confrontée la population locale du Donbass occupé, notamment dans les domaines sanitaire, éducatif et environnemental.
28. James Sherr a fait remarquer que l’impasse de la situation dans le Donbass a obligé la Russie à insister davantage sur la déstabilisation de l’Ukraine tout entière, notamment en influençant la politique intérieure et en favorisant la « cinquième colonne ». L’intervenant a donc appelé les responsables politiques ukrainiens à privilégier les affaires intérieures.
29. S’agissant de l’occupation et de l’annexion illégales de la Crimée, l’intervenant principal, M. Vershbow, a précisé que la situation de la population locale ne faisait que se détériorer. Cela est particulièrement vrai pour les minorités ukrainiennes et la communauté autochtone des Tatars de Crimée. Ces derniers ont fait l’objet d’actes graves d’intimidation et de persécution : on rapporte ainsi des enlèvements, des infractions non suivies d’enquête à l’encontre de personnalités de cette communauté, et la persécution d’organisations culturelles. De nombreux membres de ces populations ont, par conséquent, été contraints de fuir la péninsule.
30. Refat Chubarov, président de l’Assemblée (Mejlis) des Tatars de Crimée, a évoqué les arrestations systématiques des militants tatars en Crimée ainsi que les cas de torture de prisonniers. Il a également condamné la décision russe d’interdire la Mejlis dans la Crimée occupée. L’intervenant a appelé les dirigeants occidentaux à adopter de nouvelles sanctions contre la Russie, notamment le gel des avoirs des sbires de Poutine ainsi que le boycott du pétrole et du gaz russes. M. Chubarov a terminé en avertissant que si la communauté internationale continue de ne rien faire au sujet de la Crimée, la population tatare qui s’y trouve disparaîtra complètement dans un proche avenir.
31. Oleksandra Matviychuk, présidente du conseil d’administration du Centre des libertés civiles, a indiqué qu’en opérant une migration contrôlée des minorités russes, Moscou modifie délibérément la composition démographique de la Crimée. L’intervenante a également donné une liste des violations des droits humains perpétrées dans la péninsule, qui inclut l’obligation d’acquérir la citoyenneté russe, la suppression des médias libres, la persécution politique, les enlèvements, voire les assassinats ciblés. Mme Matviychuk a exhorté la communauté internationale à organiser de nouvelles actions diplomatiques pour résoudre la situation en Crimée. Elle a également demandé instamment à l’UE d’imposer de nouvelles sanctions à la Russie pour les violations de grande ampleur des droits humains qui sont commises en Crimée.
32. Andreas Umland, maître de recherche à l’Institut de coopération euro-atlantique de Kiev, a affirmé que la perspective d’une restitution de la Crimée à l’Ukraine n’était pas réaliste. Il a indiqué que le simulacre de référendum sur l’union de la Crimée à la Russie était largement – et à juste titre – considéré comme illégitime. La communauté internationale ne reconnaîtra jamais l’annexion de la péninsule, en particulier parce qu’en ne respectant pas le mémorandum de Budapest de 1994 – qui lie la question du désarmement nucléaire de l’Ukraine à des garanties d’intégrité territoriale –, cette annexion constitue indirectement une violation du Traité de non-prolifération nucléaire de 1968. M. Umland a également expliqué que, compte tenu des difficultés économiques de la Russie et de son indifférence à l’égard de la situation socio-économique dans la péninsule, le « projet Crimée » de Moscou finira par être perçu comme un échec par les populations de Russie et de Crimée.
33. Plusieurs intervenants ont averti que la communauté internationale ne devait pas tomber « dans le piège du Kremlin », à savoir reconnaître l’annexion illégale de la Crimée pour obtenir le retrait de la Russie du Donbass.
34. M. Vershbow a en outre appelé l’attention sur le fait que, bien que la communauté internationale ait refusé de reconnaître la tentative d’annexion de la Crimée par la Russie, cette dernière a de facto pris le contrôle des infrastructures et ressources énergétiques essentielles de la région. Cela concerne notamment 2 milliards de mètres cubes de gaz naturel stockés en Ukraine et l’accès à des ressources sous-marines d’hydrocarbures dans la mer Noire, d’une valeur pouvant atteindre plusieurs milliers de milliards de dollars. Cette situation a sérieusement ébranlé les ambitions de l’Ukraine – à savoir acquérir l’autosuffisance énergétique – et a affaibli la sécurité énergétique de plusieurs autres États de la mer Noire, a expliqué l’intervenant. Dans ce contexte, M. Vershbow a également critiqué le projet Nordstream 2 qui, clairement, n’est pas seulement commercial, mais aussi stratégique : le pipeline contournant l’Ukraine sera pour la Russie une occasion de renforcer sa mainmise politique.
