TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 25 février 1998
[Traduction]
Le coprésident (M. Roger Gallaway (Sarnia—Lambton, Lib.)): Bon après-midi à tous. Je ne vais pas vous importuner en faisant de longs commentaires aujourd'hui, mais je me demande si les membres du comité accepteraient de rester quelques minutes pour discuter de notre calendrier de voyage une fois que nous aurons épuisé notre ordre du jour. Nous n'en aurons que pour quelques minutes à peine.
Sans plus tarder, je passe donc à l'ordre du jour. Nous accueillons aujourd'hui le professeur Nick Bala de la faculté de droit de l'Université Queen's, et j'espère que vous vous joindrez à moi pour lui souhaiter la bienvenue. Vous avez reçu le texte de son mémoire avant la réunion.
Monsieur Bala, bienvenue à notre comité. Nous avons hâte d'entendre ce que vous avez à nous dire aujourd'hui. Comme vous connaissez la procédure à suivre dans les comités parlementaires, je vous cède la parole sans plus tarder.
M. Nicholas Bala (témoigne à titre personnel): Merci beaucoup. C'est un privilège d'être invité à vous rencontrer aujourd'hui.
• 1535
Je précise, en guise d'introduction, que je suis professeur et
doyen associé à la faculté de droit de l'Université Queen's et que
je m'intéresse particulièrement au droit de la famille et des
enfants.
Je vous ai remis aujourd'hui deux documents auxquels je vais me reporter et qui traitent des questions de la garde et de l'accès. Le premier s'intitule «Repenser les décisions concernant les enfants: La notion d'«intérêt de l'enfant» sert-elle vraiment les enfants?», et j'en suis le coauteur avec la professeure Susan Miklas de l'Université Queen's. À la demande du greffier, je vous ai fait remettre le résumé, dont le texte est traduit. Le rapport lui-même est plus long et j'en ai remis copie au personnel de recherche; vous pourrez en prendre connaissance si vous le souhaitez.
Le deuxième document, que j'ai également écrit cette année en collaboration avec un certain nombre d'autres auteurs, porte sur la violence conjugale et les différends en matière de garde et d'accès. Il est publié par Condition féminine Canada et je pense que vous en avez le texte intégral à votre disposition.
Inutile de dire que c'est à titre personnel que je m'adresse à vous aujourd'hui. Je ne parle pas au nom des coauteurs de ces documents ni en celui des organisations qui en ont parrainé la publication.
Au cours des prochaines minutes, je voudrais aborder brièvement deux ou trois questions; premièrement, le droit de la garde et de l'accès en général, et ensuite, plus spécifiquement, les questions de violence familiale.
Au sujet de la garde et de l'accès, vous avez sans nul doute constaté, et vous le constaterez encore davantage dans le cours de vos audiences, et vous le savez probablement déjà pour en avoir parlé avec des amis, des parents, etc., que les différends mettant en cause des enfants dans le contexte de la séparation et du divorce des parents sont chargés d'émotion. Ce sont également des questions très importantes pour l'ensemble de la société. Les problèmes qui surgissent influent sur la vie de l'enfant non seulement dans l'immédiat, à l'étape de l'enfance, mais tout au long de l'adolescence et même de la vie adulte.
Chose certaine, ces problèmes touchent un grand nombre de personnes dans notre pays. Il est très important de comprendre, au moment d'aborder les audiences que vous tiendrez un peu partout au Canada, qu'il y a une grande variété dans la façon dont les divorces sont réglés et dans les expériences des gens à ce sujet. Quand vous écouterez les gens, il importera, tout au moins dans une certaine mesure, de faire la distinction entre des situations qui sont courantes et généralisées, et d'autres qui sont plutôt atypiques, mais qui n'en sont pas moins très graves.
Par exemple, la question des allégations d'abus sexuel dans les affaires de droit de garde, question dont j'ai traité dans mes écrits, est très importante et très grave, mais elle touche moins de 1 p. 100 de tous les cas. Les problèmes de non-paiement des pensions alimentaires sont généralisés—bien que je sache que vous n'étudiez pas directement cela. Il existe des problèmes de non-paiement des pensions alimentaires dans une forte proportion des cas, soit de 30 à 60 p. 100, et ce problème est donc répandu.
En réfléchissant à tout cela, il importe que vous reconnaissiez que la loi, les tribunaux et les juges ne peuvent pas tout régler, que la loi est un instrument social peu efficace. En réfléchissant aux questions de réforme du droit, vous devrez prendre conscience des limites de la loi et envisager toute une gamme d'autres solutions non juridiques à ces problèmes.
Il importe également de reconnaître que nos connaissances sont limitées dans ce domaine. Quand je dis «nous», je veux dire en fait toute la communauté des universitaires et des professionnels. Nous ne savons même pas vraiment ce qui se passe dans le système juridique. Si quelqu'un demandait: «Dans les affaires de contestation de la garde d'enfants que les juges tranchent, qui a le plus souvent gain de cause, les pères ou les mères?», nous ne pourrions pas répondre à cette question au Canada; nous ne possédons même pas ce renseignement fondamental, bien que nous ayons une certaine idée de la situation et que nous sachions que la proportion varie indéniablement selon l'endroit et l'époque.
Nous devons aussi reconnaître que ces questions sont non seulement chargées d'émotion, mais qu'elles sont également étroitement associées aux valeurs; nous savons que les décisions sont fortement teintées de valeurs individuelles dans ces dossiers.
Nous devons reconnaître qu'il n'y a pas de panacée et que votre tâche consistera, non pas à essayer de rendre le système juridique parfait, mais à voir comment vous pouvez l'améliorer. Nous ne parviendrons jamais à le rendre parfait, surtout pas dans ce domaine.
Je pense que dans la mesure du possible, le système juridique et le régime juridique doivent venir en aide aux parents qui peuvent prendre leurs propres arrangements et qui agissent dans un esprit de coopération. Pour ce qui est de la médiation et des plans parentaux, il est important d'encourager cela, tout en reconnaissant que dans certains cas, surtout lorsqu'il y a violence conjugale, il ne convient pas de recourir à la médiation, et en étant conscients que les possibilités en matière d'arrangements pris en coopération ne sont pas sans limites.
Dans mon mémoire et dans le premier document que je vous ai remis, «Repenser les décisions concernant les enfants», nous soutenons qu'il faut repenser les notions de garde et d'accès. Un certain nombre de pays ont éliminé ces notions. Quand on y songe, ce sont des notions dépassées et qui ne sont plus pertinentes. Si elles l'ont jamais été, elles ne le sont assurément plus aujourd'hui. Cela ne reconnaît pas la réalité du rôle des parents, l'adoption de nouveaux concepts fondés sur les plans parentaux, sur la reconnaissance du fait que dans toute la mesure du possible, les deux parents vont continuer à entretenir des relations avec les enfants et qu'ils doivent réfléchir à la façon de s'y prendre, comme tous les parents le font.
• 1540
Par exemple, il faut penser en fonction de la résidence
principale d'un enfant, plutôt qu'en termes de garde. Le fait de
réfléchir à la façon dont les parents vont s'y prendre pour
élaborer un plan qui permettra aux deux parents d'être présents, le
cas échéant, dans la vie de leurs enfants, le tout assorti de
consultations, de prises de décisions et d'une relation continue
avec les deux parents, aura tout au moins un effet symbolique et
psychologique, mais je soutiens que cela influera sur d'autres cas.
Il faut encourager, dans les cas qui s'y prêtent, une solution non litigieuse, qui ne fasse pas appel aux tribunaux. Je pense que la médiation a un rôle important à jouer dans ces cas-là, sans toutefois être une panacée. Cela ne convient pas dans tous les cas, surtout lorsqu'il y a violence au foyer.
Je pense qu'il faut reconnaître à leur juste valeur des éléments comme les programmes de formation au rôle de parent. Je me rends compte que je m'éloigne un peu de l'aspect législatif, mais en un certain nombre d'endroits au Canada, d'ailleurs beaucoup trop peu nombreux, on adopte des modèles mis à l'épreuve à l'étranger, où des responsables rencontrent les parents et leur donnent des conseils sur les besoins de leurs enfants dans le contexte du divorce, leur exposent quels sont leurs rôles et leurs droits et la façon dont ils peuvent travailler ensemble pour en arriver à résoudre leurs problèmes.
Il y a par exemple des programmes-pilotes à Toronto, mais aussi à Edmonton, à Charlottetown et ailleurs, dans le cadre desquels des avocats et des conseillers rencontrent les parents, non pas les deux parents qui se séparent, mais des groupes de parents, pour leur donner un peu de formation et d'orientation.
Dans les cas où un juge est forcé de trancher—et je précise que ces cas sont minoritaires—il convient d'appliquer certaines règles juridiques.
Pour les jeunes enfants, la présomption du principal dispensateur de soins convient bien, à supposer qu'il y en ait un. Dans de nombreux cas de divorce mettant en cause de jeunes enfants pèse inutilement la menace du recours aux tribunaux, alors qu'il est clair que l'un des parents a été le principal dispensateur de soins et qu'il convient d'adopter la présomption, non pas la règle obligatoire, mais la présomption que cette personne continuera à s'occuper de l'enfant. Je pense que cette présomption du principal dispensateur de soins est préférable à la présomption maternelle. C'est reconnaître que le père est parfois le principal dispensateur de soins et cela s'insère dans un contexte factuel pertinent.
Nous devons selon moi tenir compte des souhaits de l'enfant en pareil cas, surtout pour ce qui concerne les enfants adolescents, et je trouve qu'il faut être réaliste et accepter le fait que pour les enfants âgés de 14 ans et plus, ce que l'enfant souhaite a une très grande importance. Ceux qui ont des adolescents savent bien qu'il est fort difficile de dire à un enfant de 15 ans ce qu'il va faire. Un juge ne peut pas lui dire quoi faire; un parent même n'y arrive pas. Nous devons le reconnaître.
Dans le cas des enfants plus jeunes, il est certain que leurs points de vue et leurs désirs sont importants, mais il faut aussi reconnaître la possibilité que les parents se trouvent à «soudoyer» l'enfant pour obtenir son accord, ou bien font de l'intimidation. En fait, dans certains cas où il y a violence, les enfants s'identifient malheureusement au parent agresseur et il faut donc prendre leurs désirs avec un grain de sel.
Il importe de reconnaître que dans la plupart des cas, les deux parents vont continuer d'être présents dans la vie de leurs enfants. En fait, c'est ainsi que les choses vont se passer non seulement quand tout se fait à l'intérieur du cadre juridique établi par la Loi sur le divorce, mais en outre—et ceux d'entre vous qui connaissent ces dossiers le savent bien—la question continuera de se poser une fois les enfants devenus adultes, par exemple quand il faudra déterminer qui assistera à leur mariage. En fait, au moment de la mort de l'un des parents, l'autre se retrouve mêlé à tout cela. L'enfant dira «papa vient de mourir; que vais-je faire?»
Ainsi, la relation entre les deux parents se poursuit jusqu'à ce qu'ils soient morts tous les deux et même, en un certain sens, elle persiste dans la vie affective de leurs enfants tout au long de la vie de ces derniers.
Je pense qu'il faut encourager, lorsqu'il convient de le faire, les prises de décisions conjointes, la participation des deux parents. Chose certaine, dans la plupart des cas, il est souhaitable que les parents se consultent sur toutes les décisions importantes.
La question de la violence conjugale pose toutefois toute une série de problèmes très importants. Ainsi que je l'ai dit—et on en traite de façon plus approfondie dans ce document bleu publié par Condition féminine Canada—, le problème de la violence conjugale n'a pas été suffisamment pris en compte par nos tribunaux non plus que par nos professionnels. Depuis trop longtemps, les médecins, les avocats, les juges et la police ne reconnaissent pas suffisamment la portée et l'importance de la violence conjugale. Elle n'est pas présente dans tous les cas, loin de là, mais c'est un facteur qu'il faut prendre en considération et je crois qu'il devrait en être explicitement question dans la loi.
Quand on discute de violence conjugale—et nous en traitons de façon assez approfondie dans le document—, il importe de reconnaître que nous avons affaire à une gamme étendue de comportements. Dans certains mariages, qui sont en nombre non négligeable, il y a littéralement un cas unique d'agression, ce qui est assurément grave, mais qui a moins de répercussions. Dans d'autres cas, un cycle de violence s'installe de façon régulière. En fait, il peut y avoir escalade après la séparation et l'on voit trop de cas tragiques qui aboutissent en fin de compte à la mort de la victime; il arrive même souvent que les enfants soient tués aussi. Il faut être conscient de ce continuum et légiférer en conséquence.
