Passer au contenu

AMAD Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
Passer à la navigation dans le document Passer au contenu du document






Emblème de la Chambre des communes

Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir


NUMÉRO 009 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 26 mai 2022

[Enregistrement électronique]

  (1400)  

[Traduction]

     Il est 14 heures. Puisque nous avons le quorum et que les témoins sont prêts, je déclare la séance ouverte.
    Madame la greffière, y a‑t‑il quelqu'un dans la salle, soit un témoin ou un membre du Comité? Je ne vois pas la salle.
    Il n'y a personne, monsieur le président.
    Très bien. Merci.

[Français]

     Bonjour et bienvenue à la neuvième réunion du Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir.
    Je souhaite la bienvenue aux membres du Comité, aux témoins et aux personnes, parmi la population, qui suivent la réunion sur le Web.
    Je m'appelle Marc Garneau et je suis coprésident de ce comité. Je suis accompagné de l'honorable Yonah Martin, sénatrice et coprésidente du Comité.
    Nous continuons aujourd'hui l'examen prévu par la loi des dispositions du Code criminel concernant l’aide médicale à mourir et leur application.

[Traduction]

     Le Bureau de régie interne exige que le Comité respecte les protocoles sanitaires. Je ne vais pas les énumérer, car vous les connaissez maintenant. Ils sont en vigueur jusqu'à la fin de la session, soit jusqu'à la fin du mois de juin.
    Avant de commencer, je vais vous donner quelques renseignements d'ordre administratif. Je rappelle aux membres du Comité et aux témoins qu'ils doivent mettre leur micro en sourdine, à moins que les coprésidents ne leur donnent la parole en les désignant par leur nom. Tous les propos doivent être adressés aux coprésidents. Lorsque vous avez la parole, veuillez vous exprimer lentement et clairement. Les services d'interprétation offerts pour cette vidéoconférence sont les mêmes que ceux offerts pour une réunion en personne. Vous avez le choix, au bas de l'écran, entre le parquet, l'anglais et le français.
    Cela dit, j'aimerais souhaiter la bienvenue à notre premier groupe de témoins. Pour discuter de la question de savoir si les personnes atteintes de maladie mentale devraient pouvoir accéder à l'aide médicale à mourir au Canada, nous recevons M. John Maher, de l'Ontario Association for ACT & FACT. Nous recevons également deux personnes qui témoignent à titre personnel: Mme Georgia Vrakas et la Dre Ellen Wiebe.
    Je vous remercie de votre présence. Nous allons commencer de la manière habituelle. Vous disposerez de cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire. Je vous demanderais de vous en tenir à ces cinq minutes, afin que nous puissions vous poser le plus grand nombre de questions possible.
    Nous entendrons tout d'abord M. Maher. Vous disposez de cinq minutes.
     Merci beaucoup. Je vous remercie de m'avoir invité.
    L'Association canadienne pour la santé mentale, l'ACSM, l'Association canadienne pour la prévention du suicide et ma propre organisation, l'Ontario Association for ACT & FACT, ou l'OAAF, qui est la plus grande association professionnelle de soins tertiaires en santé mentale offerts dans la collectivité au Canada, pour n'en citer que quelques-unes, ont toutes dénoncé le projet de loi C‑7. Quiconque affirme qu'un consensus émerge est très mal informé, voire pire.
    La commission parlementaire du Québec a tenu compte des faits. J'espère que vous ferez de même, car ce qui se passe est tragique.
     Je suis psychiatre, et je suis un éthicien médical. Depuis 20 ans, je ne travaille qu'auprès d'adultes atteints des formes les plus graves et les plus persistantes de maladie mentale, dans des maisons de chambres infestées de cafards et de punaises et dans la rue, où notre société riche les oblige à vivre dans la pauvreté, nos fils et nos filles étant traités comme des exclus.
     Les défenseurs de l'aide médicale à mourir affirment que tout le monde doit pouvoir accéder à l'aide médicale à mourir, indépendamment de la pauvreté écrasante, du manque d'accessibilité choquante aux traitements, des temps d'attente prolongés de plusieurs années ou du fait que des gens sont atteints d'une maladie du cerveau et qu'on ne peut pas prédire si leur maladie est irrémédiable. Leur cheval de bataille, c'est l'autonomie à tout prix, mais elle causera inévitablement la mort de personnes dont l'état s'améliorerait. Quel nombre de conjectures erronées est acceptable pour vous?
    La mort n'est pas un substitut acceptable à de bons traitements, à la nourriture, au logement et à la compassion. Vous qui avez voté pour cette loi n'avez pas compris que des gens sont vulnérables et ce que cela signifie que votre médecin vous offre la mort plutôt que la vie. Croyez-vous sérieusement que vous pouvez empêcher les 100 000 médecins et infirmières praticiennes du Canada qui ont maintenant un permis de tuer de commettre des abus? S'il vous plaît, lisez les nouvelles.
    Vous savez que le projet de loi C‑7 n'est pas conforme au principe énoncé par la Cour suprême dans l'arrêt Carter de préserver la vie. Cette décision soutient explicitement que les gens ne peuvent obtenir de l'aide pour mettre fin à leur vie que lorsqu'ils ne peuvent plus physiquement le faire eux-mêmes. S'il vous plaît, faites un renvoi à la Cour suprême si vous êtes si sûrs de la façon dont elle va statuer, car la justice et la préservation de la vie l'exigent.
    Mes collègues psychiatres sont choqués et incrédules. En 2021, l'Ontario Medical Association a réalisé un sondage dans lequel elle a posé des questions claires aux psychiatres de l'Ontario, après l'adoption du projet de loi C‑7. Il s'avère que 91 % d'entre eux s'opposaient à la Loi, 7 % étaient incertains et seulement 2 % appuyaient ce qui a découlé du projet de loi — seulement 2 %.
     Les psychiatres ne savent pas, et ne peuvent pas savoir, quel patient verra son état s'améliorer et vivra une bonne vie pendant des décennies. Les maladies du cerveau ne sont pas comme des maladies du foie. Si les conjectures vous conviennent, sachez qu'elles ne conviennent pas aux psychiatres qui comprennent les données scientifiques et s'acquittent de leur devoir de respecter une norme de soins professionnelle. Vous avez été systématiquement induits en erreur par une idéologie discriminatoire au détriment de la réalité clinique. Adopter une loi qui indique aux psychiatres de faire des prédictions impossibles ne rend pas la chose possible par magie.
     Certains de mes patients refusent maintenant de recevoir un traitement efficace pour pouvoir être admissibles à l'aide médicale à mourir. Ils ont été influencés par le mensonge selon lequel il ne s'agit pas d'un suicide. Le suicide est toujours défini cliniquement comme le fait de prendre des mesures pour organiser sa propre mort. L'Association canadienne pour la prévention du suicide a déclaré que dans tous les cas, lorsque des personnes atteintes de maladie mentale reçoivent l'aide médicale à mourir, il s'agit d'un suicide. L'affirmation franchement bizarre selon laquelle le suicide est toujours un acte impulsif et non planifié ne se fonde pas sur la réalité. Seulement 7 % des personnes qui font une tentative de suicide au Canada en meurent. Je vous le demande: que deviendra cette proportion? Elle sera probablement la plus forte dans le monde.
    Dans les quelques pays européens qui exigent au moins que la personne essaie les traitements standards avant qu'on procède à l'euthanasie, les taux de suicide ont augmenté de façon constante et importante au cours des deux dernières décennies, alors qu'il a diminué dans tous les autres pays autour. Le taux de suicide chez les femmes, en particulier, a beaucoup augmenté. L'affirmation fausse, que la Cour suprême a acceptée sans preuve, que l'aide médicale à mourir n'entraîne pas une augmentation des taux de suicide est absolument contredite par les données. La contagion suicidaire devrait vous effrayer. Soutenez-vous la prévention du suicide, oui ou non?
     Dire à mes patients que vous allez faciliter leur mort m'a rendu furieux. Ils feront du magasinage de médecins pour trouver les quelques psychiatres qui se prennent pour des défenseurs de l'autonomie à tout prix, comme c'est déjà le cas dans les pays du Benelux, et ils mourront parce que la mort a été préférée à l'appartenance pleine et entière à la communauté humaine. Ils mourront à cause de la souffrance sociale que cette loi consacre. Ils mourront à cause du manque de services. Ils mourront parce que les psychiatres pourront désormais, légalement, abandonner. Ils mourront parce que, que vous puissiez le voir ou non, vous leur avez dit qu'ils ne comptent pas.

  (1405)  

    Vous avez tué l'espoir au Canada dans les endroits où il est le plus nécessaire.
    Merci beaucoup, docteur Maher.
    C'est maintenant au tour de Mme Georgia Vrakas.
    Madame Vrakas, vous disposez de cinq minutes.

[Français]

     Bonjour.
    Je m'appelle Georgia Vrakas. Je suis psychologue et professeure, et je vis avec une maladie mentale.
    Pour commencer, je tiens à vous remercier de m'avoir invitée à témoigner devant le Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir.
    Je tiens à me positionner contre l'inclusion de la maladie mentale comme seule condition médicale pour obtenir l'aide médicale à mourir. Cette question m'interpelle beaucoup en tant que professionnelle dans le domaine de la santé mentale et en tant que personne vivant avec une maladie mentale depuis l'âge de 23 ans.
    Pendant plus de 20 ans, j'ai cru que j'étais atteinte d'un trouble dépressif majeur. J'ai vécu plusieurs épisodes, qui ont engendré beaucoup de souffrance et des arrêts de travail. J'ai aussi eu des pensées suicidaires.
    Au mois de mars 2021, j'ai eu ma plus récente rechute. J'étais découragée et désillusionnée, puisque j'avais suivi tous les traitements qui m'ont été recommandés. Le problème, c'est que je n'avais pas reçu le bon diagnostic.
    J'ai finalement été diagnostiquée le 3 mai 2021, soit il y a un an. Je suis atteinte d'un trouble bipolaire de type II, un trouble mental grave et persistant. Les mois précédant mon diagnostic ont été très difficiles et souffrants. J'ai pensé sérieusement au suicide. J'avais un plan, et j'ai commencé à le mettre à exécution. Finalement, je me suis rendue à l'urgence.
    J'ai aussi parlé à une intervenante du Centre de prévention du suicide. Elle m'a aidée à me raccrocher à la vie. Je ne voulais pas mourir, mais je voulais arrêter de souffrir. Si nous avons ce type de services, c'est pour nous aider à retrouver l'espoir. Un traitement médicamenteux prometteur me redonne confiance. Même après 20 ans et plusieurs rechutes, je suis encore debout. Non seulement je suis en vie, mais je compte le rester.
    C'est mon histoire personnelle, mais c'est aussi celle de plusieurs autres personnes au Canada. Comme vous le savez, environ 20 % de la population, au Canada, va souffrir d'une maladie mentale au cours de sa vie. De plus, 90 % des personnes qui meurent par suicide ont un trouble mental. La maladie mentale et le suicide sont des problèmes de santé publique qui nécessitent une réponse de santé publique.
    L'inclusion de la maladie mentale comme seul motif dans la Loi canadienne sur l'aide médicale à mourir est une réponse politique à un problème de santé publique. Cette loi individualise — je suis malade, je veux arrêter de souffrir — un problème sociétal, celui où la maladie mentale est encore taboue, où l'accès aux services en santé mentale est très difficile, où la recherche en psychiatrie est sous-financée et où le financement des programmes de promotion et de prévention continue à diminuer.
    Nos gouvernements ont choisi de ne pas investir dans ce qu'il nous faut pour améliorer notre santé mentale en amont ni dans ce qu'il nous faut pour nous rétablir quand nous sommes déjà malades. Aujourd'hui, on veut inclure dans l'aide médicale à mourir des personnes qui, comme moi, sont atteintes de maladies mentales. Cela nous aidera supposément à mieux mourir. Or nous n'avons même pas accès aux services minimaux qui nous aideraient à mieux vivre. Je parle de vivre, et non de survivre.
    Dans ce contexte, en donnant aux gens comme moi le feu vert pour obtenir l'aide médicale à mourir, on signifie clairement son désengagement relativement à la maladie mentale. On nous transmet le message qu'il n'y a pas d'espoir et que nous sommes des êtres jetables.
    Pourtant, on investit dans la prévention du suicide. On sait que ce n'est pas la mort que les gens recherchent, mais la fin de la souffrance. On le dit et on le répète, le suicide n'est pas une solution. Alors, comment réconcilier l'aide médicale à mourir avec cela en sachant que 90 % des personnes qui meurent par suicide ont une maladie mentale? Comment différencier le désir de mourir au moyen de l'aide médicale à mourir du désir de se donner la mort soi-même?
    On nous dit qu'on ne peut pas exclure la maladie mentale comme seul motif de l'AMM, afin de ne pas faire de discrimination envers les personnes vivant avec une maladie mentale. Pourtant, dans la vie, nous faisons face à la discrimination au quotidien, qu'il s'agisse de l'accès au logement, à un travail, à un revenu décent ou à l'assurance-invalidité. Selon moi, l'argument de la discrimination devant la mort ne peut être considéré comme légitime alors qu'il y a une discrimination devant la vie.
    L'AMM pour seul motif de maladie mentale, dans le contexte actuel, est une solution facile et moins chère pour régler un problème complexe. La solution passe par l'augmentation des programmes de promotion et de prévention, par l'augmentation des services en santé mentale, par l'investissement dans la recherche en psychiatrie, par l'investissement dans les programmes d'éducation à la santé mentale et par la lutte contre la stigmatisation.
    Les 20 dernières années n'ont pas été faciles pour moi sur le plan de la santé mentale. L'an dernier a été très difficile, mais je suis encore en vie.

  (1410)  

     Je sais que le chemin vers mon rétablissement sera parsemé d'embûches, mais j'apprends tranquillement à me reconstruire.
    Le rétablissement ne signifie pas l'élimination de tous les symptômes ni un retour à la vie d'avant le diagnostic. C'est un processus de reconstruction de soi qui inclut la maladie mentale, mais qui n'est pas limité à celle-ci.
    Nous sommes plusieurs à passer par ce chemin cahoteux. Plutôt que de nous arrêter à mi-chemin de notre parcours, donnez-nous une chance et aidez-nous à avancer dans notre processus de rétablissement et à vivre dans la dignité.
    Le gouvernement du Québec nous a manifestement entendus en excluant la maladie mentale de l'aide médicale à mourir. Est-ce que, vous, vous nous entendrez?
    Je vous remercie.
    Je vous remercie, professeure Vrakas.

[Traduction]

     C'est maintenant au tour de la Dre Ellen Wiebe.
    Docteure Wiebe, vous disposez de cinq minutes.
    Merci beaucoup.
    Je voudrais vous parler un peu de mon expérience. J'ai 30 années d'expérience en tant que médecin de famille, au cours desquelles j'ai traité de nombreuses personnes atteintes de maladie mentale, car nous n'avions pas un bon accès à la psychiatrie. J'ai acquis beaucoup d'expérience dans le traitement des personnes atteintes de maladie mentale. De plus, je suis prestataire de l'aide médicale à mourir et, au cours des six dernières années et demie, j'ai évalué environ 750 personnes et j'ai prodigué l'aide médicale à mourir à environ 430 personnes.
     L'une d'entre elles est l'unique personne qui a bénéficié de l'aide médicale à mourir dont le seul problème médical invoqué était une maladie mentale. Il s'agissait d'E.F., qui, comme vous le savez tous, j'en suis sûre, a reçu l'approbation de la Cour supérieure de l'Alberta pour recevoir l'aide médicale à mourir avant que je sois autorisée à la fournir. J'ai également beaucoup d'expérience auprès de notre nouveau groupe de patients, que nous appelons nos patients de la voie 2. Il s'agit des patients dont la mort naturelle n'est pas raisonnablement prévisible et que nous prenons en charge depuis mars 2021. J'ai fait environ 40 évaluations et prodigué l'aide à 18 personnes.
     En outre, je travaille avec l'Association canadienne des évaluateurs et des prestataires de l'AMM et j'ai été l'auteure principale des guides de pratique clinique sur l'évaluation des patients atteints de démence et de maladies chroniques complexes. Je suis également chercheuse sur l'aide médicale à mourir et j'ai publié un certain nombre d'articles sur l'AMM au Canada.
     Par exemple, l'un d'eux portait sur le suicide et l'aide médicale à mourir. Nous avons parlé avec des prestataires et le grand public, ainsi qu'avec des gens qui en savaient beaucoup sur le suicide — à savoir une population très vulnérable, du type dont parlait le Dr Maher. Ils ont tous dit très clairement que le suicide et l'aide médicale à mourir étaient deux choses complètement différentes. Ils ont indiqué — et encore une fois, il s'agit d'une grande variété de personnes — que l'aide médicale à mourir signifiait que les gens pouvaient être avec les membres de leur famille et que recevoir de l'aide n'était pas illégal. Ils n'avaient pas besoin de se cacher et ils pouvaient être avec leur famille. Par exemple, E.F. est arrivée à Vancouver avec 10 membres de sa famille autour d'elle pour la soutenir dans ses derniers instants.
    Je voudrais vous en dire un peu plus sur les patients de la voie 2, car mon équipe de recherche a mené un projet de recherche sur les six premiers mois des patients de la voie 2 et sur l'expérience des évaluateurs et des prestataires. Nous avons obtenu des renseignements détaillés sur 53 évaluations de patients de la voie 2. Pour 67,3 % d'entre eux, le principal problème était la maladie mentale concomitante, et c'est également ce que j'ai constaté personnellement. Ce que je veux dire, c'est que nous avons déjà beaucoup d'expérience maintenant concernant l'évaluation et la prestation ou non de l'aide médicale à mourir pour les personnes qui souffrent d'une maladie mentale concomitante, et non seulement de maladie mentale.
     Je tiens à vous dire que lorsque j'évalue des personnes qui endurent des souffrances insupportables en raison de problèmes de santé graves et irrémédiables qui comprennent une maladie mentale et que je leur dis qu'elles sont admissibles à l'AMM en vertu de notre loi, vous devriez voir le sourire qui se dessine sur leur visage. Elles se sentent écoutées. Leur souffrance a été reconnue d'une manière que souvent personne d'autre n'avait vraiment reconnue, c'est‑à‑dire que leur souffrance est insupportable et continuelle et elles considèrent que le reste de leur vie sera marquée par cette souffrance.
     Comment puis‑je, en tant qu'évaluatrice, dire que leurs problèmes de santé sont irrémédiables?

  (1415)  

     Elles ont reçu un traitement après l'autre, de différents psychiatres, dans différents hôpitaux psychiatriques, et encore une fois, je parle de mes patients qui ont à la fois des maladies physiques et mentales, mais c'est mon expérience, bien sûr, sauf pour ce cas, soit E.F.
     Docteure Wiebe, je dois vous demander de conclure, s'il vous plaît.
     J'ai terminé, mais je veux seulement dire que je suis d'accord avec le groupe d'experts, qui, dans son rapport final sur l'AMM et la maladie mentale, a indiqué qu'on ne devrait pas ajouter de nouvelles mesures, que les dispositions sur la voie 2 fonctionnent et qu'elles fonctionneront pour les cas où la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué.

  (1420)  

    Merci beaucoup, docteure Wiebe.
    Nous allons maintenant passer aux questions et je vais céder la parole à la coprésidente, Mme Martin.
    La parole est à vous, madame Martin.
    C'est M. Michael Cooper qui commence. Chaque intervention sera de cinq minutes.
    Allez‑y, monsieur Cooper.
    Merci, madame la coprésidente.
    Docteur Maher, vous avez dit que, dans le cas des maladies mentales, il est impossible de déterminer le caractère irrémédiable. Que peut‑on ajouter à la définition de « problèmes de santé irrémédiables » dans le Code criminel? Cela inclut les maladies graves et incurables qui se caractérisent par un déclin avancé et irréversible.
     À la lumière de cette exigence légale, diriez-vous que cela ne pourrait être satisfait dans aucun cas de maladie mentale du point de vue d'un évaluateur des demandes d'aide médicale à mourir?
     Il est certain que dans le projet de loi qu'il vient de déposer, le gouvernement québécois a vu juste lorsqu'il a dit qu'on ne peut pas déterminer si une maladie psychiatrique est irrémédiable. Ce n'est pas possible, et le paradoxe ici, c'est que je représente 80 psychiatres en Ontario qui font un travail spécialisé. Nous ne voyons que les personnes les plus malades, celles qui sont traitées depuis le plus longtemps et qui souffrent terriblement, et nous faisons partie d'un groupe de 200 spécialistes au Canada.
     Nous faisons un autre type de travail. Nous ne voyons que les plus malades, et le paradoxe ici, que beaucoup de gens ne semblent tout simplement pas comprendre, et c'est incroyablement frustrant pour moi, c'est que plus une personne est malade depuis longtemps, plus il est facile de la traiter, car pour les troubles psychiatriques, nous avons, comme options de traitement, littéralement des centaines de combinaisons de médicaments. Contrairement à un cancer en phase terminale pour lequel la chimiothérapie ne fonctionne plus, il y a toujours des possibilités de traitement. J'ai littéralement des centaines de combinaisons, et lorsque les gens ont essayé des choses, cela nous permet de cibler ce qui va fonctionner avec le temps.
    Il faut du temps. Je vais utiliser une analogie ici. J'ai travaillé en oncologie pédiatrique pendant de nombreuses années. Lorsque des enfants recevaient un diagnostic de leucémie et qu'ils devaient commencer un protocole de chimiothérapie qui les ferait vomir et les rendrait malades pendant deux ans, au bout d'un an, certains enfants ne voulaient plus continuer.
    Ce que cette loi offre aux gens, c'est la possibilité de s'arrêter parce que la guérison est dure et longue, mais la guérison est toujours possible. J'ai interrogé mes collègues à ce sujet. Nous en avons parlé. Nous n'avons pas encore trouvé de cas où le traitement et le rétablissement n'étaient pas possibles. Le défi, c'est que 70 % de toutes les personnes atteintes de maladie mentale au Canada cessent de prendre leurs médicaments ou ne veulent pas poursuivre le traitement à cause de la souffrance. Ce que vous dites, c'est qu'il faut abandonner avant que le remède ne soit fourni, avant que la guérison ne soit possible, et cela se fait sous le prétexte que nous devons soulager les terribles souffrances de ces personnes immédiatement — les pauvres.
     Si l'on faisait cela pour des enfants mourants, où en serait‑on? À l'heure actuelle, on propose de le faire pour des adultes mourants, et il s'agit de maladies neurodégénératives. Plus on attend, plus il devient difficile de les traiter, mais cela ne veut pas dire qu'il n'est pas possible de les traiter.
    Permettez-moi de vous donner des chiffres. Mes équipes en Ontario traitent les 7 000 personnes les plus malades. Nous en avons 6 000 sur notre liste d'attente qui attendent jusqu'à cinq ans. J'aimerais savoir si l'un d'entre vous a eu une maladie grave pour laquelle il a dû attendre cinq ans avant de recevoir un traitement. La stigmatisation est ancrée dans notre système.
    Merci, docteur Maher. Ce que vous dites, en un mot, c'est que le groupe d'experts s'est trompé en affirmant qu'on pouvait se fonder sur les traitements médicaux fournis antérieurement au patient pour évaluer le caractère irrémédiable de ses problèmes de santé.
    En effet. Dans tous les autres cas, la décision est fondée sur l'inefficacité des traitements potentiels. Or, le groupe d'experts a affirmé que les traitements antérieurs n'ayant pas fonctionné sont des renseignements utiles et essentiels pour décider de la marche à suivre.
    Permettez-moi de citer une phrase tirée du rapport du groupe d'experts qui se rapporte directement à votre question.
    La phrase suivante provient du rapport Gupta: « Les connaissances sur le pronostic à long terme de nombreuses maladies sont limitées et il est difficile, voire impossible, pour les cliniciens de formuler des prévisions précises sur l'avenir d'un patient donné. » C'est écrit noir sur blanc dans le rapport du groupe, qui ajoute ensuite qu'il s'agit d'une décision éthique. Contrairement à tous les autres cas d'aide médicale à mourir au Canada, pour lesquels il faut évaluer la probabilité, sur le plan clinique, que le traitement fonctionne, dans ces cas‑ci, le groupe dit qu'il s'agit d'un « choix éthique ». C'est aussi écrit dans le rapport.
    Je trouve cela ahurissant. Ce rapport est ahurissant: il dégage les psychiatres et les cliniciens de la responsabilité de soigner les plus malades et les plus vulnérables. Je défie quiconque... Je vais m'adresser particulièrement à vous, docteur Kutcher.
    Vous avez déclaré que tous les psychiatres canadiens qui s'opposent à l'aide médicale à mourir pour les maladies mentales étaient égoïstes et paternalistes. J'ignore pourquoi vous avez fait ce commentaire, mais je défie tout psychiatre d'affirmer que tel patient souffre d'un problème irrémédiable, car c'est impossible. J'ai des patients qui se sont rétablis après 5 ans, 10 ans, 15 ans. Ce n'est tout simplement pas possible. Ce sont des conjectures. Si les conjectures vous suffisent, si vous faites confiance au hasard, ou si vous êtes d'avis qu'il faut respecter l'autonomie à tout prix — si quelqu'un souhaite mourir, qu'on le laisse mourir —, appelez les choses par leur nom: on parle ici de suicide assisté.