IV. LE PROGRAMME DE RÉFORMES DE L’UKRAINE
35. Le président de l’AP-OTAN, Paolo Alli, a insisté sur le fait qu’en plus de soutenir les aspirations euro-atlantiques de l’Ukraine, l’Assemblée invitait instamment les dirigeants ukrainiens à redoubler d’efforts pour mettre en oeuvre des réformes certes douloureuses mais nécessaires et, en particulier, à régler le problème de la corruption et des influences oligarchiques. Malgré ses récentes performances, l’Ukraine a encore beaucoup à faire sur le plan intérieur. M. Alli a également souligné qu’il était très important pour le pays de commencer à percevoir les fruits de ses efforts, comme par exemple la libéralisation des visas avec l’UE, l’activation future de la zone de libre-échange complet et approfondi, le programme d’assistance global de l’OTAN pour l’Ukraine et les prêts du FMI dans le cadre de son programme d’aide.
36. La vice-Première ministre, Mme Klympush-Tsintsadze, a fait observer que son gouvernement devait conduire les réformes dans un contexte économique difficile : du fait de l’agression de la Russie, l’économie ukrainienne a reculé de 16% en 2015. Elle est toutefois en train de repartir à la hausse, et a enregistré une croissance de 2.2% en 2016. Cette année, une hausse de 2.4% est attendue. Les investissements directs étrangers ont par ailleurs augmenté de 25% en un an, a ajouté Mme Klympush-Tsintsadze.
37. Ivan Miklos a fait observer que l’Ukraine avait accompli plus de réformes au cours des trois années écoulées que pendant toutes les autres années de son indépendance. Au début des années 1990, le PIB par habitant du pays était le même que celui de la Slovaquie. Aujourd’hui, les PIB de l’Ukraine et de la Slovaquie sont également au même niveau, mais en termes absolus et non par habitant, a précisé M. Miklos. L’Ukraine est en retard à cause du manque de réformes.
38. Ces dernières années, l’Ukraine a réussi à atteindre l’équilibre budgétaire. Malgré le sentiment courant que la corruption progresse dans le pays, dans la réalité, l’espace laissé à de telles pratiques a été réduit, notamment du fait de la déréglementation du prix de l’énergie. L’assainissement du secteur bancaire a également contribué à lutter contre la corruption, les banques dites fantômes ayant été fermées. Un autre accomplissement a été la mise en place du système électronique Prozoro pour les marchés publics, qui s’est avéré très utile, a indiqué M. Miklos.
39. Un certain nombre de lacunes demeurent. Des lois sensibles ayant trait aux réformes structurelles et institutionnelles doivent encore être adoptées. Les priorités actuelles pour le gouvernement sont la réforme des retraites, la privatisation de nombreuses entreprises publiques inefficaces ainsi que la réforme foncière, censée ouvrir d’importants débouchés en matière d’investissement et de développement agricoles. La création d’un nouveau tribunal anticorruption est également prévue.
40. Hugues Mingarelli, chef de la délégation de l’UE auprès de l’Ukraine, a souligné l’importance du processus de décentralisation et de réforme de la gouvernance, qui sous-tend toutes les autres réformes. L’UE offre son aide au gouvernement ukrainien au moment où il aborde ses réformes les plus urgentes – notamment en ce qui concerne les retraites, la santé, l’éducation et la justice – et où il entreprend d’accélérer son adaptation aux acquis européens dans le secteur de l’énergie. M. Mingarelli a précisé que les réformateurs du gouvernement étaient confrontés chaque jour aux tentatives, menées par ceux qui cherchent à protéger leurs intérêts particuliers, de faire échouer le processus de réforme, et qu’ils ont besoin du soutien continu de la société civile et de la communauté internationale.
41. Ihor Hryniv, président adjoint de la commission sur l’informatisation et les communications du parlement ukrainien, a fait savoir que les niveaux de vie avaient chuté lors du soulèvement politique de 2013-2014, et que le degré de corruption était toujours élevé, entraînant un mécontentement de la population et même des appels à un « troisième Maidan ». Aujourd’hui, le mécontentement a faibli et les niveaux de vie augmentent progressivement, a indiqué l’intervenant. M. Hryniv a par ailleurs insisté sur la nécessité pour le gouvernement de continuer à progresser dans les réformes, en particulier pour mettre fin à la corruption.