• 1545
Il faut donc reconnaître que la loi doit tenir compte
explicitement du fait que les enfants sont directement touchés par
la violence conjugale. Dans un nombre non négligeable de familles
où il y a violence entre les conjoints, les enfants sont
directement maltraités eux aussi. Ils deviennent des victimes
secondaires ou primaires et font même l'objet de sévices. Même
quand les enfants ne sont pas directement maltraités physiquement,
des problèmes surgissent s'ils sont témoins d'actes de violence ou
savent qu'il y a de la violence dans leur foyer.
Je crois donc que la législation sur la garde et l'accès doit mentionner explicitement que la violence conjugale est un facteur dont il faut tenir compte pour établir quel est «l'intérêt de l'enfant». Il doit y avoir présomption que la résidence principale ne sera pas celle du parent violent ou du conjoint violent et que le droit de visite doit être limité lorsqu'il y a eu actes de violence.
En particulier, lorsqu'une relation matrimoniale est marquée par la violence, surtout si cette violence continue même après la séparation, c'est au moment des visites que les actes de violence peuvent se produire, lorsque les parents se rencontrent pour emmener l'enfant de l'un à l'autre, ou lorsque le père vient chercher l'enfant, si c'est lui qui était le conjoint coupable de violence. Bien souvent, il faut prévoir une surveillance du processus pour assurer la protection autant des enfants que des parents. Chose certaine, même si je demeure persuadé que la prise de décisions en commun a un rôle important à jouer de façon générale, ce mécanisme ne convient pas lorsqu'il y a violence entre les conjoints.
Cela met fin à mon exposé. Je suis prêt à répondre avec plaisir à toutes vos questions.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci, monsieur Bala.
Je sais que le sénateur Jessiman brûle de poser la première question, conformément au proverbe qui veut que les premiers seront les derniers ou que les derniers seront les premiers... ou est-ce l'inverse? Sénateur Jessiman.
Le sénateur Duncan James Jessiman (Manitoba, PC): Merci, monsieur le président.
J'ai posé cette question à d'autres témoins. Notre loi a été renforcée à l'égard de ceux qui doivent payer une pension au parent qui a la garde ou au principal dispensateur de soins. On a renforcé la loi de sorte que la personne qui refuse de payer puisse perdre son permis de conduire ou même son passeport; et je crois que c'est très bien. Mais que pensez-vous du cas du premier dispensateur de soins qui refuse de donner accès au dispensateur secondaire ou au parent qui n'a pas obtenu la garde, pour employer le mot juste? Nous savons que la partie lésée peut s'adresser aux tribunaux et obtenir une ordonnance à l'encontre de l'autre partie pour outrage au tribunal, mais ce mécanisme est rarement utilisé.
Que diriez-vous de confisquer le permis de conduire ou le passeport d'une personne, dans ces circonstances? Il faut continuer à payer et il y a encore possibilité d'avoir accès aux enfants. En toute justice pour les deux parties, si l'une des deux persiste à refuser à l'autre la permission de voir les enfants, ne serait-ce pas tout aussi raisonnable dans ces circonstances?
M. Nicholas Bala: Premièrement, je voudrais établir un peu le contexte de toute cette question de l'accès, que vous liez à celle du soutien de l'enfant. Comme je l'ai dit, le non-paiement du soutien est un problème dans 30 à 60 p. 100 des dossiers de soutien des enfants, selon la définition que l'on adopte. C'est donc un problème très répandu, qui a aussi d'énormes conséquences financières pour les gouvernements, parce que beaucoup de ces...
Le sénateur Duncan Jessiman: Et je suis d'accord avec tout ce que l'on a fait à ce sujet, mais...
M. Nicholas Bala: L'accès est un problème. En fait, le plus grand problème en ce qui concerne l'accès, ce sont les pères qui ne rendent pas visite à leurs enfants, les parents qui n'ont pas obtenu la garde et qui se trouvent en fait à abandonner leurs enfants. Les cas où le parent qui a la garde, habituellement la mère, refuse l'accès ou crée des obstacles représentent un pourcentage relativement minime des cas. Il est important de garder cela en mémoire. D'après les études, cela représente de 2 à 5 p. 100 des dossiers. Mais ces 2 à 5 p. 100 représentent quand même des dizaines de milliers de gens qui sont dans cette situation et il ne faut pas les laisser tomber. Leur douleur est bien réelle. Mais il faut tenir compte du contexte global.
Je pense que la meilleure manière d'aborder ces situations, et de loin, c'est l'éducation. J'ai parlé tout à l'heure d'éducation parentale... bon nombre de parents qui ont la garde des enfants ne sont pas conscients des avantages psychologiques, pour ces derniers, d'avoir accès à leur père. Par ailleurs, si la mère, puisque c'est habituellement elle dont il s'agit, refuse l'accès ou crée des obstacles, il faut se demander pour quelle raison elle le fait. Peut-être y a-t-il violence conjugale ou peut-être même les enfants sont-ils maltraités?
Le sénateur Duncan Jessiman: J'ai eu connaissance d'un cas où il y avait refus pur et simple. Quelle est la solution?
M. Nicholas Bala: Si l'on cherche une solution du genre, envoyons en prison les mères qui...
Le sénateur Duncan Jessiman: On ne peut pas faire cela.
M. Nicholas Bala: Non, on ne le peut pas. Maintenant, si vous proposez de suspendre leur permis de conduire, les mères qui habitent à la campagne et qui doivent conduire pour emmener leurs enfants...
Le sénateur Duncan Jessiman: C'est le permis de l'homme que l'on suspend.
M. Nicholas Bala: Je pense qu'il convient de recourir à la menace d'outrage au tribunal, et même, dans un nombre très restreint de cas, d'utiliser carrément cette mesure, mais je ne pense pas qu'il faut aller plus loin. En fait, en matière d'outrage au tribunal, un juge est habilité, tout au moins en théorie, à faire ce que vous demandez.
Je ne crois pas que le fait de légiférer en ce sens nous donnerait des outils plus puissants dans ce domaine. Je pense qu'il convient... Puisque vous vous préoccupez de cette question, il y a eu en Ontario une ébauche de projet de loi, qui n'est pas devenue loi, dans laquelle on disait que dans les cas où l'une des parties refuse l'accès, il y aurait peut-être lieu de prévoir un pouvoir spécifique permettant au juge d'ordonner un accès compensatoire, un peu comme si l'on disait à quelqu'un: «Comme vous n'avez pas eu accès à l'enfant le mois dernier, vous pourrez le voir toutes les fins de semaine le mois prochain.»
Le sénateur Duncan Jessiman: Oui, j'ai entendu parler de cela.
M. Nicholas Bala: En fait, dans certains cas pertinents, cette mesure envisagée en Ontario, qui n'a jamais été adoptée, prévoyait même, quoique dans des circonstances très précises, la possibilité d'octroyer une compensation financière, pourvu que le parent qui a la garde en ait les moyens. Si le père, disons, a traversé tout le pays pour voir son enfant et s'est vu refuser l'accès, on aurait pu ordonner au parent qui a la garde de l'enfant de payer ses frais de déplacement.
Si vous songez à des préoccupations de ce genre, il y a des mesures que l'on peut prendre. Mais pour remédier au problème comme tel, il faut faire de l'éducation, au lieu de réagir de façon punitive, ce qui ne peut que se répercuter négativement sur l'enfant.
Le sénateur Duncan Jessiman: Voici ma deuxième question. Vous dites que les enfants de 14 ans et plus doivent avoir le choix de l'endroit où... Comment doit-on s'en remettre à l'enfant? À votre avis, s'agit-il simplement d'informer les juges et les avocats et aussi les enfants, ou bien faudrait-il prévoir explicitement dans la loi que les juges doivent donner le choix aux enfants de 14 ans ou plus, ou d'un âge quelconque?
M. Nicholas Bala: Vous avez abordé un point qui me semble très valable; vous ne devez pas, selon moi, rédiger une loi uniquement à l'intention des juges et des avocats.
Vous entendrez peut-être des gens dire que le professeur Bala propose une présomption de premier dispensateur de soins. Les juges en tiennent compte, de toute manière. Si on lit la jurisprudence... En fait, dans presque tous les cas qui ont été portés devant les tribunaux au Canada, quand un enfant a 14 ans ou plus, le juge va dans le sens des souhaits de l'enfant, de toute façon. Les juges ont suffisamment d'expérience.
Le sénateur Duncan Jessiman: Je vois.
M. Nicholas Bala: Mais la loi, peu importe ce que l'on y met, doit être rédigée de telle manière... Il faut reconnaître, surtout de nos jours, que de plus en plus de parents ne sont pas représentés par des avocats. Et ce n'est pas le mandat du comité, mais à mes yeux, il est certain que les compressions des budgets d'aide juridique sont un très grave problème dans ce domaine en particulier. Si vous reconnaissez que beaucoup de parents ne sont pas représentés par des avocats et que certains avocats ne sont pas spécialisés dans ce domaine, et même certains juges, c'est très utile de dire: «Voici quels sont les points de départ, voici ce que vous devez savoir.»
Je vous encourage donc à voir beaucoup plus large que l'actuel régime législatif. À titre de professeur de droit, je dirais que je sais déjà tout cela, que vous n'avez pas besoin de l'inscrire dans la loi, mais je vous encourage à être spécifiques. Si vous lisez la jurisprudence, il ressort clairement que dans presque tous les cas où il y a un enfant de 14 ans ou plus, je dirais même de 12 ans, mais j'ai choisi 14 ans, ce qui me semble un âge raisonnable, les juges respectent en fait les souhaits de l'enfant, compte tenu que l'on ne peut en faire une ordonnance à proprement parler.
Pourquoi les gens devraient-il être obligés de consulter un avocat ou de s'adresser aux tribunaux pour découvrir tout cela, s'ils peuvent dire au départ qu'il y a présomption? Je ne dirais pas que cela doit s'appliquer dans tous les cas. Il y a des cas exceptionnels, où un enfant a subi de l'intimidation ou des mauvais traitements, et cet enfant ne doit pas être confié à un parent simplement en fonction des souhaits qu'il exprime. Mais à cet âge-là, je pense qu'il faut reconnaître que la plupart des enfants vont faire ce qu'ils veulent, de toute façon.
Le sénateur Duncan Jessiman: J'ai une troisième et dernière question.
Les enfants qui ont l'âge de la majorité, non pas ceux qui sont malades ou handicapés, mais comme vous le savez, ceux qui dans d'autres causes sont considérés comme ayant une scolarité plus élevée... Il est maintenant clair que cela peut aller loin. Nous avons entendu beaucoup de plaintes, quand nous avons tenu des audiences là-dessus auparavant, non pas au sujet du paiement comme tel, mais du paiement au premier dispensateur de soins. Les gens disaient qu'ils ne payaient pas parce que les enfants avaient atteint l'âge de la majorité. Ils n'ont pas d'objection à payer, mais ils n'ont pas l'assurance que l'argent sert au mieux-être de l'enfant. Ils veulent payer l'argent directement à l'enfant parce que la mère—et je dis la «mère» parce que c'est habituellement la personne qui a la garde, quoique pas aussi souvent que dans le passé—n'utilise pas nécessairement l'argent pour l'enfant, du moins c'est ce que certains prétendent. Il y a donc des gens qui disent que l'argent devrait être versé directement à l'enfant à ce moment-là. Qu'en pensez-vous?
M. Nicholas Bala: Je rappelle en passant que je ne pratique plus le droit. Je suis professeur de droit. Je travaille dans un environnement universitaire. Les enfants que je vois et qui sont bouleversés par le divorce de leurs parents—en fait, j'en ai justement vu trois au cours du dernier mois—sont des enfants d'âge universitaire. Pour certains d'entre eux, leurs parents sont en train de se séparer et ces enfants ont 22 ou 23 ans, mais même à cet âge, c'est extraordinairement bouleversant pour ces enfants.