  (1425)  

    Merci, docteur Maher.
    Je rappelle aux témoins d'adresser leurs réponses à la présidence. Merci.
    Nous passons maintenant à la Dre Fry.
    Vous disposez de cinq minutes.
    Un pépin technique m'a empêchée de bien entendre le témoignage du représentant de l'Ontario Association for ACT & FACT. Toutefois, j'ai écouté attentivement la réponse du Dr Maher à la dernière question.
    Docteur Maher, vous affirmez que de l'avis du groupe d'experts, il faut tenir compte des traitements antérieurs, mais pas des traitements futurs possibles. Vous établissez ensuite un parallèle entre [difficultés techniques], du point de vue du patient, ce qu'il considère comme intolérable et irrémédiable et ce qu'il refuse de continuer à endurer n'ont pas d'importance. Tout ce qui compte, c'est la volonté du médecin traitant.
    Je ne vois pas les choses de la même façon. La Dre Wiebe a parlé de la chronicité; les gens en ont assez et ils ne veulent plus essayer. Il en va de même pour les décisions portant sur les maladies physiques. Les gens déclarent qu'ils ne veulent plus subir de chimiothérapie, qu'ils n'en peuvent plus.
    J'aimerais vous demander quelle est la différence pour un patient atteint d'un trouble mental. Il s'agit d'un trouble réel. On ne devrait pas placer les patients ayant des troubles mentaux dans une catégorie distincte et déclarer qu'ils sont incapables de prendre leurs propres décisions.
    D'après vous, la volonté du médecin devrait-elle primer les besoins du patient?
    Je vous remercie pour la question.
    Je n'ai jamais dit que la volonté du médecin primait. Je réponds à la question de droit.
    Le critère juridique est le caractère irrémédiable, alors commençons par là. La loi exige que les médecins se prononcent sur le caractère irrémédiable, mais c'est impossible.
    Docteur Maher, j'ai seulement cinq minutes pour poser des questions et recevoir des réponses. Je vous demande donc de répondre simplement.
    D'après ce que j'ai compris, et je vous ai peut-être mal compris...
    Je pense, en effet, que vous m'avez mal compris.
    ... vous dites qu'il faut tenir compte des traitements futurs possibles. Toutefois, si le patient dit qu'il en a assez et qu'il ne veut pas essayer d'autres traitements, selon vous, il s'agit d'un suicide assisté. D'après ce que vous dites, le patient n'a pas voix au chapitre.
    Croyez-vous que le patient a voix au chapitre?
    Tous les jours, je tente de nourrir l'espoir de personnes qui souffrent terriblement.
    J'ai besoin d'une réponse rapide, s'il vous plaît. Dites-vous que...
    Je réponds à votre question.
    Mais vous prenez beaucoup de temps. J'ai seulement droit à cinq minutes.
    Voulez-vous une réponse franche?
    Je veux juste une réponse rapide et simple, pour pouvoir passer à la Dre Wiebe.
    La réponse simple, c'est qu'évidemment, tous les psychiatres sont profondément dévoués au soulagement de la souffrance. Nous écoutons les patients exprimer leurs souffrances et nous nous efforçons de les soulager. Est‑ce que je rends service à mes patients...
    Merci beaucoup, monsieur.
    Docteure Wiebe...
    .. s'ils meurent au lieu de guérir?
    Merci, docteur Maher.
    Pourquoi ne voulez-vous pas répondre à ma question?
    Parce que je n'ai droit qu'à cinq minutes, docteur Maher, et parce que vous ne devriez pas m'interroger sur les questions que j'ai à poser aux témoins que nous recevons aujourd'hui.
    Docteure Wiebe, vous avez dit que vous approuviez les conclusions du groupe d'experts.
    Vous êtes évaluatrice depuis longtemps et vous avez traité de nombreux dossiers. D'après vous, qui devrait décider ce qui est tolérable et ce qui ne l'est pas, même si cela signifie qu'un patient ne reçoit pas un traitement qu'il considère comme intolérable?
    La décision revient à une seule personne: le patient lui-même. C'est lui qui a souffert et qui continue de souffrir, et c'est lui qui peut choisir. La décision n'appartient à personne d'autre. C'est lui qui décide que c'est insupportable et qu'il veut mourir dans la paix et la dignité.
    Aidez-moi à comprendre. Expliquez-moi ce que vous faites quand vous évaluez un dossier. Devez-vous présenter absolument toutes les options au patient avant de prendre votre décision? Comment faites-vous?
    Décrivez-moi le processus étape par étape.

  (1430)  

    Dans le cas d'un cancer, c'est relativement simple. Il y a des protocoles standards. Le traitement doit avoir été offert au patient, mais le patient ne doit pas l'avoir suivi. Dans le cas d'une maladie mentale, il n'y a pas de protocole standard parce que la psychothérapie diffère d'une personne à l'autre. Comme on l'a déjà dit, il existe de nombreux médicaments psychiatriques différents, ainsi que d'autres types de traitements, par exemple les électrochocs.
    Nous devons nous assurer que plusieurs traitements différents ont été offerts au patient, que ces traitements sont raisonnables et que le patient les a essayés ou « sérieusement envisagés » — la loi est ainsi formulée —, et nous...
    Merci, docteure Wiebe. Concluez brièvement, s'il vous plaît.
    Merci, madame la présidente.
    Docteure Wiebe, finissez votre phrase, s'il vous plaît.
    Docteure Wiebe, je vous prie de finir votre phrase. Nous passerons ensuite au prochain intervenant.
    Je disais simplement que le patient doit avoir sérieusement envisagé les traitements possibles.
    Merci beaucoup.
    Merci, docteure Wiebe.
    Nous passons maintenant à M. Thériault pour cinq minutes.

[Français]

     Merci, madame la présidente.
    Je remercie l'ensemble des témoins de leurs témoignages éclairants.
    Je m'adresserai d'abord à la professeure Vrakas.
     Je suis heureux que les gens puissent revendiquer de meilleures conditions de vie et de meilleurs investissements en santé mentale, puisque tout le monde reconnaît qu'il y a des investissements majeurs à faire pour améliorer l'accessibilité aux soins. Cela a été établi par le Conseil des académies canadiennes et par le rapport du groupe d'experts.
    J'ai bien entendu votre plaidoyer et je pense qu'il doit être pris en compte, et c'est la même chose pour le plaidoyer passionné du professeur Maher. Nous vous avons bien entendus.
    Pour ma part, je ne suis pas psychiatre. Je suis un député, et je n'ai même pas encore la prétention d'être un éthicien. Cela dit, je m'interroge sur ce qui se trouve dans le rapport d'expert. Ce rapport a déjà été cité et je vais le citer de nouveau:
Lors de l’examen des demandes d’AMM pour des personnes souffrant de troubles mentaux, il faut reconnaître que les pensées, les plans et les actions visant à provoquer la mort peuvent également être un symptôme du problème de santé constituant la base d’une demande d’AMM.
     Dans le rapport d'expert, on ne nie pas cet état de fait. On indique que des troubles mentaux induisent un désir de mourir et que l'évaluateur doit bien faire attention à cela. Voici ce qu'on mentionne:
Dans toute situation où les tendances suicidaires constituent une préoccupation, le clinicien doit adopter trois perspectives complémentaires: tenir compte de la capacité de la personne à donner son consentement éclairé ou à refuser les soins; déterminer si des interventions de prévention du suicide — y compris involontaires — doivent être déclenchées; et proposer d'autres types d'interventions qui pourraient aider la personne.
    Cela vous réconforte-t-il que l'on indique qu'il faut faire attention à cet aspect? Il semble qu'on réduise cela aux troubles mentaux. Les tendances suicidaires ne se manifestent pas dans tous les cas de maladies mentales. On dit plus loin dans le rapport que, quand quelqu'un est en crise, il n'est pas question d'accéder à sa demande d'AMM.
    Ne pensez-vous pas que ce rapport indique qu'il y a des précautions à prendre?
     Non, je ne suis pas d'accord. Quand j'évalue l'état de quelqu'un, je ne peux pas faire cette distinction. Il n'existe aucun outil, en ce moment, qui me permettrait de distinguer une personne suicidaire d'une personne qui demande le suicide assisté, c'est-à-dire l'aide médicale à mourir. Comment départager les deux?
    Quand on est affecté par des troubles mentaux et des distorsions cognitives, on voit les choses de façon plus sombre et on veut arrêter de souffrir. Croyez-moi, je sais ce que c'est, étant moi-même passée par là. Si l'aide médicale à mourir avait existé, il y a cinq ans, je l'aurais peut-être demandée, mais le diagnostic n'était pas le bon. On m'a laissé le temps de me rendre où je suis aujourd'hui.

  (1435)  

    La question est peut-être plutôt la suivante: y auriez-vous été admissible?
    Ce que je lis dans le rapport, c'est que les évaluateurs — je n'en suis pas un — semblent dire qu'ils sont capables, eux, de distinguer un état suicidaire, qui est d'ailleurs tout à fait réversible, tout le monde s'entend là-dessus, de la chronicité et de la persistance de la souffrance sur plusieurs décennies.

[Traduction]

    Très brièvement, s'il vous plaît.

[Français]

     Nous avons des outils pour évaluer l'état suicidaire. La prévention du suicide est d'ailleurs mon champ d'expertise. Cependant, pour ce qui est de différencier cette souffrance de celle d'une personne qui a un trouble mental et qui veut qu'on l'aide à mourir, la ligne est mince. C'est sûr qu'on va échapper des cas, scientifiquement parlant.
    Merci, professeure Vrakas.

[Traduction]

    Nous passons maintenant à M. MacGregor pour cinq minutes.

[Français]

    Bonjour, madame la présidente.
    M. MacGregor s'appelle M. Boulerice, aujourd'hui!

[Traduction]

    Oui, allez‑y, monsieur Boulerice.

[Français]

    Vous avez la parole pour cinq minutes.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Je remercie nos trois témoins de leur présence.
    Professeure Vrakas, je vous remercie beaucoup de votre honnêteté, de votre sincérité et de votre franchise. C'est très touchant.
    Je vais poser une question à laquelle j'inviterai les trois témoins à répondre pendant les cinq ou six minutes dont je dispose. J'ai une question qui me tarabuste. Je suis arrivé ici sans a priori. J'écoute et j'essaie d'apprendre.
    Madame Vrakas, vous avez dit dans votre témoignage que vous ne vouliez pas mourir, mais cesser de souffrir. J'ai l'impression que c'est aussi la situation de beaucoup de gens qui ont des maladies physiques et qui souffrent. Ils ne veulent pas nécessairement mourir, ils veulent arrêter de souffrir. Comment, comme législateur, puis-je faire la différence entre le droit de quelqu'un qui a une souffrance physique et le droit de quelqu'un qui a une souffrance venant d'un problème de santé mentale? Je veux qu'ils aient tous les deux des droits égaux.
    Monsieur Maher, vous avez dit qu'il n'y avait pas de discrimination à faire entre les deux, mais pourquoi donnerais-je un droit à quelqu'un qui a une souffrance physique irrémédiable et ne donnerais-je pas le même droit à quelqu'un qui a une souffrance mentale? Je sais que la question du caractère irrémédiable est très délicate.
    Madame Vrakas, vous pourriez commencer, et M. Maher et Mme Wiebe pourront répondre par la suite.
    Premièrement, l'aspect irrémédiable est essentiel. On ne peut pas en faire abstraction. Quand je dis que je voulais arrêter de souffrir, c'était exactement ce que je voulais. Je suis donc allée à l'urgence pour obtenir de l'aide. J'ai appelé le Centre de prévention du suicide. Savez-vous quoi? Ma souffrance a diminué. Je suis ici aujourd'hui devant vous, en vie, et je vais bien. On aurait pu dire: c'est remédiable, mais, tant qu'à y être, allons-y. Ce n'est pas cela, la réalité. Ce n'est pas la même chose pour quelqu'un qui a un cancer et dont la mort est prévisible.
    Monsieur Maher, je vous écoute.

[Traduction]

    La parole est au Dr Maher, qui sera suivi de la Dre Wiebe.
    Pour répondre brièvement, la différence principale, c'est qu'on parle de maladies du cerveau qui sont soignables. Or, si elles sont soignables, pourquoi offrir la mort?
    En ce qui concerne la souffrance, la Dre Fry m'a posé la question de façon à ce que je semble paternaliste, en sous-entendant que je suis d'avis que ma volonté prime celle de mes patients. En réalité, les patients font appel à moi parce qu'ils souffrent. Ils font appel à moi parce qu'ils croient que mon équipe et moi avons l'expertise et les connaissances nécessaires pour soulager leur souffrance. Pourquoi leur offrirais‑je la mort au lieu de faire exactement ce qu'ils me demandent de faire? Ils viennent me voir pour obtenir de l'aide et pour soulager leur souffrance. Je suis en train de vous dire que je peux les aider et que des équipes peuvent les aider. Je suis en train de vous dire que seulement un Canadien sur trois a accès à des soins de santé mentale, et au lieu d'offrir des traitements, vous offrez la mort.
    Nous pourrons reprendre cette discussion une fois que vous aurez fourni des traitements à tout le monde. Offrir la mort aux patients en déclarant: « Oh, ils ont reçu toutes sortes de traitements... » Il arrive souvent que des psychiatres m'adressent des patients qu'ils considèrent comme insoignables, et l'état de ces patients s'améliore grâce à des soins spécialisés. Il faut des soins spécialisés. On ne demande pas à un médecin de famille de soigner un type particulier de tumeur; on fait appel à un spécialiste. Il en va de même dans le domaine de la psychiatrie. Vous affirmez faussement que tout est égal, que tous les psychiatres sont égaux et que toutes les maladies sont égales.
    Parlez du traitement des maladies résistantes. Parlez des gens qui souffrent depuis longtemps et demandez-vous ce qu'ils veulent. La réponse, c'est qu'ils veulent soulager leur souffrance. Je vous le dirais franchement...

  (1440)  

    Merci, docteur Maher.
    ... si j'étais incapable de le faire.

[Français]

     J'aimerais que Mme Wiebe ait la chance d'intervenir.

[Traduction]

    Docteure Wiebe, la parole est à vous.
    Je ne vois pas de grande différence entre la maladie et la souffrance physiques et mentales. Il arrive que des gens viennent me voir et me disent exactement ce que vous avez dit, madame Vrakas, qu'ils ne veulent pas mourir, mais qu'ils ne veulent plus souffrir.
    La question à poser, c'est si les traitements susceptibles de soulager leur souffrance leur ont été offerts et s'ils ont été suffisamment efficaces pour eux. Par exemple, si je disais à mon patient qu'il y avait une liste d'attente de cinq ans pour consulter un spécialiste approprié — un spécialiste comme vous, docteur Maher —, si je lui demandais s'il était prêt à continuer de souffrir pendant cinq ans et s'il me répondait non, je considérerais le problème comme irrémédiable.
    La question du soulagement de la souffrance se pose presque de la même façon dans différentes situations. La plupart du temps, ce que les gens appellent la souffrance, ce n'est pas la douleur, mais l'incapacité de mener une vie normale, et ce, que leur maladie soit mentale ou physique. Je ne vois donc pas de grande différence entre les deux. Les traitements adéquats leur ont-ils été offerts? Peuvent-ils leur être offerts? Nous avons parlé de...
    Merci, docteure Wiebe.
    Nous avons terminé la première série de questions. Je redonne donc la parole au coprésident, M. Garneau.
    Merci, sénatrice Martin.
    Nous passons maintenant aux questions des sénateurs. Sénatrice Mégie, vous êtes la première. Les temps de parole seront de trois minutes.

[Français]

    Sénatrice Mégie, vous avez la parole pour trois minutes.
    Ma question s'adresse au Dr Maher, mais Mme Vrakas pourrait aussi y répondre.
    Docteur Maher, je ne sais pas si vous avez complètement répondu à la question posée par la Dre Fry. J'ai l'impression qu'il manquait des bouts à votre réponse.
    Lorsqu'il s'agit d'une maladie physique et que les spécialistes essaient de trouver toutes sortes de médicaments et de traitements, complexes ou non, pour soulager la personne, on parle d'acharnement thérapeutique. En ce qui concerne la maladie mentale, ce concept existe-t-il aussi?
    Est-ce qu'il arrive qu'on ne propose pas l'AMM et que l’on continue d'espérer que la personne s'en sortira un jour si on lui fait suivre plusieurs traitements, qu'ils soient expérimentaux ou non?

[Traduction]

    Si vous me demandez si nous essayons des traitements sans raison ou parce que nous n'avons rien à perdre, la réponse est non. Je ne me rends jamais jusque‑là. J'offre des traitements standards qui fonctionnent, et ils prennent beaucoup de temps. La guérison s'opère lentement. Si vous me demandez si les gens devraient essayer des traitements expérimentaux, je vous dirais que d'après moi, c'est un choix subjectif. Je ne force personne à faire quoi que ce soit. J'offre des traitements standards, et ces traitements fonctionnent.
    Je trouve ahurissant que si le traitement n'est pas disponible et si ce n'est pas possible de consulter quelqu'un, comme la Dre Wiebe l'a dit... Personnellement, diriez-vous: « Je vais mourir parce que je n'ai pas accès aux soins dont j'ai besoin »? Ou sommes-nous des personnes privilégiées qui avons la possibilité de nous rendre aux États-Unis ou ailleurs et de payer pour obtenir des soins? On a dit à voix haute: nous allons laisser les gens mourir. C'était dans les nouvelles: nous allons laisser les gens mourir parce qu'ils ne peuvent pas avoir d'appartement. D'après ce que j'ai compris de la décision de la Cour suprême et des dispositions législatives subséquentes, le caractère irrémédiable n'a rien à voir avec les ressources psychosociales. Il était question de maladies et de troubles médicaux — dans ce cas‑ci, de maladies du cerveau — ne pouvant pas être traités par des moyens médicaux.
    Les portes sont rendues grandes ouvertes si ces problèmes sont maintenant considérés comme irrémédiables. C'est un exemple précis des abus auxquels la loi donnera lieu, je le crains, parce qu'il n'y a pas de surveillance. La loi ne prévoit pas que les mesures prises par les médecins et les infirmiers praticiens fassent l'objet d'une évaluation. Franchement, je suis étonné que la Dre Wiebe soit prête à laisser un patient mourir parce qu'il ne peut pas recevoir un traitement qui améliorera son état. Ce n'est pas l'esprit de la loi, à juste titre. Si la société canadienne est prête à laisser les gens mourir parce qu'ils n'ont pas accès à des appartements, franchement, je suis dégoûté. Pardonnez-moi ma passion, mais votre devoir de parlementaires est de préserver la vie.

  (1445)  

    Merci, docteur Maher.
    Nous passons maintenant au sénateur Kutcher.
    Docteure Wiebe, je tiens à vous dire que je suis certain que tous les membres du Comité sont sensibles à l'humilité de votre témoignage.
    Durant une réunion précédente, le Dr Smith a affirmé qu'à son avis, le gouvernement du Canada devrait accepter l'ensemble...

[Français]

     Excusez-moi, mais...
    Moi aussi, j'aide la misère à entendre les propos du sénateur.

[Traduction]

    Sénateur Kutcher, nous ne vous entendons pas très bien. Votre microphone est‑il bien positionné?
    Je l'ai replacé. Merci beaucoup.
    Le Dr Smith a affirmé, durant un témoignage précédent, qu'à son avis, le gouvernement du Canada devrait accepter l'ensemble des recommandations contenues dans le rapport du groupe d'experts. Êtes-vous d'accord avec lui là‑dessus?
     Non. J'accepte presque toutes les recommandations. Ce qui me préoccupe, c'est la question des provinces et des collèges qui seraient responsables des lignes directrices relatives aux normes. C'est un gros problème. Il y a 26 collèges distincts qui gèrent les professionnels, les infirmières praticiennes et les médecins, et leur mandat est de veiller à ce que nous fournissions des soins professionnels et compétents. Ils ne sont pas responsables d'interpréter le droit pénal.
    Je ne crois pas que nous devions passer par ces 26 collèges, et l'idée que les provinces et les territoires, les 13 administrations...
    Excusez-moi, docteure Wiebe. Pourriez-vous nous faire part de vos inquiétudes par écrit?
    D'accord.
    Le rapport aborde certaines des préoccupations évoquées par d'autres témoins, notamment l'idée de mettre sur pied un cadre national pour l'étude des cas de même qu'à des fins d'éducation et de contrôle de la qualité. Le cadre permettrait d'assurer la protection et d'améliorer le système fédéral de surveillance de l'aide médicale à mourir.
    Est‑ce que vous approuvez ces éléments du rapport? Si oui, quand devraient-ils être mis en oeuvre?
    Tout à fait. On devrait les mettre en oeuvre immédiatement.
    Donc le plus tôt possible.
    Oui.
    Au point 15, on aborde la question de la formation des évaluateurs et des prestataires. Est‑ce que vous approuvez ce qui est évoqué dans le rapport? Avez-vous des commentaires au sujet des programmes de formation en cours d'élaboration?
    Merci.
    Oui, Santé Canada a collaboré avec la Ontario Association for ACT & FACT en vue de mettre sur pied un programme national de formation. Nous offrons déjà une formation, mais celle‑ci sera beaucoup plus exhaustive.
    Selon ce que je comprends — et corrigez-moi si je me trompe —, la formation sera accréditée par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada et le Collège des médecins de famille du Canada. Est‑ce exact?
    Oui.
    Il vise les médecins et infirmières autochtones, l'Association des infirmières et infirmiers du Canada et de nombreux autres intervenants du domaine médical et du domaine de la prestation des soins de santé, n'est‑ce pas?
    Oui.
    Merci, sénateur Kutcher.
    Nous passons maintenant au sénateur Dalphond.

