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Rapport
Réunion de la Sous-commission sur l’avenir de la sécurité et des capacités de défense (DSC)
Une délégation de la Sous-commission de l’Assemblée parlementaire OTAN sur l’avenir de la sécurité et des capacités de défense s’est rendue à Kyiv le 12 octobre 2009, soit quelques jours à peine avant le lancement de la campagne organisée en vue d’un scrutin présidentiel décisif pour l’Ukraine.
La principale conclusion tirée par la délégation à l’issue de cette visite aura été que la politique intérieure continue de compliquer considérablement la mise en œuvre de politiques étrangère et de sécurité cohérentes ainsi que la poursuite des processus de réforme. On peut toutefois s’attendre jusqu’à un certain point à un renforcement de la stabilité ainsi qu’à la réalisation de nouveaux progrès une fois le processus électoral arrivé à son terme.
Emmenée par Sverre Myrli (Norvège), rapporteur de la Sous-commission, la délégation se composait de parlementaires venus de huit pays membres de l’OTAN. Elle s’était donné pour objectif de mieux comprendre les préoccupations de l’Ukraine en matière de sécurité au travers de rencontres avec des membres du parlement ukrainien et des responsables du pouvoir exécutif.
La délégation a également visité le centre d’essais du constructeur aéronautique Antonov. Les aéronefs de transport Antonov sont largement utilisés par les pays de l’OTAN aux fins du transport stratégique à l’appui des opérations, notamment dans le cadre de la mission en Afghanistan.
LE SCRUTIN PRESIDENTIEL
D’après Andrei Shkil, chef de la délégation ukrainienne auprès de l’AP-OTAN, les grandes orientations géopolitiques de l’Ukraine ne constituent pas un enjeu dans le cadre de ce scrutin et ce, même si des pressions s’exercent depuis l’étranger en faveur d’une modification de la ligne actuelle.
L’électorat se sent avant tout concerné par la crise économique et les questions en rapport avec le maintien de l’ordre. Les parlementaires rencontrés ont d’ailleurs indiqué que les électeurs ne leur avaient posé, au fil des ans, aucune question sur l’OTAN ; en fait, ceux-ci sont plus intéressés par des problématiques comme le salaire minimum, le statut officiel de la langue russe, la politique énergétique et l’enseignement. Quant aux candidats, s’ils ont un quelconque désaccord au sujet de l’OTAN, celui-ci concernerait plutôt l’opportunité d’organiser ou non un référendum.
M. Shkil prévoit que la présidence de l’Ukraine reviendra à Ioulia Timochenko, après quoi la situation de l’Ukraine se stabilisera et le pays sera mieux armé pour réaliser des avancées concrètes en matière de politique étrangère en général, et de coopération avec l’OTAN en particulier. Quel que soit le vainqueur du scrutin présidentiel, on ne reviendra pas sur les grandes orientations stratégiques de la politique étrangère ukrainienne, ont déclaré plusieurs intervenants.
LES RETOMBEES DE LA CRISE POLITIQUE ET ECONOMIQUE INTERIEURE SUR LA SECURITE
On espère que les élections permettront de sortir de l’impasse politique qui, au plan intérieur, oppose le président au Premier ministre et paralyse dans une large mesure le pays. Ainsi, les postes de ministre des Affaires étrangères et de ministre de la Défense sont vacants depuis plus de six mois. Cette situation a particulièrement de quoi inquiéter dans le second cas, étant donné que le chef d’État-major des forces armées a démissionné et qu’il importe de retrouver une situation stable. De l’avis des parlementaires ukrainiens, ces vacances seraient une conséquence de l’affrontement politique qui débouche aujourd’hui sur la tenue d’un scrutin présidentiel.
Ostap Semerak, membre de la commission budgétaire du Verkhovna Rada, a expliqué que la situation budgétaire des forces armées ukrainiennes était relativement complexe et n’avait fait qu’empirer dans le sillage de crise financière, qui entraîné une chute spectaculaire du PIB ukrainien. Alors que le système budgétaire national fait actuellement l’objet d’une vaste réforme prévoyant notamment le transfert de nouvelles compétences aux autorités locales, le président a opposé un veto à un texte de loi parlementaire sur la décentralisation. De même, il n’a pas été possible, en raison de la situation politique, de faire adopter le budget de l’État, et avec lui les crédits destinés aux forces armées. M. Semerak a indiqué que moins de 1% du PIB serait consacré aux forces armées 2009-2010, ce qui constitue un chiffre bien faible en regard des normes OTAN. La majeure partie de ces dépenses sont affectées au maintien des effectifs.
Ces problèmes financiers ont fait ressentir leurs effets sur les forces armées de diverses manières. Tout d’abord, ils ont entraîné un allégement significatif du programme d’entraînement au combat. Les forces armées se sont aussi retrouvées dans l’impossibilité de participer à des exercices multinationaux parce que le Verkhovna Rada n’avait pu adopter la législation nécessaire. Du coup, la plupart des crédits qui auraient pu être utilisés dans ce contexte ont été perdus. D’après les membres du Rada, cette situation est la conséquence des dysfonctionnements qu’a connus le parlement durant la crise politique et à l’approche des élections ; aux dires de Victor Korendovitch, qui dirige le département Politique militaire et planification stratégique du ministère de la Défense, ces problèmes ont obligé le secteur de la défense à identifier certains de ses biens susceptibles d’être mis en vente de manière à pouvoir financer son budget.
LES REFORME DANS LE DOMAINE DE LA DEFENSE
Durant son exposé sur le processus de réforme du secteur ukrainien de la défense, Victor Korendovitch (ministère de la Défense) a expliqué que les forces armées ukrainiennes s’employaient à atteindre une interopérabilité pleine et entière avec la Force de réaction de l’OTAN. L’Ukraine devrait en effet être le premier pays partenaire de l’OTAN à participer à cette dernière.
Alors que les plans prévoyaient que les forces armées passeraient de 245 000 à 143 000 hommes entre 2005 et 2011, les effectifs ukrainiens se sont finalement stabilisés à 200 000 hommes environ, un chiffre jugé prudent compte tenu de l’importance prise par la défense territoriale depuis la guerre d’août 2008 en Géorgie.
Selon Mikola Tomenko, vice-président du Verkhovna Rada et co-président du Conseil interparlementaire Ukraine-OTAN, les forces armées s’acheminent, entre autres réformes, vers une professionnalisation complète. La seule question qui divise les principaux groupes politiques est celle du rythme auquel devrait s’opérer cette transformation. C’est ainsi que le premier ministre a suggéré une professionnalisation rapide, à laquelle s’est opposé le président qui la juge impossible et propose que soient votées des lois sur un renforcement des effectifs.