Bien sûr, il y a aussi des problèmes financiers. À cet égard, notre législation est différente de celle des États-Unis et je pense que la nôtre est supérieure à celle-là. Aux États-Unis, dès que l'enfant atteint l'âge de 18 ans, c'est la fin. Là-bas, les enfants de parents divorcés ont énormément de difficulté à faire des études postsecondaires.
Je constate que le ministre des Finances prend des mesures pour aider chacun à fréquenter l'université. Je m'en félicite, mais bien des gens se tournent vers leurs parents. Dans presque tous les cas, si la cellule familiale est intacte, les parents aident leurs enfants dans la mesure de leurs moyens. Mais en cas de divorce, l'expérience des États-Unis nous apprend que si rien n'est prévu dans la loi, beaucoup de parents qui n'ont pas la garde de leurs enfants refusent d'aider financièrement l'enfant parce que celui-ci habite avec sa mère depuis dix ans. Le parent qui n'a pas la garde se fiche de ce qui va se passer. Et le sentiment de rejet affectif est renforcé par les problèmes financiers qui empêchent l'enfant de poursuivre ses études après l'école secondaire, que ce soit à l'université, dans un collège ou ailleurs.
À mon avis, il est extrêmement important d'avoir des dispositions juridiques à cet égard. Je crois qu'il serait opportun de modifier la loi de manière que l'argent soit versé directement à l'enfant adulte. En fait, certains juges interprètent déjà la loi en ce sens. Si vous voulez préciser la loi et le dire explicitement, je pense que ce ne serait pas mauvais. Toutefois, je vous exhorte à ne pas éliminer cette obligation, mais simplement à la redéfinir.
Le sénateur Duncan Jessiman: Merci. Merci, monsieur le président.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Sénatrice Cools.
La sénatrice Anne C. Cools (Toronto-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.
Je souhaite la bienvenue au professeur Bala. J'ai deux ou trois questions à poser. Je vais essayer d'être aussi pertinente que possible, mais avant de poser ma première question, je pourrais peut-être remercier le professeur d'avoir fait valoir que l'enfant qui est au centre d'un différend acrimonieux et prolongé au sujet de la garde a fréquemment besoin de protection. Je voudrais donc attirer l'attention des membres du comité sur certains faits nouveaux dans le domaine du bien-être de l'enfance.
Comme vous le savez, les coroners de l'Ontario ont récemment tenu huit enquêtes sur des décès d'enfants. Dans l'une de ces enquêtes qui vient tout juste de prendre fin, ils ont fait valoir qu'il y a lieu de modifier la Loi sur les services à l'enfance et à la famille—loi de l'Ontario que l'on appelait auparavant la Loi sur le bien-être de l'enfance—essentiellement pour élargir la définition de l'enfant qui a besoin de protection afin d'apporter une solution à certaines circonstances bien précises, par exemple les conflits prolongés au sujet de la garde de l'enfant.
Ce phénomène se répète dans l'ensemble du pays à cause de la fameuse affaire du petit Matthew Vaudreuil, qui a été tué par sa mère. Je pense qu'elle s'appelait Maureen. Quand le juge Gove a fait enquête sur la mort atroce d'un garçonnet de cinq ans, il a constaté que les services d'aide à l'enfance avaient consigné dans leurs dossiers 64 cas de mauvais traitements infligés à l'enfant, le premier ayant eu lieu dès le jour de la naissance de l'enfant ou à peu près. Le juge a fait remarquer une fois de plus que ces services étaient axés sur la mère ou sur les parents, et non pas sur l'enfant.
Donc, professeur Bala, je suis ravie que vous ayez insisté dans votre exposé sur le principe ou la norme de l'intérêt de l'enfant. Je vous en félicite.
Je m'en tiens là, je voulais seulement faire cette observation parce que c'est pertinent. Monsieur le président, nous pourrions peut-être envisager d'inviter des gens du bureau du coroner. Peut-être que le Dr Young ou le Dr Cairns pourraient venir nous parler de ces questions, ou peut-être même le juge Gove.
• 1600
Mon deuxième point est tiré du chapitre 7—je n'ai pas la
page—du document que vous nous avez envoyé et qui est intitulé La
réforme du droit pour les politiciens, les juges et les avocats,
les médiateurs, les évaluateurs et les parents. Au paragraphe 4,
vous abordez la question de la formule relative à l'intérêt de
l'enfant. Vous dites plus loin que la norme doit être respectée,
mais au paragraphe 4, vous dites, et je cite:
«Consciemment ou non»—cette explication est insuffisante. Cette déclaration m'a frappée parce que je crois que la plupart d'entre nous ici sommes d'accord pour dire que la norme de l'intérêt de l'enfant est un absolu. Je voudrais entendre vos commentaires à ce propos.
Au sujet de ce que vous avez dit, je voudrais vous reporter à l'affaire Oldfield c. Oldfield. Pour la gouverne des membres du comité, l'affaire Oldfield c. Oldfield est l'une de ces affaires où la mère de l'enfant—je ne me rappelle plus combien elle avait d'enfants, je pense qu'elle en avait trois—acquiert un nouvel amant dans un autre pays et veut déménager, et le père est très proche de l'enfant. Je suis certaine que vous avez entendu parler de cette affaire. On la qualifie de cause-type. Et c'est fascinant de voir comment le juge aborde la notion de l'intérêt de l'enfant.
Je vais vous lire ce passage, professeur, après quoi je vous demanderai de commenter. À la page 238, le juge conclut que cette femme serait très malheureuse si on ne lui permettait pas de déménager en France, et il ajoute:
Et qui en est malheureuse... Ensuite, il ajoute à la page 251: parce qu'elle veut aller en France—je pense qu'elle est Française—pour épouser un homme... Ce juge écrit qu'elle aura l'occasion de faire partie d'une «famille entière», avec d'autres enfants «et un mari qui l'aime, une figure masculine qui, semble-t-il, sait s'y prendre avec les enfants et leur prodiguer des soins».
Je trouve cela stupéfiant. Ainsi, le problème est réglé. L'intérêt des enfants, d'après ce juge, c'est de transplanter ces enfants à l'étranger, loin de leur père qui est très proche d'eux. Mais le problème est réglé, voyez-vous, parce qu'en conclusion, il ajoute essentiellement qu'ils ont les moyens de se rendre de fréquentes visites et que l'on peut régler cette question en fixant une pension alimentaire très élevée que le père devra payer. Ainsi, la mère aura assez d'argent pour se permettre d'envoyer les enfants rendre visite à leur père au Canada quatre ou cinq fois par année.
Voici où je veux en venir. Peut-être était-ce une bonne décision; je ne mets pas cela en doute. Mais quand j'ai lu ce jugement—je suis actuellement en train de passer en revue la plus grande partie de la jurisprudence portant sur l'intérêt de l'enfant—fondamentalement, je n'arrive tout simplement pas à comprendre comment la norme de l'intérêt de l'enfant a été appliquée dans cette décision. Parce qu'en se fondant sur des considérations tout aussi fantaisistes ou tout aussi profondes, on pourrait dire que l'intérêt des enfants était qu'ils ne soient pas séparés de leur père. Mais il fonde toute sa décision sur le bonheur personnel et les amours de la mère.
Je me suis étendue là-dessus, mais ce n'est pas une affaire inhabituelle. Et ce n'est pas non plus un cas isolé. Je me demande si vous pourriez commenter tout cela.
M. Nicholas Bala: Vous avez posé beaucoup de bonnes questions, sénatrice. Dans le document—dont j'ai remis le texte intégral à votre personnel de recherche—nous abordons tout le problème du critère pour établir «l'intérêt de l'enfant». Comme vous le faites remarquer, c'est intrinsèquement un critère vague et, en un certain sens, en se demandant quel est «l'intérêt de l'enfant», on se trouve à demander quelles sont les valeurs qui sont importantes dans la vie. Si la mère dit que si on lui confie l'enfant, elle veillera à ce que l'enfant suive des cours de ballet, et si le père dit que si on lui confie l'enfant, il veillera à ce que l'enfant joue au hockey... Il y a de nos jours des causes dans lesquelles l'un des parents fume et l'autre pas, et l'on se demande quelles sont les conséquences de la fumée secondaire ou ce qu'il arrive si... On peut s'interroger sans fin.
En fait, l'un des problèmes est justement qu'en s'interrogeant sur «l'intérêt supérieur», on en vient rapidement à se demander «qui est le meilleur parent?», question dont le corollaire est «qui est la pire personne des deux?». On ouvre donc la porte à ce genre de questionnements.
• 1605
Je ne préconise pas que l'on s'écarte de cette norme. Voyons
quelles étaient les normes antérieurement. Il y a longtemps, on
disait que les enfants devraient être confiés à leur père, parce
que le père est le tuteur naturel. Ensuite on a dit non, l'enfant
devrait plutôt être confié à la mère, parce que la mère est une
dispensatrice de soins naturelle.
Je pense que «l'intérêt supérieur» est la norme qu'il convient d'appliquer, mais c'est pourquoi il importe d'en préciser le sens. En fait, la dernière ronde de témoignages a permis d'apporter des précisions. Je crois que vous devriez être beaucoup plus éclairés sur certaines de ces questions.
Cela m'amène à traiter de la question que vous avez soulevée à propos du litige. Dans ce domaine en particulier, le recours aux tribunaux est à la fois financièrement coûteux, mais aussi émotivement destructeur pour les parents, et en particulier pour l'enfant, qui est pris entre les deux.
Je crois néanmoins que les tribunaux ont un rôle à jouer et que nous ne pouvons ni ne devons l'éliminer. Mais si l'on peut réduire le nombre de cas qui vont devant les tribunaux, nous réalisons un gain appréciable. Par conséquent, il serait souhaitable d'être plus explicite dans la loi.
Vous avez soulevé la question de la mobilité. Je crois que, dans une certaine mesure, la Cour suprême du Canada, dans la décision rendue dans l'affaire Gordon c. Goertz, qui est je crois relativement récente, s'est très clairement écartée d'une norme qui consisterait à dire que le parent qui a la garde jouit de façon présumée du droit de déménager en emmenant l'enfant avec lui, pour adopter plutôt une norme qui consiste à dire clairement que l'enfant bénéficie d'une relation avec les deux parents dans la plupart des cas et que le fait de changer la résidence l'enfant peut nuire à cette situation. Je pense que la décision Gordon c. Goertz est importante dans l'évolution de la jurisprudence. Mais il ne faut pas pour autant en conclure que vous ne devriez pas légiférer pour clarifier et codifier tout cela.
Je ne pense pas que l'on puisse adopter une règle selon laquelle les enfants ne devraient jamais déménager ou qu'il faudrait toujours les autoriser à déménager. Dans ce scénario, il faudra que les décisions soient prises au cas par cas. La question est de savoir si l'on peut donner aux juges une certaine orientation.
La sénatrice Anne Cools: En effet.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Désolé, vous n'avez plus de temps. Madame St-Hilaire.
[Français]
Mme Caroline St-Hilaire (Longueuil, BQ): Je vous remercie de votre témoignage, monsieur Bala. J'ai lu votre document, du moins le résumé de votre document. J'y vois souvent le mot «séparation». Il y est question, par exemple, du partage du rôle parental après une séparation. J'imagine que je ne vous apprends rien en vous disant que la séparation est de juridiction provinciale.
Vous parlez aussi beaucoup de l'accès à la médiation. J'imagine que c'est très difficile dans les cas où il y a de la violence ou des problèmes de mésentente entre les deux parents. Par contre, au Québec, la politique familiale prévoit un processus de médiation. J'aimerais savoir ce que vous pensez du système québécois, si vous le connaissez, et si vous pensez que ce processus pourrait s'appliquer en cas de divorce.
[Traduction]
M. Nicholas Bala: Je crois que le modèle du Québec—je ne prétends nullement être expert au sujet de ce qui se passe au Québec, quoique j'aie assurément lu des ouvrages à ce sujet et rencontré des gens qui travaillent là-bas—comme dans un certain nombre d'autres domaines touchant les enfants, est en quelque sorte un modèle dont pourrait s'inspirer le reste du pays, pour ce qui est de la médiation. Je crois savoir, par exemple, que c'est actuellement la seule province où il existe un mécanisme d'accréditation des médiateurs familiaux.
Dans les autres provinces, y compris en Ontario, l'un des problèmes de la médiation, c'est que n'importe qui peut s'improviser médiateur. Certains médiateurs sont très compétents et qualifiés et savent très bien traiter toute une gamme de cas, y compris, du moins dans certaines situations, les cas où il peut y avoir violence familiale.