  (1450)  

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins de leurs témoignages, mais mon temps de parole est de seulement trois minutes.
    Ma question s'adresse à la professeure Vrakas.
    Professeure Vrakas, vous avez parlé d'une situation de crise, de quelqu'un qui se présente à l'urgence. Évidemment, l'intervention doit être rapide. Autrement dit, il n'y a pas de temps à perdre. Cependant, lorsqu'on parle de l'accessibilité à l'aide médicale à mourir, n'y a-t-il pas lieu d'apporter des nuances?
    Des mesures de protection sont déjà dans la Loi, notamment le délai d'au moins 90 jours, ce qui est quand même assez long. Ensuite, il y a des étapes. Il faut que les évaluations soient faites non seulement par une personne, mais aussi par une deuxième personne. Selon les recommandations du groupe de travail, il faudrait même que cette deuxième personne soit spécialisée dans les maladies mentales. Il faut aussi que les personnes qui font l'évaluation aient suivi une formation spécialisée dans ce domaine et travaillent collégialement avec l'équipe qui s'occupe du traitement.
    Ne croyez-vous pas que le système est quand même très différent de la réaction à une situation de crise?
    En situation d'évaluation, il faut plusieurs mois avant d'en arriver à la conclusion que le patient est admissible à l'aide médicale à mourir. Dans votre cas, vous avez dit que vous auriez voulu mourir, mais cela ne veut pas dire que vous auriez eu l'autorisation d'avoir accès à l'aide médicale à mourir.
    J'aurais eu de bonnes chances d'y avoir accès, étant donné que les traitements fonctionnaient plus ou moins bien depuis 20 ans et que j'avais toujours des épisodes de dépression.
    Il s'agit de deux choses différentes. Une crise ne dure pas longtemps: on est en crise et l’on va chercher de l'aide. Quand on vit avec une maladie mentale, la souffrance et les difficultés sont vécues sur une longue période. Durant cette période, on cherche de l'aide et l’on cherche à savoir si l’on y a accès. Le hic, c'est l'accessibilité aux soins.
    Personnellement, je suis psychologue et je n'ai pas le choix de refuser des clients. Je viens juste de recevoir un courriel du gouvernement dans lequel on me demande d'offrir mes services au public. Il y a un besoin criant. Les gens qui souffrent n'ont pas accès à ces services.
    Peu importe la façon dont on construit cela et peu importe les protocoles permettant de bien encadrer l'aide médicale à mourir, la situation reste la même. On dit à des gens comme moi et à d'autres personnes que l'aide médicale à mourir leur est offerte, qu'ils peuvent mourir, qu'on va les aider à mourir et que la mort est une possibilité. On dit que le suicide n'est pas une solution, mais que la mort assistée en est une. Cela nous envoie le message qu'il n'y a pas d'espoir.
    Si l’on offre cela à quelqu'un, celui-ci va peut-être décider de s'en prévaloir, puisque cette solution est moralement et socialement acceptable. Peu importe les protocoles que l'on mettra en place, cela ne changera pas. Cela va devenir un courant de pensée majoritaire.
    Je vous remercie.
    Merci beaucoup, sénateur Dalphond.
    Nous poursuivons maintenant avec la sénatrice Wallin.

[Traduction]

    Sénatrice Wallin.
    Merci, monsieur le président.
    Ma question s'adresse à la Dre Wiebe.
    Vous avez dit que nous faisions une distinction énorme entre la douleur et la souffrance associées à la maladie physique et celles associées à la maladie mentale. Pouvez-vous nous parler de cet enjeu? Lorsqu'il est question de santé mentale, il semble que nous nous acharnions sans fin à trouver d'autres solutions et à appliquer des traitements les uns après les autres. Pour la santé physique, nous avons accepté qu'une personne dont les souffrances sont intolérables puisse avoir recours à l'aide médicale à mourir. Pourquoi faisons-nous cette distinction?
    Pourquoi faisons-nous une telle distinction? Ce n'est pas à moi de répondre à cette question, mais je peux vous donner mon avis. Je crois que les maladies chroniques sont similaires, qu'elles soient de nature physique ou mentale. Le cancer du pancréas suit une trajectoire très stricte, mais dans le cas des maladies chroniques où les gens souffrent et les traitements ne permettent pas d'avoir une vie qui en vaut la peine, je crois que la situation est la même, qu'il s'agisse de souffrances physiques ou de souffrances mentales. Elles sont intolérables. Si une personne juge que sa vie avec une maladie chronique n'en vaut plus la peine, que ce soit à cause de souffrances physiques ou de souffrances mentales, elle doit avoir le choix de mettre fin à ses jours. Je suis heureuse que nous ayons ce choix au Canada.

  (1455)  

    Si une personne a un cancer de stade 4, on ne va pas argumenter avec elle ou lui demander de faire encore un traitement de chimiothérapie, par exemple, si elle a décidé d'avoir recours à l'aide médicale à mourir. Or, c'est ce que nous semblons vouloir imposer aux personnes qui souffrent de maladies mentales.
    Oui, et je dirais que la situation ressemble plutôt à l'affaire A.B. c. Canada. La patiente souffrait d'incapacité et de douleurs intenables en raison de son arthrite inflammatoire. Des traitements existent, mais ils n'arrivaient pas à la soulager. On peut certainement dire que l'arthrite est une maladie traitable — c'est vrai —, mais elle était insupportable pour A.B. et les traitements ne suffisaient pas. C'est exactement la même chose pour la maladie mentale. Pour certaines personnes, les traitements ne suffisent pas. Elles souffrent.
    Merci.
    Merci, sénatrice Wallin.
    Sénatrice Martin, vous disposez de trois minutes.
    Merci, monsieur le coprésident.
    Docteur Maher, tout à l'heure, nous allons entendre la Dre Gupta du Groupe d'experts sur l'aide médicale à mourir et la maladie mentale, et nous discuterons du rapport. Avez-vous des commentaires à faire sur le rapport ou des mises en garde à l'intention du Comité?
    Merci.
    Je connais la Dre Gupta depuis de nombreuses années. Nous sommes collègues. C'est une psychiatre intelligente et futée, mais je dirais qu'elle détient des renseignements, et non des connaissances. Elle sera la première à vous dire qu'elle ne travaille pas avec les personnes les plus malades. Elle a aussi dit publiquement qu'à son avis, les personnes devraient suivre des traitements pendant au moins 10 ans avant de pouvoir commencer à penser qu'elles souffrent d'une maladie irrémédiable.
    En ce qui a trait au mythe évoqué par la sénatrice Wallin, voulant que nous tentions de forcer des gens à suivre un traitement, je suis certain que la Dre Gupta vous dira que nous ne forçons jamais un patient apte à subir un quelconque traitement. Les patients reviennent vers nous parce qu'ils veulent de l'aide et veulent alléger leurs souffrances. Au risque d'avoir l'air insensible, je dirais que personne ne les empêche de s'enlever la vie par eux-mêmes. J'ai le cœur brisé lorsque je vous dis cela, parce que je pense à tous mes patients qui ont planifié leur propre mort de manière méticuleuse et réfléchie. Pour ce qui est du mythe selon lequel tout cela est tragique et horrible, les gens disent tout le temps... La maladie mentale est tragique et horrible. Selon une étude réalisée en Suisse, 40 % des personnes qui ont accompagné un proche mourant souffrent du trouble de stress post-traumatique ou de dépression.
    Le rapport de la Dre Gupta rassemble des données probantes plausibles, mais dit aussi qu'il est impossible de déterminer si une maladie est irrémédiable. Il s'agit là d'un critère juridique clé en matière d'aide médicale à mourir. On parle du devoir d'examen et on fait valoir qu'il s'agit d'une décision éthique et non clinique. Je suis consterné de voir que la Dre Gupta a emprunté cette voie. Je me demande aussi pourquoi deux personnes se sont retirées du groupe. J'aimerais aller au fond de cette histoire. Le rapport présente plusieurs énoncés réfléchis et très sensibles, mais aucune mesure de précaution. Dans les pays du Benelux, il faut au moins avoir subi un traitement courant avant d'avoir droit à l'euthanasie. Au Canada...
    ... nous n'exigerons même pas les traitements courants. C'est ahurissant.
    Merci.
    J'allais poser la question à Mme Vrakas. Pourrait‑on établir certaines mesures de précaution pour rendre sécuritaire l'aide médicale à mourir dans les cas de maladie mentale?

[Français]

     Madame Vrakas, je vous demande de donner une brève réponse, s'il vous plaît.

[Traduction]

    À mon avis, à l'heure actuelle et selon les données probantes, les études et la recherche dont nous disposons, il n'y a aucune mesure de protection acceptable qui rendra l'aide médicale à mourir dans les cas de maladie mentale sécuritaire.
    Voilà qui met fin à la première partie de notre réunion.
    Au nom des membres du Comité, je tiens à remercier le Dr Maher, Mme Vrakas et la Dre Ellen Wiebe.

[Français]

     Je vous remercie de vos témoignages et je vous remercie d'avoir répondu à nos questions sur cette question extrêmement compliquée qui a des implications émotionnelles. Nous vous en sommes très reconnaissants.
    Nous allons maintenant suspendre la réunion pour quelques minutes afin d'accueillir le prochain groupe de témoins.
    Merci beaucoup à tous.

  (1455)  


  (1500)  

[Traduction]

    J'aimerais faire quelques commentaires à l'intention de nos nouveaux témoins.
    Veuillez s'il vous plaît attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Je vous rappelle que tous les commentaires doivent être adressés aux coprésidents. Je vous demande également de parler lentement et clairement. L'interprétation de la vidéoconférence fonctionne de la même façon que dans le cadre des réunions en personne. Vous avez le choix, au bas de votre écran, entre le son du parquet, l'anglais et le français. Lorsque vous n'avez pas la parole, votre micro doit être en sourdine.
    Sur ce, je souhaite la bienvenue à nos témoins, qui sont ici pour discuter de l'aide médicale à mourir dans les cas de maladie mentale ou de troubles mentaux. Nous recevons d'abord la Dre Alison Freeland, qui est présidente du conseil d'administration et coprésidente du groupe de travail sur l'aide médicale à mourir de l'Association des psychiatres du Canada. Nous recevons également le Dr Mark Sinyor et le Dr Tyler Black, à titre personnel. Nous vous remercions de vous joindre à nous pour la deuxième partie de notre réunion.
    Nous allons commencer par les déclarations préliminaires du Dr Sinyor, de la Dre Freeland et du Dr Black.
    Docteur Sinyor, vous disposez de cinq minutes. Allez‑y.
    Mesdames et messieurs les membres du Comité, bonjour. C'est un honneur pour moi d'être avec vous aujourd'hui. Je m'appelle Mark Sinyor. Je suis professeur agrégé de psychiatrie à l'Université de Toronto et psychiatre au Centre des sciences de la santé Sunnybrook, qui se spécialise dans le traitement des adultes souffrant de troubles complexes de l'humeur et d'anxiété.
    Ma recherche se centre sur la prévention du suicide. J'ai été vice-président du conseil de l'Association canadienne pour la prévention du suicide, auteur principal des Lignes directrices de la couverture médiatique du suicide, membre du groupe directeur de l'International COVID‑19 Suicide Prevention Research Collaboration et on m'a récemment demandé de coordonner les efforts de l'Association internationale pour la prévention du suicide en vue de créer un réseau régional de prévention du suicide dans 35 pays des Amériques.
    Je dois préciser que je ne participe pas à l'évaluation des demandes d'aide médicale à mourir et que je ne la pratique pas. Je ne suis pas non plus objecteur de conscience à l'aide médicale à mourir. Par souci de transparence, je dirais que mon agenda professionnel, tant de façon générale que dans le cadre des présentes délibérations, consiste à faire de mon mieux pour contribuer à une diminution du nombre de suicides au Canada et pour protéger la psychiatrie à titre de science fondée sur les données probantes.
    Comme je ne dispose que de quelques minutes, mon discours se centrera sur ce qui devrait être la question primordiale aux fins de vos délibérations. Comme vous pouvez le lire dans le rapport du Groupe d'experts, certains de mes collègues ont fait valoir que, comme pour toute autre procédure médicale, l'aide médicale à mourir pour le seul motif de maladie mentale ne devrait être permise que lorsqu'il est prouvé que ses avantages l'emportent sur ses inconvénients. Dans son rapport déposé récemment, le groupe d'expert a fait valoir qu'il avait envisagé cette possibilité, mais qu'il n'était pas arrivé à cette conclusion.
    Le principe visant à ne causer aucun préjudice est le fondement de la médecine depuis des milliers d'années; il sous-tend les principes modernes de la médecine fondée sur les données probantes, qui nous demandent de procéder à une évaluation scientifique des avantages et des inconvénients de nos traitements afin de déterminer si leur prestation est éthique. Si, en tant que pays, nous allons rejeter ces idées, nous devons d'abord être conscients de ce que nous faisons et ensuite avoir une raison impérieuse de le faire.
    En résumé, nous n'avons pas les données scientifiques nécessaires pour évaluer la sécurité de l'aide médicale à mourir dans les cas de maladie mentale. Si j'avais plus de temps, je pourrais vous donner de nombreux exemples, mais je vais plutôt me centrer sur l'absence totale de recherche sur la fiabilité des prédictions des médecins quant au caractère irrémédiable de la maladie ou des souffrances dans les cas de problèmes psychiatriques. À ma connaissance, il n'y en a aucune.
    Les défenseurs de cette pratique disent que nous avons en place des mesures de sécurité. Si tel est le cas, c'est parce que la pratique est associée à de nombreux dangers inhérents. On ne propose pas de mesures de sécurité pour des pratiques qui sont déjà sécuritaires, mais on ne sait pas du tout à quel point ces mesures permettront de régler le problème. Personne ne vous a fait part de ces chiffres parce qu'il n'y a aucune recherche sur le sujet. Par conséquent, si les choses vont de l'avant, les évaluateurs des demandes d'aide médicale à mourir n'auront aucune idée du nombre de fois où ils se seront trompés lorsqu'ils détermineront l'admissibilité d'une personne dans le contexte de l'aide médicale à mourir ayant pour seul motif la maladie mentale. Ils pourraient se tromper dans 2 % des cas ou dans 95 % des cas. Cette information doit être à l'avant-plan de notre discussion; or, nous ne l'abordons pas du tout.
    Les données probantes au sujet des préjudices associés à cette pratique, notamment en ce qui a trait à son incidence sur le suicide et sur la prévention en la matière, sont tout simplement manquantes. Rien dans la vie ou en médecine n'est certain. Tous nos traitements peuvent entraîner des avantages comme des inconvénients. En médecine, nous fonctionnons avec les probabilités. Les médecins aident les patients à prendre des décisions pour le traitement du cancer, par exemple, en leur disant qu'ils ont 90 % ou 10 % de chances de survie. Nous ne savons jamais avec certitude quel sera le résultat pour les patients, mais ces chiffres sont essentiels pour les aider à prendre une décision éclairée. Dans le cas de l'aide médicale à mourir ayant pour seul motif la maladie mentale, nous ne disposons d'aucune statistique. Nous n'aurions aucune idée — et nos patients non plus — du nombre de fois où notre jugement au sujet du caractère irrémédiable de la maladie est tout simplement erroné. C'est complètement différent de l'aide médicale à mourir dans les situations de fin de vie ou pour les maladies neurologiques progressives et incurables, où la prédiction clinique de l'irrémédiabilité est fondée sur des données probantes.
    Dans le contexte de l'aide médicale à mourir ayant pour seul motif la maladie mentale, les décisions de vie ou de mort seront prises en fonction de pressentiments et de suppositions qui pourraient être complètement erronés. Les incertitudes et la possibilité d'erreur dans les situations de maladie mentale sont énormes. Par conséquent, il est impératif, sur le plan éthique, d'étudier les préjudices possibles avant de mettre en œuvre la loi.
    Ce qui est déconcertant ici, c'est qu'il serait possible de réaliser les études nécessaires. Nous demandons des données probantes sur les avantages et les inconvénients des produits de santé naturels, des nouveaux médicaments et des vaccins avant de les légaliser; pourquoi sauterions-nous cette étape dans le cadre de délibérations aussi profondes que celles que vous réalisez en ce moment? Je crois que les Canadiens qui souffrent de maladies mentales méritent que nous rassemblions les renseignements scientifiques requis avant de prendre une décision aussi lourde de conséquences.
    Merci. Je vous souhaite à tous santé et bien-être en cette période de pandémie.

  (1505)  

    Merci beaucoup, docteur Sinyor.
    Nous allons maintenant entendre la Dre Freeland, qui dispose de cinq minutes.
    Je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui. Je m'appelle Alison Freeland, et je suis psychiatre. Je suis ici à titre de présidente du conseil d'administration et co‑présidente du groupe de travail sur l'AMM de l'Association des psychiatres du Canada.
    Aujourd'hui, mes remarques seront axées sur les demandes d'aide médicale à mourir fondées uniquement sur les maladies mentales afin de compléter le mémoire de l'APC qui a été envoyé au Comité il y a quelques semaines.
    L'APC n'a pas pris de position officielle sur la prestation de l'aide médicale à mourir dans les cas où la maladie mentale est la seule condition médicale sous-jacente. Cela dit, nous estimons que toute nouvelle loi doit protéger les droits et les choix des Canadiens vulnérables, et cela sans stigmatiser ou discriminer indûment les personnes atteintes de maladies mentales lorsque les critères d'admissibilité sont atteints.
    En évaluant des mesures de sauvegarde, l'APC s'est penché sur l'enjeu de la capacité dans son mémoire. Être atteint d'une maladie mentale ne signifie pas qu'on est incapable de prendre une décision, mais, lorsqu'actives, diverses forces de maladies mentales peuvent affecter la prise de décision et la capacité. Les psychiatres ont une formation et une expertise qui leur permettent d'évaluer, de diagnostiquer et de traiter des maladies mentales; ils peuvent notamment évaluer la capacité décisionnelle d'une personne ainsi que la durabilité, la stabilité et la cohérence de sa volonté et de ses préférences. Ils savent aussi tenir compte de toute contrainte externe ou de la psychopathologie interne qui pourraient affecter ces aspects.
    Pour tous les types de conditions, il existe des iniquités dans la prestation de services et dans le financement. La situation est particulièrement problématique pour ceux qui vivent avec une maladie mentale. Ces iniquités sont encore plus exacerbées dans les régions rurales ou éloignées. Que la maladie soit d'ordre physique ou mental, ou une combinaison des deux, il faut veiller à ce que les gens aient accès à des services cliniques culturellement appropriés axés sur la science de façon juste et opportune; il s'agit là de la première mesure de sauvegarde nécessaire pour veiller à ce que les gens ne demandent pas l'aide médicale à mourir en raison d'un manque de traitements, de soutiens ou de services disponibles.
    Dans le contexte des maladies mentales, il n'existe aucune définition généralement acceptée de l'incurabilité. Dans le milieu psychiatrique, certains refusent de croire qu'une maladie mentale puisse être incurable et pensent qu'il y aura toujours un autre traitement à tenter. Cet enjeu, pour être résolu, requiert une approche pragmatique qui équilibre l'expertise clinique et l'évaluation de l'incurabilité avec le point de vue du patient et son expérience face à sa maladie.
    Il est important de tenir compte des déterminants socioéconomiques de la santé, qui jouent un rôle clé dans l'expérience d'une personne, que ce soit en matière de souffrance ou d'adaptabilité à la maladie mentale. Si un patient refuse sans raison valable de suivre le traitement recommandé pour sa maladie, en pesant le pour et le contre, il est peu probable qu'il remplisse le critère d'admissibilité de l'incurabilité.
    L'état de vulnérabilité ne se limite pas à ceux qui sont atteints de maladies mentales. De nombreuses personnes atteintes de maladies non psychiatriques sont également vulnérables en raison de circonstances psychosociales telles que l'isolement, la pauvreté, les distorsions cognitives et la démoralisation causées par des tentatives de traitement infructueuses ou encore la difficulté à s'adapter à une vie avec la maladie. Une maladie physique peut être tout aussi imprévisible qu'une maladie mentale. Les gens peuvent perdre espoir, mais une rémission soudaine peut aussi survenir. Prédire les résultats d'un traitement est un défi aussi bien dans le milieu psychiatrique que dans le reste du milieu médical.
    Il faut prendre en compte et évaluer les idées suicidaires, qu'elles soient aiguës ou chroniques, afin de déterminer au mieux si le désir du patient de mettre fin à ses souffrances représente une évaluation réaliste de la situation, plutôt qu'un symptôme potentiellement traitable de sa maladie mentale. Une demande d'aide médicale à mourir devrait découler d'un processus réfléchi et soutenu, et non pas d'un désir transitoire ou impulsif. Cela est particulièrement important pour ceux qui sont atteints de maladies non terminales, comme une maladie mentale à caractère épisodique.
    Par conséquent, indépendamment de toute évaluation d'admissibilité à l'aide médicale à mourir, il est essentiel qu'au moins un psychiatre indépendant effectue une évaluation clinique exhaustive pour déterminer si le patient a reçu un diagnostic exact et a eu accès à une évaluation, à un traitement et à du soutien en matière de santé mentale fondés sur la science pendant une durée adéquate selon les normes de soin généralement acceptées.
    Merci beaucoup. Je serai heureuse de tenter de répondre à vos questions.

  (1510)  

    Merci, docteure Freeland.
    Je ne vois pas le Dr Black. Ai‑je raison?
    Il est là, sénatrice. Nous le voyons à l'écran, désormais.
    Très bien, merci beaucoup.
    Vous disposez de cinq minutes, docteur Black.
    Je vous remercie de me donner l'occasion de donner mon point de vue.
    Je suis un médecin avec 14 ans d'expérience tertiaire en psychiatrie d'urgence impliquant la suicidalité, et je suis aussi un chercheur, un professeur, ainsi qu'un expert sur le suicide et la suicidologie.
    Il est très important de noter que ce que la majorité des gens considèrent comme un suicide diffère grandement de la plupart des expériences d'aide médicale à mourir. Je vous ai envoyé un mémoire sur de nombreux mythes qui comparent le suicide à l'aide médicale à mourir, et j'espère qu'il vous a été utile. J'aimerais souligner trois points que j'avais soulevés en particulier.
    Premièrement, les motivations pour l'aide médicale à mourir et le suicide sont rarement les mêmes. Pour ce qui est du suicide, il est très rare d'avoir une combinaison de motivation fataliste, qui est une réponse contrôlée à un stress perçu, d'absence convenue de remède et de calcul rationnel sur la probabilité du changement, alors que c'est presque toujours le cas dans le contexte de l'aide médicale à mourir. Dans la littérature, les psychiatres s'entendent généralement sur la souffrance insupportable du patient et l'inutilité du traitement dans les cas psychiatriques d'aide médicale à mourir dans les pays où cet enjeu a été étudié.
    Deuxièmement, le désir de mourir ne signifie pas qu'on est atteint d'une maladie mentale. Bien que la suicidalité fasse partie des neuf critères de la dépression, il n'existe aucun diagnostic de maladie mentale grave dans 40 à 50 % des cas de suicide. Parmi ceux qui ont des idées suicidaires, nombreux sont ceux qui n'ont pas de diagnostic de maladie mentale, et la majorité ne se suicide pas.
    Troisièmement, les évaluations sur la capacité sont un élément essentiel de la formation en psychiatrie. Il s'agit probablement de l'aspect le plus réalisable et le moins controversé de ces discussions, et ce n'est pas non plus un enjeu qui soulève particulièrement la controverse dans le milieu psychiatrique.
    En ce qui concerne l'enjeu plus large et complexe des cas psychiatriques d'aide médicale à mourir, je suis rassuré par une approche qui m'aide dans ma vie clinique. La plupart de mes patients me sont envoyés par d'autres psychiatres ou médecins qui sont à la recherche de soins et d'expertise pour des cas complexes. Je suis leur psychiatre tertiaire. Les médecins de première ligne suivent des consignes ou des algorithmes, ce qui est rarement mon cas. En fait, le livre d'algorithmes pour mon métier serait minuscule.
    J'ai rarement une réponse parfaite à offrir. J'enseigne et je pratique une médecine fondée sur la science et des principes. Pour ce qui est de la médecine fondée sur la science, nous utilisons les meilleures preuves dont nous disposons à un moment donné. Nous appliquons le principe de la plausibilité dans notre expertise et reconnaissons l'importance de mettre à jour nos informations à mesure que de nouvelles et excellentes informations sont découvertes.
    À cet égard, certains pays ont des décennies d'expérience en matière d'aide médicale à mourir pour des maladies physiques et psychiatriques. Pour ce qui est des cas psychiatriques, la pratique semble bien acceptée et ne représente qu'une infime fraction des morts par aide médicale à mourir, soit de 1 a 2 %. Compte tenu du nombre de personnes ayant des pensées suicidaires, la peur que la décision de permettre la prestation d'aide médicale à mourir pour des maladies psychiatriques mène à une avalanche de décès au Canada n'est tout simplement pas justifiée.
    Une étude a estimé que les adultes aux Pays-Bas avaient 8 % de risque d'avoir des pensées suicidaires au cours de leur vie. Or, 65 adultes reçoivent l'aide médicale à mourir pour des raisons psychiatriques chaque année aux Pays-Bas, ce qui représente 0,0004 % de la population adulte.
    En ajoutant les procédures qui devraient être en place pour l'aide médicale à mourir, il est nettement moins probable que les conclusions en la matière soient hâtives et pas assez réfléchies. J'ai aussi soumis des preuves au Comité concernant un examen des études sur les cas psychiatriques d'aide médicale à mourir dans divers pays.
    Pour ce qui est de la médecine fondée sur des principes, on utilise une liste de principes pour prendre des décisions. Je tiens compte de nombreux principes pour les cas psychiatriques d'aide médicale à mourir. Premièrement, nous devons respecter l'autonomie de nos patients, surtout lorsque nous avons déterminé qu'ils ont la capacité de prendre des décisions par eux-mêmes.
    Deuxièmement, nous devons être conscients du racisme et du capacitisme systémiques et du manque d'accès aux soins en santé mentale au Canada. Personne ne devrait jamais choisir de recevoir l'aide médicale à mourir en raison d'un système qui lui inflige du racisme ou du capacitisme ou qui limite sa capacité à avoir accès à des soins en santé mentale de qualité.
    Troisièmement, nous ne devons pas faire de la discrimination à l'encontre de personnes atteintes de maladies mentales ou de troubles psychologiques.
    Quatrièmement, ce ne sont pas toutes les conditions qui répondent nécessairement aux traitements. Aucun traitement en psychiatrie n'a un taux de guérison de 100 %, et, comparée à d'autres spécialités, la psychiatrie a été terriblement lente à accepter la notion médicale qui veut que certaines personnes ne répondent pas positivement aux traitements, et ce pour diverses raisons connues et inconnues. Pour certains, un traitement peut être une expérience misérable dépourvue de quelconque avantage.
    Cinquièmement, la psychiatrie a un long héritage de paternalisme, et l'expertise des médecins et l'expérience des patients doivent pouvoir se recouper pour la prise de décisions. Enfin, un médecin ne devrait se servir que de son opinion professionnelle, et non de ses croyances personnelles, pour influencer la prise de décisions en matière de santé d'un patient.
    Je peux m'imaginer un système au Canada qui honore les meilleures données scientifiques et principes dont nous disposons à ce sujet, et c'est pourquoi, bien que prudent, j'y suis généralement favorable.

