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Rapport
INTRODUCTION
Le député Ali Ehsassi, membre de la Section canadienne de ParlAmericas, a participé au 40e Forum annuel d’Action mondiale des parlementaires qui s’est tenu à Kiev, en Ukraine, les 16 et 17 novembre. Parmi les 200 participants présents figuraient 77 députés provenant de 38 pays des quatre coins du monde. Le Forum de 2018 portait sur la Cour pénale internationale (CPI) et la primauté du droit. Les groupes ont traité, notamment, de la portée de la compétence de la CPI, des difficultés et possibilités liées à la ratification universelle du Statut de Rome de la CPI, des amendements au Statut de Rome, de la criminalisation à l’échelle nationale et des jugements concernant des atrocités internationales, de la période de questions avec le Bureau du procureur de la CPI, de la prise en considération d’une approche en matière de justice pénale internationale fondée sur les droits des victimes, d’une révision du 20e anniversaire du Statut de Rome et d’une séance particulière à la situation de l’Ukraine.
OUVERTURE DU FORUM
Le premier jour, les participants au Forum se sont réunis à l’Assemblée législative de l’Ukraine. Le mot de bienvenue a été prononcé par Mme Margareta Cederfelt, députée de la Suède et présidente d’Action mondiale des parlementaires, et par l’honorable Andriy Parubiy, député de l’Ukraine et président de la Verkhovna Rada d’Ukraine. Outre la reconnaissance du soutien en nature reçu de la part du Parlement ukrainien comme organisateur de l’événement, on a souligné que l’Assemblée avait été rendue possible grâce au soutien de l’Union européenne, des gouvernements des Pays-Bas, de la Suisse, de l’Estonie et du Liechtenstein, et de l’Oak Foundation. L’Agence de développement et de coopération internationale de la Suède et le ministère des Affaires étrangères du Danemark avaient également fourni un soutien de base.
DISCOURS-PROGRAMME
Le premier discours-programme a été présenté par M. O-Gon Kwon, président de l’Assemblée des États Parties au Statut de Rome de la CPI. Ayant déjà été juge et vice-président du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, son discours visait principalement à examiner la mesure dans laquelle les attitudes à l’égard de l’efficacité de la CPI ont évolué au cours des 20 dernières années. Considérant qu’au début, de nombreux pays doutaient que la CPI intente une action en justice contre un chef national, on s’attend maintenant à ce que la Cour ne permette jamais à un chef mondial d’échapper à des poursuites pour avoir commis des crimes odieux. Il a également abordé le principe de la complémentarité afin de mettre en évidence la nécessité absolue pour tous les pays de porter des affaires en justice devant leurs tribunaux démocratiques, soulignant ainsi l’importance pour chaque pays de promouvoir activement les lois et règlements sur les crimes contre l’humanité afin de ne pas devenir un refuge pour les fugitifs désirant échapper à la justice internationale ou les présumés criminels internationaux. À ce titre, M. Kwon a fait valoir que la CPI devrait être considérée uniquement comme un tribunal de dernier recours.
Le deuxième conférencier d’honneur était le juge Marc Perrin de Brichambaut, actuel vice président de la CPI et ancien chef de délégation de la France à la Conférence diplomatique de Rome sur la CPI tenue en 1998. M. Brichambaut a expliqué en détail la mesure dans laquelle il est essentiel que la CPI procède à des examens détaillés pour s’assurer que toute affaire qu’elle porte en justice est considérée comme un succès. Il a également souligné qu’il est impératif que la CPI maintienne sa crédibilité non seulement en portant avec succès ses affaires en justice, mais aussi qu’elle garde à l’esprit que les affaires doivent être classées lorsqu’elle ne présente pas une cause convaincante. Il a poursuivi en précisant que 26 affaires ont été portées devant la CPI, et que 11 affaires sont à l’étude. Enfin, M. Brichambaut a fait remarquer qu’il était de bon augure que, plus tôt dans la journée, les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens aient rendu un verdict de culpabilité contre deux chefs principaux des Khmers rouges reconnus coupables de génocide, près de 40 ans après avoir commis les crimes au Cambodge.