Dans d'autres cas, il y a des médiateurs qui, pour présenter le pire scénario, revivent littéralement leur propre divorce. Ils disent avoir été traités injustement par les tribunaux et décident donc de se faire médiateurs. Ils vont aider d'autres personnes qui n'ont pas d'avocat ou qui n'ont pas accès à des gens qui pourraient les conseiller au sujet de leur divorce. Leur rôle devient en fait très manipulateur et inapproprié.
C'est pourquoi, par exemple, en ce qui a trait à la médiation, il est fort utile d'avoir un modèle des qualités requises, et c'est le cas au Québec. C'est également une très bonne idée de prévoir un soutien financier du gouvernement pour la médiation. Si l'on permet aux gens de s'adresser à un juge sans rien payer, sinon des frais minimes, pourquoi ne leur offrirait-on pas le même privilège pour s'adresser à un médiateur?
Je crois donc que la médiation a beaucoup à offrir. Je ne pense pas, toutefois, que cela convienne dans tous les cas. Je songe en particulier aux cas de violence familiale.
• 1610
Je ne crois pas que l'on doive forcer quiconque à recourir à
la médiation. Dans notre pays, chacun a le droit de s'adresser aux
tribunaux. Mais il faut faire beaucoup d'éducation auprès des
professionnels, des avocats et des juges au sujet du rôle approprié
de la médiation.
L'un des aspects les plus intéressants au Québec, c'est qu'il s'agit essentiellement d'un modèle complet de médiation. On y traite non seulement de la garde et de l'accès, mais aussi des questions financières. Il y a place pour une médiation complète de ce genre.
Je répète qu'il faut toutefois faire preuve d'une certaine prudence. La médiation est particulièrement pertinente pour les questions entourant les enfants. Cela devient plus difficile quand on aborde les questions financières.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Monsieur Forseth.
M. Paul Forseth (New Westminster—Coquitlam—Burnaby, Réf.): Merci beaucoup, professeur, d'être venu nous rencontrer aujourd'hui.
Étant moi-même un ancien médiateur en matière de divorce, je suis d'accord avec bon nombre des observations générales que vous avez faites. Mais vous comprenez le contexte et la raison d'être de notre comité, et vous en comprenez aussi le mandat bien particulier. Nous avons un historique derrière nous. Je voudrais que vous nous disiez brièvement quelles sont à votre avis les questions que notre comité doit étudier.
Je comprends vos arguments. Le gouvernement appuie la solution douce: une approche non juridique correspond au mandat de notre comité, plutôt que des solutions légiférées. Voudriez-vous tourner votre attention sur la raison d'être de notre comité et nous donner vos conseils quant à l'orientation que nous devrions prendre?
M. Nicholas Bala: Je ne suis pas exactement un expert sur ce qui est de votre ressort et sur les raisons de la création de votre comité. Je crois savoir qu'au cours des audiences sur les pensions alimentaires pour les enfants, entre autres, des gens ont commencé à exprimer des préoccupations au sujet de la législation canadienne en matière de garde et d'accès, quoique je pense que ces préoccupations existaient avant la tenue de ces audiences.
Idéalement, il faudrait aborder d'un seul coup le soutien de l'enfant et la réforme du droit de garde et d'accès. À mes yeux, ce n'était pas une raison de ne pas aller de l'avant avec la réforme du soutien de l'enfant, le gouvernement ayant scindé les deux dossiers. Chose certaine, le moment est maintenant venu de se pencher sur la législation canadienne en matière de garde et d'accès.
Comme il est précisé dans le texte intégral du document que je vous ai remis, la plupart des pays du monde ont étudié et réformé leur législation au cours de la dernière décennie. Le Canada a pris du retard à cet égard, et c'est particulièrement regrettable, car il s'ensuit que nous avons beaucoup de problèmes que l'on sait résoudre ailleurs, mais auxquels nous ne nous sommes pas encore attaqués.
Si je comprends bien, votre comité ne rédige pas une loi spécifique, mais examine plutôt la question de façon générale. Certaines de vos recommandations viseront peut-être des modifications législatives, notamment dans les domaines de compétence fédérale, mais je crois comprendre—je me trompe peut-être—que vous pourriez également faire des recommandations sur des questions plus larges, dont certaines mettraient en cause des engagements financiers fédéraux, et peut-être aussi des dépenses provinciales ou même la loi provinciale.
Manifestement, vous devez respecter les compétences provinciales dans ce domaine. Il y a toutefois une réalité incontournable dans le domaine du droit de la famille, et j'en tiens compte dans le cours de droit familial que j'enseigne, à savoir que les questions constitutionnelles, les différends fédéraux-provinciaux, sont très importants, mais ils n'en sont pas moins regrettables, en ce sens que beaucoup de lois fédérales et provinciales en la matière sont en fait identiques.
Dans ce domaine, aucune province ne dit, écoutez, donnons aux pères un droit garanti à la garde de leurs enfants. Au contraire, dans le domaine du soutien des enfants, les provinces ont plutôt eu tendance à s'orienter vers les lignes directrices fédérales. Les problèmes découlent essentiellement de la procédure, de façon générale, à cause du partage des compétences.
Par exemple, pourquoi ne pas avoir des tribunaux de la famille unifiés dans notre pays? Dans ce domaine, il faut une coopération fédérale-provinciale. Tous ceux qui se sont penchés sur la question disent que ce serait une bonne idée que d'avoir des tribunaux de la famille unifiés. Ce serait logique sur les plans social, politique et juridique. Cela permettrait d'économiser des ressources. Mais parce que le gouvernement fédéral et les provinces n'arrivent pas à s'entendre et à décider qui va nommer les juges ou qui va les payer, ces tribunaux n'existent pas dans la plupart des provinces du pays. J'envisagerais certainement que votre comité dise, par exemple,... si vous en arrivez à la conclusion que la solution réside en partie dans la création de tribunaux de la famille unifiés—et je soutiens que c'est le cas—vous pourriez faire une recommandation en ce sens.
M. Paul Forseth: J'ai une question supplémentaire. Le ministre de la Justice m'a dit que si nous n'avons pas de tribunaux de la famille unifiés, ce n'est pas parce que le gouvernement fédéral n'est pas disposé à nommer les juges. En fait, il y a des vacances et de l'argent a été mis de côté pour cela. Ce sont les provinces qui doivent mettre sur pied les autres services de soutien et organiser le tout et qui doivent aussi adopter des lois provinciales pour mettre tout cela en forme. Donc, le ministre de la Justice a dit clairement que la balle est dans le camp des provinces et que l'on s'empressera de donner suite aux démarches de toute province qui proposerait un plan.
• 1615
Je ne crois pas que ce soit le problème, mais j'essayais
d'obtenir de vous une recommandation spécifique, fondée sur
l'historique auquel vous avez fait allusion. Pourriez-vous nous
indiquer une ou deux questions qui permettraient d'atténuer ce
mécontentement qui existe parmi la collectivité et qui a donné lieu
à la création de notre comité?
M. Nicholas Bala: Je vous mets en garde: ne vous limitez pas à un ou deux points. Je pense qu'il y a une foule de questions interdépendantes qui doivent être abordées ensemble. On ne peut pas faire mouche d'un seul coup dans ce domaine. Il n'y a pas un seul pays où il n'existe pas de parents angoissés et d'enfants qui souffrent de la séparation de leurs parents, mais il y a par contre beaucoup de pays où l'on fait actuellement du meilleur travail qu'au Canada. La question est donc de savoir si vous pouvez formuler une série de recommandations qui nous mettront sur la bonne voie, le but étant d'aider les enfants, souvent en aidant leurs parents.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Madame Bakopanos.
Mme Eleni Bakopanos (Ahuntsic, Lib.): J'ai trouvé très intéressant le document intitulé Repenser les décisions concernant les enfants. Mais je dois vous dire que ce que j'aime particulièrement, c'est ce que vous dites à la fin au sujet de la formation, car je crois personnellement que c'est là la clé. On peut avoir les meilleures lois au monde, si l'on ne fait pas d'efforts pour former à la fois le public et les parents et les enfants qui composent avec tout le système... Vous y faites allusion, mais vous n'offrez aucun conseil pour guider notre comité.
Conviendrait-il de prévoir des cours à ce sujet dans les écoles primaires et secondaires? Même si beaucoup d'enfants ne vivront jamais cette réalité, ils ont peut-être des confrères de classe qui ont vécu l'éclatement de leur cellule familiale et éprouvent certains des problèmes dont vous traitez.
Par ailleurs, est-il question de faire de la formation avant d'aller en médiation? Même s'il y a médiation, si vous ne connaissez pas les limites de ce qui est faisable, vous n'obtiendrez peut-être pas les résultats souhaités en termes de médiation.
Faudrait-il donc faire de la formation après coup, après que la décision a été rendue et après que les juges—lesquels ont d'ailleurs eux aussi besoin d'une certaine formation, à mon avis. Vous en parlez d'ailleurs dans votre document.
Avez-vous des conseils à nous donner à cet égard?
M. Nicholas Bala: Comme je travaille dans un établissement d'enseignement postsecondaire, je suis un fervent partisan de l'éducation et, à certains égards, les membres du comité sont bien sûrs en train d'apprendre.
Mme Eleni Bakopanos: Oui.
M. Nicholas Bala: À mon avis, le réseau scolaire a un rôle important à jouer pour ce qui est d'aider les enfants qui vivent un divorce. Dans beaucoup d'écoles, ou tout au moins dans certaines écoles, je pense qu'il y aurait lieu de mieux identifier les enfants qui vivent cette réalité, laquelle peut d'ailleurs s'éterniser pendant des années. Très souvent, il y a lieu de leur donner un soutien, en particulier en groupe, sous forme de counselling de groupe. C'est assurément un rôle que l'école peut jouer. Et aujourd'hui, la plupart des écoles qui ont des programmes familiaux reconnaissent la diversité des familles, l'existence des parents du même sexe, du divorce, etc., et je pense que c'est pertinent.
Toutefois, c'est surtout quand les gens ont un problème qu'ils ont besoin d'éducation. Il y a ici un médecin qui nous a parlé de ce que nous pouvons faire dans les écoles en matière d'éducation sanitaire. Je pense qu'il y a effectivement place pour la santé dans les programmes scolaires et cela en fait partie. On peut parler de mode de vie sain, mais si l'on dit, voici, je vais vous entretenir du cancer et de ce que vous devez faire si vous en souffrez, les gens se montrent très peu intéressés, jusqu'à ce qu'ils soient cancéreux.
Je consacrerais donc la plus grande partie des ressources en matière d'éducation aux gens qui sont en train de vivre une séparation ou un divorce, en reconnaissant qu'il s'agit bel et bien d'un processus qui peut s'étendre sur une longue période et qui, pour beaucoup de gens, suscite des périodes d'angoisse et de colère. Ensuite, après un certain temps, si les gens obtiennent un soutien approprié, des conseils juridiques, etc., la colère et la douleur diminuent grandement, sans toutefois jamais disparaître, et les enfants resteront marqués pour le reste de leur vie également. Je serais donc en faveur de cibler étroitement les ressources.
Un point intéressant, c'est que dans la mesure où nous faisons de la recherche... Soit dit en passant, je crois que l'Angleterre a une bonne longueur d'avance sur nous dans ce domaine. Les Anglais ont une disposition législative. Bien sûr, ils n'ont pas nos problèmes constitutionnels, mais ils ont prévu certaines mesures qui commencent à être mises en place... Je peux vous donner le nom de l'un des chercheurs en la matière; je veux parler de Janet Walker, qui est justement en train d'évaluer différents modèles en matière d'éducation parentale un peu partout dans son pays. Les Anglais se demandent comment structurer tout cela exactement. Il y a différentes façons de s'y prendre. On peut réunir des groupes formés de personnes des deux sexes, non pas les parents qui se séparent, mais des pères et des mères dans le même groupe. Quels en sont les avantages? Doit-on utiliser des bandes vidéo? Faut-il plutôt utiliser des documents pédagogiques écrits? Faut-il prévoir une ou plusieurs sessions?
• 1620
Il y a donc un certain nombre de modèles différents, mais je
crois savoir qu'il s'agit d'une façon très efficace et abordable de
rejoindre beaucoup de gens et de réduire le coût des procès, par
exemple.