  (1515)  

    Merci.
    Merci, docteur Black.
    J'aimerais remercier tous nos témoins de leur témoignage aujourd'hui, qui seront fort utiles pour notre comité.
    Nous allons entamer la période de questions avec M. Cooper.
    Vous disposez de cinq minutes.
    Merci, madame la présidente.
    Docteur Sinyor, dans vos remarques liminaires, vous avez dit que nous n'avons pas la preuve scientifique nécessaire pour déterminer que l'aide médicale à mourir peut être octroyée de façon sécuritaire dans les cas où la maladie mentale est la seule condition médicale. Vous avez axé vos commentaires sur le manque d'études concernant la prédiction de l'irrémédiabilité. Vous avez dit que vous pouviez nous donner d'autres exemples de preuves manquantes, alors je vous inviterais à le faire maintenant.
    Merci beaucoup.
    J'estime qu'il y a quelques points clés à soulever. Tout d'abord, la loi ne traite pas uniquement des maladies incurables, mais aussi de la souffrance incurable et intolérable. Or, il n'existe pas de définition scientifique pour la souffrance incurable et intolérable. Un article paru le mois dernier dans le Journal de l'Association médicale canadienne réclamait qu'une telle définition soit établie, ce qui nous permettrait d'étudier l'enjeu. Il est important que vous sachiez qu'il n'existe pas de définition scientifique pour le concept sur lequel nous tentons de nous pencher. C'est ce qui explique entre autres le manque d'études à ce sujet.
    Je pense que nous devons examiner bien d'autres facteurs au‑delà... Il y a non seulement l'enjeu de l'irrémédiabilité des troubles psychiatriques, mais aussi de l'irrémédiabilité de la souffrance psychiatrique. Bien que je sois d'accord avec les autres témoins pour dire qu'il existe des maladies psychiatriques pour lesquelles il est impossible de guérir la maladie sous-jacente, cela diffère de l'idée de savoir s'il est possible d'offrir un traitement qui pourrait soulager la souffrance causée par la maladie. À ce que je sache, aucune étude d'ordre général ou psychiatrique ne s'est jamais penchée sur cet enjeu précis.
    On aurait aussi besoin d'un grand nombre d'études sur le suicide et la prévention du suicide. Nous venons d'entendre à juste titre, par exemple, que certains se demandent si l'aide médicale à mourir peut être considérée comme un suicide ou non. Certains estiment que c'est exactement la même chose, d'autres que c'est entièrement différent. La vérité se trouve probablement entre les deux. Évidemment, dans le cas des maladies mentales, il faut penser au fait qu'il peut y avoir un chevauchement important. Essayer de quantifier le degré de ce chevauchement et le degré des messages...
    Je dirai simplement que mes recherches ces jours‑ci sont surtout axées sur les messages publics. Les recherches ont démontré que lorsqu'on envoie le message dans la société qu'il est possible de suivre un traitement et de recevoir de l'aide lorsqu'on a de la difficulté à vivre avec une maladie mentale, moins de gens se suicident. Lorsque les médias font des reportages sur le fait que les gens vont mettre fin à leurs jours s'ils vivent des moments difficiles, le taux de suicide augmente. Le degré d'influence des reportages médiatiques et de ce type de changement culturel mériterait d'être étudié, tout comme les répercussions sur la relation médecin-patient et la perception de la population face à la psychiatrie.
    Je dirais que la dernière chose qui vaudrait probablement la peine d'être étudiée serait une analyse économique des éléments dissuasifs pervers potentiels. Évidemment, si on va de l'avant, on voudrait réinjecter tout argent épargné grâce à l'aide médicale à mourir dans le système de soins en santé mentale. Il est possible, bien sûr, qu'il y ait des éléments dissuasifs pervers à l'investissement. Si on n'investit pas, plus de gens auront ce qui semble être une maladie irrémédiable et recevront l'aide médicale à mourir. Notre système de santé ne fera alors qu'empirer, ce qui serait un désastre complet. Je pense que nous nous entendons tous là‑dessus.
    Il serait d'utile d'avoir accès à de telles études avant d'aller de l'avant.

  (1520)  

    Merci beaucoup.
    Je présume que, faute de pouvoir établir l'irrémédiabilité, parler de mesures de protection revient à mettre la charrue devant les bœufs. Si vous ne pouvez pas établir l'irrémédiabilité, vous ne pouvez pas aller de l'avant — certainement du point de vue législatif, mais même en mettant de côté les exigences légales, du point de vue de la sécurité aussi.
    C'est exact, selon moi. Pensons‑y logiquement: si quelqu'un demande si cet avion peut voler... Notre avion est dangereux. Nous savons qu'il peut s'écraser. Pouvons-nous nous rendre du point A au point B de façon sécuritaire? Certains pourraient dire que nous devrions mettre des mesures de sauvegarde en place, mais si elles ne sont pas réellement testées, je ne monterais pas dans cet avion.
    C'est vrai.
    Pourriez-vous nous expliquer à quoi ressemblerait une divulgation complète pour le consentement éclairé à l'aide médicale à mourir fondée uniquement sur une maladie mentale?
    Je pense que la difficulté est la suivante. On pourrait mettre sur pied une étude qui consisterait à prendre toutes les personnes qui pourraient être admissibles à l'aide médicale à mourir pour cause de maladie mentale et leur offrir d'excellents soins, tout ce dont elles pourraient avoir besoin: psychothérapie, pharmacothérapie adéquate, programme de nutrition, exercice, accès à la neurostimulation et autres interventions psychosociales qui pourraient aider. Ensuite, il s'agirait d'examiner les résultats et de constater dans quelle proportion ces patients passent réellement d'un état qui semble irrémédiable à un état remédiable. Je pense que ce qui préoccupe beaucoup d'entre nous, c'est que cette proportion est probablement très élevée.
    Ce qu'il y a de préoccupant à cet égard, c'est que les psychiatres ne savent pas ce qu'il en est en raison de l'absence de recherches. Il n'y a pas de données. Il est donc possible qu'après un examen sérieux, un patient et un psychiatre concluent qu'il n'y a rien à faire et que le cas est irrémédiable, et que les deux aient tout à fait tort, puis que cette personne mette fin à ses jours. En tant que praticien ou clinicien ou psychiatre, l'idée d'aller de l'avant avec cela sans informer les patients de cette possibilité pose problème. Pour le moment...
    Très bien.
    Merci beaucoup.
    Nous passons à M. Maloney.
    Vous avez cinq minutes.
    Merci, madame la coprésidente.
    Je remercie les trois témoins. Vos exposés étaient excellents et présentés de façon équilibrée, par rapport à certains groupes de témoins précédents, dont celui d'il y a une heure.
    Monsieur Sinyor, j'aimerais commencer par vous, si vous le voulez bien. À un moment donné, vous avez dit que vous essayez de protéger la psychiatrie en tant que science fondée sur des données probantes, ce que je respecte. Je vous en remercie. Avez-vous déjà été appelé à donner un avis d'expert dans une affaire juridique?

  (1525)  

    Oui, lors des audiences de l'affaire Truchon.
    D'accord. Il me semble que peu importe l'angle sous lequel on examine la question, un des principaux problèmes ou dilemmes est de savoir si c'est irrémédiable ou non et si c'est permanent ou non. Voilà ce que cela signifie. Est‑ce bien cela?
    C'est exact.
    Très bien. Selon vous, aucun psychiatre ne peut affirmer avec une certitude absolue qu'un trouble mental est permanent. Ai‑je bien compris vos propos?
    Je pense que n'importe qui peut donner une opinion, mais il est fort douteux que cette opinion soit solidement fondée sur la science.
    D'accord. Je suppose donc que, de votre point de vue, tout médecin qui fait une telle affirmation va trop loin et n'utilise pas des données scientifiques probantes pour étayer son opinion psychiatrique. Est‑ce une affirmation juste?
    Je dirais que oui. J'aimerais simplement que mes collègues aient de meilleures données sur lesquelles fonder leurs décisions si nous allons de l'avant à cet égard.
    Merci, monsieur Sinyor.
    J'ai été avocat pendant 20 ans avant d'entrer dans cette profession. Je peux vous dire avec une certitude absolue que chaque jour, en Ontario, certains de vos collègues témoignent devant les tribunaux dans des affaires liées à des cas psychiatriques et affirment que des gens ont des troubles médicaux permanents et irrémédiables. Dites-vous aujourd'hui qu'ils donnent tous des opinions qui ne sont pas valables?
    Je pense qu'elles sont discutables. De nombreux organismes ont clairement indiqué qu'on ne peut faire de telles déterminations, en fait, notamment l'Association canadienne pour la santé mentale, l'American Psychiatric Association et le groupe consultatif d'experts. Je vais laisser Mme Freeland faire ses propres commentaires, évidemment, mais essentiellement, l'APC n'a pas pris position sur la question. On s'entend certainement pour dire qu'il n'y a pas vraiment de données probantes à cet égard.
    Bien. J'en déduis que vous convenez qu'il y a de nombreux médecins qui donnent des opinions qui ne sont pas valables, et c'est votre point de vue.
    Voici le problème. Si quelqu'un demande... Vous pouvez me demander mon opinion. Les tribunaux peuvent demander aux gens de donner leur opinion. Lorsqu'on nous le demande, nous devons offrir la meilleure opinion possible, mais pour prendre une décision aussi lourde de conséquences, j'aimerais avoir de meilleures preuves, ce qu'on exige généralement en médecine.
    Je vois. Donc, vous n'êtes pas à l'aise avec cela, mais je pense qu'il n'est pas juste que vous puissiez être assis ici et affirmer que l'ensemble de la profession en est incapable. Je vais poser la question aux deux autres témoins pour savoir ce qu'ils en pensent, car il me semble que lorsqu'on affirme qu'un psychiatre ou une personne qui oeuvre dans ce domaine ne peut le faire, on n'accorde pas nécessairement à la profession le respect qui lui est dû.
    Madame Freeland, qu'en pensez-vous?
    Je dirais, du point de vue de l'APC, que nous avons une certaine formation, que nous avons à cœur notre profession et que nous évaluons les patients et leur offrons des traitements au mieux de notre capacité professionnelle. Je pense que nous reconnaissons tous qu'en ce qui concerne les données probantes, nous suivons les directives cliniques, pratiques et normes existantes. Toutefois, pour de nombreuses maladies, nous devons tous composer avec une variable inconnue lorsque ces choses ne fonctionnent pas. Concrètement, l'important est de trouver l'équilibre entre la détermination d'un psychiatre à offrir un traitement, des soins et l'espoir d'un rétablissement, tout en étant réellement à l'écoute de la souffrance que vit la personne et en respectant son droit à prendre ses propres décisions en matière de soins de santé.
    Lorsqu'on parle de science, il y a une composante scientifique, mais il y a un autre aspect important, soit l'art de travailler avec les patients, et cela doit aussi se refléter. Je pense que c'est ce que nous essayons de faire, du point de vue de l'APC.
    Je vous remercie. Je vous en suis reconnaissant.
    Monsieur Black, je vais passer à vous. Je n'ai pas beaucoup de temps.
    En terminant, vous avez dit que les opinions personnelles d'un médecin ne devraient aucunement être prises en compte lors d'une évaluation; je suis aussi de cet avis. Je suppose que vous l'avez précisé parce que vous considérez que certains médecins ont des idées très arrêtées sur la question, d'un côté ou de l'autre, et que cela influence leur opinion. Est‑ce exact?
    Tout à fait. Je pense que c'est un problème important. Lorsque nous testons les limites de la psychiatrie, il faut regarder le positif et le négatif. Si on ne peut savoir ce qui se passera avec une certitude absolue, on ne peut pas non plus affirmer que les traitements seront totalement efficaces. Voilà pourquoi le patient est au centre de nos décisions. Nous lui fournissons les meilleurs renseignements possible, et il prend la meilleure décision possible.
    C'est de cela qu'il s'agit, en fin de compte.
    Merci, monsieur Black.
    Merci beaucoup.
    Nous passons à M. Thériault, pour cinq minutes.

[Français]

     Merci, madame la présidente.
    Ma première question s'adresse aux trois témoins.
    Êtes-vous d'avis qu'il n'y a aucun trouble mental incurable, en aucune circonstance?
     Docteur Sinyor, voulez-vous commencer?

  (1530)  

[Traduction]

    Je ne suis pas certain d'avoir bien compris. Permettez-moi de clarifier. Je pense que le problème, c'est que notre capacité...

[Français]

    Considérez-vous qu'il n'y a aucun trouble mental incurable, en aucune circonstance?

[Traduction]

    Non, ce n'est pas ce que je dis. L'idée que certains troubles mentaux sont incurables fait consensus. La souffrance découlant des troubles mentaux pourrait être incurable, dans certains cas, mais nous n'avons absolument aucune donnée pour cerner ces cas et déterminer leur fréquence.

[Français]

    J'invite le Dr Black à répondre à ma question, et ensuite la Dre Freeland.

[Traduction]

    Nous allons commencer par M. Black, suivi de Mme Freeland.
    Allez‑y, monsieur Black.
    Lors d'une séance précédente, le Dr Derryck Smith a souligné l'importance de ne pas se concentrer autant sur le diagnostic, mais plutôt sur le patient. La condition du patient peut très bien être impossible à traiter et incurable, et bon nombre des traitements que nous offrons pourront fonctionner ou non. Nous ne pouvons guérir la totalité des patients. La psychiatrie donne de bons et de mauvais résultats, et les résultats varient selon les trajectoires. Je pense qu'on peut affirmer sans craindre de se tromper que de nombreux troubles psychiatriques ne peuvent être guéris dans l'état actuel des connaissances scientifiques.
    La parole est à vous, madame Freeland.
    J'appuie les commentaires de M. Black. J'ajouterais qu'il existe, dans le jargon de la psychiatrie, le concept de « maladie mentale grave et persistante » qui, en soi, sous-tend que bien que nous tentions de traiter les gens, de nombreuses personnes se retrouvent avec des symptômes résiduels et doivent composer avec ces symptômes à divers degrés de souffrance.

[Français]

    Y a-t-il une forme d'acharnement thérapeutique en psychiatrie, docteure Freeland?

[Traduction]

    Encore une fois, parlant au nom de l'Association des psychiatres du Canada, notre pratique est fondée sur des données probantes. Nous suivons les lignes directrices de pratique clinique.
    Je dirais, concernant les lignes directrices de pratique clinique, que la notion d'acharnement thérapeutique n'est probablement pas bien définie. Je crois que les praticiens tendent à faire tout ce qu'ils peuvent pour leurs patients et qu'ils cherchent vraiment des traitements qui pourraient leur être utiles. Malgré cela, comme vous l'avez entendu, il y a des gens pour lesquels on n'obtient pas de résultats, malgré un large éventail d'interventions fondées sur des données probantes et, peut-être, d'autres interventions uniques et novatrices.

[Français]

     Docteur Sinyor, voulez-vous répondre à cette question aussi?

[Traduction]

    Je sais que l'acharnement thérapeutique a été au centre de cette discussion, mais je pense aussi qu'il est important de souligner — en ma qualité de praticien dans un centre de soins tertiaires — que j'ai vu dans la communauté beaucoup de gens dont la condition était considérée comme irrémédiable et qui, après avoir été aiguillés vers nos services, ont reçu des traitements psychiatriques de plus haut niveau, comme la neurostimulation et certains médicaments plus anciens que nous avons, notamment les inhibiteurs de la monoamine-oxydase. Essentiellement, nous parvenons sans trop de difficulté à faire passer leur condition d'irrémédiable à remédiable.
    La préoccupation à cet égard est que la condition des gens soit considérée — à tort — comme irrémédiable, alors que des interventions exceptionnelles ne sont pas nécessaires, en fait. Il faut simplement offrir des soins vraiment rigoureux pour soulager la souffrance.

[Français]

     Docteur Black, vous pouvez également répondre.

[Traduction]

    Dans cette veine, je pense que la neurostimulation et les médicaments plus anciens sont toutes des choses qui... J'ai pratiqué la TEC et j'ai vu des résultats plutôt remarquables.
    Cela dit, la TEC est une solution angoissante pour un patient. Elle a un certain nombre d'avantages et d'effets secondaires, comme les inhibiteurs de la monoamine-oxydase, d'ailleurs. Encore une fois, la question est toujours de savoir si le traitement est disponible et s'il s'agit du bon traitement pour le patient. Les patients acceptent ou refusent ces traitements pour diverses raisons.
    En outre, j'ai vu de nombreux cas de gens qui ont eu une TEC, des inhibiteurs de la monoamine-oxydase et de nombreuses combinaisons de médicaments psychiatriques, et qui n'ont eu que des effets secondaires et aucun des avantages.

  (1535)  

    Merci beaucoup.
    Pour terminer ce premier tour, nous passons à M. Boulerice, pour cinq minutes.

[Français]

    Merci beaucoup, madame la présidente.
    J'aimerais d'abord poser une question à Mme Freeland.
    Plus tôt, vous avez parlé des déterminants sociaux et économiques qui peuvent pousser les gens à avoir des problèmes de santé mentale. Il semble y avoir en effet une corrélation forte entre la pauvreté, les inégalités sociales et les risques accrus de problèmes de santé mentale.
    Dans quelle mesure le fait d'agir sur ces facteurs socioéconomiques, donc sur les causes possibles des problèmes de santé mentale, pourrait-il nous aider à éviter que les gens demandent l'aide médicale à mourir pour des problèmes de santé mentale?

[Traduction]

    Je vous remercie de la question.
    Si j'ai bien compris la question, vous voulez savoir si consacrer plus de temps aux déterminants socioéconomiques et leur incidence sur la façon dont les gens composent avec leurs problèmes de santé permettrait d'éviter le recours à l'aide médicale à mourir comme solution.
    Vous savez, je pense, du point de vue de l'APC, encore une fois, que dans la réflexion sur les traitements, la notion d'interventions biopsychosociales pour traiter la maladie mentale occupe une partie très importante et fait partie des soins fondés sur des données probantes. Nous pensons à l'évaluation et au traitement des symptômes biologiques de la maladie grâce à une diversité de mesures et de traitements, tout en pensant aux mesures psychologiques et en tenant compte du contexte social dans lequel vit une personne.
    De façon générale, l'accès adéquat d'une personne à une équipe de traitement pouvant fournir des interventions biopsychosociales devrait nous aider à assurer la prestation des meilleurs soins possibles, ce que nous souhaitons tous faire lorsqu'une personne éprouve des problèmes de santé physique ou mentale et pense mettre fin à sa vie en raison de la nature de ses expériences.
    Comme je l'ai indiqué, une des premières et principales mesures de sauvegarde est de veiller à ce que les gens aient un bon accès aux traitements. Cela dit, il est toujours possible qu'indépendamment des soins qu'une équipe de traitement peut offrir, elle ne puisse satisfaire aux besoins particuliers d'un patient en raison de circonstances particulières de son vécu ou parce qu'il se trouve dans une situation unique. Si l'on considère qu'il s'agit de la seule façon d'essayer de réduire le recours à l'aide médicale à mourir, je ne crois pas que ce soit possible. À mon avis, c'est précisément pour cela que nous devons examiner ces choses de manière très holistique et les considérer comme faisant partie intégrante des mesures de sauvegarde. Nous devons faire de notre mieux pour guider les gens vers l'espoir et la guérison, puis réfléchir aux mesures de sauvegarde nécessaires pour nous assurer que les gens ne considéreront pas l'aide médicale à mourir comme une option trop rapidement.

[Français]

    Merci beaucoup, madame Freeland.
    Je vais poser une question simple, et j'aimerais bien que les trois témoins y répondent s'ils ont suffisamment de temps.
    À quelques reprises, lors de nos discussions, nous nous sommes demandé si les experts et la science étaient en mesure de faire une différence nette entre un état suicidaire et une souffrance inadmissible. Il me semble qu'il y a là une question fondamentale.
    Madame Freeland, est-on capable de dire à un patient, à une personne, qu'elle se trouve dans un état suicidaire ou qu'elle vit une souffrance inadmissible? Est-on capable de faire la part des choses de manière raisonnable, mais surtout sur une base scientifique?

[Traduction]

    Je pense que ce sont des questions que nous voulons continuer à comprendre et à explorer. En tant que psychiatres qualifiés, nous apprenons à faire ces distinctions, par exemple comprendre la distinction entre la souffrance socioéconomique et l'expérience des pensées suicidaires comme symptôme de la maladie. Il est important, pour nous aider à comprendre et à faire la distinction entre les différents éléments, de faire une évaluation très rigoureuse en nous appuyant sur une équipe complète et, au besoin, en demandant un second avis. Dans le contexte de l'aide médicale à mourir, il sera essentiel à l'avenir d'examiner la pertinence de nouveaux programmes de formation pour former les psychiatres à aborder cette question d'une manière très précise, à faire une évaluation appropriée et à être en mesure de faire ces distinctions.

[Français]

     Qu'en pensez-vous, monsieur Sinyor?

[Traduction]

    Je répondrais que nous pouvons tous essayer. Nous sommes tous des spécialistes. Nous pouvons faire de notre mieux. Toutefois, cela n'a jamais fait l'objet d'une étude scientifique rigoureuse, non.
    Je répondrais simplement oui, et oui, sans équivoque. C'est l'aspect fondamental de la formation en psychiatrie. Je comprends la nécessité d'une bonne analyse scientifique, mais il existe de nombreuses raisons qui expliquent pourquoi la démarche scientifique est si difficile à appliquer dans ce domaine. Toutes les meilleures données scientifiques que nous avons démontrent très clairement la distinction entre le genre de souffrance qui conduit aux demandes d'aide médicale à mourir et un patient suicidaire type qui se retrouve à l'hôpital ou dans une clinique psychiatrique.

  (1540)  

    Merci beaucoup.
    Merci à tous nos témoins.
    Nous passons à la ronde des sénateurs. Je cède donc la parole au sénateur Garneau.
    Je vous remercie, sénatrice.
    Nous commençons par la sénatrice Mégie.
    Étant donné qu'une des sénatrices ne participera pas à ce tour, je vais accorder quatre minutes à chacun des trois premiers intervenants du Sénat.

[Français]

    Sénatrice Mégie, vous avez la parole pour quatre minutes.