PREMIÈRE JOURNÉE
Le premier groupe, présidé par Mme Barbara Lochbihler, députée allemande et vice-présidente de la Sous-commission des droits de l’homme du Parlement européen, a traité de la portée de la compétence de la CPI et du mandat de protection du Statut de Rome pour la prévention et la répression des crimes internationaux les plus graves. Parmi les membres figuraient l’honorable Ahmed Mahloof, député des Maldives, Carla Pitiot, députée de l’Argentine et secrétaire de la Commission sur la législation générale, et M. Ehsassi. M. Mahloof a parlé des difficultés qui ont empêché les Maldives d’adopter le Statut de Rome et des arguments qui ont servi à faciliter la ratification du Statut par son pays en 2011. Les remarques de M. Ehsassi ont d’abord porté sur l’important rôle que le Canada a joué pour créer la CPI, entre autres, en présidant une coalition d’États appelée le Groupe d’optique commune, en suscitant un soutien pour une CPI indépendante et efficace au moyen de déclarations publiques et de pressions intenses, en contribuant à un fonds fiduciaire de l’Organisation des Nations Unies pour permettre aux pays moins développés de participer aux négociations de la CPI, et en aidant à financer les organisations non gouvernementales des pays en développement afin que le processus de la CPI puisse tirer parti de leurs points de vue particuliers. Il a également relaté les circonstances dans lesquelles le Canada est devenu, en juillet 2000, le premier pays à adopter la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre afin d’appliquer le Statut de Rome dans le droit national canadien. Enfin, ses propos on porté sur des événements plus récents se produisant dans le monde qui pourraient mener à la poursuite de causes d’action contre le gouvernement syrien pour des crimes qu’il commet contre ses propres citoyens depuis 2011.
Le deuxième groupe, présidé par Mme Svitlana Zalischuk, députée de l’Ukraine et membre de la Commission des affaires étrangères, a traité d’une séance particulière à la situation de l’Ukraine et des faits nouveaux et obstacles actuels d’ordre législatif concernant la ratification et l’application du Statut de Rome. Au nombre des membres figuraient un représentant du ministère de la Justice de l’Ukraine, un député ukrainien qui siège également à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, de même que le directeur du Centre ukrainien pour les libertés civiles. Les conférenciers ont souligné que les perceptions erronées du public quant à la façon dont les soldats ukrainiens pourraient malencontreusement être impliqués en vertu du Statut de Rome ont fait en sorte qu’il a été difficile pour un plus grand nombre d’Ukrainiens de soutenir la ratification du Statut de Rome par leur pays. Par ailleurs, les conférenciers ont parlé d’une vaste coalition nationale qui s’est lancée dans une campagne publique pour encourager plus d’Ukrainiens à reconnaître les avantages de la ratification du Statut de Rome par leur pays. Enfin, les représentants James McGovern et Randy Hultgren, de la Chambre des représentants des États-Unis, se sont adressés aux participants au moyen d’un message vidéo admettant que l’Ukraine fait face à des défis liés aux droits de la personne en raison des actes menés par le gouvernement russe dans l’est de l’Ukraine. Il a également été question des défis auxquels sont confrontés les médias en ce qui concerne la couverture des atrocités qui se déroulent dans les régions de l’Ukraine où la guerre fait rage.
Le troisième groupe, présidé par Mark Pritchard, député du Royaume-Uni, a traité des difficultés et possibilités liées à la ratification universelle du Statut de Rome de la CPI. Le premier membre, l’honorable Kula Segaran, député de la Malaisie et récemment nommé ministre des Ressources humaines de son pays, a annoncé l’accession imminente de son pays au Statut de Rome. Le deuxième conférencier, le représentant Gary C. Alejano, des Philippines, a présenté un exposé animé pour relater les nombreuses façons dont le président actuel de son pays restreint la primauté du droit dans son pays. Il a notamment parlé de la façon douteuse dont le gouvernement philippin fait la guerre aux barons de la drogue. Enfin, l’honorable Azey Guliyev, député d’Azerbaïdjan, a fait part de son point de vue sur les nombreuses menaces internationales auxquelles son pays a été confronté et sur l’importance pour les institutions internationales de faire respecter la primauté du droit dans le monde.