Disons par exemple qu'il y a 100 personnes qui vivent une séparation et qu'un modèle donné permet d'éviter à seulement deux ou trois de ces personnes de s'adresser aux tribunaux. Compte tenu du fait que beaucoup d'entre elles ne le feront pas de toute façon et étant donné le coût énorme qu'entraîne pour l'État le fonctionnement des tribunaux, vous pourriez mettre sur pied beaucoup de programmes d'éducation avec l'argent économisé. Sans compter les économies sur le plan affectif.
Je pense que dans ce scénario, on peut faire beaucoup de bien sur le plan social avec des dépenses relativement minimes. En divers endroits au Canada, on est en train de mettre à l'épreuve divers modèles dans le cadre de projets-pilotes et je vous encourage certainement à en faire une recommandation dans votre rapport. Toutefois, il s'agit essentiellement d'un domaine qui est de ressort provincial; mais le gouvernement fédéral pourrait par exemple financer des programmes-pilotes dans ce domaine et devrait le faire.
Mme Eleni Bakopanos: Êtes-vous également partisan des groupes de soutien? De plus en plus de parents qui n'ont pas obtenu la garde constituent des groupes de soutien. Je ne veux pas les appeler des groupes de pression, bien que certains ne s'en privent pas.
M. Nicholas Bala: Je pense que les groupes de soutien sont très valables pour des gens qui, dans une foule de situations différentes, ont vécu ou vivent des expériences de vie difficiles, et le divorce figure très haut sur cette liste. Pour ceux qui ont été affligés par la mort d'un conjoint, la présence d'un groupe de soutien est très importante pour beaucoup d'entre eux, mais pas pour tous.
Vous avez raison de dire qu'il y a tout un éventail de groupes, depuis les groupes de soutien jusqu'aux groupes de pression. À mes yeux, dans un pays démocratique comme le nôtre, il est normal que les gens constituent des groupes de pression. C'est important pour eux de mobiliser leurs ressources.
Mme Eleni Bakopanos: Je suis d'accord.
M. Nicholas Bala: La seule mise en garde que je vous fais, à titre de décideurs chargés ultimement de trancher en la matière, c'est qu'il faut reconnaître que dans une telle dynamique, les gens qui interviennent à titre de porte-parole sont souvent ceux qui ont vécu les pires expériences et qui sont les plus en colère. Ils vous présentent un point de vue qui est coloré par cette expérience.
J'écoutais hier à une station de radio locale du réseau anglais de Radio-Canada une entrevue au sujet de parents qui vivent ce processus. Un homme racontait qu'il a scrupuleusement versé sa pension alimentaire et qu'on l'a quand même mis en prison. Je ne connais pas le fin mot de l'histoire, mais je ne l'ai pas cru. Peut-être qu'il n'aurait pas dû aller en prison, mais il ne s'était sûrement pas acquitté de toutes ses obligations.
En tant qu'avocat, je vous invite à écouter des gens vous entretenir de cette question. Mais demandez-vous: quel est le revers de la médaille, par rapport à ce que l'on me raconte? Vous devez évidemment procéder avec beaucoup de doigté quand vous entendez des témoins, mais soyez conscients qu'ils vous racontent leur histoire de leur propre point de vue. Il y a toujours un autre point de vue.
À cet égard, je vous fais une mise en garde: vous entendrez beaucoup de gens s'en prendre aux avocats et aux juges. Les gens disent: «Tous ces avocats me rendent fou». Il y a assurément des avocats qui ont besoin d'être mieux sensibilisés et des juges qui ne s'en tirent pas très bien dans ce genre d'affaires, mais d'après mon expérience, quand il s'agit de divorces fortement conflictuels comme ceux dont on parle, les avocats, quand ils sont en tête-à-tête avec leurs clients, leur disent: «Pensons d'abord aux enfants et soyons raisonnables. Voici une offre de règlement.» Ce sont les parents qui deviennent de plus en plus émotifs et obstinés et qui s'enlisent dans le processus.
Je ne veux pas dire que les avocats ne le font jamais, mais le divorce fait ressortir ce qu'il y a de pire chez les gens. Dans ce processus, ils agissent parfois d'une certaine façon, et par la suite, en rétrospective, ils ne sont pas fiers de ce qu'ils ont fait. Ils disent: «Ce n'est pas ma faute, je n'ai aucune responsabilité à cet égard. C'est la faute à l'avocat, c'est la faute au juge, c'est le médiateur, ce sont les politiciens. Moi, je n'ai rien fait.» Je vous invite simplement à considérer les commentaires de ce genre avec une bonne dose de prudence.
Mme Eleni Bakopanos: Je vous remercie pour ce grain de sagesse.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Tout le plaisir est pour moi, madame Bakopanos.
Sénatrice Cohen.
La sénatrice Erminie J. Cohen (Saint John, PC): Merci.
Pour faire suite à la question qu'on vient de poser, je voulais dire au comité que je siège également au comité des lignes directrices en matière de divorce. Nous avons entendu un avocat d'Halifax, en Nouvelle-Écosse, qui pratique le droit dans un cabinet d'avocats spécialisés en droit de la famille où l'on met sur pied un programme positif d'éducation parentale à l'intention des couples qui font appel à ces avocats pour divorcer. Ce programme s'est révélé très efficace et contribue grandement à amoindrir les difficultés et à rendre la situation moins acrimonieuse dans la famille, ce qui sert l'intérêt des enfants. Je trouve que nous devrions envisager cela, en plus de la médiation.
• 1625
Je vous remercie de nous avoir dit que l'on ne devrait jamais
imposer la médiation, parce que nous avons entendu des avocats qui
ont comparu devant nous nous dire qu'ils ne croient pas à la
médiation. Vous dites que la médiation peut jouer un rôle
approprié, mais que parfois, il faut d'abord faire l'éducation des
juges et des avocats à cet égard. À mon avis, il faut également
penser à cela dans toute cette question de l'éducation.
J'ai également remarqué que dans votre rapport, vous consacrez tout un paragraphe à la terminologie utilisée. Je voulais vous demander dans quelle mesure, à votre avis, il sera important de faire attention à la terminologie quand nous rédigerons notre rapport.
M. Nicholas Bala: J'en profite pour dire qu'à mon avis, la plupart des avocats de droit familial expérimentés et des juges sont sensibles, abordent les causes dans un esprit positif et s'efforcent de trouver dans ces cas la solution la moins coûteuse et la moins douloureuse. Ils reconnaissent également que parfois, les deux parties doivent mettre de l'eau dans leur vin pour régler à l'amiable et qu'il faut à l'occasion se résoudre à recourir aux tribunaux si l'on a affaire à quelqu'un qui refuse de régler le différend. On a parfois affaire à des conjoints violents qui se trouvent en fait à abuser du système juridique. Si vous représentez quelqu'un qui est victime de violence, vous dites au départ que vous refuserez d'accorder la garde partagée et que vous vous adresserez aux tribunaux s'il le faut. Je crois donc que certains litiges sont malheureusement nécessaires.
Au sujet de la terminologie, presque tous les pays qui ont modernisé leur législation en la matière depuis une dizaine d'années ont reconnu que des termes comme la «garde» et l'«accès» ne sont pas pertinents. À moins de bien connaître le jargon juridique, les parents n'ont pas naturellement tendance à utiliser ces mots-là. Ils ont une connotation malheureuse. Ce ne sont pas des notions qui reflètent ce que les parents font vraiment ou devraient faire, et ce sont des concepts qui ont tendance à aliéner un parent ou même les deux. Je crois donc que nous aimerions tous avoir des lois qui reflètent vraiment ce que les parents font en réalité.
Mais là encore, est-ce une panacée que de changer la terminologie? Absolument pas. À ma connaissance, personne n'a fait d'études vraiment valables, en double anonymat, pour étudier l'incidence d'un changement terminologique, mais il est certain que dans les pays où l'on a changé la terminologie utilisée, les gens semblent nous dire que cela a été utile. En tout cas, cela facilite la communication avec les clients.
Il n'y a assurément aucun inconvénient à changer la terminologie. Ce n'est pas coûteux. Mais si vous devez promulguer une nouvelle loi de toute manière—et je crois que c'est vers cela que vous vous orientez—et si vous songez à repenser certaines notions comme je le préconise ou comme je vous y invite, ou si d'autres instances doivent modifier sensiblement le système, vous feriez aussi bien de changer la terminologie utilisée.
La sénateur Erminie Cohen: Merci.
Je m'interroge au sujet d'une autre question. Pour les gens qui sont pauvres, qui ne peuvent pas se permettre de retenir les services d'un avocat qui leur conseillerait la médiation, l'aide juridique est tout à fait essentielle. Toutefois, l'aide juridique n'est pas disponible dans beaucoup de compétences dans notre pays. Je me demandais seulement si notre comité devrait se pencher sur cette question dans son rapport final. Considérez-vous comme élément significatif le fait qu'une fraction importante de notre population est totalement privée d'aide à cet égard?
M. Nicholas Bala: À mes yeux, un avocat n'est pas un luxe dans ce domaine. Tout au moins dans certains cas, un avocat est une nécessité. En fait, il arrive que le fait d'avoir un avocat permette non seulement de conseiller les gens et de protéger leurs droits économiques et sociaux, mais aussi de réduire les tensions. Un bon avocat de droit familial peut donner toute une gamme de conseils judicieux aux gens.
Vous avez raison de dire que l'aide juridique est malheureusement l'une des composantes de notre régime de sécurité sociale qui a été durement éprouvée par les compressions. On peut commencer à craindre que les montants consacrés à l'aide juridique commencent à diminuer dans certaines compétences au sein du Barreau. Il y a une certaine tension, ce qui est compréhensible, entre la volonté de dépenser de l'argent pour des gens qui doivent aller en prison ou de le dépenser plutôt pour des cas de droit familial et autres cas de ce genre. Je trouve que les compressions ont été très regrettables. Ce sont des domaines qui ont une grande importance sociale et je vous exhorte certainement à faire des recommandations à cet égard.
• 1630
En fait, le gouvernement fédéral dépense de l'argent pour
l'aide juridique. Je pense qu'il le fait par l'entremise des
provinces. Comme dans d'autres domaines, notamment la santé, où il
y a des stipulations, je pense qu'il convient d'établir des
paramètres dans ce domaine également.
Je pense que le personnel des tribunaux et même, dans certains cas, les techniciens parajuridiques ont un rôle à jouer. Il existe peut-être des modèles moins coûteux que les modèles actuels pour dispenser les services juridiques.
C'est un énorme problème. Et puis, dans certains cas, je trouve que l'on fait des économies de bout de chandelle. Quand on dit aux juges qu'il y a des parties dans des litiges de droit familial qui ne sont pas représentées, ils rétorquent: «Très bien. Nous venons d'économiser les honoraires des avocats de l'aide juridique.» Nous nous retrouvons donc avec des gens qui plaident leur propre cause, qui ne comprennent pas la procédure et qui prennent énormément de temps, sans que ce ne soit la faute à personne. En fait, c'est plus coûteux que de charger des avocats de les représenter. Comme dans d'autres domaines, je crois que les compressions effectuées dans le régime de la sécurité sociale ont en fait eu pour conséquence d'accroître les coûts, de façon très regrettable.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Madame Finestone.
L'honorable Sheila Finestone (Mont-Royal, Lib.): Merci beaucoup et merci pour tous les documents que vous nous avez remis. Je dois dire que c'est long à lire, mais que c'est très intéressant.
Je voudrais poursuivre dans la ligne de la question posée par ma collègue d'Ahuntsic, Eleni Bakopanos, mais en changeant d'optique, si j'ose dire. Vous avez mentionné l'éducation. J'ai remarqué qu'à plusieurs reprises, dans vos documents, vous signalez de vives préoccupations au sujet de la définition de l'expression «l'intérêt de l'enfant». Je partage ces préoccupations.
Deuxièmement, si la définition était claire et si les paramètres étaient élargis de manière à inclure le fait qu'il y a souvent de la violence dans ces familles, qu'elle soit de nature physique ou sexuelle, facteur qui est d'importance primordiale pour assurer le mieux-être de l'enfant, on aurait alors de meilleurs paramètres qui permettraient aux familles d'élaborer elles-mêmes un plan ou aux avocats de travailler à un plan de médiation.