L’UKRAINE, L’OTAN ET LA SECURITE REGIONALE
Igor Argouchinski, chef du département Sécurité internationale au sein du Conseil national ukrainien de sécurité et de défense, a longuement évoqué le rôle de la Russie dans le domaine de la sécurité régionale. Selon lui, l’élite politique russe cherche encore et toujours à renforcer son influence en Ukraine
et a pris du poil de la bête depuis le « succès » du conflit intervenu en Géorgie. L’influence de la Russie en Ukraine – et la position de Moscou selon laquelle ce pays fait partie de sa sphère d’influence – seraient plus que jamais renforcées si l’OTAN devait admettre qu’on se trouve devant un contentieux bilatéral ne concernant en rien l’Alliance. Il a suggéré que le dialogue OTAN-Russie mette encore et toujours l’accent sur le principe d’inviolabilité de l’intégrité territoriale des États et consacre le caractère inévitable d’une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN.
L’Ukraine met actuellement en œuvre son premier programme national annuel avec l’OTAN. Ses perspectives d’adhérer à l’Alliance à moyen terme sont bonnes, a déclaré M. Argouchinski, qui a encore ajouté que l’Ukraine satisfait d’ores et déjà à l’essentiel des normes et critères pour le lancement d’un Plan d’action pour l’adhésion (MAP), sans oublier sa contribution aux opérations de l’OTAN. En fin de compte, a-t-il déclaré, l’adhésion de l’Ukraine sera soumise à une décision purement politique dans le chef des États membres de l’OTAN. Les responsables ukrainiens ont demandé à pouvoir faire entendre leur voix dans le débat en cours sur le nouveau concept stratégique de l’OTAN. M. Argouchinski a fait l’éloge du Bureau de liaison de l’OTAN en Ukraine, affirmant qu’il avait contribué de manière exceptionnelle à mieux faire connaître l’Organisation dans son pays.
CENTRE D’ESSAIS DU CONSTRUCTEUR AERONAUTIQUE ANTONOV
La délégation a pu visiter le Centre d’essais de la firme aéronautique Antonov, dans la banlieue de Kyiv. M. Marcin Koziel, directeur du Bureau de liaison de l’OTAN à Kyiv, a présenté un exposé sur les arrangements techniques en vertu desquels l’OTAN peut louer des appareils Antonov à l’appui de diverses missions, et sur les contributions que l’Ukraine apporte aux opérations de l’OTAN en vertu de ces mêmes dispositions. Alexander Kiva, directeur adjoint du Centre, a présenté aux membres un exposé sur la gamme des appareils Antonov et leur utilisation de par le monde. La compagnie, a-t-il déclaré, produit des aéronefs de transport fiables et robustes aptes à opérer dans des conditions extrêmement difficiles et à transporter des charges plus importantes que leurs concurrents. La délégation a noté que même au plus profond de la crise, la firme Antonov avait continué à bénéficier d’un soutien sans réserve du gouvernement.
Le 72e séminaire Rose-Roth
RESUME
Le 72ème séminaire Rose-Roth, qui s’est tenu à Lviv, en Ukraine, du 13 au 15 octobre, a montré que les pays membres de l’OTAN et leurs partenaires ukrainien et géorgien tentent de réaliser un équilibre entre deux principes contradictoires : édifier une relation de coopération avec la Russie et protéger le droit d’États souverains à choisir leur propre voie en matière de politique étrangère. Les travaux étaient principalement axés sur l’Ukraine, mais des sessions ont également été consacrées à la Géorgie, au Moldova, au Bélarus et à la sécurité énergétique.
Il est apparu que beaucoup d’États de l’ex-Union soviétique ont le sentiment d’être soumis à une pression croissante de la part de la Russie. Les Ukrainiens ont souligné les déclarations présomptueuses de Moscou visant à remettre en cause l’indépendance du pays, la pratique préoccupante des russes qui consiste à délivrer des passeports aux Russes de souche dans la région de la Crimée, et l’utilisation des approvisionnements énergétiques comme moyen d’influer sur la politique ukrainienne. Les Moldoves ont évoqué la persistance de la présence de forces russes dans la région de la Transnistrie, qui soutiennent un régime non reconnu au plan international sur leur territoire national. Les Géorgiens ont souligné les efforts continus de la Russie pour faire de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, qui sont reconnues comme parties du territoire souverain de la Géorgie, des États distincts. Dans tous les cas, l’ambition de la Russie est de maintenir à ses frontières des États faibles sur lesquels elle puisse exercer une grande influence, notamment en termes de politique étrangère. L’objectif principal de Moscou est d’empêcher ces États d’adhérer aux structures euro-atlantiques, raison pour laquelle les deux pays qui aspirent à devenir membres de l’OTAN – la Géorgie et l’Ukraine - subissent le plus gros de cette pression.
Les participants se sont accordés sur la nécessité d’établir de meilleures relations avec la Russie sur la base de leurs intérêts mutuels. La préoccupation qui en découle est toutefois que, tels qu’ils sont perçus, les intérêts stratégiques de la Russie font de sorte qu’il est difficile d’y parvenir sans sacrifier des intérêts stratégiques essentiels de l’Ukraine, de la Géorgie et d’autres États de la région. Comme l’a établi Boris Tarasiuk, président de la Commission de la Verkhovna Rada sur l’intégration européenne et fondateur et directeur de l’Institut de coopération euro-atlantique, « oui, nous devrions instaurer une coopération avec la Russie, mais à quel prix ? »
La session dédiée à l’Ukraine a montré que ce pays réalise des progrès substantiels pour se conformer aux normes de l’OTAN et atteindre les objectifs fixés dans son plan annuel. Il faut toutefois qu’un consensus national se dégage concernant l’adhésion à l’OTAN, ce qui n’est toujours pas le cas. Comme l’a relevé Simon Lunn, du Centre de Genève pour le contrôle démocratique des forces armées, « c’est tout le pays qui adhère à l’OTAN, pas seulement l’armée. » Même s’il existe un consensus entre les grands partis politiques au sujet d’une appartenance à l’OTAN à terme, cela ne s’est pas encore traduit par un vaste soutien populaire. Andreï Shkil, chef de la délégation de l’Ukraine auprès de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, a cependant souligné que le soutien de la population s’est accru et que, par ailleurs, de nombreux membres actuels de l’Alliance avaient connu des difficultés analogues en matière de sensibilisation de leur opinion publique alors qu’ils étaient en route vers l’adhésion. Les réunions consacrées au Moldova et au Bélarus ont montré que la pression exercée par la Russie sur ses voisions ne se limite pas aux pays qui cherchent à devenir membres de l’OTAN. Le Bélarus et, jusqu’à récemment, le Moldova, se sont tous deux montrés coopératifs envers Moscou. Pourtant, a indiqué Vlad Lupan, expert indépendant, cela pas empêché la Russie de mener des actions dans la région séparatiste de la Transnistrie, ce qui, ironiquement, a poussé le Moldova à adopter un comportement de plus en plus pro-occidental. Le Bélarus est également en train d’adapter ses politiques en vue de s’engager auprès de l’Union européenne. Ces deux cas montrent peut-être que l’attitude de Moscou à l’égard de ses voisins pourrait en fait rapprocher ces derniers des institutions occidentales.