[Traduction]

    Monsieur le coprésident, le sénateur Dalphond est présent, alors nous sommes au nombre de cinq.
    Il parlait de moi. Je vais céder mon temps.
    Je vois. Je suis désolée de mon erreur.

[Français]

    Sénatrice Mégie, vous avez la parole pour quatre minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Ma question s'adressera aux trois témoins, ou à la personne qui voudra y répondre.
    Un des témoins du premier groupe de témoins a mentionné une augmentation du taux de suicide dans les pays où l'AMM est autorisée pour les personnes dont la maladie mentale est le seul diagnostic.
    Comment expliquez-vous ces données? Est-il possible que la comptabilisation de ce qu'on appelle des suicides ait inclus les gens qui sont décédés par suicide assisté?

[Traduction]

    Pour lancer le bal, je vais suggérer d'entendre la Dre Freeland, suivie du Dr Sinyor et du Dr Black, s'ils désirent répondre.
    Merci beaucoup.
    Je vais sauter cette question parce que l'APC n'a pas étudié cet enjeu précis et je ne pense pas pouvoir fournir de réponse représentative. Je vous présente mes excuses.
    Docteur Sinyor.
    Je dirais que j'ai entendu des arguments en faveur des deux types de calculs et, bien honnêtement, c'est un autre sujet qui est souvent abordé en se fiant aux courbes de données sans toutefois mener l'analyse statistique des autres facteurs pouvant influencer les taux de suicide. Toutefois, je crois qu'il faut sans contredit craindre d'une augmentation des taux de suicide dans le contexte de l'AMM.
    Comme je l'ai dit, mon expertise et ma recherche portent avant tout sur les communications publiques, et quand on inculque à la population l'idée que la mort est une solution appropriée à la souffrance mentale, les suicides augmentent. C'est un des enjeux dont le gouvernement du Canada doit débattre si c'est le message qui est envoyé.
    Docteur Black, désirez-vous faire des observations?
    Oui. J'ai effectué de telles analyses que j'ai d'ailleurs remises au Comité. Aucun fait ne corrobore la notion que les taux de suicide ont augmenté dans les pays ou les états qui ont adopté l'AMM. J'ai fourni ces renseignements au Comité.
    C'est une affirmation qui prétend que le lien existe et qui nécessiterait des preuves irréfutables. Il est tout à fait vrai qu'il est toujours très difficile de comparer des pays. Je dirais que les courbes et autres données sur les taux de suicide des pays ayant adopté l'AMM sont parallèles à celles des États et pays voisins qui ne l'ont pas adoptée.
    À ma connaissance, aucun lien ne peut être établi en ce sens.

[Français]

    Je vous remercie.
    Merci, sénatrice Mégie.

[Traduction]

    Nous allons maintenant entendre le sénateur Kutcher.
    Vous disposez de quatre minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    J'ai une question pour le Dr Black, ensuite pour la Dre Freeland.
    Poursuivons la discussion sur le taux de suicide.
    Depuis l'avènement du projet de loi C‑14 au Canada, l'AMM a fait l'objet d'une foule de débats publics dans les médias, et ce, partout au pays. Depuis l'adoption de l'AMM, quelle a été la fluctuation des taux de suicide au Canada généralement et plus précisément pour la population des personnes âgées de 50 ans ou plus qui sont plus susceptibles de demander l'AMM?
    Je vous remercie de la question.
    J'ai fourni ces renseignements dans mon mémoire au Comité. Les taux de suicide n'ont connu aucun changement notable depuis la mise en oeuvre de l'AMM, en dépit de nombreuses proclamations, prononcées avant l'adoption de l'AMM par de soi-disant experts, annonçant qu'ils augmenteraient. La situation me rappelle nettement les premiers stades de la COVID où des experts ont prédit que les taux de suicide bondiraient à cette période aussi. Les taux de suicide ont en fait fortement diminué en 2020.
    L'arrivée de l'AMM n'a pas eu d'incidence malheureuse sur les suicides.
    Serait‑il donc juste de dire que toutes les communications publiques au sujet de l'AMM n'ont pas entraîné d'augmentation du nombre de suicides?

  (1545)  

    Les facteurs qui influencent le taux global d'une nation sont innombrables. Le taux d'un grand groupe — comme le taux de la moyenne canadienne — comprend une multitude de personnes aux expériences diverses. Je prends toujours garde de ne pas créer de liens là où il n'en existe pas.
    Je dirais qu'il n'est pas valable d'avancer que le taux de suicide a augmenté à cause des communications sur l'AMM.
    Merci.
    Docteure Freeland, je vous remercie sincèrement de vous attaquer à la question de savoir qui détermine si la souffrance est intolérable.
    Si je comprends bien, vous êtes d'avis que la souffrance telle que la vit une personne apte déterminera sa décision. Un psychiatre doit offrir toutes les options au patient, mais c'est cette personne — si elle est apte —, et non pas le psychiatre, qui décide de l'issue.
    Certains ont soulevé des préoccupations selon lesquelles des psychiatres n'accepteront jamais que la souffrance d'un patient soit irrémédiable. Dans une telle situation où le psychiatre croit que la souffrance du patient n'est pas irrémédiable et veut que le patient persévère alors que celui‑ci affirme qu'il n'en peut plus, qu'arrive‑t‑il à la relation? Quelle voie devrait-elle prendre?
    Je crois que dans ce genre de situations tendues...
    Je dirais, en guise de préambule, que ces décisions sont idéalement prises d'un commun accord puisque le patient écoute la perspective et les conseils du psychiatre, dont le rôle est de réfléchir à l'espoir et au rétablissement. Parallèlement, il faut écouter la perspective et les souhaits d'un patient apte afin de prendre une décision pour son avenir qu'il trouvera convenable.
    Lorsqu'un patient croit qu'un praticien ne lui apporte pas ce dont il a besoin, la solution qui s'offre à lui est comparable à ce qui est offert aux patients vivant une situation difficile dans un autre domaine de la santé. Il est possible de demander de l'aide, une deuxième opinion ou une réévaluation, ou même de parvenir à une décision commune quant aux prochaines étapes, puis d'obtenir une deuxième opinion.
    Je crois qu'il y a différentes solutions, mais idéalement ces conversations sont transparentes, éclairées et entre deux personnes qui se soucient des résultats, du traitement et des soins du patient.

[Français]

C'est maintenant le tour du sénateur Dalphond pour quatre minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins, qui sont tous très intéressants et qui contribuent beaucoup à notre réflexion.
    Comme il ne me reste que trois minutes et demie de temps de parole, je vais poser mes questions à la Dre Freeland.

[Traduction]

    Docteure Freeland, je crois que votre association s'intéresse vivement à l'accès à l'AMM dans le cas de troubles mentaux, et vous coprésidez un comité — un groupe de travail — à ce sujet.
    Pouvez-vous nous dire combien de membres siègent à ce comité? Votre sous-groupe a‑t‑il étudié le rapport du groupe de travail du comité d'experts?
    Je suis en train de les compter rapidement pour vous donner le bon nombre. Douze personnes siègent à notre groupe de travail. Nous avons lancé un processus rigoureux pour demander aux personnes intéressées de poser leur candidature. Un certain nombre de nos membres l'ont fait. Le processus a eu lieu il y a quelques années.
    Les membres ont des perspectives très variées sur l'aide médicale à mourir, ce qui est une fidèle représentation de nos membres à l'APC. C'est la raison pour laquelle nous axons nos efforts sur les mesures de protection qui existeront si le projet se concrétise et sur la façon de véritablement informer nos membres pour qu'ils saisissent les enjeux.
    Notre groupe se réunira bientôt. Nous n'avons pas encore eu l'occasion de parcourir le rapport des experts. J'y ai jeté un coup d'œil rapide, alors je ne peux fournir de commentaires formels au nom de l'APC à ce sujet. C'est toutefois avec plaisir que je vous ferai part de nos commentaires après notre réunion.
    Oui, veuillez nous envoyer les commentaires après la réunion de votre sous-groupe.
    Entretemps, pouvez-vous nous dire, selon vos discussions antérieures et votre compréhension du rapport, si celui‑ci néglige certains éléments? Certains enjeux devraient-ils être approfondis?
    Globalement, si je me fie à ma lecture en diagonale, le rapport du comité d'experts reflète certains des enjeux primordiaux pour les mesures de protection. Certains des enjeux abordés dans le rapport sont aussi des sources d'inquiétude pour les psychiatres, comme l'indiquent le document d'information de l'APC et la rétroaction de nos membres. Le rapport semble englober ces préoccupations. En fait, un des appendices reflète certains des enjeux de l'APC dans un tableau qui inclut l'Association du Barreau canadien et l'AMC. La rétroaction de l'APC s'y retrouve donc en quelque sorte.
    Ce qu'il faut souligner à grands traits, c'est l'importance d'une approche nationale et normalisée. Comme nous le savons tous, de nombreuses différences voient le jour lorsque les questions de santé se retrouvent au palier provincial. Étant donné la nature du dossier, il sera important et difficile de démontrer que, afin d'obtenir des mesures de protection, des règles très claires de surveillance ont été établies. Il faudra nous assurer que les mesures prises sont celles qui s'imposent.
    Ce sera peut-être une des parties du rapport sur laquelle se concentrer à cet égard.

  (1550)  

    Croyez-vous qu'il est possible de nous doter de ces normes nationales avant la date prévue d'entrée en vigueur de ces dispositions liées à l'AMM?
    Le comité d'experts a rapidement réalisé de l'excellent travail. Selon moi, il s'est agi d'efforts considérables et prometteurs. L'été approche. Je crois que la réponse dépend de la volonté des gens de maintenir le cap sur le dossier et de le terminer d'ici le mois de février.
    Merci.
    Merci, monsieur le sénateur.
    Nous allons maintenant passer à la sénatrice Martin pendant trois minutes.
    Merci à tous les témoins.
    Je vais reprendre là où le sénateur Dalphond s'est arrêté avec la Dre Freeland et demander au Dr Sinyor et au Dr Black leurs commentaires sur le rapport du comité d'experts.
    Je vais demander au Dr Sinyor de commencer.
    En fin de compte, si vous me le permettez, il semblerait que le groupe d'experts a fait de son mieux pour vous fournir ce que les membres croient être des renseignements justes, et ils ont droit à leur opinion. Ce que je répondrai, c'est que, au début du rapport, le groupe d'experts rejette l'idée voulant que nous devions nous assurer que les torts ne l'emportent pas sur les avantages avant d'aller de l'avant. J'en suis gravement préoccupé. Ce ne sont pas les règles de l'art en médecine. Ce n'est pas ainsi qu'on a agi, par exemple, pour les vaccins. Nous avons pratiquement attendu un an après sa disponibilité pour l'administrer afin de valider son innocuité : la situation aurait été catastrophique si le vaccin n'avait pas été sûr.
    Pourquoi ne pas faire de même dans le cas qui nous occupe? À cet égard, je ne partage pas le point de vue du groupe d'experts.
    Allez‑y, docteur Black.
    Je trouve que le rapport est excellent. Je l'ai lu et j'approuve la majorité de son contenu. J'ai trouvé qu'il résume très bien l'expertise que nous détenons actuellement sur la question.
    Je vous remercie tous encore une fois pour vos observations et votre expertise.
    Je vous redonne la parole, monsieur le coprésident.
    Merci beaucoup.
    Je remercie tous les témoins. Nous allons nous préparer à notre prochaine séance, mais je voulais vous remercier au nom de tous les membres du Comité de vos témoignages d'experts, de votre vive franchise, de vos déclarations préliminaires et de vos réponses à nos questions sur un dossier épineux que nous prenons très au sérieux.
    Vos perspectives d'experts sont d'une aide inouïe. Merci énormément de nous avoir consacré du temps aujourd'hui en dépit de vos horaires chargés.
    Sur ce, nous allons suspendre cette séance. Comme vous le savez, chers collègues, nous devons permettre aux interprètes et à d'autres membres du personnel de faire une pause, alors nous reprendrons avec le témoignage de la Dre Gupta à 16 h 30.
    Merci à tous. La réunion est suspendue temporairement.

  (1550)  


  (1630)  

    Bon retour, chers collègues.
    Nous recevons maintenant un témoin très spécial pendant une heure et demie. Nous accueillons la présidente du groupe de travail du groupe d'experts sur l'AMM et la maladie mentale, la Dre Mona Gupta. Je ne sais pas si elle est accompagnée de collègues, mais je la vois en ligne.
    La discussion avec notre invitée durera une heure et demie. Le format sera ainsi quelque peu différent qu'à l'habitude. Après la déclaration préliminaire de cinq minutes de la Dre Gupta... En fait, je me suis trompée. Nous allons reprendre l'ordre d'interventions d'origine. Nous n'avons jamais réussi à nous rendre à la deuxième série de questions, comme vous le savez. La première série de questions sera avec les députés et les sénateurs, puis la deuxième série donnera trois minutes aux conservateurs et aux libéraux, et deux minutes au Bloc québécois et au NPD. Nous ne nous sommes jamais rendus à la deuxième série de questions, mais, comme nous disposons d'une heure et demie, nous serons en mesure de donner la parole à tous les intervenants prévus.
    Docteure Gupta, nous vous souhaitons la bienvenue et vous remercions de l'expertise que vous apportez à la discussion. Vous disposez de cinq minutes pour votre déclaration liminaire. Vous avez la parole.

[Français]

    Je suis heureuse de comparaître devant vous au nom du Groupe d'experts sur l'AMM et la maladie mentale, qui a été créé en vertu du projet de loi C‑7 et dont le rapport final a été déposé au Parlement du Canada le 13 mai 2022.
    Je suis médecin-psychiatre et chercheuse régulière en philosophie et éthique de la psychiatrie au Centre hospitalier de l'Université de Montréal. Dans ma pratique clinique, je travaille en psychiatrie médicale, le sous-domaine consacré aux soins psychiatriques pour les personnes atteintes d'autres problèmes médicaux. J'ai été impliquée dans des cas de personnes qui demandaient l'AMM, principalement comme consultante en psychiatrie et parfois comme évaluatrice de la demande.
    Dans cette présentation, je vais faire un survol du raisonnement derrière les recommandations du Groupe. Je pourrai donner plus de détails sur ce raisonnement pendant la période de discussion, au besoin.
    Rapidement, j'aimerais dire quelques mots sur le choix des termes. Malgré le fait que notre mandat utilisait l'expression « maladie mentale », le Groupe a choisi d'utiliser le terme « trouble mental », parce que c'est un terme normalisé en médecine. Dorénavant, je vais donc utiliser l'expression « trouble mental ».
    Notre mandat était de faire des recommandations concernant des sauvegardes, des protocoles et des directives pour les demandes d'AMM faites par des personnes atteintes de troubles mentaux, et non de tenir un débat pour savoir si ces personnes devraient y avoir accès. Néanmoins, nous avons pris très au sérieux les enjeux soulevés par ceux qui s'opposent à cette pratique. Je parle des enjeux soulevés dans le rapport, par exemple: l'incurabilité d'un problème médical, l'irréversibilité du déclin des capacités, l'aptitude à prendre une décision pour avoir l'AMM, les tendances suicidaires et la vulnérabilité structurelle.

[Traduction]

    Lorsque nous avons entamé notre travail, nous avons d'abord remarqué que les personnes souffrant de troubles mentaux demandent maintenant l'AMM et y ont accès. Parmi ce groupe, on compte tout un éventail de demandeurs: des personnes dont le trouble mental est stable; des patients dont les problèmes psychiatriques et physiques sont actifs et motivent conjointement la demande d'AMM; et, à l'extrémité du spectre, des personnes dont les demandes sont principalement motivées par leur trouble mental, mais qui ont également un autre problème de santé admissible. Ces demandeurs ont dans certains cas des comportements suicidaires depuis longtemps. On peut s'interroger sur leur capacité à prendre des décisions. Ils se trouvent peut-être aussi dans des situations de vulnérabilité structurelle.
    Une deuxième observation connexe que nous avons faite est que certains patients qui demandent et obtiennent l'AMM à l'heure actuelle ont des problèmes de santé dont il est difficile d'évaluer l'incurabilité et l'irréversibilité du déclin. C'est notamment le cas de certains demandeurs souffrant de douleur chronique.
    En se fondant sur ces observations, le groupe d'experts a conclu qu'il n'existe pas de problème caractéristique unique touchant toutes les personnes atteintes de troubles mentaux et seulement les personnes atteintes de troubles mentaux. L'expression « troubles mentaux » n'est qu'un terme imprécis pour désigner ces problèmes. Si on espère éviter de devoir aborder ces questions difficiles en empêchant les personnes dont le trouble mental est le seul problème médical invoqué pour avoir accès à l'AMM, l'expérience clinique en matière d'AMM nous apprend que nous faisons fausse route. Nous nous heurtons déjà à ces problèmes concrètement. C'est ce qui explique pourquoi l'approche du groupe d'experts consiste à tenter d'aborder ces problèmes de front.
    En examinant attentivement les préoccupations liées à l'AMM pour les troubles mentaux, nous avons constaté qu'elles sont de nature clinique. J'entends par là que les difficultés se manifestent lorsque des médecins cliniciens doivent appliquer des termes juridiques aux évaluations en matière d'AMM: il est par exemple complexe d'interpréter le mot « incurabilité » pour un problème de santé précis, tout comme il est difficile d'évaluer les comportements suicidaires chroniques.

  (1635)  

    Ce qui semble nécessaire pour répondre à ces préoccupations est de travailler davantage sur l'applicabilité des critères d'admissibilité et sur l'élaboration de meilleures approches pour évaluer certains enjeux problématiques particuliers de la pratique clinique. Le groupe d'experts a tenté de faire une partie de ce travail d'élaboration et de définition dans ses recommandations.
    Ce processus d'élaboration et de définition a également permis au groupe d'experts de préciser que, pour qu'un trouble mental soit considéré comme un état pathologique grave et irrémédiable au sens du Code pénal, il doit être de longue date, et la personne qui en souffre doit avoir reçu de nombreux traitements et bénéficié abondamment de mesures de soutien social. L'aide médicale à mourir n'est pas destinée aux personnes en crise ou à celles qui n'ont pas eu accès aux ressources sanitaires et sociales.
    Je vais m'arrêter là. Je serais très heureuse de poursuivre la discussion avec vous.
    Merci beaucoup, docteure Gupta.
    Nous allons amorcer la première série de questions avec M. Cooper.
    Monsieur Cooper, vous avez cinq minutes.
    Merci, madame la coprésidente.
    Merci de votre présence parmi nous, docteure Gupta.
    À la page 22 de votre rapport, il est dit qu'une « approche consensuelle a été adoptée pour les délibérations du Groupe » et que « les auteurs ont obtenu l’unanimité à l’appui des recommandations ». Je note que ce n'est pas tout à fait vrai, car deux membres de votre groupe d'experts ont démissionné. Est‑ce effectivement le cas?
    C'est vrai dans le sens où ils n'étaient plus membres. Le rapport a reçu l'appui unanime de ses auteurs.
    Pouvez-vous expliquer pourquoi ces deux membres ont démissionné ou quitté le groupe?
    Bien sûr. Je crois savoir que le groupe d'experts a été sélectionné et nommé par les deux ministres. Ils ont cherché à s'assurer qu'un éventail de points de vue serait représenté au sein du groupe. Ont donc été inclus des membres qui avaient déclaré publiquement qu'ils étaient opposés à l'aide médicale à mourir pour troubles mentaux. Lorsque nous avons commencé à travailler sur le rapport et les recommandations, une des membres, malgré sa volonté initiale de participer, est arrivée à la conclusion qu'elle ne pouvait pas concilier sa position personnelle avec le travail du groupe d'experts, compte tenu du mandat de ce dernier et du fait qu'elle avait signifié publiquement son opposition en la matière. Cette démission a eu lieu en décembre.
    La deuxième démission a eu lieu à la fin du processus du groupe d'experts, à la fin du mois d'avril. En fait, je n'ai pas de renseignements sur les raisons précises qui ont poussé la personne à démissionner, mais elle a envoyé une lettre disant qu'elle renonçait à son statut de membre.
    Je vous remercie de votre réponse. Toujours à la page 22 du rapport, on confirme qu'il n'y a pas eu de consultation des intervenants ou des experts. Je reconnais que le rapport précise toutefois qu'il y a eu une consultation, mais qu'elle était très limitée. Est‑ce bien le cas ou non?
    Notre mandat n'était pas de procéder à des consultations, mais ce que nous avons dû faire, c'est essayer d'aller chercher des informations qui n'étaient pas disponibles dans le domaine public. Oui, nous avons parlé de cela dans le rapport. Vous avez raison.

  (1640)  

    Et cela...
    Je suis désolée, mais puis‑je intervenir? Il y a une note à l'intention de Mme Gupta.
    Pourriez-vous lever votre microphone un peu plus haut, s'il vous plaît? Cela faciliterait le travail des interprètes.

[Français]

     D'accord.

[Traduction]

    J'ai mis votre temps de parole sur pause, monsieur Cooper. Vous pouvez reprendre.
    Merci, madame la coprésidente.
    Il n'y a pas eu de consultation des parties prenantes ou des experts, et pas de consultation des communautés autochtones. Est‑ce exact?
    Je le répète, notre mandat n'était pas de procéder à des consultations par l'intermédiaire d'un groupe d'experts. Le groupe a été formé en fonction de l'expertise qu'il fallait pour faire le travail. Cela dit, trois membres du groupe s'identifient comme étant autochtones et, par conséquent, ils ont pu nous guider et enrichir le groupe de certaines sensibilités que nous avons pu mettre à contribution pour réfléchir à ces questions.
    Seriez-vous prête à reconnaître que l'absence de consultation des parties prenantes et des experts — ce qui, je le reconnais, ne faisait pas partie du mandat — diminue le poids que l'on devrait accorder aux conclusions du rapport? Vous admettrez, j'en suis certain, que cela serait important pour formuler des recommandations.
    Je ne sais pas si « reconnaître » est le mot juste. Je pense que l'on nous a confié une tâche en tant que groupe d'experts et, comme je l'ai dit, je pense que les membres du groupe avaient le savoir-faire requis pour s'acquitter de cette tâche. Selon moi, la consultation des intervenants fournit un autre type de renseignements, renseignements qui sont également pertinents. Si le gouvernement souhaite aller dans cette voie, je suis certaine que cela permettra aussi de recueillir des renseignements forts utiles.
    Dans un autre registre, avez-vous entendu parler d'une étude sur la fiabilité des médecins qui établissent le caractère irrémédiable d'une maladie?
    Par fiabilité, voulez-vous dire que, si un certain nombre de médecins évaluent le même patient, ils arriveront à la même décision?
    Oui, ou bien avez-vous connaissance, de manière plus générale, d'études sur la détermination du caractère irrémédiable des états pathologiques?
    Vous voulez dire des études sur la fiabilité des évaluations et des déterminations.
    Exactement.
    Je ne suis pas au courant d'études sur la détermination du caractère irrémédiable d'une maladie. Le caractère irrémédiable n'est pas un terme clinique, c'est un terme juridique. L'une des choses que le groupe a essayé de faire, c'est de donner un peu de chair clinique à cette expression, si vous voulez, et de la traduire en termes que les cliniciens peuvent comprendre.
    Je vais modifier légèrement votre question, si vous me le permettez. Il existe des études sur, par exemple, la détermination de la résistance au traitement. C'est un terme qui serait plus habituel en psychiatrie. On l'utiliserait, par exemple, pour les personnes atteintes d'une certaine maladie qui ont reçu certains types de traitements. Par exemple, lorsque nous effectuons des recherches sur la résistance à un traitement, nous proposons les sujets qui devraient être recrutés pour ces études. Vous pourriez donc dire que les chercheurs — souvent des cliniciens — qui recrutent les patients pour ces études se mettent d'accord sur les patients qui résistent au traitement et ceux qui n'y résistent pas.
    Nous allons maintenant entendre M. Arseneault, pour cinq minutes.