J'ai des préoccupations quant à la façon et au moment où la question de la violence familiale entre en jeu et quant à la possibilité d'avoir accès aux renseignements à ce sujet. Les dossiers de la police et autres ne consignent pas toujours les incidents de violence conjugale et, comme nous le savons tous, les enfants sont directement touchés. Et puis, il y a un effet cyclique, car les enfants sont marqués et cela influence la façon dont ils traitent, une fois devenus adultes, leurs propres relations interpersonnelles. Je trouve que c'est une question très grave qu'il faut prendre en considération.
Premièrement, comme vous n'êtes pas satisfait de la formule adoptée pour définir l'intérêt de l'enfant, je me demandais si vous aviez réfléchi à une nouvelle formulation et, dans l'affirmative, si vous pourriez nous en faire part.
Deuxièmement, je me demandais si vous aviez tenu compte de toute la question de la violence faite aux femmes et de l'effet de la violence sur les enfants.
Troisièmement, vous parlez de violence conjugale. Comme nous le savons, la violence conjugale existe de part et d'autre. Les femmes sont beaucoup moins fréquemment que les hommes les auteurs de ces actes de violence. Donc, quand on parle de violence conjugale, cela pourrait avoir une connotation plus large, selon la nature de la famille.
En écrivant les documents que vous nous avez remis, avez-vous tenu compte du fait qu'il existe de nos jours des familles d'un genre tout à fait nouveau, que ce soit deux femmes qui cohabitent ou deux hommes qui cohabitent avec des enfants, que ce soit un deuxième mariage, ou encore un amant ou une amante qui remplace le conjoint. Si vous aviez eu à l'esprit tous ces facteurs au moment où vous avez fait l'étude australienne, qui est très antérieure à celle-ci, y auriez-vous changé quoi que ce soit?
M. Nicholas Bala: Je dois dire que dans le premier document que j'ai écrit, celui qui est intitulé Repenser les décisions concernant les enfants et auquel un certain nombre d'entre vous se sont reportés, on fait explicitement mention, surtout dans le texte intégral du rapport, des questions de violence familiale, et c'est d'ailleurs mentionné dans le texte que je vous ai remis.
L'hon. Sheila Finestone: Oui, au chapitre sept.
M. Nicholas Bala: Le document le plus récent que je vous ai remis traite de la violence familiale de façon beaucoup plus détaillée.
Je critique le critère de l'intérêt de l'enfant en ce sens qu'il faut en reconnaître les limites. De plus, je ne préconise pas que vous le mettiez de côté. Dans certains pays, au lieu d'appeler ça l'intérêt de l'enfant, on applique plutôt certains critères et l'on parle du mieux-être de l'enfant ou quelque chose du genre, en utilisant une formule qui continue d'être vague.
Je trouve que c'est bien d'aspirer à servir l'intérêt supérieur de l'enfant, et qu'il ne viendrait jamais à l'idée de qui que ce soit de soutenir le contraire, c'est-à-dire se ficher complètement de l'enfant. Nous sommes donc probablement pris avec cette formulation générale et je crois qu'elle peut être utile sur le plan symbolique.
Mais il faut aller plus loin et énoncer explicitement certains critères pour l'application concrète de ce principe, et en particulier pour tenir compte de la violence familiale. Car les conjoints qui infligent des mauvais traitements, en plus d'infliger des sévices, menacent souvent de recourir aux tribunaux pour obtenir la garde; ils disent à leur conjoint: «Si tu pars, j'aurai la garde des enfants.»
Si l'affaire aboutit devant les tribunaux et qu'il soit prouvé que ce conjoint est coupable de violence, il n'aura peut-être pas la garde, mais ce parent a affaire à quelqu'un qui est déjà sous son emprise et qui ne connaît peut-être pas la loi, ou bien qui a examiné la loi et n'y a rien vu du tout. Il est donc important d'énoncer dans la loi l'importance de la violence familiale dans les cas de ce genre.
Dans le cadre fédéral, vous êtes probablement limités aux cas de divorce. Il n'y a aucun doute qu'il y a aussi des problèmes de violence familiale dans les couples du même sexe et, dans ce document, je vous en donne quelques exemples. Il y a eu moins de recherches à ce sujet.
Je pense que vous avez raison de dire qu'il y a des relations où c'est la femme qui est le principal auteur des actes de violence physique. Mais je soutiens que ces cas sont assurément peu nombreux et que les mauvais traitements infligés à des femmes par des hommes sont beaucoup plus répandus et représentent un problème plus grave.
Je m'empresse toutefois d'ajouter que si un homme dit que peut-être la plupart des femmes en sont coupables... Il y a certainement des cas documentés d'hommes qui sont victimes de mauvais traitements infligés par leur femme, laquelle a le dessus parce qu'elle est la plus forte physiquement ou affectivement. Il y a des cas de femmes qui ont poignardé des hommes ou ont fait feu sur eux sans aucune provocation, et ces hommes méritent d'être protégés. Il est certain que les recommandations que je fais sont tout à fait et délibérément neutres sur le plan sexuel, mais elles doivent aussi être perçues dans un contexte de différenciation sexuelle.
L'hon. Sheila Finestone: Excusez-moi. C'était une question. Dans votre définition de violence «conjugale», percevez-vous cela comme étant neutre sur le plan sexuel—oui ou non?
M. Nicholas Bala: Les définitions sont délibérément neutres, mais elles s'inscrivent également dans un contexte où il y a des incidences différenciées en termes sexuels.
L'hon. Sheila Finestone: En effet.
M. Nicholas Bala: Je suppose que je pourrais dire au sujet de l'ensemble du droit de la famille, et cela nous ramène aussi à la question sur les groupes de pression, qu'historiquement, au Canada, nous avons toujours eu des lois dans lesquelles on faisait des distinctions selon le sexe. Par exemple, la loi disait explicitement qu'une femme ne pouvait pas obtenir un divorce à cause de l'adultère de son mari, mais que c'était possible pour un homme. Il y avait explicitement deux poids deux mesures.
Aujourd'hui, nous avons à juste titre adopté une législation qui ne fait aucune discrimination entre les hommes et les femmes. Il y est question de conjoints et de parents, non pas de pères et de mères. Cela dit, presque toutes les lois qui traitent de la famille ont un effet différencié selon le sexe. Par conséquent, quoique vous proposiez, que ce soient des «groupes de pères» ou des «groupes de mères»—et je mets ces expressions entre guillemets—des gens viendront vous dire: «Nous n'aimons pas cette loi parce qu'elle a un effet différencié selon le sexe.» Dans ce domaine, aucune loi ne peut être entièrement neutre.
L'hon. Sheila Finestone: Professeur Bala, laissez-moi vous dire...
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Madame Finestone...
L'hon. Sheila Finestone: Je veux seulement faire une observation.
Une voix:
[Note de la rédaction: Inaudible]
L'hon. Sheila Finestone: Monsieur Bala, je veux que vous sachiez que l'analyse selon le sexe et l'évaluation selon le sexe sont absolument fondamentales dans toute loi, y compris dans ce domaine du droit. Notre gouvernement a adopté cette méthode et je crois que c'est essentiel.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci, madame Finestone. M. Lowther a une brève question.
M. Eric Lowther (Calgary-Centre, Réf.): Je reviens à l'une des questions que l'on a posées tout à l'heure au sujet de la terminologie. Je remarque que dans votre rapport, vous faites des suggestions à ce sujet. On dit que peut-être la garde et l'accès ne sont pas des expressions judicieuses. Que proposez-vous d'autre? Je vois aussi «plan parental» et «premier dispensateur de soins». En avez-vous d'autres?
M. Nicholas Bala: Dans le rapport, nous mentionnons, et en fait, on peut commencer à examiner... Je pense qu'il serait très utile d'étudier le modèle de l'État de Washington. En Angleterre aussi, on emploie un langage différent et l'on évite les mots «garde» et «accès».
• 1640
Le problème du mot «garde», c'est bien sûr qu'il évoque
habituellement un contexte carcéral. Il laisse aussi entendre que
l'un des parents, celui qui a la garde, est entièrement responsable
de l'enfant, tandis que l'autre y a seulement accès. En tant que
citoyen, j'ai le droit d'accès à cet immeuble-ci. Il y a bien des
policiers à la porte qui s'efforcent de protéger les gens, etc.,
mais cela évoque quelque chose de très limité. Je crois donc que si
vous vous orientez dans cette direction, le rapport suggère...
Soit dit en passant, le «plan parental» n'est pas seulement un élément terminologique, c'est une idée selon laquelle les parents devraient être tenus d'élaborer—ou à tout le moins encouragés à le faire—un plan qui ne se contente pas d'indiquer que telle personne a la garde de l'enfant et telle autre y a accès, mais un plan dans lequel on s'efforce d'énoncer ce que nous faisons ensemble pour prendre soin de cet enfant. C'est une responsabilité conjointe. Étant donné que nous vivons séparément l'un de l'autre, qu'allons-nous faire pour l'école, les soins de santé, les loisirs? Il y a toute une foule d'éléments à considérer.
En fait, dans les pays où cela existe, et cela nous ramène à la question de l'absence de représentation, on a rédigé des documents écrits à l'intention des parents; on leur dit, si vous n'avez pas d'avocat, ou avant de consulter un avocat, lisez ceci. On y présente des modèles ou des précédents et l'on invite les parents à élaborer leurs plans en remplissant un texte à trous.
On dit aux parents: nous voulons que vous fassiez dès aujourd'hui un plan pour vos enfants, en reconnaissant que ce plan n'est pas établi une fois pour toutes, que c'est un plan que vous devrez réexaminer une fois par année ou plus souvent, à mesure que les enfants grandissent. De la même manière, les parents qui forment un ménage font à l'occasion une pause pour réfléchir, le plus souvent sans cérémonie, et disent voilà, nous devons planifier l'avenir de nos enfants. Dans la situation ordinaire de séparation parentale, il faut essayer de faire participer les deux parents aux prises de décisions concernant les enfants. Plus important encore que la simple prise de décisions, il faut que les deux soient psychologiquement partie prenante dans la vie de leurs enfants et ce, sur une base permanente.
L'un des problèmes à cet égard est que, légalement, nous voulons que les gens décident une fois pour toutes, mais la réalité est que dans leur vie quotidienne, le processus se poursuit indéfiniment. Nous voulons dire aux gens, vous allez recourir aux tribunaux tout au plus une fois, du moins c'est ce qu'il faut espérer.
Disons que dans un plan parental, les parents eux-mêmes affirment qu'ils ont établi ce plan et qu'ils vont le réexaminer l'année suivante et qu'ils ont prévu un mécanisme de règlement des différends, tout comme on le fait dans une convention collective. Ce serait un modèle utile.
M. Eric Lowther: Mais ma question, monsieur Bala, portait sur la terminologie, sur les mots «garde» et «accès» et sur les solutions de rechange que vous proposez.
Vous m'avez donné une bonne description d'un plan parental; je ne l'avais pas vraiment demandée. Je me demandais seulement s'il existe à votre connaissance une autre terminologie qui soit peut-être plus utile pour résoudre les différends.
M. Nicholas Bala: Je pense qu'assurément, la «résidence principale» est préférable à la «garde». Cette expression, prise dans le contexte d'un plan parental, indique que l'on fait des arrangements pour les activités parentales en disant que la résidence de l'un des parents est la résidence principale de l'enfant. Maintenant, quels seront les arrangements pour mettre en cause l'autre parent? Il faut préciser cela de façon plus détaillée: quels seront les arrangements en matière de scolarité, de soins de santé et de loisirs pour l'enfant?
Tous ces détails doivent figurer dans un plan parental. En fait, dans beaucoup de pays, la loi traite spécifiquement de tout cela. Je vous invite par exemple à examiner le modèle de l'État de Washington.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci. Madame Bennett.
Mme Carolyn Bennett (St. Paul's, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Je suppose que ma première question est celle-ci: pouvons-nous nous débarrasser du mot «garde» dans la loi? Est-ce-possible. Peut-on vraiment l'exclure et le remplacer par les plans parentaux? Serait-ce une solution aux éternelles luttes de pouvoir qui semblent toujours surgir dès que les gens craignent d'être perdants dans une situation ou de perdre la face devant leurs enfants?
M. Nicholas Bala: Je crois que vous avez cerné en grande partie les raisons pour lesquelles je préconise l'adoption de ce modèle. Je ne veux pas vous induire en erreur et affirmer que c'est une solution. Non, cela fait partie d'une solution. C'est une bien meilleure orientation que celle que nous avons actuellement.