La sécurité énergétique et le rôle qu’elle joue dans la région ont été au cœur de nombreux débats entre les participants. Comme l’a relevé Ferdinand Pavel, du German Institute for Economic Research, l’UE importe 35% de son gaz et 45%
de son pétrole de Russie, dont une grande partie par le biais de pipelines qui traversent l’Ukraine. Cela confère à la Russie un moyen de pression considérable, auquel elle recourt à des fins politiques et économiques. Plusieurs participants ukrainiens ont noté, par exemple, qu’une grande partie de la capacité de raffinage de pétrole de leur pays a été achetée par des investisseurs russes, qui la laissent en sommeil. Même si cela ne semble pas avoir de sens sur le plan économique, les avantages politiques sont évidents en ce sens que l’Ukraine est maintenue sous la coupe de la Russie.
La session finale du séminaire portait sur la Géorgie. Giorgi Baramidze, vice-premier ministre géorgien, a évoqué l’attitude de « patience stratégique » adoptée par son pays vis-à-vis de la Russie depuis la guerre de 2008. Il s’est félicité du rapport de la Commission européenne sur les événements qui ont conduit à cette guerre et a souligné que la Géorgie est plus déterminée que jamais à mener à bien les réformes nécessaires pour intégrer l’Union européenne et l’OTAN. Selon Ghia Nodia, directeur de l’Institut du Caucase pour la paix, la démocratie et le développement, le pays réalise des progrès tant au niveau politique qu’au niveau économique. Économiquement, la Géorgie se comporte relativement bien dans le contexte de récession mondiale, et elle maintiendra son approche libérale vis-à-vis des investissements étrangers. Le pays traverse cependant toujours une phase de maturation politique. Le gouvernement a appris à mieux travailler avec l’opposition, mais le véritable test de démocratie de la Géorgie se fera lorsque se produira le premier transfert de pouvoir constitutionnel. Un point est ressorti clairement du débat : le gouvernement géorgien et l’opinion publique sont plus déterminés à intégrer l’OTAN et l’UE aujourd’hui qu’avant la guerre de 2008.
INTRODUCTION
Le 72e séminaire Rose-Roth s’est tenu à Lviv, en Ukraine, du 13 au 15 octobre ; il a rassemblé trente-quatre parlementaires de dix-neuf pays pour trois jours d’intenses discussions sur l’Ukraine, accompagnées de sessions consacrées à la Géorgie, à la Moldova, au Bélarus et à la sécurité énergétique. Organisé conjointement avec la Rada suprême d’Ukraine, le séminaire a réuni des délégations des pays membres de l’OTAN, du Kirghizistan, du Tadjikistan, de l’Assemblée du Kosovo, de la Moldova et de la Géorgie, ainsi que des représentants d’instituts de recherche, d’organisations non gouvernementales et de l’OTAN.
L’idée essentielle qui est ressortie des débats est que les pays de l’OTAN et leurs partenaires en Ukraine et en Géorgie s’emploient à mettre en équilibre deux principes antagoniques : bâtir des relations de coopération avec la Russie et protéger le droit des Etats souverains à définir librement leur politique étrangère.
L’UKRAINE ET L’OTAN
Le point de vue de l’Ukraine
L’intégration euro-atlantique de l’Ukraine demeure l’une des grandes priorités de la diplomatie ukrainienne, selon le directeur de la direction OTAN du ministère des Affaires étrangères, Mykhailo Osnach. Donnant le ton des débats dans une allocution liminaire, ce dernier a indiqué que l’euphorie des premières années de l’indépendance était retombée et que les autorités avaient pris conscience de
l’existence de problèmes et de menaces nouveaux. Elles ont renoncé aux armes nucléaires mais conservé les immenses forces héritées de l’URSS. Leur rapprochement de l’OTAN s’est traduit par la modernisation des forces en question, la réforme du secteur de la sécurité, la poursuite de la démocratisation et la construction d’une société civile effective et d’une économie de marché moderne. Les progrès accomplis à cet égard sont largement reconnus.
Faisant le point sur les relations officielles avec l’OTAN, M. Osnach a appelé l’attention sur le franchissement d’une étape importante, l’an dernier, lorsqu’au niveau politique l’OTAN a déclaré pour la première fois qu’elle souhaitait voir l’Ukraine la rejoindre. En décembre 2008, le pays a été invité à souscrire à un programme national annuel (PNA) avec l’OTAN, programme qu’il a entériné en août. Le PNA de 2010 est en cours d’élaboration ; il comprend des chapitres consacrés à la sécurité, à l’économie, à l’appareil judiciaire, à l’ordre public et à d’autres secteurs encore. Les normes à respecter sont essentiellement non militaires, d’après M. Osnach, et les réformes à entreprendre pour y satisfaire devraient continuer en dépit des difficultés dues à la crise économique.
La coopération que l’Ukraine entretient avec l’OTAN consiste notamment en contributions aux opérations, avec l’envoi de forces de maintien de la paix et de moyens de transport aérien stratégique. Il a également été décidé d’incorporer des troupes ukrainiennes dans la Force de réaction de l’OTAN. L’Ukraine souhaite aussi coopérer dans des domaines aussi divers que la cyber guerre et la piraterie, deux dangers de nature nouvelle, ou encore, le projet d’hélicoptère franco-britannique. M. Osnach a proposé de dynamiser les formes plus classiques de la coopération, telles que les exercices conjoints, la réinsertion des anciens militaires ou l’élimination des armes et munitions tombées en désuétude. Il a demandé à l’OTAN d’inviter l’Ukraine à jouer un rôle plus actif dans le processus de transformation de l’Alliance, plus spécifiquement dans le contexte du débat sur le nouveau concept stratégique de l’OTAN.
M. Osnach a souligné en outre que le Plan d’action pour l’adhésion (MAP) demeurait le seul moyen officiel de préparation des candidats. Aussi la prochaine étape à franchir pour l’Ukraine reste-t-elle l’adoption d’un MAP, même s’il se peut, à un stade ultérieur, que le PNA soit considéré comme une préparation suffisante à l’adhésion.
M. Osnach a estimé que l’instauration d’un partenariat entre l’OTAN et la Russie ne pouvait que profiter à l’Ukraine et que les aspirations euro-atlantiques de Kyiv ne menaçaient aucun pays tiers, Fédération de Russie comprise. Au contraire, l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN servirait les intérêts russes puisqu’elle garantirait la stabilité de l’Ukraine et l’association d’un pays allié de plus à une étroite coopération avec Moscou.