42. Valerii Pekar, membre de la plateforme civique Nova Kraina (« nouveau pays ») et ancien membre du Conseil national des réformes, a indiqué que le rythme des réformes en Ukraine allait en s’amenuisant et qu’un grand nombre de vrais réformateurs avaient quitté le gouvernement. Le manque de volonté politique, la complexité des procédures, la résistance bureaucratique, les intérêts particuliers des personnalités politiques et le conflit à l’est du pays sont quelques-uns des facteurs qui nuisent au processus de réforme. L’intervenant a souligné que l’impulsion réformatrice venait en réalité de l’extérieur du gouvernement, à savoir des ONG et des partenaires internationaux de l’Ukraine. Il a exhorté les responsables politiques occidentaux à conditionner leur aide à une mise en oeuvre plus efficace des réformes.
43. Balazs Jarabik, de la Fondation Carnegie pour la paix internationale, a expliqué que les réformes actuelles sont sans précédent par rapport aux 25 dernières années, mais que les progrès sont modestes. Les principaux obstacles aux réformes sont la captation de l’État au niveau local, le faible degré de confiance dans les autorités et l’héritage des réformes néolibérales. Le renforcement du pouvoir présidentiel fait craindre une dérive autoritaire, a observé M. Jarabik. L’intervenant a exhorté l’UE à gérer les attentes et à faire moins de promesses tout en accroissant son aide et en appliquant de façon constructive le principe de conditionnalité. Au lieu d’encourager la thérapie de choc, les institutions occidentales devraient laisser Kiev relancer l’économie et réduire au maximum les coûts socio-économiques des réformes structurelles. Le gouvernement ukrainien n’a pas besoin d’une autre stratégie ou d’une autre feuille de route, mais d’une amélioration de la planification, la mise en oeuvre et le suivi des réformes, a conclu l’intervenant.
44. Alexander Vinnikov, directeur du bureau de liaison de l’OTAN en Ukraine, a indiqué que depuis 2014, le niveau de soutien apporté par l’Alliance à l’Ukraine et à ses réformes était sans précédent. Les Alliés investissent dans ce pays et s’assure que l’expérience soit réussie. Les décisions prises lors du sommet de Varsovie ainsi que la prochaine visite du Conseil de l’Atlantique Nord en Ukraine montrent que le soutien politique de l’Alliance est indéfectible.
45. Sur le plan matériel, le programme d’assistance global de l’OTAN a été conçu pour aider l’Ukraine à mener à bien ses réformes et à développer ses capacités de défense. Cela inclut la fourniture de conseils, la création de fonds d’affectation spéciale et différents dispositifs de renforcement des capacités. L’un des programmes les plus importants est le Programme pour le développement de l'intégrité, un projet unique visant à résoudre l’un des plus gros problèmes de l’Ukraine : la corruption. Le pays est depuis trop longtemps rongé par la corruption, ce qui peut donner lieu à des révolutions, a remarqué M. Vinnikov. Une détermination politique et une intégrité individuelle et institutionnelle sont nécessaires pour lutter contre ce mal. Le Programme pour le développement de l'intégrité concentre son action sur le secteur de la défense et la sécurité, qui revêt une importance capitale car, comme l’a souligné l’intervenant, la corruption dans le domaine de la sécurité met des vies humaines en danger. Lancé en 2007, ce programme est unique en son genre car il s’adresse à la fois aux Alliés et à leurs partenaires. Il aide les institutions de défense et de sécurité en les engageant dans un processus d’autoévaluation et d’examen par les pairs, en coordonnant les politiques et en encourageant leur personnel à appliquer les meilleures pratiques. Les parlementaires jouent un rôle fondamental dans cet effort puisqu’ils assurent une fonction de contrôle démocratique.
46. La réforme du secteur ukrainien de la défense et de la sécurité est également soutenue par le gouvernement suisse par l’intermédiaire du Centre pour le contrôle démocratique des forces armées de Genève (DCAF), a déclaré Christoph Späti, chargé d’affaires par intérim de la Suisse pour l’Ukraine.
47. Joelle Vachter, cheffe adjointe de la mission de conseil de l’Union européenne (EUAM) en Ukraine, a précisé que bien que l’EUAM joue surtout un rôle consultatif en soutenant les efforts des autorités ukrainiennes dans leurs réformes du secteur interne de la sécurité, la mission de l’UE a également été habilitée à apporter de l’aide à la mise en oeuvre opérationnelle des réformes. L’action de l’EUAM porte spécifiquement sur les réformes du secteur de la sécurité civile, afin de contribuer à l’amélioration de l’intégrité des services chargés de l’application de la loi en instaurant une coopération interservices, en faisant évoluer les cultures au sein des organisations et en définissant clairement leurs compétences.