On empêchera ainsi qu'il y ait des gagnants et des perdants, ce qui ne convient pas et qui n'est pas la perception que les enfants veulent avoir de tout cela. En fait, si vous en discutez avec des parents qui ont vécu une séparation raisonnable, et c'est le cas de beaucoup de gens dans notre pays... Nous avons tendance, et c'est compréhensible, à focaliser sur les gens qui aboutissent devant les tribunaux, mais la plupart des parents établissent eux-mêmes leurs propres arrangements. Ils s'arrangent entre eux ou encore avec l'aide d'un conseiller religieux, d'un ami de la famille, d'un psychologue, d'un médiateur ou de quelqu'un d'autre. Dans notre pays, les parents tranchent beaucoup plus de cas que les juges et, s'il n'en était pas fait mention dans le régime juridique, ils ne penseraient même pas en termes de garde et d'accès. Nous devons encourager les gens à prendre leurs propres arrangements.
Mme Carolyn Bennett: Aujourd'hui, nous mettons l'accent sur la violence conjugale et j'incline à croire que c'est ce groupe qui constitue les cas les plus litigieux, car c'est dans ces couples qu'il y a depuis le début des luttes de pouvoir. Ce ne sont pas les 80 p. 100 qui ont tendance à régler leurs différends eux-mêmes, d'après diverses statistiques qu'on nous a présentées.
Il faut toutefois définir ces écarts de pouvoir aberrants, car certains couples aboutissent dans cette situation sans même qu'il y ait eu violence. Parfois, lorsqu'il y a des actes de violence comme tels, c'est plus facile, parce que les tribunaux s'en occupent et qu'un juge peut envoyer le père ou le conjoint violent en counselling.
Dans le document, il n'est pas beaucoup question des accusations criminelles qui sont portées ou non, on ne dit pas si c'est utile ou si c'est toujours mauvais. Je lis par contre que l'on espère que la loi exigera des auteurs d'actes de violence qu'ils suivent des séances de counselling. Chose certaine, d'après mon expérience, cela les aide très souvent et ils en sont les premiers surpris. Les gens les moins susceptibles de s'inscrire à des séances de counselling, une fois qu'on les met dans un groupe de gens qui sont dans une situation semblable, commencent vraiment à s'ouvrir.
Et puis, il y a le problème intergénérations que vous avez signalé. Si l'on prend les gens qui ont tous un lien affectif fragile avec leur mère ou qui ont été abandonnés par leur père ou qui vivent eux-mêmes dans une situation de violence familiale, ils commencent à aborder franchement leur problème et à s'interroger sur la raison pour laquelle ils n'ont pas réussi à établir des relations intimes satisfaisantes, ou même n'ont pas réussi à en établir du tout.
Pouvons-nous, en rédigeant une loi, veiller à ce que tout cela se fasse et comment pouvons-nous nous y prendre?
M. Nicholas Bala: Eh bien, vous avez soulevé beaucoup de questions, madame Bennett. Certes, je propose de changer la terminologie, et cela ne veut pas dire que dans une situation de... Je ne crois pas qu'il soit inopportun, même dans une situation de violence conjugale, de dire que l'enfant résidera principalement avec la mère, et même de dire que dans tel cas particulier, il n'y aura aucun contact entre le père et l'enfant. C'est le cas extrême, mais il y a des cas où cela s'impose clairement. Cela ne veut pas dire qu'il faut continuer d'utiliser des mots comme «garde» et «accès».
Vous avez raison de dire qu'il y a toute une gamme de mauvais traitements et c'est pourquoi nous insistons dans le rapport sur le fait que la violence conjugale n'est pas un phénomène cristallisé; il y a toute une gamme de situations qui appellent toute une gamme de solutions. La formation des professionnels, y compris des médecins, est un élément important dans tout cela.
Compte tenu que c'est un problème, tous les médecins—ma femme enseigne la médecine et je crois qu'elle est en faveur de cela—tous les médecins devraient poser à tous leurs patients la question suivante: «Êtes-vous victime de mauvais traitements?» Tous les avocats qui s'occupent d'un divorce devraient assurément aborder la question. Je le dis à mes étudiants; les avocats ne le font pas tous. Le fait de le reconnaître dans la loi est un élément important de la solution.
Je vous exhorte à ne pas vous imaginer qu'il existe une solution unique à l'un ou l'autre de ces problèmes. Tout est lié dans tout cela: les écoles, les soins de santé, la police et les juges. Quand nous formons les gens, ce n'est pas simplement une intervention ponctuelle. Il faudra continuer de faire de la formation, parce que de nouveaux professionnels entreront dans la carrière et que nous en apprendrons davantage.
Mme Carolyn Bennett: Mais au gouvernement... Il semble que des accusations criminelles soient très rarement portées, compte tenu que la violence est tellement répandue, et quand des accusations sont portées, cela fait clairement comprendre qu'il y a quelque chose qui ne va pas et la personne visée est alors plus susceptible d'aller demander de l'aide. À votre avis, faisons-nous preuve de trop peu de fermeté en ne portant pas plus souvent d'accusations au criminel?
M. Nicholas Bala: Eh bien, en toute justice pour ceux qui travaillent dans le système de justice pénale, je dirais que dans ce scénario, nous avons vu beaucoup de changements depuis une quinzaine d'années et même depuis cinq ans. À Toronto, par exemple, vous savez peut-être qu'il y a maintenant des tribunaux spéciaux chargés d'instruire les affaires de violence familiale, et les procureurs ont reçu une formation et disposent de ressources pour s'occuper plus efficacement de ces cas.
Il y a certainement des problèmes. Certains juges ne prennent pas ces affaires suffisamment au sérieux. Un problème plus grave est qu'il y a des gens contre qui aucune accusation n'est jamais portée. Personnellement, je ne suis pas en faveur d'un modèle où des accusations au criminel seraient portées pour chaque agression, peu en importent la nature et l'auteur. Ce n'est ni réaliste ni approprié.
La victime doit avoir un rôle à jouer dans tout cela. Il y a des femmes qui disent: «Mon mari m'a frappée une fois. Cela m'a bouleversée. Je ne veux pas qu'il soit jugé au criminel pour cette unique agression, car je sais quelles en seront les conséquences pour moi, de divers points de vue—économiquement, psychologiquement ou vis-à-vis de la collectivité—et je préfère ne pas m'engager dans cette voie.»
Je me sens mal à l'aise quand j'entends des gens dire, par exemple, qu'un médecin qui découvre une situation de violence conjugale doit le signaler à la police, que l'homme en question doit être accusé, peu importe ce que dit la victime. Je ne suis pas en faveur de cela pour les cas de violence conjugale; par contre, je pense que cela convient pour les mauvais traitements infligés aux enfants.
Le système de justice pénale a-t-il un rôle à jouer? Absolument. Est-ce la seule et unique solution? Non. Quand on commence à parler de counselling obligatoire, par exemple, c'est peut-être très utile, mais la recherche démontre que c'est loin d'être efficace à 100 p. 100.
La question qu'on me pose toujours est celle-ci: cela réduit-il ou élimine-t-il la récidive? Si vous demandez ce que nous pourrions faire pour éliminer ce problème, eh bien cela ne va pas l'éliminer, ne vous faites pas d'illusions à ce sujet; nous n'y parviendrons pas. Ce qu'il faut, c'est chercher des méthodes avantageuses sur le plan coût-efficacité, qui permettront d'apporter des améliorations.
Mme Carolyn Bennett: Professeur Bala, je n'ai qu'une chose à ajouter. Il semble y avoir tout un débat au sujet du type de counselling que ces hommes reçoivent. À elle seule, la gestion de la colère ne donne pas de bons résultats, et c'est pourtant ce qui se fait pour l'essentiel en matière de recherche: on envoie ces gens-là suivre des cours de gestion de la colère et l'on ne s'attaque pas aux problèmes sous-jacents. On ne peut pas rejeter complètement la recherche simplement parce que ces personnes ont peut-être été aiguillées vers du mauvais counselling. Ou peut-être que c'est ce qu'il faut faire, qui sait?
M. Nicholas Bala: Je conviens qu'il y a toute une gamme de programmes et que certains sont indéniablement plus efficaces que d'autres. C'est pourquoi, soit dit en passant, la recherche est un élément important dans tout cela.
Mais je vous invite à la prudence: n'allez pas adopter une loi disant qu'aujourd'hui, à Ottawa, nous avons découvert le counselling idéal et que tout le monde dans l'ensemble du pays devra être aiguillé vers cela et seulement cela. Dans ce domaine, je vous encourage à vous orienter vers toute une gamme de modèles et de recherches. Ce que vous pouvez et devriez faire, c'est dire aux juges qu'ils peuvent exiger l'adoption de telle ou telle mesure, que le gouvernement la financera et qu'il y aura une supervision professionnelle compétente, et si l'on constate que certains programmes sont plus efficaces que d'autres, on les multipliera et l'on mettra fin à ceux qui donnent de moins bons résultats.
Mme Carolyn Bennett: Merci beaucoup.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci.
On semble avoir énormément de questions à poser aujourd'hui. Sénatrice DeWare.
La sénatrice Mabel M. DeWare (Moncton, PC): Merci.
Professeur Bala, vous avez dit dans votre exposé que le Québec est un modèle pour le reste du pays en matière de médiation. Pouvez-vous faire une comparaison avec l'Alberta? Nous nous sommes laissés dire qu'ils ont là-bas un assez bon programme de médiation.
M. Nicholas Bala: Je ne veux pas dresser les provinces l'une contre l'autre et je ne veux pas non plus me faire expert en la matière, quoique je sois pas mal au courant de ce qui se passe en Alberta.
Ce qui fait la valeur relative du modèle du Québec, qui mérite qu'on s'y attarde, c'est qu'il y a dans cette province un programme généralisé dans toute la province, un degré élevé de soutien gouvernemental, et l'accréditation des médiateurs. En fait, en Alberta, surtout à Edmonton et, dans une moindre mesure à Calgary aussi, on a accès à la médiation et l'on fait des efforts en ce sens dans les tribunaux. Edmonton, par exemple, est l'un des endroits où l'on fait le plus de formation parentale et ce devrait également être un modèle dont on peut s'inspirer.
L'une des difficultés à laquelle vous allez vous heurter, c'est de savoir jusqu'où vous voulez aller dans votre rapport pour ce qui est des compétences provinciales. Chose certaine, je vous exhorte à être judicieux, mais aussi à aborder certaines questions provinciales, tout en reconnaissant que la décision ultime appartient aux provinces.
La sénatrice Mabel DeWare: Et nous pourrions nous inspirer de certains de leurs programmes.
M. Nicholas Bala: Oui. Je crois comprendre que vous allez tenir des audiences d'un bout à l'autre du pays.
La sénatrice Mabel DeWare: Oui.
M. Nicholas Bala: Je suis certain que vous entendrez des gens qui font les choses différemment.
Je répète que les lignes directrices en matière de soutien de l'enfant sont probablement un bon exemple. Le Québec a un modèle très différent pour l'application des directives en matière de pension alimentaire. À certains égards, sur le plan des principes, si je devais rédiger la loi, je trouverais que son modèle mérite qu'on s'y attarde.
• 1655
À titre de chercheur dans ce domaine, j'aime bien le fait que
nous sommes en présence d'une expérience menée en grandeur réelle.
Le Québec fait les choses d'une façon et l'Alberta, d'une autre.
Prenons du recul et, après deux ou trois ans, voyons quel modèle
est le plus efficace pour quel genre de cas. Au point où nous en
sommes dans notre pays, nous ne sommes pas tenus de tout faire de
façon identique, dans certains dossiers. Peut-être que nous ne
ferons jamais la même chose, mais nous pouvons apprendre au contact
l'un de l'autre. Ce qui serait malheureux, ce serait de dire,
voilà, le Québec fait comme ci ou comme ça, mais nous nous en
fichons et nous voulons faire autrement. Étudions ce qu'il fait,
essayons de voir quels sont ses points forts et, dans un modèle
fédéral, laissons les autres provinces appliquer les leçons ainsi
apprises.
La sénatrice Mabel DeWare: Car nous, dans les familles modèles, n'élevons pas tous nos enfants de la même manière non plus.