Evoquant l’image de l’OTAN dans la population ukrainienne, M. Osnach a affirmé qu’une fois les élites politiques parvenues à un consensus sur l’adhésion l’opinion publique suivraient, comme cela a été le cas dans d’autres pays. Selon lui, cette même opinion publique est plus favorable à l’OTAN depuis la déclaration du Sommet de Bucarest. Le chef de la délégation de l’Ukraine auprès de l’Assemblée, Andrey Shkil, a cependant indiqué que le soutien à l’OTAN était effectivement en hausse, surtout parmi les plus jeunes générations, mais que si les pays alliés obligeaient l’Ukraine à faire antichambre, cette tendance pourrait s’arrêter ; il est urgent de répondre aux aspirations de l’Ukraine avant que l’indifférence ne gagne le public et les milieux politiques.
Le professeur Oleksiy Haran, de l’Université nationale « Académie Kyiv-Mohyla », a souligné que la responsabilité des réformes incombait aux autorités ukrainiennes et a déploré l’incapacité de ces dernières d’agir avec détermination depuis la Révolution orange. Il a évoqué trois événements qui avaient obligé l’Ukraine à reconsidérer sa confiance dans les garanties de l’OTAN : le conflit géorgien, avec la participation de la Flotte de la mer Noire de la Fédération de Russie, basée à Sébastopol ; la guerre du gaz entre la Russie et l’Ukraine, en janvier 2008, avec la prise de position de l’Union européenne, qui a considéré que cela ne concernait que les deux pays ; et la « remise à zéro » décrétée par l’administration Obama dans les relations avec la Russie : faute de détails sur la teneur des discussions russo-américaines, les Ukrainiens n’ont pu que se demander aux dépens de qui s’effectuerait cette remise à zéro.
Evoquant l’avenir, M. Haran a parlé de deux points de friction potentiels dans les relations entre Moscou et Kyiv : la Crimée et la présence de la Flotte de la mer Noire, question qui demeure en suspens en raison du refus de la Russie d’ouvrir des négociations sur les modalités du retrait de cette flotte.
Le point de vue de l’OTAN
Le point de vue de l’OTAN sur la coopération avec l’Ukraine a été énoncé par le chef du Bureau de liaison de l’OTAN à Kyiv, Marcin Koziel. Celui-ci a déclaré que la sécurité et la démocratisation de l’Ukraine conservaient une importance cruciale pour les Alliés. La décision stratégique prise par cette dernière au Sommet de Bucarest, où elle a annoncé que l’Ukraine et la Géorgie deviendraient un jour membres de l’OTAN, a été confirmée au Sommet de Strasbourg/Kehl et à une récente réunion des ministres des Affaires étrangères des pays alliés. À l’intérieur de l’Alliance, le débat ne porte pas sur la question de savoir si l’Ukraine entrera ou non dans l’OTAN mais, bien plutôt, sur le rythme du processus d’accession.
M. Koziel a ajouté que la concrétisation des décisions de Bucarest concernait l’OTAN et l’Ukraine, à l’exclusion de tout pays tiers. La porte de l’OTAN reste ouverte à toute démocratie désireuse de partager les avantages et les charges inhérentes à l’adhésion et prête à satisfaire aux critères requis.
Selon M. Koziel, l’Ukraine est le seul partenaire de l’OTAN dont la réforme du secteur de la sécurité bénéficie d’une coopération aussi dynamique et exhaustive de la part de l’OTAN, qui lui apporte une aide, un financement et des conseils uniques en leur genre. Actuellement, la collaboration qu’entretient l’Ukraine avec l’OTAN comporte un PNA dont M. Koziel a indiqué qu’il était, pour l’essentiel, identique au MAP. Les autorités de Kyiv peuvent également demander la réunion du Conseil OTAN-Ukraine si elles se sentent menacées.
De l’avis de M. Koziel, les progrès accomplis par l’Ukraine sur le front des réformes sont mitigés. Un certain nombre de ministères ont bien avancé, mais le sous-financement de ces réformes, notamment dans le secteur de la sécurité, est préoccupant. A titre personnel, M. Koziel a souligné combien il était important pour le pays de parvenir à un consensus national autour des points les plus importants de l’ordre du jour gouvernemental et, avant tout, sur la sécurité nationale. Il a recommandé que tout soit mis en œuvre pour lutter contre la corruption, qui ouvre la porte aux influences extérieures, et pour mettre en place d’urgence un système efficace de coopération et de coordination interministérielles afin de mener à bien les réformes en cours.
Un point de vue indépendant
Dans une seconde allocution destinée à préciser l’orientation des discussions, le chef du programme Russie et Eurasie du Royal Institute of International Affairs (Chatham House), James Sherr, a émis un point de vue plus sévère. Selon lui, l’Ukraine entre dans une période particulièrement périlleuse où elle se retrouve une fois encore coincée entre l’est, l’Ouest et elle-même. Pour la première fois depuis la fin de la Guerre froide, ces trois facteurs sont tous défavorables.
Evoquant la paralysie intérieure dont souffre l’Ukraine, M. Sherr s’est demandé si les dirigeants du pays étaient capables de conjuguer leurs efforts en cette période critique et de faire fi de leurs intérêts personnels pour s’atteler à des tâches nationales urgentes. En Ukraine, il est plus facile d’empêcher de gouverner que de gouverner. Le pays n’a pas besoin de nouvelles élections, mais d’une nouvelle Constitution.
A l’Est, M. Sherr a distingué une Russie dangereuse qui ne croit pas dans la liberté de l’Ukraine de décider de son propre destin. Il se peut que les élites politiques russes cherchent à protéger leurs intérêts économiques par la méthode historiquement éprouvée qui consiste à bloquer la réforme des défectuosités structurelles de l’économie russe en créant des turbulences d’ampleur internationale.
Pour ce qui est de l’Ouest, M. Sherr a affirmé que les avantages d’une adhésion à l’OTAN n’apparaissaient pas à l’Ukraine aussi clairement que dans le passé. La question de l’élargissement ne figure plus en tête de l’ordre du jour de l’OTAN ; le conflit géorgien a eu de grandes répercussions ; enfin, l’idée est de plus en plus répandue dans cette partie du monde que les pays alliés sont devenus moins vigilants quant à leurs propres normes.
Aussi les autorités ukrainiennes chargées de la sécurité nationale en sont-elles venues à ces quatre conclusions : dans la région, les frontières ne sont plus sacro-saintes ; des questions apparemment réglées, dont celle de la Crimée, peuvent refaire surface à tout moment ; la guerre est possible, ici ; sans les garanties de l’article 5 automatiquement fournies par l’adhésion, l’Ukraine ne pourrait compter sur aucune défense de la part des Alliés.
L’une des implications de ces conclusions est qu’il n’est plus nécessaire de façonner les forces armées ukrainiennes sur le modèle de l’OTAN ; des forces de petite taille, très motivées, bien équipées et convenablement financées sont adaptées au contexte de l’Alliance, mais les autorités de Kyiv considèrent de plus en plus volontiers que les intérêts nationaux seraient mieux servis par des forces non professionnelles dotées d’un large effectif (effectif qui sera doté d’un équipement médiocre et qu’il ne faudra pas financer) et combinées à un arsenal de missiles à courte et à moyenne portée.