[Français]

    Merci, madame la présidente.
    Soyez la bienvenue, madame Gupta.
    Je vous remercie de nous avoir fourni toute cette information à titre de présidente du Groupe d'experts sur l'AMM et la maladie mentale.
    Les gens qui vous font face aujourd'hui sont des députés, des sénateurs et des sénatrices. Ultimement, nous sommes des législateurs et nous n'avons pas tous votre expertise en psychiatrie.
    Nous traitons des troubles mentaux comme seule condition pour faire une demande d'aide médicale à mourir. Je ne peux pas dire dans quelle proportion les psychiatres sont pour ou contre, mais nous entendons des arguments très contradictoires de la part de ces professionnels.
     Cela dit, il semble y avoir un consensus au sein de la profession selon lequel on peut très bien faire la distinction entre quelqu'un qui a des tendances suicidaires et quelqu'un qui n'en a pas, même s'il s'agit d'une personne qui souffre uniquement de troubles mentaux. Ai-je bien compris?
     C'est intéressant. Comme vous l'avez déjà entendu dans les autres témoignages, il y a un débat dans la documentation scientifique cherchant à établir si le fait de vouloir l'AMM est la même chose qu'être dans un état suicidaire. Certains disent que oui, d'autres disent que non. Dans le rapport, nous avons pris note de cette divergence dans la documentation scientifique. Je vais enlever mon chapeau de présidente du Groupe pour parler de mes propres travaux en tant que chercheuse au sein de notre groupe de recherche. Je n'analyserai pas cette question de cette façon, c'est-à-dire en tentant de déterminer si on peut distinguer ces deux états. Je vais plutôt demander si on sait comment réagir quand on juge que quelqu'un présente un risque suicidaire et quand ce n'est pas le cas.
    Pour y répondre, je vais me fier à d'autres sphères de la médecine. Par exemple, certains patients vont faire des choix qui vont certainement mener à la fin de leur vie, par exemple, en cessant leurs traitements. Doit-on considérer que tous ces patients sont suicidaires, les hospitaliser contre leur gré et les forcer à continuer leur traitement? Dans certains cas, oui, et dans d'autres cas, non. Sur quels principes et sur quelles pratiques doit-on se baser pour prendre ces décisions?
    Je remets maintenant mon chapeau de présidente du Groupe. Nous nous basons sur ces mêmes principes et ces mêmes pratiques pour évaluer le cas d'une personne qui demande l'AMM. Doit-on agir, même si cela va à l'encontre de la volonté du patient, ou s'agit-il plutôt d'évaluer son aptitude à prendre une telle décision?

  (1645)  

    D'accord.
    C'est comme cela que nous abordons le sujet.
    Je trouve cela intéressant, parce que cela m'amène à soulever la question du caractère irrémédiable. Dans la profession des psychiatres, ce que les opposants à l'aide médicale à mourir disent souvent, c'est qu'on ne peut pas définir ce qui est irrémédiable dans le cas des maladies mentales. En psychiatrie, il semble que ce soit impossible. Par contre, vous nous disiez, dans votre présentation, que l'aide médicale à mourir serait recevable pour quelqu'un qui souffre de troubles mentaux de longue date et qui a reçu toute l'aide nécessaire.
    J'aimerais faire un lien avec la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Carter, parce que c'est elle qui nous plonge dans l'aide médicale à mourir au Canada. La Cour suprême nous dit que « le terme “irrémédiable” ne signifie pas que le patient doive subir des traitements qu’il juge inacceptables. »
    En tant que juriste, je me demande comment on peut faire se rejoindre cette recommandation de la Cour suprême et le monde des psychiatres.
    D'accord.
    Votre question touche plusieurs éléments. Je vais essayer d'y répondre au mieux.
    D'abord, la position du Groupe, c'est que le mot « irrémédiable » n'est pas un mot clinique. C'est un mot qui se trouve dans le Code criminel et qui est basé sur trois sous-critères: l'incurabilité de la condition, le déclin avancé et irréversible des capacités et la souffrance. Tous ces termes ont un sens clinique. On peut donc essayer de comprendre ces mots-là et de les définir d'une façon qui a du sens pour les cliniciens et qui correspond à ce que nous faisons dans notre pratique et à ce que les patients reçoivent comme traitements.
    Je pense qu'une grande partie du débat entre ceux qui disent qu'on ne peut pas dire qu'une maladie est irrémédiable et ceux qui disent que c'est possible est due au fait qu'ils utilisent des définitions différentes. C'est pour cela que, dans le rapport, le Groupe a essayé de proposer une définition de « maladie incurable » dans le contexte des troubles mentaux qui pourrait avoir du sens dans un contexte clinique.
    Bien sûr, nous savons maintenant qu'il existe des maladies que nous ne réussirons jamais à guérir. Nous en sommes certains à 100 %. Toutefois, il y a beaucoup d'autres maladies sur lesquelles nous en savons moins, notamment en ce qui concerne leur évolution à long terme. Dans ces cas-là, quel est le niveau de certitude nécessaire? C’est dans les détails que le bât blesse. Grosso modo, voici ce que nous en pensons. Si on doit réfléchir à ce qu'est un état incurable et qu'on fait un parallèle avec d'autres maladies chroniques, on peut dire que le seuil est atteint une fois qu'on a épuisé tous les traitements conventionnels. Cela vient rejoindre votre commentaire sur l'arrêt Carter.
    Comme le Dr Maher l'a dit tantôt, on ne forcera certainement pas les gens qui ont toute leur tête à faire des choses qui sont inacceptables pour eux. En même temps, si je dois constater que quelqu'un a une maladie incurable, comment puis-je procéder s'il n'a essayé aucun traitement? Combien de traitements devrait-on avoir essayés? Cela dépend de l'entente négociée entre le clinicien et le patient.
    Merci.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant passer à M. Thériault, pour cinq minutes.

[Français]

     Merci, madame la présidente.
    Je vous remercie beaucoup, docteure Gupta, d'être avec nous.
    J'ai lu plusieurs fois votre rapport avec intérêt et j'aimerais vous faire part de ma première préoccupation.
     Je pensais que votre mandat inclurait l'élargissement ou l'interdiction de l'aide médicale à mourir aux cas où le trouble mental est le seul problème médical évoqué. Pourquoi cela ne faisait-il pas partie de votre mandat? Je comprends bien que vous vous êtes basés sur la prémisse selon laquelle cet élargissement devait avoir lieu, et que vous avez cherché à déterminer comment cela devait se passer.
    Je vous prierais de me donner une brève réponse, car j'ai encore plusieurs questions à vous poser. Pourquoi cela n'a-t-il pas fait partie de votre mandat? En avez-vous été surprise?

  (1650)  

    Je vais vous donner une réponse assez courte, ce qui vous permettra d'économiser du temps de parole. Je pense que cette question devrait s'adresser au gouvernement, parce que c'est lui qui nous a donné le mandat.
    J'imagine que c'est parce que cet accès est déjà prévu dans le projet de loi C‑7 à partir de mars 2023.
    Cependant, dans le cadre de la révision de la Loi, on devait déterminer si on appliquait ou non la mesure de temporisation ou si on enlevait totalement cette possibilité. Il me semble qu'il aurait été intéressant que cette discussion ait lieu au sein du Groupe d'experts sur l'aide médicale à mourir et la maladie mentale. La situation fait que le Québec ne veut pas aller de l'avant. Si on allait de l'avant, on aurait probablement des problèmes d'applicabilité sur le terrain. On verra ce qui se passera.
    Selon l'Association des psychiatres du Canada, et selon ce qu'on retrouve cela dans votre rapport, pour établir qu'une personne ayant une maladie mentale répond au critère d'incurabilité, il faut prendre en considération trois critères, soit la chronicité du trouble, la portée des tentatives antérieures de traitement, donc, l'efficacité des traitements, et le refus de traitement de la personne. J'imagine qu'il faut évaluer s'il s'agit de refus répétés ou de refus qui ont un effet sur l'évaluation qui doit être faite.
    Des gens disent qu'il n'y a aucun trouble mental incurable, en aucune circonstance. Évidemment, ce n'est pas ce que vous dites. Cela dit, tous les patients ont le droit de refuser un traitement. Quel rôle ce droit joue-t-il dans l'évaluation que vous faites pour établir qu'une personne répond au critère d'incurabilité? Dans le cas d'un patient qui a refusé ou qui refuse un traitement, est-ce qu'on pourrait conclure qu'il ne fait pas ce qu'il faut pour se faire soigner? Auquel cas, cela exclut-il l'admissibilité du patient?
    On dit que, dans certaines situations, la maladie mentale est incurable. Il y a aussi une souffrance qui vient avec cela.
    Je vous remercie beaucoup de votre question.
    Je vais faire une petite digression pour aborder un sujet plus clinique et technique.
    Dans le cas de certaines maladies paradigmatiques comme un cancer avancé, lorsqu'on obtient le bon diagnostic au moyen d'une biopsie ou d'une imagerie par résonance magnétique, par exemple, on peut savoir d'emblée ce qui va arriver au patient.
    Cependant, pour d'autres maladies, au moment du diagnostic, on ne peut pas savoir comment cela va évoluer. Cela va dépendre du traitement que la personne va suivre, de sa réponse au traitement et des effets secondaires, entre autres. On ne peut pas faire beaucoup de prévisions sans avoir essayé le traitement.
    C'est pour cette raison que, dans le rapport, nous essayons d'arrimer la nécessité d'avoir essayé des traitements pour pouvoir établir que la trajectoire de la maladie est sombre et la nécessité de respecter le fait qu'une personne a déjà expérimenté beaucoup de traitements et qu'elle en a assez. Où trace-t-on cette ligne exactement? Je pense que cela va différer d'une personne à l'autre. Il faut aussi prendre en considération son état de santé général et les circonstances entourant son cas.
    Je vous remercie.
     J'ai une crainte liée à la faisabilité du processus d'évaluation. Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de psychiatriques évaluateurs ou prestataires de l'AMM au Québec. Il y a des médecins de famille prestataires qui sont formés pour faire cette évaluation, mais je sais très bien que certains sont complètement réfractaires au fait d'élargir l'AMM aux personnes souffrant uniquement de maladie mentale. Vous dites que cela prend au moins un évaluateur ayant une expertise dans « la condition ». Pouvez-vous m'expliquer ce qu'est « la condition »?
    Ensuite, il faut que l'évaluateur ayant une expertise dans « la condition » soit un psychiatre — nous avons déjà des problèmes d'accès aux psychiatres — indépendant de l'équipe et du prestataire traitant. J'aimerais que vous m'expliquiez cela.
    Tous les critères prévus aux recommandations 10, 11 et 12 sont-ils réalistes?

[Traduction]

    Soyez très brève, docteure Gupta.

[Français]

     Le 17 mars 2023, serons-nous prêts?

  (1655)  

     Je vais répondre brièvement à la question, mais on pourra revenir sur le sujet plus tard.
    Je pense que c'est faisable. En ce moment, lorsqu’une personne atteinte d'une maladie complexe fait une demande d'aide médicale à mourir, on demande l'avis des spécialistes.
    Je vais donner un autre exemple, avec lequel nous pouvons faire un parallèle.
    Lors des évaluations relatives à la garde en établissement, la loi exige que l'on ait l'avis de deux psychiatres, et non pas celui d'un seul psychiatre, et ce, peu importe qu'on soit le jour, la semaine ou la fin de semaine, or on s'assure que cela se fait. Ces patients sont malades et ils sont les plus vulnérables. Selon moi, on peut créer une structure qui va bien encadrer leur demande.

[Traduction]

    Merci, docteure Gupta.
    Pour conclure cette première série de questions, nous allons maintenant entendre M. MacGregor .
    Merci beaucoup, madame la coprésidente.
    Docteure Gupta, je vous remercie beaucoup de vous joindre à notre comité aujourd'hui et de nous aider à nous y retrouver quant à ces questions très difficiles. J'apprécie le rapport auquel nous devons désormais nous référer pour amorcer notre étude.
    Je suis membre du Parlement depuis 2015. J'étais présent lors des débats sur les projets de loi C-14 et C-7. Pour moi, le problème avec tout ce processus, c'est qu'il semble qu'avec les amendements qui ont été apportés par le Sénat au C‑7, on pourra effectivement évoquer la maladie mentale comme condition sous-jacente d'ici mars de l'année prochaine. Voilà encore une situation où nous avons mis la charrue devant les bœufs. Nous sommes engagés dans cette étude très approfondie, mais nous travaillons avec une date limite imminente qui est maintenant dans moins d'un an. Vous avez beaucoup parlé du fait que nous devons nous assurer que toutes les options sont sur la table.
    Or, avant de passer aux questions complémentaires, ma première question est la suivante: comment était‑ce pour le groupe d'experts de travailler en sachant qu'il avait cette échéance? Avez-vous senti de la pression? Quelle incidence cela a‑t‑il eue sur votre travail, sachant qu'en mars de l'année prochaine, cela fera partie du Code criminel et sera autorisé?
    Merci beaucoup pour cette question. Je suis heureuse d'avoir l'occasion de discuter de ces choses avec vous.
    Je pense que c'est la docteure Wiebe qui, plus tôt dans la journée, a parlé des points communs entre les maladies physiques chroniques et les maladies psychiatriques chroniques. Je pense donc que je commencerai ma réponse en disant que l'échéance législative de mars 2023 n'a pas été une source de pression particulièrement marquée, car je pense qu'il y a beaucoup plus de points communs entre troubles psychiatriques et troubles physiques — comme je l'ai dit dans ma déclaration liminaire — qui sont déjà structurés dans le cadre des mesures de sauvegarde du 2e volet. Notre tâche consistait vraiment à jeter un coup d'œil à ces mesures de sauvegarde. Font-elles le travail que nous voulons qu'elles fassent dans les situations où les troubles mentaux sont le seul problème médical sous-jacent?
    Je pense que la pression était due à la volonté de répondre de bonne foi aux préoccupations qui ont été soulevées — qui étaient aussi les nôtres et que nous avons prises au sérieux — et de produire quelque chose qui fonctionne pour les patients, les familles et les praticiens. Et il s'agissait de trouver quelque chose qui ne conviendrait pas seulement aux spécialistes des villes, mais aussi aux personnes des zones rurales ou éloignées, où l'accès peut être très différent de celui des villes, et aux personnes vivant dans toutes sortes de circonstances. Je pense que c'était inhérent à l'exercice. C'est de là que venait la pression.
    Merci de cette réponse.
    Dans vos échanges avec certains de mes autres collègues du Comité, vous avez parlé du fait que nous devons vraiment nous assurer de disposer des ressources nécessaires pour que les patients puissent se prévaloir de toutes les options de traitement. Dans des témoignages précédents, nous avons entendu parler de « recherches révolutionnaires » sur l'utilisation de la psilocybine en tant que traitement pour aider les gens à surmonter leurs problèmes de santé mentale. Je sais que cette recherche en est encore à ses débuts.
     Je suis conscient que les futurs patients qui auront accès à l'aide médicale à mourir seront encadrés par des mesures de sauvegarde. Ils devront avoir un historique complet. Or, quand je regarde autour de moi, dans mon propre milieu, et que je vois tant de personnes qui vivent dans la rue et qui souffrent manifestement de détresse mentale, cela me préoccupe. Je me demande sans cesse: que serait‑il arrivé si elles avaient bénéficié d'interventions précoces? Cela aurait‑il pu les empêcher de se retrouver dans un état à ce point sérieux qu'elles ne voient plus comment s'en sortir?
    Je sais que le gouvernement du Canada s'est engagé à mettre en place une grande stratégie en matière de santé mentale, mais pourriez-vous nous parler un peu de ce qu'il faut faire de plus pour combler les lacunes? Ces derniers temps — en particulier ces deux dernières années —, les projecteurs ont été braqués sur ce problème qui touche de nombreuses collectivités comme la mienne.

  (1700)  

    C'est une très bonne question, une question importante. Je tiens d'abord à dire que je ne suis d'aucune façon une experte de l'administration ou du financement des services de santé mentale.
    Pour faire le lien entre votre question et le sujet qui nous occupe, je pense que nous devons tenir compte du fait que les personnes qui souffrent de troubles mentaux ne constituent pas un groupe homogène. Il existe des sous-groupes. Très souvent, dans le débat public et politique sur l'aide médicale à mourir, nous faisons un amalgame entre les personnes qui souffrent d'affections graves, celles qui sont malades depuis des décennies, celles qui ont reçu beaucoup de traitements et qui sont suivies de près, et les personnes qui ne peuvent pas avoir accès aux ressources de première ligne pendant les périodes de détresse, les périodes de difficultés personnelles ou, peut-être, au début d'une maladie alors que leur affection n'est pas encore très avancée.
    Je ne pense pas que cela réponde tout à fait à votre question, mais en réfléchissant à ce qui est nécessaire pour combler les lacunes, il faut penser à ces différents sous-groupes, car je considère que les besoins en matière de services diffèrent beaucoup de l'un à l'autre. Je sais que ce n'est pas quelque chose que l'on entend souvent, mais je vais le dire quand même: il y a au Canada des patients qui reçoivent d'excellents soins. Je suis certaine que les patients du Dr Sinyor qui sont dans un centre de soins tertiaires à Toronto et les patients du Dr Maher reçoivent d'excellents soins.
    Une partie du problème consiste à établir où sont les lacunes et à reconnaître qu'il n'est probablement pas nécessaire d'adopter une grande stratégie en matière de santé mentale et de dépenser beaucoup d'argent, mais plutôt de cibler le financement de différents types de services pour différents sous-groupes.
    Merci, docteure Gupta.
    Je vais maintenant laisser la parole à notre coprésident, M. Garneau.
    Merci, sénatrice Martin.
    Nous allons maintenant accorder une série de questions aux sénateurs. Chacun aura trois minutes.
    Juste avant cela, docteure Gupta, votre micro est un peu incliné vers le bas et cela provoque des bruits indésirables. Pour les réduire autant que faire se peut — je sais que c'est difficile de le garder au même endroit —, si vous pouviez relever votre micro de quelques centimètres, ce serait formidable.
    Nous allons commencer par la sénatrice Mégie.

[Français]

     Sénatrice Mégie, vous avez la parole pour trois minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Gupta, je vous remercie d'être avec nous aujourd'hui.
    J'ai pris connaissance des recommandations du groupe d'experts. La recommandation 16 a trait à la surveillance prospective, la recommandation 18 porte sur la collecte de données et la recommandation 19 concerne les recherches périodiques.
    À votre avis, comment le fédéral pourrait-il s'organiser?
    Devrait-il y avoir des comités qui se penchent sur la surveillance prospective et la collecte des données? Quant aux recherches périodiques, elles seraient faites par période. Quelles seraient ces périodes?
    Comment pourrions-nous arrimer tout cela?
    Je vous remercie beaucoup de votre question.
    Je pense qu'il y a plusieurs façons de le faire. La recherche peut être centralisée dans les trois bureaux du Conseil national de recherches Canada. Ils peuvent lancer les appels pour les projets libres ou pour les projets sur des sujets ciblés.
     Ces recherches peuvent être greffées aux collectes de données faites par Santé Canada. Dans le rapport, nous avons proposé que les nouvelles variables soient intégrées au système de surveillance existant. Greffer les recherches à la collecte de données est quelque chose qui se fait déjà aux Pays‑Bas. À ce jour, le Canada a un système qui est davantage centré sur les appels de projets sur des sujets ciblés ou libres. Je pense donc que cela peut être fait de diverses façons.
    On parle de la surveillance prospective, mais la surveillance est un champ de compétence provincial. Pour le moment, c'est comme cela. Je pense que le gouvernement fédéral peut jouer un rôle de coordination pour s'assurer que les provinces et les territoires peuvent développer des systèmes de surveillances prospectives. Dans le rapport, nous avons noté qu'il s'agissait d'une demande des psychiatres. Un tel système de surveillance leur permet de bien faire leur travail et d'avoir un regard extérieur. Ainsi, on leur assure qu'ils ont fait les évaluations comme il faut, étant donné les complexités.
    Je vous remercie.
    Monsieur le président, ai-je le temps de poser une brève question?
    Il vous reste 45 secondes, madame Mégie.
    Docteure Gupta, avez-vous un dernier conseil à donner au Comité? Voulez-vous faire un commentaire à la suite de tout ce travail?
    J'ai le goût de demander la permission d'appeler une amie; c'est ce que font les participants à une émission télévisée.
    Si vous me le permettez, je vais réfléchir à la question et vous fournir une réponse par la suite.

  (1705)  

    C'est d'accord.
     Merci.

[Traduction]

     Nous allons maintenant passer au sénateur Kutcher, pour trois minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci, docteure Gupta, de ce témoignage réfléchi et étoffé.
    En consultant le rapport, j'ai noté que vous avez fait des suggestions qui permettront d'offrir des mesures de sauvegarde robustes non seulement aux personnes qui cherchent à se prévaloir de l'aide médicale à mourir pour une maladie mentale seulement, mais aussi à toutes les personnes qui souhaitent recevoir cette aide.
     Pensez-vous que votre rapport pourrait de façon générale apporter une contribution substantielle à la pratique de l'aide médicale à mourir au Canada?
    Merci de cette question.
    Nous étions conscients du fait qu'il ne nous appartenait pas d'assumer de nombreux nouveaux mandats différents. En même temps, et comme j'ai essayé de le présenter dans ma déclaration liminaire, notre analyse nous a amenés là, parce que les choses qui inquiètent les gens quant à la pratique de l'aide médicale à mourir ne se limitent pas aux troubles mentaux. Nous étions un peu coincés et nous avons dit que ces choses sont vraiment importantes, mais qu'elles ne sont pas seulement importantes pour les personnes atteintes de troubles mentaux. Elles le sont chaque fois que vous vous questionnez sur l'incurabilité d'une affection.
    Ce que nous présentons est une approche. Chaque fois que vous avez à vous pencher sur la suicidalité d'une personne, voici une approche et une façon d'y penser. J'espère que nos recommandations seront considérées comme utiles dans le cadre du 2e volet, et même dans le cadre du premier. La suicidalité existe dans le 1er volet, comme c'est aussi le cas des questions de capacité.
    Merci de cette question et, oui, c'était bel et bien ce que nous espérions en tant que groupe d'experts.
    Merci de cette réponse.
    Plus précisément, il est surprenant que la sénatrice Mégie, qui est également médecin, ait insisté sur les trois mêmes points au sujet desquels je vais maintenant vous interroger: le cadre national de surveillance protectrice, le cadre d'examen des cas et l'importance pour le ministère de la Santé d'ajouter les éléments de recherche évoqués dans votre rapport.
    Seriez-vous d'accord pour que le ministre de la Santé commence à intégrer ces éléments dès maintenant?
    Ensuite, en ce qui concerne les deux autres points, à savoir la surveillance protectrice et l'examen des cas, pensez-vous qu'il serait possible pour le gouvernement fédéral de convoquer les gouvernements provinciaux et territoriaux ainsi que les autres intervenants concernés afin de faire avancer les choses immédiatement?
    Je pense que la collecte de données et la recherche sont des activités qui relèvent entièrement de la compétence du gouvernement fédéral. D'autres administrations peuvent également accomplir ces tâches, mais le gouvernement fédéral le fait déjà et peut appliquer ces recommandations s'il le souhaite.
    Pour ce qui est de l'examen des cas et de la perspective, nous sommes conscients que ce travail doit être effectué dans le cadre d'une collaboration entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux. Nous aimerions que le gouvernement fédéral joue un rôle de chef de file, exactement comme vous l'avez dit, en réunissant les parties concernées pour travailler sur ce sujet, et il se peut qu'il existe différentes façons d'aborder l'examen des cas et la surveillance des perspectives dans différentes provinces.
    Je ne pense pas que le groupe de témoins ait un avis quant à la nécessité qu'elles soient exactement identiques, mais que les principes que nous avons énoncés soient mis en place.
    Merci beaucoup.
    Merci, sénateur.