Je voudrais poser une autre question. Au début, vous avez dit que l'on manquait d'information au sujet de la garde et de l'accès. Ensuite, vous avez dit que vous ne connaissiez même pas le pourcentage des cas où la garde était accordée à la mère ou au père. Pourtant, vous nous avez donné par la suite des chiffres, quand vous parliez de 2 p. 100, 5 p. 100 ou 1 p. 100 des cas. D'où tenez-vous ces chiffres? Est-ce documenté quelque part?
M. Nicholas Bala: Au sujet des chiffres que je vous ai donnés et que je donne dans le rapport, il y a des renseignements dans le registre des divorces quant au nombre de cas où c'est le père qui obtient la garde, ou bien la mère, ou bien où il y a garde partagée. Les chiffres sont d'à peu près 75 p. 100 pour la mère; 15 p. 100 pour la garde partagée et 10 p. 100 pour le père.
Mais cela ne nous apprend rien au sujet des cas qui sont contestés. Donc, si vous posez la question, on peut soutenir, et ce n'est pas moi qui le dit, que les juges ont un préjugé contre les pères, que les mères obtiennent très souvent et même la plupart du temps la garde lorsque l'affaire est tranchée par un juge. En réalité, si l'on se demande quels sont les pourcentages de cas qui sont tranchés par les tribunaux où la garde est accordée au père, à la mère, ou aux deux, nous n'en savons rien; nous ne savons pas dans quelle proportion les juges tranchent. Nous en avons une certaine idée, en lisant les décisions judiciaires qui sont publiées, mais celles-ci ne constituent qu'une fraction de toutes les affaires qui sont tranchées par les tribunaux. Les statistiques du registre des divorces comprennent toutes les affaires qui sont réglées à l'amiable, plus celles qui font l'objet d'un litige, sans aucune distinction entre les deux. Donc, nous n'en savons rien.
C'est un exemple d'un domaine où il serait certainement utile d'avoir plus de recherches. Avant de dire que les juges ont un préjugé contre les hommes ou les femmes, il faudrait savoir de quoi l'on parle. Nous ne savons même pas ce que font les juges.
La sénatrice Mabel DeWare: Donc, vous dites que les cas où les parents se voient refuser l'accès ou ont de la difficulté à l'obtenir représentent de 2 à 5 p. 100 des cas. Ce chiffre est-il tiré de la même étude?
M. Nicholas Bala: Non, et en bon universitaire que j'espère être, j'ai une source pour chaque chiffre que j'ai donné. Si ma mémoire est fidèle, ce chiffre de 2 à 5 p. 100 est tiré d'une étude effectuée en Alberta par un nommé Perry et l'Institut canadien de recherche sur le droit et la famille. Je ne vais pas prendre votre temps de parole pour vous trouver la citation, mais je suis à votre disposition, après la séance, pour vous donner à vous ou à votre personnel de recherche la citation de l'étude particulière qui traitait de cela.
J'ai dit de 2 à 5 p. 100; c'était pour l'Alberta. On pourrait me demander ce qu'il en est en Saskatchewan, ou encore en Ontario. La réponse est que nous n'en savons rien, mais les ouvrages publiés pour d'autres ressorts indiquent que le pourcentage est faible. Dans aucune compétence, on ne trouve un chiffre de l'ordre de 50 p. 100.
La sénatrice Mabel DeWare: Non. Merci beaucoup.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): La sénatrice DeWare n'a pas utilisé tout son temps. Je vais donc accorder l'avant-dernière question au sénateur Jessiman, suivi de la sénatrice Pearson pour une brève question.
Le sénateur Duncan Jessiman: Au sujet de la différenciation sexuelle, il existe des endroits où la loi stipule qu'il ne doit pas y avoir de discrimination selon le sexe quand il s'agit de décider qui obtient... Êtes-vous au courant de cela?
M. Nicholas Bala: Eh bien, il y en a deux ou trois exemples. En fait, la Loi portant réforme du droit de l'enfance de l'Ontario prévoit que les parents ont des droits égaux. Et même, il est dit assez clairement dans la Loi sur le divorce qu'il n'y a aucune préférence légiférée.
Certains juges au Canada continuent de dire qu'il existe ce qu'ils appellent une présomption en faveur des enfants en bas âge, c'est-à-dire que l'enfant en bas âge devrait être avec la mère, cet âge étant par exemple fixé à sept ans et moins. Personnellement, je ne souscris pas à cela. Je trouve que ce n'est pas une norme appropriée.
Ce n'est pas la même chose que de dire que pour un jeune enfant, s'il y a un premier dispensateur de soins... et dans beaucoup de familles, il n'y en a pas; les deux parents sont à égalité. Mais dans beaucoup de familles, si on lit la jurisprudence, par exemple, on pourra trouver le cas d'un homme qui est, disons, médecin et qui dira, eh bien, peut-être que ma femme était à la maison et s'occupait des enfants, mais moi, je peux me permettre d'embaucher un avocat et je vais m'adresser aux tribunaux et je crois que c'est moi le meilleur parent, même si elle a consacré 90 p. 100 de son temps aux enfants, tandis que moi je ne suis là qu'en soirée.
• 1700
Et moi je fais valoir ceci: disons clairement, en ayant à
l'esprit les cas de ce genre, que peu importe qui est le premier
dispensateur de soins, la présomption est que cette personne
obtiendra la garde ou que sa résidence sera la résidence principale
de l'enfant, afin que ces gens-là ne se fassent pas traîner devant
les tribunaux simplement parce que le premier dispensateur de soins
se trouve à être la personne qui ne peut pas se permettre d'aller
en litige. En effet, presque par définition, la personne qui fait
partie de la population active est celle qui dispose des revenus et
risque donc le plus vraisemblablement de s'adresser aux tribunaux.
Il serait très utile d'établir dans la loi une présomption en
faveur du premier dispensateur de soins, ce qui existe d'ailleurs
dans certains États.
Je tiens à dire que je reconnais que dans certaines familles, c'est le père qui est le premier dispensateur de soins. En fait, c'est plus répandu de nos jours, compte tenu des circonstances économiques et sociales. Ils sont bien sûr minoritaires, mais ces hommes méritent eux aussi cette protection.
Le sénateur Duncan Jessiman: Merci.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): C'est la sénatrice Pearson qui aura le dernier mot.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson (Ontario, Lib.)): Merci, monsieur Bala. Vous avez parlé avec éloquence du besoin de donner aux enfants l'occasion d'avoir leur mot à dire dans les décisions qui sont prises à leur sujet, autant les enfants plus âgés que les plus jeunes. J'aime bien l'approche que vous avez décrite.
J'ai une question sur la possibilité pour nous d'entendre de jeunes intervenants. Parce qu'il y a, comme vous le savez sûrement, une disposition de la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant, nommément l'article 12, qui stipule qu'un enfant a le droit d'être entendu dans toute décision qui est prise et qui influera sur sa vie. En l'occurrence, je ne parle pas de la décision proprement dite, mais plutôt des recommandations qui seront faites au sujet de la loi ou de décisions quelconques. Avez-vous des suggestions à nous faire quant au meilleur moyen de nous y prendre?
M. Nicholas Bala: Je crois qu'il serait très utile, même si vous entendrez essentiellement des adultes, d'entendre aussi des enfants. À ce sujet, j'aurais deux ou trois mises en garde à faire.
Premièrement, je ne crois pas que vous devriez les faire venir dans un cadre comme celui-ci...
La sénatrice Landon Pearson: Non.
M. Nicholas Bala: ... quoique vous pourriez notamment avoir des entretiens avec des adultes qui ont vécu des divorces quand ils étaient enfants. Comme je l'ai dit, la documentation mentionne des gens qui ont vécu un divorce dans leur enfance et qui s'en rappellent et en souffrent encore 20 ou 30 ans plus tard. Il est même possible que des membres de votre comité aient vécu cela. Vous ne les convoquerez pas comme témoins, mais il ne serait pas difficile de trouver des adultes qui ont vécu le divorce de leurs parents. C'est une chose.
Deuxièmement, quand on parle de s'enquérir des souhaits de l'enfant, dans le texte intégral du rapport, nous abordons cette question de façon très détaillée et nous disons qu'il faut être très prudent quant à la façon de s'y prendre. Dans les pires cas, quelqu'un se contente de dire—et les juges s'en rendent parfois coupables et je ne crois pas que ce soit approprié de dire une chose pareille à l'enfant—«dis-moi avec qui tu veux vivre». Cela met l'enfant dans une situation extraordinairement difficile. En fait, quand les parents le font—car ils le font parfois—d'habitude, l'enfant répond à chacun des parents «je veux vivre avec toi». Voilà la dynamique qui s'installe. Malheureusement, les deux parents se disent: «Je n'irais pas devant les tribunaux pour obtenir la garde, si ce n'était que mon enfant m'a dit cela», tandis que s'ils étaient plus sensibles, ils entendraient ce que l'enfant veut dire en réalité: «Je t'aime et je veux que nos relations se poursuivent. Je ne veux pas être placé dans cette situation».
Donc, on ne peut pas demander directement aux enfants... Écoutez, je suis tout à fait en faveur d'écouter les enfants. Par exemple, dans le contexte criminel, je trouve que nous devrions faire des efforts pour faire témoigner des enfants devant les tribunaux, lorsqu'il y a lieu de le faire, ou bien les tenir éloignés du tribunal, mais s'arranger pour présenter leur témoignage à la cour.
Je ne pense pas qu'il convienne de demander à un enfant de sept ans de récrire le Code criminel. Vous devez faire attention aux questions que vous posez et à la façon dont vous les posez. Si votre budget vous le permet, je vous suggère d'embaucher un attaché de recherche, un psychologue... il y a beaucoup de groupes. Dans beaucoup d'écoles au Canada, il y a des groupes qui s'adressent aux enfants qui ont vécu un divorce. Les parents consentiraient-ils à ce que l'on enregistre sur vidéo la session où on interrogerait les enfants non pas seulement sur leur expérience personnelle, mais sur les améliorations qu'ils aimeraient voir apporter au système de justice?
Posez simplement à l'enfant la question: «Comment aurait-on pu améliorer ta situation?» Demandez simplement à des groupes d'enfants ce qu'ils ont à dire là-dessus. Ensuite, vous pouvez regarder la bande vidéo à loisir, en protégeant leur identité. Vous pouvez obtenir le consentement des parents, ou peut-être que vous pourriez seulement écouter une bande audio. Mais, chose certaine, il ne faut pas que ces enfants passent à la télévision nationale.
Une voix: Non, vous avez bien raison.
M. Nicholas Bala: Il y a des façons de s'y prendre en garantissant la confidentialité. Je trouve qu'il est très important d'avoir cette perspective. C'est important d'entendre non seulement les parents, mais aussi les enfants.
J'ai dit tout à l'heure qu'il y a toujours deux versions de chaque histoire: en fait, il y en a plus que deux. En réalité, dans les affaires de ce genre, il y a au moins trois versions, en ce sens que les enfants ont une perception différente de celle de leurs parents. Il serait très utile d'entendre ce qu'ils ont à dire, mais je répète qu'il faut le faire de manière à éviter non seulement de mettre les enfants dans l'embarras, mais aussi de compromettre leur relation avec leurs parents.
• 1705
L'un des problèmes... Même si, dans un différend quant à la
garde, on décide de demander à un psychologue d'interviewer les
enfants et de faire une recommandation au juge, si les parents
lisent après coup ce que l'enfant a dit à leur sujet, il faut
également faire preuve de la plus grande sensibilité à cet égard.
De même, pour obtenir le point de vue des enfants, il faut faire
preuve de sensibilité et respecter le caractère confidentiel de
leurs propos.
La coprésidente (la sénatrice Landon Pearson): Merci. Cette réponse est utile.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Merci, professeur Bala. Je suis content que vous ayez témoigné devant nous cet après-midi. J'espère que vous vous rendez compte que vous passez cet après-midi à la télévision nationale. Et au nom de tous les membres du comité, je tiens à vous remercier d'être venu et de nous avoir permis de vivre cette séance fort enrichissante et instructive. Merci beaucoup.
M. Nicholas Bala: Merci.
Le coprésident (M. Roger Gallaway): Je demanderais à tous les membres du comité de rester quelques minutes; nous allons tenir une brève séance à huis clos.
[La séance se poursuit à huis clos]