M. Sherr a demandé à l’Ouest de préserver ses intérêts et son influence en maintenant une présence active en Ukraine, en mettant en œuvre des ressources politiques et morales aussi bien que financières et en faisant la preuve de ses compétences et de son aptitude à la conduite des affaires. Il a également suggéré que l’on parle moins d’adhésion et plus d’intégration et que les relations entre l’OTAN et l’Ukraine soient recadrées autour de la fourniture par la première de garanties de sécurité bien réelles à la seconde.
L’UKRAINE ET LA SECURITE ENERGETIQUE
Un groupe de travail présidé par le chef de la délégation de la Turquie auprès de l’Assemblée, Vahit Erdem, s’est penché sur la dépendance énergétique de l’Ukraine vis-à-vis de la Russie et des conséquences de cet état de fait pour l’Union européenne. Andriy Tchubyk, du NOMOS Centre d’Ukraine, a décrit la situation actuelle de son pays : la production intérieure ne permet de répondre qu’à 20 % des besoins en pétrole et qu’à un tiers des besoins en gaz naturel, de sorte que l’Ukraine dépend des fournitures énergétiques russes.
Certes, les dirigeants ukrainiens ont conçu divers programmes pour résoudre le problème : un programme énergétique national pour la période 1997-2010 visait une diminution de moitié des importations de gaz russe, mais M. Tchubyk a précisé que cet objectif n’avait jamais été atteint, faute de volonté politique. Par exemple, l’Ukraine n’a pas constitué de réserves de gaz stratégiques, ce qui l’a rendue plus vulnérable aux interruptions des approvisionnements. Autre obstacle : la privatisation des installations pétrolières nationales, qui sont tombées dans des mains russes et que Moscou peut désormais utiliser comme moyen de pression.
Ferdinand Pavel, de l’Institut allemand de recherches économiques, sis à Berlin, a présenté une perspective plus large de la situation énergétique de l’Union européenne par rapport à la région. Les « conflits gaziers » auxquels l’Ukraine a été mêlée ont retenti comme un « signal d’alarme » aux oreilles des décideurs. L’Union européenne devrait négocier en tant que telle avec la Russie, plutôt que de laisser ses membres se disperser en négociations bilatérales avec celle-ci. Pour M. Pavel, les risques pourraient être atténués grâce à la constitution d’un marché mondial pleinement intégré dans lequel les flux ne seraient pas « réservés » ; dans un tel système, une interruption majeure des approvisionnements ferait ressentir ses effets partout. M. Pavel a également indiqué que la Russie était elle-même confrontée à des problèmes d’ordre énergétique, dont la concurrence de plus en plus vive exercée par le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord, ou encore, les terminaux de gaz naturel liquéfié, qui grignotent ses parts de marché dans l’Union européenne. Qui plus est, sa capacité de production intérieure est en baisse (gisements pétrolifères et gaziers), conséquence d’une focalisation excessive sur la politique des oléoducs.
L’OTAN, L’UKRAINE ET LES RELATIONS AVEC LA RUSSIE
Un observateur indépendant du Carnegie Moscow Centre, Andreï Ryabov, a décrit la position officielle de la Russie au sujet des relations entre l’OTAN et l’Ukraine. Evoquant le point de vue des décideurs russes, il a déclaré que, dans l’esprit de ces derniers, il sera très malaisé de concrétiser les objectifs stratégiques de la Russie dans l’espace « postsoviétique » s’ils n’entretiennent pas des relations aussi étroites que privilégiées avec l’Ukraine sur le double plan politique et économique. L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN menacerait très sérieusement les intérêts russes ; toute l’architecture de la sécurité en Europe serait profondément déséquilibrée au profit de la communauté européenne et la Russie ne tiendrait plus son rang : bousculée par l’Asie, elle perdrait aussi son statut d’acteur sur la scène européenne.
D’autre part, les décideurs russes savent que les ressources dont ils disposent pour influer sur la politique intérieure et extérieure ukrainienne sont, en fin de compte, limitées. Ils en ont donc conclu qu’en ce qui concerne la politique étrangère de Kyiv la meilleure solution réside dans une constante oscillation entre la Russie et l’Ouest.
M. Ryabov a estimé que le dialogue nouveau que préconise le secrétaire général de l’OTAN, récemment entré en fonction, crée des possibilités quant aux relations entre l’OTAN et la Russie ; le tout est de savoir sur quoi portera le dialogue : s’agira-t-il de questions pratiques, comme l’élargissement de l’OTAN, ou de questions plus générales, comme l’aménagement d’une nouvelle architecture de sécurité en Europe, sur la base des propositions du président de la Fédération de Russie, M. Medvedev ? Quoi qu’il en soit, M. Ryabov a plaidé pour que soient exploitées les occasions d’un renouvellement du dialogue, de manière à établir un ordre du jour pour l’avenir de ces relations croisées.
James Greene, conseiller principal auprès de l’Initiative pour la région de la mer Baltique, de la mer Noire et de la mer Caspienne (et ancien chef du Bureau de liaison de l’OTAN à Kyiv) a estimé que l’Ouest avait perdu la plus grande partie de son influence sur la Russie et qu’il courait le risque de perdre complètement celle qu’il exerçait sur l’Europe centrale et orientale (ECO). Plus il s’efforcera de préserver la maigre influence qu’il conserve auprès de la Russie, plus il s’aliénera les pays de l’ECO. M. Greene a recommandé, au contraire, une stratégie d’association avec ces pays, l’objectif étant de les faire participer aux efforts collectifs occidentaux d’ouverture en direction de la Russie.
Selon M. Greene, la plupart des suppositions émises par l’Ouest au sujet de la Russie après la Guerre froide se sont révélées fausses, dont celle d’une convergence entre les valeurs russes et les valeurs occidentales, convergence qui serait la conséquence naturelle des réformes et de l’instauration de relations économiques. En fait, le rapprochement entre la Russie et l’Ouest a été d’une ampleur limitée ; sur le terrain économique, les avantages des entreprises occidentales ont été restreints par la fusion des milieux d’affaires et des services du renseignement en Russie : l’« effet Coca-Cola » a été neutralisé par des facteurs tels que le contrôle des médias par l’Etat.
M. Greene a signalé que l’élite russe avait atteint l’un de ses objectifs stratégiques en parvenant à « blesser » l’Ouest sur le plan géopolitique. Il a donc recommandé de prendre des mesures effectives pour se protéger des tentatives russes de saper la sécurité dans la région, tout en maintenant le contact dans l’espoir d’une éventuelle convergence. Selon lui, la politique de l’OTAN ne s’est pas adaptée à ce paradigme fluctuant.