48. Plusieurs participants ont fait observer que le rôle du parlement et le renforcement du contrôle qu’il exerce sont d’une importance primordiale pour assurer le succès des réformes en Ukraine. Philippe Fluri, directeur adjoint du DCAF, a constaté que le parlement ukrainien avait clairement un problème de crédibilité. Une initiative a donc été lancée pour promouvoir l’introduction d’un code de déontologie au sein de cette institution. La principale instigatrice de cette initiative, Iryna Suslova, cheffe de la sous-commission parlementaire sur l’égalité des sexes et la non-discrimination au sein du parlement ukrainien, en a décrit les grandes lignes aux participants. Le code de déontologie qui est proposé aux parlementaires couvre un large éventail de situations ; il encourage notamment à participer aux réunions, à résister à l’influence des groupes de pression, à voter pour d’autres membres et à oeuvrer pour un dialogue et des débats civilisés et respectueux entre parlementaires. Cette initiative est soutenue par le Parlement européen et le DCAF, a indiqué Mme Suslova.
49. La coprésidente du Conseil interparlementaire OTAN-Ukraine, Raynell Andreychuk, a fait part, en sa qualité de présidente du Comité sur l’éthique et les conflits d'intérêts des sénateurs du Sénat canadien, de l’expérience du Canada en ce qui concerne l’introduction d’un code de déontologie au sein du parlement. L’intervenante a souligné que la conception et l’application d’un tel code renforçaient considérablement la capacité des parlements à exercer leur rôle de contrôle.
V. QUESTIONS DIVERSES AU SUJET DE LA RÉGION DE LA MER NOIRE
50. L’intervenant principal, M. Vershbow, a noté qu’en plus de déstabiliser l’Ukraine, la Russie alimente les tensions et l’instabilité dans l’ensemble de la région – y compris en perpétuant les conflits « gelés » dans les pays partenaires de l’OTAN que sont la Géorgie et la Moldova, où Moscou continue d’armer et de soutenir ses partisans dans l’Ossétie du Sud, en Abkhazie et en Transnistrie. Tout cela crée une boucle d’instabilité autour de la mer Noire qui risque de prolonger l’insécurité dans toute la région et d’empêcher des pays comme l’Ukraine, la Moldova et la Géorgie de poursuivre leurs démarches d’intégration à l’Europe, a commenté l’intervenant.
51. Dominika Krois, coordinatrice de l’OSCE au Service européen pour l’action extérieure, s’est exprimée sur la démarche adoptée par l’UE dans la mer Noire. L’initiative phare de l’UE dans la région, baptisée Synergie de la mer Noire, fournit un cadre pour les activités actuelles et futures de l’Europe dans la région. Couvrant tous les secteurs, elle a pour but de faire participer tous les pays qui entourent cette mer. Les programmes mis en oeuvre dans le cadre de l’initiative concernent un certain nombre de domaines : affaires maritimes (développement d’un mécanisme de croissance bleue en mer Noire), recherche et innovation, protection de l’environnement et appui à la société civile. Le Partenariat oriental de l’UE constitue une autre piste pour engager une collaboration avec la région. Par cette initiative, l’UE aide les pays de la région à diversifier leurs économies, renforcer leurs institutions et lutter contre la corruption. L’UE a également signé des accords d’association avec l’Ukraine, la Moldova et la Géorgie. Mme Krois a reconnu que l’action de l’Europe dans la région était rendue difficile par l’occupation et l’annexion illégales de la Crimée.
52. Igor Burakovsky, chef du conseil d’administration de l’Institut de recherche économique et de consultation sur les politiques, a abordé le sujet de la coopération économique dans la région de la mer Noire. Il a relevé que les pays concernés étaient membres de différentes organisations régionales et internationales ayant trait à la politique et à l’économie, et qu’il n’existait pas dans la région de régime réglementaire unifié. Sur les 12 membres du Conseil d’affaires de l’Organisation de coopération économique de la mer Noire (OCEMN), neuf sont affiliés à l’UE (en tant que membres ou partenaires), ce qui signifie que les réglementations européennes ont une influence déterminante sur le cadre réglementaire de la région. L’OCEMN a clairement les capacités de promouvoir le développement dans la région mais pour l’instant, ses membres ne parlent pas d’une seule voix, a affirmé M. Burakovsky. La coopération économique avec la Russie est entravée par les sanctions européennes. L’intervenant a conclu en indiquant qu’il n’existait pas actuellement dans la région de puissance économique mondiale, et que l’émergence d’un leader local était encore à venir.