[Français]

     Sénateur Dalphond, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Docteure Gupta, je vous remercie de votre participation, et je vous remercie surtout d'avoir présidé un comité qui a fait un rapport important.
    La présidente de l'Association des psychiatres du Canada a témoigné juste avant vous. Vous l'avez peut-être écoutée. Elle disait que, afin d'améliorer votre rapport, il faudrait établir des normes nationales qui s'appliqueront à tous les psychiatres et aux autres évaluateurs qui vont participer au processus. Les psychiatres participeront au processus, car, parmi les deux évaluateurs, il faut au moins un expert.
    Pensez-vous qu'il est possible de créer des normes ou des suggestions nationales, des paramètres nationaux applicables d'ici le mois de mars 2023?
    C'est une grande question.
    Comme vous le savez, les soins de santé sont de compétence provinciale. Je ne pense pas que le gouvernement fédéral puisse décider pour les provinces comment elles doivent organiser l'aide médicale à mourir ni dire aux cliniciens de partout au pays ce qu'ils doivent faire.
    Cela dit, je pense qu'il y a déjà un organisme national, soit l'Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l'AMM, ou ACEPA, qui joue un rôle de chef de file en publiant divers documents de réflexion, des lignes directrices cliniques et ainsi de suite. L'organisme mène actuellement un projet sur les normes de pratique, les lignes directrices et les meilleures pratiques en matière d'aide médicale à mourir.
    Dans les faits, les cliniciens vont se tourner vers ce genre de formations et de documents pour connaître les détails quant à ce qu'ils doivent faire quotidiennement. Même s'il était possible pour le gouvernement fédéral de travailler avec les provinces et de créer par magie un système national, je ne pense pas que c'est à cet égard que les cliniciens ont besoin d'aide et de directives. Je pense qu'ils ont plutôt besoin de savoir quoi faire, comment évaluer telle ou telle chose. Cela se trouve de toute façon entre les mains des organismes nationaux.
    Oui, je pense que c'est possible. Je crois que c'est à l'automne de cette année que le programme de formation national sera offert. Les travaux sont donc déjà très avancés à ce sujet.

  (1710)  

     Sentez-vous que l'appui des ordres professionnels permettrait que tout cela soit normalisé?
    Il existe plusieurs normes nationales dans le domaine de la médecine.
    Oui, tout à fait.
    Je ne suis pas du même avis que ma collègue la Dre Wiebe. Je pense que les autorités réglementaires ont un rôle spécial et important à jouer.
    Par exemple, le Collège des médecins du Québec a vraiment pris un rôle de leadership dans ce domaine. La beauté du rôle de l'autorité réglementaire, c'est que tous les cliniciens doivent être membres et leur conseil est obligatoire.
    Je comprends que leur rôle est un peu différent dans d'autres provinces, mais je pense que s'ils donnent leur approbation à la formation, cela envoie aux membres l'important signal qu'il faut suivre ce qui a été créé et qu'ils ne peuvent pas faire cela à la mitaine de leur côté.
    Je vous remercie.
    Merci, sénateur Dalphond.

[Traduction]

    Nous allons passer à la sénatrice Wallin.
    Était‑ce mon tour?
    L'ordre n'est pas très important, mais c'était au tour de la sénatrice Wallin. Je n'ai peut-être pas été assez clair.
    Je suppose que la sénatrice Wallin est toujours avec nous. Je n'entends rien.
    Allez‑y, sénatrice.
    Docteure Gupta, je suis également très préoccupée par la cohérence des politiques et des normes pour notre pays. Je suis également consciente des différences entre le Canada rural et le Canada urbain, et plus particulièrement entre les peuples autochtones, les Métis et les Inuits. Il existe des différences culturelles.
    J'essaie de comprendre comment, avec une date limite fixée au 23 mars, nous pouvons nous préparer pour tous ces différents groupes sur la base de cette norme et de cette politique cohérentes. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la manière dont nous allons y parvenir?
    Merci. C'est une excellente question.
    Pour formuler nos recommandations relatives à la consultation, nous avons réellement tenu compte des conseils que nous ont donnés nos trois députés autochtones. Bien qu'ils pensent que de nombreux membres des collectivités autochtones sont favorables à l'aide médicale à mourir et pourraient, à l'avenir, souhaiter y accéder à titre personnel ou aider les membres de leur famille à y accéder, ils reconnaissent également que la tenue de ces consultations est importante. C'est en fait quelque chose qu'ils attendent depuis que l'aide médicale à mourir a été autorisée, et il faut que cela se concrétise.
    Quels sont les mécanismes à privilégier pour y parvenir? Nous sommes arrivés à la conclusion que cela devrait se faire au niveau provincial, peut-être avec la collaboration et le leadership du gouvernement fédéral. Étant donné que les collectivités sont très différentes, un seul type de consultation autochtone pancanadienne ne fonctionnerait pas nécessairement ou ne refléterait pas les différences et les nuances importantes entre les nombreuses collectivités autochtones.
    Si nous pouvons le faire en respectant le délai fixé au mois de mars, je pense qu'il appartient à ces collectivités de s'exprimer à ce sujet.
    La question est de savoir comment y parvenir. Comment ces collectivités peuvent-elles trouver les ressources nécessaires pour pouvoir le faire?
    À la page 37 de votre rapport, on peut lire ce qui suit: « Suite à la création de lois favorisant l'accès à l'aide médicale à mourir, des préoccupations ont été soulevées par les dirigeants et les collectivités autochtones, qui estiment qu'il est plus facile pour leurs membres d'accéder à un moyen de mourir que d'accéder aux ressources dont ils ont besoin pour bien vivre ».
    Les changements et les améliorations dans de nombreuses réserves et dans les collectivités des Premières Nations sont, au mieux, très difficiles et très lents. Je suis très préoccupée par cette échéance. Comment répondriez-vous à cette citation particulière?

  (1715)  

    Je pense que nous devons poser la question aux collectivités et aux dirigeants autochtones. Comment souhaitent-ils procéder exactement? Je crois que le gouvernement du Canada travaille de plus en plus en partenariat avec ces collectivités, et reconnaît leur leadership et leur capacité à prendre des décisions pour leur propre collectivité sur toute une gamme de sujets.
    Je pense que c'est une très bonne question qui doit être abordée et que ces collectivités doivent participer à ce débat.
    Merci beaucoup, sénatrice Martin.
    Nous allons maintenant passer au deuxième tour, dont la durée sera plus courte. Les députés ont la parole, et nous allons commencer par M. Stephen Ellis.
    Vous avez trois minutes.
    Excusez-moi, monsieur le coprésident, mais la sénatrice Wallin n'a pas eu son tour. Peut-être pourrions-nous revenir à elle?
    Non, ce n'est pas grave. J'ai beaucoup de problèmes techniques, alors allez‑y.
    Sénatrice Wallin, je suis heureux que vous soyez parmi nous. J'ai regardé sur tous les écrans et je ne vous ai pas vue, j'ai donc supposé que vous étiez partie.
    Voulez-vous vos trois minutes?
    Non, allez‑y.
    D'accord, nous reviendrons à vous au prochain tour.
    Monsieur Ellis, vous avez la parole pour trois minutes.
    Merci, monsieur le coprésident.
    Merci de votre présence, docteure Gupta.
    J'aimerais soulever quelques points. Pour paraphraser, je vous ai entendu dire que les patients doivent être assurés d'un traitement et d'un soutien social appropriés. Nous savons bien que nous vivons une époque, au Canada, où il existe une incapacité réaliste d'accéder... De nombreux témoins nous l'ont dit, et depuis 26 ans que je travaille comme médecin de famille, je l'ai entendu à maintes reprises.
    Comment décririez-vous l'accès à des traitements et à des soutiens sociaux adéquats pour les troubles mentaux au Canada à l'heure actuelle?
    J'aimerais être sûre de bien comprendre votre question. Vous me demandez si je pense que les personnes atteintes de troubles mentaux bénéficient d'un accès adéquat?
    À des traitements et à des aides sociales... c'est exact.
    Je vais commencer par dire que mon domaine d'expertise n'est pas l'administration et la prestation de services dans le domaine de la santé mentale. Je m'appuie un peu sur mon expérience clinique et mon travail sur ce rapport et sur ce sujet.
    Je pense que la situation varie grandement. Je pense que certains groupes ne bénéficient pas d'un accès rapide et adéquat. Je le constate tous les jours dans ma pratique. En particulier pour ce qui est des soins de première ligne, les gens attendent longtemps pour des choses assez simples. Je vois des gens qui bénéficient d'un excellent accès aux soins intermédiaires, mais pour qui les soins de sous-spécialité sont difficiles à obtenir — et je vois également l'inverse. Cela dépend de l'endroit où vous vivez dans ce pays, malheureusement.
    Certaines personnes sont en fait assez gravement affectées et reçoivent — c'est une bonne chose, c'est vrai, le système fonctionne parfois — des services adaptés au niveau d'intensité nécessaire pour leur traitement. Je pense en effet que la situation varie énormément. Évidemment, comme pour tous les services de soins de santé, plus on s'éloigne des centres urbains, plus la situation est mauvaise et plus l'accès est difficile. Dans les centres urbains, il y a beaucoup de fournisseurs, mais il y a une discontinuité qui est peut-être moins évidente que dans les zones rurales. J'en ai fait l'expérience lorsque j'ai travaillé comme suppléante dans le Nord, où l'offre était moins importante, mais plus cohérente.
    Je pense que la situation est très variable.
    Docteure Gupta, vous avez dit que les collectivités autochtones avaient des idées diverses sur l'aide médicale à mourir, etc. et qu'elles devaient être examinées séparément. Cela signifie‑t‑il donc également, si l'on suit ce raisonnement, que les collectivités rurales qui ne disposent pas du même accès devraient aussi avoir des contributions différentes sur la manière dont l'aide médicale à mourir est offerte ou contrôlée en leur sein?
    Oui, je suppose que dans chaque province, qui a sa propre géographie, à l'est, à l'ouest, au nord, au sud, etc., et certaines sont très longues, d'autres sont comme ci ou comme ça, et ont des caractéristiques régionales différentes, il faut réfléchir, comme pour tous les services de soins de santé, je dirais, à la meilleure façon de déployer un service ou une pratique.
     Je doute que toutes les communautés rurales aient la même vision de la façon dont nous devrons procéder. Je pense qu'au niveau de la planification provinciale, nous devrons travailler avec différentes zones rurales, pour nous assurer que la prestation des services correspond à leurs attentes.
    Par exemple, j'imagine que dans certaines régions, si l'on s'appuie sur ce que nous avons fait pendant la pandémie, l'idée de procéder à des consultations par vidéoconférence sera très bien accueillie. Dans d'autres régions rurales où il n'est pas si difficile de se rendre sur place, les gens pourraient vouloir faire ce que j'ai fait dans le Nord, c'est‑à‑dire envoyer des suppléants que les gens pourront voir en personne.
    Je pense qu'encore une fois, la situation variera grandement en fonction de la région.

  (1720)  

    Nous allons maintenant passer à Mme Fry.
    Madame Fry, vous avez trois minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    J'ai deux questions à poser à la Dre Gupta. Je vous remercie d'être venue et de vous être acquittée de ce devoir inestimable aujourd'hui en passant tout ce temps à répondre à nos questions.
    Je voudrais souligner deux choses. Lors de la comparution de nos témoins, un point est revenu sans cesse. Ils nous ont dit que nous ne devrions pas chercher à établir l'incurabilité en nous basant sur le passé, sur les traitements reçus par les gens, sur leur accès, etc., mais vous tourner vers l'avenir, vers le prochain grand remède ou la prochaine solution, et leur donner ce genre d'espoir avant d'offrir l'aide médicale à mourir. Cela revient à dire: « Non, continuons et regardons vers l'avenir pour voir ce que nous avons à offrir ». Voilà la première question sur laquelle j'aimerais recueillir vos commentaires.
    J'aimerais aussi parler d'un point que vous avez soulevé dans le rapport. En gros, beaucoup de personnes ne peuvent pas... Lors des audiences, les témoins ont eu tendance à mélanger le suicide et les problèmes de santé mentale. Vous avez clairement indiqué dans votre rapport que les idées suicidaires ne découlent pas uniquement de problèmes de santé mentale. En fait, la majorité des personnes ayant des problèmes de santé mentale n'expriment pas d'idées suicidaires.
    La deuxième chose est que beaucoup de personnes ayant des idées suicidaires n'ont pas de problème de santé mentale. Doit‑on assimiler ces deux éléments? Devons-nous les considérer comme des problèmes distincts? Vous faites valoir qu'il s'agit de deux problèmes distincts.
    Merci beaucoup pour ces questions.
    Je vais commencer par la deuxième. Je pense que c'est tout à fait exact. Il y a évidemment un chevauchement entre les troubles mentaux et les tendances suicidaires. Ces dernières peuvent être un symptôme d'un certain nombre de diagnostics psychiatriques. Elles sont associées au suicide accompli, mais il arrive aussi que des personnes suicidaires n'aient pas de diagnostic psychiatrique. Il faut donc les comprendre comme deux choses distinctes.
    Comme je l'ai mentionné précédemment, il peut également y avoir des tendances suicidaires chez les patients de la voie 1. Je me souviens d'un cas dans lequel un homme a tenté de se suicider en raison de la gravité de ses douleurs chroniques. Il a échoué et il est revenu demander l'aide médicale à mourir. Je pense que ce cas a soulevé des questions très semblables. Sommes-nous en train de l'aider à se tuer? Cet homme n'avait pas d'antécédents psychiatriques.
    Vous avez tout à fait raison de dire qu'il ne faut pas les confondre et que les tendances suicidaires doivent être traitées comme un phénomène à part entière, indépendant des troubles mentaux. Il se peut que la personne souffre d'un trouble mental, mais nous devrions être tout aussi préoccupés par le suicide chez les personnes qui n'ont pas de diagnostic psychiatrique que chez celles qui en ont un.
    En ce qui concerne l'incurabilité, je vais revenir sur le point clinique technique que j'ai soulevé plus tôt, à savoir que pour certains diagnostics, en raison de ce que nous savons de la trajectoire de ces conditions, au moment où la personne reçoit le diagnostic, nous avons une assez bonne idée de la façon dont les choses vont évoluer et nous avons un degré de certitude accru. Pour d'autres, en particulier pour ce que nous appelons les maladies chroniques, il est très difficile de savoir ce qui va se passer au moment où la personne reçoit le diagnostic. Elle doit donc essayer un tas de choses et voir quels seront les effets sur son état.
    Lorsque nous transposons ce principe à la situation de l'aide médicale à mourir, si quelqu'un souffre d'une maladie chronique, la seule façon dont nous pouvons nous prononcer sur la gravité de sa maladie est de regarder en arrière et de dire: « Qu'a fait cette personne? » Est‑il vrai que certaines personnes essaient beaucoup de choses et n'obtiennent pas un degré significatif de soulagement ou une amélioration de leur qualité de vie? Heureusement, beaucoup y parviennent.

[Français]

     Merci beaucoup.

[Traduction]

    Merci.

[Français]

    Nous poursuivons maintenant avec M. Thériault.
    Monsieur Thériault, vous avez la parole pour deux minutes.
    Merci, monsieur le président.
    En lisant le rapport, où des précautions émergent de chacune des recommandations, j'ai eu l'impression que très peu de gens dont le trouble mental est le seul problème médical invoqué auraient accès à l'aide médicale à mourir.
     La commission québécoise qui a discuté de l'admissibilité et de la non-admissibilité à l'AMM n'est pas arrivée à cette conclusion et le projet de loi déposé hier exclut totalement cette situation.
    Étant donné le manque de consensus social ou d'acceptabilité sociale liée à la maladie mentale, Dre Gupta, ne croyez-vous pas que la date du 17 mars 2023 est prématurée?

  (1725)  

     J'aimerais dire deux choses à ce sujet.
    D'abord, c'est vrai que très peu de gens vont y avoir accès si l'on suit nos recommandations. En même temps, ce sont des recommandations semblables à celles des pays où cette pratique est permise et où très peu de gens ont accès à l'aide médicale à mourir. S'ils y ont peu accès, c'est justement parce qu'il y a beaucoup d'options de traitements.
    On devrait s'assurer que les gens ont accès aux soins et aux services. Une minorité de gens se trouveront au bout d'un trajet long et sombre causé par une maladie mentale, mais cela pourrait arriver si l'on définissait ainsi « incurable ».
    Ensuite, en ce qui concerne l'exclusion et la notion de consensus ou d'acceptabilité sociale, j'hésite. Parfois, ce qui est acceptable socialement n'est pas la bonne chose à faire. Il n'y a pas très longtemps, l'homosexualité n'était pas acceptable socialement. Il n'y a pas très longtemps, conduire alors qu'on était intoxiqué était acceptable socialement.
    Attendez un instant...
    Je pense que nous pouvons remettre en question le consensus.
    Attendez une seconde, madame Gupta.
    Il y a une commission...
    Monsieur Thériault, votre temps de parole est écoulé.
    Vous aurez la chance de poser d'autres questions lors du prochain tour de questions.

[Traduction]

    Monsieur MacGregor, vous avez deux minutes.
    Merci.
    Docteure Gupta, dans la conclusion de votre rapport, on peut lire ce qui suit: « Le présent rapport est le début d'un processus, pas la fin. » Vous avez très clairement souligné que le groupe d'experts jouait un rôle très précis. Il a été clairement défini par votre mandat. Alors que nous, en tant que comité parlementaire, prenons le relais, pour ainsi dire, et poursuivons cette étude, nous sommes aux prises avec un rôle majeur, car nous allons en fin de compte formuler également des recommandations au gouvernement. En tant que législateurs, nous pourrions jouer un rôle dans le débat sur un futur projet de loi à ce sujet.
    Je n'ai pas beaucoup de temps, donc ma question pour vous serait la suivante: En vous fondant sur votre expérience, étant donné que vous avez travaillé en profondeur sur les questions qui nous occupent, avez-vous des conseils à nous donner sur ce que nous devrions garder à l'esprit alors que nous poursuivons cette étude?
    Je vous remercie beaucoup de votre question.
    Je vais en profiter pour répondre également à la question que la sénatrice Mégie a posée tout à l'heure au sujet du dernier conseil.
    Je pense que je me montrerais très critique à l'égard de l'exceptionnalisation des troubles mentaux et du traitement des troubles mentaux en tant que seul problème de santé sous-jacent ou en tant que réalité entièrement distincte de celle des personnes souffrant de troubles mentaux et physiques comorbides ou des personnes souffrant d'autres types de troubles physiques. Voilà le conseil que je vous donnerais. La réalité clinique n'appuie pas cette idée.
     Il convient de noter que, dans le petit nombre de pays où cette pratique est autorisée, il n'y a pas de mesures de protection législatives propres aux personnes souffrant de troubles mentaux, en tant que seul problème de santé sous-jacent. Je pense que la réflexion s'est arrêtée là où nous nous sommes arrêtés en ce qui concerne le fait qu'il y a davantage de points communs que de différences, notamment en matière d'admissibilité.
    En ce qui a trait à la question de la sénatrice Mégie...
     Nous sommes à la fin de l'intervention. Vous pourriez peut-être rattraper cela plus tard.
    D'accord. Je rattraperai cela plus tard. Je l'ai pris en note.
    À titre d'information, je mentionne à tous que nous allons maintenant passer à une autre série de questions, identique à celle que nous venons de terminer — soit deux interventions de trois minutes, et deux interventions de deux minutes. Ensuite, nous céderons la parole aux sénateurs.
    Nous allons commencer la troisième série de questions, en donnant la parole à M. Cooper, je crois.
    Vous disposez de trois minutes.

  (1730)  

    Merci beaucoup, monsieur le coprésident.
    Docteure Gupta, croyez-vous qu'il est acceptable...

[Français]

    Excusez-moi de vous interrompre, monsieur Cooper.
    Monsieur le président, il n'y a pas d'interprétation.
    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Nous allons faire une pause de quelques secondes, et je vais arrêter l'horloge. Nous semblons avoir un problème d'interprétation.
    Nous allons faire une pause jusqu'à ce que le problème soit résolu.

[Français]

     C'est rétabli, monsieur le président.

[Traduction]

     Monsieur Cooper, j'avais arrêté votre horloge, mais vous pouvez recommencer à intervenir.
    Merci, monsieur le coprésident.
    Docteure Gupta, pensez-vous qu'il y a un risque acceptable que des personnes souffrant de problèmes de santé mentale, qui pourraient aller mieux, mettent prématurément fin à leur vie? Est‑ce un risque acceptable?
    Je pense que vous posez une question qui va au cœur même de l'aide médicale à mourir. Je crois que la question est de savoir qui doit déterminer si ce risque est acceptable. En autorisant l'aide médicale à mourir dans notre pays, nous avons déclaré que le fait de demander cette aide est un choix qui appartient à la personne.
    C'est ce que nous avons essayé d'indiquer dans le rapport. Écoutez, nous comprenons qu'il y a des avantages et des risques, mais c'est ce que suppose cette pratique. Il s'agit d'offrir à la personne cette possibilité, sous réserve d'un tas de conditions, de dispositions de la loi, etc.
    Bref, la réponse à ma question est la suivante: oui, vous pensez qu'il est acceptable que des personnes puissent mettre fin prématurément à leur vie?
    Oui, je pense qu'il est acceptable que la personne prenne cette décision.
    À la page 43 de votre rapport, il est indiqué qu'« il est difficile, voire impossible, pour les cliniciens de formuler des prévisions précises sur l'avenir d'un patient donné ». Comment conciliez-vous cela avec l'obligation légale? Il semble logiquement incohérent de dire, d'une part, qu'il peut être impossible de formuler des prévisions et de dire, d'autre part, que pour satisfaire au critère d'« incurabilité », il faut, comme vous le savez, établir que la personne souffre d'une maladie incurable, qu'elle connaît un déclin irréversible et, bien sûr, qu'elle endure une souffrance intolérable.
    J'ai vraiment du mal à concilier cela.
    Je vous remercie d'avoir soulevé cette question. Je pense que nous entrons maintenant dans les détails vraiment intéressants de la pratique clinique, parce que vous allez rencontrer des gens à qui vous ne pourrez rien dire. Il se peut que la personne n'ait pas reçu un traitement adéquat ou il se peut que vous ne puissiez pas déterminer, à partir du dossier, le type de traitement qu'elle a reçu, si son traitement était optimisé ou si elle a bénéficié d'un soutien social approprié. Vous dites alors: « Écoutez, il y a trop d'incertitude dans ce cas. Je ne peux rien dire d'utile sur ce qui va se passer au cours de la maladie de cette personne ». Donc, je ne vais pas juger que cette personne est admissible à l'aide médicale à mourir.
    Puis il y aura d'autres cas où, en fait, la personne a suivi un très long traitement, des décennies de soins de haute qualité, et a choisi en toute connaissance de cause d'avoir accès à l'aide médicale à mourir. Je pense que ces deux types de situations cliniques et tout ce qui existe entre ces deux situations compliquent les choses.
    Nous avons parlé de cela dans le rapport.
    Je suis désolé de vous interrompre...
    Allez-y.
    ...mais sur quels critères un évaluateur de l'AMM se reposerait-il pour prendre une telle décision? Votre rapport ne fournit aucun critère, aucune mesure de protection particulière. Il présente à peine le fait qu'« au cas par cas », le médecin et le patient...
    Soyez très bref.
    ...se prononcent sur la question du caractère irrémédiable du problème de santé.
    Les critères sont ceux que nous utiliserions pour évaluer la gravité de toute maladie chronique. Ils sont fondés sur les traitements que la personne a déjà reçus. C'est ce que nous faisons constamment lorsque, comme nous l'avons mentionné dans le rapport, nous devons prendre des décisions au sujet d'une invalidité à long terme, par exemple, ou dans tout autre contexte où l'on demande aux psychiatres et aux autres médecins de se prononcer, disons, sur l'accès de la personne à des prestations en raison de sa maladie, etc. Les décisions reposent sur ce même type d'approche.
    Monsieur Maloney, vous avez la parole pendant trois minutes.
    Merci, monsieur le coprésident.
    Je vais m'adresser à vous très rapidement, docteure Gupta. Tout d'abord, permettez-moi d'ajouter mon nom à la longue liste de personnes qui vous sont reconnaissantes de tout ce que vous avez fait, y compris en étant présente parmi nous aujourd'hui.
    Je veux juste revenir sur une question que M. Cooper vous a posée. Il a fait ce que les avocats font parfois. Il a rendu la question tendancieuse en insérant dans celle-ci la réponse voulue et en utilisant le mot « prématurément » quand il vous a demandé si vous pensiez que le risque que les gens mettent fin à leur vie prématurément était acceptable.
    Je veux juste vous donner l'occasion de répondre à nouveau à cette question, parce que votre réponse m'a donné l'impression que vous disiez que cela dépendait de la personne, ce qui était l'argument que vous tentiez de faire valoir, et non l'aspect prématuré de sa question. Est-ce juste?