Evoquant le partenariat entre l’Ukraine et l’OTAN, M. Greene a indiqué que l’OTAN perdait de son influence et de son intérêt : en effet, nombreux sont les Occidentaux convaincus que l’Ukraine est incapable de venir à bout de ses faiblesses internes. M. Greene a donc suggéré que l’on laisse de côté la question de l’adhésion et de l’article 5 pour se concentrer sur les véritables problèmes de sécurité en consacrant des consultations honnêtes et franches aux menaces auxquelles est confrontée l’Ukraine. Il a estimé que le PNA était un excellent instrument qui méritait davantage d’investissements financiers et intellectuels.
La discussion a porté sur divers points, dont l’absence de réconciliation de la Russie avec sa période soviétique. M. Ryabov a confirmé qu’un dialogue sur des questions d’histoire serait extrêmement difficile à organiser et qu’aucune mise en question de la légitimité du gouvernement ne serait tolérée. L’un des vice-présidents de l’Assemblée, Assen Agov, a évoqué le cas de la Bulgarie et émis l’idée qu’il n’y avait pas à Moscou de « nouveaux architectes » avec lesquels il soit possible de dialoguer à propos de relations nouvelles. M. Greene a confirmé qu’il ne voyait pas de véritable terrain d’entente : les intérêts russes et occidentaux sont incompatibles entre eux, et il faut le savoir. M. Ryabov a toutefois indiqué qu’l fallait se garder d’une politique qui entraînerait l’isolement de la Russie, perspective dangereuse pour la Fédération de Russie, certes, mais aussi pour la région dans son ensemble.
Répondant à diverses questions sur une éventuelle contribution de la Russie à la résolution du problème posé par le programme nucléaire iranien, M. Greene a indiqué qu’il se pourrait que Moscou ait décidé d’autoriser la prolifération pour obtenir un avantage tactique (grâce à une hausse des tarifs énergétiques, entraînant les Etats-Unis dans un autre conflit) ; en l’occurrence, le comportement des Russes remet en cause quelques-unes des hypothèses occidentales les plus élémentaires, selon M. Greene. M. Ryabov a mis en garde contre une surévaluation des liens entre le secteur de la sécurité russe et l’Iran.
LA MOLDOVA
Un groupe de travail animé par un parlementaire ukrainien, Ostap Semerak, a passé en revue l’évolution de la situation politique dans la Moldova. Les membres du groupe ont estimé que la Russie usait de son influence en Transnistrie pour affirmer son rôle dans la région.
Oleksandr Sushko (Ukraine), directeur scientifique à l’Institut pour la coopération euro-atlantique, a indiqué que l’Ukraine et la Moldova partageaient une frontière commune d’environ 1 400 km (soit la deuxième du pays par ordre de grandeur), dont 450 km pour la seule Transnistrie. Il a déploré l’absence de tout partenaire légitime avec lequel il serait possible de collaborer pour résoudre les problèmes frontaliers inhérents à ce tronçon, une situation qui se traduit par une vulnérabilité accrue à la criminalité transfrontalière ou à la contrebande, par exemple.
M. Sushko a replacé la question des frontières dans le contexte plus vaste de celle des régions séparatistes et de ce que l’on désigne depuis longtemps par l’appellation « conflits gelés ». Selon lui, les institutions occidentales, y compris l’OTAN, ne jouent qu’un rôle très limité dans le règlement de ces situations car elles accordent désormais plus d’attention à des parties du monde plus reculées, telles que l’Afghanistan. Par ailleurs, la Russie monopolise tous les efforts de maintien de la paix dans la région, ce qui influe sur les démarches engagées pour venir à bout des conflits.
Evoquant l’avenir, M. Sushko a estimé que rien ne donnait à penser que la Russie comptait changer d’avis au sujet de la Transnistrie. Elle pourrait consentir à ce que la Moldova se rapproche de l’Europe, mais amputée de la Transnistrie, laquelle demeurerait dans ce cas une entité semi-souveraine pleinement alignée sur la Fédération de Russie ; Moscou pourrait s’en servir comme d’une nouvelle Kaliningrad pour faire pression sur l’Ukraine.
L’Ukraine et l’OTAN ont des intérêts concordants, de l’avis de M. Sushko : l’une et l’autre devraient veiller au respect de l’intégrité territoriale de la Moldova, mais sans lui sacrifier les aspirations occidentales du pays. M. Sushko a préconisé un rôle accru pour l’Union européenne à moyen terme.
Un analyste indépendant moldove, Vlad Lupan, a retracé l’historique du conflit de Transnistrie. Selon lui, le conflit peut rester gelé pendant au moins dix ans encore, compte tenu de l’influence de la Russie. Si les Moldoves ont changé plusieurs fois leur fusil d’épaule à la suite de fluctuations politiques, l’intérêt des Russes pour la Moldova, lui, ne s’est pas démenti et Moscou ne cache pas sa conviction que ce pays se trouve dans sa sphère d’influence. M. Lupan a fait valoir que la Fédération de Russie n’avait aucun intérêt à régler la question : pour elle, la Transnistrie est « un porte-avions amarré tout à la fois sur le territoire moldove comme en Ukraine ». M. Lupan a également souligné qu’une intervention accrue de l’Union européenne pourrait être de nature à faciliter un règlement du conflit, et il a demandé, plus spécifiquement, l’élargissement du mandat de la mission EUBAM de l’Union européenne (mission d’assistance à la frontière entre la République de Moldova et l’Ukraine).
Un parlementaire moldove a estimé que la voie à suivre en la matière était de s’efforcer d’obtenir le retrait des troupes et des munitions russes, de démontrer aux habitants de la Transnistrie que la vie dans la Moldova allait en s’améliorant et de veiller à ce que les partenaires européens tiennent les promesses (dont l’exemption de visa) faites pendant la campagne électorale.
LE BELARUS
Une session animée par le chef de la délégation du Canada auprès de l’Assemblée, Leon Benoit, a été consacrée au Bélarus. M. Benoit a rappelé, en préambule, que le Bélarus avait obtenu le statut de membre associé de l’Assemblée après l’effondrement de l’URSS mais que ce statut avait été suspendu en 1997, à la suite de la prise de mesures antidémocratiques par le chef de l’Etat, M. Loukachenko.
Pavel Daneyko (Bélarus), directeur du Centre bélarussien de recherches et d’études économiques, a indiqué que les Bélarussiens se rangeaient en deux catégories : ceux qui étaient favorables à l’intégration dans l’Europe et ceux qui étaient favorables à l’intégration dans la Russie. Selon lui, il n’y a guère de chances de voir cette division s’estomper ; les autorités de Minsk devront donc mener une politique d’indépendance nationale et équilibrer leur politique extérieure entre l’Europe et la Russie.
Même dans ces conditions, un certain nombre de facteurs donnent à penser que le pays pourrait se tourner davantage vers l’Europe : notamment, la moitié des exportations bélarussiennes est à destination de l’Union européenne, les valeurs européennes sont progressivement transposées dans la réalité et dans la législation nationale et, d’une manière générale, les relations avec l’Union s’améliorent sur le double plan politique et économique.