En soirée, tous les participants ont été invités à la cérémonie de remise des prix pour la défense de la démocratie. Le premier prix a été décerné à M. Ahmed Mahloof, des Maldives, pour son rôle d’ardent défenseur de la primauté du droit dans son pays. M. Mahloof a été appréhendé plus de 25 fois pour les efforts qu’il a déployés depuis 2010 et a été condamné à plusieurs mois d’emprisonnement. Le deuxième prix a été remis à Oleg Sentsov, un réalisateur de films ukrainien en état d’arrestation en Crimée depuis 2014 qui a été condamné injustement à 20 ans de prison pour s’être fermement opposé à l’annexion illégale et forcée de certaines régions de l’Ukraine par la Russie.
DEUXIÈME JOURNÉE
Le premier groupe de cette deuxième journée, présidé par Mme Petra Bayr, députée de l’Autriche, a traité de la compétence croissante de la CPI à l’égard des crimes de guerre dans les conflits armés non internationaux et du déclenchement de la compétence de la CPI à l’égard du crime d’agression. En 1998, lorsque le Statut de la CPI a été adopté par les participants à la Conférence diplomatique à Rome, on a conféré à la Cour la compétence sur les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, ainsi que sur le crime d’agression. Cependant, bien qu’il ait été convenu que la Cour devrait avoir compétence sur le crime d’agression, aucun consensus sur la définition de ce crime n’a été dégagé. Les membres ont examiné les faits nouveaux qui ont permis aux Parties au Statut de Rome de convenir à la fin de 2017 de déclencher la compétence sur le quatrième crime fondamental d’agression, et ce, après 10 jours de négociations intenses. M. Christian Wenaweser, ambassadeur et représentant permanent du Liechtenstein auprès des Nations Unies, a relaté les efforts qu’il a déployés pour diriger le processus de Princeton depuis 2004 visant à établir un consensus sur la définition du crime d’agression et les conditions selon lesquelles la Cour pourrait exercer sa compétence à l’égard de ce crime. En 2010, les amendements ont été adoptés par consensus lors de la Conférence de révision du Statut de Rome tenue à Kampala, en Ouganda. À ce jour, 36 pays ont adopté les amendements convenus à Kampala. Un autre grand conférencier, le professeur Noah Weisbord, de la faculté de droit de l’Université Queen’s, a fait le survol du régime juridictionnel spécial créé pour le crime d’agression. Selon le professeur Weisbord, la responsabilité de l’État à elle seule ne permettrait pas de tirer efficacement parti du pouvoir du droit international, et par conséquent, de la codification du crime; la primauté du droit est renforcée en tenant les chefs responsables des guerres qu’ils déclenchent. De plus, on a fait remarquer que la nouvelle définition convenue pour le crime d’agression saisit mieux les aspects sociologiques de la guerre moderne. Elle permet également aux assemblées législatives, à la magistrature et aux citoyens de déterminer si une guerre doit être jugée légale ou illégale.
Le groupe suivant s’est penché sur la criminalisation à l’échelle nationale et les jugements concernant des atrocités internationales, ainsi que sur les poursuites au pays d’actes criminels internationaux. Les membres du groupe provenant du Chili, de la Bolivie, de l’Italie et de l’Ukraine ont tous relaté l’évolution de la situation dans leurs pays respectifs afin d’assurer la poursuite au pays des crimes internationaux. De plus, Emilio Carelli, député de l’Italie et membre de la Commission des affaires étrangères, a rappelé le rôle que joue l’Italie depuis la création de la CPI, puis il a souligné que les mesures prises par l’Italie pour promouvoir les droits de la personne à l’échelle internationale étaient fondées sur les principes d’universalité, d’indivisibilité et d’interdépendance, et étaient ancrées dans ces mêmes principes.