  (1735)  

    Oui, c'est juste. J'ai cru comprendre que la question signifiait « avant qu'ils ne meurent de ce dont ils mourraient s'ils vivaient toute leur vie ». Donc, dans ce sens, leur mort est prématurée. Oui, il revient à la personne de décider si elle a atteint ce stade, en se fondant sur l'ensemble de ses circonstances médicales.
     Merci. C'est ce que je pensais.
    Compte tenu de cette définition du mot « prématuré », on peut l'appliquer à de nombreuses circonstances. Je comprends cela. Merci.
    Bien entendu, l'une de vos recommandations était liée à la formation des évaluateurs et des fournisseurs de services. Croyez-vous que cela devrait être un élément obligatoire des programmes d'études des écoles de médecine?
    C'est une excellente question. Laissez-moi y réfléchir.
    Je pense qu'il devrait probablement être obligatoire de suivre une formation sur l'aide à mourir et les soins de fin de vie en général, car je pense que c'est une situation que rencontreront presque tous les cliniciens.
    C'est encore une minorité de gens qui évaluent les patients et offrent l'AMM. Je ne sais donc pas si c'est dans une faculté de médecine qu'il convient d'offrir cette formation obligatoire. Les gens devraient peut-être la suivre plus tard, quand ils déterminent l'orientation que prendra leur future pratique. C'est une bonne idée d'offrir une formation fortement axée sur l'évaluation et l'offre de l'AMM, car je pense qu'il ne suffit pas de laisser les praticiens se renseigner sur la loi dans l'espoir qu'ils pourront comprendre de quoi il en retourne.
    Oui, le fait de se renseigner sur la loi n'aidera pas les médecins sur le plan de l'application pratique, selon moi.
    Je présumerai que la réponse est un « oui » partiel, mais peut-être faudrait‑il miser sur l'éducation permanente et les programmes de résidence. Vaudrait‑il mieux offrir là cette formation?
    Je pense que oui. Les programmes des facultés de médecine tiennent tant à tout inculquer aux pauvres étudiants en très peu de temps que je pense qu'il vaut mieux offrir cette formation quand ils font des choix de carrière.
    Je vous remercie.
    Je pense qu'il ne me reste pratiquement plus de temps. Je m'arrêterai donc là.
    Je vous remercie, monsieur le coprésident.
    Je vous remercie, monsieur Maloney.

[Français]

     Monsieur Thériault, vous avez la parole pour deux minutes.
    Je pense que nous allons poursuivre.
    Je vous ai interrompue parce que mon argument principal ne concernait pas l'acceptabilité sociale. Mon argument principal, c'est que nous avons une date butoir, le 17 mars 2023. On propose quelque chose de nouveau, alors qu'il reste encore des gens à former. Une assemblée législative au complet dit avoir posé la question préalable que notre comité n'a pas posée. En tant que législateur, je dois en tenir compte. Cette assemblée a posé la question préalable et elle a décidé de ne pas aller de l'avant, parce qu'elle a constaté que les experts étaient divisés et qu'il n'y avait pas de consensus assez large comme c'est le cas pour d'autres aspects — le Québec a toujours été un précurseur.
     Comment va-t-on faire pour que cela soit mis en pratique sur le terrain? C'est difficile de mettre une mesure en place quand on n'a pas de cadre juridique clair. L'Assemblée nationale du Québec au complet s'est prononcée contre cela. C'est cela, mon argument principal.
    Je ne dis pas que je m'oppose à tout ce que vous dites. Votre rapport est excellent, dans la mesure où il vise à présenter toutes les précautions à prendre si cela devait se faire, mais nous ne sommes pas dans cette situation. Parfois, il vaut mieux prendre le temps de faire les choses correctement.
    Comme je l'ai dit au début, c'est important de ne pas faire une exception de la maladie mentale et des troubles mentaux. En réalité, on tient déjà effectivement compte des troubles mentaux comme d'une composante importante qui motive la demande. Les évaluateurs et les prestataires de soins de santé le font déjà. Je ne pense pas qu'il y ait un grand manque de formation parmi les gens qui sont déjà impliqués dans cette pratique, puisque ce sont des cas qu'ils voient.
    Quant à votre commentaire sur l'acceptabilité sociale, c'est seulement si on dit que tout le monde doit être d'accord que la date butoir sera trop difficile à respecter. Si on dit que le consensus n'est peut-être pas le bon objectif à viser, la date butoir pourrait devenir plus réaliste.

  (1740)  

    Toutefois, l'Assemblée législative rejette cela de façon unanime. C'est cela qui va être problématique. C'est cette discussion que je voulais avoir avec vous. Parfois, il vaut mieux tenir une discussion préalable, ce que vous n'avez pas fait, et prendre le temps qu'il faut pour s'assurer que, lorsque la chose sera mise en pratique, il y aura une cohérence sur le terrain.
    Je comprends. Vous êtes dans une position délicate, en tant que législateur fédéral, à la suite de la décision du Québec. Je vous souhaite bonne chance.
    Il y avait déjà eu beaucoup d'études et de réflexions. Notre rapport aborde ce qui semble être des contradictions en offrant des définitions et des façons de dénouer certains des problèmes auxquels la commission québécoise n'avait pas de solution en décembre.
    Est-ce que ce sera suffisant? Je ne le sais pas.
    Je voudrais ajouter que les ordres professionnels au Québec sont tous favorables à cet élargissement. J'ai donc été un peu étonnée de la décision de Québec, mais je comprends que, en raison des divergences, les législateurs n'avaient pas tellement le choix.
    Merci beaucoup.

[Traduction]

     Monsieur MacGregor, vous avez la parole pour deux minutes.
    Je vous remercie, monsieur le coprésident.
    Docteure Gupta, je pense que lors de ma dernière intervention, vous étiez en train de répondre à une question posée précédemment par la sénatrice Mégie. Si vous voulez prendre quelques instants pour y répondre maintenant, vous pouvez le faire.
    Je vous remercie beaucoup.
    Ma réponse n'est pas très longue ou compliquée. La sénatrice m'a demandé quelle était ma dernière réflexion après avoir accompli tout ce travail.
    J'admets que c'est difficile et que ces questions sont complexes; on a donc deux choix, en quelque sorte. On peut dire que la question est trop complexe et l'éviter, ou dire qu'elle est complexe et mobiliser ses meilleures ressources afin de tenter de la résoudre. C'est ce que notre groupe d'experts a fait. Les avis divergeaient beaucoup au sein du groupe, mais nous avons tenté d'en arriver à une solution qui convienne aux patients et aux familles.
    Je suis convaincue que ce groupe poursuivra son bon travail. J'espère que vous n'éviterez pas les questions difficiles, car elles le sont, et je vous conseille de ne pas les éviter.
    On peut affirmer sans crainte de se tromper qu'avec la question dont nous sommes saisis, c'est impossible. Il semble qu'à chaque séance, nous y sommes directement confrontés.
    J'utiliserai le temps qu'il me reste pour vous remercier de vous être jointe à nous et d'avoir témoigné aujourd'hui. Merci.
    Je vous remercie.
    Je vous remercie, monsieur MacGregor.
    Nous procéderons maintenant à un tour de questions de la part des sénateurs, qui disposeront de trois minutes chacun. Nous commencerons par la sénatrice Mégie.

[Français]

    Sénatrice Mégie, vous disposez de trois minutes.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais aborder la notion de l'autonomie du patient avec la Dre Gupta.
    Le respect de l'autonomie du patient est à la base des décisions à prendre pour demander l'aide médicale à mourir. Si cette autonomie est limitée par plusieurs types de facteurs comme le manque d'encadrement familial ou professionnel, par exemple, y a-t-il des outils à la disposition des professionnels de la santé — ce sont les psychiatres dans ce cas-ci — qui permettraient d'évaluer de façon précise et objective le degré d'autonomie du patient quand il prend la décision de demander l'aide médicale à mourir?
    Est-ce que votre question porte sur les situations lors desquelles l'autonomie est diminuée ou compromise?
    Je parle de situations qui peuvent gêner ou limiter les capacités de faire un choix du patient.
    D'accord.
    L'outil principal, ce sont les critères d'aptitude que nous utilisons en pratique clinique au Québec et en Nouvelle‑Écosse. Nous utilisons aussi les critères d'Applebaum, qui sont complémentaires.
    Comme vous le savez probablement, il y a aussi un mouvement qui vient des Nations unies et selon lequel on souhaite respecter la volonté des gens, même quand ils ont une invalidité mentale. Nous parlons de la prise de décision soutenue dans le rapport. Nous ne voulions pas nous aventurer trop loin parce que c'est une question qui exige beaucoup plus de réflexion.
     Il y a une réforme législative au Québec. Il y a déjà des lois en Colombie‑Britannique, ainsi qu'en Alberta, je crois, dans le cadre desquelles on met en place des structures permettant une prise de décision soutenue pour les patients qui ont une autonomie limitée. C'est un peu la tendance actuelle.
     Cela s'inscrit dans la tendance plus large de ne plus dire aux gens que, puisqu'ils ne sont pas aptes à prendre des décisions, on les force à faire des choses ou on donne à quelqu'un d'autre le droit de prendre des décisions pour eux.
    À ce stade, on n'est pas allé trop loin. On voit qu'il y a déjà des initiatives législatives partout au pays. Cela dit, c'est pour cette raison que nous avons recommandé une collecte de données là-dessus.

  (1745)  

    Merci, sénatrice.
    Le sénateur Kutcher a maintenant la parole.

[Traduction]

    Je vous remercie, monsieur le président.
    Docteure Gupta, nous avons entendu plus tôt des témoignages incendiaires voulant que l'AMM soit en réalité un permis de tuer. Dans votre rapport, vous indiquez qu'en cas d'incertitude quant à l'aptitude ou à la suicidalité, la réponse est négative et vous n'offrez pas l'AMM. Il semble que vos normes ont en fait été établies pour que l'AMM soit offerte d'une manière méthodique, complète et réfléchie qui fait passer la sécurité de la personne avant tout.
    Est‑ce que j'interprète correctement le rapport?
     Je suis enchantée par votre interprétation du rapport, car oui, c'est exactement ce que nous voulions. Les témoins que vous avez entendus sont tous des cliniciens, des collègues dont nous partageons les préoccupations. Aucun d'entre nous ne veut de situation... Aucun clinicien ne se réjouit à l'idée qu'un patient en arrivera là et ne veut encourager un patient à abandonner tout espoir de se rétablir ou de vivre mieux.
    Nous avons constamment ces préoccupations à l'esprit. Notre priorité était de déterminer comment nous pouvons nous assurer que seules les personnes qui ont réellement vécu une longue maladie, suivi une multitude de traitements et soigneusement pesé leur décision ont accès à l'AMM.
    Je vous remercie de cette réponse.
    Nous avons également entendu des propos qui ont semé la confusion dans notre esprit. Je les ai pris en note, car c'est compliqué. Selon ces témoignages, les personnes acceptées afin de recevoir l'AMM pour cause de maladie mentale — y compris celles qui ont une comorbidité, qui ont une maladie mentale et une maladie physique en même temps et qui sont actuellement admissibles — n'ont pas reçu une quantité substantielle de traitements et ne devraient donc jamais recevoir l'AMM.
    Pouvez-vous nous aider à résoudre cette question épineuse? Vous pourriez peut-être parler des genres de traitements offerts, de la durée de la maladie et du genre de facteurs que les évaluateurs de demandes d'AMM devraient examiner, pas seulement pour la maladie mentale, mais aussi pour la maladie mentale avec comorbidité, c'est‑à‑dire la maladie mentale accompagnée d'une maladie physique.
    C'est très variable. Tout dépendra de la maladie, des solutions thérapeutiques qui existent et d'autres facteurs. De façon générale, en psychiatrie, pour les troubles mentaux, la présence ou l'absence de comorbidité physique est presque sans importance. Certains traitements exigent cependant beaucoup de temps, de patience, de soins de suivi et de modifications. Même pour le tout premier médicament prescrit, strictement parlant, selon les recherches, on ne devrait pas conclure à l'échec du traitement avant trois mois, et c'est pour le premier médicament. C'est sans parler du deuxième, du troisième, du quatrième et du cinquième que les gens essaient, puis de toutes les combinaisons qu'ils tentent, puis de tous les traitements de neurostimulation qui sont offerts.
    Pour le traitement standard, on parle d'années d'essais de divers médicaments. C'est le genre de successions de traitement que les évaluateurs de demandes d'AMM examinent, qu'ils soient en présence d'un trouble mental chronique ou d'une maladie physique chronique. À dire vrai, qu'il s'agisse de la maladie de Crohn, de l'épilepsie et de l'arthrite rhumatoïde, on cherche exactement les mêmes choses: quels genres de soins la personne a‑t‑elle reçus? De quelle sorte de suivi ont-elles fait l’objet? Quels avis de sous-spécialité ont-elles reçus? Ont-elles essayé de nouveaux traitements? Le genre de réflexion est très semblable.

  (1750)  

    Merci.

[Français]

     Sénateur Dalphond [difficultés techniques].
    Monsieur le président, je n'entends pas le sénateur.
    Sénateur Dalphond, nous ne vous entendons pas.

[Traduction]

    Peut-être que le sénateur Dalphond s'est absenté un bref instant.
    Je vois que le sénateur Dalphond participe à la réunion Zoom. Toutefois, son microphone ne semble pas fonctionner en ce moment.

[Français]

    Sénateur Dalphond, je vous suggère...
    Est-ce que vous m'entendez?
    Oui, nous vous entendons maintenant.
    J'ai débranché et rebranché mon casque d'écoute. Il semble que cela fonctionne.
    Vous avez la parole, sénateur.
    Sénateur Dalphond, nous ne vous entendons plus, encore une fois.

[Traduction]

    On dirait que c'est gelé, monsieur le président.
    Nous allons passer au prochain sénateur en attendant, puis revenir au sénateur Dalphond plus tard.
    Sénatrice Wallin, si vous êtes prête, vous disposez de trois minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Mes questions et remarques s'adressent à Mme Gupta. J'aimerais simplement vous entendre sur ce qui suit.
    D'abord, croyez-vous que les textes législatifs qui donnent accès à l'AMM mettent véritablement en danger une communauté minoritaire ou un ensemble de personnes handicapées, une communauté religieuse ou les personnes ayant des contraintes sociales?
    Ma deuxième question est la suivante, et vous pouvez gérer votre temps de réponse comme vous le voulez: vous nous avez tous mis au défi de nous acquitter d'une tâche difficile. Si, en tant que législateurs, nous refusions de traiter de questions complexes, nous savons tous qu'il n'y aurait pas d'assurance-maladie, de voies ferrées, de constitution, d'énergie ou de nourriture dans ce pays. Je sais que les médecins, les citoyens et les patients ont besoin que tout cela soit clair. Quelle est la chose la plus importante que ce comité doit faire?
    Puis-je obtenir des éclaircissements? Parlez-vous de l'AMM dans les cas de troubles mentaux?
    Oui, et dans un contexte plus général, si vous le voulez bien. Je vous en prie.
    À propos du danger, je ne le sais pas. Je ne sais pas ce qui va se passer. Je ne peux pas vous promettre qu'il n'y aura pas de répercussions sur certains des autres groupes, car c'est l'avenir qui nous le dira. Ce n'est pas ce que nous voyons dans les pays qui autorisent cette pratique, donc dans la mesure où nous pouvons nous appuyer là‑dessus, un tel danger semble très peu probable.
    En fait, c'est tout à l'honneur de ces communautés de faire entendre ces préoccupations. Les personnes handicapées, plus particulièrement, ont, je crois, sensibilisé tout le monde dans ce débat à la nécessité de tenir compte de ces menaces au bien-être et à la qualité de vie, et que les évaluateurs et prestataires de l'aide médicale à mourir ne doivent pas l'oublier, y être sensibles et en tenir compte.
    En fait, elles doivent poursuivre leurs efforts afin de nous sensibiliser à leur réalité. C'est un travail inestimable. Vous remarquerez que, dans l'élaboration du programme de formation de l'Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l'AMM, cela a mené à l'inclusion de personnes ayant une expérience directe, de personnes handicapées, etc., afin que les évaluateurs et prestataires de l'AMM puissent apprendre de leur expérience. Voilà ce que je vous répondrais.
    En ce qui a trait à votre deuxième point, vous êtes bien aimable de me demander mon avis. Je suis l'évolution de ce débat et ce qui me perturbe dans celui-ci, c'est l'illogisme ou l'incohérence de certains arguments voulant que l'on puisse permettre l'AMM pour cause de trouble mental quand la personne présente une comorbidité physique, comme si cela annulait sa vulnérabilité ou ses antécédents de suicidabilité. Maintenant, la personne a une affection physique, donc c'est correct, on peut lui donner accès à l'AMM, mais si la même personne n'a pas de trouble médical, elle ne doit en aucune circonstance y avoir accès. C'est intrinsèquement illogique, et je n'ai jamais compris ce raisonnement. Quand quelqu'un a une affection pour laquelle il est très difficile de prévoir ce qui va se produire, il peut obtenir cet accès tant que son trouble n'est pas mental. Cet illogisme me préoccupe, et je vous inviterais à trouver une façon d'y remédier. Je crois que différentes options s'offrent à vous.
    C'est inquiétant, car on laisse entendre que notre société ne croit pas que les personnes qui ont un trouble mental sont vraiment aptes à prendre des décisions qui les concernent. Il me semble que nous luttons vigoureusement contre cela depuis longtemps, donc je suis surprise.
    Je comprends tout à fait les arguments quant au manque de ressources. À mes yeux, toutefois, nous n'avons pas à choisir entre avoir l'AMM ou de meilleures ressources. Nous devons avoir de meilleures ressources, point barre, ce qui ne veut pas dire que nous ne devons pas avoir l'AMM.

  (1755)  

    Merci, docteure Gupta.

[Français]

     Je vois que le sénateur Dalphond est de retour.
    Vous avez la parole pour trois minutes, sénateur Dalphond.

[Traduction]

    Merci.
    Docteure Gupta, vous avez dit qu'il y a des incertitudes par rapport à certains concepts et que c'est pour cette raison que votre groupe a soumis une liste de recommandations. Vous avez dit que ces recommandations sont fondées sur les expériences belge et néerlandaise. Partant de là, vous avez aussi mentionné le fait que très peu de cas sont acceptés. La plupart sont rejetés.
    Pour rassurer les personnes qui nous écoutent, est‑il vrai que vos recommandations visent un rejet de la demande dans les cas incertains et que, donc, elles sont conçues de sorte à protéger et, dans le doute, non pas à accorder l'accès à l'AMM, mais plutôt à le refuser?
    Monsieur le président, vous serez ravi. Ma réponse est très courte.
    Oui, c'est exactement ce que j'essaie de dire. Comme dans tous les aspects de l'exercice clinique, si vous avez un doute par rapport à ce que vous êtes sur le point de faire, vous vous abstenez.
    Tous les mots recèlent de l'incertitude, mais vous tentez d'aider les praticiens à l'éliminer. Si l'incertitude demeure, ils devraient dire non.
    Oui. Nous n'allons pas éliminer toute l'incertitude. La médecine est en grande partie une discipline probabiliste, et nous prenons toujours des décisions soumises à l'incertitude. Il y en aura toujours un peu.
    La question est de savoir à quoi correspond une trop grande incertitude. Le seuil change au fil du temps, mais quand l'incertitude est trop grande et que les praticiens ne peuvent pas s'entendre sur la nature incurable de l'affection d'après ce qui a été établi ou si la personne n'est pas apte, alors ils devraient s'abstenir.
    Le rapport prône donc de pécher par excès de prudence et non l'inverse.
    Oui, absolument.
    Merci.
    Merci, sénateur.
    Concluons avec la sénatrice Martin. Vous disposez de trois minutes.
    Je vais enchaîner sur les propos de mon collègue, le sénateur Dalphond, soit « pécher par excès de prudence » et revenir sur ce que monsieur Thériault et vous avez dit, ainsi que sur le fait que le 23 mars est dans moins d'un an. Les questions sont nombreuses. En fait, Mme Abby Hoffman, à sa comparution devant ce comité, a déclaré qu'il n'y avait pas eu de consultation auprès des Premières Nations, des Métis et des Autochtones.
    Si les provinces ne sont pas prêtes, reviendra‑t‑il au praticien de trancher? Je suis très préoccupée par l'état de préparation de notre pays, de chaque province et de chaque territoire.
    Pourriez-vous commenter n'importe lequel de ces points pour me rassurer, ainsi que ceux qui nous écoutent et les autres membres du Comité? Il reste moins d'un an et il ne semble pas y avoir de normes ni d'uniformité à l'échelle du pays.
    Si vous me permettez un soupçon d'ironie, je vous dirais que, si l'on compare au temps accordé aux projets de loi C‑14 et C‑7, vous en avez beaucoup, puisque ces changements se sont produits très rapidement.
    J'aimerais revenir à ma déclaration liminaire, à savoir que c'est déjà un fait accompli. Nous évaluons déjà des demandeurs qui ont des antécédents d'actes suicidaires. Nous évaluons déjà des demandeurs qui ont de graves antécédents de trouble mental. Je ne suis pas vraiment préoccupée par l'état de préparation des évaluateurs et des prestataires. J'estime que la formation conçue est excellente. Les praticiens devraient la suivre, mais cela ne m'inquiète pas trop.
    Votre question sur la consultation des Autochtones est bonne. Comme je l'ai dit, je crois vraiment que ce sont aux communautés autochtones de nous dire de quelle façon procéder plutôt que de leur imposer une vision universelle.

  (1800)  

    Partant de là, qui mènerait ces consultations? Le gouvernement fédéral ne l'a pas fait, donc je ne vois pas comment une nation ou un groupe pourrait mener les siennes et être en mesure de comprendre ce qui se passe dans l'appareil fédéral, car le gouvernement fédéral joue un rôle.
    C'est vrai.
    Notre groupe d'experts a convenu que cela pourrait se produire à l'échelle régionale. Vous avez tout à fait raison de dire que ce n'est pas quelque chose qu'une communauté autochtone peut organiser, mener et financer seule. Ce doit être un partenariat entre les communautés autochtones et les gouvernements provinciaux et fédéral.
    De ce que j'en comprends, il y a des structures en place au fédéral pour la consultation et la mobilisation des communautés autochtones. Nous invitons les autorités provinciales à faire de même, surtout parce que nous présumons qu'il y aura des différences entre les communautés autochtones des provinces, tout comme c'est le cas avec les communautés allochtones.
    Nous n'avons pas entendu parler de modèles pour ce type de consultations. Seriez-vous en mesure de fournir au Comité des exemples de ce que vous citez?
    Oui. Je crois que Relations Couronne-Autochtones dispose d'un cadre pour les consultations et la mobilisation. Il me semble que cela existe au fédéral.
    Au provincial, nous espérions que les législateurs feraient preuve de leadership en échangeant avec les communautés autochtones de leur province. Je ne crois pas qu'il y ait un modèle en particulier, mais je peux certes vous transmettre les documents qui existent au fédéral.
    Merci beaucoup.
    Avant de vous remercier, docteure Gupta, il y a la recommandation 14, selon laquelle il faut consulter les Premières Nations, donc je crois que vous répondez également à la question dans votre rapport.
    Merci beaucoup de nous avoir consacré de votre temps cet après-midi pour répondre à une pléthore de questions, ce qui témoigne de notre grand engagement par rapport à ce sujet fort important. Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir pris le temps de venir nous entretenir avec tant d'éloquence du travail que votre comité et vous faites. Merci. Cela nous sera utile pour la suite des choses.
    Comme vous le voyez, nous avons encore des questions. C'est inévitable dans notre travail.
    Sur ce, chers membres, nous allons suspendre les travaux avant de passer aux affaires du Comité. Comme vous le savez, cela requiert un lien et un mot de passe différents. Je vais suspendre les travaux un instant et vous demander de vous rebrancher grâce à un autre lien dans une minute ou deux.
    Merci beaucoup. La séance est suspendue.
    [La séance est levée à 18 h 53. Voir le Procès-verbal.]
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication
ParlVU