Evoquant la situation intérieure, M. Daneyko estime que les réformes sont irréversibles : M. Loukachenko devra les poursuivre, car il reste un dirigeant soumis aux résultats des élections et cherche à obtenir l’approbation de l’opinion. Il a ainsi, dans le passé, joui du soutien de la population pour avoir assuré à cette dernière des revenus stables.
Balazs Jarabik, de la Fondation pour les relations internationales et le dialogue extérieur –sise à Kyiv –, a décrit la situation du Bélarus sous une perspective internationale. Prenant acte du fait que le pays passe pour être « la dernière dictature d’Europe », il présente toutefois un point de vue différent : le Bélarus est le seul pays de la région à ne connaître aucun conflit, il jouit d’une grande cohésion, le sentiment d’identité nationale est de plus en plus fort dans la population, la société civile y est en expansion, et c’est également le seul pays de la région qui puisse intégrer l’acquis communautaire et le mettre en pratique.
La Russie devrait considérer le Bélarus sous un jour favorable, selon M. Jarabik : elle peut avoir la certitude qu’il ne se laissera jamais influencer par l’OTAN et qu’il sera pour elle un partenaire politique des plus fiables. La totale dépendance énergétique du Bélarus vis-à-vis de la Russie représente aussi une lourde menace pour M. Loukachenko et permet à Moscou de moins se soucier de ce pays que de l’Ukraine ou de la Géorgie.
L’élection présidentielle de 2010 fournit à l’Ouest le moyen d’influer sur l’évolution politique du Bélarus. M. Jarabik a recommandé que l’Union européenne offre un engagement total de sa part en échange d’élections libres et honnêtes. Il a en outre suggéré une multiplication des contacts à tous les niveaux entre l’Union européenne et le Bélarus. Ces politiques pourraient déboucher sur l’amorce d’une intégration technique du pays dans l’Union d’ici un ou deux ans.
Lors d’un échange animé, les orateurs ont discuté de la mesure dans laquelle les changements politiques actuels sont le résultat de la dynamique économique ou des négociations engagées par M. Loukachenko avec l’Union européenne. Ils ont confirmé que l’idée d’une union entre le Bélarus et la Russie n’était plus qu’une coquille vide. M. Jarabik a expliqué que, à la suite de pressions russes, des exercices militaires s’étaient déroulés cet été sur le territoire bélarussien, ce qui ne s’était plus produit depuis quatre ans. De l’avis de M. Jarabik, il est intéressant de constater qu’une partie des troupes russes n’a pas encore regagné la Russie. Pour M. Daneyko, M. Loukachenko cherchera à obtenir de Moscou les plus larges concessions possibles en échange d’une éventuelle reconnaissance de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie.
LA GEORGIE
Le vice-Premier ministre et ministre d’Etat de l’Intégration européenne et euro-atlantique de Géorgie, Giorgi Baramidze, a déclaré que la Russie occupait pour le moment plus de 20 % du territoire de son pays et qu’elle continuait ses violations des accords de cessez-le-feu, la première d’entre elles étant le refus de ramener ses forces à leurs positions antérieures. Quatre bases militaires sont en construction. Les autorités russes ont déployé près de dix mille hommes dans les régions occupées, et ces troupes ne se trouvent qu’à quarante kilomètres de Tbilissi. Surtout, des opérations militaires se sont poursuivies bien après la signature des accords de cessez-le-feu.
La guerre et ses conséquences ont été le point culminant d’une politique russe de plusieurs décennies d’existence destinée à faire obstacle à la démocratisation et aux aspirations euro-atlantiques de la Géorgie, selon M. Baramidze. Celui-ci a évoqué le rapport Tagliavini à la demande de l’Union européenne et qui parle d’une opération parfaitement planifiée et exécutée dont le début remonte bien avant le 7 août 2008. Il a également rejeté les justifications de la Russie, qui affirme être intervenue pour des « raisons humanitaires ». Pour lui, le rapport en question confirme que Moscou a contrevenu aux dispositions de la Charte des Nations unies en agressant un Etat souverain. Par ailleurs, la reconnaissance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud constitue une ingérence répréhensible dans les affaires intérieures de la Géorgie.
M. Baramidze a demandé de la part de la communauté internationale une prise de position ferme et unanime par laquelle elle continuerait à refuser de reconnaître les deux régions déjà évoquées, ainsi qu’une forte représentation de l’Union européenne grâce à l’envoi d’une mission de surveillance, d’autant que la Russie s’est opposée à la venue de l’ONU et de l’OSCE en Géorgie. Il y a lieu de convaincre Moscou de se conformer aux six points des accords de cessez-le-feu. Pour leur part, les autorités géorgiennes ont mis au point une stratégie conçue pour améliorer les pénibles conditions d’existence des populations vivant en zone occupée et articulée autour d’initiatives dans des domaines divers : relations socio-économiques et commerciales, soins médicaux, héritage et développement de la société civile.
Toujours selon M. Baramidze, le conflit ne sera pas réglé à court terme et l’avenir de ces populations ne saurait être subordonné à la situation politique. La Géorgie doit faire montre de patience stratégique. Le vice-Premier ministre a émis le souhait que des Etats amis épaulent son pays dans les efforts qu’il consent dans ce but, du moins par la création de nouveaux mécanismes qui offriront aux Géorgiens des perspectives de développement économique et démocratique en toute sécurité.
Parlant des turbulences qui caractérisent la scène politique géorgienne, M. Baramidze a indiqué que, face à cette situation, les autorités recouraient à l’engagement constructif, au dialogue et à la modération. Il a avancé tout un ensemble de propositions – une « seconde vague d’initiatives démocratiques » – et a invité l’opposition à discuter d’un nouveau code électoral. Il a également offert aux élus qui refusaient d’occuper leur siège de mettre à profit leur mandat pour participer de manière constructive à la conduite du pays.
Répondant à diverses questions, le vice-Premier ministre a longuement détaillé les réformes de politique intérieure ; il a précisé que le gouvernement avait suggéré la création d’une commission qui travaille à la rédaction d’une Constitution reposant sur une structure du pouvoir mieux équilibrée (le texte en sera publié à la fin du printemps 2010 ou même avant), renforçant le Parlement et introduisant plus de transparence dans le système. De nouvelles règles relatives aux médias du service public sont à l’étude, de même qu’un projet d’élection du maire de Tbilissi au scrutin direct. Toutes ces mesures et d’autres encore devraient déboucher sur un débat politique plus harmonieux dans la capitale et contribuer à la stabilisation du pays ; elles devraient aussi inciter les pays occidentaux à soutenir davantage la Géorgie et, partant, permettre de progresser dans la résolution du problème des territoires géorgiens occupés.