L’exposé du troisième groupe de cette deuxième journée du Forum a été présenté par M. Amady Ba, chef de l’unité de la coopération internationale du Bureau du procureur de la Cour pénale internationale. M. Ba a donné un aperçu de la gestion des affaires entreprise par la CPI et a révélé que celle-ci effectue l’examen préliminaire de 10 affaires. On a laissé entendre que la CPI publierait probablement des constatations préliminaires concernant des affaires mettant en cause le Venezuela et l’Ukraine d’ici décembre. De plus, M. Ba a rappelé que, lorsque le tribunal décerne un mandat d’arrestation de suspects, la CPI compte beaucoup sur la collaboration des gouvernements nationaux pour appréhender des personnes. On a également fait remarquer que, parmi les 465 demandes d’aide présentées par la CPI, les gouvernements hôtes ont répondu favorablement et ont coopéré dans 95 % de ces demandes.
Le quatrième groupe de cette deuxième journée s’est consacré à l’étude d’une approche en matière de justice pénale internationale fondée sur les droits des victimes et s’est penché en particulier sur la question de protection des victimes de violence sexuelle et fondée sur le sexe. Mme Soledad Buendia, députée de l’Équateur, a souligné que la participation efficace des victimes aux procédures judiciaires pose de nombreux défis. Le juge Gberdao Kam, conseiller spécial du ministère de la Justice du Burkina Faso et ancien président de la Chambre de première instance des Chambres africaines extraordinaires, a pour sa part souligné les défis que pose la participation des témoins aux procédures judiciaires. En particulier, il a mis en lumière la perspective des femmes qui pourraient devoir faire face à l’effet psychologique d’une revue des faits traumatisants. Par ailleurs, M. Markiyan Halabala, représentant légal auprès des victimes de l’Euromaïdan (manifestations pro-européennes en Ukraine), a souligné la prévalence de la violence sexuelle dans les régions touchées par la guerre en Ukraine, particulièrement dans les cas mettant en cause des personnes privées de liberté et pour celles qui doivent franchir des points de contrôle militaires. Enfin, lord Jeremy Purvis of Tweed, du Royaume-Uni, a fait porter ses observations sur la Déclaration des Nations Unies relative aux droits des victimes adoptée il y a 33 ans et a rappelé que le Royaume-Uni a adopté une Charte des victimes et un Code de conduite. Après avoir rappelé l’expérience du Royaume-Uni, lord Purvis a encouragé les pays à adopter une loi visant à protéger les droits des victimes, a salué le rôle des commissions nationales des droits des victimes et a souligné le besoin pour les forces de maintien de la paix de suivre une formation sur la violence sexuelle.
Le dernier groupe du Forum a examiné l’influence de la CPI sur la promotion de la lutte contre l’impunité et la mesure dans laquelle elle a renforcé les cadres normatifs à la lumière du 20e anniversaire du Statut de Rome. Les propos de M. Arie Ijzerman, conseiller spécial au ministère de la Justice et de la Sécurité des Pays-Bas, étaient particulièrement intéressants. Ils portaient sur l’initiative conjointe d’établissement d’un nouveau traité multilatéral pour la poursuite au pays des crimes internationaux les plus graves (appelée l’initiative d’entraide juridique). L’initiative a été lancée pour la première fois en 2011 par la Belgique, la Slovénie et les Pays-Bas après avoir reconnu que les traités en vigueur visant les pires crimes internationaux ne contiennent pas de dispositions relatives à l’entraide juridique et à l’extradition. Une conférence préparatoire sur l’initiative d’entraide juridique a eu lieu en 2017. Plus récemment, le 14 novembre 2018, un projet de traité préliminaire a été présenté. La prochaine conférence préparatoire aura lieu aux Pays-Bas en mars 2019.
Un plan d’action de Kiev sur l’universalité et l’efficacité du régime du Statut de Rome contre l’impunité (en anglais seulement) a été adopté au terme du Forum.
Respectueusement soumis,
L’honorable Robert Nault, C.P., député
Président
Section canadienne de ParlAmericas