53. Julian Popov, membre de la Fondation Européenne pour le climat et président du Building Performance Institute Europe, a appelé l’attention sur l’importance économique et géostratégique d’une transition vers l’énergie verte et l’efficacité énergétique. Il a indiqué que l’Ukraine consommait auparavant 120 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an, dont 90 achetés à la Russie. Ce niveau de consommation a entraîné divers problèmes de sécurité ainsi qu’une captation oligarchique de l’État. À l’heure actuelle, en raison du conflit avec la Russie, la consommation de gaz de l’Ukraine a considérablement diminué, et l’économie du pays s’est adaptée, ce qui prouve que le niveau de consommation antérieur était excessif. M. Popov a suggéré que l’Ukraine ne se préoccupe pas trop de l’infrastructure des hydrocarbures. La véritable sécurité énergétique peut s’obtenir en investissant davantage dans l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables, comme par exemple l’éolien et le solaire. L’intervenant a cité une récente étude sur le potentiel d’énergie verte de l’Ukraine, qui montre que d’ici à 2030, l’énergie éolienne pourrait produire à elle seule cinq fois plus d’électricité que le pays n’en a besoin, à des prix compétitifs. M. Popov a également suggéré que le pays s’ouvre à de nouveaux domaines de coopération régionale qui seraient bénéfiques pour la population et encourageraient les contacts interpersonnels, comme par exemple l’investissement dans des compagnies aériennes à bas coût, la réduction des coûts de l’itinérance téléphonique et le développement d’un marché régional de l’énergie.
54. La dernière séance du séminaire a été consacrée à la situation récente dans la République de Moldova. Ruslan Piontkivsky, économiste principal pour la Moldova à la Banque mondiale, a indiqué que le pays était en cours de redressement après le scandale de corruption datant de 2014-2015, où un milliard de dollars américains avaient disparu de trois banques moldaves. L’événement avait provoqué une crise politique majeure et une récession économique, et porté un coup à l’intégration européenne de la Moldova. L’économie nationale connaît aujourd’hui une croissance de quelque 4 % par an, l’inflation a été jugulée, le déficit budgétaire n’est plus que de 2 % du PIB et la dette publique a été stabilisée à environ 40 % du PIB. Le flux des transferts d’argent s’est également stabilisé. La Moldova reçoit de l’aide de partenaires internationaux comme l’UE et la Banque mondiale, mais aussi de quelques pays comme la Roumanie.
55. Bien que les perspectives soient encourageantes, de nombreuses incertitudes demeurent. Les résultats des prochaines élections législatives sont incertains ; la population est partagée entre les factions pro-occidentales et pro-orientales. À mesure que les élections approchent, l’appétit de réforme du gouvernement décroît tout naturellement. Les systèmes éducatifs et sanitaires, non réformés, représentent une lourde charge pour le pays, a fait savoir M. Piontkivsky. Sur le long terme, les principales difficultés sont la réduction de la pauvreté et la résolution de la crise démographique. Le pays doit de toute urgence améliorer la gouvernance et s’attaquer à la corruption, a ajouté l’intervenant.
56. Cristina Gherasimov, de l’institut Chatham House, a précisé que le gouvernement actuel avait de sérieux problèmes de légitimité et était très impopulaire. Le parti socialiste, ouvertement pro-russe, va très probablement remporter les prochaines élections législatives, en octobre 2018, a indiqué l’intervenante. La société civile est très polarisée dans ses préférences géopolitiques, et son soutien à l’intégration européenne a considérablement diminué ces dernières années : selon des sondages d’opinion, moins de la moitié de la population est aujourd’hui favorable à l’adhésion à l’UE, alors que 36 % environ y sont opposés. Comme l’a expliqué Mme Gherasimov, de nombreuses réformes ont été adoptées sur le papier, mais leur concrétisation fait cruellement défaut. Un exemple significatif est la réforme de la justice, qui est toujours au point mort. Aucun des 39 juges inculpés pour infractions pénales n’a été poursuivi. L’intervenante a appelé instamment la communauté internationale à renforcer le contrôle de la mise en oeuvre de l’accord d’association conclu par l’UE avec la Moldova, et à accroître son soutien à la société civile au niveau des simples citoyens.
57. Paolo Alli, président de l’AP-OTAN, et Irina Friz, cheffe de la délégation de l’Ukraine auprès de l’Assemblée, ont clos le séminaire qui, par les informations récentes qui ont été fournies concernant la situation en Ukraine et dans la région de la mer Noire, a été très utile. M. Alli a réaffirmé le soutien indéfectible de l’Assemblée à l’Ukraine.
** Ce rapport a été rédigé par le Secrétariat de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Voir le rapport original
Respectueusement soumis,
Mme Leona Alleslev, députée
Présidente de l'Association parlementaire canadienne de l'OTAN