M. Baramidze a conclu son intervention en déclarant que les décisions prises au Sommet de Bucarest avaient donné un sérieux coup de pouce à la Géorgie, laquelle a terminé, en 2009, le premier cycle de son PNA, poursuivant ses réformes malgré les crises politiques. La mise sur pied de la Commission OTAN-Géorgie est également une démarche positive. Des mesures sont prises pour répondre, sur le plan technique, aux critères d’adhésion à l’OTAN d’ici deux ou trois ans, d’après le vice-Premier ministre ; les pays alliés devront ensuite arrêter une décision politique sur la date à laquelle l’Alliance ouvrira ses portes à la Géorgie. La Russie n’a certainement pas à opposer un quelconque veto en la matière, et les pays membres de l’OTAN ne doivent pas faire dépendre cette accession du retrait des forces russes : cela reviendrait à accorder aux autorités russes un droit de veto de facto et à les inciter à maintenir leurs troupes sur le territoire géorgien.
Un groupe de travail animé par M. Agov, qui est également membre du Conseil interparlementaire OTAN-Géorgie, a procédé à une nouvelle analyse de la position politique de la Géorgie telle qu’elle se présente un peu plus d’un an après le conflit d’août 2008.
Ghia Nodia, directeur de l’Institut du Caucase pour la paix, la démocratie et le développement – sis à Tbilissi –, a affirmé que la période comprise entre novembre 2007 et juin 2009 a été la plus difficile qu’ait connue la Géorgie depuis le début des années 90, certes, mais que les dégâts provoqués par les crises n’étaient pas aussi graves qu’on aurait pu le croire au vu des circonstances. Le principal exploit réside dans le fait que le pays a conservé son cap dans tous les grands domaines. M. Nodia a fait une analogie avec les essais d’endurance auxquels est soumis un nouveau modèle de voiture : il se peut que tous les systèmes n’aient pas fonctionné, mais le modèle s’est révélé exploitable, même s’il reste beaucoup à faire.
Le professeur Hryhoriy Perepylytsya, de l’Académie diplomatique d’Ukraine, a estimé qu’en raison de la transformation géopolitique du système international le conflit géorgien ne serait pas le dernier de ce genre. Le Kremlin a vu une possibilité
de restaurer son statut de superpuissance. Il pense que certains des Etats nés avec la disparition de l’Union soviétique ne sont pas viables et, à ses yeux, la Géorgie est un maillon d’une chaîne énergétique qu’il entend perturber. Dans le prolongement de sa « victoire militaire et politique » – suivant les termes du professeur – qu’il a remporté sur l’Ouest, sa foi dans les vertus de la force armée a grandi. Pour prix de sa coopération dans les dossiers afghan et iranien, la Russie exigera la fin du soutien à la souveraineté des Etats « post-soviétiques » et refusera leur intégration européenne.
Enfin, un député géorgien, David Darchiashvili, a estimé qu’un compromis entre une Russie anti-occidentale et une Géorgie en cours de modernisation était impossible. Dans l’avenir, l’Ouest devra rendre conditionnelle sa coopération avec la Russie, faire avancer le règlement de la question des territoires occupés et faire en sorte que le rythme des réformes géorgiennes s’accélère, y compris dans le secteur de la sécurité, sur la base d’une analyse exhaustive de l’éventail des menaces auxquelles le pays est confronté. Bref, la communauté internationale doit mettre ses actes en accord avec ses déclarations.
ALLOCUTION DE CLOTURE
Simon Lunn, ancien secrétaire général de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN et désormais chargé de recherche au Centre pour le contrôle démocratique des forces armées (DCAF), sis à Genève, a exposé quelques conclusions personnelles tirées des discussions du séminaire.
Les questions abordées sont venues rappeler utilement que même si l’Alliance est consciente des problèmes planétaires tels qu’ils sont symbolisés par l’Afghanistan, l’OTAN doit encore s’occuper de son pré carré. L’instabilité inhérente à cette partie du monde – la « chaîne des conflits » – fait ressortir le thème majeur du débat, qui se résume en une simple question : que faire au sujet de la Russie ?
Il est clair que l’Ukraine a beaucoup progressé depuis 1991 dans le domaine des institutions et des libertés, en même temps qu’elle a apporté de fortes contributions à l’action de l’OTAN. Les orateurs ont recommandé que trois secteurs fassent l’objet d’un traitement plus ciblé à l’avenir : la lutte contre la corruption, la coordination et l’édification d’un consensus national. Le dernier secteur est d’autant plus important que ce n’est pas simplement un gouvernement, mais bien une société tout entière qui adhère à l’OTAN. M. Lunn a rappelé un point important à propos de la Géorgie : il faut veiller à ce que le retrait des forces russes ne devienne pas une condition à remplir pour entrer dans l’OTAN, faute de quoi le processus d’élargissement serait l’otage des choix de Moscou.
M. Lunn est ensuite passé au « facteur Russie », qu’il a résumé comme suit : deux pressions antagoniques s’exercent, l’admission du fait qu’une sécurité et une stabilité durables en Europe sont inconcevables sans la coopération de la Russie, et le droit des Etats à disposer d’eux-mêmes. Autrement dit : « Oui à la coopération, mais à quel prix ? »
L’OTAN elle-même se ressent de l’élargissement et des partenariats, qui ont laissé des zones grises dans la sécurité de l’Europe. Pour M. Lunn, il semble bien que les Alliés n’aient pris un risque en laissant planer un certain flou autour du sens de l’article 5. Il a plaidé pour une réaffirmation de la signification exacte de cet article, dont le sujet n’est pas les capacités, mais bien plutôt la solidarité et l’engagement. Il est crucial qu’il ne puisse être interprété comme s’appliquant à d’autres pays que les membres à part entière. Bien évidemment, les mesures qui devront être prises pour rassurer des Alliés menacés pourront apparaître comme une provocation aux yeux de certains ; un équilibre devra être trouvé.
M. Lunn a estimé que la question de la coopération et du partenariat avec la Russie devait être un élément central du débat consacré au nouveau concept stratégique de l’OTAN. Cette question n’a pas encore provoqué de schisme à l’intérieur de l’Alliance, certes, mais elle pose des problèmes sérieux. La Russie ne facilite pas l’existence aux pays qui préconisent la coopération, comme l’attestent de nombreux exemples de comportement inadmissible. Il ne faut surtout pas s’imaginer qu’en raison de l’attitude actuelle de la Russie de nouveaux élargissements légitimes de l’Alliance passeront comme une lettre à la poste. Quoi qu’il en soit, le message adressé à l’Ukraine et à la Géorgie au cours de ce séminaire est triple : « Prenez patience » ; « gardez le cap et continuez à
frapper à la porte » ; « aidez-nous en contribuant vous-mêmes à la résolution du problème des relations avec la Russie, ce qui facilitera l’obtention d’un consensus autour d’un avenir commun ».
Respectueusement soumis,
M. Leon Benoit, député
Président, Association parlementaire canadienne de l’OTAN (AP OTAN)